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Full text of "Expédition du Mexique, 1861-1867;"

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University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/expditiondumeOOniox 


EXPÉDITION 


DU  MEXIQUE 


1861-1867 


RÉCIT  POLITIQUE  ET  MILITAIEE 


.  \ 


M..NT-0\^ 


IMPRIMERIE    DE    i.  DUMAINE  ,    RCE    CHRISTINE 


Ciz 


EXPÉDITION 

DU  MEXIQUE 


1861 -1867 


RÉCIT 

POLITIQUE  &  MILITAIRE 


PAR 

G.  NIOX 

CAPITAINE     d'état-major 


it 


PARIS 

LIBRAIRIE  MILITAIRE  DE  J.   DUMAINE 

LIBRAIRE-ÉDITEUR 

Rue  et  passage  Dauphine,   30 
1874 


in} 


Sept  années  à  peine  se  sont  écoulées  depuis  la  fin 
de  l'Expédition  du  Mexique,  mnis  elles  ont  été  si 
remplies  que  l'on  croirait  être  déjà  beaucoup  plus 
éloigné  de  cette  époque. 

Avant  que  les  péripéties  d'un  temps  aussi  troublé 
que  le  nôtre  nous  aient  emportés  plus  loin  encore,  il 
a  paru  opportun  de  publier,  sinon  une  étude  critique, 
du  moins  un  récit  d'ensemble  de  cette  campagne,  afin 
de  fixer  les  faits  dont  il  conviendra  de  rechercher  plus 
tard  le  sens  politique  et  la  portée. 

L'histoire,  qui  puise  ses  premiers  éléments  d'infor- 
mation dans  les  écrits  des  contemporains ,  leur  de- 
mande ,  comme  garantie  de  sincérité,  de  s'effacer 
pour  laisser  parler  les  événements  mêmes.  La  mé- 
thode d'exposition  était  donc  la  seule  qui  pût  con- 
venir à  ce  récit,  d'autant  plus  que  les  hommes  ne  s'y 
montrant  pas  toujours  conséquents  et  leurs  actions 
n'étant  pas  nécessairement  logiques ,  des  procédés 
de  déduction  absolue  auraient  compromis  la  vérité 
historique. 

Les  mouvements  militaires  ont  servi  de  canevas 


et  les  considérations  politiques  ont  été  développées 
de  manière  à  faire  comprendre  les  causes,  l'en- 
chaînement et  les  conséquences  des  opérations  de 
guerre. 

Les  documents  mis  en  œuvre  sont  conservés,  pour 
la  plupart ,  aux  archives  des  ministères  de  la  guerre 
et  de  la  marine. 

Aucune  pièce,  si  délicate  qu'elle  fût,  n'a  été  omise, 
pour  peu  qu'elle  ait  paru  de  nature  à  éclairer  une 
situation.  Plusieurs  dossiers  particuliers,  entre  au- 
tres une  précieuse  collection  de  lettres  de  l'Empe- 
reur Maximilien  et  de  l'Impératrice  Charlotte,  ont 
fourni  d'intéressants  renseignements  ;  enfin,  un  cer- 
tain nombre  de  rapports  militaires  des  chefs  mexi- 
cains et  une  très-importante  correspondance  diplo- 
matique relative  aux  affaires  du  Mexique,  ont  pu 
être  consultés  dans  les  pubhcations  officielles  du 
gouvernement  des  États-Unis. 

Paris,  7  juin  1874. 


I 


PREMIÈRE    PARTIE 


! 


EXPEDITION  DU  MEXIQUE 

186  1    —    1867 

PREMIÈRE  PARTIE 


CHAPITRE  PREMIER. 
Préliminaires  de  l'expédition  du  Mexique. 

Condition  des  Indiens  après  la  conqui'te  du  Mexique  et  sous  le  régime  colonial. — • 
Émancipation  du  Mexique.  —  IturLide  proclame  l'indépendance  ;  plan  d'Iguala 
(24  fév.  1821).  —  Traité  de  Cordova  (24  août  1821).  —  Iturbide  empereur.  — 
République  mexicaine  ;  les  partis  au  Mexique.  — Guerre  ci«le.  —  Santa-Anna. 

—  Comonfort  ;  plan  d'Ayolla  (1"''  mars  1834).  —  Constilulion  de  1837.  — 
D.  Beiiito  Juarez.  — Plan  de  Tacubaya  ■  Zuloaga.  •—  Juarez  établit  le  gouverne- 
ment constitutionnel  à  la  Vera-Gruz.  —  Miramon.  —  Cbute  de  Miramon  ;  le  parti 
constitutionnel  maître  de  Mtxico  ;  —  Attitude  des  ministres  étrangers  pendant 
la  guerre  civile.  —  M.  de  Saligny  nommé  ministre  de  France  à  Mexico.  — 
Suspension  du  paiement  de  la  dette  publique  (17  juillet  1861).  —  Rupture  des 

Mr^ISTRES  DE  Fr.\NCE  ET  d'AnGLETERRE  AVEC  LE    GOU\'ERXEMENT  DE  JuAREZ  (23 

juillet  1861).  —  Les  étrangers  au  Mexique.  —  Premiers  projets  d'intervention, 

—  Convention  DE  Londres  (31  octobre  1861).  —  Dispositions  des  États-Unis. 

Depuis  la  conquête  espagnole ,  la  population  qui  habite    Condition  des 

^  ^  r    o  '         I     X  1  Indiens   après  la 

le  Mexique  est  partasjée  en  castes  très-distinctes.  ,  conquête 

^  ^  o  du  Mexique  et 

Les  Indiens  ont  subi  le  sort  réservé  dans  l'antiquité  aux     ,  .  =^o'"^  1" .  , 

^  ngimc  colonial. 

peuples  vaincus;  dépossédés  du  sol ,  ils  ont  été ,  la  plupart 
du  temps,  réduits  à  l'état  de  servage  comme  ouvriers  des 
mines  ou  cultivateurs  des  grandes  haciendas ,  ou  bien  ils 
ont  été  relégués  dans  des  villages  appelés  piœblos  de  Indios, 

1 


2  l"^  PARTIE.  —  CHAPITRE  l". 

par  la  race  conquérante  qui  se  réservait  orgueilleusement 
la  qualification  de  gente  de  razon.  Leurs  anciens  chefs  ou 
caciques  ,  auxquels  les  Espagnols  conservèrent  d'abord 
quelques  privilèges,  ne  tardèrent  pas  eux-mêmes  à  perdre 
tout  prestige  et  se  confondirent  dans  la  masse  de  leur  na- 
tion asservie. 

Les  missionnaires  les  baptisèrent  de  gré  ou  de  force  ;  ils 
se  bornèrent  le  plus  souvent  à  superposer  aux  anciennes 
croyances  du  peuple  les  formes  extérieures  du  culte  catho- 
lique et  permirent  même  l'accès  des  temples  chrétiens  aux 
emblèmes  de  l'idolâtrie.  Ignorants  et  superstitieux,  main- 
tenus dans  un  état  social  qui  était  l'esclavage  moins  le  nom, 
les  Indiens  restèrent  longtemps  courbés,  dans  une  obéis- 
sance passive,  sous  la  volonté  de  leurs  dominateurs.  Ils  ne 
se  mêlèrent  pas  à  eux,  et  les  quelques  rejetons  provenant 
d'alliances  mixtes  partagèrent  le  mépris  dont  ils  étaient 
l'objet. 

De  leur  côté  les  créoles,  descendants  des  conquérants  ou 
des  premiers  colons  venus  d'Espagne,  formèrent  une  aris- 
tocratie dont  l'intluence  alarma  bientôt  la  métropole.  Des 
lois  méfiantes  les  éloignèrent  alors  de  tout  emploi  dans 
le  gouvernement  et  dans  l'administration ,  et  il  ne  fut 
pas  même  permis  aux  fonctionnaires  envoyés  d'Europe 
d'épouser  des  femmes  nées  dans  les  colonies. 

Cette  tutelle  humihante  et  cette  domination  tyrannique 
de  l'Espagne  ont  été  l'origine  de  haines  terribles,  dont 
l'explosion  devait  ruiner  sa  puissance  dans  le  Nouveau- 
Monde.  Les  créoles  se  rapprochèrent  de  la  masse  in- 
dienne, en  exploitèrent  les  passions  et  vint  un  jour  où  ils 
la  lancèrent  contre  les  Espagnols  avec  une  implacable 
fureur. 

En  1810,  lo  curé  Hidalgo  jeta  le  premier  cri  do  révolte 


PRÉLIMINAIRES    DE    l'eXPÉDITION.  3 

et  ce  fut  un  désir  de  vengeance,  non  un  besoin  de  liberté 
politique,  qui  animales  40,000  Indiens  accourus  en  quelques 
jours  sous  sa  bannière. 

L'émancipation  des  colonies  anglaises  de  l'Améri- 
que du  Nord,  les  idées  nouvelles  jetées  dans  le  monde 
par  la  révolution  française,  l'affaiblissement  de  l'Es- 
pagne, résultat  de  ses  guerres  avec  la  France,  doivent  être 
considérés  comme  autant  de  circonstances  qui  favorisè- 
rent les  premières  tentatives  d'indépendance  du  Mexique, 
mais  c'est  au  système  oppressif  du  gouvernement  colonial 
qu'il  faut  faire  remonter  l'origine  véritable  de  l'insur- 
rection. 

Les  bandes  indiennes,  indisciplinées  et  mal  armées,  ne 
purent  lutter  longtemps  contre  les  régiments  espagnols. 
Quelquefois  victorieux,  le  plus  souvent  battus,  leurs  chefs 
Hidalgo,  Bravo,  Matamores,  Morelos,  furent  successi- 
vement faits  prisonniers  et  passés  par  les  armes. 

Dix  ans  plus  tard  seulement,  Iturbide  formula  le  pro-    Émancipaiion 

'  ,      .  'ij'  1    1  du  Mexique; 

gramme  et  assura  le  triomphe  de  la  révolution  qu  Hidalgo  ihubide proclame 
avait  commencée  sans  but  parfaitement  défini,  et  peut-être  ''°  ^^""  ^"^'' 
même  sans  en  avoir  pleinement  conscience. 

Colonel  de  milice  provinciale,  Iturbide  avait  été  d'a- 
bord l'ennemi  acharné  de  l'insurrection ,  mais  il  était 
créole  et  ses  sentiments  se  modifièrent  bientôt.  Pendant 
une  expédition  qu'il  dirigeait  contre  Guerrero,  un  des  der- 
niers chefs  de  partisans  restés  encore  en  armes,  il  fit  ac- 
cepter par  les  officiers  de  sa  division  le  plan  d'indépen- 
dance qu'il  avait  conçu  ;  Guerrero  y  donna  lui-même  son 
adhésion  et  les  soldats  des  deux  partis  vinrent  fusionner 
dans  la  petite  ville  d'Iguala.  Tous  jurèrent  de  lutter  en- 
semble pour  l'émancipation  de  leur  patrie. 


Plan  d'Ignala 
(24  février  4  821). 


4  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE  l". 

Les  principes  posés  par  Iturbide  et  proclamés  sous  le 
nom  de  Plan  d'Ignala  se  résumaient  ainsi  : 

«  La  nation  mexicaine  déclarée  indépendante  ; 

«  La  religion  cotholique  seule  religion  reconnue  ; 

«  Les  castes  abolies  et  la  nation  une,  sans  distinction 
d'Européens  et  d'Américains  ».  La  nouvelle  armée  révo- 
lutionnaire prit  pour  devise  :  «  Indépendance,  Religion, 
Union,  »  et  porta  le  nom  de  Tn'gamnte,  c'est-à-dire  des 
trois  garanties. 

Il  fut  décidé  que  le  gouvernement  serait  une  monarchie 
constitutionnelle,  que  la  couronne  serait  offerte  à  Fer- 
dinand VII  et,  en  cas  de  refus,  aux  infants  ou  à  un  autre 
prince  des  familles  régnantes.  Une  assemblée  de  notables, 
sous  la  présidence  du  vice-roi,  devait  être  chargée  du 
gouvernement  provisoire  et  de  la  convocation  d'un  congrès 
national. 

Le  plan  d'indépendance,  ainsi  établi  dans  des  idées 
vraiment  sages  et  conciliatrices,  répondait  à  un  besoin  gé- 
néral de  calme  et  de  repos  ;  il  rallia  la  plupart  des  esprits 
et  valut  une  immense  popularité  à  Iturbide,  que  le  pays 
entier  acclama  du  nom  de  «  Conciliateur  ». 


Traité 

de  Cordova 

(2i  août  iSU] 


Ilurbide 
empereur. 


Le  traité  de  Cordova,  signé  bientôt  après  avec  le  vice- 
roi  O'Donoju,  consacra  l'indépendance  mexicaine  (*),  et 
l'alliance  formée  entre  Espagnols,  Indiens  et  Créoles,  dont 
O'Donoju,  Guerrero,  Iturbide  étaient  les  plus  illustres  re- 
présentants. 

Malheureusement  l'ère  des  guerres  civiles  était  encore 
loin  d'être  fermée. 

En  4822,  le  général  Iturbide  fut  proclamé  empereur 


(')  L'Espapiie  ne  nvonnul  rinJépcndanri'  Ju  Mexique  qu'en  1836. 


PRÉLLMl>AIIiES    DE    l'exPÉDITION.  5 

dans  UR  pronunciamiento  populaire  et  militaire,  qui  éclata 
à  Mexico  à  la  suite  de  dissentiments  qu'il  avait  eus 
avec  le  congrès,  Iturbide  n'avait  ni  les  vertus  ni  les  talents 
d'un  Washington  ;  voulant  gouverner  d'après  les  tradi- 
tions des  vice-rois  qui  avaient,  il  est  vrai,  donné  au 
Mexique  de  longues  années  de  prospérité,  mais  ne  répon- 
daient plus  aux  idées  de  l'époque ,  il  chercha  de  préfé- 
rence ses  appuis  dans  l'armée  et  dans  le  clergé,  échoua,  fut 
renversé  et  dut  se  réfugier  en  Europe.  Moins  d'une  année 
après,  le  fondateur  de  l'indépendance  du  Mexique,  voulant 
rentrer  dans  sa  patrie,  fut  arrêté  au  moment  où  il  débar- 
quait à  Soto-la-Marina  et  fusillé  sommairement  en  vertu 
d'un  récent  décret  du  congrès  qui  le  mettait  hors  la  loi 
(20  juillet  1824). 
Après  la  chute  d'Iturbide  la  république  avait  été  pro-  République  mexi- 

,  ,         1  •        ,  /      •  l^     1  /  '  •  1  caine;  les  partis 

clamée  ;  deux  partis  s  étaient  des  lors  tormes,  qui  par  leur     au  Mexique. 
désaccord  allaient  attirer  sur  le  Mexique  tous  les  fléaux 
des  dissensions  intestines. 

Les  uns,  ceux  qui  eussent  préféré  un  gouvernement  mo- 
narchique, ne  s'accommodaient  de  la  forme  républicaine 
qu'en  réclamant  un  pouvoir  fortement  centralisé;  on  les 
désigna  sous  le  nom  de  Conservateurs,  et  quelquefois  de 
réactionnaires. 

Les  autres  s'appelèrent  les  libéraux  ou  les  fédéraux.  Ils 
rêvaient  une  république  fédérative  sur  le  modèle  de  celle 
des  Etats-Unis,  plan  irréalisable  avec  une  nation  ignorante 
et  des  hommes  neufs  dans  l'art  de  gouverner. 

De  grandes  différences  séparaient,  en  effet,  les  deux  na- 
tions. 

Les  hommes  qui  avaient  peuplé  la  Nouvelle-Angleterre 
n'étaient  pas  des  colons  envoyés  et  soutenus  par  la  Métro- 
pole; c'étaient  des  proscrits  qui  émigraient  en   quelque 


G  l'"    PARTIE.  CHAPITRE  l". 

sorte  contre  la  volonté  de  leur  gouvernement,  cherchant 
une  terre  étrangère,  où  ils  pussent  vivre  en  paix  et  en 
liberté  ;  par  les  traditions  et  les  institutions  de  leur  patrie 
d'abord,  et  ensuite  par  les  grandes  luttes  auxquelles  ils 
avaient  assisté  comme  témoins  et  comme  acteurs,  ils 
avaient  le  sentiment,  les  habitudes  et  les  idées  de  la 
liberté;  ils  étaient  les  représentants  de  ce  principe,  ils  en 
furent  les  or^^anes  dans  toutes  ses  manifestations,  liberté 
municipale ,  liberté  civile ,  liberté  politique,  liberté  reli- 
gieuse. Lorsque  l'heure  de  l'indépendance  sonna,  cette 
société  se  trouvait  déjà  en  république,  les  institutions, 
les  mœurs,  les  coutumes,  la  vie  privée,  tout  était  répu- 
blicain. 

Bien  différente  était  la  constitution  des  sociétés  hispano- 
américaines  et  particulièrement  celle  de  la  société  mexi- 
caine. Plies  à  l'obéissance  absolue  dans  l'ordre  poli- 
tique comme  dans  l'ordre  religieux,  les  hommes  qui  les 
fondèrent  représentaient  le  principe  d'autorité  ;  ce  fut  le 
seul  qu'ils  importèrent  dans  le  Nouveau-Monde,  le  seul 
qu'ils  surent  y  développer. 

La  société  mexicaine  était  monarchique  par  ses  mœurs, 
ses  lois,  sa  religion  et  son  éducation. 

Le  parti  conservateur  se  compose  de  la  plupart  des 
grands  propriétaires  et  du  haut  clergé;  bien  qu'il  soit 
moins  nombreux  que  le  parti  libéral,  ses  richesses  et  son 
influence  sur  la  population  lui  ont  permis  souvent  de  dis- 
puter le  pouvoir  avec  succès.  On  voit  dans  l'un  et  l'autre 
camp  des  hommes  de  race  indienne  ;  mais  un  très-petit 
nombre  seulement,  émancipés  par  leur  éducation,  en  com- 
prennent les  idées  et  en  partagent  les  passions.  La  masse 
reste  assez  généralement  indifférente. 


PRÉL13IINAIRES    J)E    l'eXPÉDITION.  7 

Quant  à  l'armée,  dont  les  soldats  se  recrutent  exclusi- 
vement parmi  les  Indiens,  elle  sert  aveuglément  l'ambition 
de  ses  chefs.  Appelée  sans  cesse  à  jouer  un  rôle  politique, 
elle  jette  son  épée  tantôt  sur  un  des  plateaux  de  la  balance, 
tantôt  sur  l'autre,  et  rompt  à  chaque  instant  l'équilibre, 
qui  aurait  peut-être  permis  au  pays  de  se  reposer  et  de  se 
reconnaître.  Il  suffît  de  quelques  officiers  ambitieux  pour 
amener  un  pronunciamiento ,  renverser  le  gouvernement 
et  créer  un  pouvoir  nouveau  qui  disparaîtra  à  son  tour, 
comme  il  s'est  élevé.  La  nation  a  sans  cesse  été  le  jouet 
ou  la  victime  de  ces  personnalités  vulgaires. 

Parmi  les  nombreux  présidents  qui  se  sont  succédé  à  la  Gaene  civile. 
tête  de  la  Piépublique  mexicaine,  il  s'est  trouvé  des  hommes 
sincèrement  désireux  du  bonheur  de  leur  pays;  mais 
aucun  n'a  pu  triompher  des  obstacles  créés  par  l'esprit  de 
rébellion  des  troupes ,  l'intolérance  et  l'absolutisme  du 
clergé.  Les  vicissitudes  de  la  guerre  civile  ont  fréquemment 
fait  changer  le  pouvoir  de  mains  ;  les  exagérations  et  les 
erreurs  du  fédéralisme  produisant  presque  toujours  un 
mouvement  en  sens  contraire,  puis  les  excès  et  les  fautes 
de  la  centralisation  ramenant  à  la  présidence  les  chefs  du 
parti  fédéral, 

A  plusieurs  reprises  eurent  également  lieu  quelques  ten- 
tatives de  réaction  monarchique.  En  1845,  le  général 
Paredes  alors  chef  du  gouvernement,  indiquait,  comme 
seul  remède  à  la  situation,  l'étabKssement  d'une  monar- 
chie avec  un  prince  étranger  soutenu  par  les  puissances 
européennes  ('). 

(0  A  celle  époque  on  parla,  dit-on,  d'offrir  la  couronne  au  duc  de  Mont- 
pensier. 


8  l"    PARTIE.  CHAPITRE   l". 

Santa-Anno.  Plus  tard  le  général  Santa-Anna,  une  des  personnalités 
les  plus  marquantes  et  les  plus  remuantes  de  la  révo- 
lution mexicaine,  après  s'être  fait  connaître  comme  répu- 
blicain, manifesta  à  son  tour  des  tendances  monarchiques. 
En  1833,  porté  à  la  présidence  pour  la  seconde  fois,  il 
n'osa  pas  affronter  le  sort  d'iturbide  et  se  contenta  du 
titre  d' Altesse  Sérénissime  ;  mais  il  se  composa  une  cour, 
rétablit  l'ordre  de  Guadalupe  et  fit  revivre  de  nombreux 
privilèges  oubliés;  pendant  quelque  temps,  il  eut  en  réalité 
l'autorité  et  le  faste  d'un  roi  absolu,  il  craignit  d'en 
prendre  le  nom. 

Au  mois  de  juillet  1854,  il  chargea  son  agent  en  Europe, 
M.  GuttierrezdeEstrada,  d'entamer  avec  les  cours  de  Paris, 
de  Londres  et  de  Vienne  des  négociations  dans  le  but 
d'obtenir  «  leur  concours  pour  l'établissement  d'une  mo- 
narchie au  Mexique  avec  un  des  membres  des  familles 
régnantes  d'Europe  (*).  » 

comonfori;         Le  parti  libéral  réagit  contre  ces  tendances. 

plan  (l'Avolla 

{i"m.irs483i).  Le  1"  mars  1854,  un  pronunciamiento,  provoqué  par 
le  colonel  Comonfort,  avait  eu  lieu  à  Ayotla.  Plusieurs 
états  s'y  rallièrent  ;  Santa-Anna  fut  renversé  et  le  général 
Alvarez,  gouverneur  de  l'état  de  Guerrero,  qui  avait  éner- 
giquement  appuyé  cette  révolution,  fut  appelé  à  la  prési- 
dence ;  mais  il  se  démit  bientôt  en  faveur  de  Comonfort  de 
celte  charge  trop  lourde  pour  ses  forces. 

Comonfort  assigna  pour  but  aux  efforts  de  son  parti  la 
ruine  de  l'influence  politique  du  clergé  et  des  chefs  mi- 
litaires, il  clicrclia  à  faire  appliquer  un  système  de  gouver- 


<•)  Lctlro  ilu   général   Santa-Anna  à  M.  GuUierrez  de  Estrada,  du  1"  juill'^t 
1854. 


(47d6c.  18o7.) 


PRÉLIMINAIRES    DE   l'eXPÉDITION.  9 

nement  fédéralif  et  s'occupa  activement  de  la  réunion  d'un 
congrès  national. 

Une  nouvelle  constitution,  résultat  des  travaux  de  cette     consiituiion 

.,.,.._ij_.  de  i  857. 

assemblée,  fut  promulguée  au  mois  de  février  1857.  Au  d.  Beniio  Juarrz. 

mois  de  novembre  suivant,  Comonfort  était  régulièrement 

élu  président  constitutionnel  et  Don  Benito  Juarez  (*) , 

avocat  distingué,   connu  pour  ses  idées  avancées,   était 

nommé  président  de  la  cour   suprême,    charge  qui  lui 

donnait  le  droit  de  remplacer  le  président  de  la  république, 

le  cas  échéant. 

Cependant  le  parti  militaire  et  clérical  ne  tarda  pas  à         pian 
relever  la  tète.  Le  17  décembre  1857,  Zuloaga,  chef  de  la     ^  zuioagr' 
brigade  de  Tacubaya,  fit  afficher  dans  Mexico  un  plan  gou- 
vernemental nouveau,  dans  lequel  il  demandait  que  la 
mise  en  vigueur  de  la  constitution  fût  ajournée. 

Comonfort,  esprit  sincère  et  modéré,  éloigné  également 
des  excès  de  tous  les  partis,  se  rallia  au  plan  de  Tacubaya 
dans  un  désir  de  conciliation  ;  Juarez  protesta  et  fut 
arrêté  ;  mais  un  certain  nombre  de  provinces  refusèrent 
leur  adhésion  à  la  politique  nouvelle  du  président  et  pri- 
rent les  armes  pour   défendre  la  constitution. 

Comonfort  venait  de  faire  un  véritable  coup  d'Etat 
contre  sa  propre  autorité;  bientôt  impuissant  à  dominer  la 
situation,  il  fut  renversé  par  les  auteurs  mêmes  du  plan  de 
Tacubaya,  qui  ne  partageaient  ni  sa  modération  ni  ses 
idées  conciliatrices,  et  fut  obligé  de  quitter  le  Mexique; 
quant  à  Juarez,  il  réussit  à  sortir  de  prison,  revendiqua  le 
pouvoir  que  la  constitution  lui  conférait  en  cas  d'absence  du 

(1)  Ne  en  1809,  dans  l'état  de  Uajaca,  de  race  indienne,  pauvre  el  obscur, 
Juarez  s'éleva,  à  force  de  travail  et  de  persévérance,  aux  premières  charges  du 
pays. 


10  r"    l'AUTIÏÏ.  CIIAl'ITRE   l". 

président,  et  se  déclarant  chef  intérimaire  du  gouvernement 

constitutionnel,  il  en  transporta  successivement  le  siège  à 

Queretaro,  à  Guanajuato  et  à  Guadalajara. 

juarez  établit        Ghassé  de  cette  dernière  ville,  il  gagna  la  côte  du  Pa- 

'coasSuitronner  cifiquc ,  prit  la  mcr  et  peu  de  temps  après  reparut  à  la 

vefa-cru.  Vcra-Cruz  (^4  mai  1838). 
(-24maH8o«).  g^^  autorité  fut  rccounue  par  plusieurs  états  voisins  de 
la  mer  ou  de  la  frontière  américaine  ;  ceux  du  centre, 
Mexico,  Puebla,  Tlaxcala,  Queretaro  et  la  plupart  des 
grandes  villes  obéirent  au  pouvoir  établi  à  Mexico  ;  quel- 
ques autres  se  tinrent  en  dehors  du  conflit  et  se  constituè- 
rent en  état  d'indépendance  sous  leurs  gouverneurs  par- 
ticuliers. 

Jamais  le  désordre  n'avait  été  si  général,    l'anarchie 
aussi  grande. 
Miramon.  Dans  la  Capitale  même  tout  n'était  que  trouble  et  con- 

fusion. Zuloaga,  qui  avait  pris  la  place  de  Gomonfort  fut  h 
son  tour  déposé  par  une  sédition  militaire.  Les  conserva- 
teurs modérés  appelèrent  alors  au  pouvoir  Miramon,  jeune 
général  de  vingt-six  ans,  auquel  ses  succès  militaires,  son 
ambition,  plutôt  que  ses  capacités  politiques,  avaient  fait  un 
renom  et  donné  une  certaine  popularité. 

Miramon,  alors  dans  l'intérieur  du  pays,  se  rendit 
aussitôt  à  Mexico  ;  il  commença  par  rétablir  Zuloaga  dans 
ses  fonctions,  et  se  fit  ensuite  nommer  président  substitut 
et  commandant  en  chef  de  l'armée.  Gette  combinaison 
mettait  entre  ses  mains  toute  l'autorité  effective  et  ne  lais- 
sait à  Zuloaga  qu'un  titre  sans  pouvoir. 

Au  mois  de  février  1860,  Miramon,  à  la  tête  de  ses 
meilleures  troupes,  se  dirigea  sur  la  Vera-Gruz  où  se 
trouvait  Juarez  ;  mais  le  capitaine  Jarvis,  commandant 
l'escadre  américaine,  prenant  parti  pour  ce  dernier,  s'em- 


l'RÉLIMINAIBES   DE    l'eXPÉDITION.  11 

para  dans  les  eaux  mexicaines  d'Anton-Lizardo  de  deux 
navires,  qui  apportaient  de  la  Havane  le  matériel  de  guerre 
des  assiégeants.  Privé  des  moyens  sur  lesquels  il  comptait, 
Miramon  échoua  dans  ses  attaques  contre  la  place  et  fut 
forcé  de  rétrograder. 

Zuloaga  crut  alors  le  moment  favorable  pour  ressaisir 
l'autorité,  mais  Miramon  l'arrêta,  l'emmena  avec  lui  et  le 
fit  garder  au  milieu  de  son  armée.  Il  s'échappa  bientôt 
et  la  discorde  rentra  de  nouveau  dans  le  camp  des  con- 
servateurs accablés  déjà  sous  le  poids  des  revers  mi- 
litaires et  des  embarras  résultant  d'une  extrême  détresse 
fmancière. 

Les  revenus  des  douanes  étaient  en  majeure  partie  à  la 
disposition  des  libéraux ,  les  impôts  difficiles  à  recouvrer, 
les  emprunts  forcés  actuellement  impossibles,  les  contrats 
ruineux  passés  avec  des  maisons  de  banque  étrangères 
avaient  épuisé  tout  crédit;  enfin,  le  clergé  ne  comprenait 
pas  que  pour  sauver  son  influence  il  fallait  sacrifier  ses 
richesses.  A  bout  d'expédients  Miramon  en  vint  aux 
mesures  de  violence  ;  il  fit  enlever  dans  la  maison  du 
chargé  d'affaires  anglais  par  le  général  Marquez,  le  plus 
audacieux  de  ses  lieutenants,  600,000  piastres  déposées 
sous  le  sceau  de  la  légation  britannique  et  destinées 
au  paiement  des  conventions  anglaises  (17  novembre 
1860). 

Mais  la  dernière  heure  du  gouvernement  réactionnaire   ^jjjjjf.  î'p^;[f 
sonnait  ;  une  armée  libérale,  victorieuse  déjà  dans  plusieurs  j^^^a/J^f 'J^'^i"^^^^^ 
rencontres,  arrivait  du   nord  sous  les  ordres  d'Ortega.    (24 -léc.  iseo). 
Miramon,  s'étant  porté  au-devant  d'elle,  fut  complètement 
battu,  le  22  décembre  1860,  près  de  San-Miguel  Galpulal- 
pan,  et  forcé  de  fuir.  Il  gagna  la  côte  avec  quelques  amis, 
qui  favorisèrent  son  passage  à  la  liavani;. 


12  1'*   PARTIE.  CHAPITRE  l". 

Le  24  décembre,  Ortega  prit  possession  de  Mexico,  et 
le  28.  il  publia  les  lois  dites  de  réforme,  édictées  par  le 
gouvernement  de  Vera-Cruz  les  12,  13  et  23  juillet  pré- 
cédent. Elles  proclamaient  : 

La  tolérance  des  cultes, 

L'abolition  des  ordres  religieux, 

La  nationalisation  des  biens  ecclésiastiques, 

Le  mariage  civil. 

Juarez  arriva  à  Mexico  le  11  janvier  1861.  Ses  pre- 
mières mesures  témoignent  de  l'irritation  qui  l'animait. 
Le  lendemain  même  il  fit  adresser  à  M.  Pacheco,  ambas- 
sadeur d'Espagne,  la  note  suivante  : 

«  S.  Exe.  le  Président  intérimaire  constitutionnel  ne 
peut  vous  considérer  que  comme  un  des  ennemis  du  gou- 
vernement, en  raison  des  efforts  faits  par  vous  en  faveur 
des  rebelles  usurpateurs  qui  ont  occupé  cette  ville  durant 
les  trois  dernières  années.  En  conséquence ,  il  décide  que 
vous  quittiez  cette  capitale  de  la  république  sans  autre  délai 
que  le  temps  strictement  nécessaire  pour  les  préparatifs  de 
votre  vovac'e.  » 

Des  notiticalions  de  même  nature  furent  faites  au  nonce 
du  Saint-Siège  et  au  ministre  du  Guatemala. 

L'archevêque  de  Mexico  et  la  plupart  des  évêques  fu- 
rent expulsés,  les  revenus  du  clergé  confisqués.  Juarez 
croyait  nécessaire  de  protéger  par  ces  mesures  rigoureuses 
un  pouvoir  encore  mal  assis.  En  effet,  de  nombreuses 
bandes  de  partisans  réactionnaires  parcourant  la  cam- 
pagne sous  les  ordres  de  Marquez,  de  Mejia,  de  Vicario,  de 
Cobos,  de  Lozada,  continuaient  une  guerre  sans  merci, 
signalée  déjà  de  part  et  d'autre  par  des  exécutions  san- 
glantes et  de  cruelles  vengeances. 


PRÉLIMINAIRES    I<E    l'eXPÉDÎTION.  13 

Juarez  allait  se  trouver,  en  outre,  aux  prises  avec  les 
embarras  des  réclamalions  étrangères.  Pour  faire  face  aux 
dangers  qui  l'environnaient,  il  contint  le  clergé  par  une 
rigueur  excessive ,  mit  hors  la  loi  les  chefs  conserva- 
teurs ('),  suspendit  le  paiement  de  la  dette  publique  et 
dédaigna  les  menaces  de  l'Europe. 

Les  ministres  étrangers  avaient  successivement  reconnu        Attitude 

^  ^  .  Jes  ministres 

les  gouvernements  de  tait,  maîtres  de  la  capitale.  étrangers 

pendant  la  guerre 

Après  la  chute  de  Gomonfort,  les  représentants  des  puis-  f'^''^- 
sances  étrangères  étaient  donc  entrés  en  rapport  avec 
Zuloaga,  seule  autorité  qui  existât  alors  ;  car  il  était  dif- 
ficile d'attribuer  le  caractère  de  chef  d'un  gouvernement  à 
Juarez,  errant  de  ville  en  ville,  puis  passant  à  l'étranger 
avant  de  pouvoir  revenir  à  la  Vera-Gruz. 

Cependant,  lorsque  le  gouvernement  constitutionnel  fut 
proclamé  dans  cette  ville,  le  ministre  des  Etats-Unis  ne 
tarda  pas  à  s'y  rendre  ;  les  autres  restèrent  à  Mexico.  Les 
Américains  du  Nord  avaient  naturellement  plus  de  sympa- 
thie pour  Juarez  qui,  se  faisant  le  champion  des  idées 
fédéralistes  et  libérales,  se  rapprochait  de  leurs  principes 
politiques.  Le  représentant  américain  apporta  donc  son 
appui  moral  au  gouvernement  constitutionnel,  et  les  bâti- 
ments de  guerre  des  Etats-Unis  le  protégèrent,  comme  nous 
l'avons  vu,  contre  les  entreprises  de  Miramon  ;  bientôt  aussi 
ils  lui  offrirent  une  assistance  plus  directe,  en  échange  de 
concessions  importantes.  M.  Mac-Lane  conclut  un  traité  qui 

(•)  Ocampo,  un  des  hommes  les  plus  influents  du  parti  libéral,  ayant  été 
fusillé  le  3  juin  sur  Tordre  de  Marquez,  le  gouvernement  de  Juarez  déclara  aus- 
sitôt Marquez,  Mejia,  Cobos,  Vicario,  Cajique,  Lozada  hors  la  loi  ;  il  promit  une 
récompense  de  10,000  piastres  et  une  amnistie  complète,  pour  n'importe  qui'l 
crime,  à  ceux  qui  en  délivreraient  le  pays. 


i4  1'^   PARTIE.  CHAPITRE  l". 

est  connu  sous  son  nom,  par  lequel  le  Mexique  concédait 
aux  Etats-Unis  le  droit  de  passage  à  travers  l'isthme  de 
Tehuantepec  et  certaines  parties  des  provinces  du  nord, 
avec  la  faculté  de  protéger  ce  transit  par  des  forces  mili- 
taires, dans  le  cas  oii  la  république  mexicaine  ne  se  trou- 
verait pas  en  élat  d'y  suffire  elle-même.  Le  traité  ne  fut 
pas  ratifié  par  le  Sénat  américain  ;  mais  il  indique  néanmoins 
les  dispositions  de  Juarez  à  accepter,  dès  cette  époque, 
le  protectorat  que  les  Etats-Unis  cherchent  volontiers  à 
étendre  sur  les  républiques  de  l'Amérique  du  Sud,  tandis 
qu'il  repoussait  au  contraire  les  offres  de  médiation  faites 
par  les  puissances  européennes. 
M.  deSaiigny        La  luttc  cutrc  Mïramon  et  Juarez  touchait  à  sa  fin, 

nommé  ministre  ,  .    .  » 

iif  lorsque  M.  de  Sali^nv,  récemment  nommé  ministre  de 

FrancL'  à  Mexico.  . 

France  au  Mexique,  arriva  à  Mexico  (12  décembre  1860). 
Au  moment  où  tomba  le  gouvernement  de  Miramon,  il  n'a- 
vait pas  encore  présenté  ses  lettres  de  créance.  En  se  con- 
formant aux  traditions  de  ses  prédécesseurs,  il  devait  donc 
reconnaître  le  président  Juarez,  alors  maître  de  la  capitale  ; 
il  y  était  disposé  ;  mais ,  avant  de  soUiciter  une  récep- 
tion officielle,  il  voulut  arrêter  avec  le  nouveau  gouver- 
nement une  convention  qui  stipulât  les  indemnités  pé- 
cuniaires et  les  réparations  auxquelles  la  France  pré- 
tendait. 

Ce  traité  signé,  il  fut  reçu  par  le  président  le  16 
mars  1861. 

Juarez,  en  prenant  possession  du  palais  présidentiel  de 
Mexico,  n'avait  pu  tout  d'un  coup  remplir  les  caisses  pu- 
bliques vidées  depuis  longtemps.  Demander  de  l'argent  à 
un  gouvernement  tellement  appauvri  était  aussi  injuste 
qu'inutile.  Le  faire  consentir  à  un  traité  était  encore  pos- 
sible, car  un  débileur  insolvable  souscrit  toujours  assez  fa- 


PRÉLIMINAIRES    DE    L'EXPÉDITION.  15 

cilement  aux  exigences  de  ses  créanciers,  bien  qu'il  sache 

d'avance  qu'il  ne  pourra  pas  tenir  ses  engagements;  mais 

il  était  bien  évident,  à  priori,  que  ce  traité  resterait  lettre 

morte.  L'empereur  Maximilien ,  soutenu  pendant  cinq  ans 

par  les  soldats  et  le  trésor  de  la  France,  a  été  impuissant  à 

relever  l'état  financier  du  pays.  On  peiit  juger  par  là  quelle 

devait  être  la  position  de  Juarez  au  moment  de  son  arrivée 

à  Mexico,  lorsque  l'ennemi  se  montrait  journellement  aux 

portes  de  la  ville,  et  que  l'argent  faisait  même  défaut  pour 

les  nécessités   quotidiennes  de  l'administration  ;  il  essaya 

d'obtenir  une   sorte  de   concordat  des    trop  nombreux 

créanciers  de  l'État,  mais  ces  démarches  échouèrent  et  l'on 

prétendit  alors  que  l'influence  de  M.  de  Saligny  n'y  fut  pas 

étrangère.  La  banqueroute  était  donc,  à  cette  époque,  la 

seule  solution  qui  restât  à  Juarez.  Elle  était  fatale. 

Les  emprunts  ne  donnent  que  des  ressources  passagères      suspension 

^  ,  ^  ,         .  dii  paiement  de  la 

et  insuffisantes  ;  les  impôts  ne  se  recouvrent  réa^ulièrement    «lette  publique 

qu'après  le  rétablissement  de  l'ordre  ;  son  gouvernement, 

comme  tout  autre  à  sa  place,  allait  donc  être  obligé  d'arrêter 

le  paiement  de  la  dette  publique.  C'est  ce  qu'il  fit  en  effet  ; 

le  paiement  de  la  dette  intérieure  fut  d'abord  suspendu  , 

puis,  le  17  juillet  1861,  le  congrès  vota  l'ajournement  à 

deux  années  du  paiement  des  conventions  étrangères. 

En  droit,  le  cabinet  de  Mexico  ne  pouvait  certainement 
pas  s'affranchir  lui-même  d'obligations  solennellement 
contractées,  mais  en  fait,  c'était  le  seul  parti  qu'il  eût  à 
prendre,  à  moins  d'abandonner  le  pouvoir  à  d'autres  qui 
se  fussent  trouvés  dans  la  même  impasse. 

Le  décret  de  suspension  des  paiements  avait  pour  résultat 
immédiat  de  lui  permettre  de  saisir  4  à  500,000  piastres 
déjà  prélevées  sur  les  douanes  el  mises  de  côté  pour  le 
service  de  la  dette  extérieure. 


(17  juillet -1861 


16  f  PARTIE.  CHAPITRE  l". 

(lesmiSresde       ^^^  iTiinistres  de  France  et  d'Angleterre  réclamèrent  le 
et d'AngSerre    retrait  de  la  loi  du  17  juillet;  ne  l'ayant  pas  obtenu,  ils 
le  gouvernement  empirent  Icurs  relations  diplomatiques  avec  le  cabinet 
(:>5ju3";£).  niexicain(»)  (25  juillet). 

En  ce  moment  du  reste,  Juarez  s'inquiétait  médiocrement 
du  mécontentement  des  puissances  européennes  ;  pour  lui, 
les  ennemis  à  craindre  étaient  ceux  dont  on  apercevait  les 
bandes  dans  la  vallée  de  Mexico,  les  chefs  réactionnaires, 
Marquez ,  Mejia,  Vicario  ou  Cobos,  bien  plutôt  que  les 
armées  éloignées  des  puissances  européennes.  Il  appré- 
hendait donc  peu  la  guerre  étrangère  et  ne  fit  rien  pour 
l'éviter. 

Les  étrangers        La  Francc,  l'Angleterre  et  l'Espacjne  ayant  depuis  lonff- 

au  Mexique.  .  !  .  .       . 

temps  à  se  plaindre  des  mauvais  traitements  infligés  à 
leurs  nationaux,  la  question  d'mtervention  avait  été  déjà 
posée  antérieurement. 

Les  étrangers  établis  au  Mexique  ne  s'étaient  pas  tenus  à 
l'écart  des  luttes  des  partis.  Les  négociants,  les  consuls 
eux-mêmes  avaient  au  contraire  souvent  favorisé  les 
révolutions  sur  lesquelles  un  grand  nombre  spéculaient,  et 
ils  en  avaient  parfois  profité  pour  accroître  rapidement  leur 
fortune,  soit  au  moyen  de  prêts  et  de  transactions  usu- 
raires,  soit  au  moyen  d'arrangements  de  douanes.  Cepen- 
dant après  chaque  crise,  les  ministres  des  puissances 
étrangères,  interprètes  trop  complaisants  parfois  des 
plaintes  exagérées  de  leurs  nationaux,  présentaient  au  nou- 
veau gouvernement  une  longue  liste  de  dommages  à  ré- 
parer, qui  se  traduisaient  toujours  par  un  chiffre  excessif 
d'indemnités  pécuniaires.  Quelquefois  ausoi,  ils  prenaient  à 

(')  M.  (Il'  Salii.'iiy  ;iu  ministre  des  niïairps  ('trangères,  27  juillet  ISGl. 


PRÉLIMINAIRES    T.E    L  EXPEDITION.  17 

l'égard  des  présidents  delà  République  une  attitude  quel- 
que peu  hautaine  et  leurs  communications  diplomatiques 
affectaient  trop  souvent  un  caractère  comminatoire. 

Ils  s'immisçaient  volontiers  dans  les  actes  intimes  de 
l'administration  intérieure,  critiquant,  approuvant,  blâ- 
mant telle  ou  telle  mesure,  et  s'occupaient  de  questions 
parfaitement  étrangères  à  leurs  missions  diplomatiques. 
Ainsi  M.  de  Saligny  faisait  un  grief  au  gouvernement 
mexicain  du  brigandage  qui  désolait  le  pays,  des  vols 
commis  journellement  dans  la  capitale  et  le  rendait  respon- 
sable du  désordre  qui  régnait  au  Mexique,  de  l'insécurité 
des  chemins,  des  violences  commises  à  l'autre  extrémité 
du  territoire  sur  les  négociants  étrangers  (^). 

Dans  un  pays  déchiré  par  les  guerres  civiles,  où  les  ci- 
toyens n'ont  aucune  sécurité  pour  leurs  biens  et  leurs 
personnes ,  il  est  impossible  que  les  étrangers  puissent 
jouir  d'une  immunité  particulière,  surtout  lorsque  le  grand 
commerce  et  une  forte  partie  de  la  richesse  publique  sont 
entre  leurs  mains.  Au  mois  de  décembre  1861,  le  général 
La  Llave,  gouverneur  de  la  Vera-Cruz,  répondant  à  la 
sommation  de  l'amiral  espagnol,  pouvait  cependant  dire 
avec  raison  :  «  Les  étrangers  ont  jusqu'ici  joui  de  tels  avan- 
tages et  ont  été  si  respectés,  que  je  puis  vous  assurer  que 
la  condition  de  citoyen  mexicain  est  un  désavantage,  si  on 
la  compare  avec  celle  d'étranger.  » 

Toutefois,  malgré  les  efforts  de  leurs  ministres,  les 
emprunts  forcés  pesaient  lourdement  sur  eux,  mais  les 
maisons  de  banque  étrangères,  qui  disposaient  de  capitaux 
importants,  tiraient  très-habilement  parti  de  la  situation  en 


(0   Lettre   tlf  M.   de  Saligny    an   Ministre  des  att'aires  étrangères,  13   mars 
1862. 


18  I"    PARTIE.  CHAPITRE  l". 

les  prêtant  à  des  conditions  qu'elles  savaient  fort  bien  pro- 
portionner aux  risques  à  courii\ 

L'affaire  Jecker  (^)  est  un  des  exemples  les  plus  connus 
de  ces  contrats  usuraires,  dont  les  intéressés  ne  craignaient 
pas  de  réclamer  l'exécution  par  voie  diplomatique  et  que 
les  ministres  étrangers  soutenaient  sans  s'inquiéter  suffi- 
samment peut-être  de  la  dignité  de  leur  pavillon;  on 
voyait  même  certains  consuls  favoriser  la  contrebande 
des  métaux  précieux  sur  la  côte  du  Pacifique  et  couvrir  ce 
trafic  déshonnête  du  drapeau  de  leur  nation  (^).  A  côté  de 
réclamations  justement  fondées,  il  en  était  d'autres  mé- 
diocrement dignes  de  protection,  aussi  l'appui  qu'elles 
trouvaient  près  des  agents  diplomatiques  ne  paraissait  pas 
toujours  désintéressé. 

Cependant  certains  griefs  des  puissances  européennes 
paraissent  très-justifiés.  Ceux  de  l'Espagne  étaient  les  plus 
nombreux  et  les  plus  anciens.  Le  Mexique  n'avait  rempli 
aucun  de  ses  engagements  vis-à-vis  d'elle  et  les  sujets 
espagnols  se  plaignaient  chaquejour  de  nouvelles  violences. 

Premiers  projets      En  1858,  cllc  avait  déjà  le  désir  d'intervenir  dans  les 

u  intervenlioii.        ^^  .  .  . 

affaires  intérieures  du  pays;  plus  tard,  en  1860,  son  am- 
bassadeur, M.  Pacheco  faisait  de  vives  instances  auprès  du 
capitaine  général  de  Cuba  pour  obtenir  de  lui  une  démons- 

O  Voir  à  l'Appendice. 

(2)  Nous  traduisons  ce  qui  suit  d'un  ouvrage  anglais  publié  à  Londres  en 
1862,  —  Noies  sur  le  Mexique  par  Lemprière  :  Un  membre  du  congrès  de  Mexico 
ayant  signalé  les  infâmes  transactions  des  consuls  anglais  sur  le  Pacifique,  la 
légation  anglaise  le  poursuivit  ;  une  indemnité  pécuniaire  fut  obtenue,  tandis  que, 
dans  tout  autre  pays,  le  crime  ainsi  dénoncé  eût  refu  la  plus  sévère  réprobation. 
Les  faits  de  ce  genre  sont  nombreux  ;  c'est  l'histoire  de  nos  consulats  et  de  notre 
diplomatie  dans  les  trente  dernières  années.  Les  rcprésentmts  des  autres  nations 
ont  du  reste  rivalisé  avec  les  nôtres La  protection  diplomatique  est  de- 
venue un  trafic  ;  elle  s'étend  la  plupart  du  temps  sur  des  personnes  qui  n'y  ont 
aucun  droit  et  qui  en  profilent  pour  couvrir  leurs  spéculations. 


PRÉLIMINAIRES    DE    L'EXPÉDITION.  19 

Iralion  militaire  contre  Juarez,  alors  installé  àlaVera-Cruz; 
mais  le  maréchal  Serrano  s'était  prudemment  abstenu  de 
peur  d'engager  son  gouvernement  dans  des  complications 
avec  les  Etats-Unis.  Le  Cabinet  de  Madrid  avait  approuvé 
sa  réserve  et  s'était  efforcé  dès  ce  moment  de  s'entendre  avec 
l'Angleterre  et  avec  la  France  afin  d'agir  collectivement 
contre  le  Mexique.  Le  ministre  des  relations  extérieures 
d'Espagne,  M.  Galderon-Collantes,  parlait  même  alors, 
en  termes  fort  positifs,  de  l'opportunité  d'établir  dans  ce 
pays  un  gouvernement  monarchique  (*-». 

Plus  tard  les  ministres  français  et  anglais  n'ayant  pas 
obtenu  de  Juarez  les  satisfactions  qu'ils  réclamaient , 
avaient  formellement  sollicité  leurs  gouvernements  d'en 
venir  aux  mesures  coercitives;  M.  Matthew  écrivait  «  qu'à 
moins  d'une  intervention  étrangère,  le  démembrement  du 
Mexique  et  une  banqueroute  nationale  lui  paraissaient  iné- 
vitables C^).  » 

Sir  Gh.  Wyke,  son  successeur,  faisait  valoir  à  l'appui  de 
celte  demande  d'intervention  l'importance  des  intérêts  an- 
glais engagés  au  Mexique  etle  développement  ultérieur  qui 
pourrait  leur  être  donné  à  l'abri  d'un  gouvernement  hon- 
nête, si  l'on  encourageait  le  parti  modéré  à  relever  la 
tête  (^).  «  Tous  les  Mexicains  sensés  approuveraient,  disait- 
il,  une  mesure  qui  mettrait  un  terme  aux  excès  commis 
chaque  jour  sous  un  gouvernement  aussi  corrompu  qu'im- 
puissant à  miaintenir  l'ordre  et  à  faire  exécuter  ses  propres 


(')  Correspondance  diplomatique  de  l'Espagne  avec  la  France,  notamment  une 
lettre  du  10  janvier  i859,  de  M,  Calderon-CoUanles  à  l'ambassadeur  de  la  reine 
à  Paris,  et  une  lettre  du  2  juin  1860,  de  l'ambassadeur  français  en  Espagne  au 
Ministre  des  affaires  étrangères  à  Paris. 

(î)  Dépèche  de  M.  Matthew,  12  mai  1861. 

(3)  Dépêche  de  sir  Ch.  Wyke.  27  mai  1861, 


20  l""*    PARTIE.  CHAPITRE  l". 

lois  (^).  »  Il  ne  voit  aucun  espoir  d'amélioration  en  dehors 
d'une  intervention  étrangère  ou  de  la  formation  d'un  gou- 
vernement raisonnable  composé  des  principaux  membres 
du  parti  modéré  (^). 

Du  reste,  les  Puissances  européennes  étaient  sollicitées 
d'intervenir  au  Mexique  bien  moins  encore  par  leurs  na- 
tionaux que  par  un  parti  nombreux  d'émigrés  mexicains 
avides  de  ressaisir  le  pouvoir  et  partisans  plus  ou  moins 
éclairés  de  la  monarchie.  «  Ce  sont  les  émigrés  mexicains  à 
Paris,  qui  ont  fait  les  ouvertures  actuelles  au  gouvernement 
autrichien  comme  ils  les  avaient  déjà  faites  en  1846,  »  écri- 
vait lord  Bloomfield,  ambassadeur  d'Angleterre  à  Vienne, 
au  mois  de  février  1862  (^). 

En  1854,  M.  Guttierrez  de  Estrada  avait  été,  comme  on 
l'a  vu,  officiellement  chargé  par  Santa-Anna  d'ouvrir  des 
négociations  à  ce  sujet,  mais  les  guerres  de  Grimée  et 
d'Italie  n'avaient  pas  permis  aux  cabinets  européens 
d'écouter  ces  propositions. 

En  1860,  les  circonstances  parurent  plus  favorables  ; 
tout  porte  à  croire  qu'à  cette  époque  déjà  des  offres  for- 
melles avaient  été  faites  à  l'archiduc  Maximilien  qui, 
cédant  aux  désirs  de  la  princesse  Charlotte,  sa  femme,  et 
aux  conseils  du  roi  des  Belges,  son  beau-père,  les  avait 
éventuellement  acceptées. 

L'empereur  Napoléon  se  montra  favorable  à  ce  projet, 
dont  la  réalisation  lui  était  représentée  comme  facile  ;  le 
parti  monarchique  nombreux  et  influent  verrait,  lui  di- 
sait-on, ses  rangs  grossis  par  tous  les  hommes  modérés, 
avides  de  repos.  Les  agents  diplomatiques  confirmaient 

<•)  Dépêche  de  sir  Cli.  Wyke,  25  juin  1861. 
(2)  Dépêche  de  sir  Ch.  Wyke,  28  octobre  1861, 
<3)  Lord  HloumCicId  à  lord  Russell.  6  février  1862, 


PRÉLIMINAIRES    DE    l' EXPÉDITION.  21 

ces  assertions.  D'après  leurs  dépêches,  l'anarchie  était  au 
comble,  une  nouvelle  révolution  imminente  ;  le  gouverne- 
ment de  Juarez  foulait  aux  pieds  toutes  les  conventions, 
une  intervention  armée  pouvait  seule  sauver  le  Mexique 
et  assurer  les  satisfactions  que  les  puissances  récla- 
maient. 

Les  Etats-Unis  verraient  sans  doute  avec  déplaisir  une 
intervention  européenne,  mais,  absorbés  par  leurs  discordes 
intérieures,  il  leur  sérail  impossible  de  la  contrarier.  Un 
empire  pourrait  être  créé  au  Mexique,  une  digue  opposée  à 
leur  marche  envahissante  vers  le  centre  de  l'Amérique,  le 
passage  entre  les  deux  océans  soustrait  à  leur  monopole 
avant  que  fût  terminée  la  crise  au  milieu  de  laquelle  ils 
se  débattaient. 

L'occasion  semblait  donc  favorable.  Une  régénération 
des  races  latines,  poursuivie  et  protégée  par  la  France  dans 
le  nouveau  comme  dans  l'ancien  monde,  les  relations  com.- 
merciales  étendues,  un  grand  progrès  humanitaire  con- 
sacré par  le  réveil  d'un  peuple  entier  et  son  entrée  dans 
le  courant  de  la  civilisation  moderne,  tel  était  le  mirage  sé- 
duisant que  présentait  l'avenir.  Les  émigrés,  toujours  dis- 
posés à  présenter  les  choses  telles  qu'ils  les  désirent  et  non 
pas  telles  qu'elles  sont  en  réalité,  avaient  soin  d'entretenir 
les  plus  dangereuses  illusions.  Ils  ne  cessaient  d'affir- 
mer que  le  pays  tout  entier  aspirait  à  une  restauration 
monarchique  ;  à  force  de  le  dire  ils  avaient  sans  doute 
fini  par  le  croire  eux-mêmes  et,  de  bonne  foi  peut-être,  ils 
cherchaient  à  persuader  ceux  de  qui  dépendait  la  réalisa- 
tion de  leurs  espérances. 

Santa-Anna  était  un  des  plus  ardents  partisans  de  la 
monarchie;  le  15  octobre  1861,  il  écrivait  à  M.  Guttierez 
de  Estrada  à  Paris  : 


22  r"   PARTIE.  CHAPITRE  l". 

«  J'avais  déjà  quelques  données  à  l'égard  de  la  résolution  prise 
par  les  trois  puissances  maritimes  relativement  au  Mexique. 

«  Ce  que  vous  me  mandez  aujourd'hui  me  démontre  qu'il  ne 
saurait  subsister  de  doute  quant  au  prochain  changement  de  sa 
situation. 

«  Ce  qui  conviendrait  actuellement  serait  de  profiter  d'une  si 
heureuse  occurrence  pour  Taccomplissement  de  nos  anciens  sou- 
haits, en  vertu  de  cette  règle,  que  l'occasion  n'a  qu'un  cheveu  et 
ne  se  présente  pas  deux  fois.  Combien  ne  serait-il  pas  opportun 
de  vous  approcher  de  ces  gouvernements  et  de  leur  rappeler  nos 
anciennes  sollicitations  ! 

«  Et  surtout  de  leur  faire  connaître  que  le  Mexique  n'aura  pas  de 
paix  durable  tant  qu'on  n'aura  point  radicalement  guéri  le  mal. 

«  Le  remède  doit  se  borner  h  substituer  h  cette  bouffonnerie 
qu'on  appelle  la  république,  un  empereur  constitutionnel.  Les 
trois  puissances  pourraient  l'élire  d'un  commun  accord.  Faites 
leur  aussi  savoir  qu'aujourd'hui  plus  que  jamais,  je  suis  résolu  h 
accomplir  celte  idée  et  que  je  travaillerai  sans  relâche  h  en  amener 
la  réalisation;  aussi  peut-on  compter  sur  moi... 

Plus  tard,  en  1863,  après  les  premiers  insuccès  des  ten- 
tatives du  parti  monarchique,  il  répétait  encore  : 

«  Quant  à  l'opinion  de  la  majorité  du  pays,  je  ne  doute  pas 
qu'aussitôt  les  démagogues  chassés  de  la  capitale,  elle  ne  se  déclare 
pour  la  monarchie  constitutionnelle,  comme  la  forme  du  gouverne- 
ment la  mieux  appropriée  au  bien  des  peuples.  Ceux  qui  préten- 
dent qu'il  n'y  a  pas  au  Mexique  un  parti  monarchique  jugeront 
de  leur  erreur,  lorsqu'on  pourra  manifester  sa  pensée  sans  nul 
péril. 

«  Entre  ces  partisans  de  la  monarchie,  on  me  rencontrera,  moi, 
qui  fus  l'inaugurateur  de  la  République,  péché  que  j'ai  du  reste 
expié  suffisamment! 

«  En  résumé,  si  l'Empereur  ne  retire  pas  sa  protection  aux  bons 
Mexicains,  l'œuvre  de  salut  aura  pour  notre  pays  son  accomplisse- 
ment. 

«  Le  Mexique  constitué  jouira  d'une  paix  constante  et,  à  la 
faveur  de  la  sécurité  publique,  il  pourra  donner  essor  h  tous  les 
éléments  de  richesse  que  renferme  son  sol  privilégié,  et  remplir  ses 
engagements. 


PRÉLDIINAIRES    DE    L'EXPÉDITION .  23 

«  Dieu  nous  conserve  l'existence  pour  voir  se  lever  l'aurore  de 
cette  régénération  et  s'en  réaliser  une  partie  !  '^)  » 

En  prêtant  son  concours  au  parti  monarchique,  l'Em- 
pereur pouvait  donc  croire  que  ce  parti  représentait  l'opi- 
nion de  la  majorité  du  pays  ;  et  il  est  difficile  d'admettre 
qu'il  ail  cru  possible  d'imposer  aux  Mexicains  un  gouver- 
nement contre  leur  gré.  Du  reste,  fidèle  à  sa  théorie  du 
suffrage  universel,  il  exprima  formellement  l'intention 
d'appeler  la  nation  mexicaine  à  se  prononcer  elle-même, 
sans  indiquer  toutefois  quels  procédés  permettraient  d'ap- 
pliquer le  système  plébiscitaire  à  un  pays  aussi  vaste  et 
aussi  décentralisé. 

Les  rapports  de  M.  de  Saligny  contribuèrent  encore  à 
augmenter  l'obscurité  et  la  confusion  au  miheu  desquelles 
se  développaient  les  projets  interventionnistes  ;  d'un  autre 
côté,  avec  des  vues  et  des  intentions  différentes,  les  per- 
sonnes qui  entouraient  l'Empereur  le  poussaient  également 
dans  cette  voie  périlleuse.  L'Impératrice  accueillait  les  émi- 
grés mexicains,  les  entretenait  dans  leur  langue,  s'inté- 
ressait à  leurs  malheurs  ;  émue  des  souffrances  de  l'Église 
catholique,  elle  était  disposée  à  considérer  l'expédition  pro- 
jetée comme  une  pieuse  croisade.  M.  de  Morny  pressentait 
une  spéculation  colossale.  ïl  avait  des  intérêts  importants 
dans  les  affaires  du  banquier  suisse  Jecker  ;  il  soutenait  per- 
sonnellement et  faisait  soutenir  par  la  diplomatie  française 
les  revendications  de  cette  maison.  C'était  lui  qui  avait 
fait  envoyer  M.  de  Saligny  au  Mexique,  et  les  soins  que  le 
ministre  de  France  devait  donner  aux  intérêts  de  son  pays 
se  compliquaient  singulièrement  de  ceux  que  réclamaient 

('>  Lettre  à  M.  GuUifrez  de  Estrada,  13  février  1863. 


24  r*"   PARTIE.  —  CHAITIKE   l"\ 

les  intérêts    particuliers  de   ce  puissant   protecteur  (*)  . 

L'Empereur  ignorait  sans  doute  les  détails  déplorables 
de  ces  intrigues  financières;  mais  l'influence  exercée  sur 
lui  par  M.  de  Morny  n'en  était  pas  moins  au  service  d'in- 
térêts fort  peu  recommandables  C^). 

C'est  ainsi  qu'une  grande  nation,  malheureusement 
traitée  en  mineure,  put  être  lancée  contre  son  gré  dans  une 
expédition  d'aventure.  L'opinion  publique  en  France  s'y 
montrait  fort  opposée.  Les  affaires  Jecker  et  les  intrigues 
des  partisans  de  la  monarchie  sur  lesquelles  un  secret  absolu 
n'avait  pu  être  gardé,  n'étaient  pas  de  nature  à  exciter  ses 
sympathies.  La  situation  politique  du  Mexique  était  géné- 
ralement peu  connue,  mais  quelqu'incomplets  que  fussent 
leurs  renseignements,  beaucoup  d'esprits  sages  jugeaient 
sainement  des  dangers  de  l'avenir.  De  plus  les  dépenses 
de  l'expédition  devaient  être  certainement  très-élevées 
et  cependant  le  déficit  des  budgets  s'accroissait  chaque 
année. 

O  Des  correspondances  de  la  maison  Jecker,  interceptées  et  publie'es  dans  le 
recueil  des  documents  soumis  au  congrès  des  Etats-Unis,  ne  laissent  aucun  doute 
à  ce  sujet.  Ces  correspondances  paraissent  avoir  tous  les  caractères  de  l'authen- 
ticité. Voir  à  l'Appendice. 

<*)  Un  agent  des  Etats-Unis  à  La  Haye  appréciait  ainsi  les  motifs  qui  gui- 
daient la  politique  de  l'Empereur  dans  la  question  mexicaine  : 

0  Dans  les  cercles  bien  informés,  on  considère  l'expédition  du  Mexique  comme 
étant  de  la  part  de  l'Empereur  le  développement  d'un  plan  qui  consisterait  à  aug- 
menter son  prestige  et  celui  de  la  dynastie  en  paraissant  le  soutien  de  l'Eglise 
dans  ce  pays.  Bien  que  n'étant  pas  en  faveur  près  des  catholiques,  il  se  rend  né- 
cessaire à  eux  à  Rome  et  il  aimerait,  paraî(-il,  jouer  un  rôle  analogue  à  Mexico.  .  . 

«  Il  est  en  harmonie  avec  ses  plans  de  mettre  de  l'argent  dans  les  poches  des 
soutiens  inlluents  de  l'empire  en  donnant,  sous  un  régime  nouveau,  une  valeur 
aux  litres  d(î  lu  diille  mexicaine  qui  sont  en  leur  possession  et  n'en  ont  aucuni' 
acluellemL'ut. 

«  Ces  vues  me  paraissent  plus  raisonnables  que  l'idée  souvent  émise,  que 
l'invasion  de  cette  malheureuse  contrée  aurait  pour  objet  le  rétablissement  de  la 
monarchie  en  faveur  d'une  des  familles  royales  déchues  en  Europe.  »  (M.  Pike  ;i 
.M.  Seward.  La  ll.iyo,  23  mai  1862.) 


PRÉLIMIA AIRES    DE    L'EXPÉDITION.  2o 

L'Empereur  ne  tint  aucun  compte  de  l'opinion  publique  ; 
il  s'engagea  dans  cette  entreprise  sous  sa  seule  responsa- 
bilité. Toutefois  il  faut  reconnaître  que  ni  les  spéculations 
financières,  ni  les  projets  de  restauration  monarchique,  ni 
les  idées  de  régénération  des  races  latines  ou  d'équilibre 
américain  n'ont  été,  comme  on  l'a  dit,  les  raisons  déter- 
minantes de  la  guerre  du  Mexique.  Il  suffit  pour  le  prouver 
de  rappeler  la  part  que  l'Angleterre  et  l'Espagne  prirent 
aux  opérations  militaires  du  commencement.  Il  faut  donc 
rechercher  la  cause  réelle  de  la  guerre  dans  les  griefs, 
dont  ces  puissances  ne  pouvaient  obtenir  le  redresse- 
ment. 

Lorsque  le  paiement  de  la  dette  étrangère  fut  suspendu, 
les  représentants  de  la  France  et  de  l'Angleterre  agirent 
en  complet  accord  (^)  ;  leur  rupture  avec  le  gouvernement 
de  Juarez  fut  approuvée  par  leurs  ministres  respectifs,  et 
des  instructions  identiques  leur  prescrivirent  de  quitter 
Mexico,  s'ils  n'obtenaient  pas  le  retrait  de  la  loi  et  l'éta- 
blissement dans  les  ports  de  la  Vera-Gruz  et  de  Tampico 
de  commissaires  désignés  par  eux,  ayant  mission  d'assu- 
rer la  remise  entre  les  mains  des  puissances  des  fonds  à 
prélever  à  leur  profit  sur  les  douanes  maritimes  (^).  Ils 
étaient  avisés  l'un  et  l'autre  que  des  forces  navales  seraient 
envoyées  pour  soutenir  ces  demandes. 

M.  Mon,  ambassadeur  d'Espagne  à  Paris,  prévenu  de  ces 
dispositions,  avertit  son  gouvernement  par  le  télégraphe. 
«  On  paraît,  disait-il,  ne  se  soucier  en  rien  de  nous  »  (6  sept. 
1861).  Une  dépèche  du  cabinet  de  Madrid,  qui  se  croisa  avec 
la  sienne,  lui  prescrivait  au  même  moment  «  de  vérifier  si 
le  gouoernement  français  avait  V intention  de  faire  une  démons- 

(•)  M.  de  Saligny  au  Ministre  des  affaires  étrangères,  27  juillet  18G1. 
(2)  M.  Thouvenel  à  M.  de  Saligny,  5  septembre  1861. 


26  l""'   PARTIE.  . —   CHAPITRE  l". 

tration  contre  le  Mexique.  »  Par  une  seconde  dépêche  du 
même  jour,  le  ministre  espagnol  lui  faisait  savoir  que 
l'ordre  était  donné  9u  capitaine  général  de  Cuba  d'opérer 
contre  les  ports  de  Tampico  et  de  Vera-Gruz  : 

«  Si  l'Angleterre  et  la  France  convenaient  d'agir  d'accord 
avec  l'Espagne,  les  forces  des  trois  puissances  se  réu- 
niraient tant  pour  obtenir  la  réparation  des  outrages  reçus, 
que  pour  établir  un  ordre  régulier  et  stable  au  Mexique... 
Mais  si  ces  puissances  laissaient  l'Espagne  de  côté,  le 
gouvernement  de  la  reine  obtiendrait  les  satisfactions  qu'il 
avait  le  droit  de  réclamer,  en  se  servant  des  forces  qu'il 
possédait  et  qui  étaient  supérieures  à  celles  nécessaires 
pour  réaliser  une  entreprise  de  ce  genre  0).  » 

Ces  dépêches  montrent  quelle  était  alors  la  communauté 
de  vue  des  trois  puissances  au  sujet  de  la  nécessité  d'une 
démonstration  militaire  contre  le  Mexique.  M.  Mon  ayant 
fait  part  à  M.  Thouvenel,  ministre  des  affaires  étrangères, 
des  intentions  de  l'Espagne,  le  gouvernement  français  ré- 
pondit qu'il  accueillerait  son  concours  avec  plaisir  (^). 

Le  cabinet  de  Madrid  commença  aussitôt  ses  préparatifs  ; 
il  y  mit  une  certaine  hâte ,  comme  si,  maintenant  que 
l'appui  de  la  France  et  de  l'Angleterre  lui  était  assuré,  il 
eût  voulu  les  devancer.  Le  11  septembre,  des  instructions 
étaient  adressées  au  capitaine  général  de  Cuba  pour  lui 
prescrire  d'envoyer  une  escadre  et  des  troupes  de  débar- 
quement sur  les  côtes  mexicaines  et  de  réclamer  au  nom  de 
l'Espagne  : 

1°  Une  satisfaction  publique  et  solennelle  pour  l'expul- 


(1)  M.  Calderon-Collantes  à  M.  Alon,  o  septembre  1801. 
(»)  M.  Mon  il  .M.  Calderon-Collantes,  9  septembre  1861. 


PRÉLIMINAIRES    DE    l'eXPÉDITIOjN".  27 

sion  de  l'ambassadeur  et  l'envoi  à  Madrid  d'un  représen- 
tant chargé  d'en  exprimer  le  regret  ; 

2"  L'exécution  du  traité  Mon-Almonte  O  ; 

3^  Des  indemnités  aux  Espagnols  victimes  de  certains 
crimes,  et  la  punition  exemplaire  des  coupables  ; 

¥  Le  remboursement  de  la  valeur  du  trois-mâts  Con- 
cepcion,  capturé  par  les  navires  de  Juarez. 

Conditions  «  sine  qiianon  »  dont  le  rejet  devait  entraîner 
l'ouverture  immédiate  des  hostilités. 

Cependant,  comme  les  cabinets  de  Londres  et  de  Paris 
appréciaient  d'une  façon  différente  le  développement  à 
donner  à  l'action  contre  le  Mexique,  Lord  Paissell  pria 
l'Espagne  de  ne  pas  prendre  de  résolution  définitive  avant 
que  la  France  et  l'Angleterre  se  fussent  mises  d'accord  (^). 
Le  gouvernement  français  avait  exprimé  la  pensée  (^),  que 


(1)  Un  traité  signé  à  Paris  entre  M.  Mon,  ambassadeur  d'Espagne,  et  le  général 
Almonte,  représentant  du  gouvernement  de  Miramon,  avait  réglé  les  difficultés 
pendantes  entre  l'Espagne  et  le  Mexique.  Juarez  ne  voulait  pas  en  reconnaître  la 
validité. 

(2)  Dépêche  du  23  septembre  1861. 

(3)  M.  Thouvenel  à  lord  Gowley,  2  octobre  1861  ; 

Extrait  d'une  dépêche  de  M.  Thouvenel  à  l'ambassadeur  de  France  à  Londres, 
11  octobre  1861  : 

« L'ambassadeur  d'Angleterre  est  venu  m'entretenir  des  affaires  du 

Mexique  et  des  moyens  de  combiner  l'action  de  nos  deux  Gouvernements  pour 
atteindre  le  but  commun  que  nous  nous  proposons.  Le  Gouvernement  de  la  Reine 
est  prêt,  m'a-t-il  dit,  à  signer  avec  la  France  et  l'Espagne  une  convention  à  l'effet 
d'obtenir  la  réparation  des  torts  commis  envers  les  sujets  des  trois  pays  et  d'assu- 
rer l'exécution  des  engagements  contractés  par  le  Mexicpie,  vis-à-vis  de  ces  Gou- 
vernements respectifs,  pourvu  qu'il  soit  déclaré  dans  cette  convention  que  les  forces 
des  trois  puissances  ne  seront  employées  à  aucun  objet  ultérieur  quelconque,  et 
surtout  qu'elles  n'interviendront  pas  dans  le  gouvernement  intérieur  du  Mexique. 
Le  cabinet  de  Londres  propose  d'inviter  les  États-Unis  à  adhérer  à  cette  con- 
vention ,  sans  toutefois  attendre  leur  réponse  pour  commencer  les  opérations 
actives, 

«  J'ai  répondu  que  j'étais  complètement  d'accord  avec  le  Gouvernement  anglais 
sur  un  point,  que  je  reconnaissais  que  la  légitimité  de  notre  action  cocrcitive  à 


28  l"    l'ARTlE.  CHAPITRE  l". 

l'arrivée  des  alliés  sur  les  côtes  du  Mexique,  détermi- 
nerait un  mouvement  en  faveur  de  la  monarchie  ;  il  était 
disposé  à  en  faciliter  le  succès  et  manifestait  le  désir  de 

l'égard  du  Mexique  ne  résultait  évidemment  que  de  nos  griefs  contre  le  gouverne- 
ment de  ce  pays,  et  que  ces  griefs,  ainsi  que  les  moyens  de  les  redresser  et  d'en 
prévenir  le  retour,  pouvaient  seuls,  en  effet,  faire  l'objet  d'une  convention  osten- 
sible. J'adnieUais  également  que  les  Parties  contractantes  pourraient  s'engager  à 
ne  retirer  de  leur  démonstration  aucun  avantage  politique  ou  commercial  à  l'exclu- 
sion les  unes  des  autres,  ou  même  de  toute  autre  puissance,  mais  qu'il  me  sem- 
blait inutile  d'aller  au  delà  et  de  s'interdire  à  l'avance  l'usage  éventuel  d'une 
participation  légitime  dans  les  événements,  dont  nos  opérations  pourraient  être 
l'origine.  Pas  plus  que  le  Gouvernement  de  la  Reine,  celui  de  l'Empereur  ne  veut 
assumer  la  responsabilité  d'une  intervention  directe  dans  les  affaires  intérieures  du 
Mexique,  mais  il  pense  qu'il  est  de  la  prudence  des  deux  cabinets  de  ne  pas  décou- 
rager les  efforts  qui  pourraient  être  tentés  par  le  pays  lui-même  pour  sortir  de 
l'état  d'anarchie  où  il  est  plongé  en  lui  faisant  connaître  qu'il  n'a  à  attendre  en 
aucune  circonstance  aucun  appui  ni  aucun  concours.  L'intérêt  commun  de  la 
France  et  de  l'Angleterre  est  éWdemment  de  voir  s'établir  au  Mexique  un  état  de 
choses  qui  assure  la  sécurité  des  intérêts  déjà  existants,  et  qui  favorise  le  déve- 
loppement de  nos  échanges  avec  l'un  des  pays  du  monde  le  plus  richement 
doué.  Les  événements  dont  les  États-Unis  sont  en  ce  moment  le  théâtre  donnent 
à  ces  considérations  une  importance  nouvelle  et  plus  urgente. 

<.  Il  est  permis  de  supposer,  en  effet,  que  si  l'issue  de  la  crise  américaine  con- 
sacrait la  séparation  définitive  du  Nord  et  du  Sud,  les  deux  nouvelles  confédéra- 
tions chercheraient  l'une  et  l'autre  des  compensations ,  que  le  territoire  du 
Mexique,  livré  à  une  dissolution  sociale,  offrirait  à  leurs  compétitions.  Un  semblable 
événement  ne  saurait  être  indifférent  à  l'Angleterre,  et  le  principal  obstacle 
qui  pourrait,  selon  nous,  en  prévenir  l'accomplissement,  serait  la  constitution  au 
Mexique  d'un  gouvernement  réparateur  assez  fort  pour  arrêter  sa  dissolution 
intérieure.  Que  les  éléments  d'un  semblable  gouvernement  existent  au  Mexique, 
c'est  ce  que  nous  ne  saurions  certainement  assurer.  Mais  l'intérêt  qui  s'attache 
pour  nous  à  la  régénération  de  ce  pays  ne  permet,  ce  nous  semble,  de  négliger 
aucun  des  symptômes  qui  pourraient  faire  espérer  le  succès  d'une  pareille  tenta- 
tive. A  l'égard  de  la  forme  de  ce  gouvernement,  pourvu  qu'il  donnât  au  pays 
et  à  nous-mêmes  des  garanties  suffisantes,  nous  n'avions  et  je  ne  supposais  à 
l'Angleterre  aucune  préférence,  ni  aucun  parti  pris.  Mais  si  les  Mexicains  eux- 
mêmes,  las  de  leurs  épreuves,  décidés  à  réagir  contre  un  passé  désastreux,  pui- 
saient dans  le  sentiment  des  dangers  qui  les  menacent  une  vitalité  nouvelle;  si 
revenant,  par  exemple,  aux  instincts  de  leur  race,  ils  trouvaient  bon  de  chercher 
dans  un  établissement  monarchique  le  repos  et  la  prospérité  qu'ils  n'ont  pas 
rencontrés  dans  les  institutions  républicaines,  je  ne  pensais  pas  que  nous  dussions 
nous  interdire  absolument  de  les  aider,  s'il  y  avait  lieu,  dans  l'œuvre  de  leur 
régénération,  tout  en  reconnaissant  que  nous  devions  les  laisser  entièrement 
libres  de  choisir  la  \oic  qui  leur  paraîtrait  la  meilleure  pour  les  y  conduire. 


PRÉLIMINAIRES    DE   l'eXPÉDITTON.  29 

voir  le  choix  des  Mexicains  et  l'assentiment  des  puissances 
se  porter  sur  l'archiduc  Maximilien. 

L'Espagne  ne  répondit  pas  à  ces  ouvertures  O  ;  la  can- 
didature d'un  prince  autrichien  ne  pouvait  en  aucune  façon 
avoir  ses  sympathies  ;  si  un  trône  s'élevait  dans  ses  an- 
ciennes colonies  d'Amérique,  elle  souhaitait  que  ce  fût  au 
profit  d'un  prince  de  sa  maison,  mais  ce  désir  ne  fut  posi- 
tivement exprimé  que  plus  tard.  Le  9  décembre,  le  ministre 
des  affaires  étrangères  d'Espagne  écrivit  en  effet  à  l'am- 
bassadeur de  la  reine  à  Paris  : 

«  Le  gouvernement  de  la  reine  verra  avec  plaisir  l'éta- 
blissement au  Mexique  d'un  pouvoir  solide  et  stable  ;  mais 
soit  qu'il  se  constitue  sons  la  forme  monarchique ,  qui  est  la 
préférable  incontestablement,  soit  sous  une  forme  moins  sûre, 
l'Espagne  désire  que  le  choix  soit  l'œuvre  exclusive  des  Mexi- 
cains. On  devra  leurlaisserla  même  large  libertépour  choi- 
sir le  souverain  qui  devra  les  gouverner  s'ils  préféraient  la 
monarchie  à  la  République  ;  mais  le  gouvernement  de  Sa 
Majesté  ne  pourra  cacher  que ,  dans  ce  cas,  il  croirait 
conforme  aux  traditions  historiques  et  aux  liens  qui  doivent 


•  Poursuivant  le  développement  de  ces  idées  dans  la  forme  d'une  conversation 
intime  et  confiante,  j'ai  ajouté  que,  dans  le  cas  où  la  prévision  qae  j'indicpiais 
viendrait  à  se  réaliser,  le  Gouvernement  de  l'Empereur,  dégagé  de  toute  préoc- 
cupation intéressée,  écartait  d'avance  toute  candidature  d'un  prince  quelconqur 
de  la  famille  impériale,  et  que,  désireux  de  ménager  toutes  les  susceptibilités,  il 
verrait  avec  plaisir  le  choix  des  Mexicains  et  l'assentiment  des  puissances  se 
porter  sur  un  prince  de  la  maison  d'Autriche. 

«  Pour  revenir  au  point  de  départ  de  cet  entretien  et  pour  le  résumer,  j'ai 
dit  enfin  que  la  convention  projetée  devait,  selon  moi,  indiquer  le  but  de  l'en- 
lente  des  Parlies  contractantes  et  les  moyens  combinés  pour  l'atteindre,  dire  en 
un  mot,  tout  ce  que  nous  ferions,  mais  qu'il  paraissait  conforme  à  la  prudence 
et  à  l'usage  de  s'abstenir  de  dire  ce  que  nous  ne  ferions  pas  dans  l'hj'pothèse 
d'événements  incertains  et  auxquels  il  serait  temps  d'aviser  quand  ils  se  produi- 
raient   Signé  :  Thouvenel. 

<•)  Discours  de  .M.  Mon  auv  Corlès  espagnoles.  7  et  8  janvier  1863. 


30  l"'  PARTIE.  —  CHAPITRE  l". 

unir  les  deux  peuples,  que  l'on  préférât  un  prince  de  la 
dynastie  de  Bourbon  on  intimement  uni  à  elle  (*).  » 

Il  semble  donc  résulter  de  cette  dépêche  que  si  l'Espagne 
avait  un  candidat  différent  de  celui  de  la  France,  elle  était 
du  moins  d'accord  avec  elle  pour  souhaiter  le  rétablis- 
sement d'un  gouvernement  monarchique  et  cependant,  à 
la  même  époque,  le  maréchal  O'Donnel,  chef  du  cabinet 
de  Madrid,  disait  au  ministre  anglais  que  l'idée  d'éta- 
blir une  monarchie  constitutionnelle  au  Mexique  à  l'aide 
d'une  intervention  étrangère  lui  paraissait  tout  à  fait  chi- 
mérique (^)  ;  quelques  mois  plus  tard,  il  traitait  ce  projet 
de  «  si  extravagant  qu'il  méritait  à  peine  d'être  dis- 
cuté (^).  » 

Le  gouvernement  anglais,  de  son  côté  W  ,  déclarait 
qu'en  principe  il  était  opposé  à  toute  intervention  armée  et 
il  exprimait  l'opinion  qu'au  Mexique  surtout  une  inter- 
vention ne  saurait  remédier  à  l'anarchie  ;  qu'une  armée 
étrangère  ne  parviendrait  jamais  à  établir  dans  ce  pays  une 
autorité  stable  et  prépondérante,  et  qu'il  était  imprudent 
d'exciter  le  mécontentement  des  Etats-Unis  sans  avoir 
devant  soi  un  but  important  et  une  certitude  suffisante  de 
réussir. 

Si  l'effet  indirect  d'opérations  navales  et  militaires  était 


(*)  M.  Perry,  ministre  des  Élats-Unis  à  Madrid,  informait  son  gouvernement, 
le  io  mars  1862,  que  l'on  agitait  un  projet  de  mariage  entre  le  comte  de 
Flandre  et  la  fille  aînée  du  duc  de  Montpensier,  et  que  l'on  s'occupait  de  poser 
leur  candidature  au  trône  du  Mexique.  —  Le  31  janvier,  lord  Crampton,  ministre 
d'Angleterre  à  Madrid,  avait  déjà  prévenu  lord  Russell  qu'il  avait  été  questionné 
pour  savoir  si  l'Angleterre  serait  disposée  à  soutenir  la  candid.ilure  du  comte  de 
Flandre,  et  qu'il  avait  répondu  que  l'Angleterre  ne  soutiendrait  personne. 

W  Dépùdie  de  sir  John  Crampton,  13  septembre  1801. — Discours  de  M.  Ber- 
mudez  de  Castro,  18  décembre  1862. 

(3)  Dépêche  de  sir  John  Crampton,  30  janvier  1862. 

(M  Dépêche  de  sir  John  lUissell,  30  se]»tcinl)re  1862. 


PRÉLIMINAIRES    DE    l'eXPÉDITION.  31 

de  déterminer  les  Mexicains  à  instituer  un  gouvernement 
plus  en  état  que  les  précédents  de  conserver  les  relations  de 
paix  et  d'amitié  avec  les  puissances  étrangères,  le  gouver- 
nement anglais  s'en  féliciterait,  mais  il  pensait  «  qu'on 
aurait  plus  de  chances  d'arriver  à  ce  résultat  par  une  con- 
duite soigneusement  conforme  au  respect  dû  à  une  nation 
indépendante,  que  par  une  tentative  d'améliorer  par  une 
force  étrangère  les  institutions  intérieures  du  Mexique.  » 
Il  entendait  n'aller  au  Mexique  que  pour  recouvrer  les 
sommes  qui  lui  étaient  dues.  Inquiet  des  projets  de  la 
France,  il  tenait  avant  le  départ  de  l'expédition  à  faire 
stipuler  dans  une  convention  formelle  le  but  et  les  limites 
de  l'intervention. 

Les  ministres  anglais,  ne  partageant  ni  les  espérances  ni 
les  illusions  de  l'empereur  Napoléon,  conservaient  à  la  po- 
litique de  la  Grande-Bretagne  le  caractère  pratique  qui  l'a 
toujours  distinguée.  Ils  présentèrent  à  la  France  et  à 
l'Espagne  un  projet  de  convention,  dans  lequel  il  était 
expressément  dit  que  l'action  demeurerait  limitée  aux  côtes 
et  que  les  forces  alliées  n'interviendraient  en  rien  dans  les 
affaires  du  pays  (*). 

L'Espagne  et  la  France  ne  voulurent  pas  se  lier  les  mains 
par  une  déclaration  aussi  catégorique,  ni  «  décourager 
par  avance  les  efforts  que  le  Mexique  pourrait  tenter  de 
lui-même  avec  l'appui  moral  de  la  présence  des  flottes 
alliées  sur  ses  rivages  ('^);  »  leur  intention  était  que  le 
corps  expéditionnaire  put  s'avancer  dans  l'intérieur,  soit 
pour  atteindre  le  gouvernement  de  Juarez,  si  l'action  sur 
les  côtes  était  inefficace,  soit  pour  se  soustraire  aux  in- 


(1),  Discours  de  M.  Bermudez  de  Castro  aux  Certes,  17  décembre  1862. 
(2)  Lettre  de  M.  Thouvenel  à  M.  de  Flahaut.  11  octohrp  1861. 


32  i^"  PAniIE.  CHAPITRE  l". 

fluences  d'un  climat  meurtrier.  Elles  repoussèrent  donc 
la  rédaction  proposée  par  l'Angleterre  (*).  M.  Galderon 
Collantes,  ministre  des  affaires  étrangères  à  Madrid, 
ajoutait  qu'il  valait  mieux  s'abstenir  que  d'aller  au  Mexique 
dans  les  conditions  du  projet  anglais. 

En  résumé,  la  France  avait  le  dessein  d'intervenir  au 
Mexique  d'une  manière  effective  et  d'appuyer  le  prince 
Maximilien.  L'Angleterre  ne  voulait  pas  s'occuper  des 
affaires  intérieures  du  pays  ;  elle  avait  exclusivement  en 
vue  la  protection  des  sujets  et  des  intérêts  anglais. 

Quant  à  l'Espagne,  bien  que  le  président  du  conseil 
trouvât  chimérique  le  projet  d'établir  un  gouvernement 
monarchique  au  Mexique,  le  cabinet,  admettant  la  possi- 
bilité qu'un  mouvement  se  produisît  dans  le  pays,  exprimait 
le  désir  qu'il  eût  lieu  «  en  faveur  d'un  prince  de  la  dynastie 
de  Bourbon  ou  intimement  uni  à  elle  »  ;  il  s'éloignait  donc 
ainsi  du  projet  de  l'Angleterre,  sans  se  rapprocher  de 
celui  de  la  France. 

Telles  étaient  les  dispositions  apportées  par  chacune  des 
puissances  à  la  signature  de  la  convention  de  Londres,  le 
81  octobre  1861  (-). 

Convention  11  fut  expliqué  daus  ce  traité,  que  les  gouvernements  de 

(31  od.  4861).  France,  d'Angleterre  et  d'Espagne  se  proposaient  d'obtenir, 
par  une  action  commune  sur  le  Mexique,  le  redressement 
des  griefs  nombreux  dont  ils  avaient  à  se  plaindre,  des 
garanties  plus  efficaces  pour  les  personnes  et  les  propriétés 
de  leurs  nationaux,  enfin  l'exécution  des  obligations  con- 
tractées par  la  Uépublique  mexicaine. 

(>)  M.  Ijarrot  à  iM.  TliouvencI,  21  octobre  1861. 

^2)  Le  texte  de  la  convention  est  donné  au  Moniteur  universel  du  22  no- 
vembre 1861.  Voir  ;i  rAippcndicf. 


PRÉLIMINAIRES    DE    l'eXPÉDITIOX.  33 

Ils  s'engageaient  à  envoyer  sur  les  côtes  du  Mexique  des 
forces  de  terre  et  de  mer  suffisantes  pour  saisir  et  occuper 
les  différentes  positions  militaires  et  les  forteresses  du  litto- 
ral, soit  sur  le  golfe  du  Mexique,  soit  sur  l'océan  Pacifique, 
sans  s'interdire  toutefois  les  autres  opérations  qui  seraient 
jugées  sur  les  lieux  les  plus  propres  à  réaliser  le  but  pour- 
suivi en  commun  et  notamment  à  assurer  la  sécurité  des 
résidents  étrangers. 

Ils  promirent  de  ne  rechercher  pour  eux,  dans  l'emploi 
de  mesures  coercitives,  aucune  acquisition  de  territoire,  ni 
aucun  avantage  particulier,  et  à  n'exercer  dans  les  affaires 
intérieures  du  Mexique  aucune  intluence  de  nature  à  porter 
atteinte  au  droit  de  cette  nation  de  choisir  et  de  constituer 
librement  la  forme  de  son  gouvernement. 

Il  fut  convenu  que  tout  en  invitant  sans  retard  le  gou- 
vernement des  États-Unis,  qui  avait  aussi  des  réclamations 
à  faire  valoir,  à  accéder  à  cette  convention,  on  ne  s'expo- 
serait pas,  dans  la  seule  vue  d'obtenir  cette  adhésion,  à 
manquer  le  but  à  atteindre,  et  que  par  conséquent  on  ne 
retarderait  pas  le  commencement  des  opérations  au  delà 
de  l'époque  à  laquelle  les  forces  combinées  pourraient  être 
réunies  dans  les  parages  de  la  Vera-Cruz. 

Bans  ce  traité,  que  l'on  dirait  fait  à  la  hâte,  rien  n'est 
spécifié  d'une  manière  précise  ;  les  gouvernements  n'étaient 
pas  d'accord  avant  la  signature,  et  l'on  ne  voit  aucun  article 
qui  fasse  disparaître  leurs  divergences  de  vue  ;  au  contraire 
il  semblerait  qu'au  lieu  de  chercher  à  résoudre  les  diffi- 
cultés, on  eût  voulu  éviter  de  di.^cuter  les  points  sur  les- 
quels les  opinions  différaient. 

Après,  comme  avant,  chacun  conserve  la  liberté  de 
suivre  une  ligne  politique  particulière  ;  les  termes  vagues 
du  trnité  ne  s'y  opposent  pas,  de  môme  qu'ils  n'obligent 


34  ]"  PARTIE.  CHAPITRE  l". 

aucun  des  gouvernements  à  étendre  ou  à  restreindre  son 
action  dans  la  même  mesure  que  ses  alliés. 

Les  plénipotentiaires  ne  se  communiquent  même  pas  la 
note  des  réclamations  de  chaque  puissance  ;  on  se  décide 
à  agir  en  commun  sans  déterminer  d'avance  les  réparations 
à  obtenir  et  sans  examiner  si  les  prétentions  de  l'un  sont 
de  nature  à  être  soutenues  parles  autres.  Bien  plus,  comme 
on  le  verra  par  la  suite,  le  gouvernement  français  ne  savait 
même  pas  exactement  quelles  satisfactions  il  exigerait,  de 
sorte  que  si  Juarez,  dans  le  but  d'arrêter  l'intervention  eu- 
ropéenne, se  fût  déclaré  prêt  à  accepter  toutes  les  conditions 
des  alliés,  le  cabinet  des  Tuileries  n'eût  pas  été  à  même 
de  formuler  des  réclamations  pour  l'établissement  des- 
quelles il  manquait  d'éléments  d'appréciation.  Ceci  est 
d'autant  plus  grave  à  signaler  que,  plus  tard,  le  refus  des 
Anglais  d'appuyer  les  demandes  des  commissaires  français 
sera  la  cause  première  de  la  rupture  de  la  triple  alliance. 

Les  hostilités  allaient  donc  s'ouvrir  sans  que  le  cabinet 
des  Tuileries  eût  arrêté  les  bases  d'un  ultimatum.  Ce  soin 
était  laissé  à  un  agent  diplomatique  dont  les  sentiments 
(on  l'a  reconnu  depuis  et  on  pouvait  le  savoir  dès  cette 
époque)  manquaient  de  mesure. 

M.  de  Saligny  avait  cependant  communiqué  à  son  gou- 
vernement une  liste  de  griefs  0)  ;  mais  il  suffira  d'en  lire  la 
nomenclature  pour  se  rendre  compte  qu'un  certain  nombre 
n'étaient  pas  de  nature  à  motiver  des  réclamations  diplo- 
matiques et  qu'il  n'était  pas  juste  de  faire  remonter  au 
gouvernement  la  responsabilité  de  brigandages  commis 
sur  les  grandes  routes,  dans  des  lieux  isolés  et  souvent 
en  dehors  de  son  rayon  d'action. 

M.  de  Saligny  a  dit  aussi  qu'on  avait  attenté  à  ses  jours  ; 

(')  Voir  à  l'Apppn(îic.\ 


PRÉLIMINAIRES    DE   l'eXPÉDITION .  3o 

ce  fait  a  été  contesté  par  le  gouvernement  mexicain,  et  l'en- 
quête, à  laquelle  il  a  donné  lieu,  n'a  pu  avoir  de  résultat 
certain  (^). 

Pour  d'autres  actes  de  violence  on  avait  au  contraire  le 
droit  et  le  devoir  de  demander  impérieusement  justice.  Le 
vice-consul  de  France  à  Zacatecas  avait  été  emprisonné  pour 
s'être  refusé  à  payer  une  taxe  illégale  ;  le  vice-consul  de 
Tepic  était  mort  des  suites  d'odieux  traitements  ;  une  in- 
demnité avait  été  accordée  à  sa  famille,  mais  l'auteur  prin- 
cipal de  ces  excès,  le  colonel  Piojas,  avait  été,  après  une 
punition  illusoire ,  réintégré  dans  l'armée  et  investi  d'un 
commandement  important  à  Tepic  même. 

Venaient  ensuite  les  réclamations  pécuniaires  et  le 
règlement  des  indemnités  auxquelles  les  dommages  causés 
pouvaient  donner  lieu  ;  cette  question  paraît  du  reste  do- 
miner toutes  les  autres. 

Tandis  que  le  gouvernement  français  évaluait  à  environ 
dix  millions  de  francs  la  somme  due  par  le  Mexique  C"), 
M.  de  Saligny  devait  plus  tard  réclamer  douze  millions  de 
piastres,  chiffre  que  les  commissaires  alliés  trouvèrent 
exorbitant  et  que  M.  Thouvenel  lui-même  ne  pouvait  s'em- 
pêcher «  de  croire  exagéré  (^).  » 

Enfin,  indépendamment  de  ces  indemnités,  il  prétendait 

(1)  Une  manifestation  avait  eu  lieu  devant  Thôtel  du  ministre  de  France;  un 
coup  de  feu  partit,  dit-il ,  d'un  des  groupes  et  la  balle  pénétra  dans  ses  appar- 
tements. —  L'agent  du  gouvernement  de  Juarez  à  Paris ,  M.  de  la  Fuente,  dé- 
clara au  Ministre  des  affaires  étrangères  qu'à  la  suite  d'une  enquête  judiciaire,  on 
avait  reconnu  l'erreur  dans  laquelle  était  tombé  M.  de  Saligny,  que  les  cris  ima- 
ginaires de  mort  qui  auraient  été  proférés  étaient  en  réalité  des  acclamations  en 
faveur  de  la  France  et  en  réprobation  des  assassinats  commis  contre  les  étrangers  ; 
le  groupe  duquel  les  cris  étaient  partis  était  composé  de  Mexicains  et  de  Fran- 
çais échangeant  entre  eux  des  sentiments  réciproques  d'amitié.  (?)  (  Lettre  de  M.  de 
la  Fuente  à  M.  Thouvenel,  7  mars  1862.) 

(2)  Note  sur  les  griefs  remise  à  l'amiral  Jurien. 

(S)  M.  Thouvenel  à  M.  de  Saligny,  28  février  1862. 


36  l"   PARTIE.  CHAPITRE  l"'. 

exiger  du  gouvernement  de  Juarez  l'exécution  du  contrat 
passé  par  Miramon  avec  la  maison  Jecker. 

Le  ministre  des  affaires  étrangères  à  Paris  n'était  pas 
très  au  courant  de  cette  dernière  question  encore  obscure, 
et  qui  fut  élucidée  plus  tard  seulement  ;  il  en  avait,  comme 
pour  tout  le  reste,  réservé  la  solution  à  M.  de  Saligny. 

Dispositions         Ainsi  au'il  en  avait  été  convenu,  les  puissances  sisfna- 

des  Etats-Unis.  ^  .       .  ^  . 

taires  de  la  convention  de  Londres  invitèrent  les  Etats-Unis 
à  donner  leur  adhésion  à  ce  traité  ;  le  cabinet  de  Washing- 
ton, loin  d'être  disposé  (on  le  savait  parfaitement)  à  fa- 
voriser une  intervention  européenne,  répondit  qu'il  ne 
croyait  pas  devoir,  pour  le  moment,  donner  à  ses  propres 
réclamations  l'appui  de  la  force  et  qu'il  avait  même  enta- 
mé des  négociations  avec  le  Mexique  en  vue  de  lui  fournir 
les  moyens  de  satisfaire  aux  demandes  des  puissances  (^). 
En  effet,  M.  Corvin ,  ministre  des  États-Unis  à  Mexico, 
conclut  des  arrangements  financiers  avec  Juarez,  afin  de  lui 
procurer  neuf  millions  de  piastres  et  neutraliser  les  effets 
de  la  convenlion  de  Londres  en  désintéressant  les  créan- 
ciers (^).  Toutefois  ces  traités  ne  furent  pas  approuvés  par  le 
Sénat  américain. 

Les  opérations  militaires  allaient  donc  commencer. 

Outre  les  satisfactions  pécuniaires,  l'empereur  Napoléon 
poursuivait,  comme  nous  Pavons  dit,  la  réalisation  de 
certains  plans  politiques,  dont  le  but  était  surtout  de  con- 
trebalancer rintluence  des  États-Unis  sur  l'Amérique 
centrale. 

Cette  idée  était  en  définitive  conforme  aux  principes  qui 

(')  Dépèche  du  4  décembre  18G1. 

(2)  M.  Seward   à   M.  Corvin,  5  décembre   1861.  Voir  Lemprién-,   Londres, 
1862. 


PRÉLIMINAIRES    DE    l'eXPÉDITION  .  37 

ont  souvent  dirigé  et  dirigent  encore  la  conduite  d'un 
grand  nombre  d'hommes  d'État.  La  doctrine  qui  enseigne 
que  l'intérêt  crée  le  droit,  et  que  les  règles  banales  de 
justice  et  d'honnêteté,  pratiquées  dans  les  relations  d'in- 
dividu à  individu,  ne  sont  pas  applicables  aux  rapports  in- 
ternationaux, a,  depuis  de  longs  siècles,  préparé  des  excuses 
pour  tous  les  abus  de  la  force. 

En  raisonnant  ainsi,  on  pouvait  soutenir  que  l'intérêt 
de  l'Europe  étant  de  s'opposer  au  développement  mena- 
çant des  États-Unis,  elle  avait  le  droit  de  prendre  pied  au 
Mexique  si  elle  le  jugeait  nécessaire,  et  cette  prétention 
pouvait  paraître  d'autant  plus  acceptable,  que  l'on  avait 
trop  légèrement  conçu  l'espérance  de  voir  l'intervention 
européenne  acclamée  par  la  grande  majorité  du  peuple 
mexicain. 

Le  point  de  départ  ainsi  posé,  on  s'inquiéta  peu  du  gou- 
vernement qui  siégeait  à  Mexico  ;  le  vent  qui,  soufflant 
d'Europe,  pousserait  les  flottes  alliées  vers  les  rivages 
mexicains,  renverserait,  à  n'en  pas  douter,  ce  pouvoir 
éphémère,  et  quelques  milliers  d'hommes  paraissaient  une 
force  bien  suffisante  pour  tout  mener  à  bonne  fin. 

Qu'était  donc  le  Mexique  ?  et  n'avait-on  pour  le  connaître 
que  les  rapports  intéressés  des  émigrés,  ou  d'agents  diplo- 
matiques mal  éclairés  ou  peu  sincères  ?  L'histoire  était-elle 
oubliée  ,  ou  croyait-on  que  quarante  années  de  guerre 
civile  avaient  complètement  épuisé  la  sève  du  pays? 

«  Le  Mexique  avait  secoué  la  domination  monarchique  t  ^ 
de  l'Espagne,  domination  séculaire  et  profondément  enra- 
cinée ;  lui,  qui  n'avait  pas  voulu  de  son  libérateur  pour  roi, 
accepterait-il  aujourd'hui  un  monarque  étranger?  Cette 
monarchie  difficile  à  créer  ne  serait-elle  pas  plus  difficile  à 
maintenir?  Ruineuse  et  terrible  pour  les  Mexicains,  cette 


38  l'*  PARTIE.  CHAPITRE  l". 

entreprise  ne  le  serait  pas  moins  pour  leurs  ennemis.  Les 
Mexicains  étaient  faibles  sans  cloute  en  comparaison  des 
puissances  qui  allaient  envahir  leur  territoire,  mais  ils 
combattraient  sur  le  sol  même  de  leur  patrie  pour  la  dé- 
fense de  leurs  droits  outragés.  Le  patriotisme  décuplerait 
leurs  forces  et  la  patiente  ténacité  des  races  indiennes 
lasserait  toutes  les  armées  de  l'Europe.  » 

Tel  était  le  langage  d'un  certain  nombre  d'hommes  con- 
sidérables, de  M.  de  la  Fuente  entre  autres,  agent  de  Juarez 
en  Europe ,  et  dont  les  assertions  auraient  dû  obtenir 
autant  de  créance  au  moins  que  celles  des  réfugiés  bannis 
de  leur  pays  et  désireux  d'y  rentrer  par  tous  les  moyens, 
fût-ce  même  avec  l'appui  des  baïonnettes  étrangères. 


CHAPITRE   DEUXIÈME. 


Commandement  du  contre-amiral  Jurien  de  la  Gravière. 

Organisation  des  forces  expéditionnaires,  —  Désignation  des  plénipotentiaires  ; 
le  général  Prim.  —  Instructions  données  à  l'amiral  Jurien  ;  —  aux  commis- 
saires anglais  ;  —  au  général  Prim.  —  Formation  du  corps  expéditionnaire 
français;  départ  de  l'escadre.  —  Réunion  de  l'escadre  à  Sainle-Groix-de- 
Ténériffe.  —  L'amiral  complète  l'organisation  du  corps  expéditionnaire.  — 
Arrivée  de  l'escadre  à  la  Havane.  —  Première  réunion  des  trois  comman- 
dants des  troupes  alliées.  —  Les  émigrés  mexicains  à  la  Havane.  —  Juarez 
se  prépare  à  la  résistance.  —  Débarquement  des  Espagnols  à  la  Vera-Cruz. 

—  Achat  de  chevaux  à  la  Havane.  —  L'escadre  française  quitte  la  Havane. 

—  Effectif  de  la  division  espagnole.  —  Manifeste  des  plénipotentiaires  à 
la  nation  mexicaine.  —  Description  topographique  sommaire.  —  Occupation 
de  la  Tejeria.  —  Occupation  de  Medelin. — Première  conférence.  —  Ultimatum 
des  plénipotentiaires  français.  —  Deuxième  conférence.  —  Envoi  de  délégués 
à  Mexico.  — Arrestation  de  Miramon.  —  Retour  des  délégués.  —  Réponse  du 
gouvernement  mexicain.  —  Deuxième  note  des  commissaires  alliés.  —  Loi  du 
23  janvier  1862.  —  Organisation  du  corps  expéditionnaire.  —  Réponse  de 
Dohlado  à  la  deuxième  pote.  —  Troisième  note.  —  Le  général  Zaragosa  rem- 
place le  général  Uraga. —  Convention  delà  Soledad  (19  février  1862).  —  Orga- 
nisation du  convoi.  —  Départ  des  troupes  françaises  pour  Tehuacan  (2o  février 
1862).  —  Réorganisation  des  moyens  de  transport.  —  Situation  de  la  Vera- 
Cruz  et  de  l'escadre.  « 

Après  avoir  signé  la  convention  de  Londres,  les  puis-     Organisation 

des  forces  expé- 

sances  alliées  arrêtèrent  en  commun  que  le  corps  expèdi-     ditionnaires. 
tionnaire  à  diriger  sur  le  Mexique  se  composerait  d'environ 
6,000 Espagnols  et  3,000 Français,  l'Angleterre concouiant 


40  l''  l'ARTJE.  CHAPITKE  II. 

^^^'  à  l'opération  par  l'envoi  d'une  forte  division  navale,  2 
vaisseaux,  4  frégates,  un  nombre  proportionnel  de  bâti- 
ments plus  légers  et  un  détachement  de  700  soldats  de 
marine  destinés  à  être  momentanément  débarqués  sur  les 
côtes  (^). 
Désignation         Le  contre-amiral  Milnes  reçut  le  commandement  des 

des 

piénipoteniiaircs.  forcos  anglaises,  le  contre-amiral  Jurien  de  la  Gravière 
celui  des  troupes  françaises  ;  le  général  Prim,  comte  de 
Reus,  fut  désigné  pour  commander  les  troupes  espagnoles. 
Des  commissaires  devant  être  chargés  de  régler  les 
diverses  questions  de  réparations  à  demander  au  Mexique 
et  d'indemnités  à  en  obtenir,  l'Angleterre  désigna  à  cet 
effet  sir  Gh.  Wyke,  son  chargé  d'affaires  à  Mexico,  qui  était 
au  courant  des  hommes  et  des  choses  du  pays  et  le  contre- 
amiral  Milnes,  commandant  l'escadre  anglaise. 

Pour  les  mêmes  raisons,  le  cabinet  des  Tuileries  se 
fit  représenter  par  M.  de  Saligny  et  par  l'amiral  Jurien. 
Quant  à  l'Espagne,  elle  remit  au  général  Prim  la  direction 
politique  et  militaire  de  l'expédition. 

Le  pénérai  rrira.  Le  chiffrc  relativement  élevé  des  forces  qu'il  comman- 
dait, l'illustration  qui  entourait  son  nom,  la  bienveillante 
sympathie  qu'il  avait  rencontrée  près  de  l'empereur  Napo- 
léon et  dont  il  avait  reçu  des  témoignages  publics,  devaient 
donner  au  général  Prim  une  influence  prédominante  au 
sein  de  la  conférence.  Bien  que  les  commissaires  français 
ne  lui  fussent  nullement  subordonnés,  il  leur  était  recom- 
mandé d'avoir  pour  ses  avis  une  certaine  déférence  ;  l'avenir 
de  l'expédition  était  donc  en  grande  partie  entre  ses  mains 
et  le  succès  allait  dépendre  de  la  ligne  de  conduite  qu'il 
suivrait. 

<•)  Le  Ministre  des  aiïaires  élrangèrps  au  Minisire  de  la  marine,  4  novembre 
1861.  —  Le  contre-amiral  Jurien  au  Ministre  de  la  marine,  22  décembre  1861. 


l'amiral    .lURIElV    DE    LA    GRAVIÈRE.  41 

Une  grande  ambition  appuyée  sur  un  fonds  d'idées  li- 
bérales, un  besoin  incessant  de  nriouvement  et  d'agitation, 
quelque  inconséquence  dans  Tespril,  paraissent  être  les  ca- 
ractères distinctifs  du  comte  de  Reus(*^  Il  avait  épousé 
une  riche  Mexicaine,  mademoiselle  Aguero,  et  se  trouvait 
par  alliance  le  neveu  de  Gonzales  Etcheverria,  alors  mi- 
nistre des  finances  de  Juarez. 

En  1808,  lorsque  l'Espagne  voulait  déclarer  la  guerre 
au  Mexique,  il  avait  proposé  et  soutenu  au  Sénat  l'amen- 
dement suivant  à  Tun  des  paragraphes  de  l'adresse  à  la 
Reine  : 

«  Le  Sénat  a  vu  avec  peine  que  les  différends  avec  le 
Mexique  subsistent  encore.  Ces  différends,  Madame,  auraient 
pu  avoir  une  solution  pacifique,  silegouvernementdeVotre 
Majesté  eût  été  animé  d'un  esprit  plus  conciliant  et  plus 
juste.  Le  Sénat  comprend  que  la  source  de  ces  dissensions 

(')  Le  général  Prini  était  jugé  de  la  façon  suivante  par  un  officier  allemand 
qui  l'avait  connu  en  Turquie  pendant  les  années  1833-54,  et  au  Maroc  en 
1860  (Spanisch  und  marokanisch  Krieg.  Brockhaus,  Leipzig,  1863)  : 

«  Le  général  Prim,  originaire  de  Catalogne,  est  personnellement  très-brave; 
il  ne  manque  pas  de  talents  ;  il  manie  parfaitement  la  parole  et  il  y  a  dans  son 
commerce  un  attrait  qui  gagne  les  cœurs  ;  mais  c'est  un  homme  sans  caractère  , 
sans  consistance  morale  et  d'une  vanité  souvent  des  plus  ridicules.  Cette  vanité 
et  le  désir  de  faire  parler  de  lui  se  sont  traLis  pendant  son  séjour  dans  le  camp 
de  Uarmée  turque  en  1833-34 ,  de  la  façon  la  plus  comique,  au  point  que  le 
général,  malgré  toutes  ses  qualités,  était  devenu  une  sorte  de  plaisant  et  provo- 
quait souvent  des  mouvements  d'épaules  de  la  part  des  Turcs,  graves  et  sérieux, 
qui  estiment  qu'il  est  inconvenant  de  parler  toujours  de  soi.  —  Dans  le  récit  de 
ses  actions  d'éclat  et   plus  encore  des  exploits  qu'il  projetait,  le  général  Prim 

montrait  une  confiance  sans  bornes  dans  la  crédulité  de  ses  auditeurs 

Il  n'avait  pas  la  moindre  notion  de  théorie  militaire  ni  de  mathématiques,  ne 
gavait  ni  l'histoire  ni  la  géographie.  C'était  un  soldat  de  fortune,  brave,  adroit, 
risquant  tout  et  jouant  sa  dernière  pièce  sur  une  carte.  Les  caprices  de  la  fortune 

l'avaient  singulièrement  favorisé Il  a  débuté  comme  simple  soldat  dans 

un  bataillon  catalan  de  l'armée  des  Crislinos  au  commencement  de  la  guerre 
civile  entre  les  Gristinos  et  les  Carlistes.  Il  gagna  rapidement  le  grade  d'officier, 
conduisit  avec  succès  plusieurs  expéditions  hardies  et  se  trouva  à  la  fin  de  la 
:.uerre  parmi  les  jeunes  chefs  de  brigade  de  l'armée  victorieuse  de  Christine.  » 


\86L 


1861. 


42  l"  PARTIE.  CHAPITRE    II. 

est  peu  honorable  pour  la  nation  espagnole  et  par  cela 
même  il  voit  avec  peine  les  préparatifs  de  guerre  que  fait 
votre  gouvernement,  car  la  force  des  armes  ne  peut  nous 
donner  la  raison  que  nous  n'avons  pas.  »  (^)  Cet  amende- 
ment n'avait  obtenu  d'autre  voix  que  la  sienne. 

Depuis  cette  époque,  s'était-il  produit  dans  l'esprit  du 
comte  de  Reus  un  revirement  tel  qu'il  pût  approuver  les 
motifs  et  le  but  de  l'expédition  actuelle,  et  si  ce  revirement 
avait  eu  réellement  lieu,  ne  pouvait-on  craindre  un  nou- 
veau changement  dans  un  esprit  aussi  versatile?  Sa  con- 
duite n'allait-elle  pas  être  influencée  par  quelque  mobile 
secret,  peut-être  difticile  à  préciser,  mais  vraisemblable- 
ment en  désaccord  avec  les  intentions  des  gouvernements 
alliés? 

La  suite  de  ce  récit  montrera  que  cette  crainte  eût  été 
justifiée. 

Il  avait  sollicité  lui-même  le  commandement  de  l'expé- 
dition ;  ce  n'est  donc  ni  par  déférence  pour  un  désir  de  la 
Reine,  ni  par  obéissance  aux  ordres  de  son  gouvernement 
qu'il  est  parti  pour  le  Mexique.  On  a  dit  qu'il  avait  rêvé  une 
couronne  ;  ses  amis  et  les  journaux  qui  lui  étaient  dévoués 
répétaient  qu'il  en  était  digne  et  il  ne  fit  rien  pour  arrêter 
les  bruits  qui  circulèrent  à  ce  sujet. 

Une  feuille,  VEco  de  Europa,  qui  se  publia  plus  tard  au 
Mexique,  dans  le  camp  et  sous  les  inspirations  du  général 
Prim,  contribua  beaucoup  à  accréditer  cette  supposition. 
«  Au  moyen  âge,  disait-on,  ce  héros  aurait  été  le  fonda- 
teur d'une  dynastie  de  rois.  »  Mais  sans  doute,  il  n'est 
permis  de  voir  dans  ces  expressions  qu'une  exagération  de 
style. 

(1)  Séance  du  13  ilccombro  1858. 


l'aMIKAL    JUKIEN    JjK  LA    GKAVIÈRE.  43 

D'autre  part,  on  sait  qu'une  partie  des  hommes  politi-  ^sei. 
ques  de  l'Espagne  espéraient  voir  la  monarchie  rétablie  au 
Mexique  en  faveur  d'un  prince  de  la  maison  de  Bourbon; 
le  nom  du  jeune  duc  de  Parme  avait  été  prononcé  ;  cette 
éventualité  venant  à  se  réaliser,  la  régence  devait-elle  être 
réservée  au  comte  de  Reus?  Etait-ce  là  que  tendait  son  am- 
bition? Cette  hypothèse  ne  peut  encore  être  acceptée  qu'a- 
vec une  extrême  réserve  et  comme  une  des  explications 
possibles  des  anomalies  de  sa  conduite.  Quoi  qu'il  en  soit, 
les  conditions  dans  lesquelles  s'engageait  cette  expédition 
étaient  en  tout  si  confuses,  qu'il  eût  été  fort  à  désirer  de 
voir  à  sa  tête  un  homme  plus  dégagé  d'ambition  et  d'un 
caractère  mieux  défini  que  ne  l'était  le  général  Prim. 

En  désignant  un  amiral  comme  commandant  des  troupes 
françaises,  l'empereur  Napoléon  ne  supposait  pas  évidem- 
ment que  les  opérations  militaires  dussent  prendre  un 
grand  développement  ;  au  début,  il  avait  même  Tintention 
de  n'envoyer  que  des  troupes  de  marine  ;  il  pensait  donc 
que  le  général  Prim  avec  ses  Espagnols  suffirait  à  la  tâche 
et  agirait  conformément  à  ses  vues.  La  composition  du 
corps  expéditionnaire  français  indique,  en  effet,  qu'il  ne  pou- 
vait être  destiné  à  une  opération  de  guerre  indépendante. 

Les  instructions  données  à  l'amiral  Jurien  (^)  caractéri-     instructions 
sent  le  but  que  se  proposait  alors  le  cabinet  des  Tuileries  :  à ramiraiJurien. 

Occuper  les  ports  sur  le  golfe  du  Mexique  et  les  conserver 
jusqu'à  solution  complète  des  difficultés  pendantes,  y  per- 
cevoir les  droits  de  douane  au  nom  des  trois  puissances. 

Dans  le  cas  probable  où  les  autorités  locales  n'oppose- 
raient pas  de  résistance  et  où  le  gouvernement  mexicain 
refuserait  d'entrer  en  rapport   avec  les  alliés ,  ne  pas  se 

(')  Instructions  du  11  novembre  1861. 


44  l'®  PARTIE.  CHAPITRE    II. 

486-1.  laisser  tenir  en  échec  par  un  tel  expédient;  un  intérêt  de 
dignité,  non  moins  que  les  dangers  résultant  d'un  séjour 
prolongé  sous  le  climat  malsain  de  la  côte,  commandaient 
d'obtenir  un  résultat  prompt  et  décisif;  c'était  dans  ce  but 
qu'un  corps  de  troupes  de  débarquement  était  mis  à  la 
disposition  de  l'amiral,  afm  qu'il  pûi,  de  concert  avecles 
alliés,  étendre  le  cercle  de  l'action  commune. 

Le  gouvernement  français  admettait  qu'il  pouvait  être 
nécessaire  de  s'avancer  jusqu'à  Mexico. 

Les  puissances  alliées ,  était-il  dit ,  ne  se  proposaient 
aucun  autre  but  que  celui  indiqué  dans  la  convention; 
elles  s'interdisaient  d'intervenir  dans  les  affaires  inté- 
rieures du  pays  et  notamment  d'exercer  aucune  pression 
sur  les  volontés  des  populations  quant  au  choix  de  leur 
gouvernement;  il  pouvait  arriver  cependant  que  la  présence 
des  forces  alliées  sur  les  côtes  déterminât  la  partie  saine  de 
la  population  à  tenter  un  effort  pour  constituer  un  gouver- 
nement présentant  des  garanties  de  force  et  de  stabilité, 
qui  ont  manqué  à  ceux  qui  se  sont  succédé  depuis  l'éman- 
cipation. Il  ne  faudrait  pas  décourager  des  tentatives  de 
cette  nature  ni  leur  refuser  un  appui  moral  si  la  position 
des  hommes  qui  en  prendraient  l'initiative  et  la  sympathie 
qu'elles  rencontreraient  dans  la  masse  du  pays  leur  pro- 
mettaient quelques  chances  de  succès. 

Ces  instructions  officielles  étaient  nécessairement  com- 
plétées par  des  instructions  confidentielles.  L'amiral  eTurien 
était  au  courant  des  projets  de  restauration  monarchique  en 
faveur  de  l'archiduc  Maximilien  ;  il  devait  appuyer  un  mou- 
vement dans  ce  sens,  mais  non  leprovoquer.  Le  gouver- 
nement français,  fidèle  à  son  programme,  restait  donc  dans 
les  dispositions  dont  il  était  animé  avant  la  signature  de  la 
convention  de  Londres. 


l'amiral    JURIKN    de    la    C7RAVJERE,  4o 

Le  Cabinet  anglais  ne  se  montra  pas  moins  conséquent         'isat. 
avec  lui-même.  Lord  Piussell  écrivait  à,  sir  Ch.  Wyke(r'"      insirucUoDs 

ij        •    1        ]      1  données 

novembre)  «  d  observer  avec  rigueur  1  arlicle  de  la  con-  aux  commissaires 

1         )  11  anglais, 

vention,  qui  contenait  1  engagement  de  n  exercer,  dans  les 
affaires  intérieures  du  Mexique,  aucune  influence  de  nature  à 
porter  atteinte  au  droit  de  la  nation  mexicaine  de  choisir  et 
de  constituer  librement  la  forme  de  son  gouvernement.  »  En 
lui  faisant  connaître  que  le  gouvernement  français  enjoignait 
à  ses  représentants  de  marcher  sur  Mexico,  dans  certaines 
éventualités  prévues,  il  lui  rappelait  (15  novembre)  que  la 
force  et  la  composition  du  corps  expéditionnaire  anglais, 
limité  à  700  soldats  de  marine,  ne  comportait  pas  qu'il  fût 
employé  à  une  opération  de  cette  nature  ;  du  reste  les  ré- 
clamations devaient  toujours  être  présentées  au  gouver- 
ment  mexicain  d'un  commun  accord  et  au  nom  des  trois 
puissances. 

La  crainte  d'une  collision  avec  les  États-Unis,  à  la  suite 
d'une  violation  de  neutralité  commise  par  un  bâtiment  fé- 
déral sur  un  paquebot  anglais,  détournâtes  préoccupations 
de  l'Angleterre  et  ne  fit  qu'augmenter  la  réserve  qu'elle 
avait  toujours  montrée  à  l'égard  de  l'expédition  mexicaine. 
Elle  restreignit  le  nombre  des  navires  à  envoyer  dans  le 
golfe  du  Mexique  ;  le  contre-amiral  Milnes  fut  maintenu 
au  commandement  spécial  de  la  station  anglaise  des  côtes 
des  États-Unis  et  remplacé  par  le  commodore  Dunlop. 

L'Espagne  paraissait  au  contraire  s'engager  plus  réso-     insiruciion? 
lûment.  Le  gouvernement  français  ayant  manifesté  le  désir  au  général  Prim. 
que  les  troupes  espagnoles  fussent  autorisées  à  s'avancer 
jusqu'à  Mexico,  le  Cabinet  de  Madrid  y  adhéra  immédia- 
tement ('). 

(1)  L'ambassadeur  à  Madriil  à  M.  Tliouveiiel,  G  noveml.re  18G1. 


46    -  l"  PARTIE.  CHAPITRE    II. 

486<.  Dans   les  instructions    données   au  général  Prim,  on 

trouve  reproduite  la  recommandation,  faite  à  l'amiralJurien 
par  le  gouvernement  français,  «  de  ne  pas  attendre  que  le 
climat  et  tous  les  inconvénients,  qui  accompagnent  les  expé- 
ditions lointaines  décimassent  les  troupes  et  prolongeassent 
indéfiniment  cette  entreprise  si  importante....  et  d'aller 
chercher  le  gouvernement  mexicain,  en  quelque  lieu  qu'il 
fût,  pour  lui  imposer  ses  conditions.  »  Le  comte  de  Reus 
eut  Tordre  de  formuler  les  réclamations,  conformément  à 
l'ultimatum  envoyé  le  14  septembre  au  capitaine  général 
de  Cuba,  et  aux  termes  duquel  les  hostilités  devaient  com- 
mencer énergiquement  si  le  Mexique  n'acceptait  pas  pu- 
rement et  simplement  les  conditions  posées. 

Il  est  donc  bien  établi  que  l'Espagne  entendait  porter 
la  guerre  dans  l'intérieur  du  pays. 

Le  général  Prim  fut  confidentiellement  informé  des  pro- 
jets de  restauration  monarchique  que  l'on  attribuait  au 
Cabinet  des  Tuileries  ('),  mais  on  ne  put  lui  recommander 
d'y  prêter  son  concours,  puisque  la  candidature  d'un  prince 
autrichien  ne  plaisait  pas  à  l'Espagne  ;  cependant,  comme 
nous  l'avons  dit,  les  instructions  officielles  lui  prescrivaient 
«  de  ne  pas  contrarier  »  les  tentatives  que  pourraient  faire 
des  personnes  sages  pour  établir  un  gouvernement  qui 
fût  la  véritable  expression  des  besoins  du  pays.  Celui  de 
Juarez  était  qualifié  «  d'insensé.  » 
Formation  du        Dans  le  principe,  le  corps  expéditionnaire,  mis  sous  les 

corps  expédiliou-         i  i      v        •      i    t      •  l         -t   -»  '  J 

naire  français,  ororcs  dc  1  amiral  Juricn,  ne  devait  être  compose  que  de 
troupes  de  marine  :  un  régiment  d'infanterie  de  marine, 
une  batterie  d'artillerie  de  marine  et  les  compagnies  de 
débarquement  de  l'escadre;  mais  peu  de  jours  après  la 

(')   Discours  du  iti-iuTnl  Prim  :iu\  Cortis,  i86:{. 


l'a3IIRAL    JURIEiN    DE    LA    GRAVIÈRE.  47 

signature  du  traité  de  Londres,  on  jugea  opportun  de  leur  ^86i. 
adjoindre  un  bataillon  de  zouaves  et  un  peloton  de  chas- 
seurs d'Afrique;  le  ministre  de  la  guerre  mit  en  outre  à  la 
disposition  du  département  de  la  marine ,  spécialement 
chargé  d'organiser  l'expédition,  des  détachements  du  train, 
du  génie  et  d'ouvriers  d'administration.  Le  corps  expédi- 
tionnaire se  trouva  définitivement  constitué  de  la  manière 
suivante  : 

A.  —  Le  régiment  d'infanterie  de  marine,  commandé 
par  le  colonel  Hennique,  était  composé  de  neuf  compagnies 
du  2^  régiment  de  l'arme  et  de  trois  compagnies  du  1"  ré- 
giment. Six  compagnies  étaient  en  France,  trois  à  la  Mar- 
tinique et  trois  à  la  Guadeloupe.  Le  ministre  de  la  marine 
fit  envoyer  600  fusils  nouveau  modèle  pour  les  contingents 
des  Antilles,  qui  n'en  étaient  pas  encore  pourvus.  Ces 
troupes  allaient  donc  entrer  en  campagne  munies  d'un  ar- 
mement avec  lequel  elles  n'étaient  pas  familiarisées. 

B.  —  La  batterie  d'artillerie  de  marine  devait  être  for- 
mée au  moyen  du  personnel  de  canonniers  de  marine  se 
trouvant  à  la  Guadeloupe.  Les  six  canons  rayés  de  4,  le  ma- 
tériel de  la  batterie  et  un  approvisionnement  de  480  coups 
par  pièce  étaient  fournis  par  le  département  de  la  guerre  ; 
ils  devaient  être  directement  expédiés  à  la  Vera-Cruz, 
où  seraient  réunis  les  cadres  d'officiers  et  les  canonniers. 
On  pensait  pouvoir  se  procurer  les  attelages  au  Mexique 
même,  ou  tout  au  moins  dans  les  Antilles;  on  n'expédia 
de  France  que  les  harnachements.  On  ne  s'occupa  pas  non 
plus  des  canonniers  conducteurs,  supposant  qu'il  serait 
facile  d'y  suppléer  soit  par  des  volontaires  pris  dans  les 
colonies  de  la  Martinique  et  de  la  Guadeloupe,  soit  par 
des  auxiliaires   d'infanterie   de    marine.    Cependant    un 


48  l"   PAmiE.  —  CHAPITBE    II. 

^^^'  détachement  du  train  d'artillerie  fut  envoyé  avec  les  ani- 
maux nécessaires  pour  le  transport  des  caisses  de  munitions. 
L'instruction  des  canonniers  et  des  conducteurs,  le  dres- 
sage des  chevaux  sont  d'ordinaire  l'objet  de  soins  mi- 
nutieux, et  souvent  si  l'une  de  ces  conditions  a  été  négligée, 
l'artillerie,  loin  d'être  un  appui,  perd  toute  action  efficace; 
il  y  a  donc  lieu  de  s'étonner  de  la  manière  dont  fut  orga- 
nisée la  batterie  destinée  à  l'expédition.  Que  serait-il  arrivé 
s'il  avait  fallu  opérer  sur  la  côte  du  Mexique  un  débarque- 
ment de  vive  force  ?  Los  canonniers  de  la  marine  ne  con- 
naissaient pas  le  service  d'une  batterie  montée  ;  ils  n'avaient 
jamais  eu  entre  les  mains  de  pièces  de  4  rayées;  de  plus 
on  verra  combien  il  fut  long,  difficile  et  surtout  dispen- 
dieux de  se  procurer  les  attelages  ;  enfin  le  bâtiment  sur 
lequel  furent  embarqués  les  canons  et  le  matériel,  quitta  les 
côtes  de  France  douze  jours  après  le  départ  de  l'amiral  Jurien 
et  arriva  à  la  Vera-Cruz  vingt-deux  jours  après  lui. 

c.  —  Le  bataillon  de  zouaves  fut  pris  dans  le  ^^  régi- 
ment et  formé  à  six  compagnies  de  guerre. 

D.  —  Le  peloton  de  chasseurs  d'Afrique  fut  fourni  par 
le  2^  régiment  de  l'arme. 

E.  —  Un  détachement  de  cent  hommes  du  train  des 
équipages  fut  adjoint  aux  troupes  expéditionnaires,  il  devait 
être  plus  particulièrement  affecté  au  transport  d'une  sec- 
tion d'ambulance  légère,  dont  le  personnel  se  composait  de 
3  médecins,  2  officiers  d'administration  et  24  infirmiers. 

F.  —  Une  section  de  21  ouvriers  d'administration  fut 
chargée  d'assurer  les  services  administratifs;  elle  emportait 
une  réserve  de  matériel  et  3  fours  de  campagne. 

{;.  —  Un  détachement  de  vingt  sapeurs  du  génie  fut 
fourni  par  le  3'  régiment. 


l'amiral  jurien  de  la  gravière.  49 

H.  —  Enfin  l'amiral  pouvait  disposer  des  compagnies  de  -isci. 
débarquement  de  l'escadre.  L'intention  du  ministre  n'était 
pas  de  les  réunir  en  corps  spécial  ;  cependant,  pour  qu'elles 
fussent  à  même  de  suivre  les  colonnes  expéditionnaires,  le 
cas  échéant,  il  fit  embarquer  500  manteaux  d'infanterie  de 
marine  et  500  havre-sacs  pour  leur  être  distribués. 

Un  approvisionnement  de  trois  mois  de  vivres  pour  un 
corps  de  3,000  hommes  fut  mis  à  bord  des  vaisseaux  de 
l'escadre,  et  un  approvisionnement  semblable  envoyé  à  la 
Vera-Gruz  sur  des  bâtiments  du  commerce. 

L'escadre  se  composait  de  14  bâtiments  à  vapeur.  ,  pépari 

'^  ^  de  1  escaiJre. 

Un  vaisseau  :  le  Masséna  ; 

Cinq  frégates  :  Montezuma,  Ardente,  Guerrière,  Astrée, 
Foudre  ; 

Trois  avisos  :  Berthoiet,  Chaptal,  Marceau; 

Deux  canonnières  :  Eclair,  Grenade  ; 

Trois  transports  :  Aube,  Meuse,  Sèvre. 

La  Foudre,  qui  faisait  pai'tie  de  la  division  navale  des 
côtes  d'Amérique,  se  rendit  directement  à  la  Vera-Cruz, 
011  elle  arriva  le  17  novembre,  et  se  mit  à  la  disposition  de 
M.  de  Saliffnv. 

L'Éclair  et  la  Grenade  étaient  déjà  sur  les  côtes  ou  dans 
le  voisinage  du  Mexique.  Le  Berthoiet  quitta  le  port  de  Brest 
dès  le  9  novembre,  afin  de  précéder  l'escadre  à  Ténériffe 
et  à  la  Havane,  de  faire  préparer  dans  ces  ports  les  re- 
changes nécessaires ,  d'acheter  des  chevaux  et  des  mulets 
à  la  Havane,  enfin  de  se  procurer  des  renseignements  précis 
sur  l'organisation  de  l'expédition  espagnole  et  l'effectif  des 
troupes  destinées  au  Mexique.  Les  autres  bâtiments  furent 
expédiés  successivement  des  divers  ports  de  guerre  ;  l'ami- 
ral fixa  pour  lieu  de  rendez-vous  général  Sainte-Croix  de 
Ténériffe  (la  Meuse  et  /a  Sèvre  exceptées). 

4 


50  I™  PARTIE.  —  CUAPITRE    H. 

-1801.  L'Ardente,   la   Guerrière,  VAstrée   et  le  Montezuma  re- 

çurent à  leur  bord  les  compagnies  d'infanterie  de  marine. 

Le  Masséna  et  l'Aube  se  rendirent  de  Toulon  à  Oran  pour 
embarquer  les  troupes  d'Afrique.  Le  Masséna,  portant  le 
pavillon  de  l'amiral,  embarqua  les  zouaves  et  le  détache- 
ment du  génie  (543  hommes). 

L'Aube  reçut  les  divers  autres  détachements  formant  un 
effectif  de  10  officiers,  254  soldats,  248  chevaux  et  mulets. 

L'amiral  adressa  au  bataillon  de  zouaves,  qu'il  reçut  à 
bord  de  son  vaisseau,  l'ordre  du  jour  suivant: 

ï  Soldats  du  2«  régiment  de  zouaves,  soyez  les  bienvenus  ù  bord 
de  nos  vaisseaux.  Le  prestige  qui  s'attache  à  votre  nom  nous  est 
cher.  C'est  une  des  gloires  de  la  France. 

«  L'Empereur,  en  vous  associant  à  ses  marins  dans  l'expédition 
du  Mexique,  a  voulu  vous  donner  une  nouvelle  preuve  de  son  es- 
time et  de  sa  confiance.  Vous  connaissez  déjà  vos  futurs  compa- 
gnons d'armes.  Ce  sont  les  soldats  qui  ont  gravi  à  vos  côtés  les 
hauteurs  de  l'Aima.  Ce  sont  les  canonniers  qui  ont  partagé  avec 
vous  les  épreuves  d'un  long  siège,  les  marins  qui,  au  prix  de  tant 
de  fatigues  et  de  veilles  périlleuses,  vous  ont  adouci  les  rigueurs 
d'un  terrible  hiver.  Depuis  la  campagne  de  Crimée  et  la  campagne 
d'Italie,  il  n'y  a  plus  qu'une  armée  en  France.  Le  débarquement 
d'Old-Fort,  l'attaque  des  batteries  de  Sébastopol,  Toccupation  de 
la  mer  d'Azoff"  et  la  prise  de  Kinburn  sont  des  souvenirs  qui  appar- 
tiennent à  la  fois  à  nos  légions  et  à  notre  flotte.  L'expédition  du 
Mexique  associera  plus  étroitement  encore  ces  deux  éléments.,  in- 
complets l'un  sans  l'autre,  de  la  puissance  nationale. 

«  Soldats  du  S^  régiment  de  zouaves,  je  n'ai  plus  qu'un  mot  ;i  vous 
dire  :  Dans  cette  nouvelle  campagne,  soyez  dignes  de  vous  I  Que 
vos  frères  d'armes,  vos  alliés  et  vos  ennemis  reconnaissent  encore 
à  votre  discipline,  comme  à  votre  courage,  les  premiers  soldats  du 
monde  !  » 


Réunion  L'amiral  appareilla  le  17  novembre  se  diric^eant  sur  Té- 

de  rcscadic  ,  .^ 

à  Sainte-Cinix-   neritïe.  Le  Masséna  mouilla  en  rade  de  Sainte-Croix  de  Té- 

(Je-Ténéril!u.  ,   . 

nerilic,  le  zo  novembre.  Le  lendemain,  les  frégates  la  Guer- 
rière^ ï Ardente,  VAstrée.  le  Montezuma,  les  avisos  le  Marceau, 


l'amiral   JURIEN    de    la    GRAVIÈRE.  51 

le  Chaptal  et  le  transport  ÏAuhe  étaient  réunis  autour  du         48ai, 
pavillon  de  l'amiral,  qui  adressa  l'ordre  du  jour  suivant 
aux  troupes  du  corps  expéditionnaire  : 

«  Marins  et  soldats, 

tt  Nous  allons  au  Mexique.  Nous  n'avons  pas  seulement  à  y  pour- 
suivre, comme  la  vaillante  escadre,  dont  plusieurs  d'entre  vous 
ont  fait  partie,  la  réparation  de  nombreux  et  récents  griefs;  nous 
aurons  avant  tout  à  réclamer  pour  le  respect  de  notre  drapeau, 
pour  la  sûreté  de  notre  commerce,  pour  l'existence  de  nos  compa- 
triotes, des  garanties  plus  sérieuses  que  celles  qui  nous  sont  offertes 
aujourd'hui. 

«  Nous  n'entretenons  aucune  animosité  contre  le  peuple  mexi- 
cain. Nous  savons  ce  qu'il  faudrait  attendre  de  cette  noble  et  géné- 
reuse race,  si  elle  pouvait  mettre  un  terme  à  ses  éternelles  discordes  ; 
mais  des  gouvernements,  impuissants  à  maintenir  la  paix  inté- 
rieure, protégeront  toujours  mal,  quelle  que  soit  leur  bannière,  la 
sécurité  des  étrangers. 

«  Notre  véritable  ennemi  au  Mexique,  ce  n'est  pas  telle  ou  telle 
faction  politique,  c'est  l'anarchie  ;  l'anarchie  est  un  ennemi  avec 
lequel  il  est  inutile  de  traiter. 

a  Marins  et  soldats, 

«  Dans  la  nouvelle  campagne  que  vous  allez  entreprendre,  vous 
avez  pour  juges  de  votre  bon  droit  l'opinion  sympathique  de  votre 
pays,  le  concours  ou  Tassentiment  du  monde  civilisé  ;  vous  aurez 
bientôt,  au  Mexique  même,  les  vœux  de  tous  les  gens  de  bien. 

«  Comprenez  donc  les  devoirs  que  cette  situation  vous  impose. 
Donnez  aux  populations  l'exemple  de  l'ordre  et  de  la  discipline; 
apprenez-leur  à  honorer  le  nom  de  notre  glorieuse  patrie,  à  envier 
la  prospérité  et  la  paix  dont  nous  jouissons,  et  vous  pourrez  alors 
répéter  avec  un  légitime  orgueil  ces  paroles  que  vous  adressait  il 
y  a  quelques  mois  notre  Empereur:  «  Partout  où  se  montre  le  dra- 
«  peau  de  la  France,  une  cause  juste  le  précède,  un  grand  peuple  le 
«  suit  !  » 

La  division  navale  quitta  Ténériffe  le  25  novembre  ; 
les  bâtiments,  naviguant  en  route  libre,  se  dirigèrent  sur 
la  Martinique ,  à  l'exception  du  Monteziima ,  qui  devait 


52  l"  PARTIE.  CHAPITRE    II. 

^^^'  d'abord  toucher  à  la  Guadeloupe  pour  y  prendre  trois 
compagnies  d'infanterie  de  marine  et  le  personnel  de  la 
batterie  de  4. 

L'amiral  corn-       L'amiral  Compléta  en  mer  l'orsjanisation  de  son  corps 

plete  1  organisa-  r  o  r 

lion  du  corps     expéditionnaire ,  gui  avait  été  si  sommairement  préparée 

expedilioiinaire.         ^  '    ^  r      r 

avant  son  départ  d'Europe.  Prévoyant  les  difficultés  que 
rencontreraient  la  formation  et  la  mise  en  état  de  sa  bat- 
terie d'artillerie,  il  ordonna  la  création  d'une  batterie  de 
montagne  de  six  obusiers  pris  sur  les  bâtiments  de  la 
division,  servie  par  des  marins  canonniers  et  commandée 
par  un  lieutenant  de  vaisseau,  un  enseigne  et  trois  aspirants. 
Il  affecta  au  service  de  cette  batterie  légère  approvisionnée 
à  16  coups  par  pièce  et  à  32  coups  de  réserve,  la  moitié  du 
détachement  du  train  d'artillerie  (^)  qui  lui  avait  été  donné 
pour  transporter  l'approvisionnement  de  la  batterie  de  4. 
L'effectif  de  cette  batterie  fut  fixé  à  100  hommes. 

Une  section  de  12  rayé,  également  servie  par  des  marins 
et  constituée  au  moyen  des  ressources  de  l'escadre,  devait 
former  une  petite  réserve  de  grosse  artillerie. 

Pour  équiper  ces  marins,  on  fit  confectionner  sur  les 
bâtiments  des  havre-sacs  en  toile  et  des  tentes,  avec  des 
rechanges  de  voiles. 

Les  marins  de  débarquement  furent  organisés  en  un  ba- 
taillon de  six  compagnies  de  80  hommes  sous  le  comman- 
dement d'un  capitaine  de  frégate.  On  leur  distribua  des 
ustensiles  de  campement,  des  manteaux  et  des  sacs. 

Ce  bataillon,  les  compagnies  d'infanterie  de  marine  et 
le  bataillon  de  zouaves  furent  mis  à  terre  à  la  Martinique 
et  installés  au  bivouac  pendant  quelques  jours,   afin  de 

(•)  Ce  (lûtachcmenl  se  composait  do  1  oflicier,  2  sous-uniriers,  tifi  conducteurs, 
40  mulots  de  bât. 


l'amiral  jurien  de  la  gravière.  o3 

permettre  aux  marins  débarqués  et  aux  soldats  d'infanterie        ^sgi. 
de  marine,  d'acquérir  au  contact  des  troupes  d'Afrique  un 
peu  des  connaissances  pratiques  de  la  vie  de  campagne. 

Afin  de  combler  en  partie  les  vides  ainsi  produits  dans 
les  équipages  des  bâtiments,  l'amiral  prit  à  la  Martinique 
des  matelots  créoles  provenant  de  l'inscription  maritime 
des  Antilles  et  qui,  n'étant  pas  sujets  à  la  fièvre  jaune, 
devaient  lui  rendre  d'utiles  services  sur  les  côtes  du 
Mexique.  Le  gouverneur  de  la  Martinique  mit  en  outre  à 
sa  disposition  un  peloton  de  gendarmes  à  cheval  et  un  déta- 
chement de  25  ouvriers  du  génie  indigène,  avec  les  engins 
de  guerre  de  première  nécessité.  Ces  ressources  delà  colo- 
nie étaient  précieuses;  elles  permirent  à  l'amiral  d'amého- 
rer  notablement  l'organisation  de  son  petit  corps  expédi- 
tionnaire. 

Les  services  administratifs,  à  la  tète  desquels  on  plaça 
soit  des  commis  de  marine,  soit  des  adjudants  d'adminis- 
tration, furent  centralisés  entre  les  mains  du  commissaire 
adjoint  de  l'escadre.  Un  capitaine  de  frégate  fut  désigné 
pour  remphr  les  fonctions  de  commandant  du  parc  et 
de  grand  prévôt  ;  il  fut  en  outre  chargé  du  soin  de  réunir 
et  d'organiser  le  convoi  que  l'amiral  avait  le  désir  de  for- 
mer-pour  transporter  à  la  suite  des  colonnes  45  jours  de 
vivres  et  des  effets  d'habillement  pour  six  mois  ;  le  dé- 
tachement de  gendarmes  et  soixante  marins  destinés  au 
service  d'escorte  furent  placés  sous  ses  ordres  (^). 

L'amiral  Jurien  partit  de  la  Martinique  le  17  décembre  ;        Arrivée 

(Jg  l'ëscQdrc  h  In 

il  arriva  le  27  à  la  Havane,  presque  en  même  temps  que  le     __  Ba^^'n«j 
Commodore  Dunlop.  Le  général  Prim,  qui  les  avait  pré- 

^'')  Voir  l'appendice  pour  l'organisation  du  corps  expéditionnaire. 


27  dcc.  1«6i. 


54  l'"  PAhTIE,  CHAPITRE    II. 

^881.  cédés  de  quelques  jours,  avait  été  reçu  avec  de  grandes  dé- 
monstrations d'enthousiasme  et  aux  cris  de  :  Viva  el  vice-^ey 
de  Mexico,  viva  el  nuevo  Hernan  Cortez  !  (*) 

Première  réunion      A  la  Havauc,  l'amiral  Juricn  apprit ,  non  sans  surprise , 

(les  trois  .  ^.^  .  . 

commandants     que  Ics  troupcs  cspagnolcs  étaient  deja  parties  et  que  depuis 

des  Iroupes  •  i    tt  /^  t      i        i  • 

alliées.  le  17  décembre  elles  occupaient  la  Vera-uruz.  Le  lendemain 
de  son  arrivée,  il  eut  une  entrevue  avec  le  général  Prim  et 
le  Commodore  Dunlop;  de  très-bons  rapports  s'établirent 
aussitôt  entre  eux  ;  le  général  Prim  témoigna  un  vif  regret 
du  malentendu  qui,  selon  lui,  avait  amené  le  départ  anticipé 
des  troupes  espagnoles;  il  fut  le  premier  à  manifester  le 
désir  que  les  escadres  anglaise  et  française  se  réunissent  à  lui 
et  aux  bâtiments  qui  l'accompagneraient  afin  de  seprésenter 
simultanément  devant  laVera-Gruzet  faire,  dès  ce  moment, 
succéder  l'action  combinée  des  trois  puissances  à  l'action  iso- 
lée des  troupes  espagnoles.  Il  exprima  hautement  l'intention 
de  s'avancer  dans  l'intérieur  du  Mexique,  dès  qu'il  le  pour- 
rait ;  l'amiral  Jurien  déclara,  de  son  côté,  qu'aussitôt  l'arrivée 
du  bâtiment  qui  portait  son  artillerie,  il  seraità  même  de  se 
mettre  en  marche  ;  il  ajouta  que  les  termes  de  la  convention 
de  Londres  ne  lui  laissaient  aucun  doute  sur  l'intention  des 
puissances  contractantes  de  prévoir  et  d'autoriser  au  besoin 
cette  extension  de  l'intervention  européenne.  Le  commodore 
Dunlop  fit  observer  que  ses  instructions  lui  interdisaient 
tout  mouvement  de  ce  genre,  mais  que  désireux  de  ne  pas 
se  séparer  de  ses  collègues,  il  allait  solliciter  de  nouveaux 
ordres.  Quelques  jours  après,  à  la  suite  d'une  seconde  réu- 
nion, l'amiral  Jurien  ne  se  dissimula  plus  combien  étaient 
diiïérentcs  les  vues  des  trois  puissances  alliées  et  quels 
sérieux  germes  de  dissentiment  existaient  entre  elles. 

(')  Rapport  fJu  commandant  du  Milan,  28  décembre. 


l'aJIIRAL   JURIEN    de    la    GRAVIÈRE.  5S 

L'intention  du  cabinet  anglais  de  se  renfermer,  aussi       ^s_^^- 
étroitement  que  possible,  dans  les  limites  de  la  convention 
de  Londres  ressortait  clairement  des  instructions  données 
au  Commodore  Dunlop. 

D'un  autre  côté,  la  conduite  du  général  Prim,  ses  rela- 
tions avec  plusieurs  personnages  du  Mexique,  le  départ  pré- 
cipité de  l'escadre  espagnole  faisaient  craindre  que  le 
cabinet  de  Madrid,  et  particulièrement  son  représentant,  ne 
poursuivissent  un  but  tout  différent  de  celui  de  la  France; 
les  nombreux  émigrés  mexicains  du  parti  conservateur, 
alors  réunis  à  la  Havane,  en  étaient  vivement  alarmés  (*). 


Les  plus   considérables  parmi  ces  émis^rés    étaient  :     Les  émigrés 

■^  ^  ^  ^  _  mexicains 

Don  Haro  y  Tamaris,  le  général  Soto,  le  général  Miramon,  à  la  Havane. 
récemment  arrivé  d'Europe  et  le  Père  Miranda,  homme 
exalté  du  parti  clérical  extrême,  désigné  par  M.  Guttierrez 
de  Estrada,  comme  devant  être  le  directeur  politique  du 
gouvernement  provisoire  qui  serait  constitué  après  le  dé- 
barquement des  forces  alliées;  Santa-Anna,  réfugié  à  Saint- 
Thomas,  s'occupait  aussi  d'une  façon  très-active  des  évé- 
nements qui  se  préparaient  ;  mais  des  rivalités  mesquines 
avaient  déjà  semé  la  discorde  parmi  les  conservateurs. 

Le  Père  Miranda ,  représentant  accrédité  du  parti  qui 
avait  suscité  et  soutenu  en  Europe  la  candidature  du  prince 
Maximilien,  était  hostile  à  Santa  Anna  et  mal  vu  lui-même 
de  ceux  qui  ne  partageaient  pas  les  idées  réactionnaires  les 
plus  accentuées. 

Santa  Anna  avait  promis  d'appuyer  la  prochaine  révo- 
lution monarchique,  et  proposait  de  se  mettre  à  la  tête  du 
gouvernement  provisoire  ;  mais  son  caractère  indécis  et  sa 

(1)  L'amiral  Juricn  au  ministre  de  la  marine,  28  décembre  1861,  2  janvier 
1862. 


56  l"  PARTIE.  CHAPITRE   II. 

4864,  personnalité  ambitieuse  n'inspiraient  qu'une  médiocre 
confiance. 

Le  général  Miramon,  mécontent  du  rôle  secondaire  qui 
lui  était  échu,  aurait  voulu,  disait-on,  reconquérir  le  pou- 
voir suprême  ;  ses  ennemis  l'accusaient  même  d'aspirer  à  la 
couronne.  Irrité  de  se  voir  en  quelque  sorte  mis  de  côté, 
il  disait  que  Marquez  et  les  autres  chefs  conservateurs  n'agi- 
raient que  d'après  ses  inspirations  ;  il  avait  écrit  à  plusieurs 
d'entre  eux  «  que  l'intervention  n'était  qu'un  prétexte  pour 
envahir  le  pays  ;  qu'il  s'agissait  d'une  domination  étran- 
gère et  que  par  conséquent  il  offrirait  son  épée  aux  démo- 
crates ;  et  ce  fut  peut-être  cette  lettre  qui  détermina  plusieurs 
des  généraux  du  parti  conservateur  restés  au  Mexique  à  se 
rallier  à  Juarez,  en  profitant  de  l'amnistie  qui  leur  était  of- 
ferte. Dans  la  suite,  les  dispositions  de  Miramon  parurent  se 
modifier  ;  cependant,  comme  il  voulait  se  rendre  à  la  Vera- 
Gruz,  plusieurs  membres  du  parti  conservateur  monar- 
chiste résolurent  de  partir  avec  lui ,  «  parce  que ,  s'il  ne 
pouvait  leur  être  utile,  ils  voulaient  l'empêcher  de  leur  être 
nuisible  ». 

Les  émigrés  de  la  Havane  avaient  pensé  que  l'Espagne 
appuierait  sérieusement  un  mouvement  en  faveur  de  la  mo- 
narchie ;  mais,  ni  les  discours,  ni  l'attitude  du  commandant 
de  l'expédition  espagnole  n'étaient  de  nature  à  entretenir 
celte  espérance.  Ils  comptaient  aussi  sur  une  complète 
coopération  de  la  part  de  la  France  ;  or  l'amiral  Jurien  dé- 
clarait n'avoir  d'autre  mission  que  de  demander  au  Mexique 
satisfaction  pour  ses  offenses,  et  il  refusait  péremptoirement 
de  se  mêler  à  toute  intrigue  politique.  Celle  réserve,  con- 
forme aux  instructions  du  gouvernement  français,  contribue- 
rail  à  faire  croire  que,  si  l'Empereur  était  disposé  à  appuyer 
un  mouvement  en  faveur  du  prince  Maximilicn,  il  ne  voulait 


l'aJIIRAL   JURIEN    DE    LA    GRAVlÈKi:.  S7 

cependant  pas  en  prendre  l'initiative.  Que  les  Mexicains  fis-         ''sei. 
sent  eux-mêmes  leur  révolution,  l'appui  moral  et  matériel 
de  la  France  ne  leur  manquerait  pas  ;  mais  il  ne  convenait 
ni  à  sa  politique,  ni  à  ses  intérêts  d'édifier  de  ses  mains  un 
trône  qu'elle  serait  ensuite  forcée  de  défendre  indéfiniment. 

Tel  était,  à  n'en  pas  douter,  le  programme  que  l'Em- 
pereur s'était  proposé  de  suivre.  Les  fautes  commises  au 
début,  le  manque  de  franchise  de  l'Espagne,  les  revers 
militaires,  qui  nécessitèrent  l'envoi  de  forces  beaucoup  plus 
considérables  qu'on  ne  l'aurait  voulu,  enfin  un  enchaîne- 
ment de  circonstances  imprévues  ont  entraîné  le  gouver- 
nement français  bien  au  delà  de  la  limite  qu'il  s'était  pro- 
bablement fixée  et  qu'il  aurait  fallu  ne  pas  dépasser. 

L'Empereur  n'avait  sans  doute  jamais  supposé  que  la 
France  se  verrait  obligée  de  jeter  plus  de  40,000  hommes 
sur  les  côtes  du  Nouveau-Monde  et  que  cette  guerre,  au  lieu 
d'être  terminéeen  une  campagne,  durerait  plusieurs  années. 

Juarez,  ému  tout  d'abord  des  préparatifs  de  guerre  des  juarez  se  prépare 

,,  r  »  /.    •.       pp        '     1  •  i>  à  la  résistance. 

puissances  étrangères,  s  était  enorce  de  conjurer  1  orage 
en  faisant  rapporter  la  loi  qui  suspendait  le  paiement  de 
la  dette  étrangère  (28  novembre),  et  en  présentant  au 
congrès  une  révision  des  tarifs  de  douane,  avantageuse  pour 
le  commerce  étranger  ;  il  avait  essayé  aussi  de  négocier  avec 
les  Etats-Unis  des  arrangements  financiers,  qui  lui  auraient 
permis  de  satisfaire  aux  réclamations  des  puissances  euro- 
péennes ;  mais  lorsqu'il  vit  la  guerre  inévitable,  il  déploya 
toute  son  énergie  pour  organiser  la  résistance.  Il  fit  appel 
au  sentiment  national ,  toujours  facile  à  surexciter  lors- 
qu'il s'agit  de  repousser  une  invasion  étrangère.  Des 
hommes,  que  leurs  occupations  éloignaient  d'ordinaire  du 
métier  des  armes,  vinrent  offrir  le  secours  de  leurs  bras 
et  de  leur  intelligence;  une  amnistie,  dont  furent  exceptés 


58  T'  PARTIE.  CHAPHRE    II. 

4861.  seulement  les  chefs  du  parti  réactionnaire,  rallia  un  grand 
nombre d'oificiers  des  anciennes  armées  conservatrices;  les 
provinces  les  plus  éloignées  fournirent  des  contingents; 
enfin,  cette  guerre,  dont  le  but  était  de  ruiner  l'influence 
de  Juarez,  eut  au  contraire  pour  premier  résultat  de  donner 
à  son  gouvernement  une  plus  grande  popularité,  et  de 
grouper  autour  de  lui  beaucoup  d'hommes  politiques  im- 
portants, que  leurs  idées,  leur  ambition  personnelle  ou 
tout  autre  motif  avaient  jusqu'alors  tenus  dans  l'éloi- 
gnement.  La  plupart  cédèrent  à  l'impulsion  patrioti- 
que qu'avait  donnée  au  pays  l'annonce  d'une  prochaine 
agression  de  la  part  de  trois  puissances  européennes,  dont 
l'une  était  l'Espagne,  si  abhorrée  par  ses  anciennes  colo- 
nies. 

Doblado,  gouverneur  de  l'État  de  Guanajuato,  person- 
nage riche,  influent,  d'un  esprit  très-délié  et  très-apte 
aux  intrigues  diplomatiques,  accepta  le  portefeuille  des 
affaires  étrangères,  bien  qu'il  eût,  jusqu'à  cette  époque, 
témoigné  peu  de  sympathie  pour  l'administration  de 
Juarez. 

Ne  sachant  quelles  étaient  les  intentions  précises  des 
puissances  alliées,  pouvant  craindre  que  l'indépendance  et 
la  souveraineté  de  leur  pays  ne  fussent  menacées,  un  grand 
nombre  de  chefs  réactionnaires  se  joignirent  à  l'armée  li- 
bérale. Les  plus  compromis,  ceux  qui  n'avaient  aucune 
grâce  à  espérer ,  continuèrent  à  tenir  la  campagne;  mais 
leurs  partisans,  flétris  du  nom  de  traîtres,  ne  tardèrent  pas 
à  les  abandonner  en  grand  nombre. 

Débarqueracni        L'cffervosccnce  dcs  csprits  augmenta  encore  lorsqu'on 
Espa^-nois      vit  Ics  Espaguols  sc  préscutcr  les  premiers  sur  les  côtes  du 

à  1.1  Vcra-Cruz.  \^         ,        ^         .  ^ 

ndécisei.     Mexique.  La  présence  simultanée  des  forces  anglaises  et 


l'amiral  jurien  de  la  gravière.  59 

françaises  eût  paru  sans  cloute  une  garantie  de  respect 
pour  la  nationalité  mexicaine,  tandis  que  les  idées  de  con- 
quête, que  l'on  attribuait  à  l'Espagne,  réveillèrent  la  haine 
contre  les  anciens  dominateurs  du  pays.  Le  débarquement 
anticipé  des  troupes  espagnoles  était  donc,  à  tous  les  points 
de  vue,  un  fait  extrêmement  regrettable. 

Il  n'est  guère  possible  d'attribuer  cette  précipitation  à  un 
malentendu.  Il  semble,  au  contraire,  que  l'Espagne  ait 
voulu  paraître  la  première  devant  la  Vera-Gruz  afin  d'affir- 
mer le  rôle  prépondérant  qu'elle  entendait  prendre  dans 
l'expédition. 

En  effet,  comme  nous  l'avons  dit,  dès  le  H  septembre, 
l'ordre  avait  été  donné  au  capitaine  général  de  Cuba  de 
préparer  et  de  faire  partir  les  forces  destinées  à  agir  contre 
le  Mexique  ;  sur  les  instances  de  l'Angleterre,  l'Espagne 
avait  consenti  à  surseoir  à  son  expédition  jusqu'à  la  signa- 
ture d'une  convention  préalable  ;  elle  attendit  cependant 
jusqu'au  11  novembre  pour  donner  le  contre-ordre,  qui 
arriva  naturellement  trop  tard  (*). 

L'amiral  Rubalcoaba  était  parti  pour  la  Vera-Cruz  le 
1"  décembre  avec  15  bâtiments  portant  0,300  hommes. 
Son  escadre  était  réunie  devant  ce  port  le  10  décembre  et 
le  14,  après  avoir  demandé  aux  commandants  des  station- 
naires  français  et  anglais  s'ils  voulaient  lui  prêter  leur 
concours ,  proposition  que  ces  officiers  déclinèrent ,  il 
somma  le  gouverneur  de  la  Vera-Gruz  de  lui  remettre  la 
place  dans  les  vingt-quatre  heures. 

Les  autorités  mexicaines  avaient  déjà  pris  toutes  leurs 
précautions  pour  abandonner  la  ville  et  fait  transporter 
dans  l'intérieur  les  canons  qui  armaient  l'enceinte  et  le  fort 

(1)  Discours  do  M.  Mon  au  Sénat  espagnol,  7  et  8  janvier  186.1. 


-fSG'l 


60  l'"   PAHTli:.  CHAPITRE    II. 

-1861.  de  Saint-Jean-d'Ulloa.  Elles  avaient  répondu  à  l'apparition 
de  l'escadre  espagnole  par  un  acte  de  défi  en  incendiant 
le  trois-mâts  Concepcion,  capturé  l'année  précédente  et  l'une 
des  causes  des  réclamations  de  l'Espagne  (^). 

A  la  sommation  de  l'amiral,  le  général  La  Llave,  gou- 
verneur de  la  place,  se  contenta  de  protester  et  se  retira, 
ne  laissant  à  la  Vera-Cruz  que  les  autorités  locales  et  une 
simple  garde  de  sûreté. 

Le  17,  les  Espagnols  débarquèrent  donc  sans  résis- 
tance. 

Le  général  Uraga,  commandant  l'armée  mexicaine,  dite 
d'Orient ,  établit  aussitôt  autour  de  la  Vera-Cruz  une 
ligne  d'avant-postes  qui  bloquèrent  étroitement  la  ville  ;  il 
interdit,  sous  les  peines  les  plus  sévères,  toute  communica- 
tion avec  les  points  occupés  par  l'ennemi,  déclara  que  tout 
individu  trouvé  au  delà  de  ses  lignes  serait  traité  comme 
espion,  que  tous  ceux  qui  fourniraient  des  vivres  à  l'en- 
nemi seraient  considérés  comme  traîtres  et  leurs  biens 
confisqués  ;  il  fit  éloigner  de  la  côte  tous  les  troupeaux, 
les  chevaux  et  les  mules  que  les  Espagnols  auraient  pu 
utiliser. 

En  même  temps,  le  président  Juarez  lança  un  manifeste 
dans  lequel,  après  avoir  exposé  les  faits  sur  lesquels  disait- 
il,  l'Espagne  s'appuyait  injustement,  pour  faire  la  guerre, 
il  déclarait  «  qu'il  repousserait  la  force  par  la  force  ;  que, 
disposé  à  satisfaire  à  toutes  les  réclamations  fondées  sur  la 
justice  et  l'équité,  il  n'accepterait  jamais  des  conditions  qui 
offenseraient  la  dignité  de  la  nation  ou  compromettraient 
son  indépendance.  » 


")  Happorl  (lu  commandant  do  la  Foudre,   stationmie  devant  la  Vera-Cruz. 
li  décembre. 


l'amiral  jurien  de  la  gravière.  Cl 

«  Mexicains,  si  d'aussi  justes  dispositions  sont  mé-  'i^'- 
connues,  si  l'on  est  décidé  à  humilier  le  Mexique,  à  dé- 
membrer son  territoire,  à  s'ingérer  dans  son  administra- 
tion intérieure  et  dans  sa  politique,  peut-être  à  éteindre 
sa  nationalité,  j'en  appelle  à  votre  patriotisme;  je  vous 
conjure  d'oublier  les  haines  et  les  inimitiés;  sacrifiant 
votre  fortune  et  votre  sang,  unissez-vous  avec  le  gouverne- 
ment pour  la  défense  de  cette  cause,  la  plus  grande  et  la 
plus  sacrée  pour  les  hommes  comme  pour  les  peuples ,  la 

défense  de  la  patrie.  » «  Dans  cette 

guerre  à  laquelle  vous  êtes  provoqués,  observez  strictement 
les  lois  et  les  usages  établis  au  bénéfice  de  l'humanité. 
Laissez  vos  ennemis  inoffensifs  auxquels  vous  donnez  une 
généreuse  hospitalité ,  vivre  tranquilles  et  en  sûreté  sous  la 
protection  de  nos  lois  (').  » 

Le  port  de  Vera-Gruz  fut  déclaré  fermé  au  commerce  et 
les  contingents  des  États  appelés  sous  les  armes ,  ce  qui 
devait  permettre  d'organiser  une  armée  d'environ  30,000 
hommes. 

Aussitôt  les  Espagnols  débarqués,  le  vide  s'était  fait  au- 
tour d'eux.  Ils  ne  pouvaient  vivre  qu'en  tirant  toutes  leurs 
ressources  de  la  mer,  et  ce  n'était  qu'à  grand'peine  qu'ils 
avaient  pu  réunir  environ  200  mulets  de  charge. 

Tel  était  le  premier  épisode  de  la  campagne,  et  l'amiral  Aciiatdeciievaiu 
Jurien,  parti  de  France  sans  voitures  et  sans  animaux,  se 
trouvait  dans  la  plus  grande  perplexité  ;  le  commandant 
du  Bertholet ,  arrivé  à  la  Havane  plusieurs  jours  avant  lui, 
n'avait  pu  se  procurer  que  234  mulets  et  39  chevaux.  Le 
maréchal  Serrano,  capitaine  général  de  Cuba ,  avait  bien 

(')  Trarluit  de  l'anglais.  —  Lemprioro,  Londres,  18(52. 


62  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE    H. 

i862.  voulu  lui  faire  céder  en  outre  50  chevaux  de  selle  prove- 
nant d'un  régiment  de  cavalerie  en  garnison  dans  l'île  (^), 
au  prix  moyen  de  900  fr. 

Dans  l'impossibilité  de  fréter  des  navires  du  com- 
merce (-),  l'amiral  dut  faire  embarquer  ces  animaux  sur 
les  bâtiments  de  sa  division,  déjà  trop  encombrés  ;  mais  le 
prix  des  voitures  était  si  élevé,  qu'il  ne  put  se  décidera 
en  acheter  ;  il  espérait  encore  en  trouver  au  Mexique. 

Enfin,  on  se  mit  en  route  à  la  grâce  de  Dieu  ;  le  général 
Santa-Anna ,  en  voyant  l'expédition  organisée  de  cette 
façon,  se  demandait  si.  dans  cet  équipage,  l'on  songeait 
arriver  jusqu'à  Mexico  et  si  l'on  s'imaginait  que  les  Mexi- 
cains étaient  «  armés  de  flèches  et  de  casse-tètes.  » 

L'escadre  Lg  ^  janvier  1862,  l'escadre  française  et  trois  bâtiments 

Irançaise  quilie  '     J  * 

2  ■  in^ 'iS»  espagnols  portant  le  général  Prim  et  quelques  troupes  de 
renforts  quittèrent  la  Havane  ;  le  commodore  Dunlop  était 
parti  quelques  jours  avant. 

Le  7  janvier,  les  bâtiments  français  et  espagnols  mouil- 
lèrent devant  la  Yera-Gruz,  en  rade  de  Sacrificios. 

Les  troupes  françaises,  à  l'exception  de  l'infanterie  de 
marine,  débarquèrent  le  9  au  matin  (^). 

Aussitôt  leur  arrivée  à  la  Vera-Cruz,  les  commandants 
des  forces  anglaises  et  françaises  se  concertèrent  avec  Sir 

<i)  L'amiral  Ju  rien  au  minisLre  delà  marine,  2  janvier  1802.  — Le  comman- 
«Jant  du  Derlliolet  au  ministre,  6  janvier. 
Ces  animaux  coûtèrent  : 

89  chevaux 96,936  fr. 

234  mulets  (bâts  compris) 200.838 

Frais  de  garde  et  de  nourrituro 11,203 


Total 308,969  fr. 

(2)  Us  demandaient  40,000  fr.  pour  un  seul  voyage. 

(3)  La  division  espagnole,   déjà   arrivée  à  la  Vera-Cruz  et  commandée  par  le 


l'a3IIRal  jitrien  de  la  gravière.  63 

Gh.  Wyke  et  avec  M.  de  Saligny  ;  les  cinq  commissaires         -1862. 
représentant  les  puissances  européennes  adressèrent  ensuite 
à  la  nation  mexicaine  la  proclamation  suivante  rédigée  par 
le  général  Prim  : 

c  Mexicains, 

«  Les  représentants  de  l'Angleterre,  de  la  France  et  de  l'Espagne 
remplissent  un  devoir  sacré  en  vous  faisant  connaître  leurs  inten- 
tions à  l'instant  même  où  ils  entrent  sur  le  territoire  de  la  Répu- 
blique. 

«  Le  respect  des  traités,  foulés  aux  pieds  par  les  divers  gouver- 
nements, qui  se  sont  succédé  parmi  vous,  la  sécurité  de  nos  com- 
patriotes continuellement  en  péril,  ont  rendu  notre  expédition 


1"  brigade,  l 


général  Gasset ,  sous  les  ordres  du  général  Prim,  se  composait  de  : 

un  bataillon  de  chasseurs  de  l'Union.  831  h^*. 

deux  bataillons  du  régiment  du  Roi.  1,737 

un  bataillon  de  chasseurs  de  Baj  len.  872 

■'2^  brigade.  ]  un  bataillon  du  régiment  de  Naples.  i,007 

un  bataillon  du  régiment  de  Cuba.   .  891 

Gendarmes 33 

3,373   h". 

(un  escadron  du  Roi )       ,„^ 

Cavalerie.  ■.],-,,,  }       173 

(  un  peloton  d  escorte j 

Génie j  Deux  compagnies 208 

Trois  compagnies  à  pied,  sans  chevaux  ni  mulets.      344 

destinées  au  service  de  : 

8  pièces  de  12  rayées, 

2  obusiers  de  21  rayés. 

Artillerie..  ./  -,         .-       j    m         ■ 

2  mortiers  de  27  rayes, 

lune  batt.  de  8  pièces  de  8, 

une  batt.  de  6  pièces  de  montagne ,  avec  G4  mules.       136 

\    Total.  .  20  pièces  rayées.  Total 0,234   h*^^. 

et  en  outre  une  centaine  d'ouvTiers  d'administration. 

Cette  petite  division  était  bien  armée,  bien  équipée  et  présentait  un  bel  aspect  ; 
toutefois  elle  n'avait,  comme  on  le  voit,  ni  transports  ni  attelages  pour  l'artillerie. 

Les  soldats  étaient  légèrement  chargés,  mais  ils  eurent  cruellement  à  souffrir 
de  l'insuffisance  de  leur  équipement  et  de  leur  organisation  de  campagne. 

Le  climat  les  éprouva  fortement.  Le  18  janvier,  on  comptait  déjà  22  officiers 
et  603  soldats  malades. 


64  l"  PARTIE.  CHAPITRE   II. 

4862.  nécessaire,  indispensable.  Ceux-là  vous  trompent,  qui  osent  vous 

~  dire  que  derrière  de  si  justes  et  de  si  légitimes  réclamations,  se 

cachent  des  projets  de  conquête,  de  restauration  ou  d'interveation 
dans  votre  organisation  politique  et  administrative.  Les  trois 
puissances,  qui  ont  loyalement  accepté  et  reconnu  votre  indépen- 
dance, ont  droit  à  n'être  pas  soupçonnées  d'arrière-pensée  illégitime, 
mais  bien  h  vous  inspirer  confiance  dans  leurs  nobles  sentiments 
de  grandeur  et  de  générosité. 

«  Les  trois  nations,  que  nous  venons  représenter,  et  dont  il 
semble  que  le  véritable  intérêt  soit  d'obtenir  satisfaction  des  ou- 
trages dont  on  les  a  frappées,  ont  une  ambition  plus  élevée,  pour- 
suivent un  but  d'une  utilité  plus  grande  encore  et  plus  générale, 
Elles  viennent  tendre  une  main  amie  au  peuple  qu'elles  voient  avec 
douleur  consumer  ses  forces,  éteindre  sa  vilalité  sous  la  funeste 
action  dos  guerres  civiles  et  de  perpétuelles  convulsions. 

«  Voici  la  vérité,  et  ceux  qui  ont  pour  mission  de  vous  la  faire 
connaître  n'y  veulent  joindre  ni  cris  de  guerre,  ni  menaces,  mais 
bien  vous  aider  à  reconstruire  l'édifice  de  votre  grandeur,  qui  nous 
importe  à  tous.  A  vous  seuls,  exclusivement  à  vous,  sans  inter- 
vention étrangère,  il  appartient  d'établir  une  constitution  sur  une 
base  solide  et  durable.  Votre  œuvre  sera  une  œuvre  de  régénéra- 
tion, que  tous  respecteront,  car  tous  y  auront  contribué,  les  uns 
matériellement,  les  autres  par  leur  concours  moral.  Le  mal  est 
profond,  le  remède  est  urgent  ;  maintenant  ou  jamais  vous  pouvez 
assurer  votre  bonheur. 

1  Mexicains  I  Ecoutez  la  voix  des  alliés,  ils  vous  apportent  l'ancre 
de  salut  dans  la  tourmente  perpétuelle  qui  vous  épuise.  Ayez  con- 
fiance dans  leur  bonne  foi,  dans  leurs  intentions  loyalement  bien- 
veillantes. Ne  craignez  rien  des  esprits  inquiets  et  brouillons  ;  s'ils 
viennent  essayer  de  vous  troubler,  votre  attitude  courageuse  et 
résolue  saura  les  confondre,  tandis  que  nous,  impassibles,  nous 
présiderons  au  grand  spectacle  de  \otre  régénération^  enfin  assurée 
par  l'ordre  et  par  la  liberté  ! 

«  Ainsi  le  comprendra,  nous  en  sommes  sûrs,  le  gouvernement 
mexicain  lui-même  ;  ainsi  le  comprendront  les  hommes  distingués 
du  pays,  auxquels  nous  nous  adressons.  Ces  esprits  élevés  ne  pour- 
ront méconnaître  qu'à  cette  heure,  ils  doivent  laisser  les  armes  en 
repos,  et  n'agir  que  par  l'opinion  publique  et  la  raison,  ces  deux 
triomphants  souverains  du  dix-neuvième  siècle!  » 

Quelques  phrases  de  celte  proclamation  en  résument 
l'idée  toute  entière.  En  foulant  aux  pieds  les  traités,  lesdi- 


l'amiral   JURIEX    1)E    la    GRAVIÈRE.  Go 

vers  gouvernements  qui  se  sont  succédé,  ont  rendu  notre  i862 
expédition  indispensable  ;  mais  ni  menaces  ni  cris  de 
guerre,  était-il  dit,  nous  venons  vous  aider  à  reconstruire 
l'édifice  de  votre  grandeur,  présider  «  impassibles  »  au 
grand  spectacle  de  votre  régénération,  et  nous  espérons  que 
le  gouvernement  mexicain  le  comprendra  et  laissera  les 
armes  en  repos. 

On  se  rend  difficilement  compte  de  l'utilité  d'un  pareil 
manifeste  et  de  sa  juste  signification.  Il  était  en  désac- 
cord complet  avec  la  politique  anglaise  ;  les  commissaires 
anglais  n'étaient  donc  pas  autorisés  à  l'approuver  ;  de  leur 
côtelés  plénipotentiaires  français  ne  s'y  associèrent,  dirent- 
ils,  que  pour  ne  pas  se  séparer  de  leurs  collègues.  Les  ca- 
binets de  Paris,  de  Londres  et  de  Madrid  le  blâmèrent 
formellement.  Par  suite  delà  trop  grande  initiative,  qui  lui 
avait  été  laissée,  le  général  Prim  engagea  ainsi  la  politique 
de  la  France  et  de  l'Angleterre  dans  une  voie  qui  ne  con- 
venait ni  à  l'un  ni  à  l'autre  gouvernement. 

Ce  manifeste  lancé,  les  commissaires  jugèrent  opportun 
d'entrer  en  relations  avec  le  gouvernement  mexicain  ;  tout 
d'abord,  ils  demandèrent  au  général  Uraga  un  sauf-conduit 
pour  les  délégués  que  l'on  devait  envoyer  à  Mexico. 

Le  général  Prim  dirigeait  toute  cette  affaire,  car,  selon 
ses  propres  expressions,  il  recevait  de  la  part  de  ses  col- 
lègues «  d'éclatants  témoignages  de  déférence  ».  (^)  Ce- 
pendant les  divergences  de  vues  entre  les  commissaires  s'ac- 
centuaient de  plus  en  plus,  tant  au  sujet  des  réclamations 
à  faire  valoir  qu'à  l'égard  de  la  ligne  politique  à  suivre. 

Les  commissaires  anglais  inclinaient  vers  une  solution 
pacifique  et  influençaient  dans  ce  sens  le  général  Prim, 


(')  Leltic  du  général  Prim  à  son  crouvomement.  13  janvier  1862. 


66  l""   PARTIE.  CHAPilT.E  II. 

18G2.         qui  s'y  trouvait  déjà,  personnellement  fort  disposé;  les 
"  commissaires  français  pensaient  au  contraire  que  le  temps 

des  ménagements  était  passé,  qu'il  fallait  prendre  vis-à-vis 
du  Mexique  une  attitude  ferme,  ne  pas  faire  traîner  les 
choses  en  longueur  par  des  négociations  illusoires  et 
surtout  marcher  en  avant  pour  ne  pas  laisser  le  corps  expé- 
ditionnaire se  consumer  dans  la  zone  malsaine. 
Doscripiion  En  partant  de  Vera-Gruz,  cette  zone  a   une  largeur 

Tmmair?."'^  d'cnvirou  viugt  lieucs  ;  on  l'appelle  la  terre  chaude.  C'est 
un  pays  presque  plat,  sans  culture  et  qui,  pendant  la  saison 
des  pluies,  du  mois  de  mai  au  mois  de  septembre,  se  trans- 
forme en  marécages  ;  leurs  émanations  pestilentielles  sont 
l'origine  de  fièvres  dangereuses,  connues  dans  le  pays 
sous  le  nom  de  vomito  negro  et  aussi  redoutables  pour  les 
Mexicains  des  hauts  plateaux  que  pour  les  Européens. 
Le  Rio  Chiquihuite,  qui  coupe  la  route  d'Orizaba  à  vingt 
lieues  de  Vera-Gruz,  est  considéré  comme  la  limite  de  la 
terre  chaude. 

Les  derniers  contre-forts  du  pic  d'Orizaba,  dont  la  cime 
couverte  de  neiges  perpétuelles  s'élève  à  5,400  mètres  au- 
dessus  de  la  mer,  s'arrêtent  sur  la  rive  droite  du  Chiqui- 
huite ;  lorsque  l'on  a  gravi  leurs  pentes,  la  physionomie  du 
pays  change  ;  on  entre  dans  la  terre  tempérée,  dont  la  tempé- 
rature moyenne  est  de  18*^  à  SO*',  et  varie  peu  pendant  toute 
l'année.  Gordova,  la  ville  la  plus  importante  de  cette  région, 
est  à  une  altitude  de  900".  On  rencontre  alors  de  vastes 
champs  de  cannes  à  sucre,  des  bananiers,  des  caféiers  ; 
au  lieu  des  villages  misérables  et  des  cases  en  bois  des 
terres  chaudes,  on  trouve  de  vastes  et  belles  haciendas;  au 
lieu  d''un  pays  désert,  des  campagnes  peuplées  et  de  riches 
plantations.  Le  plateau  d'Orizaba,  qui  succède  à  celui  de 
Cordova,  est  à  1,200  mètres  environ  au-dessus  du  niveau 


l'amiral   .lURlEN    DE    LA    GllAVlÈRE.  G7 

de  l'Océan  ;  il  s'étend  sur  un  plan  incliné  jusqu'au  pied         1862. 
des  Cambres  d'Acultzingo  (ISIO""),  mur  gigantesque  qui 
soutient  le  grand  plateau  d'Anahuac.  Orizaba  est  encore 
dans  la  zone  tempérée,  mais  son  climat  est  moins  chaud 
que  celui  de  Gordova. 

Au  centre  du  plateau  d'Anahuac  est  situé  Puebla  ;  on  y 
cultive  le  blé  et  le  maïs  ;  l'air  est  vif  et  le  climat,  générale- 
ment sain,  se  rapproche  de  celui  de  l'Europe;  c'est  la 
zone  des  terres  froides,  dont  la  température  moyenne 
est  de  17°.  Le  plateau  d'Anahuac  est  à  2,200""  au-dessus 
de  la  mer,  à  la  même  altitude  à  peu  près  que  la  vallée 
de  Mexico  ;  il  en  est  séparé  par  l'énorme  massif  du  Po- 
pocatepelt  et  de  l'Ixtaccihualt,  montagnes  neigeuses  dont 
les  sommets  sont  à  5,4 10"  et  à  4,790"  au  dessus  de  l'Océan, 

Il  était  d'un  intérêt  majeur  pour  le  succès  de  l'expédition      Occupation 

1,1111  ''"  '^  Tejf-iia. 

de  s'éloigner  tout  d  abord  de  la  côte,  où  l'agglomération    ^-i  janv.  -1862. 
des  troupes  ne  pouvait  que  hâter  l'apparition  de  la  fièvre 
jaune,  et  d'aller  chercher,  soit  sur  le  plateau  de  Gordova, 
soit  sur  celui  de  Jalapa,  dont  les  conditions  sont  analogues, 
des  cantonnements  salubres  et  un  climat  plus  supportable. 

Malheureusement  les  troupes  n'étaient  pas  à  même  d'en- 
trer en  campagne  ;  elles  n'avaient  aucun  moyen  de  trans- 
port ;  l'artillerie  et  le  matériel  de  campement  de  la  colonne 
française,  embarqués  sur  la  Meuse  et  sur  la  Sèvre,  n'étaient 
pas  encore  arrivés  ;  cependant  l'amiral  Jurien,  ne  voulant 
pas  rester  bloqué  à  Vera-Gruz,  décida,  de  concert  avec 
le  général  Prim  et  le  commodore  Dunlop,  qu'on  occuperait 
le  petit  village  do  la  Tejeria,  à  12  kilomètres  de  Vera- 
Gruz  sur  la  ligne  du  chemin  de  fer  en  voie  d'exécution. 

Le  1 1   janvier  (') ,  une   colonne  de   troupes   des  trois 

(0  L'amiral  Jurkn  au  ministre  de  la  marine.  12  janvier  1802, 


68  l'"    PARTIE.  —  CHAPITRE    II. 

4862.  nations  quitta  Vera-Cruz  pour  aller  prendre  position  sur 
ce  point. 

L'amiral  Jurien  avait  fait  emporter  cinq  jours  de  vivres 
aux  troupes;  en  outre,  la  colonne  qui  marchait  sur  la  chaus- 
sée du  chemin  de  fer,  était  suivie  d'un  petit  approvisionne- 
ment chargé  sur  les  trucs,  traînés  à  grand'peine  par  les 
mules  à  demi-sauvages  qu'à  défaut  de  locomotives  on 
avait  été  obligé  d'y  atteler. 

Le  poste  de  la  Tejeria  était  gardé  par  un  détachement 
mexicain  du  corps  du  général  Uraga.  Le  général  Prim, 
l'ayant  fait  prévenir  courtoisement  des  projets  des  alliés, 
espérait  qu'il  n'y  mettrait  pas  obstacle. 

Malgré  de  fréquents  repos,  les  troupes  supportèrent  dif- 
ficilement la  fatigue  de  cette  première  marche  ;  les  hommes, 
épuisés  par  une  chaleur  accablante,  se  couchaient  sur  les 
bords  du  chemin  ;  à  huit  heures  (deux  heures  après  le  dé- 
part) on  fut  obligé  d'ordonner  une  grande  halte  pour  faire 
le  café. 

Le  général  Prim  reçut  alors  l'avis  que  le  général  Uraga 
était  momentanément  absent,  que  sa  réponse  arriverait 
seulement  dans  la  soirée,  et  qu'en  attendant  ses  ordres 
les  détachements  stationnés  à  la  Tejeria  se  disposaient  à 
résister.  Le  général  Primetl'amiralJurien  n'en  décidèrent 
pas  moins  de  poursuivre  leur  marche,  et  l'annonce  faite  aux 
troupes  qu'on  allait  rencontrer  l'ennemi  releva  rapidement 
leur  moral. 

L'avant-garde  signala  bientôt  un  groupe  d^  cavaliers 
mexicains  sur  la  route  ;  l'ordre  fut  donné  au  peloton  espa- 
gnol, qui  tenait  la  tète  de  la  colonne,  de  ne  pas  tirer  sans 
avoir  essuyé  le  premier  feu  et  de  se  borner  à  pousser  de- 
vant lui  les  troupes  ennemies  ;  mais  les  Mexicains  se  reti- 
rèrent et  évacuèrent  la  Tejeria  sans  résistance. 


l'amiral    JCRIEN    de    la    GKAVIÈRE.  69 

Les  troupes  françaises  et  espagnoles,  placées  sous  le  ^862. 
commandement  supérieur  du  colonel  Hennique,  s'établirent 
dans  cette  position,  et  les  trois  commandants  en  chef 
revinrent  le  même  jour  à  Vera-Gruz.  A  la  Tejeria,  ils 
avaient  reçu  la  visite  d'un  aide  de  camp  du  général  Zara- 
gosa,  ministre  de  la  guerre,  qui  s'était  présenté  en  parle- 
mentaire pour  s'enquérir  de  leurs  intentions.  Le  général 
Prim,  servant  d'interprète  à  ses  collègues,  protesta  de 
leurs  dispositions  tout  amicales  et  le  pria  d'inviter  le  général 
Zaragosa  à  venir,  en  personne,  conférer  avec  les  comman- 
dants des  forces  alliées. 

L'amiral  Jurien  ayant  manifesté  l'intention  de  concen-  occupation 
trer  toutes  les  troupes  françaises  à  la  Tejeria,  le  général 
Prim  désira  également  réunir  tout  le  corps  espagnol  sur 
un  point  plus  salubre  que  Vera-Gruz  ;  il  fit  choix  de  la 
petite  ville  de  Medelin,  située  à  l'embouchure  du  Pdo 
Jamapa,  à  quatre  lieues  au  sud  du  port  de  Vera-Gruz,  avec 
lequel  elle  est  reliée  par  un  chemin  de  fer.  Le  13  janvier, 
les  trois  commandants  en  chef  allèrent  en  prendre  posses- 
sion avec  des  détachements  des  trois  nationalités. 

Le  même  jour,  dans  la  soirée,  eut  lieu  la  première  réu-       Première 

m    •    ^^        1  •        •  ii-  -i  conférence. 

mon  officielle  des  commissaires  alliés  ;  il  y  régna  beau-    Ultimatum  des 

,  pléiiipoten- 

COUp  de  confusion  W.  tlaires  français. 


L'amiral  Jurien  communiqua  à  ses  collègues  le  projet 
d'ultimatum,  préparé  par  M.  de  Saligny,  qui  étant  malade 
n'avait  pu  assister  à  la  conférence  ; 


43  janv.  -1862. 


ULTIMATUM. 


Art.  i'^^.  —  Le  Mexique  s'engage  à  payer  à  la  France  une  somme 
de  douze  millions  de  piastres  à  laquelle  est  cvakié  l'ensemble  dos 
réclamations  françaises,  en  raison  des  faits  accomplis  jusqu'au 

(')  L'amiral  Jurion  au  ministre  de  Li  marine,  lo  janvier. 


^ 


70  l'"  PARTIE.  ClfAI'lTl'.E    II. 

4862.  31  juillet  dernier,  sauf  les  exceptions  stipulées  dans  les  articles  2 
"~  et  4  ci-dessous.  En  ce  qui  touche  les  faits  accomplis  depuis  le  31  juil- 

let dernier,  et  pour  lesquels  il  est  fait  une  réserve  expresse,  le 
chiffre  des  réclamations  auxquelles  ils  pourront  donner  lieu  contre 
le  Mexique  sera  fixé  ultérieurement  par  les  plénipotentiaires  de  la 
France. 

Art.  2.  —  Les  sommes  restant  dues  sur  la  convention  de  1853, 
qui  ne  sont  pas  comprises  dans  l'article  l^^"  ci-dessus,  devront  être 
payées  aux  ayants  droit  dans  la  forme  et  en  tenant  compte  des 
échéances  stipulées  dans  ladite  convention  de  1853. 

Art.  3. —  Le  Mexique  sera  tenu  h  l'exécution  pleine,  loyale  et  im- 
médiate du  contrat  conclu  au  mois  de  février  1859  entre  le  gouver- 
nement mexicain  et  la  maison  Jecker. 

Art.  4.  —  Le  Mexique  s'oblige  au  paiement  immédiat  des  onze 
mille  piastres  formant  le  reliquat  de  l'indemnité  qui  a  été  stipulée 
en  faveur  de  la  veuve  et  des  enfants  de  M.  Ricke,  vice-consul  de 
France  à  Tepic,  assassiné  en  octobre  1839. 

Le  gouvernement  mexicain  devra,  en  outre,  et  ainsi  qu'il  en  a 
déjà  contracté  l'obligation,  destituer  de  ses  grades  et  emplois  et 
punir  d'une  façon  exemplaire  le  colonel  Rojas,  un  des  assassins  de 
M.  Piicke,  avec  la  condition  expresse  que  Rojas  ne  pourra  plus  être 
investi  d'aucun  emploi,  commandement,  ni  fonctions  publiques 
quelconques. 

Art.  5.  —  Le  gouvernement  mexicain  s'engage  également  à  re- 
chercher et  à  punir  les  auteurs  des  nombreux  assassinats  commis 
contre  les  Français,  notamment  les  meurtriers  du  sieur  Davesne. 

Art.  6. — Les  auteurs  des  attentats  commis  le  14  août  dernier 
contre  le  ministre  de  l'Empereur  et  des  outrages  auxquels  le  repré- 
sentant de  la  France  a  été  en  butte  dans  les  premiers  jours  du  mois 
de  novembre  1861,  seront  soumis  h  un  châtiment  exemplaire,  et  le 
gouvernement  mexicain  sera  tenu  d'accorder  à  la  France  et  à  son 
représentant  les  réparations  et  satisfactions  dues  en  raison  de  ces 
déplorables  excès. 

Art.  7.  — Pour  assurer  l'exécution  des  articles  5  et  6  ci-dessus 
et  le  châtiment  de  tous  les  attentats  qui  ont  été  ou  qui  seraient  com- 
mis contre  la  personne  de  Français  résidant  dans  la  République, 
le  ministre  de  France  aura  toujours  le  droit  d'assister  en  tout 
état  de  cause,  et  par  tel  délégué  qu'il  désignera  ù  cet  effet,  à  toutes 
instructions  ouvertes  par  la  justice  criminelle  du  pays. 

Il  sera  investi  du  môme  droit  relativement  à  toutes  poursuites 
criminelles  intentées  contre  ses  nationaux. 

Art.  8.  —  Les  indemnités  stipulées  dans  le  présent  ultimatum 


l'amiral  jlrien  de  la  ghavière.  71 

porteront  de  droit,  à  dater  du  17  juillet  dernier  et  jusqu'à  parfait  1862. 

paiement,  un  intérêt  annuel  de  six  pour  cent.  ~ 

Art.  9.  —  En  garantie  de  l'accomplissement  des  conditions  finan- 
cières et  autres  posées  par  le  présent  ultimatum,  la  France  aura  le 
droit  d'occuper  les  ports  de  Yera-Cruz  et  de  Tampico  et  tels  autres 
ports  de  la  République  qu'elle  croira  à  propos,  et  d'y  établir  des 
commissaires  désignés  par  le  gouvernement  impérial,  lesquels 
auront  pour  mission  d'assurer  la  remise  entre  les  mains  des  puis- 
sances qui  y  auront  droit,  des  fonds  qui  doivent  être  prélevés  à  leur 
profit,  en  exécution  des  conventions  étrangères,  sur  le  produit  des 
douanes  maritimes  du  Mexique,  et  la  remise  entre  les  mains  des 
agents  français  des  sommes  dues  à  la  France. 

Les  commissaires  dont  il  s'agit  seront,  en  outre,  investis  du 
pouvoir  de  réduire  soit  de  moitié,  soit  dans  une  moindre  propor- 
tion, suivant  qu'ils  le'jugeront  convenable,  les  droits  actuellement 
perçus  dans  les  ports  de  la  République. 

Il  est  expressément  entendu  que  les  marchandises  d'importa- 
tion ne  pourront  en  aucun  cas,  ni  sous  aucun  prétexte  que  ce  soit, 
être  soumises  par  le  gouvernement  suprême  ni  par  les  autorités  des 
Etats  à  aucun  droit  additionnel  de  douane  intérieure  ou  autre, 
excédant  la  proportion  de  quinze  pour  cent  des  droits  payés  à  l'im- 
portation. 

Art.  iO. — Toutes  les  mesures  qui  seront  jugées  nécessaires  pour 
régler  la  répartition  entre  les  parties  intéressées  des  sommes  pré- 
levées sur  le  produit  des  douanes,  ainsi  que  le  mode  et  les  époques 
de  paiements  des  indemnités  stipulées  ci-dessus,  comme  pour  ga- 
rantir l'exécution  des  conditions  du  présent  ultimatum,  seront  ar- 
rêtées de  concert  entre  les  plénipotentiaires  de  la  France,  de  l'An- 
gleterre et  de  l'Espagne. 

Les  commissaires  anglais,  s'appuyant  sur  la  solidarité 
qui  liait  les  trois  puissances  engagées  au  Mexique,  crurent 
de  leur  droit  d'exercer  leur  contrôle  sur  ces  réclamations, 
dont  ils  trouvèrent  le  chiffre  exorbitant,  et  s'opposèrent  à 
ce  qu'il  fût  donné  suite  à  cet  ultimatum.  Cependant  le  sauf- 
conduit  demandé  au  général  Uraga  était  arrivé  ;  il  fallait  se 
résoudre  à  quelque  chose.  Une  deuxième  réunion  fut  dé-  Deuxième 
cidée  pour  le  lendemain.  M.  de  Saligny  y  assista.  Après  de         Emoi 

,  -  .  11/-  -    •   '  •  '^^  délégués 

vives  discussions,  les  plénipotentiaires  convinrent  que  le  do-       à  Mexico. 


72  l"  PArxllE.  CllAFlTRli    II. 

<862.  tail  des  réclamations  ne  serait  pas  envoyé  au  gouvernement 
de  Mexico.  L'amiral  Jurien  proposa  à  ses  collègues  le  texte 
d'une  note  par  laquelle  on  demanderait  l'accès  du  plateau 
de  Jalapa,  avec  la  menace,  en  cas  de  refus,  de  prendre  de 
vive  force  les  cantonnements  dans  l'intérieur  ;  les  autres 
commissaires,  le  général  Prim  surtout ,  s'opposèrent  à  ce 
que  cette  communication  eût  un  caractère  comminatoire. 
Ils  présentèrent  alors  aux  plénipotentiaires  français  une 
autre  note,  déjà  revêtue  de  leurs  signatures,  et  que  l'ami- 
ral Jurien  finit  par  accepter  après  avoir  obtenu  la  modifi- 
cation de  plusieurs  passages  qui  lui  semblaient  trop  favo- 
rables à  Juarez. 

Cette  note  se  bornait  à  réclamer,  en  termes  vagues,  des 
satisfactions  pour  le  passé,  des  garanties  pour  l'avenir,  et 
insistait  sur  les  intentions  bienveillantes  des  alliés.  Les 
commissaires  anglais  et  espagnol  n'avaient  pas  voulu  que 
l'on  y  insérât  la  demande  de  cantonnements  dans  l'inté- 
rieur du  pays  ;  il  fut  convenu  que  cette  question  serait  traitée 
verbalement  par  les  délégués  envoyés  à  Mexico. 

L'amiral  Jurien,  avec  le  consentement  de  ses  collègues, 
rédigea  aussitôt  les  instructions  suivantes,  qui  devaient  leur 
tenir  lieu  de  lettre  de  créance. 

«  Les  représentants  des  trois  hautes  puissances,  signataires  de 
la  convention  du  31  octobre,  ont  chargé  MM.  le  brigadier  Milans, 
le  capitaine  de  vaisseau  Tatham,  le  capitaine  de  frégate  Thomas- 
set,  chef  d'état-major  de  l'escadre  française,  de  se  rendre  à  Mexico 
pour  y  remettre  au  gouvernement  mexicain  une  note  collective, 
dans  laquelle  se  trouvent  exposées  les  intentions  des  alliés.  En 
retour  de  leurs  déclarations  toutes  pacifiques  et  de  leurs  desseins 
sincèrement  bionvcillants,  les  représentants  des  trois  hautes  puis- 
sances attendent  du  gouvernement  mexicain  qu'il  comprendra  la 
nécessité  d'assurer  aux  armées  alliées  un  campement  salubre,  pen- 
dant h'  temps  que  dureront  les  négociations  ot  jusqu'au  momoni 
où  le  Mexique  aura  achevé  sa  réorganisation  intérieure.  » 


l'amiral   JURlEiN    DE    LA    GRAVIÈKE.  73 

Ces  officiers  quittèrent  Vera-Gruz  le  même  jour,  l 'i^  is62. 
janvier,  et  se  rendirent  à  la  Tejeria,  où  les  attendait  une 
escorte  mexicaine  ;  ils  firent  aussitôt  une  visite  au  général 
Uraga,  à  son  quartier  général  de  San  Juan  de  la  Estancia. 
Le  commandant  en  chef  de  l'armée  mexicaine  les  reçut 
avec  une  grande  affabilité  et  témoigna  tout  particulièrement 
au  commandant  Thomasset  sa  sympathie  pour  la  France. 
Il  promit  de  faciliter  l'arrivée  des  vivres  au  camp  de  la 
Tejeria  0). 

Ainsi,  dès  le  début  des  conférences,  la  bonne  entente 
entre  les  commissaires  des  trois  puissances  avait  été  com- 
promise. La  distinction  et  l'esprit  élevé  de  famiral  Jurien 
pouvaient  encore  maintenir  une  certaine  aménité  dans  leurs 

*')  Le  commandant  Thomasset  à  l'amiral  Jurien,  lo  janvier. 

Le  gênerai  Uraga  tint  sa  promesse.  L'amiral  le  fit  remercier  par  M.  lo  capitaine 
d'état-major  Capitan,  qui  se  rendit  le  18  janvier  à  l'iiacienda  de  la  Estancia, sa  ré- 
sidence habituelle,  et  lui  offrit,  de  la  part  des  commandants  des  troupes  françaises 
et  espagnoles,  quelques  présents  consistant  en  caisses  de  vin  et  de  cigares. 

La  visite  de  l'aide  de  camp  de  l'amiral  avait  en  outre  un  but  politique  ;  nous 
résumons  le  récit  de  l'entrevue  qu'il  eut  avec  le  général  Uraga  : 

Après  avoir  affirmé  au  général  Uraga  les  dispositions  bienveillantes  de  la 
France  ,  le  capitaine  Capitan  ajouta  que  ;  «  lorsque  la  France  voulait  faire  la 
guerre  en  un  point  quelconque  du  globe,  elle  avait  toujours  une  armée  prête  à 
partir  et  une  flotte  disponible  pour  la  transporter,  et  que  pour  Lien  établir  la 
nature  de  ses  intentions  pacifiques,  elle  n'avait  envoyé  au  Mexique  que  la  garde 
de  son  drapeau.  • 

Le  général  Uraga,  que  l'on  croyait  ennemi  juré  de  l'intervention  espagnole,  se 
montra  au  contraire  très-sympathique  au  général  Prim  ;  il  lui  attribuait  le  carac- 
tère pacifique  donné  à  l'expédition.  La  conversion  du  général  mexicain  paraissait 
récente  et  semblait  être  le  résultat  des  efforts  de  Sir  Gh.  Wyke,  qui  corres- 
pondait presque  quotidiennement  avec  lui. 

Bien  qu'il  parlât  de  Juarez  avec  peu  de  déférence ,  il  disait  que  le  président 
était  le  représentant  du  pays  et  que,  par  amour-propre  national,  on  voulait 
qu'il  fût  respecté.  —  <■  Sauvez  cette  question  de  forme ,  ajouta-t-il,  et  toutes  les 
affaires  s'arrangeront  facilement.  » 

«  Juarez  n'est  qu'un  nom  ;  nous  gouvernons  derrière  lui ,  Doblado  et  Etchcvcrria 
sont  déjà  à  la  tCtc  des  affaires  ;  moi-même  je  suis  destiné  à  prendre  le  portefeuille 


74  l"  PAlîTIE.   —  CliAPlilŒ    II. 

4862.  relations  personnelles,  mais  leurs  relations  diplomatiques 
devenaient  chaque  jour  plus  difficiles,  et  une  rupture  pro- 
chaine de  l'alliance  se  laissait  déjà  entrevoir. 

On  ne  peut  manquer  d'être  surpris  de  cette  attitude  de 
Sir  Ch.  Wyke,  en  la  rapprochant  des  dépêches  par  les- 
quelles il  exposait  au  gouvernement  anglais  l'urgence  d'une 
intervention  armée  dans  les  affaires  mexicaines  (*)  ;  aujour- 
d'hui, au  contraire,  il  employait  tous  ses  efforts  à  obtenir 
une  solution  pacifique  des  difficultés  pendantes.  Le  com- 
modore  Dunlop  s'était  rangé  à  son  avis,  et  le  général  Prim 
n'inclinait  que  trop  dans  ce  sens  ;  tous  trois  étaient  d'avis 
d'appuyer  le  parti  qu'ils  appelaient  libéral  modéré  et  de 
considérer  le  gouvernement  de  Juarez  comme  un  gouver- 
nement légal. 


do.  la  gnerre  lorsque  ma  présence  ne  sera  plus  nécessaire  dans  l'Etat  de  Vera- 
Cruz.  Dites  à  l'amiral  que  nous  nous  entendrons  avec  les  puissances  étran- 
gères, mais  qu'il  faut  aller  doucement  et  prudemment  ;  avec  du  temps  on  peut 
arriver  à  tout,  et  qui  plus  est ,  en  conservant  les  formes  légales  ;  la  présidence  à 
vie,  la  monarchie  môme,  rien  n'est  impossible  si  l'on  veut  nous  laisser  conduire 
les  affaires  et  attendre.  » 

Le  général  Uraga  partageait  l'antipathie  générale  contre  les  Espagnols,  mais 
il  faisait  toujours  une  exception  pour  le  général  Prim. 

M.  Capitan  dit  dans  son  rapport  :  «  Je  crois  que  le  général  Uraga  est  complè- 
tement gagné  au  parti  libéral,  dont  Doblado  est  le  chef.  Ce  parti  obéit  à  l'im- 
pulsion de  Sir  Ch.  Wyke,  et  le  général  Prim  lui-raôme  n'est  qu'un  instru- 
ment que  l'on  flatte  et  que  l'on  cherche  peut-être  à  séduire  en  lui  faisant  con- 
cevoir des  espérances  personnelles Le  général  Zaragosa  commande  sous 

les  ordres  d'Uraga  une  division  placée  à  la  Soledad  ;  Zaragosa  appartient  au 
parti  libéral  le  plus  avancé ,  et  le  général  Uraga  le  considère  comme  un  espion 
du  président  .luarez  ;  il  déclare  formellement  qu'il  est-décidé  à  le  faire  fusiller 
à  la  plus  légère  apparence  de  trahison.  >> 

(•)  Le  25  juin  1861,  Sir  Ch.  Wyke  avait  écrit  :  «  La  lecture  de  mes  précédentes 
dépêches  aura  fait  voir  à  Voire  Excellence  que  l'on  ne  peut  avoir  aucune  con- 
fiance dans  les  promesses  ni  même  dans  les  engagements  les  plus  formels  du 
gouvernement  mexicain.  Le  capitaine  Aldliam,  qui,  durant  trois  ans,  a  bien  étu- 
dié le  caractère  mexicain  et  la  manière  d'éluder  ses  engagements,  est  d'avis  que  le 
temps  de  la  douceur  est  passé  et  que  si  nous  voulons  protéger  la  vie  et  les  intérêts 
des  sujets  britanniques,  il  faut  employer  des  mesures  coercitives.  » 


l'amiral   JURIEN    de    la    GRAVIÈRE.  75 

Un  incident  faillit  cependant  compromettre  cet  accord.         -1862. 
L'ariivée  du  général  Miramon  était  annoncée  à  Vera-      Airestaiion 

de  Miramon. 

Gruz.  On  se  rappelle  que,  pendant  sa  présidence,  il  avait  27  juuv.  isoi 
lait  enlever  les  sommes  déposées  sous  le  sceau  de  la  légation 
britannique  et  destinées  au  paiement  de  la  dette  anglaise. 
Les  commissaires  anglais  ayant,  pour  cette  raison,  mani- 
festé l'intention  de  le  faire  arrêter  à  son  débarquement,  les 
commissaires  français  déclarèrent,  que  le  drapeau  français 
flottant  à  Yera-Gruz,  ils  protestaient  contre  cet  acte  de 
violence  ;  pour  écarter  toute  difficulté,  il  fut  alors  décidé 
que  l'arrestation  aurait  lieu  à  bord  même  du  paquebot 
anglais.  En  effet,  le  27  janvier,  à  Tarrivée  du  paquebot, 
les  autorités  anglaises  se  saisirent  de  la  personne  de  l'ancien 
président  et  le  transférèrent  sur  un  bâtiment  de  guerre. 
Le  frère  de  Miramon,  le  Père  Miranda  et  quelques  autres 
émigrés  mexicains,  qui  l'accompagnaient,  eurent  la  liberté 
de  débarquer. 

Le  général  Miramon  était  venu  avec  l'assentiment  du 
général  Prim  et  avait  reçu,  sous  un  nom  supposé,  un  passe- 
port des  autorités  espagnoles  de  l'île  de  Cuba  O.  Son 
arrestation,  dit  l'amiral  Jurien,  causa  une  émotion  violente 
au  général  Prim,  qui  se  trouva  personnellement  blessé. 
L'amiral  se  hâta  d'interposer  ses  bons  offices  pour  calmer 
le  différend  qui  s'élevait  entre  ses  collègues  C^)  ;  mais 
ceux-ci  revinrent  bientôt   d'eux-mêmes   à  leur   intimité 

('»)  Miramon  avait  fait  un  voyage  en  Espagne.  Le  13  octobre  1861,  .M.  Seiiurlz, 
chargé  d'affaires  des  Etats-Unis  à  Madrid,  informait  son  gouvernement  des  de- 
marches  que  le  général  faisait  auprès  do  MM.  Narvaez  et  Calderon-Coliantcs;  il  le 
supposait  d'accord  avec  le  gouvernement  espagnol.  (Executive  documents,  1801- 
1862.) 

(*)  Le  général  Prim  a  dit,  de  son  côté,  qu'il  avait  dû  employer  toute  son 
influence  pour  que  l'incident  Miramon  ne  fût  pas  Toccasion  d'une  rupture  com- 
plète entre  les  Anglais  et  les  Français.  (Lettre  du  gérerai  l'rini  à  M.  Caideron- 
CoUantes,  2«  janvier  1862.) 


76  l"^*"  l'AiniE.  —  CHAPITRE    11. 

1862.  des  premiers  jours.  Il  fut  convenu  entre  eux  que  le  com- 
modore  Dunlop  renverrait  Miramon  à  la  Havane  et  que 
le  général  Prim  s'opposerait  à  son  retour  au  Mexique  ('). 
Dès  ce  moment,  les  relations  devinrent  de  plus  en  plus 
intimes  entre  les  commissaires  anglais  et  espagnol,  qui  pa- 
raissaient ne  «  s'entendre  que  trop  bien  »  pour  combattre 
en  toute  circonstance  l'influence  des  plénipotentiaires 
français. 

Retour  Les  délégués  revinrent  de  Mexico  le  28  janvier.  Ils  avaient 

28  jimv.^<862.  été  bicu  rcçus,  mais  n'avaient  obtenu  que  des  réponses 
évasives.  D'après  l'opinion  du  commandant  Thomasset, 
Sir  Ch.  Wyke,  dont  la  politique  était  d'ailleurs  désapprou- 
vée par  le  commodore  Dunlop,  négociait  un  arrangement 
particulier  avec  Doblado  ;  celui-ci,  confiant  dans  l'appui 
des  Anglais,  travaillait  à  renverser  Juarez,  et  les  Espagnols 
cherchaient  également  à  obtenir  des  avantages  particuliers. 
Il  faisait  un  triste  tableau  du  désordre  qui  régnait  dans 
l'intérieur  du  pays,  du  brigandage  qui  désolait  les  routes 
et  de  l'insécurité  de  la  ville  même  de  xMexico  ;  il  pensait 
qu'il  était  utile  de  marcher  de  suite  vers  l'intérieur  et  que 
l'idée  monarchique  avait  de  nombreux  partisans  (^). 

Réponse  M.  de  Zamacona,  envoyé  par  Doblado,  arriva  le  jour  sui- 

^^  mcxS™''"'  vant  porteur  de  la  réponse  officielle.  Le  ministre  des  affaires 
étrangères  mexicain  insistait  sur  la  popularité  croissante 
qui  entourait  le  gouvernement  actuel  ;  il  assurait  que  si 
les  intentions  des  trois  puissances  étaient  bienveillantes, 
leurs  réclamations  seraient  assurément  acceptées,  et  il  invi- 
tait les  plénipotentiaires  à  faire  de  suite  rembarquer  leurs 

H)   F>'amir;il  au  ministre  do  la  marine,  29  janvier  1862. 
'2)  Rapport  (lu  commandanl  Thomasset. 


l'amiral    JURIEN    de    la    GTIAVIÈRE.  77 

troupes  et  à  se  rendre  à  Orizaba  avec  une  escorte  d'honneur  18G2. 
de  2,000  hommes  pour  y  conférer  avec  les  commissaires 
mexicains.  La  singularité  de  cette  proposition  choqua 
tellement  l'amiral  Jurien,  qu'il  voulait  laisser  M.  de  Zama- 
cona  retourner  à  Mexico  sans  réponse  écrite,  et  annoncer 
à  son  gouvernement  que,  de  gré  ou  de  force,  les  alliés 
prendraient  les  cantonnements  qui  leur  plairaient. 

Cette  opinion  n'ayant  pas  prévalu,  il  proposa  à  ses  col- 
lègues la  note  collective  suivante,  qui  fut  adoptée  et  remise 
à  l'envoyé  mexicain. 

«  Les  soussignés,  etc.  en  réponse  à  la  note  de  Son  Exe,  ont  Deuxième  note 
l'honneur  de  lui  exposer  que,  venus  au  Mexique  pour  y  remplii'  ^'^^  commssaires 
une  mission  civilisatrice,  ils  ont  conçu  le  plus  vif  désir  d'accomplir 
cette  mission  sans  verser  une  goutte  de  sang  mexicain.  Ils  croi- 
raient cependant  manquer  à  tous  leurs  devoirs  envers  leurs  gou- 
vernements et  envers  leurs  pays,  s'ils  ne  s'occupaient  d'assurer  le 
plus  tôt  possible  un  campement  salubre  k  leurs  troupes.  En  consé- 
quence, ils  ont  l'honneur  de  prévenir  Son  Exe.  de  la  nécessité  où 
ils  se  trouveront  vers  le  milieu  du  mois  de  février  de  se  mettre 
en  marche  pour  Orizaba  et  pour  Jalapa,  où  ils  espèrent  qu'il  leur 
sera  fait  un  accueil  sincèrement  amical  y>  ^^K 

Juarez  ne  s'y  disposait  guère  ;  le  25  janvier,  il  avait  fait  Loi  du  25  jauvici- 
paraître  une  loi  de  terreur,  prononçant  la  peine  de  mort 
contre  les  étrangers  qui  avaient  envahi  le  territoire  sans 
déclaration  de  guerre,  et  contre  les  Mexicains  qui  les  secon- 
deraient de  quelque  manière  que  ce  fût,  assisteraient  à  des 
juntes,  ou  accepteraient  des  emplois  donnés  par  eux  ou  par 
leurs  délégués  (^). 

(')  L'amiral  au  ministre  de  la  marine,  3  février  1862. 

(2)  Les  articles  de  cette  loi  furent  invoqués  dans  l'acte  d'accusation  dressé  contre 
l'empereur  Maximilien  et  les  généraux  Miramon  et  Mejia,  faits  prisonniers  avec 
lui  à  Queretaro.  (Lettre  du  général  Ignacio  Mejia,  ministre  de  la  guerre  de  Juarez, 
au  général  Escobedo  ;  San  Luis  de  Potosi.  21  mai  18G7.)  D'ailleurs,  des  décrets 


78  l*"^  PARTIE.  CHAPITRE    II. 

^862.  Depuis  longtemps,  du  reste,  les  armes  dont  Juarez  se 

servait  étaient  employées  par  les  partis  qui  déchiraient  le 
pays, 

Orpiiisoiion         Pendant  ces  pourparlers,  l'amiral  poursuivait  activement 

(lu  corps  ... 

exi.édiiionnaire.  l'organisatiou  de  son  petit  corps  d'armée.  Il  trouvait  de 
grandes  difficultés  à  constituer  des  moyens  de  transports. 
Dans  l'impossibilité  de  se  procurer  des  voitures,  il  avait  dû 
se  décider  à  en  faire  construire  et  mettre  les  ouvriers  de 
la  flotte  à  la  disposition  des  entrepreneurs  ;  on  avait  com- 
mandé à  la  Havane  les  roues,  les  essieux,  les  harnais  ;  on 
achetait  à  des  prix  excessifs  tout  ce  que  l'on  découvrait  en 
fait  de  mules,  de  chevaux,  de  bâts,  de  harnachements  ; 
mais  les  Espagnols  et  les  Anglais,  dont  la  pénurie  n'était 
pas  moins  grande,  faisaient  une  véritable  concurrence. 

Les  Espagnols,  désespérant  de  pouvoir  utiliser  les  mules 
sauvages  qu'ils  avaient  achetées  au  Mexique,  s'étaient 
vus  obligés  de  demander  des  attelages  à  l'île  de  Cuba. 

Les  troupes  se  trouvaient  heureusement  dans  des  condi- 
tions relativement  assez  bonnes  au  camp  de  la  Tejeria. 
L'amiral,  désirant  y  envoyer  les  compagnies  d'infanterie 
de  marine  restées  jusqu'alors  à  Vera-Cruz,  pria  le  géné- 


aussi  barbares  avaient  éLe  plus  d'une  fois  rendus  au  Mexique;  nous  citerons  les 
deux  suivants  : 

«  Ordre  adressé  par  le  général  Miramon  au  général  Marquez  après  la  bataille 
de  Tncubaya.  Mexico,  11  avril  1801  :  — Dans  l'après-midi  de  ce  jour  et  sous  votre 
plus  stricte  responsabilité,  vous  donnerez  l'ordre  de  fusiller  tous  les  prisonniers 
du  grade  d'officier,  et  m'informerez  de  leur  nombre.  » 

«  Le  général  Marquez  au  peuple  de  Mexico  :  —  En  vertu  des  pouvoirs  dont  je  suis 
investi,  je  décrète  :  1°  B.  Juarez,  et  ceux  qui  reconnaissent  son  f,^ouverneiiient  et 
lui  obéissent,  sont  déclarés  traîtres  au  pays,  ainsi  que  tous  ceux  qui  l'aident 
directement  ou  indirectement,  quelque  peu  que  ce  soit. 

«  2"  Tous  les  individus  compri?  dans  une  des  catégories  ci-dessus  spéci- 
fiées seront  immédiatement  fusillés  sans  autre  formalité  que  la  constatation  de 
leur  identité,  ■. 


l'amiral    JURIEN    de    la    GRAVIÈRE.  79 

rai  Prim  d'en  retirer  les  détachements  espagnols,  afin  ^8C5. 
d'éviter  l'encombrement.  Il  saisissait  ainsi  cette  occasion 
de  séparer  les  troupes  des  deux  puissances,  entre  les- 
quelles ne  s'étaient  pas  formées  de  bonnes  relations  de 
camaraderie  ;  de  plus,  les  Espagnols,  malgré  une  disci- 
pline sévère,  ne  s'étaient  pas  concilié  les  sympathies  des 
Mexicains,  qu'une  haine  traditionnelle  éloignait  d'eux,  et  les 
bons  rapports  qui  tendaient  à  s'établir  entre  nos  soldats  et 
les  gens  du  pays  auraient  pu  souffrir  de  leur  voisinage  (*). 

Comme  les  puits  de  la  Tejerîa  menaçaient  de  tarir,  l'a- 
miral fit  demander  au  général  Uraga  s'il  verrait  avec  dé- 
plaisir les  troupes  françaises  s'avancer  jusqu'au  petit  village 
de  San  Juan  de  la  Loma,  à  13  kilomètres  plus  loin.  Le  gé- 
néral mexicain  y  consentit  volontiers,  et  ce  point  fut  occupé 
le  27  janvier  par  les  corps  du  camp  de  la  Tejeria,  tandis 
que  les  compagnies  d'infanterie  de  marine  les  remplaçaient 
dans  leur  ancien  campement.  Le  matériel  destiné  à  ces 
compagnies  n'étant  pas  encore  arrivé,  l'amiral  fit  installer 
des  tentes  avec  des  voiles  de  rechange  et  des  bouts  de  mât, 
et  les  bâtiments  prêtèrent  leurs  chaudières  pour  remplacer 
les  marmites  et  les  bidons. 

Enfin,  le  30  janvier,  la  Meuse  apporta  le  matériel  de  la 
batterie  de  4  et  le  matériel  de  campement  si  impatiemment 
attendu.  La  section  de  l!2  des  marins,  qu'on  n'était  pas  par- 
venu à  organiser  d'une  manière  satisfaisante,  fut  licenciée. 

L'amiral  allait  donc  se  trouver  bientôt  à  même  de  faire 
mouvoir  ses  troupes.  Il  n'avait  cessé,  du  reste,  d'affirmer 
à  ses  collègues  son  intention  bien  arrêtée  de  s'avancer  dans 
l'intérieur  dès  qu'il  le  pourrait.  Ceux-ci,  malgré  leurs  dis- 
positions pacifiques,  étaient  forcés  de  reconnaître  que  l'atti- 

i*)  L'amiral  au  ministre  de  lu  maiirn',  24  janvier. 


80  1""  PARTIE.  CHAPITRE    II. 

4862.  lude  du  gouvernement  mexicain  les  obligerait  peut-être  à 
prendre  de  vive  force  les  cantonnements  salubrcs  qu'ils 
avaient  cru  plus  opportun  d'obtenir  de  sa  condescendance, 
et  le  général  Prim  manifesta  l'intention  de  faire  venir  de  la 
Havane  un  renfort  de  quatre  bataillons  qui  se  tenaient  prêts 
à  partir  ('). 

De  son  côté  le  commodore  Dunlop  prit  sur  lui,  malgré 
la  rigueur  de  ses  instructions,  d'ordonner  à  l'île  de  Cuba 
l'achat  des  tentes  et  des  mulets  nécessaires,  pour  que  le 
contingcînt  anglais  pût  suivre  les  troupes  franco-espagnole?. 

La  nécessité  de  s'éloigner  d'une  côte  aussi  malsaine  se 
faisait  en  effet  vivement  sentir  ;  le  2  février,  le  général  Prim 
avait  déjà  dû  renvoyer  à  la  Havane  800  hommes  malades,  et 
le  corps  expéditionnaire  français  comptait  à  la  même  époque 
335  indisponibles  sur  un  effectif  total  de  3073  homme?. 

Les  maladies  n'avaient  cependant  pas  abattu  le  moral 
des  troupes  ;  l'amiral  s'en  assura  en  allant  visiter  les  camps 
de  la  Tejeria  et  de  San  Juan  (6  février),  mais  il  était  à 
craindre  que  les  hommes  qui  avaient  été  atteints  par  les 
fièvres  n'eussent  plus  assez  de  forces  pour  porter  leurs 
sacs.  Les  soldats  d'infanterie  de  marine,  dont  la  santé  était 
déjà  épuisée  par  un  long  séjour  dans  les  pays  chauds,  étaient 
les  plus  éprouvés;  ils  résistaient  moins  bien  que  les  zouaves 
et  que  les  matelots  aux  influences  pernicieuses  du  climat  (^). 
La  batterie  de  montagne  se  rendit  de  Vera-Gruz  à  la  Te- 
jeria, et  deux  des  chariots  que  l'on  avait  fait  construire 
allèrent  porter  des  vivres  à  San  Juan.  Le  mouvement  qui 
avait  lieu  dans  les  camps  français  et  la  visite  de  l'amiral 
firent  craindre  au  général  Uraga  que  les  troupes  ne  se  dis- 
posassent à  marcher  en  avant.  Il  envoya  de  suite  un  de 

(1)  L'amiral  au  ministre  do  la  marine,  21  janvier  1.S02. 

(2)  L'amiral  au  minisire  de  la  marine,  7  février. 


l'amiral  jurien  de  la  gravière.  81 

ses  officiers  à  l'amiral  Jurien,  pour  le  prier  d'attendre         i8G2. 
quelques  jours  encore,  car  on  ne  pouvait,  disait-il,  tarder 
à  recevoir  la  réponse  du  gouvernement  aux  dernières  com- 
munications des  alliés. 

Cette  démarche  du  général  mexicain  témoignait  de  ses 
bonnes  dispositions  personnelles  ;  tous  les  officiers  mexi- 
cains avec  lesquels  on  avait  été  fortuitement  en  rapport 
montraient  de  même  une  grande  sympathie  pour  les  Fran- 
çais, mais  ils  ne  dissimulaient  pas  leur  haine  contre 
les  Espagnols.  Ces  sentiments  faisaient  espérer  à  l'amiral 
qu'un  certain  nombre  d'hommes  du  parti  conservateur  se 
grouperaient  volontiers  autour  du  drapeau  français,  lorsque 
les  troupes  s'avanceraient  dans  l'intérieur  ;  mais  il  était 
cependant  obligé  de  reconnaître  que  la  masse  de  la  popu- 
lation semblait  incliner  plutôt  vers  la  réforme  que  vers 
le  parti  réactionnaire,  et  déjà,  avant  le  commencement  des 
hostilités,  des  guérillas  à  la  tète  desquels  se  mettaient  des 
chefs  libéraux,  la  plupart  indiens  ou  métis,  surgissaient  dans 
la  terre  chaude,  faisaient  le  vide  autour  des  troupes  étran- 
gères et  battaient  le  pays  pour  arrêter  les  émigrés  récem- 
ment débarqués  (particulièrement  le  Père  Miranda)  (*). 

La  réponse  de  M.  Doblado  à  la  deuxième  note  des  com-       Réponse 

.        ,    ,j.  p  in'"-.  do  Doblado  à  la 

missaires  allies  arriva  a  Vera-Cruz  le  9  levrier.  douxieme  noie. 


ï  Le  gouvernement  mexicain  ignore  encore,  disait-il,  quelle 
peut  être  la  mission  que  les  commissaires  alliés  viennent  remplir 
au  Mexique,  parce  que,  jusqu'à  ce  moment,  ils  ont  seulement  indi- 
qué des  promesses  vagues  et  dont  personne  ne  comprend  le  véri- 
table objet;  il  ne  peut  permettre  que  les  troupes  envahissantes 
s'avancent,  à  moins  que  l'on  ne  règle  avec  clarté  et  précision  cer- 
taines bases  générales  qui  feront  connaître  les  intentions  des  alliés 

(1)  L'amiral  au  ministre  de  la  marine,  7  février. 


82  l"  PARTIE.  CHAPITi.E    II. 

4862.         ''t  qiic  l'on  ne  négocie  ensuite  avec  prudence  au  sujet  des  intérêts 
—  importants  qui  doivent  être  discutés. 

«  Le  citoyen  président  m'ordonne  de  dire  pour  plus  ample  ex- 
plication, que  si  Vos  Seigneuri(;s  envoient  promptement  àCordova 
un  commissaire  pour  discuter  avec  un  autre  commissaire  du  gou- 
vernement les  bases  mentionnées,  on  donnera  l'ordre  de  permettre 
d'avancer  jusqu'aux  points  dont  on  conviendra.  » 

Troisième  noie.  Les  comiTiissaires  alliés  répondirent  que  la  note  de 
M.  Doblado  ne  modifiait  en  rien  leurs  déterminations,  et  ils 
l'invitèrent  à  se  rendre  le  18  février  à  la  Purga  (à  moitié 
chemin  de  la  Tejeria  et  de  la  Soledad),  pour  y  conférer  avec 
le  général  Prim . 
^     .  ,  ,  Au  môme  moment,  le  général  Uraera,  de  la  courtoisie 

Le  gênerai  . 

zaragosa  rem-    duciuel  l'amiral  Juricn  n'avait  qu'à  se  louer,  fut  rappelé  par 

place  le  gênerai  '^  ^  ?  j.  i  j. 

Uraga.  \q  gouvernement  de  Juarez,  qui  l'accusait  de  trop  de  sympa- 
thies pour  les  Européens,  et  remplacé  dans  le  commande- 
ment de  l'armée  d'Orient  par  le  général  Zaragosa,  homme 
exalté  et  animé  de  dispositions  très-hostiles  à  l'intervention 
étrangère  (^). 

Dès  son  arrivée,  le  nouveau  commandant  de  l'armée 
mexicaine  adressa  au  général  Prim,  qu'il  feignait  de  consi- 
dérer comme  le  chef  de  l'expédition,  une  lettre  injurieu- 
sement  hautaine  pour  le  prévenir  qu'il  tolérait  que  les  alliés 
conservassent  les  cantonnements  de  Medelin,  de  la  Tejeria 
et  de  San  Juan,  mais  que  loccupation  de  tout  autre  point 
serait  considérée  comme  un  acte  d'agression  de  leur  part. 
Cette  déclaration  était  évidemment  à  l'adresse  du  général 
espagnol  qui  venait  récemment  d'envoyer  un  bataillon  à 
Santa  Fé  entre  San  Juan  et  Vera-Gruz. 

Le  général  Prim  fut  vivement  offensé  des  termes  de  cette 
communication;  mais  Sir  Ch.  Wyke  le  calma  peu  à  peu, 

(•)  i,';miiral  au  mini>tre  îles  affaircf»  élrangores,  Iti  février  18G2. 


l'amiral   JURIEN   DE    LA    GRAVIÈRE.  83 

atténua  les  expressions  et  modifia  le  sens  de  la  réponse  qu'il        48G2. 
voulait  tout  d'abord  envoyer  au  général  mexicain.  Les  com- 
missaires alliés  se  contentèrent  de  se  plaindre  à  M.  Doblado 
de  l'étrange  procédé  du  général  Zaragosa  (^). 

L'amiral  Jurien  eût  désiré  qu'une  démonstration  mili- 
taire vînt  mettre  un  terme  à  tous  ces  atermoiements  et  aux 
procédés  tour  à  tour  rusés  et  hautains  du  gouvernement  de 
Juarez,  mais  il  ne  pouvait  se  séparer  complètement  de  ses 
alliés.  Le  général  Prim  se  montrait  parfois  disposé  à  com- 
mencer les  opérations  militaires  ;  il  discutait  alors  un  plan 
de  campagne  avec  le  commandant  en  chef  des  troupes 
françaises,  demandait  à  la  Havane  les  quatre  bataillons  qui 
se  tenaient  à  sa  disposition  et  acceptait  l'offre  de  l'amiral 
Jurien  de  les  faire  transporter  sur  les  frégates  françaises 
alors  mouillées  dans  ce  port  ;  mais  bientôt  il  voyait  surgir 
devant  lui  toutes  les  difficultés  inhérentes  à  une  marche  à 
travers  un  pays  désert,  dans  lequel  ses  troupes  ne  se- 
raient pas  suivies  d'un  convoi  suffisant;  les  conseils  de  Sir 
Gh.  Wyke  l'amenaient  à  faire  toutes  les  concessions  possibles 
pour  arriver  à  une  solution  pacifique.  On  se  demandait,  en 
outre,  si  certaines  considérations  personnelles  n'exerçaient 
pas  quelque  influence  sur  sa  conduite  pohtique.  L'arrivée 
à  Vera-Gruz(14  février)  de  la  comtesse  de  Reus  sa  femme, 
parente,  comme  on  le  sait,  d'un  des  ministres  de  Juarez, 
n'était  peut-être  pas  étrangère  aux  projets  ambitieux  qu'on 
lui  supposait. 

Le  général  Zaragosa  établit  son  quartier  général  à  la 
Solerlad,  occupa  la  route  d'Orizaba  et  confia  au  général  La 
Llave  le  soin  de  défendre  celle  de  Jalapa  en  prenant  pour 
points  d'appui  les  fortes  positions  de  Puente-Nacional  et  de 

(*)  L'amiral  au  ministre  des  affaires  étrangAres,  15  février  1862. 


84  l""  PARTIE.  CHAPITRE   IF. 

4862.  Gorral-Falso,  sur  lesquelles  on  avait  transporté  quelques- 
unes  des  grosses  pièces  provenant  du  château  de  Saint-Jean 
d'Ulloa.  Au  même  moment  le  général  Prim,  craignant  que 
la  haine  des  Mexicains  n'amenât  une  démonstration  contre 
les  Espagnols  cantonnés  à  Medelin,  pria  ses  collègues  d'y 
envoyer  quelques  forces  françaises  et  anglaises  afin  de  pré- 
venir une  attaque  ('). 

La  compagnie  de  débarquement  de  la  Foudre  et  une 
compagnie  anglaise  s'y  rendirent  le  13  février;  elles  en 
revinrent  le  15,  aucune  tentative  hostile  n'ayant  été  faite 
par  les  Mexicains, 

Convention  Les   commîssaires   alliés  reçurent  alors  la  réponse  de 

■19  fév.  I8G2.  ^^'  Doblado  à  leurs  dernières  notes.  Il  acceptait  pour  le  19, 
à  la  Soledad,  la  conférence  qui  lui  avait  été  offerte  avec  le 
général  Prim. 

Cette  entrevue  eut  lieu  au  jour  fixé  ;  M.  Doblado  de- 
manda tout  d'abord  que  les  commissaires  opposassent  une 
dénégation  précise  aux  projets  monarchiques  attribués  à  la 
France  et  à  ceux  de  restauration  de  la  domination  espa- 
gnole que  l'on  prêtait  au  cabinet  de  Madrid  ;  il  voulait 
obtenir  une  reconnaissance  formelle  du  gouvernement  ac- 
tuel du  Mexique  et  la  remise  des  douanes  de  Vera-Cruz 
entre  les  mains  de  l'administration  mexicaine. 

Cédant  sur  quelques  points,  résistant  sur  d'autres, 
disposé  d'ailleurs  à  négocier  plutôt  qu'à  combattre ,  et 
se  sachant  appuyé  dans  ce  sens  par  les  représentants 
de  l'Angleterre ,  le  général  Prim  signa  des  prélimi- 
naires, devenus  célèbres  sous  le  nom  de  Convention  de  la 
Soledad. 

(•)  L'amiral  au  niinislre  des  aiïairos  i-trangi'Tos,  \o  février  1861. 


l'amiral   JDRIEN    de    la  GRAVIÈRE.  85 

CONVENTION.  '•SSÎ. 

Article  1".  —  Etant  admis  que  le  gouvernement  constitution- 
nel, qui  régit  actuellement  la  Piépublique  du  Mexique,  a  déclaré 
aux  commissaires  des  puissances  alliées,  qu'il  n'a  pas  besoin  du 
secours  que  ces  commissaires  ont  offert  avec  tant  de  bienveillance 
au  peuple  mexicain,  attendu  qu'il  possède  en  lui-même  les  éléments 
de  force  et  d'opinion  nécessaires  pour  se  maintenir  contre  toute  lé- 
olte  intestine,  les  alliés  se  placent  dès  à  présent  sur  le  terrain  des 
traités  pour  formuler  toutes  les  réclamations  qu'ils  ont  à  faire  au 
nom  de  leurs  nations  respectives. 

Art.  2.  —  Dans  ce  but ,  les  représentants  des  puissances  al- 
liées protestant,  comme  ils  protestent,  qu'ils  n'ont  aucune  intention 
de  porter  atteinte  à  l'indépendance,  à  la  souveraineté  et  à  l'intégrité 
du  territoire  de  la  République,  des  négociations  s'ouvriront  à  Ori- 
zaba,  où  devront  se  réunir  MM.  les  commissaires  et  deux  des  mi- 
nistres du  gouvernement  de  la  République,  h  moins  que  des  deux 
côtés  on  ne  convienne  de  se  faire  représenter  par  des  délégués. 

Art.  3.  —  Pendant  la  durée  des  négociations ,  les  forces  des 
puissances  alliées  occuperont  les  trois  villes  de  Cordova,  Orizaba 
et  Tehuacan  avec  leurs  rayons  naturels. 

Art.  4.  —  Afin  qu'il  ne  puisse  entrer  dans  la  pensée  de  per- 
sonne que  les  alliés  ont  signé  ces  préliminaires  pour  se  procurer 
le  passage  des  positions  fortifiées  qu'occupe  l'armée  mexicaine,  il 
est  stipulé  que  si,  malheureusement,  les  négociations  venaient  à  se 
rompre,  les  forces  alliées  évacueraient  les  villes  susdites  et  retour- 
neraient se  placer  sur  la  ligne  qui  est  en  deçà  desdites  fortifications, 
sur  le  chemin  de  la  Yera-Gruz;  les  points  extrêmes  principaux  en 
étant  celui  de  Paso-Ancho,  sur  la  route  de  Cordova  et  celui  de  Paso 
de  Ovejas,  sur  la  route  de  Jalapa. 

Art.  5.  —  S'il  arrivait  malheureusement  que  les  négociations  se 
rompissent  et  que  les  troupes  alliées  se  retirassent  sur  la  ligne  in- 
diquée dans  l'ai'ticle  précédent,  les  hôpitaux  qu'elles  auraient  éta- 
blis resteraient  sous  la  sauvegarde  de  la  nation  mexicaine. 

Art.  6.  —  Le  jour  où  les  troupes  alliées  se  mettront  en  marche 
pour  occuper  les  points  indiqués  dans  l'article  3,  le  pavillon  mexi- 
cain sera  arboré  sur  la  ville  de  la  Yera-Gruz  et  sur  le  château  de 
Saint-Jean  d'Ulloa. 

Soledad,  le  19  février  1862. 

Ces  préliminaires  furent  approuvés  et  signés  dans  la  nuit 
môme  par  les  compiissaircs  français  et  anglais. 


86  l'^  PARTIE.  —  CHAPITRE   II. 

4862.  Ils  furent  ratines  le  23  février,  par  le  président  Juarez. 

La  Convention  de  la  Soledad  avait  pour  résultat  immé- 
diat de  permettre  aux  alliés  d'occuper,  sans  coup  férir, 
des  positions  salubres  lorsque  déjà  leurs  effectifs  étaient 
considérablement  affaiblis  par  la  maladie  et  qu'il  paraissait 
impossible  d'entreprendre  avec  des  chances  de  succès  une 
campagne  sérieuse.  (') 

Pour  Juarez,  elle  avait  l'avantage  d'impliquer  de  la  part 
des  puissances  alliées  une  sorte  de  reconnaissance  de  son 
gouvernement  ;  elle  lui  faisait  gagner  du  temps  pour  orga- 
niser la  résistance  et  attendre  l'éclosion  des  germes  de  dé- 
saccord dont  il  pressentait  l'existence  chez  ses  adversaires. 

Organisation         La  convcntiou  de  la  Soledad  avait  ouvert  aux  troupes 

d'un  convoi.  n-         ,  •  ,,,.,.  , 

alhees  1  accès  des  provinces  de  1  niterieur  ;  au  moment  de  se 
mettre  en  marche,  l'amiral  Jurien  appréciait  mieux  encore 
les  difFicultés  dont  sans  doute  il  ne  lui  aurait  pas  été  pos- 
sible de  triompher,  si  au  lieu  de  s'avancer  pacifiquement, 
il  lui  avait  fallu  combattre.  La  grosse  question  était  tou- 
jours celle  des  transports  et  de  l'organisation  d'un  convoi, 
susceptible  de  suivre  les  troupes  avec  les  vivres  néces- 
saires, pour  la  traversée  des  vingt  lieues  de  pays  inculte 
et  sans  ressources ,  qui  séparent  Vera-Gruz  du  Chiqui- 
huite. 

Le  commerce  local  emploie  ordinairement,  outre  les 
bêtes  de  somme  très-nombreuses  au  Mexique,  deux  sortes 
de  voitures  :  de  petites  charrettes  à  deux  roues,  attelées  de 
quatre  mules  de  front,  ou  préférablement  de  gros  chariots 
à  quatre  roues  traînés  par  huit  ou  dix  mules,  quelquefois 

(')  Sur  un  cfTeclif  de  6,000  hommes,  les  Espagnols  n'avaient  que  4,000 
liommcs  on  titat  de  combaUre;  —  les  Français  coiiiplaicnt  400  à  500  malades. 
(L'amiral  au  ministre  des  affaires  étrangères,  15  février.) 


I 


l'amiral  JDRIEN    DK   la    GUAVIÈUE.  87 

par  seize  ou  vingt-quatre,  selon  le  poids  du  chargement 
qui  excède  parfois  3,000  kilogrammes. 

Ces  voitures,  d'importation  américaine,  dont  la  construc- 
tion est  appropriée  au  mauvais  état  habituel  des  routes  du 
pays,  ne  peuvent  être  conduites  que  par  des  hommes  fort 
adroits  et  habitués  à  ce  métier.  Un  seul  arriero,  monté  sur 
la  mule  de  derrière,  suffit  alors  pour  diriger  ces  longs  at- 
telages. Les  chariots  voyagent  ordinairement  par  groupes 
ou  partidas  de  10  à  12,  sous  les  ordres  d'un  majordome  et 
de  deux  aides  à  cheval.  La  partida  se  compose  donc  généra- 
lement de  15  hommes  et  de  150  à  1  GO  animaux.  Chaque  soir 
elle  campe,  et  les  mules  sont  parquées  entre  les  voitures  du 
convoi.  On  évaluait  en  temps  ordinaire  à  450  fr.  environ  la 
dépense  journalière  d'une  partida  de  12  voitures,  et  à  40,000 
francs  le  fret  de  cette  partida  de  Vera-Cruz  à  Mexico  (^). 

Ce  trajet  d'un  peu  moins  de  100  lieues  se  fait  en  moyenne 
en  vingt  jours  ;  mais,  pendant  la  saison  des  pluies,  il  arrive 
souvent  que  les  voitures  restent  embourbées  des  mois  en- 
tiers sans  pouvoir  avancer  ni  reculer. 

C'était  sur  ces  données  que  l'amiral  devait  se  baser 
pour  organiser  ses  transports.  Le  mieux  était  évidemment 
d'affréter  ou  d'acheter  un  certain  nombre  de  partidas; 
mais  jusqu'alors  le  gouvernement  mexicain  les  avait  empê- 
chées de  descendre  vers  la  mer.  Le  commandant  Lagé, 
chargé  de  créer  le  convoi,  était  sérieusement  embarrassé. 
En  réparant  deux  vieux  chariots  abandonnés  aux  environs 
de  Yera-Cruz,  en  faisant  des  commandes  à  la  Havane  et 
à  des  entrepreneurs  de  Vera-Cruz  même  ;  en  payant  le 
double   de  leur  valeur  (^)  quelques  voitures   trouvées  à 

(1)  Rapport  du  commandant  Lagé.  (Archives  de  la  marine.) 

(2)  Le  prix  normal  d'un  chariot  à  4  roues  avec  son  alteluKe  est  d'environ 
7,000  francs. 


1862. 


bo  l'^   PARUE.  CHAPITRE    II. 

4862.        grand'peine,  il  était  enfin  arrivé,  lorsque  furent  signés  les 
préliminaires  de  la Soledad,  à  réunir: 

11  chariots  à  quatre  roues  portant.  .  ,   .   .  30,000  kil. 

30  charrettes  à  deux  roues.  .   .  , 20,000  kil. 

3  voitures  d'ambulance  pour  22  malades. 

Ce  petit  convoi  pouvait  porter  huit  jours  de  vivres  pour 
3,200  hommes,  sans  comprendre  le  fourrage  des  animaux, 
dont  l'effectif  était  alors  d'environ  1,100,  y  compris  300 
bêtes  de  trait  du  convoi. 

Pour  atteler  ces  voitures,  on  n'avait  que  des  mules 
presque  sauvages,  et  pour  les  conduire,  un  détachement 
de  120  matelots  créoles,  que  l'amiral  avait  fait  débarquer 
dans  ce  but,  hommes  mous,  sans  énergie  et  qui  n'étaient 
nullement  aptes  à  ce  service.  Le  commandant  Lagé  n'avait 
pu  recruter  que  neuf  arriéres  mexicains  (*). 

L'organisation  de  la  batterie  de  montagne  et  surtout 
celle  de  la  batterie  de  4  avaient  également  présenté  de 
grandes  difficultés.  Le  matériel  de  cette  dernière,  embar- 
qué sur  la  Meuse,  n'était  arrivé  à  Vera-Gruz  que  le  30  jan- 
vier. Les  ouvriers  avaient  dû  travailler  jour  et  nuit  afin  de 
le  mettre  en  état,  faire  les  réparations  nécessaires  et  ajus- 
ter les  harnais  beaucoup  trop  larges  pour  les  mules  achetées 
aux  Antilles  ou  au  Mexique.  Les  conducteurs,  pris  en 
grande  partie  parmi  les  indigènes  de  la  Guadeloupe,  étaient 
aussi  inexpérimentés  que  ceux  du  convoi,  et  les  canonniers 
d'artillerie  de  marine  affectés  à  ces  pièces  n'étaient  pas 
familiarisés  avec  ce  nouveau  service.  Enfin,  la  batterie  de  4 
put  sortir  de  Vera-Gruz  le  19  février  ;  elle  alla  bivouaquer 
le  môme  jour  à  Santa  Fé  et  se  rendit  le  lendemain  au  camp 
de  la  Tejeria.  Le  parc  y  arriva  à  son  tour  le  22  février. 

(')  Rapport  du  couinuindant  L;i;,'é,  20  février. 


l'amiral   JUlUEi\    J)E    LA    GRAVIÈUE.  89 

A  la  suite  de  la  Convention  de  la  Soledad,  il  avait  été  ar-        18G2. 
rêté  que  les  troupes  françaises  seraient  cantonnées  àTehua-        Déi'art 

,  .  .  _  des  troupes  fran- 

can,  petite  ville  à  45  lieues  de  Yera-Cruz  et  à  38  lieues        caiscs 

pour  Teluiacan. 

au  sud-est  de  Puebla,  et  que  les  Espagnols  iraient  occu-      26  février. 
perOrizaba  etCordova.  Les  Anglais  devaient  partager  avec 
les  Espagnols  l'occupation  de  cette  dernière  ville ,  mais  les 
ordres  que   reçut  le  commodore  Dunlop  lui  défendirent 
de  s'éloigner  de  la  côte. 

Le  24  février,  l'amiral  ayant  terminé  ses  préparatifs,  ou 
plus  exactement  voyant  qu'il  lui  était  impossible  de  se 
créer  de  nouvelles  ressources  à  Yera-Cruz,  fit  prévenir 
ses  collègues  que,  sans  attendre  la  ratification  de  la  Con- 
vention de  la  Soledad  par  le  président  Juarez,  mais  per- 
suadé qu'aucune  entrave  ne  serait  apportée  à  la  marche  de 
ses  troupes,  il  les  mettrait  en  mouvement  le  2G  février. 
Malgré  quelques  objections  soulevées  par  le  général  Prini, 
qui  n'était  pas  encore,  disait-il,  en  mesure  de  le  suivre, 
et  parle  commodore  Dunlop,  il  maintint  sa  résolution.  Le 
25  février,  il  se  rendit  lui-même  à  la  Tejeria  et  y  fit  con- 
centrer les  troupes  du  camp  de  San-Juan  ('\ 

Il  devenait  urgent,  en  effet,  d'éloigner  les  soldats  des 
parages  malsains  de  la  Yera-Cruz.  La  fièvre  jaune,  qui 
d'ordinaire  n'apparaît  qu'au  mois  de  mai,  avait  déjà  fait 
plusieurs  victimes,  et  leur  nombre  allait  grossissant  chaque 
jour.  Les  conditions  climatériques  de  l'année  avaient  été 
exceptionnellement  mauvaises  ;  les  communications  fré- 
quentes avec  la  Havane,  l'agglomération  des  troupes  étaient 
en  outre  autant  de  circonstances  malheureuses  qui  venaient 
s'ajouter  aux  conséquences  d'une  chaleur  excessive. 

La  traversée  des  terres  chaudes  inspirait  de  grandes  in- 

(')  L'amiral  Jurien  au  ministre  de  la  marine,  24  février  1862. 


90  f  PAUTIE.   —  CHAriTllE    II. 

'1862.  quiétudes  à  l'amiral,  qui  se  rappelait  les  fatigues  de  la  pre- 
mière étape  de  Vera-Cruz  à  la  Tejeria.  Gomment  les  sol- 
dats, affaiblis  par  six  semaines  de  séjour  dans  des  camps 
insalubres,  lourdement  chargés,  puisqu'on  était  forcé  de 
leur  faire  emporter  quatre  jours  de  vivres,  pour  la  plupart 
peu  habitués  à  la  marche,  et  dépourvus  de  cette  expérience 
de  détails  qui  s'acquiert  seulement  après  quelques  jours  de 
campagne,  résisteraient-ils  aux  épreuves  qui  les  atten- 
daient? 

On  avait  deux  jours  de  marche  pour  arriver  à  la  Soledad , 
le  premier  village  (si  l'on  peut  donner  ce  nom  à  3  mai- 
sons en  pierre  avec  quelques  cases  en  bois)  que  l'on  ren- 
contre en  partant  de  la  Tejeria.  Pour  se  rendre  à  Gordova, 
la  première  ville  où  l'on  pût  trouver  quelques  ressources, 
l'amiral  comptait  faire  sept  étapes  de  14  à  15  kilomètres 
en  moyenne.  Jusqu'à  la  Soledad  et  à  cette  époque  de  l'an- 
née la  route  est  bonne,  mais  le  pays  est  désert  ;  les  endroits 
portés  sur  certaines  cartes  avec  les  noms  de  Mata  Gordera, 
Santa  Ana,  La  Purga ,  Arroyo  de  Piedras ,  Mata  India, 
indiquaient  seulement  l'emplacement  de  cases  misérables, 
abandonnées  la  plupart  du  temps  et  auprès  desquelles,  à  la 
suite  de  grandes  pluies,  on  trouve  un  peu  d'eau  au  fond 
de  trous  bourbeux  ;  mais  les  habitants  de  ces  pauvres  abris 
sont  ordinairement  obligés  d'aller  chercher  l'eau  qui  leur 
est  nécessaire,  soit  au  Pdo  Jamapa,  qui  coule  à  quelques  ki- 
lomètres à  gauche  de  la  roule,  soit  au  Rio  San  Juan,  qui 
est  à  peu  près  à  la  même  distance,  à  droite.  G'est  là  aussi 
que  vont  se  désaltérer  les  nombreux  bestiaux  de  l'hacienda 
de  San  Juan  de  la  Estancia,  qui  vivent  en  liberté  dans 
la  campagne.  L'amiral  décida  que  la  colonne  irait,  le  pre- 
mier jour,  bivouaquer  sur  le  bord  du  Rio  Jamapa  à  3  kilo- 
mètres à  gauche  de  la  Purga  et  que  le  lendemain  on  ga- 


l'amiral  jcrien  de  la  gravièue.  91 

gnerait  la  Soledad;    la  première    étape  étant  ainsi    de 
18  kilomètres  et  la  deuxième  de  15. 

Un  officier  fut  envoyé,  le  25  au  soir,  reconnaître  la  route 
en  avant  de  la  Tejeria  ;  il  fut  bientôt  arrêté  par  les  avant- 
postes  mexicains  et  forcé  de  rétrograder.  Les  troupes  mexi- 
caines paraissaient  donc  disposées  à  barrer  le  passage,  et 
l'amiral  en  fit  aussitôt  prévenir  le  général  Prim,  en  lui  con- 
firmant du  reste  son  intention  de  se  mettre  en  mouvement 
le  lendemain.  Le  général  Prim  parut  vivement  contrarié  de 
cette  détermination.  Il  finit  cependant  par  répondre  :  «  Que 
l'amiral  marche  donc  ;  je  ne  suis  pas  prêt,  mais  je  le  sui- 
vrai !>('). 

M.  de  Saligny,  prétextant  le  mauvais  état  de  sa  santé, 
resta  à  Vera-Cruz.  Il  n'existait  pas  de  relations  très-sympa- 
thiques entre  lui  et  l'amiral,  avec  lequel  il  différait  souvent 
de  manière  de  voir,  et  dont  il  ne  partageait  ni  la  prudence 
ni  la  modération. 

Le  26  février  au  point  du  jour,  c'est-à-dire  vers  six 
heures,  les  troupes  françaises  quittèrent  le  camp  de  la  Te- 
jeria ;  on  y  laissa  seulement  un  petit  détachement  pour 
garder  une  ambulance  provisoire. 

Après  quelques  pourparlers  avec  les  avant-postes  mexi- 
cains, la  route  fut  laissée  libre  ;  pendant  un  instant  l'amiral 
avait  cru  qu'ils  essaieraient  de  s'opposer  à  son  passage,  mais 
la  ratification  des  préliminaires  ayant  été  apportée  dans 
la  journée  même,  les  troupes  mexicaines  se  replièrent. 

La  tête  de  la  colonne  française  n'arriva  au  bivouac  que 
vers  midi,  et  encore  les  officiers  n'amenaient-ils  avec  eux 
que  le  tiers  de  leur  effectif.  L'amiral,  remontant  de  suite  à 
cheval,  revint  sur  ses  pas  se  faisant  suivre  par  les  mulets 

<*)  Rapport  (lu  commandant  Thomasset  à  l'amiral,  26  février  1862. 


-186?. 


92  l'^  PARTIE .  CHAPITRE    II. 

<862.  d'ambulance  et  par  les  cavaliers  de  la  colonne,  portant  des 
bidons  remplis  d'eau  ;  le  spectacle  dont  il  fut  témoin  était 
navrant. 

Les  soldats,  épuisés,  haletants,  se  traînaient  sur  la  route  ; 
les  mulets,  couchés  à  terre  ou  se  roulant  avec  leurs  charges, 
ne  voulaient  plus  avancer.  Cependant  peu  à  peu  les  traî- 
nards, auxquels  on  apportait  à  boire,  purent  se  remettre  en 
marche  et  rejoignirent  successivement  le  bivouac  ;  à  la  nuit 
tombante,  les  mulets  d'ambulance  ramenèrent  les  derniers. 
Deux  soldats  d'infanterie  de  marine  succombèrent  à  une 
insolation.  Le  soir,  pour  donner  de  la  viande  aux  troupes, 
on  abattit  à  coups  de  fusil  quelques  taureaux  sauvages  qui 
erraient  autour  du  camp.  Il  avait  été  impossible  d'amener 
le  troupeau  jusqu'à  l'étape  (^). 

Quant  au  convoi,  il  resta  en  chemin.  Les  conducteurs, 
manquant  d'expérience,  avaient  eu  besoin  de  toute  la  ma- 
tinée pour  harnacher  et  atteler  les  animaux  ;  les  voitures  ne 
s'étaient  mises  en  route  qu'à  2  heures  du  soir,  et  à  8  heures 
elles  n'avaient  encore  fait  que  4  kilomètres.  Il  fut  évident 
que  jamais  elles  ne  parviendraient  à  suivre  les  troupes. 
L'amiral  se  décida  à  les  laisser  marcher  à  petites  jour- 
nées, comme  elles  le  pourraient,  sous  l'escorte  de  la  com- 
pagnie de  débarquement  de  la  Foudre. 

La  seconde  étape  fut  moins  pénible.  La  colonne,  étant 
partie  de  la  Purga  à  2  heures  du  soir,  arriva  à  la  Soledad 
une  heure  après  le  coucher  du  soleil.  Elle  y  resta  deux 
jours  ;  le  lendemain,  les  voitures  d'artillerie  allèrent  cher- 
cher 76  hommes  malades  laissés  à  la  Purga,  et  le  surlende- 
main des  mulets  furent  encore  envoyés  au-devant  du  convoi, 
pour  ramener  des  voitures  de  vivres. 

(')  L'amiral  au  luiuislro  de  la  marine,  27  février  1862. 


l'a-Miral  jurien  de  la  GRâVIÈRE.  9'i 

L'histoire  de  la  campagne  du  Mexique  ne  présente  1862. 
aucun  épisode  comparable  à  ces  premières  étapes.  Bien 
des  fois  les  troupes  exécutèrent,  dans  les  terres  chaudes, 
des  marches  plus  fatigantes  et  surtout  plus  longues  ; 
on  ne  saurait  attribuer  les  accidents  survenus  à  d'autre 
cause  qu'à  l'inexpérience  des  officiers  et  des  soldats, 
nullement  préparés  par  leur  éducation  antérieure  aux 
fatigues  d'une  campagne  de  cette  nature.  C'est  qu'on 
ne  peut  sans  inconvénient,  souvent  même  sans  danger, 
changer  la  spécialité  de  chaque  troupe  ;  la  valeur  morale 
ne  supplée  pas  à  tout  :  aussi  aurait-il  mieux  valu  laisser 
les  soldats  de  marine  dans  les  colonies,  les  marins  à  bord 
de  leurs  vaisseaux  et  envoyer  au  Mexique  une  petite  bri- 
gade de  vieilles  troupes  aguerries  par  un  séjour  en  Afrique, 
quatre-vingts  malades  et  deux  cents  hommes  hors  d'état 
de  marcher  restèrent  à  la  Soledad ,  et  en  quatre  jours  la 
colonne  n'avait  fait  que  huit  lieues.  Que  serait-il  advenu  si 
l'ennemi  avait  voulu  lui  barrer  la  route  et  si  les  guérillas 
étaient  venues  harceler  ces  malheureux  soldats  épuisés  par 
la  fatigue  et  la  fièvre  ? 

L'amiral,  ne  voulant  pas  être  rejoint  par  les  Espagnols, 
quitta  la  Soledad  le  2  mars.  Il  avait  formé  un  convoi  léger 
de  six  voitures  pour  porter  une  petite  réserve  de  vivres.  Ces 
charrettes  à  peine  chargées  ne  purent  cependant  faire  plus 
de  deux  kilomètres  le  premier  jour.  On  dut  encore  les 
abandonner,  comme  on  avait  fait  du  grand  convoi.  Heu- 
reusement des  vivres  frais  avaient  été  préparés  sur  le  Chi- 
quihuite  par  les  soins  de  l'administration  française.  La 
colonne  y  arriva  le  4  mars. 

Le  Rio  Chiquihuite  est  la  limite  de  la  terre  chaude. 
Il  coule  à  onze  Heues  de  la  Soledad,  au  pied  de  fortes 
positions,  formées  par  les  contreforts  inférieurs  du  pic 


94  i'"  PARTIE,  CHAPlTIiE    II. 

d'Orizaba,  et  sur  lesquelles  les  Mexicains  avaient  com- 
mencé des  fortifications  et  élevé  des  batteries. 

Dans  de  profondes  déchirures,  coulent  trois  ruisseaux,  le 
Rio  San  Alejo,  le  Rio  Ghiquihuite  et  le  Rio  Atoyac.  Des 
ponts  de  pierre  d'une  seule  arche  donnent  passage  à  la  route, 
dont  les  lacets  sont  tracés  sur  les  berges  rapides  et  escarpées 
des  ravins.  L'eau  n'est  pas  profonde,  et  les  ruisseaux  se- 
raient la  plupart  du  temps  guéables  si  des  rampes  praticables 
étaient  ouvertes  aux  voitures.  Bien  qu'il  fût  possible  de  les 
tourner  au  sud  par  le  chemin  de  San  Juan  de  la  Punta,  les 
Mexicains  attachaient  une  grande  importance  à  ces  posi- 
tions, etc'est  pourquoi  Doblado  avait  stipulé,  dans  les  préli- 
minaires de  la  Soledad,  qu'en  cas  de  rupture  des  hostilités, 
les  troupes  alliées  rétrograderaient  au  delà  de  cette  ligne  de 
défense. 

Le  5  mars,  les  troupes  françaises  entrèrent  à  Gordova. 
Leurs  misères  étaient  finies ,  car  elles  devaient  trouver  dé- 
sormais des  ressources  suffisantes  et  une  température  plus 
supportable. 

Le  7  mars,  après  avoir  gravi  le  cerro  Cacalote,  escalier 
gigantesque  de  300  mètres  de  hauteur,  qui  sépare  le  pla- 
teau de  Gordova  de  celui  d'Orizaba,  elles  arrivèrent  dans 
cette  ville.  Elles  y  séjournèrent  le  8(*)  ;  le  9,  un  peu  avant 
l'arrivée  de  la  colonne  des  troupes  espagnoles,  elles  repar- 
tirent avec  un  convoi  de  23  chariots  mexicains,  que  l'on 
avait  enfin  pu  se  procurer. 

(•)  Un  immense  dc'saslrc  venait  d'atteindre  le  corps  d'armée  du  général  Zaragosa. 
Une  brigade  de  la  division  Ignacio  Mejia  était  logée  à  San  Andrès  dans  un  cou- 
vent abandonne.  Une  explosion  des  approvisionnements  de  poudre  qu'on  y  avait 
placés  lit  écrouler  ce  bâtiment.  Sur  un  cffeciif  de  1,450  honuues,  l,Of>D  furent 
écrasés  sous  les  ruines.  Selon  la  coutume  des  troiipes  mexicaines ,  400  femmes 
accompagnaient  celte  brigade  ;  200  furent  tuées.  On  releva  2G0  hommes  et 
25  femmes  blessés.  I/amiral  envoya  deux  médecins  de  sa  colonne  porter  secours 
à  ces  victimes. 


l'amiral   JURIEN    liE    LA    GRAVIÈRE.  95 

Les  Espagnols,  marchant  en  deux  colonnes,  avaient  suivi         '802. 
de  près  les  troupes  françaises.  Le  7  mars,  une  de  leurs 
brigades  s'était  installée  à  Gordova  ;  l'autre  prit  ses  canton- 
nements à  Orizaba  le  9. 

Le  10  mars,  la  colonne  française  campa  près  d'Acultzingo, 
au  pied  des  Gumbres,  qu'elle  franchit  le  lendemain  sans 
de  trop  grandes  difficultés  ('). 

Deux  jours  après,  les  troupes,  remises  de  leurs  premières 
épreuves,  marchant  bien  et  présentant  un  bel  aspect  mili- 
taire, arrivèrent  à  Tehuacan. 

La  marche  du  convoi  avait  été  bien  plus  pénible.  Il  est  Réorganisation 
douteux  qu'il  fût  parvenu  à  franchir  les  défilés  du  Ghiqui-  ,ie  transVort. 
Imite,  si  l'amiral  ne  lui  eût  envoyé  des  attelages  frais,  et 
s'il  ne  lui  était  venu  de  Vera-Gruz  un  renfort  d'une 
quarantaine  de  mules  récemment  arrivées  de  la  Havane. 
Enfin,  grâce  à  des  efforts  continuels,  les  dernières  voi- 
tures furent  réunies  à  Tehuacan,  le  21  mars,  vingt-cinq 
jours  après  leur  départ  de  la  Tejeria  (^). 

Un  deuxième  convoi  arriva  le  24  mars.  G'était  celui  que 
le  Commodore  Dunlop  avait  réuni  à  grands  frais  pour  ses 
troupes.  Le  gouvernement  anglais,  désapprouvant  sa  con- 


(*)  Les  Gumbres  d'Acultzingo  sont  formées  par  deux  contre-forts  étroits  et 
aljruptes  fjiii  se  détachent  du  pic  d'Orizaba.  Les  grandes  Gumbres  ont  une  hau- 
eur  de  OSO  mètres  au-dessus  d'Acultzingo.  La  route  les  gravit  en  traçant  vingt- 
rois  lacets  d'un  développement  de  plus  de  sept  kilomètres.  Les  petites  Gumbres 
s'élèvent  sur  une  ligne  parallèle,  prescpie  aussi  âpres  et  aussi  difficiles,  bien 
qu'elles  ne  soient  qu'à  150  mètres  d'élévation  au-dessus  de  la  vallée  du  Puente 
Colorado,  qui  les  sépare  des  grandes  Gumbres. 

La  route  de  Mexico  franchit  les  petites  Gumbres  ;  celle  de  Tehuacan ,  que 
devait  suivre  la  colonne  frani;aise,  longe  la  vallée  du  Puente  Colorado  et  n'offre 
plus  d'obstacles. 

(^)  Rapport  de  M.  Devarenne. —  Le  commandant Uoze  au  ministre  de  la  marine 
11  mars. 


9()  l"  PARTIE.  CHAPITRE    II. 

^862.  duite,  avait  laissé  ce  matériel  à  sa  charge,  et  l'amiral  Jurien, 
autant  pour  l'aider  à  sortir  d'embarras  que  pour  augmenter 
ses  propres  ressources,  le  lui  avait  acheté  au  prix  coû- 
tant O. 

Ces  voitures  étaient  parties  de  la  Tejeria  le  8  mars,  sous 
les  ordres  de  M.  le  commandant  Alleyron,  qui  avait  em- 
mené avec  lui  presque  tous  les  hommes  restés  sur  ce  point 
et  avait  rallié  en  passant  ceux  que  l'on  avait  laissés  à 
la  Soledad  (ensemble  environ  600  hommes).  Mais  les  res- 
sources trouvées  dans  l'intérieur  permettaient  maintenant 
à  l'amiral  de  modifier  l'organisation  de  ses  transports  et  de 
supprimer  le  convoi,  qu'il  avait  eu  tant  de  peines  à  cons- 
tituer et  surtout  à  faire  mouvoir.  Un  marché  fut  conclu 
avec  un  entrepreneur  qui  prit  à  sa  charge  tout  le  matériel 
en  état  de  servir.  Quel  que  dût  être  l'avenir  de  l'expédi- 
tion, les  plus  grandes  difficultés  étaient  vaincues  ;  on  avait 
désormais  la  certitude  de  pouvoir  faire  suivre  les  troupes 
par  des  transports  convenablement  organisés,  condition 
indispensable  de  toute  opération  militaire  et  qui  certaine- 
ment n'aurait  pu  être  remplie  si  la  Convention  de  la  Sole- 
dad n'eût  ouvert  le  pays  (^). 


(0  Le  convoi  anglais,  qui  fut  paye  environ  3,000,000  de  francs,  se  compo- 
sait de  : 

o  chariots  à  4  roues  ; 

2  dili^'encos  ; 

i  voiture  d"ambulance  ; 

14  charrettes  ù  2  roues; 

Une  certaine  quantité  de  matériel  de  toute  nature  ; 

54  chevaux  ; 

200  mules  avec  les  harnachements  et  les  accessoires. 

26  arriéres  mexicains  avaient  été  engagés  pour  la  conduite  des  mules  de  Lût 
et  des  voilures. 

(2)  Une  des  causes  qui  assurèrent  le  succès  de  l'expédition  des  Américains  en 
1847  fut  certainement  la  bonne  organisation  de  leurs  convois.  Ils  avaient  amené 
ù  Vera-Cruz  3,0(iO  rhnriois  et  l.j.OOO  mulets. 


l'amiral   JURIEN    DE    LA    GRAYIÈRE.  97 

En  quittant  Vera-Gruz ,  les  commandants  des  troupes  i3G2. 
alliées  avaient  décidé  qu'il  y  serait  laissé  une  garnison  mixte 
de  cent  hommes  de  chaque  nation.  M.  le  capitaine  de  vais- 
seau Roze  fut  désigné  par  l'amiral  pour  commander  à  la 
fois  l'escadre  et  les  troupes  à  terre,  mission  périlleuse  qui 
exigeait  une  énergie  peu  commune.  Le  28  février,  en  effet, 
vingt-neuf  hommes  étaient  déjà  morts,  159  malades  étaient 
à  l'hôpital  de  Vera-Cruz  et  122  à  l'ambulance  de  la  Te- 
jeria.  En  rade,  l'état  sanitaire  était  assez  satisfaisant,  mais 
les  équipages  des  bâtiments,  réduits  à  un  eff"ectif  insuffi- 
sant, étaient  soumis  aux  plus  rudes  fatigues  (').  Outre  le 
service  du  bord  et  celui  de  la  rade,  ils  avaient  à  fournir  des 
infirmiers  pour  les  hôpitaux  et  des  corvées  pour  garder  et 
soigner  les  bêtes  de  somme  et  de  trait  que  l'on  rassemblait 
en  prévision  de  l'arrivée  probable  de  renforts  :  aussi  l'ami- 
ral demandait-il  au  gouverneur  de  la  Martinique  de  lui 
envoyer  des  soldats  d'infanterie  de  marine,  des  artilleurs, 
des  gendarmes,  des  ouvriers  du  génie  et  surtout  250  ma- 
telots noirs,  les  seuls  qui  pussent  être  employés  sans  dan- 
ger aux  travaux  du  port  sous  le  soleil  brûlant  de  Yera- 
Gruz. 

Plus  obscurs  peut-être  que  les  services  des  troupes  dé- 
barquées, ceux  des  équipages  de  la  flotte  étaient  non  moins 


(')  On  avait  débarqué  : 

430  hommes  pour  le  bataillon  de  uiariiis  fusiliers; 

80       —      pour  la  batterie  de  montagne  ; 

20       —       comme  auxiliaires  du  génie  ; 
100       —       attachés  au  convoi  ; 

70      —       de  la  compagnie  de  débarquement  de  la  Foudre. 

Tolal.  .  720  hommes,  sans  compter  les  ordonnances  des  officiers. 

Tons  ces  hommes  étaient  des   marins   de  choix,  dont  le  départ  affaiblissait 
sensiblement  les  équipages. 


98  l"  PARTIE.  CMAPITRE    II. 

-1862.  importants;  nos  marins  y  montrèrent  une  constance, 
une  abnégation,  une  fidélité  au  devoir  dignes  d'admi- 
ration. (') 

(1)  L'amiral  au  ministre  de  la  marine,  20  février  ;  —  L'amiral  au  gouverneur 
de  la  Martinique,  15  février  :  —  Le  commandant  Roze  au  ministre  de  la  marine, 
28  février. 


CHAPITRE  TROISIÈME. 


SOMMAIRE. 

Impressions  des  gouvernements  anglais  et  français  en  apprenant  le  débarquement 
des  Espagnols  à  Vera-Cruz.  —  Envoi  au  Mexique  d'une  brigade  de  renfort 
sous  les  ordres  du  général  de  Lorencez.  —  Le  général  Almonte.  —  Exécu- 
tion du  général  Roblès.  —  Débarquement  et  mise  on  route  des  renforts.  — 
Les  troupes  cantonnées  à  Tehuacan  rétrogradent.  —  Instructions  envoyées  par 
les  trois  gouvernements  à  leurs  commissaires,  motivées  sur  les  divergences  qui 
s'étaient  produites  entre  eux.  —  Jugement  porté  sur  l'ultimatum  proposé  par 
M.  de  Saligny.  —  Conférence  du  9  avril.  —  Rupture  de  l'alliance.  —  Echange 
de  notes  avec  le  gouvernement  mexicain.  —  Proclamation  des  commissaires 
français  à  la  nation  mexicaine.  —  Décret  de  Juarez.  —  Dispositions  des  chefs 
du  parti  conservateur.  —  Plan  de  Cordova.  —  Départ  des  troupes  anglaises 
et  espagnoles.  —  Le  général  de  Lorcncez  à  Cordova.  —  Lettre  du  général 
Zaragosa  relative  aux  malades  laissés  à  Orizaba.  —  Le  général  de  Lorencez  se 
décide  à  marcher  sur  Orizaba.  — Combat  du  Fortin  (19  avril).  —  Proclama- 
lion  du  général  de  Lorencez.  —  Le  Gouvernement  français  désapprouve  la 
convention  de  la  Soledad.  —  Rappel  de  l'amiral.  —  Jugement  porté  sur  la 
convention  de  la  Soledad  par  les  gouvernements  alliés.  —  Politique  adoptée 
par  les  trois  puissances  à  la  suite  de  la  rupture  de  l'alliance. 

En  apprenant  que  les  Espagnols  avaient  pris  possession     impressions 

1      TT  ^  11  1  1    •  1    p  "^t'*  fe'ouverne- 

de  vera-Cruz  sans  attendre  les  escadres  anglaise  et  iran-  ments  anglais  et 

,.  français 

çaise,  les  gouvernements  de  France  et  d  Angleterre  ne  dis-     en  apprcnnm 

^  °  ^  le   .lébannumcnt 

simulèrent  pas  leur  mécontentement.  des  Espagnols 

Aux  explications  qui  lui  furent  demandées,  le  cabinet  de 
Madrid  répondit  qu'il  regrettait  fort  ce  malentendu,  que 


à  Vera-Crui. 


100  T"    PARTIE,  —  CHAPITRE   III. 

'iscâ.  le  contre-ordre  n'était  sans  doute  pas  arrivé  à  temps  à  la 
Havane,  que  du  reste  l'Espagne  ne  poursuivait  aucun  but 
particulier. 

Or,  dès  le  23  septembre,  nous  l'avons  déjà  dit,  les  minis- 
tres anglais  avaient  exprimé  le  désir  que  l'Espagne  ajour- 
nât le  départ  de  ses  troupes,  jusqu'au  moment  où  les  trois 
puissances  se  seraient  mises  d'accord;  on  le  leur  avait 
promis  et  cependant,  jusqu'au  12  novembre,  aucune  nou- 
velle instruction  n'avait  été  envoyée  à  cet  égard  au  capi- 
taine général  de  Cuba.  «  Les  explications  qu'on  m'a  don- 
nées relativement  au  départ  anticipé  des  troupes  de  la 
Havane  ne  me  satisfont  pas,  répondit  lord  Russell,  mais  je 
veux  bien  croire  cependant  que  le  gouvernement  espagnol 
n'a  pas  voulu  violer  le  traité.  » 

L'empereur  Napoléon  ne  se  montra  pas  plus  convaincu 
par  les  raisons  que  lui  apporta  l'ambassadeur  d'Espagne,  et, 
selon  les  expressions  mêmes  de  M.  Mon,  «  il  resta  dans  son 
esprit  ridée  que  l'Espagne  avait  eu  quelque  plan  particulier 
en  hâtant  le  départ  de  l'expédition  (^).  » 

Il  fit  immédiatement  savoir  au  cabinet  anglais(^)  (15  jan- 
vier 1862)  qu'il  jugeait  nécessaire  d'envoyer  au  Mexique  de 
nouvelles  troupes  de  terre,  parce  que  la  précipitation  des 
Espagnols  aurait  nécessairement  pour  résultat  d'augmenter 
les  difficultés  de  l'expédition,  et  qu'on  se  trouverait  sans 
doute  dans  la  nécessité  de  s'avancer  dans  l'intérieur  du 
pays.  L'effectif  des  troupes  expéditionnaires  ne  lui  pa- 
raissait plus  suffisant,  et  l'expédition  elle-même,  pensait-il, 
pouvait  prendre  un  caractère  tel  qu'il  ne  lui  convenait  pas 
de  voir  les  troupes  françaises,  dont  le  chiftVe  était  trop  in- 


(I)  Discour;;  de  M.  Won  aux  Corlùs  espagnoles,  7  janvier  1803. 
W  M.  de  Flaliaul  à  loni  Uupscll,  lo  janvier  1802. 


l'aîIIR.  JURIEN  UE  la  GRAVIÈRE  ET  LE  GÉN.  DE  LORENCEZ.     101 

férieur  à  celui  des  forces  espagnoles,  courir  le  risque  d'être         1862. 
compromises  (*). 

LordRussell  répondit  que,  de  son  côté,  le  gouvernement 
anglais  ne  croyait  pas  opportun  d'augmenter  le  chiffre  de 
ses  forces,  mais  que  du  reste  il  ne  pouvait  faire  aucune  op- 
position à  la  détermination  prise  par  l'Empereur,  si  regret- 
table qu'elle  lui  parût. 

L'Espagne,  dissimulant  sans  aucun  doute  ses  impressions, 
trouvait,  disait-elle,  que  cette  mesure  était  sage  et  qu'elle 
contribuerait  assurément  au  succès  de  l'expédition  (-). 

Cet  incident  fut  toutefois  l'occasion  d'un  rapprochement 
entre  les  gouvernements  anglais  et  espagnol,  qui  s'alar- 
mèrent de  la  politique  dans  laquelle  la  France  paraissait 
vouloir  s'engager  de  plus  en  plus  ;  ils  convinrent  de  nouveau 
qu'ils  s'abstiendraient,  formellement,  de  toute  ingérence 
dans  l'établissement  d'un  gouvernement  nouveau  au 
Mexique  ('). 

Déjà,  au  commencement  du  mois  de  janvier  1862,  l'Em-  Emoi  au  Mexique 

.  ,,  nr      •  £  d'une  brigade 

pereur  avait  eu  1  mtention  d  envoyer  au  Mexique  un  rentort  de  renfort 
de  500  zouaves  W;  mais,  lorsqu'il  reçut  la  nouvelle  du  dé-  du^ générai 
barquement  anticipé  des  Espagnols,  il  donna  l'ordre  d'or- 
ganiser une  brigade  complète,  dont  il  confia  le  commande- 
ment au  général  de  Lorencez.  Il  se  proposait  ainsi 
d'augmenter  l'influence  des  commissaires  français  dans  le 
sein  de  la  conférence  et  de  «  leur  permettre  de  suivre  une 
ligne  de  conduite  indépendante,  »  si.  comme  il  le  craignait, 


de  Lorenccz. 


(')  Lord  Russell  à  lord  Cowley,  20  janvier  1862. 

(2)  Discours  de  M.  Bemmdezde  Castro  au  Sénat  espagnol,  17  décembre  1802. 

(')  C'est  à  cette  occasion  que  le  maréchal  O'Donneli  exprima  l'opinion  précé- 
demment citée,  que  le  projet  d'établir  une  monarchie  au  Mexique  sous  un  prince 
européen,  même  sous  un  prince  espagnol,  lui  semblait  «  si  exlravagant  qu'il 
mérilait  à  peine  d'être  discuté  « , 

(<)  Le  ministre  de  la  marine  au  ministre  de  la  guerre,  0  janvier  1862. 


102  l""*   PARTIE.  CHAPITRE  III. 

4862.        la  politique  de  l'Espagne  n'était  pas  en  harmonie  avec  ses 
vuesC*). 

Il  faut  observer  que  les  dépêches  de  l'amiral  Jurien  au 
sujet  des  divergences  d'opinions  des  commissaires  alliés 
n'arrivèrent  à  Paris  que  postérieurement  à  cette  décision. 
La  brigade  de  Lorencez  fut  composée  de  la  manière  sui- 
vante : 

Un  bataillon  du  2*' zouaves 1143  hommes. 

Deux  bataillons  du  99^  de  ligne 1544 

Le  l''*  bataillon  de  chasseurs  à  pied.  .  .     720 

Une  batterie  du  9«  d'artillerie 203 

Une  compagnie  du  génie 158 

Un  escadron  du  2"  chasseurs  d'Afrique.  173 
Un  escadron  du  train  des  équipages.  .  269 
Troupes  d'administration  et  infirmiers.  216 
Etat-major  et  intendance 48 

Total 4,474  hommes. 

Et  616  chevaux  et  mulets. 

Elle  fut  transportée  au  Mexique  sur  huit  bâtiments  de 
guerre  (^). 

En  envoyant  un  officier  général  de  l'armée  de  terre 
prendre  le  commandement  des  troupes  de  l'expédition, 
l'Empereur  avait  réservé  la  direction  des  affaires  politiques 
à  M.  de  Saligny  et  au  contre-amiral  Jurien,  qui  fut  élevé  au 
grade  de  vice-amiral. 

Cessant  toute  action  directe  sur  les  troupes  expédition- 
naires, le  rôle  de  l'amiral  devait  désormais  se  borner  à  in- 
diquer, de  concert  avec  M.  de  Saligny,  «  la  portée  et  le  but 
des  opérations  militaires  à  entreprendre.  » 

<')  Le  minislrt'  à  raniiral  Jurien,  irj  janvier. 

(2)  Situations  d'cnibarqucinent.  (Voir  à  l'Appendice  le  détail  du  Iransporl), 


l'aMIR.  JURIEN  de  la  GRAVIÈRE  ET  LE  GÉN.  DE  LORENCEZ.    103 

Le  ministre  de  la  guerre  remit  au  général  de  Lorencez         1862. 
les  instructions  suivantes  : 

«  L'amiral  reste  chef  de  l'expédition  au  point  de  vue  politique, 
maritime  et  commercial  :  c'est  lui  qui  aura  à  fixer,  le  cas  échéant, 
les  points  de  débarquement,  la  portée  des  opérations  de  guerre  à 
accomplir.  Ce  principe  établi,  c'està  vous  que,sur  terre,  appartiennent 
le  commandement  et  l'action;  c'est  vous  qui  maintiendrez  l'ordre 
entre  les  troupes  débarquées,  qui  aurez  à  prendre  les  précautions 
nécessaires  pour  assurer  leur  existence  et  leur  santé  ;  c'est  vous  qui 
aurez  à  les  mettre  en  mouvement,  à  les  diriger,  à  les  faire  agir  pour 
obtenir  le  but  indiqué. 

«■  Ces  deux  parts  de  commandement  ne  sauraient  être  définies 
d'une  manière  assez  précise  pour  éviter  les  embarras  et  les  tiraille- 
ments, si  vous  et  l'amiral  n'apportiez  pas  dans  vos  relations  l'esprit 
conciHant  et  facile  que  les  circonstances  vous  imposent,  et  que 
votre  dévouement  à  l'Empereur  et  au  pays  vous  inspireraient  au 
besoin. 

«  L'amiral  Jurien,  qui  a  déjà,  dans  cette  opération,  donné  plus 
d'une  preuve  de  son  excellent  esprit,  ne  prendra  certainement 
aucune  résolution  importante,  en  ce  qui  concerne  sa  part  d'auto- 
rité, sans  s'accorder  avec  vous.  De  votre  côté,  tant  que  vous  serez 
à  sa  portée,  vous  ne  réglerez  pas  l'emploi  de  vos  moyens  d'action 
sans  les  lui  avoir  fait  connaître  et  sans  lui  en  expliquer  le  but  et  la 
portée. 

«  Dans  certains  cas  ces  communications  pourront  vous  fournir 
d'utiles  lumières;  elles  seront  toujours  un  témoignage  de  déférence 
pour  l'amiral,  qui  y  a  droit  sous  tous  les  rapports,  » 

Le  général  de  Lorencez,  accompagné  de  son  état-major  et 
du  sous-intendant  chef  des  services  administratifs,  partit  de 
Cherbourg  le  28  janvier.  Il  arriva  à  Vera-Cruz  le  6  mars. 

Les  colonnes  française  et  espagnole  venaient  à  peine  de 
se  mettre  en  mouvement,  et  n'avaient  pas  encore  dépassé 
Corde  va. 

Le  général  de  Lorencez  était  loin  de  s'attendre  à  la  situa- 
tion qu'avait  créée  la  convention  do  laSoIedad.  «  II  s'est 


]  04  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE   III. 

1862.  passé  et  il  se  passe  ici  des  choses  étranges,  dont  l'Empereur 
est  aujourd'hui  informé ,  écrivait-il  au  ministre  de  la 
guerre  (^).  De  facile  qu'elle  était,  la  situation  est  devenue 
compliquée  et  difficile.  J'ai  vu  M.  de  Saligny  et  le  général 
Almonte.  » 
Le  général  Le  général  Almonte  C^)  remplissait  h  Paris  les  fonctions 
de  ministre  du  Mexique  pendant  la  présidence  de  Miramon. 
Il  n'avait  joué  qu'un  rôle  assez  effacé  dans  les  luttes  poli- 
tiques de  son  pays,  et  n'avait  pris  qu'une  part  éloignée  aux 
intrigues  de  restauration  monarchique.  Pour  cette  raison 
même,  il  avait  paru  plus  propre  que  tout  autre  à  ménager 
la  transition  entre  la  République  et  la  Monarchie  ;  d'un  ca- 
ractère froid,  n'ayant  pas  une  influence  personnelle  dont  on 
pût  prendre  ombrage,  vu  avec  une  certaine  sympathie  par 
l'empereur  Napoléon,  il  avait  été  choisi  par  les  émigrés 
pour  représenter  officiellement  leur  parti  et  préparer 
l'avènement  de  l'archiduc  Maximilien.  L'Empereur  l'avait 
beaucoup  engagé  à  se  rendre  au  Mexique,  et  il  devait  s'em- 
barquer sur  le  même  bâtiment  que  le  général  de  Lorencez, 
dont  le  départ  avait  été  retardé  de  deux  jours  pour  l'at- 
tendre ;  diverses  circonstances  l'en  ayant  empêché,  il  prit 
passage  sur  le  paquebot  de  la  correspondance  régulière  et 
arriva  à  Vera-Cruz  quelques  jours  avant  le  nouveau  com- 
mandant du  corps  expéditionnaire.  Les  lettres  de  l'Empe- 
reur, dont  il  était  porteur,  lui  donnaient  en  quelque  sorte 
une  position  semi-officielle.  Les  commissaires  français 
étaient  invités  à  l'aider  de  leur  influence  et  à  lui  prêter 
l'assistance  pécuniaire  dont  il  aurait  besoin. 

(')  Le  général  de  Lorcncez  au  ministre,  6  mars  1862. 

(2)  Né  vers  1812,  de  race  indienne,  le  général  Alinonle  passe  pour  être  le  lils 
du  cure  Morelos.  11  fut  élevé  aux  Etats-Unis,  servit  comme  aide  de  camp  auprès 
de  Santa-AnnapiMidant  la  campagne  du  Texas  en  1836,  et  représenta  le  Mexique 
succcisivemciit  aux  Etats-Unis  et  en  Fran:c. 


l'aMIR.  JL'RIEN  de  la  GRAVlÈIiE  ET  LE  GÉN.  DE  LORENCtZ.     105 

Mais,  à  son  arrivée,  il  avait  été  fort  désagréablement  sur-  i862. 
pris  de  l'état  dans  lequel  se  trouvaient  les  affaires.  Il  avait 
espéré  que  le  gouvernement  de  Juarez  serait  déjà  renversé 
ou  près  de  l'être;  et  loin  de  là,  il  se  voyait  en  présence 
d'un  pouvoir  considérablement  fortifié,  depuis  qu'il  avait 
été  reconnu  par  les  puissances  européennes,  résultat  impli- 
cite des  conventions  diplomatiques  récentes.  Son  premier 
mouvement  fut  de  retourner  en  Europe,  mais  M.  de  Sali- 
gny  l'en  dissuada.  Quant  au  général  de  Lorencez,  il  accepta 
d'abord  avec  peine  l'obligation  imposée  par  la  conven- 
tion de  la  Soledad,  de  ramener  les  troupes  en  deçà  du 
Chiquihuite  avant  de  commencer  les  hostilités. 

A  la  vérité,  M.  de  Saligny  «  se  prétendait  en  mesure 
d'établir  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  de  se  préoccuper  des 
préliminaires  de  la  Soledad.  Il  était  d'avis  qu'on  ne 
devait  plus  tenir  aucun  compte  du  gouvernement  mexi- 
cain ,  harcelé  de  toutes  parts ,  qui  avait  déjà  violé  lui- 
même  les  préliminaires  et  qui  était  sur  le  point  de  suc- 
comber ». 

Cependant  l'amiral  Jurien  prévenait  au  contraire  le  gé- 
néral de  Lorencez,  que  des  incidents  nouveaux  l'amène- 
raient sans  doute  à  vouloir  reprendre  sa  liberté  d'action  et 
que  pour  se  conformer  aux  préliminaires  de  la  Soledad,  il 
se  disposait  à  rétrograder.  «  Cette  résolution  était  blâmée 
à  tous  les  points  de  vue  par  M.  de  Saligny  »  :  aussi  le  gé- 
néral de  Lorencez,  déjà  disposé  à  entrer  dans  ces  idées, 
se  hâta  de  se  rendre  à  Tehuacan ,  espérant  faire  revenir 
l'amiral  sur  sa  détermination  (*). 

«  M.  de  Saligny  et  l'amiral  Jurien  ont  des  appréciations 
fort  opposées  sur  les  choses  et  les  hommes  du  Mexique,  » 

f)  Le  colonel  Valaze,  chef  d'etat-major  gcnerul,  au  ministre,  22  mars. 


106  l"  PARTIE.  CUAPITKE  III. 

^^-  écrivait  au  ministre  le  colonel  Valazé,  chef  d'état-major  du 
général  de  Lorencez  (0  ;  «  les  affaires  sont  compliquées  à 
plaisir  »  par  suite  du  manque  d'accord  entre  les  plénipo- 
tentiaires ;  «  elles  me  paraissent  au  fond  si  simples  depuis 
que  je  les  vois  de  près,  que  je  ne  doute  pas  d'une  prochaine 
solution  favorable  à  l'établissement  d'un  gouvernement 
monarchique,  vivement  désiré  par  la  majorité  du  pays  et 
que  la  minorité  est  déjà  résignée  à  subir.  Il  ne  faut  qu'un 
peu  d'appui  au  parti  modéré  toujours  lent  à  se  prononcer 
et  dépourvu  d'initiative  au  Mexique,  comme  dans  tous  les 
pays.  Les  sympathies  pour  la  protection  de  l'Empereur  sont 
incontestables,  et  l'on  est  tout  préparé  à  accepter  la  solu- 
tion à  laquelle  on  soupçonne  qu'il  est  disposé  à  donner  la 
préférence.  » 

De  son  côté,  le  général  de  Lorencez  appréciait  la  situa- 
tion de  la  manière  suivante  C^)  :  «  L'arrivée  de  la  deuxième 
portion  des  troupes  du  corps  expéditionnaire  est  providen- 
tielle. Le  général  Prim  a  dû  renoncer  immédiatement  à 
poursuivre  ses  desseins,  dans  lesquels  il  n'avait  aucune 
chance  de  réussir  ;  mais  l'action  de  nos  Français  arrivés  les 
premiers  eût  été  paralysée  et  leur  situation  eût  été  pleine 
de  difficultés.  Le  général  Prim  sera  rappelé  avant  le  1 5  avril  ; 
les  conférences  n'aboutiront  à  rien,  nous  marcherons  en 
avant,  nous  arriverons  à  Mexico  et  le  prince  Maximilien 
sera  proclamé  souverain  du  Mexique,  où  son  gouverne- 
ment ferme  et  sage  sera  facilement  maintenu  pour  le  bon- 
heur et  la  régénération  du  plus  démoralisé  des  peuples.  » 
Le  31  mars,  le  colonel  Valazé  écrivait  encore  :  «  M.  de 
Saligny  se  sépare  de  plus  en  plus  de  l'amiral,  et  je  suis  très- 
porté  à  lui  donner  raison.  11  préfère  les  moyens  énergiques, 

(')   Lo  colonel  Vaiazii  au  luiuisUi:,  22  mars. 

(2)  Le  g(5ncral  de  Lorencez  au  ministre,  10  mars. 


l'a3IIR.  JDRIEN  de  la  GRAVIÈRE  ET  LE  GÉN.  DE  LOREXCEZ.  107 

se  montre  toujours  d'un  caractère  décidé  et  repousse  avec  ^862. 
hauteur  tout  projet  d'arrangement,  tandis  que  l'amiral 
semble  avoir  mis  toute  sa  confiance,  jusqu'à  présent,  dans 
les  menées  diplomatiques  et  s'étudie  peut-être  trop  à  ne  frois- 
ser personne,  cherchant  à  négocier  avec  tout  le  monde  sans 
jamais  y  réussir.  Le  mouvement  rétrograde  que  l'amiral 
et  le  général  Prim  imposent  évidemment  au  général  de  Lo- 
rencez,  parti  d'ici  avec  le  projet  fort  arrêté  de  l'empêcher, 
va  produire  un  effet  déplorable.  Malgré  tout,  le  gouverne- 
ment de  Juarez  se  décompose  tous  les  jours  davantage.  Il 
n'est  plus  entouré  que  de  gens  disposés  à  l'abandonner. 
Ses  forces  militaires  se  débandent.  Les  chefs  delà  garnison 
de  Mexico  sont  tous  dans  la  voie  de  la  trahison.  Je  suis 
persuadé  qu'une  force  armée,  si  minime  qu'elle  soit,  peut 
s'emparer  de  la  capitale,  sans  autre  difficulté  que  celle  de 
s'approvisionner  de  vivres  pendant  la  route.  » 

Il  est  à  craindre  que  ces  dépêches,  écrites  sans  doute 
avec  quelque  hâte,  et  dans  lesquelles  se  reflètent,  comme 
on  le  voit,  les  idées  de  M.  de  Saligny,  n'aient  contribué  à 
entretenir  le  gouvernement  français  dans  les  dangereuses 
illusions  qu'avaient  pu  faire  naître  les  rapports  antérieurs 
de  son  représentant. 

Le  20  mars,  le  général  de  Lorencez  partit  de  la  Vera-Gruz 
pour  se  rendre  àTehuacan,  où  il  arriva  le  26.  Il  voyagea 
sans  escorte,  avec  quelques  officiers  de  son  état-major. 

Lorsque  le  général  de  Lorencez  rejoignit  l'amiral,  la 
rupture  de  la  triple  alliance  était  déjà  prévue. 

Le  retour  au  Mexique  du  général  Almonte  avait  pro- 
duit une  grande  effervescence  dans  le  pays.  Le  13  mars, 
l'amiral  avait  reçu  du  général  Prim  communication  d'une 
dépêche  de  Doblado,  par  laquelle  le  gouvernement  mexi- 
cain prévenait  les   plénipotentiaires    alliés    que    l'ordre 


108  l"    PARTIE.  CHAPITRE   III. 

4862.  était  donné  d'arrêter  «  les  traîtres  et  les  réactimnaires  »  qui 
voudraient  se  prévaloir  de  la  protection  des  alliés  et  se  ren- 
draient dans  les  districts  de  Tehuacan ,  de  Gordova  et 
d'Orizaba  (*).  Cette  dépêche,  sans  nommer  le  général 
Almonte,  le  désignait  très-clairement. 

Le  général  Prim  ajoutait,  du  reste,  que  Sir  Gh.  Wyke  et 
lui,  regardaient  comme  juste  et  raisonnable  la  prétention 
émise  par  Doblado  et  qu'ils  demandaient  l'assentiment  de 
l'amiral  et  celui  de  M.  de  Saligny  pour  répondre  dans  ce 
sens  au  nom  des  cinq  commissaires. 

Il  ne  pouvait  convenir  aux  commissaires  français  d'ap- 
prouver un  décret  par  lequel  tous  ceux  qui  se  montraient 
disposés  à  accepter  ou  à  soutenir  l'intervention  européenne 
étaient  mis  hors  la  loi.  Sir  Gh.  Wyke  oubliait  sans  doute 
que  les  ministres  anglais  avaient  qualifié  «  d'abominable  » 
la  conduite  des  hommes  actuellement  au  pouvoir,  et  que 
lui-même  avait  réclamé  avec  insistance  l'emploi  de  mesures 
de  rigueur  contre  eux. 

Le  général  Prim  semblait  ne  plus  se  souvenir  que,  dans 
ses  instructions,  il  lui  était  recom.mandé  «  de  se  servir  de 
toutes  les  personnes  influentes  du  pays  et  de  tous  ceux  qui 
voudraient  travailler  à  l'établissement  d'un  gouvernement 
solide  approprié  aux  nécessités  et  aux  croyances  du 
peuple  mexicain.  »  Il  appartenait  au  plénipotentiaire  es- 
pagnol ,  moins  qu'à  tout  autre,  de  repousser  le  général 
Almonte,  qui  avait,  peu  de  temps  auparavant,  consenti  au 
nom  du  gouvernement  de  Miramon  un  traité  fort  avanta- 
geux pour  l'Espagne. 

Quant  à  l'amiral  Jurien,  il  se  montra  plus  logique,  plus 
d'accord  avec  les  idées  qui  avaient  donné  lieu  à  la  conven- 

(')  L'amiral  au  ministre  des  affaires  étrangères,  15  mars.  —  Le  général  Prim 
a  Taniiral,  12  mars. 


l'amir.  jl'rien  i>e  la  gkavière  et  le  gén.  de  lorencez.   109 
tion  de  Londres,  et  il  ne  cessa  de  réclamer  du  gouverne-         ''862. 
ment  mexicain  une  amnistie  générale,  que  celui-ci  persista 
du  reste  à  refuser. 

L'amiral  répondit  donc  au  comte  de  Reus  qu'il  différait 
essentiellement  d'opinion  avec  lui  et  avec  Sir  Ch.  Wyke  O, 
et  il  demanda  la  réunion  de  la  conférence  pour  discuter  les 
points  sur  lesquels  on  ne  s'entendait  pas.  Il  écrivit  aussitôt 
à  M.  de  Saligny  pour  le  prier  de  venir  le  rejoindre. 

Les  manifestations  hostiles  du  gouvernement  mexicain 
ne  se  bornaient  pas  à  la  publication  du  décret  ou  bando 
dont  nous  venons  de  parler.  Doblado  réclamait  la  remise 
aux  fonctionnaires  mexicains  des  douanes  de  Vera-Cruz, 
alors  administrées  parune  commission  des  trois  puissances; 
en  cas  de  refus,  il  menaçait  de  fermer  les  communications 
commerciales  avec  ce  port. 

D'autre  part,  on  exigeait  des  étrangers  résidant  à  Mexico 
l'acquittement  d'un  droit  de  2  1/2  p.  0/0  sur  le  capital  ; 
six  maisons  de  commerce,  parmi  lesquelles  la  maison  dans 
laquelle  le  général  Prim  avait  ses  intérêts,  étaient  taxées 
à  500,000  piastres. 

Cette  mesure  impressionna  vivement  le  plénipotentiaire 
espagnol,  qui  écrivit  aussitôt  à  Doblado  pour  lui  demander 
des  explications  ;  Sir  Ch.  Wyke  lui-même  ne  se  montra  pas 
indifférent  à  ces  molestalions,  qui  se  traduisaient  par  d'im- 
portants dommages  financiers. 

Doblado  répondit  d'une  façon  hautaine,  ce  qui  mil  le 
comble  à  l'exaspération  du  général  Piim.  Le  20  mars,  il 
écrivait  à  l'amiral  : 

«  En  voilà  trop  pour  des  puissances  comme  nous  sommes  ici. 
En  voilà  assez  pour  brûler  nos  papie»i'S  et  marcher  en  soldats.  Réu- 

!')  L'amiral  au  ministro  des  afTairos  otran^'iTCs,  15  mars. 


110  l''   PARTIE.   —  CHAPITRE   III. 

4861  nissons-nous  ici  le  plus  tôt  possible  el  agissons.  J'ai  déjà  prié 

—  M.  de  Saligny  de  venir;  venez  vous-même;  le  commodore  arrivera 

aussi.  Sir  Ch.  Wyke  est  d'accord  avec  moi.  Réunissons-nous  donc 
et  que  cela  finisse.  » 

Le  lendemain,  il  lui  disait  encore  : 

«  Pouvons-nous  permettre  que,  pendant  que  nous  restons  tran- 
quilles dans  nos  cantonnements,  le  gouvernement  continue  ses  vexa- 
tions contre  nos  nationaux?....  Pouvons-nous  permettre  que  l'on 
exige  un  emprunt  forcé  de  500,000  piastres  sur  six  maisons  [dont 
trois  sont  espagnoles?  Voilà,  cher  ami,  une  raison  pour  nous  mon- 
trer. Sir  Cil.  Wyke  et  moi,  dans  une  attitude  plus  énergique  que 
celle  que  nous  avions  quand  nous  nous  sommes  séparés.  Je  vous 
remets  ci-inclus  la  lettre  de  M.  Doblado  et  vous  jugerez,  dans 
votre  noble  orgueil,  si  une  pareille  sécheresse  peut  nous  convenir. 
Vous  trouverez  donc  dans  la  lettre  de  Doblado,  et  dans  mes  ex- 
plications le  véritable  motif  de  notre  humeur  belliqueuse,  et  ne  le 
cherchez  pas  ailleurs,  vous  ne  le  trouveriez  pas.  »  <*^ 

Ces  dispositions  répondaient  aux  désirs  de  l'amiral  ; 
il  eût  voulu  depuis  longtemps  qu'une  action  militaire  éner- 
gique mît  fin  aux  manœuvres  diplomatiques  par  lesquelles 
Doblado,  en  alliant  habilement  la  finesse  à  l'arrogance,  at- 
tendait, pour  rompre  définitivement  et  forcer  les  alliés  à 
reculer  dans  les  terres  chaudes,  la  saison  de  la  fièvre  jaune, 
qui  devait  en  rendre  le  séjour  meurtrier  pour  les  Européens. 

L'amiral  répondit  : 

0.  Je  regrette  comme  vous  les  vexations  dont  vous  vous  plaignez, 
je  les  trouve  odieuses  et  suis  décidé  à  en  exiger  une  juste  satisfac- 
tion; mais  ce  ne  sont  pas  nos  seuls  griefs.  Ce  dont  vous  vous  plai- 
gnez n'est  que  la  continuation  de  l'ancienne  conduite  de  Juarez  et 
de  ses  anciens  attentats.  Vous  avez  consenti  à  entamer  de  nouvelles 
négociations  diplomatiques;  la  continuation  de  nos  griefs  suftit 
pour  les  rompre;  qu'il  en  soit  ainsi;  quant  à  moi,  j'y  suis  prêt; 
depuis  que  nous  soiumes  ici ,  je  vous  ai  demandé  d'imposer  au 
gouvernement  de  Juarez  une  amnistie  formelle,  sincère.  Nous 
voulons  voir  la  volonté  du  peuple  mexicain  se  manifester  légale- 

(1)  Lo  général  Friiii  h  l'amiiMl.  21  mars. 


l'amir.  jdrien  m:  la  oravière  et  le  géx.  de  lorencez.   \  \  { 

mont;  demandons  à  Jiiarez  qu'il  iTy  mcUo  pas  obstacle:  deman-  1862. 

dons-lui  de  révoquer  ses  édils  de  mort;  qu'il  laisse  ses  amis  ~ 

comme  ses  adversaires  exprimer  leur  opinion,  et  alors,  si  le  peuple 
mexicain,  délivré  de  cette  pression  et  de  ses  perpétuelles  menaces 
de  condamnation  à  mort,  vote  pour  la  république,  sous  le  com- 
mandement de  Juarez,  à  la  bonne  heure;  il  sera  dans  son  droit; 
mais  imposez  ou  pour  le  moins  demandez  à  Juarez  une  am- 
nistie. »  ^'> 

Mais  les  dispositions  belliqueuses  du  général  Prim  ne 
furent  pas  de  longue  durée;  comme  toujours  Sir  Gh.Wyke 
calma  son  irritation,  et  tous  deux  en  revinrent  à  appuyer  le 
gouvernement  mexicain  dans  son  décret  contre  les  émigrés, 
accusés  de  revenir  au  Mexique  avec  l'intention  de  renverser 
les  institutions  actuelles  C^). 

On  venait  alors  d'apprendre  que  le  général  Almonte,  le 
Père  Miranda  et  quelques  autres  avaient  quitté  Yera-Gruz 
sous  la  protection  d'un  bataillon  français  récemment  dé- 
barqué. En  effet,  le  général  Almonte  avait  demandé  au 
général  de  Lorencez  une  escorte  pour  s'éloigner  de  la  côte, 
où  la  fièvre  jaune  commençait  à  sévir  avec  une  grande  vio- 
lence ,  et  M.  de  Saligny  ayant  appuyé  cette  demande,  il  fut 
autorisé  à  suivre  un  bataillon  de  chasseurs  à  pied ,  qui 
se  dirigeait  vers  l'intérieur.  Profitant  de  cette  autorisation, 
il  emmena  avec  lui  quelques  personnes  parmi  lesquelles,  à 
l'insu  du  général  de  Lorencez,  se  trouvait  le  Père  Miranda  (^) . 

La  présence  de  ces  personnages  au  milieu  des  soldats 
français  occasionna  dans  le  pays  une  extrême  irritation. 
Le  gouvernement  mexicain,  les  commissaires  anglais  et 
espagnol  considéraient  ce  fait  comme  une  violation  du 
traité  de  la  Soledad  ;  l'amiral  comprit  dès  lors  que  la  rup- 

(1)  L'amiral  au  général  Prim,  22  mars. 

(«)  Le  général  Prim  à  l'amiral,  23  mars. 

(*)  Le  général  de  Lorencez  au  ministre.  12  avril. 


H2  l"   PARTIE.   —  CHAPITRE  III. 

'ises.  ture  était  inévitable  ;  il  écrivit  au  général  de  Lorencez  pour 
lui  exprimer  le  regret  que  le  général  Almonte  eût  quitté 
Vera-Gruz  avant  qu'on  eût  obtenu  une  amnistie  du  gouver- 
nement mexicain,  et  pour  le  prier  d'arrêter  son  bataillon  à 
Cordova,  afin  de  ne  pas  fermer  d'une  façon  absolue  toutes 
les  voies  de  conciliation.  Il  le  prévint  et  prévint  aussi  le 
général  Prim  et  Sir  Ch.  Wyke  que,  le  1"  avril,  il  quitterait 
Tehuacan  pour  rétrograder  jusqu'à  Paso  Ancho,  afin  de  se 
dégager  des  obligations  que  lui  imposaient  les  prélimi- 
naires de  la  Soledad  et  pouvoir,  sans  manquer  aux  traités, 
couvrir  du  drapeau  français  ceux  qui  recherchaient  sa 
protection  (*). 

Le  général  Almonte  s'arrêta  donc  à  Cordova,  le  23  mars  ; 
le  commandant  du  bataillon  de  chasseurs  fut  obligé  de 
prendre  des  mesures  de  sûreté  pour  le  soustraire  aux  vio- 
lences des  libéraux,  qui  voulaient,  disaient-ils,  l'enlever  au 
milieu  même  des  baïonnettes  françaises. 
Exécution  Un  acte  odieux,  digne  des  plus  mauvais  jours  de  la  guerre 

général  Robiès.   civilc.  Venait  de  s'accomplir  au  camp  du  général  Zaragosa, 
et  prouvait  que  ces  mesures  n'étaient  pas  superflues. 

Le  général  Pioblès,  un  des  hommes  d'opinions  modérées, 
les  plus  honorables  et  les  plus  considérés  du  parti  conser- 
vateur, avait  été  arrêté  le  21  mars  sur  la  route  de  Tehuacan, 
où  il  se  rendait  pour  se  mettre  en  relations  avec  l'amiral. 
Conduit  au  quartier  général  du  général  Zaragosa  à  San 
Andrès  Chalchicomula,  il  avait  été  immédiatement  passé 
par  les  armes,  comme  traître  à  son  pays.  Sa  mort  était  à 
la  fois  un  défi  jeté  aux  commissaires  alliés,  et  une  terrible 
menace  pour  tous  ceux  qui  seraient  tentés  de  soutenir  l'in- 
tervention étrangère. 

(')  L'amiral  ;iu  gi'iiéral  do  Lon-ncrz,  22  mars. 


l'amir.  jurien  de  la  gravière  et  le  gén.  de  lorencez.  113 

L'amiral  protesta  énergiquement  contre  cette  exécution  i86?. 
sommaire;  il  écrivit  aussitôt  au  général  Zaragosa  qu'il  se 
considérerait  comme  dégagé  de  toute  convention  anté- 
rieure, si  la  moindre  atteinte  était  portée  à  la  sûreté  des 
personnes  placées  sous  la  protection  de  la  France  (il  faisait 
ainsi  allusion  au  général  Almonte),  et  si  le  moindre  acte 
hostile  était  dirigé  contre  ses  troupes.  Il  fit  connaître  au 
gouvernement  de  Mexico  sa  résolution  de  quitter  Tehuacan, 
le  1''  avriL  pour  ramener  ses  forces  au  delà  duChiquihuite 
et  reprendre  la  liberté  de  ses  mouvements. 

L'amiral,  loin  de  partager  les  idées  de  M.  de  Saligny, 
n'admettait  pas  la  possibilité  de  ne  pas  exécuter  la  conven- 
tion de  la  Soledad  (')  et  il  invita  le  général  de  Lorencez 
à  prendre  immédiatement  ses  dispositions  pour  le  mouve- 
ment rétrograde ,  qu'il  était  urgent  d'exécuter  avant  la 
saison  des  pluies. 

La  brigade  de  renfort  était  alors  complètement  arrivée    Débarquement 

.  ,,  .  ,      ^^  Et  mise  en  route 

au  Mexique,  à  1  exception  de  ooO  zouaves,  embarqués  sur     Jes  renforts. 
le  Fontenoy,  qu'une  avarie  avait  arrêté  à  Cadix. 

Le  premier  bâtiment,  le  Canada,  avait  mouillé  à  Yera- 
Cruz,  le  12  mars;  VAsmodée,  le  17  ;  /e  Darien,  le  Finistère  et 
le  Turenne,  le  23  et  le  24  ;  l'Amazone,  le  29  mars.  Aussitôt 
débarqué,  chaque  détachement  était  organisé  en  colonne 
et  dirigé  sur  l'intérieur  par  les  soins  du  chef  d'état-major  ; 
des  voitures  portant  un  approvisionnement  de  20  jours  de 
vivres  (vin  compris),  et  pouvant  recevoir,  en  outre,  pen- 
dant la  traversée  des  Terres  chaudes,  tous  les  sacs  des  sol- 
dats et  un  certain  nombre  d'hommes  fatigués,  suivaient 
chacune  de  ces  colonnes. 

Les  troupes,  ne  restant  pas  exposées  aux  influences  perni- 

(*)  Le  général  de  Lorencez  au  ministre,  i-2  :ivril. 

8 


H  4  l'*  PARTIE.  —  CHAPITRE    III. 

^862.  cieuses  du  climat  de  la  côte,  supportaient  bien  les  fatigues 
de  la  marche  et  ne  laissaient  aucun  traînard. 

Les  circonstances  s'étaient  heureusement  modifiées  de- 
puis l'arrivée  de  l'amiral;  les  nouvelles  troupes,  mieux 
pourvues  de  matériel,  pouvant  disposer  de  convois  nom- 
breux et  bien  organisés,  assistées  par  un  personnel  admi- 
nistratif expérimenté,  que  le  sous-intendant  Raoul  diri- 
geait d'une  manière  fort  remarquable  O,  ne  connurent 
aucune  des  misères  de  la  première  colonne. 

Une  commission  de  remonte  se  procurait  assez  facile- 
ment les  chevaux  et  les  mulets  nécessaires  pour  combler  les 
pertes  assez  nombreuses  faites  pendant  la  traversée.  Le  prix 
des  mules  était  descendu  à  15  piastres  (80  fr.  environ). 

Lorsque  commença  le  mouvement  rétrograde,  prélude 
des  hostilités  prochaines,  le  petit  corps  expéditionnaire 
était  donc  en  parfait  état  et  inspirait  la  plus  grande  con- 
fiance à  son  commandant  en  chef. 

Les  troupes         L'amiral  avait  recommandé  au  général  de  Lorencez  de 

cantonnées  »i  ,,  ^      n  \  i_  i  \    t\ 

à  Tehuacan  régler  SCS  etapes  de  laçon  a  concentrer  ses  troupes  a  Paso- 
rerogra  en.  j^jj^j^q^  |g  |g  avril,  jour  fixé  pour  l'ouvcrture  des  confé- 
rences d'Orizaba  et  qui  serait  vraisemblablement  celui  du 
commencement  des  hostihtés.  Le  général  de  Lorencez  par- 
tit de  Tehuacan  le  1"  avril.  A  son  passage  à  Orizaba,  il 
laissa  dans  un  hôpital,  sous  la  protection  de  l'art.  5  de  la 
convention  de  la  Soledad,  non-seulement  les  hommes  gra- 
vement malades,  mais  encore  ceux  qui,  trop  fatigués,  eus- 
sent pu  devenir  une  gêne  dans  la  suite.  Us  étaient  au 
nombre  de  340  avec  3  médecins  et  30  infirmiers (^). 

(')  Le  général  de  Lorencez  au  ministre,  10  mars.  —  Le  colonel  Valazé  au 
ministre,  22  mars. 

(2)  Le  général  (la  Loronnfz  nu  minisire,  12  aviil. 


l'aMIR.  JURIEN  DE  LA  GRAVIÈRE  ET  LE  GÉ^•.  DE  LOKENCEZ.  115 

Le  mouvement  se  continua  sans  incident  jusqu'à  Cordova,         ^862. 
où  la  colonne  s'arrêta  le  8  avril,  pour  attendre  le  résultat 
d'une  dernière  conférence  entre  les  plénipotentiaires  alliés. 

Le  23  mars,  en  réponse  à  la  dépêche  par  laquelle  l'ami- 
ral leur  faisait  connaître  son  intention  de  se  délier  des 
obligations  contractées  à  la  Soledad,  le  général  Prim  et 
Sir  Ch.  Wyke  lui  avaient  immédiatement  adressé  une  note 
collective.  Ils  déclaraient  que  la  nouvelle  attitude  prise 
par  les  commissaires  français  leur  paraissait  en  opposition 
avec  les  stipulations  du  traité  de  Londres  et  qu'ils  regar- 
daient comme  indispensable  une  réunion  des  plénipoten- 
tiaires alliés ,  afin  de  faire  constater,  dans  un  procès- 
verbal,  la  rupture  de  la  triple  alliance,  conséquence  inévi- 
table des  résolutions  des  représentants  de  la  France  O. 

Sur  ces  entrefaites  (3  avril),  l'amiral  reçut  de  nouvelles     instructions 
instructions  datées  du  28  février  ;  ces  instructions  étaient    tro?s^gouverne-'' 

1        /  1  T  1  •       iv       I        1  M      .       mentsàleurs 

basées  :  sur  les  divergences  de  vues,  qui ,  des  le  début    commissaires, 
s'étaient  manifestées  entre  les  plénipotentiaires,  sur  l'er-     divergences  ^ 
reur  dans   laquelle   ils   étaient  tombés  en  adressant  un  ïuitese'ntreeux! 
manifeste  au  peuple  mexicain  et  en  entamant  des  négo- 
ciations avec  le  gouvernement  de  Juarez,  enfin  sur  l'op- 
position faite  par  les  commissaires  anglais  et  espagnol  à 
l'ultimatum  préparé  par  M.  de  Saligny. 

Les  gouvernements  anglais  et  espagnol  avaient  égale- 
ment envoyé  des  instructions  à  leurs  représentants.  Dans 
les  diverses  dépêches  échangées  à  cette  époque,  se  trouvent 
exactement  formulées  les  appréciations  des  cabinets  de 
Paris,  de  Londres  et  de  Madrid. 

Au  sujet  du  manifeste,  Lord  Russell  écrivit  à  Sir  Ch. 
Wyke  le  25  février  (-)  : 

(1)  Le  général  Prim  à  l'amiral,  23  mars  1862. 

(')  Discours  de  M.  B.!rmud.z  île  Castro  au  Sénat  espagnol,  17  décembre  1862, 


116  l"   PARTIE.  CHAPITRE  III. 

/I862.  «  l^e  gouvernement  de  S.  M.  ne  peut  approuver  et  en  vérité, 

~  il  désapprouve  fortement  cette  proclamation Une  fois  Vera- 

Cruz  évacuée  par  les  forces  mexicaines,  les  alliés  auraient  dû  en- 
voyer à  Mexico  les  conditions  qu'ils  exigeaient  pour  la  réparation 
des  griefs  énumércs  dans  le  préambule  de  la  convention.  Les  me- 
sures ultérieures  devaient  dépendre  de  la  réponse  que  l'on  aurait 
reçue;  mais  s'il  était  nécessaire,  pour  des  raisons  sanitaires  ou 
militaires,  d'aller  camper  hors  de  Yera-Gruz  ou  de  s'avancer  vers 
Jalapa,  cela  aurait  dû  se  demander  en  termes  qui  inspirassent  le 
respect,  et  non  d'une  manière  qui  excitât  la  résistance.  » 

M.  Thouvenel  exprimait  la  même  opinion  à  l'ambassa- 
deur anglais,  qui  était  venu  lui  communiquer  les  vues  de 
son  gouvernement.  Il  se  proposait,  disait-il,  «  d'écrire  dans 
le  même  sens  à  M.  de  Saligny,  bien  qu'il  ne  pût  le  faire 
d'une  manière  aussi  forte,  parce  que  les  commissaires  fran- 
çais s'étaient  opposés  à  la  proclamation  et  qu'ils  ne  lui 
avaient  donné  leur  adhésion  que  pour  ne  pas  se  séparer  de 
leurs  collègues  »  (^). 

L'ambassadeur  de  France  à  Madrid  fut  chargé  de  faire 
connaître  cette  appréciation  au  gouvernement  espagnol  (^). 

«  Le  manifeste  adressé  au  peuple  mexicain  donne  à  l'expédition 
un  tout  autre  caractère  que  celui  que  lui  assignaient  les  puissances 
alliées  et  qui  les  avait  amenées  à  conclure  la  convention  de 
Londres Elles  n'eussent  pas  envoyé  leurs  escadres  et  leurs  sol- 
dats h  la  Vera-Cruz,  s'il  y  avait  eu  la  moindre  chance  d'avoir  sa- 
tisfaction du  Mexique  autrement  que  par  la  voie  de  la  coercition... 
Le  langage  tenu  par  les  plénipotentiaires  n'a  pu  que  rendre  con- 
fiance au  gouvernement  mexicain  en  lui  apprenant  qu'on  se  prê- 
tait encore  à  négocier  avec  lui.  Le  répit  inattendu  qu'on  lui  a  ainsi 
accordé  aura  pour  résultat  de  lui  permettre  d'ajouter  à  ses  moyens 
de  défense,  tandis  que  les  discussions  dans  lesquelles  on  l'a  auto- 
risé à  entrer  sur  la  question  d'organisation  intérieure  du  pays,  lui 
fourniront  un  moyen  facile  de  traîner  en  longueur  les  négociations.  » 

(0  Discours  de  M.  Bcrmudez  de  Castro  au  Sénat  espagnol,  il  décembre  1862. 
—  Lettre  de  Tamljassadeur  anglais,  28  février. 

<■')  Discours  de  M.  Billaull  au  Corps  législatif,  20  juin   l8Ci2.  —  Os  pxlrails 


l'aWIR.  JURIEN  de  la  GRAVIÈRE  ET  LE  GÉN.  DE  LORENCEZ.    117 

De  son  côté,  M.  Galderon  Collantes  partageait  complète-         \s&i. 
ment  cette  manière  de  voir. 

«  Il  était  absurde,  disait-il,  de  demander  à  un  gouvernement, 
qu'on  devait  traiter  et  qu'on  traitait  en  ennemi,  la  permission  très- 
inutile  de  s'établir  sur  tel  ou  tel  point  de  son  territoire En 

agissant  ainsi  on  encourageait  le  gouvernement  de  Juarez  à  se 
considérer  comme  le  gouvernement  légitime  du  Mexique,  on  le 
traitait  d'égal  à  égal,  on  le  reconnaissait  en  quelque  sorte  et  on  se 
mettait  dans  l'impossibilité  d'aider  la  majorité  du  peuple  mexicain 
à  renverser  un  gouvernement  odieux  au  pays,  comme  aux  puis- 
sances étrangères  et  à  le  remplacer  par  un  gouvernement  qui  fût 
constitué  de  manière  à  donner  des  garanties  d'avenir,  qui  étaient 
après  tout  le  but  principal  que  les  puissances  alliées  s'étaient  pro- 
posé »  ^^K 

Et  cependant,  malgré  ces  déclarations  si  catégoriques, 
on  lit  dans  une  dépêche  adressée,  le  7  mars,  de  Madrid  au 
comte  de  Reus  :  «  Le  gouvernement  de  S.  M.  approuve  la 
«  modération  avec  laquelle  on  a,  jusqu'à  présent,  agi  envers 
«  le  gouvernement  mexicain,  parce  qu'elle  est  d'accord 
«  avec  les  sentiments  qui  l'ont  toujours  animé.  »  C^) 

En  résumé,  les  trois  puissances  se  déclaraient  d'accord    Jugement  rorte 
pour  désapprouver  l'ouverture  de  nouvelles  nésrociations     ruUimatum 

.  ,  .     7     .  présenté 

avec  Juarez,  mais  l'Espagne  et  l'Angleterre  différaient  de  parM.deSaiigny, 
sentiment  avec  la  France  au  sujet  de  l'ultimatum  pré- 
senté par  M.  de  Saligny. 

Le  cabinet  français  paraît  cependant  avoir  réussi  à  faire 
établir  que  chaque  nation  avait  le  droit  de  formuler  ses 

ne  sont  pas  textuellement  conformes  à  la  dépèciie  publiée  postérieurement  dans 
le  livre  jaune.  (M.  Thouvenel  à  l'ambassadeur  français  à  Madrid,  20  février  1862.) 
Le  sens  de  la  dépêche  publiée  est  néanmoins  le  même  que  celui  de  la  dépèche  lue 
par  -M.  Biilault,  mais  les  termes  en  sont  plus  modérés.  Nous  croyons  que  la  version 
que  nous  avons  acceptée  est  la  plus  exacte. 

(>)  L'ambassadeur  de  France  à  Madrid  au  ministre  des  affaires  étrangères,  26 
février. 

i2)  Discours  de  M.  Bermudez  de  Castro,  17  décembre  1862. 


118  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE  III. 

^862.  réclamations  sans  les  soumettre  au  contrôle  de  ses  alliés, 
théorie  assez  étrange,  car  il  semble  difficile  qu'un  traité 
d'alliance  soit  sérieux,  si  l'on  n'est  pas  d'accord  sur  le  but 
à  atteindre. 

D'ailleurs  le  gouvernement  anglais  n'en  faisait  pas 
moins  savoir  qu'il  trouvait  les  réclamations  de  M.  de  Sa- 
ligny  fort  exagérées  (*).  M.  Thouvenel  prit  naturellement 
la  défense  du  représentant  de  la  France,  bien  qu'il  n'ap- 
prouvât pas  les  conditions  de  l'ultimatum,  qu'il  trouvât 
trop  élevé  le  chiffre  des  indemnités  et  qu'il  lui  répugnât 
visiblement  de  s'occuper  des  affaires  Jecker. 

La  dépêche  suivante,  qu'il  adressa,  le  28  février,  à  M.  de 
Saligny,  en  donne  la  preuve  : 

«  Le  chiffre  auquel  le  département  s'était  efforcé  d'évaluer 

nos  réclamations  n'atteignait  pas  celui  de  votre  article  !«'';  mais 
en  l'absence  d'éléments  suffisants  d'appréciation,  il  vous  était 
laissé  à  ce  sujet  une  très-grande  latitude. 

«  Bien  que  je  ne  vous  invite  pas  expressément  à  réduire  un  chiffre 
que  SirCh.  Wyke  et  le  général  Prim  semblent  avoir  trouvé  exorbi- 
tant, vous  pourriez  pourtant  vous  montrer  moins  rigoureux  sur  ce 
point,  s'il  était  une  cause  trop  évidente  de  dissidence  entre  les  re- 
présentants des  trois  cours.  Les  sommes,  que  devraient  mettre 
encore  h  la  charge  du  gouvernement  mexicain,  en  plus  des  12  mil- 
lions de  piastres,  les  clauses  des  articles  2  et  4,  semblent  de  nature 
h  faire  regarder  celles-ci  comme  d'autant  plus  rigoureuses  ;  j'incli- 
nerais à  penser  aussi  que  si  nous  nous  en  tenons  à  un  chiffre  d'in- 
demnités considérables,  il  ne  serait  plus  nécessaire  de  faire  des 
réparations  d'une  autre  nature,  bien  que  très-justifiées  d'ailleurs 


(')  C'était  aussi  l'opinion  du  ministre  des  Etats-Unis  à  Mexico  : 

" 1  speak  from  a  very  carefuî  investigation  made  by  niyself,  when 

I  say  that  the  rnoney  demands  of  England  are  in  the  main ,  if  not  altogether, 
just.  l  am  not  surprised  that  her  patience  is  exhausted.  Those  of  France  are  com- 
paratively  small,  very  smail ,  so  far  as  they  arise  out  of  previous  treaties  ;  and 
those  dépendant  on  claims  of  more  récent  date  and  not  inchided  in  former  trea- 
ties, are,  as  prriscnted,  so  onormously  injust  as  lo  be  lotally  inadmissible  as  to 
Ui<}  amounts  claimed.  —  M.  Corwin  à  M.  Seward,  20  mars  1862. 


l'aMIR.  JURIEN  de  la  GRAVIÈRE  ET  LE  GÉN.  DE  LORENCEZ.    119 

en  principe,  que  vous  demandiez,  soit  à  propos  de  la  mort  de  notre  ''862, 

agent  à  Tepic,  soit  à  raison  des  tentatives  coupables  dirigées  contre  ~ 

votre  personne  au  mois  d'août  dernier,  des  clauses  expresses  ou 
additionnelles.  Je  me  demande  également  si  les  précautions  que 
vous  croyez  devoir  prendre  par  les  articles  5,  6  et  7  en  vue  d'as- 
surer la  poursuite  Judiciaire  et  le  châtiment  des  divers  attentats 
dont  nos  nationaux  ont  été  victimes,  atteindraient  en  réalité  le  but 
auquel  elles  tendent  et  si  nous  n'aurions  pas  plus  d'avantages  dès 
lors  à  considérer  l'indemnité  stipulée  comme  une  satisfaction  d'en- 
semble de  ces  griefs. 

«  En  ce  qui  concerne  l'article  3  relativement  à  l'affaire  Jecker, 
il  y  a  évidemment  une  distinction  à  faire  entre  ce  qui,  sur  ce  point, 
touche  directement  nos  intérêts  et  ce  qui  y  est  étranger.  Lorsque 
le  général  Miramon  rendit  le  décret  qui  a  amené  son  contrat  avec 
la  maison  Jecker,  les  informations  de  la  légation  ayant  constaté 
que  le  commerce  étranger  tirait  un  grand  soulagement  de  la  me- 
sure financière  facilitée  par  cette  maison  au  gouvernement  mexicain, 
il  était  naturel  que  nous  vissions  une  grande  utilité  h  empêcher, 
autant  que  possible,  qu'on  ne  revînt  sur  cette  mesure  et  sur  les 
opérations  qui  la  facilitaient.  C'est  dans  ce  sentiment  que  les  ins- 
tructions du  département  vous  ont  invité;  comme  vous  en  aviez 
d('']h  pris  l'initiative,  à  soutenir  les  réclamations  que  provoquait, 
sur  cette  question,  la  conduite  du  gouvernement  de  Juarez.  Il  ré- 
sulterait cependant  de  l'opposition  que  vous  avez  rencontrée  chez 
Sir  Ch.  Wyke  à  ce  que  vous  demandiez  à  propos  de  cette  affaire, 
que  ce  ne  serait  plus,  dit-on,  le  commerce  étranger  qui  tirerait 
profit  du  contrat  passé  avec  la  maison  Jecker,  que  celle-ci  bénéficie- 
rait presque  exclusivement  de  l'accomplissement  de  ce  contrat.  Je  ne 
saurais  me  rendre  exactement  compte  de  ce  qui  en  est  ;  mais  j'ap- 
pelle votre  attention  sur  l'importance  de  bien  séparer  ce  fjin  dans 
cette  affaire  peut  réellement  compromettre  les  intérêts  que  nous  avons 
le  devoir  de  protéger,  de  ce  qui  en  affecterait  d'autres  d'un  caractère 
tout  différent.  Le  gouvernement  actuel  ne  saurait  prétendre  priver 
nos  nationaux  des  avantages  que  leur  assurerait  une  mesure  régu- 
lière prise  par  l'administration  de  Miramon,  par  cette  unique  raison 
que  celte  mesure  émanait  d'un  ennemi  ;  mais  nous  serions  mal 
fondés,  de  notre  côté,  k  vouloir  imposer  au  gouvernement  actuel 
des  obligations  qui  ne  découleraient  pas  essentiellement  de  sa  res- 
ponsabilité  gouvernementale.  » 

Si  l'on  songe  que  cet  ultimatum  fut  la  cause  des  pre- 
miers et  des  plus  graves  dissentiments  entre  les  commis- 


120  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE  111. 

-1862.  saires  alliés,  que  c'est  en  grande  partie  par  suite  du  refus 
des  Anglais  d'y  laisser  donner  suite,  que  l'on  engagea  avec 
le  gouvernement  mexicain  des  pourparlers  qui  entravèrent 
l'action  militaire,  on  ne  peut  s'empêcher  de  déplorer  que  les 
intérêts  de  la  France  aient  été  ainsi  abandonnés  sans  un 
contrôle  suffisant. 

Le  gouvernement  français  ne  prit  cependant  aucune  pré- 
caution pour  éviter  que  sa  politique  restât  engagée  dans 
une  voie  aussi  regrettable.  Il  se  montra  au  contraire  plus 
satisfait  de  l'attitude  prise  par  M.  de  Saligny,  que  de  la 
politique  de  modération  conseillée  par  l'amiral.  Convaincu 
qu'il  ne  fallait  plus  compter  sur  le  concours  des  Espa- 
gnols, leur  attribuant  en  grande  partie  les  mécomptes 
déjà  éprouvés,  puisque,  au  lieu  de  s'associer  à  la  politique 
française,  ils  soutenaient  au  contraire  la  politique  anglaise, 
opposée  à  l'intervention  dans  les  affaires  du  pays,  le  gou- 
vernement français  craignant,  dit-il,  «  que  ses  alliés  n'ac- 
ceptassent des  satisfactions  au-dessous  de  ses  exigences 
légitimes,  autorisa  ses  représentants  à  laisser  leurs  collègues 
traiter  séparément  et  à  poursuivre  seuls  la  réparation  due 
à  la  France.  »  Il  leur  recommanda  de  n'accorder  aucune 
confiance  aux  promesses  et  aux  engagements  d'un  gouver- 
nement dont  l'expérience  n'avait  que  trop  démontré  l'im- 
puissance et  la  mauvaise  foi"^'). 

Ces  instructions  arrivaient  fort  à  propos  pour  enlever  à 
l'amiral  toute  indécision  sur  la  conduite  qu'il  aurait  à  tenir 
dans  la  prochaine  conférence,  où  la  rupture  de  la  triple 
alliance  allait  être  officiellement  déclarée. 

Dès  ce  moment  aussi,  il  devait  suspendre  toute  négocia- 
lion;  il  n'accueillit  donc  pas  une  demande  du  général  Do- 

^')  LeUre  de  l'arairal  au  ministre  de  la  marine,  Il  avril  1862. 


l'amir.  jurien  de  la  gravière  et  le  gén.  de  lorencez.   121 

blado,  qui  le  priait  de  venir  s'entendre  avec  lui  à  Puebla  ^s_^2- 
et  cherchait  à  le  persuader  que,  désireux  de  voir  les  Fran- 
çais séparer,  leur  cause  de  celle  des  Espagnols,  le  gouver- 
nement mexicain  serait  disposé  à  faire  droit  à  toutes  leurs 
réclamations  et  même  à  les  appeler  à  Mexico,  s'ils  voulaient 
aider  à  la  consolidation  du  président  Juarez  ;  mais  le  mi- 
nistre mexicain  demandait  plus  instamment  que  jamais 
l'éloignement  d'Almonte  O.  Du  reste,  cette  proposition  de 
Doblado  cachait  très-probablement  un  piège  et  n'avait  sans 
doute  d'autre  but  que  de  gagner  du  temps  et  de  compli- 
quer encore  une  situation  que  ses  finesses  diplomatiques 
avaient  trop  bien  réussi  à  embarrasser. 

Il  était  urgent  que  la  conférence  se  réunît  ;  l'amiral,  qui 
avait  déjà  prié  M.  de  Saligny  de  venir  le  rejoindre,  renou- 
vela ses  instances.  Jusqu'alors  le  ministre  de  France,  dont 
les  vues  ne  s'accordaient  pas  avec  celles  de  l'amiral,  avait, 
comme  on  le  sait,  allégué  le  mauvais  état  de  sa  santé  pour 
rester  à  Vera-Cruz  ;  mais  en  ce  moment  ses  idées,  accep- 
tées par  le  gouvernement  français,  devenaient  prépon- 
dérantes, et  les  circonstances  étaient  d'ailleurs  si  graves 
qu'il  partit  immédiatement  pour  Orizaba.  Il  y  arriva  le 
9  avril,  et  la  conférence  eut  lieu  le  jour  même. 

Pour  déterminer  la  rupture  désirée  par  leur  gouverne- 
ment, il  suffisait  aux  commissaires  français  de  confirmer 
leur  intention  de  continuer  à  protéger  le  général  Almonte 
et  les  autres  proscrits,  dont  les  projets  à  l'égard  du  gou- 
vernement de  Juarez  étaient  parfaitement  connus  ;  aussi 
la  présence  du  général  Almonte,  que  l'amiral  avait  d'abord 
regrettée ,  était  au  contraire  fort  opportune  puisqu'elle 
lui  permettait  de  produire  sûrement  une  scission  défini- 

f'>  Lettre  de  Doblado  à  l'amiral,  datée  de  Mexico,  3  avril  1862. 


-1862, 


Conférence 

du  9  avril. 

Rupture 

de  l'alliance. 


122  l'*  PARTIE.  CHAPITRE    111. 

tive,   qu"il  aurait  peut-être  été  assez  difficile  d'amener  si 
ce  motif  ne  s'était  pas  présenté. 

Au  début  de  la  conférence,  l'amiral  Jurien,  sur  l'invitation 
du  général  Prim.  expliqua  qu'il  s'agissait  de  s'entendre 
sur  la  réponse  à  faire  au  gouvernement  mexicain  relati- 
vement à  la  protection  accordée  au  général  Almonte.  Le 
général  Prim  prit  ensuite  la  parole  et  résuma  les  évé- 
nements. L'impossibilité  de  mouvoir  des  troupes  dépour- 
vues de  tout  moyen  de  transport  avait,  dit-il,  rendu  né- 
cessaires les  pourparlers  avec  le  gouvernement  mexicain. 
L'amiral  confirma  l'exactitude  de  celte  assertion  et  de- 
manda à  faire  constater  que  son  matériel  de  campement  et 
son  artillerie  n'étaient  arrivés  que  le  5  février. 

Commencer  les  hostilités  dans  de  telles  conditions,  ajouta 
le  général  Prim,  c'eût  été  s'exposer  à  une  catastrophe,  et 
il  rappela  que,  lors  des  premières  marches,  les  troupes 
avaient  semé  sur   la  route  leurs  malades  et  leurs  ba- 


cfa^res. 


&"& 


Les  négociations  entamées  avec  le  gouvernement 


de 


Juarez  répondaient  par  conséquent  aux  nécessités  de  la  si- 
tuation, et  l'on  aurait  pu  espérer  obtenir  pacifiquement  les 
satisfactions  stipulées  dans  la  Convention  de  Londres,  si 
l'arrivée  du  général  Almonte  et  des  autres  bannis  n'eut 
été  la  cause  de  graves  dissentiments  entre  les  plénipoten- 
tiaires. 

Le  général  Almonte  avait  franchement  déclaré  au  comte 
de  Reus  et  au  commodore  Dunlop  son  intention  de  fonder 
une  monarchie  au  Mexique,  avec  l'archiduc  Maximilien  pour 
empereur  ;  il  s'était  montré  certain  de  l'appui  de  la  France, 
et  il  avait  manifesté  la  pensée  que  l'Espagne  et  l'Angle- 
terre ne  lui  refuseraient  pas  leur  concours.  Loin  de  l'en- 


l'ajiir.  jl'rien  de  la  gravière  et  le  gén.  le  lorencez.   123 

courager  dans  de  pareils  projets,  le  général  Prim  avait  -ise^. 
cherché  à  l'en  détourner  ;  cependant,  quelques  jours  après, 
le  général  Almonte  quittait  Vera-Gruz  sous  l'escorte  d'un 
bataillon  français ,  et  l'amiral  Jurien  faisait  savoir  que , 
pour  se  délier  des  engagements  pris  à  la  Soledad,  il  allait 
faire  rétrograder  ses  troupes  au  delà  du  Chiquihuite. 

Le  général  Prim  et  Sir  Ch.  Wyke  étaient  d'avis  qu*en 
agissant  ainsi  les  commissaires  français  violaient  la  Con- 
vention de  Londres  ;  ils  avaient  donc  provoqué  une  réunion 
de  la  conférence  pour  s'assurer  si  les  instructions  aux- 
quelles obéissaient  leurs  collègues  étaient  de  nature  à 
permettre  à  l'Espagne  et  à  l'Angleterre  de  marcher  d'ac- 
cord avec  la  France. 

L'amiral  répondit  qu'il  croyait  ne  pas  avoir  manqué  aux 
obligations  des  traités  ;  mais,  en  raison  de  l'attitude  du  gou- 
vernement mexicain,  un  plus  long  séjour  de  ses  troupes  à 
Tehuacan  lui  ayant  paru  incompatible  avec  la  protection 
dont  il  entendait  couvrir  le  général  Almonte,  protection  à 
laquelle,  de  tout  temps,  les  proscrits  ont  eu  droit,  il  s'était 
décidé,  par  un  scrupule  de  loyauté,  à  revenir  à  Paso  Ancho, 
afin  de  se  replacer  sur  un  terrain  neutre  et  de  reprendre  sa 
liberté  d'action.  Il  pensait  donner  ainsi  à  la  Convention  de 
Londres  sa  véritable  interprétation  ;  d'ailleurs,  le  général 
Almonte ,  au  moment  où  il  avait  quitté  l'Europe,  croyait, 
comme  tout  le  monde,  la  guerre  commencée,  et  loin  d'être 
animé  d'intentions  hostiles,  il  n'était  venu  que  pour  essayer 
de  rétablir  la  concorde  entre  les  différents  partis.  Le  comte 
de  Reus  et  Sir  Ch.  Wyke  contestèrent  ces  intentions. 

On  remarquera  le  soin  avec  lequel,  dans  toute  cette  dis- 
cussion, l'amiral  s'efforça  de  mettre  hors  de  cause  la 
politique  de  l'Empereur  et  d'assumer  personnellement 
la  responsabilité  d'une  rupture  dont  il  ne  méconnaissait 


124  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE  III. 

1862.  pas  la  gravité  ;  il  ajouta  cependant  que  la  politique  plus 
énergique  conseillée  par  M.  de  Saligny  répondait  mieux 
aux  vues  du  gouvernement  français  que  la  .politique  de 
modération  jusqu'alors  suivie. 

L'objet  de  la  Convention  de  Londres,  reprit  M.  de  Sa- 
ligny, était  d'obtenir  satisfaction  pour  les  outrages  commis 
envers  les  étrangers;  or,  les  extorsions  et  la  violence  du 
gouvernement  mexicain  augmentaient  chaque  jour.  Le  sys- 
tème de  temporisation  n'avait  fait  qu'accroître  son  audace  ; 
aussi  le  ministre  de  France  déclarait-il  formellement  qu'il 
ne  voulait  plus  continuer  les  négociations  et  qu'il  ne  restait 
qu'à  marcher  sur  Mexico. 

Le  comte  de  Reus  et  Sir  Ch.  Wyke  trouvèrent  ces  allé- 
gations injustes;  le  cabinet  mexicain  ayant  promis  le  re- 
trait des  décrets  relatifs  à  l'impôt  de  2  p.  0/0  sur  le  capital 
et  à  l'interdiction  des  communications  avec  Vera-Gruz,  il 
fallait  attendre  avant  de  l'accuser  de  mauvaise  foi. 

Sir  Ch.  Wyke  demanda  ensuite  à  M.  de  Saligny  s'il  n'a- 
vait pas  dit  que  les  préliminaires  de  la  Soledad  étaient  sans 
valeur  pour  lui  ;  le  ministre  de  France  convint,  en  effet, 
n'avoir  jamais  eu  plus  de  confiance  dans  ces  préliminaires 
que  dans  toutes  les  autres  promesses  du  gouvernement 
mexicain.  Et  comme  le  commodore  Dunlop  s'étonnait  qu'il 
les  eût  signés  et  qu'il  ne  se  crût  pas  engagé  par  sa  signa- 
ture, il  lui  répondit  qu'il  n^avait  à  donner  d'explication  à 
personne  fjur  ce  sujet,  mais  qu'il  se  serait  considéré  comme 
lié,  si  le  gouvernement  mexicain  n'avait  déjà  lui-même 
violé  cette  convention  de  mille  manières. 

Une  discussion  personnelle  s'éleva  ensuite  avec  une 
grande  vivacité  entre  le  général  Prim  et  M.  de  Saligny,  qui 
avait  attribué  publiquement  au  commandant  des  forces 
espagnoles  le  désir  de  se  faire  couronner  empereur  du 


l'aMIR.  JURIEN  DE  LA  GRAVIÈRE  ET  LE  GÉN.  DE  LORENCEZ.  123 

Mexique.  M.  de  Saligny  prétendit  n'avoir  fait  que  répéter  ce  ^862. 
qui  se  disait  partout  ;  quant  aux  preuves  auxquelles  il 
avait  fait  allusion,  c'étaient  d'abord  une  lettre  adressée  à 
l'amiral  par  une  personne  favorable  à  cette  candidature, 
les  insinuations  qu'une  telle  solution  serait  approuvée  par 
l'Empereur,  les  articles  de  l'Eco  de  Eiiropa,  journal  espa- 
gnol publié  au  Mexique  et  qui,  selon  les  paroles  mêmes  du 
comte  de  Reus,  ne  publiait  rien  sans  son  approbation  (*)  et 
enfin  l'idée  exprimée  parle  comte  de  Reus  lui-même  que 
la  candidature  d'un  prince  autrichien  était  absurde  et  qu'il 
n'y  aurait  de  chances  de  succès  que  pour  un  soldat  heu- 
reux. 

Le  général  Prim  se  défendit  énergiquement  contre  ces 
imputations,  disant  que  l'estime  de  sa  Souveraine  et  de  ses 
compatriotes  suffisait  à  son  ambition. 

On  revint  enfin  à  l'objet  principal  de  la  réunion. 
L'amiral  déclara  qu'il  refusait  de  faire  rembarquer  le  gé- 
néral Almonte  ;  il  stigmatisa  le  régime  de  terreur  adopté 

<*>  Extraits  de  l'Eco  de  Europa  :  •  La  personne  et  le  nom  du  général  Prim 
sont  le  sjTubole  et  le  programme  de  cette  expédition.  Le  Mexique  et  le  monde 
entier  le  connaissent  et  l'admirent,  et  plus  d'un  cœur  mexicain  bat  aujourd'hui  au 
seul  souvenir  de  ses  merveilleux  exploits.  C'est  que  nous  avons  là  un  noble  capi- 
taine que  la  Grèce  et  Rome  auraient  élevé  au  rang  de  leurs  dieux,  un  héros  qui, 
au  moyen  âge,  aurait  été  le  fondateur  d'une  dynastie  de  rois,  et  qui  a  su  un  jour 
ressusciter  la  terrible  poésie  des  combats  d'Homère  :  nous  avons  là  un  glorieux 
paladin  qui ,  comme  soldat,  est  un  foudre  de  guerre ,  un  foudre  de  gloire,  et 
comme  homme  d'Etat,  se  montre  l'ami  le  plus  sincère  de  toutes  les  réformes  poli- 
tiques qui  font  le  bonheur  des  nations.  De  quelque  côté  que  flambloie  son  épée, 
la  victoire  est  certaine.  Partout  où  retentit  sa  voix,  le  triomphe  de  la  liberté  et  le 

progrès  du  siècle  sont  choses  assurées Si  le  général  Prim  s'était 

laissé  emporter  par  ses  instincts,  le  monde  n'y  aurait  rien  vu  d'étrange ,  car  ce 
n'eût  été  de  sa  part  qu'ajouter  un  sujet  de  plus  à  la  galerie  de  tableaux  héroïques, 
et  le  monde  est  accoutumé  à  cela.  Au  Mexique,  ses  amis  disent  de  lui  qu'il  est 
l'ange  exterminateur,  le  lion  de  la  bataille,  le  demi-dieu  de  la  guerre,  et  pour 
faire  son  portrait,  Homère  l'eût  comparé  à  Mars.  » 

Dans  un  autre  article,  n°  19  du  journal,  on  lit  :  '  //  n'est  pas  nécessaire  d'ap- 
partenir au  sang  royal  pour  devenir  roi.  » 


126  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE  III. 

4862.  par  le  gouvernement  mexicain,  et  Sir  Ch.  Wyke  ayant  émis 
l'opinion  qu'il  serait  difficile  de  trouver  des  partisans  de  la 
monarchie,  il  répondit  que  pour  le  moment,  il  n'était  pas 
question  de  monarchie  ;  du  reste,  le  sentiment  de  la  ma- 
jorité de  la  nation  n'avait  pu  se  faire  connaître  sous  l'op- 
pression du  gouvernement  actuel,  et  cette  majorité  sympa- 
thique à  l'intervention  des  alliés,  formée  de  gens  éloignés 
des  partis  extrêmes  et  qui  n'avaient  pas  les  armes  à  la  main, 
existait  partout,  dans  les  villes,  dans  les  villages  et  dans 
les  campagnes.  Le  gouvernement  de  l'Empereur  avait,  à 
cet  égard,  des  informations  certaines  ;  son  collègue  et  lui 
étaient  donc  résolus  à  marcher  sur  Mexico,  où,  ajouta 
M.  de  Saligny,  les  résidants  français  appelaient  l'armée  de 
tous  leurs  vœux.  Le  commodore  Dunlop  prétendit,  au  con- 
traire, que  ceux-ci  verraient  avec  grand  déplaisir  l'arrivée 
de  l'armée  française  dans  la  capitale. 

Les  commissaires  anglais  et  espagnol  blâmèrent  vive- 
ment la  résolution  des  commissaires  français  de  faire  rétro- 
grader les  troupes  jusqu'à  Paso  Ancho  ;  puis  ils  décla- 
rèrent :  «  que  leurs  collègues,  persistant  à  se  refuser  au 
rembarquement  des  exilés  mexicains  et  à  ne  point  vouloir 
prendre  part  aux  conférences  qui  devaient  avoir  lieu  le 
15  avril,  ils  se  retireraient  avec  leurs  troupes  du  territoire 
mexicain.  » 

Le  mode  d'évacuation  fut  ensuite  discuté  ;  l'amiral 
offrit  au  général  Prim,  qui  l'en  remercia,  le  concours 
des  bâtiments  français  pour  transporter  ses  troupes  k  la 
Havane  (*). 


Les  commissaires  alliés  notifièrent  au  gouvernement 


(•)  Procès-verbal  de.  la  conférence. 


mexicain. 


l'amir.  jurien  de  la  gravière  et  le  gén.  de  lorencez.  127 
mexicain  et  au  général  Zaragosa  les  résolutions  prises  dans  ^862. 
la  conférence,  et  les  informèrent  que  l'armée  française,  se 
concentrant  à  Paso  Ancho,  commencerait  ses  opérations 
aussitôt  que  les  Espagnols,  dans  leur  mouvement  de  re- 
traite, auraient  dépassé  ses  lignes,  c'est-à-dire  vers  le 
20  avril. 

Les  plénipotentiaires  français  adressèrent,  en  outre,  au  Échange  de  notes 
général  Doblado  une  note  particulière,  dans  laquelle  ils  gouvernement 
motivèrent  l'ouverture  des  hostilités  sur  la  demande  du 
gouvernement  mexicain  relative  à  l'éloignement  d'Al- 
monte,  sur  les  nouvelles  vexations  exercées  contre  leurs 
nationaux  et  enfin  sur  le  meurtre  de  plusieurs  soldats 
français,  récemment  assassinés  sur  la  route  de  Yera- 
Cruz. 

La  rupture  de  l'alliance  était,  à  plusieurs  égards,  un 
événement  heureux  pour  le  gouvernement  de  Juarez.  Le 
refus  des  plénipotentiaires  anglais  et  espagnol  de  s'associer 
à  la  pohtique  des  plénipotentiaires  français,  équivalait  à 
une  déclaration  solennelle  du  bon  droit  des  Mexicains. 
Juarez  le  comprit  et  sut  en  profiter  pour  augmenter  la 
surexcitation  patriotique  que  l'invasion  étrangère  avait  fait 
naître  dans  le  pays. 

Cependant  la  perspective  d'une  guerre  avec  la  France 
était  de  nature  à  lui  inspirer  de  sérieuses  inquiétudes. 
Tout  en  se  préparant  vigoureusement  à  la  résistance,  il 
continua  ses  offres  de  négociations  ;  il  lui  était  utile,  du 
reste,  de  traîner  les  choses  en  longueur,  afin  de  compléter 
son  organisation  défensive  et  d'attendre  la  saison  de  la 
fièvre  jaune,  auxiliaire  puissant  pour  lui,  ennemi  terrible 
pour  les  Européens. 

Doblado  répondit  donc  qu'il  appréciait  «  la  conduite 


128  l'^*   PARTIE.  CHAPITRE  III. 

1862.  noble,  loyale  et  circonspecte  des  représentants  de  l'Angle- 
terre et  de  l'Espagne  »;  il  leur  offrit  d'entrer  dans  la  voie 
des  traités,  afin  de  renouer  des  relations  d'amitié  et  de 
commerce  sur  des  bases  durables.  Il  reprocha  aux  commis- 
saires français  de  violer  les  préliminaires  de  la  Soledad  sur 
un  prétexte  presque  puéril,  et  leur  proposa  encore  d'épui- 
ser tous  les  moyens  de  conciliation  avant  de  recourir  aux 
armes.  Le  gouvernement  mexicain,  en  appliquant  au  traître 
Almonte  des  lois  en  vigueur,  n'avait  fait,  disait-il,  qu'user 
de  son  droit  souverain,  et  ceux  qui  avaient  solennellement 
reconnu  cette  souveraineté  par  la  convention  du  19  février 
n'étaient  pas  autorisés  à  lui  en  contester  l'exercice. 
Le  général  Doblado  affirmait,  du  reste,  qu'il  n'avait  au- 
cune connaissance  des  prétendues  vexations  infligées  aux 
nationaux  français. 

De  leur  côté,  les  commissaires  français  ne  voulaient  pas 
être  accusés  d'avoir  violé  un  traité  ;  ils  répliquèrent  que  le 
gouvernement  mexicain  lui-même  avait,  par  ses  violences, 
déchiré  les  préliminaires  de  la  Soledad;  ils  présentèrent  le 
récent  assassinat  de  plusieurs  soldats  français  comme  une 
preuve  du  mauvais  vouloir  ou  de  l'impuissance  du  gouver- 
nement et  conclurent  à  l'inutilité  de  recourir  à  de  nou- 
velles négociations.  Trois  soldats  français  avaient  été,  en 
effet,  assassinés  aux  environs  de  la  Purga  :  c'était  le  seul 
grief  nouveau  qui  fût  précisé. 

Dans  une  note  jointe  à  cette  réponse,  les  commissaires 
français  protestaient  d'avance  contre  tout  traité  conclu  par 
le  gouvernement  mexicain  dans  le  but  de  céder  ou  d'hy- 
pothéquer, au  profit  d'une  puissance  quelconque,  les 
propriétés  et  les  territoires  que  la  France  considérait 
comme  le  gage  sur  lequel  reposaient  ses  créances.  Ils 
avaient  ainsi  en  vue  un  emprunt  dont  Juarez  négociait 


l'amir.  jurien  de  la  gravière  et  le  gén.  de  lorencez.   129 
alors  les  bases  avec  M.  Corwin,  ministre  des  États-Unis  (').         ''ses. 

Les  plénipotentiaires  français  avaient  quitté  Orizaba,  le 
11  avril,  pour  aller  rejoindre  le  général  de  Lorencez  à  Gor- 
dova,  tandis  que  leurs  collègues  espagnol  et  anglais  se  ren- 
daient à  Puebla  pour  conférer  avec  Doblabo.  Sir  Gh.Wyke, 
par  une  convention  signée,  le  28  avril,  liquida  à  une  somme 
de  3,200,000  piastres  le  chiffre  des  réclamations  anglaises; 
cette  somme  devait  être  garantie  par  les  biens  du  clergé, 
et  prélevée  sur  le  produit  de  l'emprunt  projeté.  Un  ar- 
ticle additionnel,  du  12  mai,  stipulait  que  les  bâtiments 
de  guerre  anglais  prêteraient  leur  concours  au  gouverne- 
ment mexicain  en  occupant  les  ports  de  commerce,  dans  le 
cas  où  quelque  gouverneur  voudrait  se  soustraire  à  l'auto- 
rité centrale  et  retenir  les  revenus  des  douanes.  Le  gou- 
vernement anglais  refusa  de  ratifier  cette  convention.  Le 
cabinet  de  Madrid  refusa  également  d'accepter  les  arran- 
gements qui  lui  furent  offerts  (^). 

Le  16  avril,  les  représentants  de  la  France  adressèrent    Proclamation 

.      .  ,  .  .  (les  commissaires 

au  peuple  mexicam  la  proclamation  suivante  :  français  à  la 

nation  mexicaine. 

«  Mexicains,  —  Nous  ne  sommes  point  venus  ici  pour  prendre 
parti  dans  vos  divisions;  nous  sommes  venus  pour  les  faire  cesser. 
Nous  voulions  appeler  tous  les  hommes  de  bien  à  concourir  à  la 

(1)  Ce  traité  n'eut  du  reste  aucune  suite,  le  gouvernement  américain  n'ayant 
pas  voulu  le  ratifier. 

(')  Quelques  mois  plus  tard,  M.  de  Wagner,  ministre  de  Prusse  à  Mexico, 
écrivait  au  ministre  des  affaires  étrangères  à  Paris  :  que  le  langage  de  Sir  Ch. 
Wyke  s'était  considérablement  niodiflé;  qu'il  faciliterait  maintenant  volontiers 
l'entreprise  de  la  France  ;  qu'il  reconnaissait  la  nécessité  de  voir  les  troupes  fran- 
çaises aller  à  Mexico,  tout  en  continuant  à  considérer  Almonte  comme  un  obstacle 
à  l'établissement  d'un  gouvernement,  qui  répondrait  aux  besoins  du  pays  et  aux 
intérêts  des  puissances  étrangères. 

M.  de  Ceballos,  agent  confidentiel  de  l'Espagne  à  Mexico,  disait  de  son  côté  que 
le  gouvernement  espagnol  s'abstiendrait  de  tome  nouvelle  négociation  avec  Juarez, 

9 


130  l"""  PARTIE.  CHAPITRE  III. 

iim%  consolidation  de  l'ordre,  à  la  régénération  de  votre  belle  patrie. 
—  Pour  montrer  le  sincère  esprit  dont  nous  sommes  animés,  nous 

nous  sommes  adressés  d'abord  au  gouvernement  même,  contre 
lequel  nous  avions  les  plus  sérieux  griefs.  Nous  lui  avons  demandé 
d'accepter  notre  assistance  pour  fonder  au  Mexique  un  état  de 
choses  qui  nous  épargnât  h  l'avenir  la  nécessité  de  ces  expéditions 
lointaines,  dont  le  plus  grand  inconvénient  est  de  suspendre  le 
commerce  et  de  troubler  le  cours  de  relations  qui  pourraient  être 
si  profitables  à  l'Europe  et  à  votre  propre  pays. 

«  Le  gouvernement  mexicain  a  répondu  à  la  modération  de  notre 
conduite  par  des  mesures  auxquelles  nous  n'avons  jamais  entendu 
prêter  noire  appui  moral;,  et  que  le  monde  civilisé  nous  reproche- 
rait de  sanctionner  par  notre  présence.  Entre  lui  et  nous  la  guerre 
est  aujourd'hui  déclarée;  mais  nous  ne  confondons  pas  le  peuple 
mexicain  avec  une  minorité  oppressive  et  violente.  Le  peuple  mexi- 
cain a  toujours  droit  à  nos  plus  vives  sympathies.  C'est  à  lui  de  s'en 
montrer  digne.  Nous  faisons  appel  à  tous  ceux  qui  ont  confiance 
dans  notre  intervention,  à  quelque  parti  qu'ils  aient  appartenu. 

«  Aucun  homme  éclairé  ne  voudra  croire  que  le  gouvernement, 
issu  du  suffrage  d'une  des  nations  les  plus  libérales  de  l'Europe, 
ait  pu  avoir  un  instant  l'intention  de  restaurer  chez  un  peuple 
étranger  d'anciens  abus  et  des  institutions  qui  ne  sont  plus  de  ce 
siècle.  Nous  voulons  une  égale  justice  pour  tous,  et  nous  voulons 
que  cette  justice  ne  soit  pas  imposée  par  nos  armes.  Le  peuple 
mexicain  doit  être  lui-même  le  premier  instrument  de  son  salut. 
Nous  n'avons  d'autre  but  que  d'inspirer  à  la  portion  honnête  et 
paisible  du  pays,  c'est-à-dire  aux  neuf  dixièmes  de  la  population, 
le  courage  de  faire  connaître  ses  vœux.  Si  la  nation  mexicaine 
demeure  muette,  si  elle  ne  comprend  pas  que  nous  lui  offrons  une 
occasion  inespérée  de  sortir  de  l'abîme,  si  elle  ne  vient  pas  donner 
par  ses  eiîorts  un  sens  et  une  moralité  pratiques  à  notre  appui,  il 
est  évident  que  nous  n'aurons  plus  ti  nous  occuper  que  des  intérêts 
précis  en  vue  desquels  la  convention  de  Londres  a  été  conclue. 

«  Que  les  hommes  trop  longtemps  divisés  par  des  querelles,  qui 
n'ont  plus  d'objet,  se  hâtent  donc  de  venir  à  nous.  Ils  ont  entre 
les  mains  les  destinées  du  Mexique.  Le  drapeau  de  la  France  a  été 
planté  sur  le  sol  mexicain  ;  ce  drapeau  ne  reculera  pas.  Que  les 

et  que,  reconnaissant  à  la  France  de  l'appui  moral  qu'elle  lui  avait  prêté  pendant 
la  guerre  du  Maroc ,  il  était  prêt  à  mettre  h  sa  disposition  toutes  les  ressources 
militaires  de  l'île  de  Cuba.  —  (M.  de  Wagner  au  ministre  des  affaires  étrangères, 
14  septembre  1862.) 


l'aMIR.  JURIEN  DE  LA  GRAVIÈRE  ET  LE  GÉN.   DE  LORENCEZ.    431 

hommes  sages  l'accueillent  comme  un  drapeau  ami.  Que  les  insen-         ^s^- 
ses  osent  le  combattre  ! 

La  guerre  était  déclarée. 

Cependant  Juarez  ne  perdit  pas  confiance.  L'immense 
territoire  du  Mexique,  le  dévouement,  l'énergie,  le  patrio- 
tisme du  parti  libéral  pouvaient  lui  permettre  de  prolonger 
longtemps  la  lutte.  Il  n'ignorait  pas  que  les  sympathies 
des  républicains  de  tous  les  pays  étaient  acquises  à  sa  cause. 
Il  savait  qu'en  France  la  presque  unanimité  de  la  nation 
désapprouvait  la  guerre,  et  que  des  voix  éloquentes  se  fe- 
raient entendre  en  sa  faveur  au  sein  même  du  Corps  légis- 
latif; il  comptait  que,  malgré  leurs  discordes  intestines,  les 
États-Unis  seraient  encore  assez  forts  pour  contre-balancer 
l'influence  européenne,  et  il  se  disposait  à  attendre  avec 
patience  le  moment  oii  le  gouvernement  français  se  verrait 
obligé  de  mettre  un  terme  aux  immenses  sacrifices  que  lui 
imposerait  une  expédition  aussi  lointaine.  On  verra,  en 
effet,  Juarez  abandonné  de  la  plupart  des  siens,  sans 
soldats,  sans  argent,  poursuivi  par  les  colonnes  françaises 
jusqu'aux  extrêmes  limites  du  Mexique,  se  réfugier  sur  la 
frontière  américaine,  mais  sans  quitter  le  territoire  mexi- 
cain, et  ne  jamais  désespérer  du  succès  de  son  parti. 

Après  avoir  fait  connaître  la  déclaration  de  guerre  par        Décret 
un  manifeste  à  la  nation,  il  fit  publier  le  décret  suivant  : 

Article  l**.  —  Du  jour  où  les  troupes  françaises  commenceront 
les  hostilités,  toutes  les  localités  qu'occupent  ces  troupes  sont  dé- 
clarées en  état  de  siège  et  les  Mexicains  qui  y  resteraient  pendant 
l'occupation  seront  punis  comme  traîtres,  leurs  biens  seront  con- 
fisqués au  profit  du  trésor  public,  à  moins  qu'il  n'y  ait  un  motif  lé- 
galement reconnu. 

Art.  2.  —  Aucun  Mexicain  de  21  à  60  ans  ne  pourra  s'excuser 
de  prendre  les  armes,  quels  que  soient  sa  classe,  son  état  et  sa  con- 
dition, sous  peine  d'être  traité  en  traître. 


132  l"  PARTIE.  CHAPITRE    III. 

1862.  Art.  3.  —  Les  gouverneurs  d'États  sont  autorisés  à  délivrer  des 

~  patentes  pour  la  levée  des  guérillas,  à  leur  discrétion  et  suivant  les 

circonstances  ;  mais  les  guérillas  qui  seraient  trouvées  à  une  dis- 
tance de  plus  de  dix  lieues  de  l'ennemi  seront  considérées  et  pu- 
nies comme  bandes  de  voleurs. 

Art.  4.  —  Les  gouverneurs  des  États  sont  également  autorisés  à 
disposer,  selon  les  nécessités,  de  tous  les  revenus  publics  et  h.  se 
procurer  les  ressources  dont  ils  auront  besoin,  de  la  manière  la 
moins  onéreuse  possible. 

Art.  s.  —  Les  Français  paisibles,  résidant  dans  le  pays,  restent 
sous  la  sauvegarde  des  lois  et  des  autorités  mexicaines. 

Art.  6.  —  Tous  ceux  qui  fourniront  des  vivres,  des  nouvelles, 
des  armes  à  l'ennemi  ou  de  toute  autre  manière  lui  prêteront  leur 
concours,  seront  déclarés  traîtres  et  punis  de  mort. 

Dispositions         Lorsqu'il  vit  l'état  réel  des  affaires,  les  passions  soulevées 

des  chefs  du  parti  .,,.,., 

conservateur,  par  son  retour  au  Mexique,  lorsqu  il  comprit  toutes  les 
complications  dont  sa  présence  était  la  cause  ou  le  prétexte, 
le  général  Almonte  serait  volontiers  retourné  en  Europe  ;  il 
en  manifesta  plusieurs  fois  l'intention  et  ne  céda  qu'aux 
instances  de  M.  de  Saligny,  et  sans  doute  aussi  à  celles  de 
ce  petit  groupe  d'émigrés  à  la  tête  desquels  était  le  Père 
Miranda,  et  auxquels  il  fallait  un  chef  accrédité  près  des 
commissaires  français. 

Obéissant  aux  exigences  d'une  situation  qu'il  ne  peut 
être  accusé  d'avoir  créée,  plutôt  qu'à  une  ambition  de  chef 
de  parti,  le  général  Almonte  avait  accepté  le  rôle  qu'on 
voulait  lui  faire  jouer.  Il  s'était  mis  en  relations  avec  les 
principaux  chefs  réactionnaires  qui  tenaient  la  campagne, 
et  avait  reçu  la  promesse  d'un  concours  sans  réserve  de  la 
part  des  uns  et  avec  certaines  restrictions  de  la  part  des 
autres. 

Le  général  Tomas  Mejia,  qui  avait  une  grande  influence 
dans  la  Sierra-Gorda,  vaste  contrée  montagneuse  qui  s'étend 
de  Queretaro  à  San  Luis  de  Potosi,  répondit  aux  avances 


l'aMIR.  JUBIEN  DE  LA  GRAVIÈRE  ET  LE  GÉN.  DE  LORENCEZ.  133 

d'Almonte  en  l'engageant  à  prendre  en  main  la  direction        <862. 
du  mouvement.  «  Le  cabinet  de  Juarez,  écrivait-il,  s'efforce 
de  cacher  la  situation  réelle  du  pays  et  de  faire  croire  aux 
alliés  que  non-seulement  l'administration  actuelle  est  une 
émanation  de  la  volonté  nationale,  mais  encore  qu'elle  n'a 

dans  la  république  d'opposition  d'aucune  sorte Le 

manque  de  tact  ou  d'activité  de  nos  amis  a  pu  donner  cer- 
taines apparences  de  vérité  à  ces  mensonges L'inter- 
vention étant  un  fait,  je  crois  que  tous  les  bons  Mexicains 
doivent  l'accepter  comme  l'unique  solution  possible  de  tant 
de  questions  produites  au  Mexique  par  le  violenl  état  d'anar- 
chie qui  menace  de  nous  anéantir;  mais  pour  agir  avec 
la  conscience  tranquille,  il  est  nécessaire  de  s'assurer  de 
deux  points  très-importants  :  que  l'intervention  ne  cache 
aucune  idée  étrangère  au  noble  but  qu'elle  s'est  proposé 
et  que  la  pacification  du  pays,  résultat  final  de  l'interven- 
tion, soit  étabhe  sur  des  bases  de  moralité,  d'ordre  et  d'é- 
nergie (*).  » 

L'ancien  président  Zuloaga,  qui  se  tenait  dans  le  sud 
de  Puebla  avec  quelques  troupes,  était,  disait-il,  tout  dis- 
posé à  contribuer  pour  sa  part  au  rétablissement  de  la  paix; 
mais  il  prêta  bientôt  l'oreille  aux  propositions  que  Juarez 
lui  fit  faire,  et  déclara  ensuite  qu'il  ne  voulait  pas  s'asso- 
cier aux  forces  étrangères  i^). 

Le  général  Marquez,  sonheutenant,  se  prononça,  au  con- 
traire, formellement  en  faveur  de  l'intervention  française. 
Il  adhéra  d'avance  à  toutes  les  résolutions  que  prendrait 
le  Père  Miranda,  qu'il  traitait  déjà  de  ministre  des  affaires 
étrangères  et  qui  représentait ,  comme  on  sait,  les  idées 


(•)  Lettre  de  Mejia  à  Almonte,  datée  de  Toliman  le  16  mars. 
(«)  Lettre  de  Zuloaga  à  Almonte,  11  avril  1862, 


134  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE    111. 

réactionnaires  les  plus  accentuées.  Il  se  sépara  de  Zuloaga 
avec  quelques  troupes  (^). 

Les  plénipotentiaires  français  engagèrent  le  général  Al- 
monte  à  grouper  autour  de  lui  tous  ses  partisans  et  à  se 
faire  reconnaître  comme  «  chef  suprême  intérimaire  ».  Ce  fut 
donc  sur  leurs  conseils  et  avec  leur  consentement  que,  le 
17  avril,  il  adressa  à  ses  compatriotes  un  manifeste  ap- 
pelé, conformément  aux  habitudes  mexicaines,  Plan  de 
Cordova,  du  nom  de  la  ville  où  il  fut  publié. 

Plan  de  Cordova.  ..,..  «  Étranger  aux  luttes  sanglantes  qui,  depuis  tant 
d'années,  désolaient  le  Mexique,  n'ayant  aucune  vengeance 
à  exercer,  aucune  récompense  à  ambitionner,  le  général 
Almonte  déclarait  que  son  seul  vœu  était  de  réconcilier  des 
frères  ennemis.  Il  exhortait  ses  concitoyens  à  unir  leurs 
efforts  aux  siens  et  à  avoir  une  entière  confiance  dans  la 
politique  de  l'Empereur  des  Français,  dont  le  désir  sincère 
était  de  voir  les  Mexicains  établir  eux-mêmes  un  gouver- 
nement d'ordre  et  de  moralité  et  de  garantir  pour  toujours 
l'indépendance,  la  nationaUté  et  l'intégrité  du  territoire 
mexicain  ». 

Ce  manifeste  était  accompagné  d'un  acte  de  pronuncia- 
miento  par  lequel  le  général  Almonte  était  reconnu  «  chef 
suprême  de  la  nation  »,  muni  de  pleins  pouvoirs  pour  traiter 
avec  les  puissances  alliées  dont  les  forces  occupaient  le 
Mexique  et  pour  convoquer,  dès  que  les  circonstances  le 
permettraient,  un  congrès  national  qui  déciderait  de  la 
forme  de  gouvernement  la  plus  convenable. 

Les  popi/lations  restèrent  froides  à  cet  appel  ;  à  Cordova 
et  à  Orizaba  on  ne  recueillit  que  des  adhésions  en  très-petit 

(1)  Lettre  de  Marquez  à  Almonte,  10  mars  1862. 


L'aMIR.  JDRIEN  de  la  GRAVIÈRE  ET  LE  GÉN.  DE  LORENCEZ.  135 

nombre  et,  pour  la  plupart,  de  gens  sans  influence  ou        ^^' 
sans  notoriété. 

Ainsi  débuta  le  mouvement  monarchique  qui  devait  ral- 
lier, avait-on  prétendu,  l'immense  majorité  du  pays. 

Cependant  l'armée  espagnole  opérait  son  mouvement        Départ 
de  retraite.  Orizaba  avait  été  évacué  le  18  avril  et  occupé  troupes  anglaises 

•*  ^  n  •         '  1»'irv  1  ^t  CSpagnolcS. 

aussitôt  par  les  forces  mexicames  du  gênerai  Zaragoza.  Les 
derniers  détachements  espagnols  quittèrent  le  Mexique  le 
24  avril. 

Quelque  temps  auparavant ,  les  détachements  anglais  y_ 

avaient  été  déjà  renvoyés  aux  îles  Bermudes.  Dès  le  début 
de  Texpédition,  le  cabinet  de  Londres  avait  prévenu  ses  al- 
liés que  son  intention  n'était  pas  de  laisser  ses  troupes  au 
Mexique  pendant  la  mauvaise  saison;  lord  Russell  avait 
confirmé  cette  intention  à  Sir  Ch.  Wyke  par  une  dépêche 
du  27  janvier  1862.  Le  1^^  mars,  le  ministre  anglais  avait 
répondu  que  les  troupes  seraient  rembarquées  aussitôt 
l'arrivée  des  bâtiments  qui  devaient  les  transporter  aux  Ber- 
mudes ;  mais  en  annonçant  cette  détermination  à  ses  col- 
lègues, il  l'avait  présentée  comme  une  nouvelle  protes- 
tation de  son  gouvernement  contre  la  politique  française. 

Le  général  Prim,  dans  une  lettre  qu'il  écrivit  à  l'empereur 
Napoléon,  le  17  mars,  s'en  fit  un  argument  pour  prouver  que 
l'envoi  de  la  brigade  de  Lorencez  avait  été  une  des  causes 
déterminantes  de  la  rupture  de  l'alliance  et  du  mécon- 
tentement des  Anglais  (^).  Cette  mesure  n'eut  en  réalité 
aucune  influence  sur  le  départ  des  troupes  anglaises  ;  mais 
le  général  Prim,  qui  voyait  ainsi  son  rôle  s'amoindrir  et  la 

(1)  Lettre  du  général  Prim  à  l'empereur  Napoléon,  datée  d'Orizaba,  le  17 
mars  1862,  et  publiée  dans  les  Executive  Documents  des  Etats-Unis,  années  1862- 
1863.  Dans  cette  lettre,  le  général  Prim  cherche  à  dissuader  l'Empereur  de  pour- 
suivre le  projet  d'établir  une  monarchie  au  Mexique. 


136  l"    PARTIE.  CHAPITRE  III. 

i862.        prépondérance  dans  le  sein  de  la  commission  lui  échapper, 
en  avait  ressenti  lui-même  un  grand  mécontentement. 
Le  général  Dcpuis  le  8  avril,  le  général  de  Lorencez  attendait  à 

de  Lorencez       /-■       ,  •         •  i-  i  x    j 

i  cordova.  Cordova,  avec  une  vive  impatience,  le  moment  de  com- 
mencer les  hostilités  ;  la  plus  grande  partie  du  corps  expé- 
ditionnaire était  réunie  autour  de  lui  ;  il  avait  cependant 
quelques  troupes  échelonnées  sur  la  route  de  Vera-Gruz, 
au  Potrero  et  à  la  Soledad.  Le  vomito,  qui  sévissait  dans 
la  terre  chaude,  s'étant  montré  à  la  Soledad,  il  envoya  aus- 
sitôt au  colonel  L'Hériller  du  99^  de  ligne,  qui  occupait  ce 
point,  l'ordre  de  n'y  laisser  qu'un  petit  poste  pour  garder 
l'ambulance  et  de  venir  le  rejoindre  à  Cordova  ;  mais  les 
exigences  politiques  le  forcèrent  à  donner  contre-ordre  et 
à  arrêter  cette  colonne  à  Paso  Ancho.  Le  général  de  Lo- 
rencez considérait  avec  une  inquiétude  extrême  les  consé- 
quences que  pourrait  avoir,  pour  la  santé  de  ses  soldats, 
la  concentration  sur  ce  point  de  6,000  hommes  et  d'environ 
4,000  animaux  (ceux  du  convoi  compris)  à  une  époque  de 
l'année  où  l'on  n'y  trouve  pas  d'eau  en  quantité  suffisante. 
Sur  les  pressantes  sollicitations  de  l'amiral,  il  se  montrait 
cependant  résigné  à  se  conformer  à  la  clause  de  la  conven- 
tion de  la  Soledad,  qui  lui  imposait  l'obligation  de  rétro- 
grader au  delà  du  Chiquihuite,  et  cette  condition  était  deve- 
nue plus  dure  encore  depuis  que  les  conférences  d'Orizaba 
l'obligeaient  à  attendre  la  retraite  des  Espagnols. 

Les  extraits  suivants  d'une  lettre  adressée  à  M.  de  Sali- 
gny  par  M.  de  Wagner,  ministre  de  Prusse  à  Mexico , feront 
comprendre  les  angoisses  du  commandant  en  chef. 

Mexico,  4  avril  <862. 

«  Si  votre  armée  ne  monte  pats  immédiatement  au  delà  de 

Cordova  et  même  d'Orizaba,  elle  sera  décimée  par  le  vomito  et  les 
fièvres  pernicieuses  à  la  suite  des  fortes  chaleurs,  La  première 


l'aMIR.  JURIEN  DE  LA  GRAVIÈRE  ET  LE  GÉN.  DE  LORENCEZ.    137 

pluie  vous  apportera  infailliblement  tout  cela,  et  quand  l'infection  4862. 

aura  une  fois  gagné  l'armée,  il  sera  trop  tard  et  peut-être  impos-  ~" 

sible  de  se  mettre  en  marche.  Vous  pourrez  facilement  perdre  deux 
ou  trois  mille  hommes  en  peu  de  jours.  Je  pense  que  vous  ne  vou- 
lez pas  demander  une  seconde  fois  aux  Mexicains  devons  permettre 
par  humanité  d'occuper  des  campements  salubres.  Toutes  les  ques- 
tions et  toutes  les  convenances  politiques  disparaissent  devant  le 
danger  de  sacrifier  huit  mille  Français  aux  épidémies  d'un  climat 
meurtrier.  Je  pense  que  ni  l'amiral  Jurien  de  la  Gravière  ni  les 
commissaires  anglais  et  espagnol  ne  voudront  assumer  une  si  grave 
responsabilité.  En  vous  disant  tout  ceci,  je  ne  suis  nullement 
influencé  par  des  considérations  politiques;  mes  craintes  pour 
l'état  sanitaire  de  la  troupe  sont  basées  sur  une  expérience  de  trois 
ans  dans  ce  pays  et  sur  l'opinion  générale. 

«  Il  s'entend  que  vous  êtes  entièrement  autorisé  à  faire  usage 
partout  et  envers  qui  vous  voudrez  de  ce  que  je  vous  dis  à  ce  sujet, 
et  je  serais  heureux  si  mes  efforts  pouvaient  contribuer  à  prévenir 
de  plus  grands  malheui's. 

«  Le  gouvernement  mexicain,  qui  connaît  tous  ces  dangers,  fera 
tout  son  possible  pour  vous  retenir  encore  quelque  temps  là  où 
vous  êtes.  Au  reste  nous  sommes  à  la  veille  de  la  saison  des  pluies  ; 
aussitôt  qu'elles  ont  commencé,  les  miasmes  qu'elles  répandent 
causent  des  lièvres  pernicieuses,  les  routes  se  défoncent  et  devien- 
nent impraticables,  on  ne  fait  pas  plus  de  chemin  dans  une  journée 
qu'en  une  heure  dans  la  belle  saison   » 

Les  chefs  de  service  qui  étaient  auprès  du  général  de  Lettre  du  générai 

.  Zaraguza, 

Lorencez  partageaient  son  anxiété.  Heureusement,  les  me-     relative  aux 

.     .  .  .  malades  laissés 

sures  administratives  avaient  été  prises  de  manière  à  faci-  à  orizaba. 
liter  autant  que  possible  la  marche  en  arrière  et  le  mouve- 
ment offensif  qui  la  suivrait  aussitôt.  Le  général  de  Lorencez 
se  proposait  de  rester  à  Gordova  jusqu'au  dernier  moment, 
de  franchir  rapidement  les  deux  étapes  qui  le  séparaient 
de  Paso  Ancho  et  de  revenir  immédiatement  après  sur  le 
Chiquihuite.  Telles  étaient  les  dispositions  arrêtées  le  18 
au  soir,  lorsque,  dans  la  nuit  suivante,  parvint  au  quartier 
général  une  lettre  du  général  Zaragoza,  qui  fournit  d'une 
façon  tout  inespérée  au  général  de  Lorencez  «  l'occasion 


138  l"  PARTIE.  CHAPITRE  III. 

qu'il  cherchait  de  se  dégager  de  la  situation  critique  dans 
laquelle  il  se  trouvait  (').  » 
Le  général  Zaragoza  écrivait  : 

«  Bien  que  les  commissaires  français  aient  été  les  premiers  à 
rompre  les  préliminaires  de  paix  signés  à  la  Soledad  le  19  février 
dernier,  je  permets,  parmi  pur  devoir  d'humanité,  aux  malades  de 
l'armée  française  de  rester  dans  l'hôpital  d'Orizaba;  mais  ils  sont 
sous  la  sauvegarde  de  l'armée  mexicaine,  et  il  n'y  a  pas  de  nécessité 
qu'ils  soient  gardés  par  une  force  quelconque  de  leurs  nationaux; 
j'espère  donc  que  Son  Exe.  le  général  en  chef  des  troupes  françaises 
résidant  à  Cordova  ordonnera  que  cette  garde  soit  retirée,  et  je  lui 
donne  l'assurance  de  ma  considération  personnelle. 

«  Liberté  et  Réforme. 

«  Quartier  général  d'Ingenio,  18  avril  1862.  » 

Voici  l'incident  qui  avait  motivé  cette  lettre  : 
Le  18  avril,  trois  cent  quarante  soldats  français  malades, 
restés  à  Orizaba,  avaient  été  transférés  d'un  hôpital  dans 
un  autre.  Un  certain  nombre  d'entre  eux,  déjà  entrés  en 
convalescence,  traversèrent  la  ville  avec  leurs  armes  ;  le 
général  Zaragoza,  ayant  alors  cru  qu'une  garde  avait  été 
laissée  à  l'hôpital,  demanda  au  commandant  en  chef  du 
corps  expéditionnaire  français  de  la  faire  retirer  ;  mais,  à  la 
suite  d'explications  qui  lui  furent  données  le  lendemain, 
il  manifesta  au  médecin  en  chef  ses  regrets  de  ce  malen- 
tendu et  exprima  l'espoir  que  le  général  de  Lorencez  consi- 
dérerait sa  lettre  comme  le  résultat  d'une  erreur  involon- 
taire. 

Il  répéta,  du  reste,  que  les  malades  étaient  sous  la  pro- 
tection de  l'humanité,  en  dehors  des  querelles  de  parti  à 
parti  ou  de  peuple  à  peuple  et  qu'il  n'y  avait  rien  à  redou- 
ter pour  eux.  Le  préfet  d'Orizaba  avait  déjà  fait  la  même 
déclaration  et  assuré  que  «  dans  le  cas  tout  à  fait  impro- 

(1)  Le  général  de  Lorencez  au  ministre  de  la  guerre,  26  avril  1863. 


l'a3iir,  jurie.n  de  la  gravière  et  le  gén.  de  lorencez.  139 

bable  d'une  attaque  de  la  part  de  la  population  ou  d'une  4862. 
force  armée  quelconque,  il  serait  le  premier  au  milieu  d'eux 
pour  faire  face  au  danger, que  toutes  les  autorités  mexi- 
caines, comme  lui-même,  se  rappelleraient  toujours  les 
secours  prêtés  par  les  chirurgiens  français  aux  blessés  de 
San  Andrès  »  ('). 

Le  général  de  Lorencez  se  contenta  de  répondre  au 
général  Zaragoza  par  la  note  suivante  : 

Cordova,  19  avril  1862. 

«  En  réponse  à  la  lettre  que  M.  Zaragoza  a  écrite  en  date  du  48 
avril  à  MM.  les  plénipotentiaires  français,  le  général  en  chef  du 
corps  expéditionnaire  du  Mexiqne  affirme  qu'il  n'a  laissé  avec  ses 
malades  à  Orizaba  aucune  garde,  ni  même  aucun  homme  valide, 
si  ce  n'est  quelques  infirmiers  chargés  de  les  soigner. 

«  Depuis  qu'on  a  laissé  les  malades  à  Orizaba,  un  certain  nombre 
a  dû  entrer  en  convalescence,  et  c'est  ce  qui  a  pu  faire  croire  au    . 
général  Zaragoza  qu'on  avait  laissé  une  garde  avec  eux. 

<i  Le  général  en  chef  du  corps  expéditionnaire  français  prie  le  gé- 
néral Zaragoza  d'accepter  l'assurance  de  sa  considération  distin- 
guée. » 

Mais  il  s'était  immédiatement  résolu  à  marcher  sur  Ori-      ^e  générai 

de  Lorencez  se 

zaba,  et  il  avait  fait  connaître  cette  détermination  aux  pléni-  décide  à  marcher 

■^  sur  Orizaba. 

potentiaires  français  par  la  lettre  suivante  : 

Cordova,  le  -19  avril  1862. 

«  En  me  plaçant  à  la  tête  du  corps  expéditionnaire  du  Mexique,. 
S.  M.  l'Empereur  m'a  confié  le  soin  de  diriger  les  opérations  mili- 
taires et  de  garantir  la  sécurité  de  ses  troupes. 

«  Après  avoir  pris  connaissance  des  stipulations  de  la  conven- 
tion de  la  Soledad,  ratifiée  par  la  commission  des  trois  hautes  puis- 
sances contractantes,  j'avais  dû  arrêter  toutes  les  dispositions 
nécessaires  pour  concentrer  mes  troupes  à  Paso-Ancho,  aussitôt 
que  l'armée  espagnole  aurait  opéré  son  mouvement  rétrograde. 

•  L'assassinat  de  trois  soldats  français  aux  environs  du  camp 

^')  LeUre  de  M.  Golson,  médecin  en  chef,  au  générai  de  Lorencez,  datée 
d'Orizaba  le  15  avril. 


140  l'"  PARTIE.  —  CHAPITRE  111. 

<862.  ne  me  semblait  même  pas  un  motif  suffisant  pour  me  considérer 
~"  comme  dégagé  de  la  stricte  exécution  d'une  convention  signée  par 

les  représentants  de  la  France  ;  ces  attentats  ne  sont  pourtant  que 
la  conséquence  du  décret  rendu,  le  25  janvier,  par  le  gouvernement 
de  Juarez,  qui  nous  met  hors  la  loi  en  nous  assimilant  aux  pirates, 
décret  outrageusement  maintenu  depuis  la  signature  des  prélimi- 
naires. 

«  Mais  la  situation  de  Vera-Cruz,  entourée  de  nombreux  partis 
de  guérillas  et  réduite  à  l'état  de  blocus,  me  paraissait  déjà  une 
violation  des  préliminaires  de  la  part  des  Mexicains,  lorsque  j'ai 
reçu  cette  nuit  de  M.  le  général  Zaragoza  une  note  officielle  par 
laquelle  il  m'informe  qu'il  considère  une  partie  des  malades  laissés 
à  Orizaba,  et  qui  sont  depuis  lors  entrés  en  convalescence,  comme 
une  garde  préposée  à  la  sûreté  de  mon  hôpital;  il  réclame  contre 
cette  prétendue  mesure. 

c  En  présence  d'une  déclaration  de  cette  nature,  j'ai  tout  lieu  de 
craindre  que  nos  malades  ne  puissent  plus  compter  sur  la  protec- 
tion, qui  leur  était  assurée  par  la  convention  de  la  Soledad  et 
qu'ils  soient  considérés  comme  des  otages  laissés  avec  trop  de 
confiance  aux  mains  de  l'ennemi.  Mon  devoir  est  de  marcher  à  leur 
secours  sans  perte  de  temps,  car  il  y  aurait  imprudence  de  ma  part 
à  les  laisser  exposés  aux  excès  d'une  armée  indisciplinée  et  de  chefs 
sans  scrupules. 

((  J'ai  donc  l'honneur  de  vous  informer  qu'en  vertu  des  pouvoirs 
militaires  qui  m'ont  été  confiés,  je  me  mettrai  ce  soir  même  en 
marche  sur  Orizaba. 

«  Il  ne  me  reste  d'autres  moyens  de  pourvoir  à  votre  sûreté  per- 
.  sonnelle,  que  de  vous  inviter  à  vous  joindre  à  l'armée  dans  le  mou- 
vement qu'elle  va  opérer.  » 

Par  un  ordre  du  jour  aux  troupes,  le  général  de  Lorencez 
leur  annonça  cette  résolution,  qu'il  motiva  sur  les  mêmes 
faits. 

La  validité  de  la  convention  de  la  Soledad  avait  été 
acceptée  parle  gouvernement  français,  puisque  M.  Thou- 
venel  déclarait,  à  ce  moment  même,  à  l'ambassadeur  an- 
glais que  si  les  négociations  venaient  à  être  rompues,  les 
clauses   en    seraient  strictement   observées  (')  ;   toutefois 

(1)  Lord  Cowley  à  lord  Russell,  2o  avril  1862. 


l'aMIR.  JURIEN  de  la  GRAVIÈRE  ET  LE  GÉN.  DE  LORENCEZ.  141 

l'opinion  du  ministre  de  la  guerre  était  différente,  car  -1862. 
dans  une  de  ses  lettres  au  général  de  Lorencez,  il  disait 
«  que  la  convention  était  inexécutable  dans  son  art.  IVW  »  ; 
plus  tard,  il  lui  répétait  encore  :  «  La  déplorable  conven- 
tion consentie  par  l'amiral  et  que  vous  n'étiez  certes  pas 
obligé  de  reconnaître  (^).  »  Mais  le  général  de  Lorencez 
ne  pouvait  être  informé  de  cette  manière  de  voir,  au 
moment  où.  il  se  dégagea  de  la  parole  donnée,  au  nom  de  la 
France,  par  les  plénipotentiaires.  Sa  responsabilité  resta 
entière,  et  il  la  revendiqua  lui-même.  Pour  apprécier  cette 
détermination,  des  plus  graves  assurément,  il  faut  réflé- 
chir que  quelques  jours  passés  dans  les  terres  chaudes 
auraient  peut-être  suffi  pour  amener  un  épouvantable 
désastre,  et  que  c'était  à  ce  but  que  tendait  depuis  long- 
temps la  politique  d'atermoiements  du  gouvernement  mexi- 
cain, singulièrement  favorisée,  d'ailleurs,  par  l'attitude 
des  plénipotentiaires  anglais  et  espagnol.  On  se  demandera 
donc  si  le  plus  impérieux  devoir  d'un  général  en  chef  n'était 
pas  de  garantir  avant  tout  les  milliers  de  vies  humaines 
qu'il  tenait  dans  ses  mains.  Aucun  de  ceux,  qui  ont  le  plus 
durement  reproché  au  général  de  Lorencez  ce  qu'ils  appe- 
lèrent la  violation  de  la  convention  de  la  Soledad,  n'aurait 
sans  doute  osé,  dans  de  pareilles  circonstances,  assumer 
la  terrible  responsabilité  de  rétrograder  dans  les  terres 
chaudes. 

Quant  aux  positions  militaires  du  Ghiquihuite,  quelle  que 
pût  être  l'importance  que  leur  attribuaient  les  Mexicains, 
elles  n'auraient  pas  arrêté  longtemps  des  troupes,  qui 
enlevèrent- avec  tant  d'élan,  quelques  jours  plus  tard,  les 
positions  autrement  difficiles  des  Cumbres  d'Acultzingo. 

<•)  Le  ministre  de  la  guerre  au  général  de  Lorencez,  13  avril  1862. 
(2)  Le  ministre  de  la  guerre  au  général  de  Lorencez,  30  avril  1862. 


14-2  l"   PARTIE.  CHAPITRE  III. 

4862.        On  ne  saurait  donc   admettre   qu'une   considération  de 
,  cette  nature  ait  influencé  le  général  de  Lorencez, 

Le  19  avril,  à  3  heures  de  l'après-midi,  le  général  de 
Lorencez  partit  de  Cordova  ayant  à  ses  côtés  les  plénipo- 
tentiaires français. 
Combat  Une  heure  après  le  départ,  à  peu  de  distance  du  village 

du  Fortin.  ^  r       '       r  o 

-19  avril  4862.  du  Fortin,  le  peloton  d'avant-garde,  conduit  par  le  capi- 
taine d'état-major  Gapitan,  rencontra  un  détachement  d'une 
soixantaine  de  cavaliers  mexicains  qui  cherchèrent  à  par- 
lementer pour  arrêter  la  marche  de  la  colonne,  puis 
se  mirent  en  bataille  en  barrant  la  route.  Le  capitaine 
Capitan  demanda  un  peloton  de  renfort,  qui  porta  sa  petite 
troupe  au  chiffre  de  35  cavaliers,  puis  il  se  dirigea  au  grand 
trot  sur  les  Mexicains  ;  ceux-ci  évitèrent  le  choc  par  une 
retraite  précipitée;  mais,  poursuivis  vigoureusement,  ils 
furent  atteints  et  sabrés  par  les  chasseurs  d'Afrique  sur  les 
pentes  de  la  Barranca  de  Metlac,  située  au  pied  même  du 
Fortin  i'). 

Les  Mexicains  eurent  cinq  hommes  tués  et  douze  pri- 
sonniers; les  Français  ne  firent  aucune  perte.  La  colonne 

(*)  Des  voitures  dans  lesquelles  voyageaient  le  général  Prim,  sa  femme  et  le 
général  Milans  del  Bosch  se  trouvaient  sur  la  route  au  moment  de  la  charge.  Le 
général  Milans  couvrit  de  sa  protection  un  colonel  mexicain  que  les  chasseurs 
voulaient  faire  prisonnier  ;  il  affirmait  que  cet  officier  avait  pour  mission  de  le 
conduire  aux  avant-postes.  On  apprit  plus  tard  que  c'était  le  colonel  Diaz,  chef  de 
la  troupe  mexicaine  qu'on  avait  combattue. 

La  Barranca  ou  ravin  de  Metlac  a  100  mètres  de  profondeur  ;  la  route  la  tra- 
verse en  faisant  de  nombreuses  sinuosités. 

Au  Mexique,  on  appelle  barrancas  les  ravins  à  bords  escarpés,  plus  ou  moins 
profonds,  résultat  de  l'action  érosive  des  eaux  torrentueuses  de  la  saison  des 
pluies,  des  commotions  géologiques  du  sol  et  souvent  aussi  de  Tune  et  de  l'autre 
causes  réunies. 

Certaines  de  ces  barrancas  sont  considérables  ;  celle  de  Régla,  au  nord  de 
Mexico,  offre  les  sites  les  plus  pittoresques.  Les  barrancas  de  Platanar ,  d'Aten- 
quique  et  de  Beltran,  qui  dérivent  des  Volcans  de  Colima,  ont  de  1,600  à  1,700 
mètres  de  profondeur. 


l'amir.  jurien  de  la  gravière  et  le  gén.  de  lorencez.   143 

du  général  de  Lorencez  campa  près  du  village  du  Fortin,  et,         ^^-• 
le  lendemain,  elle  entra  dans  Orizaba  sans  coup  férir. 

Le  général  Zaragoza,  avec  environ  4,000  hommes  et 
8  pièces  de  canon,  s'était  retiré  pour  aller  prendre  position 
sur  les  Cumbres.  Les  malades  n'avaient  pas  été  inquiétés. 

Une  proclamation  du  général  de  Lorencez,  affichée  à    Proclamation 

^   .     ,  _  ,        .  .  .  du  général  de 

Orizaba,  confirma  les  intentions  exprimées  par  les  pléni-  Lorencez. 
potentiaires  français  dans  leur  manifeste  du  16  avril.  Il 
s'attacha  à  faire  comprendre  à  la  population  que  la  France, 
loin  de  vouloir  faire  la  guerre  au  Mexique,  se  proposait  au 
contraire  de  prêter  son  appui  au  pays  pour  aider  à  sa 
reconstitution.  Le  gouvernement  de  Juarez,  par  ses  excès, 
avait  rendu  la  guerre  inévitable,  et  c'était  lui  seul  que  les 
armes  françaises  voulaient  atteindre. 

Les  hostilités  étaient  donc  engagées  de  fait.  D'un  côté, 
le  général  de  Lorencez  avait  sous  ses  ordres  une  petite  ar- 
mée compacte  de  6,000  bons  soldats.  Les  Mexicains,  en 
appelant  sous  les  armes  les  contingents  de  tous  les  états, 
pouvaient  réunir  60,000  hommes  environ,  mais  à  cette 
époque,  leurs  troupes  étaient  encore  disséminées,  et  la  divi- 
sion, avec  laquelle  le  général  Zaragoza  couvrait  la  route  de 
Mexico,  n'était  pas  très-supérieure  en  nombre  au  corps 
expéditionnaire  français.  Toutefois,  elle  avait  sur  ses  adver- 
saires l'immense  avantage  d'opérer  dans  un  pays  parfaite- 
ment connu  ;  ses  lignes  de  retraite  étaient  assurées  dans 
toutes  les  directions  et  ses  ressources  en  vivres  facilement 
renouvelables,  tandis  que  les  Français,  en  pénétrant  dans 
l'intérieur  du  Mexique,  s'éloignaient  de  plus  en  plus  de  la 
mer ,  seule  base  de  leurs  opérations ,  et  qu'ils  allaient 
se  trouver  au  milieu  de  populations  hostiles,  sans  aucune 
sécurité  pour  leurs  ravitaillements  et  leurs  communications. 

Le  général  de  Lorencez  s'arrêta  plusieurs  jours  à  Orizaba, 


144  l"   PARTIE.  CHAPITRE  III. 

1862.  afin  d'attendre  les  colonnes  laissées  en  arrière.  Il  fut  re- 
joint, le  24  avril,  par  le  colonel  L'Héritier,  et,  le  25,  par  le 
colonel  Gambicr,  du  2*^  zouaves,  qui  amenait  le  reste  de  son 
régiment  ('). 

L'intention  du  général  en  chef  était  de  ne  laisser  aucun 
poste  entre  Yera-Cruz  et  la  colonne  expéditionnaire  et  d'éta- 
blir à  Orizaba  ses  magasins  et  ses  dépôts. 

Une  troupe  mexicaine  de  cent  cavaliers  et  de  cent  fan- 
tassins, commandés  par  le  général  Galvez,  rallia  la  colonne 
française  à  Orizaba.  Ce  chef,  qui  appartenait  au  parti  con- 
servateur, avait  d'abord  profité  de  Vindulto  offert  par 
Juarez  et  s'était  laissé  incorporer  dans  l'armée  libérale. 
Mieux  éclairé,  disait-il,  sur  les  véritables  intentions  de  la 
France,  il  venait  se  ranger  auprès  du  général  Almonte  et 
prétendait  que  beaucoup  d'autres  suivraient  son  exemple. 

Le  gouvernement      A  ce  momcut  arriva  le  courrier  de  France.  Il  annon- 

fnmçais  désap-  .  i      i       o    i     i     i  •       n 

prouve        çait  quc  la  Convention  de  la  Soledad  était  formellement 

la  convention  n  •         r 

de  la  Soledad.  désapprouvée  par  le  gouvernement  français.  Un  blâme 
de  l'amrai.  sévèrc  était  infligé  à  Tamiral  Jurien,  sur  lequel  on  faisait 
retomber  toute  la  responsabilité  de  cet  acte,  M.  de  Saligny 
ayant  sans  doute  pris  soin,  dans  ses  dépêches  particulières, 
de  décliner  d'avance  la  part  qui  aurait  dû  naturellement 
lui  incomber  (^). 

Les  impressions  du  gouvernement  français  se  trouvent 

nettement  exposées  dans  une  note  publiée  par  le  Moniteur 

•  officiel  du  2  avril.  Cette  note,  après  avoir  démenti  le  bruit, 

que  le  gouvernement  de  l'Empereur   avait  demandé  à 

l'Espagne  le  rappel  du  général  Prim,  continuait  ainsi  : 

(•)  Un  accident  de  mer  avait  retardé  jusqu'au  8  avril  l'arrivée  de  ce  détache- 
ment au  Mexique. 

(2)  Le  ministre  de  la  ^.'uerre  au  tfénéral  de  Lorencez.  20  mars  1862. 


l'aMIR.  JURIEN  de  la  (.RAVIÈRE  ET  LE  GÉN.  DE  LORENCEZ,  14o 

1  Le  gouvernement  de  l'Empereur  a  désapprouvé  la  convention  i862. 

conclue  avec  le  général  mexicain  Doblado  par  le  général  Prim,  et  — 

acceptée  par  les  plénipotentiaires  alliés,  parce  que  cette  conven- 
tion lui  a  semblé  contraire  à  la  dignité  de  la  France. 

«  En  conséquence,  xM.  de  Saligny  a  été  seul  chargé  des  pleins 
pouvoirs  politiques,  dont  le  vice-amiral  Jurien  de  la  Gravière  était 
revêtu,  et  cet  oificier  général  a  reçu  Tordre  de  reprendre  simplement 
le  commandement  de  la  division  navale.  » 

En  effet,  l'amiral  était  invité  à  remettre  ses  pouvoirs 
militaires  entre  les  mains  du  général  de  Lorencez,  promu 
au  grade  de  général  de  division  et  à  reprendre  le  comman- 
dement de  la  division  navale,  s'il  ne  préférait  rentrer  en 
France.  Ce  fut  à  ce  dernier  parti  qu'il  s'arrêta;  pendant 
que  la  petite  armée  française  se  dirigeait  sur  Puebla,  il  fit, 
non  sans  tristesse,  ses  préparatifs  de  départ. 

Le  3  mai,  il  se  mit  en  route  pour  Yera-Gruz  avec  l'es- 
corte de  la  troupe  mexicaine  de  Galvez  el  de  quelques  sol- 
dats isolés.  Il  traversa  heureusement  les  terres  chaudes, 
déjà  parcourues  par  de  nombreuses  guérillas,  et  quatre 
jours  après  il  appareillait  pour  France,  sans  avoir  eu  la 
douleur  d'apprendre  le  grave  échec  subi,  le  5  mai,  devant 
Puebla,  par  le  général  de  Lorencez. 

En  présence  de  la  désapprobation  formelle  donnée  à  la 
conduite  de  l'amiral,  il  faut  se  demander  si  le  gouverne- 
ment français  avait,  dès  le  début,  mis  entre  ses  mains  des 
moyens  matériels  suffisants  pour  lui  permettre  de  faire  la 
guerre  sans  le  concours  des  alliés.  Les  faits  qui  précèdent 
prouvent  surabondamment  le  contraire.  Quelles  alternatives 
restaient  donc  à  l'amiral  Jurien,  lorsque,  dans  la  nuit  du 
19  février,  le  général  Prim  présenta  à  sa  signature  la  con- 
vention qu'il  venait  de  conclure  avec  le  général  Doblado  et 
qu'approuvaient  également  les  commissaires  anglais?  Mar- 
cher seul  en  avant  et  exposer  son  petit  corps  d'armée  à  un 

10 


146  l"   PARTIE.  —  CHAPITRE  111. 

désastre  inévitable,  ou  rester  dans  ses  campements  insa- 
lubres et  attendre  que  le  vomito  exerçât  ses  ravages  sur 
ses  soldats,  ou  enfin  rembarquer  ses  troupes  et  les  ramener 
aux  Antilles.  Ce  dernier  parti  était  sans  doute  le  meilleur  ; 
mais  on  lui  eût  certainement  reproché  d'avoir  compromis 
la  politique  de  la  France  par  une  retraite  dont  ses  instruc- 
tions ne  lui  laissaient  pas  la  latitude.  Il  est  donc  certain 
que  l'insuffisance  des  dispositions  militaires  prises  par  le 
gouvernement  français  avait  mis  l'amiral  dans  la  néces- 
sité absolue  d'adhérer  à  la  convention  de  la  Soledad. 

L'amiral  ne  méritait  pas  assurément  le  blâme  qui  lui  fut 
alors  infligé  ;  il  eût  été  bien  désirable  au  contraire  qu'il 
restât  au  Mexique,  afin  de  corriger  par  sa  prudence  et  la 
droiture  de  son  esprit  les  erreurs  trop  nombreuses  que  des 
tendances  fort  différentes  firent  commettre  à  M.  de  Saligny. 
Justice  ne  tarda  pas,  du  reste,  à  lui  être  rendue,  et  l'Empe- 
reur en  donna  un  éclatant  témoignage  en  le  prenant  pour 
aide  de  camp.  L'amiral  Jurien  tint  cependant  à  honneur 
de  ne  pas  quitter  le  commandement  de  la  division  navale 
du  golfe  du  Mexique,  et  nous  le  retrouverons  à  la  tête  de 
l'escadre  pendant  une  des  périodes  les  plus  difficiles  et  les 
plus  dangereuses  de  la  campagne. 

La  convention  de  la  Soledad  était,  il  est  vrai,  en  contra- 
diction formelle  avec  les  raisons  qui  avaient  motivé  l'expédi- 
tion du  Mexique.  La  France  et  TEspagne  ne  pouvaient  avoir 
envoyé  15,000  hommes  de  troupes  pour  recommencer  des 
négociations  illusoires  qui,  depuis  de  longues  années, 
aboutissaient  à  des  traités  toujours  inexécutés.  Il  valait  peut- 
être  mieux  ne  pas  aller  au  Mexique  ;  mais  l'expédition  une 
fois  entreprise,  il  fallait  sortir  résolument  du  cercle  dans 
lequel  la  diplomatie  tournait  depuis  trop  longtemps. 

D'ailleurs,  le  gouvernement  français  n'avait  pas  été  le 


l'aMIR.  JURIEN  de  la  GRAVIÈRE  et  le  GÈy.   DE  LORENCEZ,  147 

seul  à  désapprouver  les  préliminaires  de  la  Soledad.  L'am-         -1862. 
bassadeur  de  France  à  Londres  avait  écrit  à  ce  sujet  k  ~" 

^I,  Thouvenel  :  «  Lord  Russell  partage,  en  tout  point,  la 
manière  dont  Votre  Excellence  apprécie  la  conduite  adop- 
tée par  nos  commissaires  et  la  situation  qu'elle  a  créée  »  0). 
Cependant  les  explications  fournies  par  Sir  Ch.  Wyke  mo- 
difièrent cette  première  impression,  et  sans  approuver  tous 
les  détails  de  l'arrangement,  le  cabinet  anglais  «  se  montra 
satisfait  que  les  griefs,  pour  lesquels  on  demandait  réparation, 
fussent  devenus  V objet  de  négociations  »  ^^). 
De  son  côté  l'ambassadeur  à  Madrid  écrivit  : 

«  Le  gouvernement  de  la  Reine  a  éprouvé  une  impression  pé- 
nible en  prenant  connaissance  de  l'arrangement  conclu  à  la  Sole- 
dad  JJans  la  dépêche  adressée  au  comte  de  Reus  à  ce  sujet, 

dont  la  forme  polie  ne  dissimule  pas  un  blâme  irès-catégorique,  le 
gouvernement  de  la  Reine  exprime  la  désapprobation  qu'il  donne 

à  plusieurs  des  clauses  de  cet  arrangement II  demeure  donc 

acquis  que  les  plénipotentiaires  se  sont  écartés  des  instructions 
qu'ils  avaient  reçues  de  leurs  gouvernements  respectifs  et  qu'ils 
ont  agi  contrairement  à  l'esprit  de  la  convention  du  31  octobre. 
Mais  aujourd'hui  que  le  mal  est  fait,  dit  le  maréchal  O'Donnell,  il 
faut  aviser  à  le  réparer  »  •^'. 

«  Après  des  appréciations  si  peu  équivoques,  le  gouver- 

(1)  M.  de  Flahaut  à  M.  Thouvenel,  28  mars  1862. 

(2)  M.  Thouvenel  à  M.  de  Saligny,  12  avril  1862. 

(3)  iM.  Barrot  à  M.  Thouvenel,  23  mars  1862. 

Voir  le  mémorandum  de  M.  Calderon  Collantes,  annexé  à  la  dépèche  de 
M,  Barrot  du  23  mars  :  «  Le  gouvernement  espagnol,  acceptant  l'ensemble  de  la 
convention  comme  un  fait  accompli,  en  désapprouvait  les  détails  ;  son  opinion  se 
résumait  ainsi  :  —  Art.  i"  :  Aurait  pu  être  omis,  parce  qu'il  donnait  au  gouver- 
nement de  Juarez  une  force  morale  qu'il  n'avait  pas.  — Art.  4  :  S'explique  par 
des  considérations  d'honneur  militaire.  Les  Mexicains,  eu  égard  à  la  générosité 
avec  laquelle  iîs  sont  traités,  auraient  dû  l'omettre.  —  Article  dernier,  relatif  aux 
conférences  d'Orizaba  est  le  moins  justifié.  L'ordre  est  donné  au  général  Prini 
d'agir  avoc  la  plus  grande  promptitude  et  énergie  et  d'nbandonuer  tout  système 
de  temporisation,  si  les  r.'sultats  de  la  confi-rence  ne  sont  pas  complètement 
favorables. 


de  l'alliance. 


148  f"  PARTIE.  CHAPITRE    III. 

-1862.  nement  français  pensait  que  le  cabinet  de  Madrid  partageait 
entièrement  sa  manière  de  voir Quelle  fut  donc  sa  sur- 
prise en  trouvant  quelques  jours  plus  tard,  dans  les  expli- 
cations données  aux  Gortès  par  M.  Galderon  Collantes  une 
approbation  sans  réserve  de  la  marche  suivie  par  le  général 
Prim  et  des  préliminaires  de  la  Soledad(^).  » 
Politique  adoptée  Plustard,  TEspagnc  ct  l'Angleterre  approuvèrent  d'ail- 
trois  puissances  Icurs  Complètement  la  rupture  de  Palliance  prononcée  dans 
de  la  rupture  de  la  confércnce  du  9  avril.  Elles  ne  pouvaient  s'associer,  di- 
saient-elles, à  une  politique  qui  «  subordonnait  à  l'établis- 
sement d'une  monarchie,  les  intérêts  directs  et  personnels, 
qui  avaient  amené  les  alliés  au  Mexique  »  C^). 

Le  gouvernement  français  repoussait  naturellement  cette 
accusation  ;  «  ce  n'était  pas  du  camp  français  que  devait 
partir  l'initiative  de  la  régénération,  mais  bien  du  pays  lui- 
même,  reprenant  confiance,  grâce  à  la  présence  des  forces 
françaises  »  (^).  Toutefois,  si  l'attitude  de  l'Angleterre  ne 
le  surprenait  pas,  il  n'en  était  pas  de  même  de  celle  de 
l'Espagne.  Il  se  croyait  même  autorisé  à  s'en  plaindre. 
M.  Thoiivenel  le  fit  dans  une  dépêche  qu'il  chargea  l'am- 
bassadeur à  Madrid  de  remettre  au  premier  secrétaire 
d'État  de  la  Reine. 

c(  La  France  et  l'Angleterre  n'étaient  pas  encore  décidées  à  re- 
courir aux  mesures  coercitives,  contre  un  gouvernement  qui  mé- 
connaissait tous  ses  devoirs,  que  l'Espagne,  devançant  notre  accord, 
s'était  déjà  préparée  à  réclamer  les  armes  à  la  main  l'exécution 
toujours  refusée  du  traité  signé  par  M.  Mon  et  par  le  général  AI- 
monte,  et  la  réparation  qui  lui  était  due  pour  l'offense  faite  à  son 

représentant  M.  Pacheco Les  trois  puissances  n'hésitaient  pas 

alors  à  reconnaître  que  le  gouvernement  de  Juarez  ne  leur  offrait 
ni  dans  le  présent,  ni  dans  Tavenir,  aucune  des  garanties  qu'elles 

(1)  M.  Thouvenel  à  M.  Barrol.  15  avril  1862. 

(2)  M.  Tliouvcnel  à  M.  Barrot,  10  juin  1802. 

(3)  M,  Tliouvpnol  ;'i  M.  fif  S;iliu;ny.  :\\  iimi  1862. 


l'A311R.  JURIEN  de  la  GRAVIÈRE  ET  LE  GÉiN.  DE  LORENCEZ.     149 

cherchaient;....  l'ardeur  dont  l'Espagne  avait  fait  preuve  en  pré-  ^ggj. 
cédant  les  alliés  au  Mexique,  semblait  indiquer  de  sa  part  la  vo- 
lonté de  se  faire  justice  plutôt  que  de  négocier;....  nous  devons 
constater  qu'au  moment  où  nos  plénipotentiaires  se  sont  séparés 
de  leurs  collègues,  le  9  avril  à  Orizaba,  aucune  offense  n'était 
vengée,  aucun  dommage  n'était  réparé,  le  but  de  la  convention  de 
Londres  n'était  donc  pas  atteint.  » 

Au  sénat  et  à  la  chambre  des  députés  espagnols,  la  con- 
duite du  gouvernement  fut  du  reste  très-vivement  attaquée  , 
car  il  était  difficile  de  regarder,  comme  un  triomphe  de  la 
diplomatie  espagnole,  la  solution  imprévue  donnée  à  l'expé- 
dition contre  le  Mexique,  et  la  fierté  castillane  souffrait  de 
voir  revenir  si  modestement  le  corps  expéditionnaire  dont 
le  départ  pour  les  côtes  du  Nouveau-Monde  avait  été  salué 
avec  tant  d'enthousiasme. 

En  Angleterre,  au  contraire,  le  sentiment  public  se 
montra  généralement  satisfait.  On  se  félicitait  de  la  pru- 
dente attention  avec  laquelle  les  ministres  anglais  avaient 
suivi  la  question  mexicaine.  Tout  en  conservant  avec  la 
France  les  anciennes  relations  d'amitié,  que  rendait  plus 
précieuses  encore  la  crainte  d'un  conflit  avec  les  Etats-Unis, 
ils  avaient  su  éviter  le  danger  d'une  alliance  trop  étroite 
avec  un  gouvernement  dont  la  politique  était  engagée 
d'une  manière  si  aventureuse.  Lorsque  la  question  mexi- 
caine avait  commencé  à  se  développer  et  que  Sir  Ch.  Wyke 
avait  été  envoyé  au  Mexique,  on  lui  avait  soigneusement 
rappelé  (*)  qu'il  n'était  pas  dans  les  habitudes  du  gouver- 
nement anglais  de  s'interposer  en  faveur  de  ceux  qui  prê- 
taient leur  argent  aux  gouvernements  étrangers,  mais  qu'il 
fallait  cependant  réclamer  la  stricte  exécution  d'engage- 
ments qui  avaient  pris  le  caractère  d'obhgations  interna- 

(I)  Lord  Russell  à  SirCli.  Wjke,  30  mars  1861.  (Exeout.  docum.,  1861-62.) 


150  1"  PARTIE.  —  CHAPITBE    IH. 

/i  862.        tionales,  comme  par  exemple  les  prélèvements  régulièrement 
~  consentis  sur  le  produit  des  douanes.  Plus  tard.  Sir  Ch. 

Wyke  ayant  sollicité  l'emploi  de  la  force  pour  appuyer 
ses  réclamations,  le  gouvernement  anglais  s'était  montré 
disposé  à  unir  son  action  à  celle  de  la  France,  dont  les 
projets  monarchiques  ne  s'étaient  pas  encore  entièrement 
révélés,  et  il  se  méfiait  au  contraire  du  concours  de  l'Es- 
pagne, dont  les  tendances  ultra-catholiques  pouvaient  de- 
venir, craignait-il,  préjudiciables  aux  intérêts  protestants, 
qu'il  voulait  protéger.  Mais  par  suite  de  l'influence  prise 
par  Sir  Gh.  Wyke  sur  le  général  Prim,  cette  crainte  avait 
disparu  et  la  prépondérance  avait  été  assurée  aux  idées 
anglaises. 

Tandis  que  le  gouvernement  français  abandonnait  presque 
entièrement  à  M.  de  Saligny  la  direction  de  sa  politique, 
les  ministres  anglais  continuaient  à  surveiller  très-attenti- 
vement la  conduite  de  leurs  agents.  Ils  les  blâmèrent  sévè- 
rement d'avoir  signé  le  manifeste,  dans  lequel  il  était 
question  de  régénération  du  Mexique  ;  plus  tard  le  commo- 
dore  Dunlop,  en  rendant  compte  de  l'arrestation  de  Mira- 
mon,  ayant  exprimé  l'idée  que  la  présence  de  ce  person- 
nage aurait  été  un  obstacle  à  cette  régénération  du  pays  (*), 
le  gouvernement  anglais,  bien  qu'approuvant  l'arrestation 
pour  d'autres  motifs,  s'alarma  des  sentiments  que  cette 
expression  semblait  indiquer  chez  son  représentant  et 
donna  immédiatement  des  ordres  pour  qu'il  fût  remplacé 
dans  son  commandement  ;  puis  il  refusa  de  ratifier  les 
dépenses  faites  dans  le  but  de  mobiliser  le  contingent 
anglais  ;  enfin,  pour  mieux  se  garantir  contre  tout  entraîne- 
ment chevaleresque,  qui  aurait  pu  amener  les  officiers 

(1)  (Towards  Uie  purification  and  welfare  oi  Mexico),  30  janvier  1862.  — 
Luid  Russe»  à  Sir  Wyke,  11  mars  1862. 


l'amir.  jurien  de  la  gravière  et  le  gén.  de  lorencez.  151 

anglais  à  suivre  les  troupes  franco-espagnoles  dans  une         <862. 
opération  militaire  vers  l'intérieur,  il  prescrivit  de  rem- 
barquer immédiatement  le  détachement  anglais  et  de  le 
transporter  aux  îles  Bermudes. 

Les  explications  données  par  le  commodore  Dunlop  lui 
permirent  de  conserver  son  poste  ;  mais  il  fut  très-heu- 
reux que  la  courtoise  obligeance  de  l'amiral  Jurien  lui  vînt 
en  aide  pour  le  débarrasser  du  convoi  qu'il  était  menacé 
de  garder  à  son  compte. 

De  son  côté,  Sir  Gh.  Wyke  avait  entamé  des  négociations 
dans  le  but  de  ménager  à  l'Angleterre  les  avantages  d'un 
protectorat  formel,  à  la  condition  qu'elle  prêterait  son 
appui  à  Doblado  pour  renverser  Juarez.  Lord  Russell 
déclina  encore  toute  ingérence  de  cette  nature  dans  les  af- 
faires du  pays.  «  Que  le  Mexique  se  sauve  lui-même,  si  c'est 
possible,  sous  l'administration  de  Doblado,  le  gouverne- 
ment anglais  ne  désire  rien  de  mieux  »  ;  mais  il  ne  veut 
pas  s'en  mêler  (*).  Il  félicitait  au  contraire  ses  agents 
d'avoir,  par  la  convention  de  la  Soledad,  dissipé  les 
craintes  qu'aurait  pu  faire  naître  cet  imprudent  langage 
autrefois  employé  et  trop  souvent  répété  de  «  Régénération 
du  Mexique,  » 

Il  approuva  ensuite  la  rupture  de  l'aUiance  française; 
mais  il  eut  soin  de  ne  pas  donner  trop  d'importance  à  ce 
différend,  de  le  locahser  en  quelque  sorte,  et  de  conserver 
toujours  des  rapports  amicaux  avec  la  France.  Plus  tard,  il 
exprima  au  gouvernement  français,  combien  il  était  satis- 
fait de  pouvoir  refuser  sa  sanction  à  la  convention  conclue 
à  Puebla  entre  Sir  Wyke  et  Doblado,  et  confirma  son  désir 
d'éviter  tout  ce  qui  pourrait  augmenter  le  désaccord  au 

(')  Sir  Ch.  Wyke  à  lord  Russell,  23  février  1862.  —  Lord  Russell  à  Sir  Ch. 
Wyke,  1"  avril. 


132  l'^  PARTIE.  —  CHAPITRE   lll. 

1862.  sujet  du  Mexique,  surtout  dans  un  moment  où  les  troupes 
françaises  éprouvaient  des  difficultés. 

C'est  par  cette  conduite  sage,  prudente,  réservée,  que 
les  ministres  de  l'Angleterre  épargnèrent  à  leur  pays  les 
épreuves  que  la  France  eut  à  subir. 

Dès  cette  époque,  au  contraire,  la  politique  française  se 
trouve  irrévocablement  compromise.  Les  grandes  idées  de 
pondération  et  d'équilibre  américain,  d'indépendance  et  de 
régénération  des  races  latines,  à  la  faveur  desquelles,  pen- 
dant quelque  temps,  les  projets  d'intervention  avaient  pu 
paraître  ne  manquer  ni  de  noblesse,  ni  de  grandeur,  ne 
s'aperçoivent  plus  que  dans  un  vague  lointain  ;  elles  restent 
seulement  l'illusion  généreuse  de  quelques  esprits  abusés. 
Il  faut  que  Juarez  tombe  et  que  les  soldats  français  dressent 
le  pavois  sur  lequel  montera  l'archiduc  Maximilien  pro- 
clamé empereur  du  Mexique.  Tel  est  maintenant  le  but  im- 
médiat et  bien  défini  assigné  à  l'expédition  par  le  représen- 
tant diplomatique  de  la  France.  Et  pourtant  le  ministre  de  la 
guerre  écrivait  au  général  de  Lorencez  en  lui  traçant  un  pro- 
gramme qui  ne  put  malheureusement  être  suivi  :  «  En  vous 
établissant  dans  Puebla,  vous  donneriez  un  appui  suffisant 
au  parti  conservateur,  s'il  existe,  pour  se  former,  se  pro- 
duire, et  amener  les  conditions  d'un  gouvernement  qui  offre 
d'autres  garanties  de  stabilité  et  de  justice  que  celui  qui 

est  étabUdans  ce  moment Ce  plan  aurait  l'avantage,  au 

point  de  vue  politique,  de  laisser  aux  partis  le  champ  libre 
pour  se  disputer  le  pouvoir  dans  les  murs  de  Mexico,  ainsi 
que  cela  s'est  pratiqué  jusqu'à  présent,  et  permettrait  à 
ceux  qui  ne  veulent  pas  de  Juarez  de  triompher  sans  que 
vous  fussiez  compromis  »  (0. 

")  Lu  minibtre  de  la  guerre  au  général  de  Lorencez,  30  mai  1862. 


■  >     Du.nain,.,   UUpalr,-    Ed.ii-up 


C   NUix_  Expédition  du  Me-XK^ip    iBCl    mu?,     IM.uiclw 


PLAN     D'OAJACA 


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CHAPITRE  QUATRIÈME. 


SOMMAIRE. 

Composition  et  situation  du  corps  expéditionnaire.  —  Topographie  du  pays 
entre  Orizaba  etPuebla.  —  Combat  des  Cumbres  (28  avril  1S62). — Attaque  de 
Puebla  (o  mai).  —  Marche  rétrograde  de  Puebla  sur  Orizaba.  —  Combat  de 
la  Barranca-Seca  (18  mai).  —  Mésintelligence  entre  le  général  de  Lorencez  et 
M.  de  SaUgny.  —  Le  général  de  Lorencez  rétablit  ses  communications  avec 
Vera-Cruz.  —  DifiBcultés  pour  les  appro\asionnements  de  livres.  —  Arrivée 
du  général  Douay.  —  Situation  politique.  —  Siège  d"Ûrizaba  par  Tarméc 
mexicaine.  —  Combat  du  Cerro-Borrego  (i4  juin).  —  Mesures  gouvernemen- 
tales du  général  Almonte.  —  Marche  des  convois  entre  Orizaba  et  Vera-Cruz. 
—  Arrivée  d'un  premier  renfort.  —  Lettre  de  l'Empereur  au  général  de 
Lorencez.  —  Départ  du  général  de  Lorencez. 

Le  corps  d'armée  du  général  de  Lorencez  avait  un  effec-     Composition 

'  et  situation  du 

lif  de  7,300  hommes  environ  (^).  corps 

expéditionnaire. 


0BG.^NIS.\TI0N    DU    CORPS    EXPÉDITIONNAIRE. 

(*)  Commandant  en  chef le  général  de  division  de  Lorencez, 

Chef  d'état-major  général le  colonel  d'état-major  Letellier-Valazé. 

Chef  des  services  administratifs  ...  le  sous-intendant  militaire  Raoul. 

Commandant  de  l'artillerie le  chef  d'escadron  Michel. 

Commandant  du  génie le  capitaine  de  Coatpont. 

l  i"  bataillon  de  chasseurs  à  pied.  .   .  .  Commandant  Mangin. 

,    ^  ^  99°  régiment  de  ligne Colonel  L'Hériller. 

de  terre.     J  „      .  .°  ,        °  ,,  ,      ,  ^ 

(  2'  régiment  de  zouaves (.olonel  Gambier. 

Troupes      (  Bataillon  de  marins  fusiliers Cap.  de  frégate  Allègre. 

de  marine.   (  Régiment  d'infanterie  de  marine.  .  .  .  Colonel  IIe.vnioce. 

2'  escadron  du  2'  régiment  de  chasseurs  d'Afrique.  .  Capitaine  db  Folxault. 


154  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE    IV. 

1862.  La  santé  des  troupes  était  alors  excellente  ;  seuls  les  sol- 

dats de  la  première  colonne,  éprouvés  parleur  séjour  pro- 
longé dans  la  terre  chaude,  n'étaient  pas  encore  com- 
plètement remis  de  leurs  fatigues. 

On  avait  pu  largement  assurer  les  transports  ;  un  grand 
convoi  portant  200,000  rations  de  vivres  et  400,000  rations 
de  vin,  se  tenait  prêt  à  suivre  les  colonnes  dans  leur 
marche  sur  Puebla  ;  la  situation  matérielle  était  aussi  bonne 
que  possible,  et  le  soldat  n'aurait  pas  eu  à  souffrir,  si  sa 
solde  n'eût  été  tout  à  fait  insuffisante  dans  un  pays  où  la 
monnaie  de  billon  est  à  peu  près  inconnue,  et  où  la  plus 
petite  pièce  d'argent  généralement  employée  (le  medio-real, 
environ  0  fr.  30)  ne  représente  guère  dans  les  échanges 
plus  de  la  moitié  de  la  valeur  qu'elle  aurait  en  France  (^). 

Les  installations  du  grand  hôpital  d'Orizaba  avaient  été 
complétées  ;  on  y  laissa,  sous  la  protection  de  deux  compa- 
gnies d'infanterie  de  marine  et  de  deux  pièces,  environ 
500  malades  ou  malingres  appartenant  pour  la  plupart 
aux  premiers  détachements  venus  avec  l'amiral. 

Artillerie  de  terre  :  1'^®  batterie  du  9^  rég.  d'artillerie.  Capitaine  Bernard. 

....    .      r  2^  batterie  d'artillerie  de  marine.  .  .  .  Capitaine  Mallat. 

\  Batterie  d'obusiers  de  montagne  servie 

de  marine,  i            ,            .  T-iJo..-, 

\     par  les  marins Lient,  de  vaisseau  Bruat. 

Génie  :  6°  compagnie  du  2*  régiment Capitaine  Barillon. 

Section  du  génie  colonial. 

1'^  comp.  du  3"  escadron  du  train  des  équipages..  .  .  Capitaine  Torracinta. 

(')  Outre  le  medio,  on  trouve  encore  le  quarlillo,  petite  pièce  d'argent  peu 
répandue.  La  monnaie  divisionnaire  de  billon  est  Irùs-rare;  pour  suppléer  à  son 
insuffisance,  certains  grands  hacenderos  font  frapper  des  médailles,  sorte  de  monnaie 
fiduciaire  «jui ,  d'ordinaire,  est  facilement  acceptée  dans  le  voisinage  de  leurs 
propriétés.  Aux  environs  de  Cordova,  on  voit  même  ces  médailles  de  métal  rem- 
placées par  de  petits  morceaux  de  savon  marqués  d'une  estampille. 


LE  GÉNÉRAL  DE  LORENCEZ.  155 

Le  "21  avril  au  matin,  le  général  de  Lorencez,  accompa-  I862. 
gné  de  M.  de  Saligny  et  du  général  Almonte,  partit  d'Ori- 
zaba  pour  se  porter  sur  Puebla.  En  déduisant  de  l'effectif 
total  les  détachements  laissés  à  Vera-Gruz  el  à  Orizaba,  les 
malades  et  les  non-valeurs,  il  restait  environ  6,000  com- 
battants. C'est  avec  cette  poignée  d'hommes  que  le  général 
de  Lorencez  allait,  à  2,000  Heues  de  la  patrie,  tenter  de 
pénétrer  au  cœur  d'un  pays  ennemi,  dans  des  régions  in- 
connues et  sous  un  climat  dangereux  ;  mais,  par  ses  qua- 
lités militaires,  par  la  valeur  de  chacun  des  éléments  qui 
la  composaient,  cette  petite  armée  était  une  des  plus  belles 
que  l'on  pût  voir. 

L'éloignement  de  la  France,  loin  d'amoUir  les  courages, 
inspirait  en  quelque  sorte  plus  d'énergie  au  soldat  ;  il  sem- 
blait que  dans  ces  régions  lointaines  du  Nouveau-Monde, 
la  guerre  avait  quelques-uns  des  charmes  de  l'aventure.  La 
meilleure  intelligence  régnait  alors  entre  les  chefs  militaires 
et  les  hommes  poUtiques  qui  les  accompagnaient  ;  l'espoir 
du  succès  était  dans  tous  les  cœurs. 

Le  général  de  Lorencez  était  plein  de  confiance.  Il  écri- 
vait au  ministre  (')  : 

<  Nous  avons  sur  les  Mexicains  une  telle  supériorité  de  race, 

d'organisation,  de  discipline,  de  moralité,  et  d'élévation  de  senti- 
ments que  je  prie  Votre  Excellence  de  vouloir  bien  dire  à  l'Empe- 
reur que  dès  maintenant  à  la  tête  de  ses  6,000  soldats,  je  suis  le 
maître  du  Mexique. 

«.  Je  regretterais  profondément  que  les  correspondances  offi- 
cielles ou  particulières,  eussent  détourné  l'Empereur  de  ses  projets 
sur  le  Mexique  et  qu'elles  eussent  fait  hésiter  le  prince  Maximilien 
à  accepter  la  couronne  que  Sa  Majesté  voulait  lui  mettre  sur  la  tête. 
Je  suis  de  plus  en  plus  convaincu  que  la  monarchie,  ainsi  que  j'ai 

(1)  Le  général  de  Lorencez  au  ministre,  26  avril  1862. 


et  Puebla. 


156  l"  PARTIE.  CHAPITRE  IV. 

1862.         déjà  eu  l'honneur  de  l'écrire  à  Votre  Excellence,  est  le  seul  gou- 
~  vernement  qui  convienne  au  Rlexique,  et  je  suis  également  assuré 

qu'en  très-peu  d'années  ce  pays,  bien  gouverné,  jouira  d'une  pros- 
périté inouïe.  » 

Topographie         Deux  roLites  Conduisent  d'Orizaba  sur  le  plateau  d'Ana- 

du  pays  ,  ,,  .  . 

entre  Orîzaba  huac  ;  l'une,  qui  avait  été  déjà  parcourue  en  partie  par  les 
troupes  de  l'amiralJurien,  suit  l'étroite  vallée  du  RioBlanco 
et  franchit,  aux  Cumbres  d'AcuItzingo,  la  grande  chaîne  qui 
limite  la  terre  tempérée.  La  deuxième  traverse  les  mon- 
tagnes aux  Cumbres  de  Maltrata;  elle  est  fort  difficile, 
quoique  à  la  rigueur  praticable  aux  voitures,  et  vient  abou- 
tir à  San  Andrès  Chalchicomula.  Le  général  de  Lorencez 
suivit  la  première  de  ces  routes. 

Le  général  Zaragoza,  gêné  par  la  présence  à  Matamores 
de  Izucar  de  quelques  milliers  d'hommes  des  bandes  réac- 
tionnaires, se  retira  d'abord  au  delà  des  montagnes  à  San 
Agustin  del  Palmar,  d'où  il  pouvait  surveiller  à  la  fois  les 
routes  d'Orizaba  et  celles  de  Matamores. 

Mais  le  gouvernement  de  Juarez  ayant  obtenu  la  neutra- 
lité de  Zuloaga,  un  des  principaux  chefs  delà  réaction,  le 
général  Zaragoza,  dégagé  en  grande  partie  des  préoccupa- 
tions qui  lui  venaient  de  ce  côté,  se  porta  de  nouveau  en 
avant  et  vint  prendre  position  aux  Cumbres,  le  jour  même 
où  le  général  de  Lorencez  sortait  d'Orizaba. 

Les  Cumbres  d'AcuItzingo  forment,  comme  nous  l'avons 
dit,  une  partie  du  soubassement  du  plateau  d'Anahuac.  Ce 
sont  deux  épaisses  murailles  presque  verticales,  séparées  par 
une  étroite  vallée,  qui  court  du  nord  au  sud  et  débouche  sur 
Tehuacan(0.  C'est  sur  cette  forte  position,  presque  impos- 
sible à  tourner,  que  le  général  Zaragoza  résolut  d'attendre 

-')  Voir  le  plan. 


LE    GÉNÉRAL    DE    LORENCEZ.  137 

les  troupes  françaises.  Il  avait  environ  4,000  hommes  di-  1862. 
visés  en  cinq  brigades  d'infanterie,  trois  batteries  de 
montagne  de  6  pièces  et  deux  cents  cavaliers.  Il  les  ré- 
partit de  la  manière  suivante  :  à  sa  droite  une  brigade  sous 
les  ordres  du  colonel  Escobedo  ;  au  centre,  défendant  la 
route  et  les  bâtiments  en  partie  ruinés  d'un  ancien  presidio, 
une  brigade  commandée  parle  général  Arteaga  ;  à  sa  gauche 
la  brigade  du  général  Negrete.  En  arrière,  sur  le  sommet 
des  grandes  Gumbres,  une  brigade  en  première  réserve  ; 
plus  en  arrière  encore,  sur  les  pentes  des  deuxièmes  Gum-  • 
bres,  une  autre  réserve  formée  par  la  brigade  du  général 
Porfirio  Diaz  avec  une  batterie  de  6  pièces. 

Le  général  de  Lorencez,  après  avoir  bivouaqué,  le  27  des^cïmbrcs 
avril,  à  l'hacienda  de  Tecamalucan,  prit  possession  du  vil-  -^  3^'''  ^^^-• 
lage  d'Acultzingo,  le  lendemain  matin  vers  neuf  heures;  il 
y  étabht  son  camp.  Depuis  le  départ  d'Orizaba,  on  n'avait 
aperçu  que  quelques  éclaireurs  ennemis  chargés  de  surveil- 
ler les  mouvements  de  la  colonne  française.  Les  renseigne- 
ments s'accordaient  à  dire  que  le  général  Zaragoza  se  repliait 
sur  Mexico  et  que  le  passage  des  Gumbres  était  libre  ;  on 
campa  donc  à  Acultzingo,  croyant  n'avoir  devant  soi  que 
quelques  escadrons  de  cavalerie  et  sans  se  douter  de  la 
proximité  de  l'ennemi,  dont  les  forces  étaient  dissimulées 
derrière  les  escarpements  de  la  montagne.  Mais  vers  une 
heure  et  demie,  une  compagnie  de  zouaves,  ayant  commen- 
cé à  gravir  les  hauteurs  pour  prendre  une  position  de 
grand'garde,  fut  accueillie  par  une  vive  fusillade,  et  presque 
aussitôt  l'ennemi  démasqua  le  feu  de  ses  batteries. 

Le  général  de  Lorencez  fit  immédiatement  prendre  les 
armes  et  se  décida  à  forcer  le  passage  le  jour  même.  Il 
donna  l'ordre  au  bataillon  de  chasseurs  à  pied  de  se  por- 
ter en  avant  et  d'engager  l'aclion.  Doux  compagnies  gravi- 


1S8  )''  PARTIE.  • —  CtlAPÏTRE   iV. 

1862.  rent  les  pentes  de  droite  de  la  montagne  pour  enlever  la 
batterie  que  les  Mexicains  avaient  établie  sur  un  contre-fort 
et  dont  le  feu  commandait  la  route.  Au  centre,  deux  autres 
compagnies  et  la  compagnie  de  grand'garde  des  zouaves, 
suivirent  les  sentiers  rocailleux  sur  le  flanc  des  hauteurs  ; 
à  gauche,  les  deux  dernières  compagnies  s'avancèrent  sur 
la  route,  marchant  droit  sur  les  ruines  du  presidio,  où  l'en- 
nemi s'était  fortement  retranché.  La  cavalerie,  qui  ne  pou- 
vait être  utilisée  dans  la  circonstance,  fut  massée  derrière 
un  mouvement  de  terrain. 

Les  Mexicains  étaient  trop  supérieurs  en  nombre,  et  leur 
position  trop  forte,  pour  que  les  chasseurs  à  pied  pussent 
suffire  à  les  déloger.  Le  général  de  Lorencez  fit  soutenir 
les  chasseurs  par  un  bataillon  du  2*  zouaves  ;  deux  com- 
pagnies de  ce  bataillon  allèrent  appuyer  la  compagnie  de 
zouaves,  qui  se  trouvait  déjà  au  centre;  deux  autres  se  por- 
tèrent à  l'aile  gauche. 

Dès  que  les  zouaves  eurent  rejoint  les  premiers  détache- 
ments engagés,  l'offensive  fut  reprise  avec  vigueur  ;  mais  le 
feu  de  l'ennemi  arrêta  encore  l'élan  des  troupes  ;  il  fallut 
envoyer  de  nouveaux  renforts.  Enfin,  à  trois  heures,  le 
presidio  fut  enlevé;  une  compagnie,  qui  avait  débordé 
la  droite  de  l'ennemi,  atteignit  le  coi  de  la  montagne,  re- 
poussa à  la  baïonnette  les  attaques  des  Mexicains,  qui  pen- 
saient l'écraser  sous  leur  nombre,  et  couronna  les  hauteurs 
de  gauche.  Bientôt  après,  deux  compagnies  de  zouaves 
couronnèrent  également  les  hauteurs  de  droite;  ce  mouve- 
ment détermina  l'ennemi  à  abandonner  définitivement  la 
position  et  à  se  retirer  au  delà  du  Puente  Colorado  au  pied 
des  deuxièmes  Cumbres.  Les  zouaves  le  suivirent  de  près; 
mais  la  nuit  approchant,  ils  reçurent  l'ordre  de  s'arrêter  en 
avant  du  pont  et  de  ne  plus  répondre  à  son  feu. 


LE  GÉNÉRAL  HE  LORENCEZ.  lo9 

Pendant  ce  combat,  le  général  de  Lorencez  s'était  avancé  1862. 
sur  la  route  avec  le  99®  de  ligne  et  le  bataillon  de  marins 
qui,  formant  la  réserve,  montaient  lentement  sac  au  dos. 
Il  établit  ces  troupes  au  bivouac,  sur  le  col  même,  afin  de 
surveiller  les  mouvements  de  l'ennemi,  et  fit  redescendre 
les  zouaves  et  les  chasseurs  sur  Acultzingo,  où  ils  avaient 
laissé  leurs  bagages. 

Dans  cette  journée,  huit  compagnies  du  2®  zouaves  et  six 
compagnies  du  l'^''  bataillon  de  chasseurs  à  pied  avaient  en- 
levé, après  un  combat  de  trois  heures,  une  position  formi- 
dable, sur  une  hauteur  de  600  mètres  d'élévation,  que  le 
général  ennemi  considérait,  ajuste  titre,  comme  l'obstacle 
le  plus  sérieux  à  opposer  à  la  marche  des  troupes  françaises. 
Les  Mexicains  l'avaient  défendue  avec  une  division  de 
4,000  hommes  (dont  2,000  seulement  furent  engagés), 
200  cavahers  et  18  pièces  d'artillerie.  Il  ne  fut  pas  pos- 
sible d'évaluer  leurs  pertes.  Celles  de  la  colonne  française 
ne  s'élevèrent  qu'à  deux  hommes  tués  et  32  blessés.  Deux 
obusiers  de  montagne  et  vingt  prisonniers  restèrent  entre 
ses  mains. 

Le  général  Zaragoza  se  replia  avec  le  gros  de  ses  troupes 
sur  San  Augustin  del  Palmar.  La  brigade  Escobedo,  ayant 
été  rejetée  fort  à  gauche,  fut  obligée  de  se  retirer  par  la  roule 
de  Tehuacan. 

Le  29  avril,  le  général  de  Lorencez  ayant  laissé  le  batail- 
lon de  chasseurs  au  Puente  Colorado  pour  protéger  le  pas- 
sage du  convoi,  franchit  lui-même  les  deuxièmes  Cumbres 
avec  le  reste  de  ses  troupes.  Il  s'arrêta  au  village  de  la  Ca- 
nada de  Ixtapan,  à  10  kilomètres  de  Puente  Colorado,  pour 
attendre  ses  voitures,  dont  les  dernières  ne  le  rejoignirent 
que  le  30  au  soir. 


160  l'^   PARTIE.  CHAPITRE    IV. 

1862.  Le  corps  expéditionnaire  était  alors  arrivé  sur  le  grand 

plateau  d'Anahuac,  au  centre  duquel  est  bâtie  la  Puebla  de 
los  Angeles,  riche  et  populeuse  cité,  la  deuxième  ville  du 
Mexique  O. 

Cette  contrée,  dont  l'altitude  est  de  2,200  mètres,  jouit 
d'un  climat  sain  et  tempéré  ;  elle  est  couverte  de  riches 
haciendas  et  de  nombreux  villages,  autour  desquels  se  cul- 
tivent toutes  les  céréales  d'Europe.  Dominée  à  l'est  par  le 
pic  d'Orizaba,  la  vallée  de  Puebla  est  limitée  à  l'ouest  par 
la  chaîne  volcanique  du  Popocatepelt  et  de  l'Ixtaccihualt, 
qui  la  sépare  de  la  vallée  de  Mexico  C^).  La  fonte  réguhère 
et  constante  des  neiges,  qui  couvrent  ces  énormes  monta- 
gnes, alimente  les  ruisseaux  et  les  canaux  artificiels  dont 
les  eaux,  réparties  sur  les  cultures  environnantes,  entre- 
tiennent dans  l'atmosphère  une  fraîcheur  inconnue  à  la 
plupart  des  autres  provinces  du  Mexique. 

Le  corps  d'armée  du  général  de  Lorencez  partit  de  la 
Gaîïada  le  l^""  mai  et  arriva  le  même  jour  au  village  de  San 
Agustin  del  Palmar ,  suivant  de  très-près  les  troupes  mexi- 
caines ,  dont  la  ligne  de  retraite  était  jalonnée  par  les 
incendies  des  meules  de  paille  qui  abondent  sur  le  plateau. 
Le  2  mai,  la  colonne  s'arrêta  au  grand  village  de  Quet- 
cholac  ;  le  jour  suivant  à  Acatzingo  ;  le  4  mai,  elle  atteignit 
Amozoc,  petite  ville  à  16  kilomètres  en  avant  de  Puebla. 

Ces  marches  s'étaient  effectuées  sans  difficultés  et  sans 
trop  de  fatigues.  Les  pluies  torrentielles,  accompagnées  de 

(*)  Mexico  compte  210,000  habitants  environ  ;  Puebla,  74,000;  Guadalajara. 
72,000. 

(2)  Le  Popocatepelt  est  à  une  altitude  de 5,419  mètres. 

L'Ixtaccihualt 4.779 

Le  pic  d'Orizaba o,475 

La  limite  des  neiges  éternelles  est  à 4,000 


LE    GÉNÉRAL   DE    LORENCEZ.  161 

tonnerre  et  d'éclairs,  particulières  dans  cette  saison  aux  4862. 
pays  tropicaux,  commençaient  cependant  à  tomber  jour- 
nellement ;  mais,  à  cette  époque,  les  orages  n'éclatent  que 
vers  4  heures  du  soir,  et  les  matinées  sont  presque  tou- 
jours belles.  Le  sol  n'était  pas  encore  détrempé  par  les 
pluies  ;  elles  avaient  au  contraire  l'avantage  de  faire  dispa- 
raître la  poussière  qui,  pendant  la  saison  sèche,  s'accumule 
en  quantité  énorme  sur  les  routes  et  rend  la  marche  très- 
fatigante;  aussi  les  soldats  étaient-ils  toujours  bien  dispo- 
sés, bien  portants  et  remplis  d'énergie. 

Ce  fut  seulement  à  Amozoc  que  le  général  de  Lorencez 
eut  connaissance  des  projets  de  l'ennemi.  Le  général  Zara- 
goza  était  résolu,  disait-on,  à  se  défendre  à  outrance  dans 
Puebla,  où  il  s'était  renfermé  avec  une  forte  garnison  ;  les 
rues  en  étaient  barricadées  et  armées  de  canon.  Jusqu'alors 
aucun  avis  précis  n'avait  été  donné  à  l'armée  française  ;  les 
populations,  celles  même  qu'on  disait  appartenir  au  parti 
réactionnaire,  restaient  très-froides  0)  ;  quant  aux  contin- 
gents que  devaient  amener  Marquez,  Gobos  et  les  autres 
chefs,  on  n'en  avait  aucune  nouvelle.  Dans  la  soirée,  un 
ingénieur  mexicain,  qui  fut  présenté  au  général  de  Loren- 
cez lui  procura  quelques  renseignements  sur  la  place. 

Puebla  est  une  ville  ouverte  ;  elle  est  construite  réguliè- 
rement, les  rues  se  coupent  à  angle  droit,  et  chaque  îlot  de 
maisons  ou  cadre  forme  une  sorte  de  forteresse  carrée,  très- 
efficacement  flanquée  par  les  barricades  des  rues.  De  nom- 
breux couvents,  dont  les  murs  soUdement  bâtis  ont  plusieurs 
mètres  d'épaisseur,  servaient  de  point  d'appui  à  la  défense 
intérieure  ;  en  les  reliant  par  des  communications  couvertes, 
l'ennemi  en  avait  formé  au  centre  de  la  place  un  vaste  ré- 

(')  Le  général  de  Lorencez  au  ministre,  22  naai. 

H 


162  l'*  PARTIE.  —  CHAPITRE    IV. 

1862.  duit,  que  le  général  de  Lorencez  ne  pensait  pas  pouvoir 
enlever  de  vive  force.  La  ville  est  commandée,  à  un  kilomètre 
au  nord-est,  parle  Cerro  de  Guadalupe,  colline  d'un  re- 
lief de  102  mètres,  aux  pentes  abruptes  et  sur  laquelle  est 
construit  un  couvent.  L'ennemi  l'avait  fortifié  et  garni 
d'artillerie.  Ce  mamelon  se  prolonge,  vers  l'ouest,  par  une 
crête  de  1200  mètres  environ  de  longueur,  dont  l'extré- 
mité (en  contre-bas  de  50  mètres  du  couvent  de  Guadalupe) 
est  couronnée  par  un  petit  fort  carré  en  maçonnerie  ap- 
pelé Loreto. 

L'ingénieur  mexicain,  rappelant  les  épisodes  des  guerres 
civiles,  pendant  lesquelles  la  ville  avait  toujours  été  atta- 
quée et  enlevée  par  le  sud,  donnait  l'avis  de  négliger  les 
fortifications  de  Loreto  et  de  Guadalupe,  d'un  accès  fort 
difficile,  et  dont  l'artillerie  ne  devait  avoir  du  reste  que  peu 
d'action  contre  une  attaque  faite  sur  la  partie  opposée  de 
la  ville.  Appuyé  dans  son  opinion  par  les  commandants  du 
génie  et  de  l'artillerie,  le  général  de  Lorencez  pensa,  au 
contraire,  qu'il  était  imprudent  d'aller  se  heurter  contre  les 
massifs  de  maçonnerie  et  les  barricades  de  la  ville,  et  qu'il 
était  préférable  d'enlever  les  forts. 

Attaque  Le  5  mai,  au  point  du  jour,  l'armée  française  quitta  Amo- 

5  mai.  zoc,  ct  à  ncuf  hcurcs  et  demie  du  matin,  ayant  dépassé  les 
mouvements  de  terrain  qui  masquaient  son  horizon,  elle 
se  trouva  en  vue  de  Puebla. 

Le  général  Zaragoza  avait  environ  12,000  hommes  com- 
mandés par  les  généraux  Negrete,  Berriozabal,  Diaz,  Lama- 
drid,  Tapia  et  Alvarez  (ce  dernier  commandant  de  la  cava- 
lerie) ;  il  avait  envoyé  une  partie  de  ses  troupes  aux  ordres 
des  généraux  Carbajal  et  O'Horan  du  côté  d'Atlixco  et  de 
Matamoros,  pour  arrêter  les  bandes  réactionnaires  qui  ten- 


LE    GÉNÉRAL   DE    LOREKCEZ.  163 

teraient  de  rallier  l'armée  française;  il  se  tenait  sur  la  dé-        -1862. 
fensive  dans  la  ville  et  avait  fait  occuper  les  hauteurs  par  la 
division  Negrete  (*),  forte  de  1200  hommes  avec  2  batteries 
de  campagne  et  de  montagne  ;  le  reste  des  troupes  mexi- 
caines attendaient  l'attaque  du  côté  de  la  plaine. 

Après  une  reconnaissance  trop  rapide  pour  être  complète, 
le  général  de  Lorencez  persista  dans  son  intention  de  faire 
attaquer  le  Gerro  de  Guadalupe. 

En  arrivant  d'Amozoc,  on  ne  pouvait  pas  apercevoir  le 
fort  de  Loreto,  entièrement  caché  par  le  couvent  ;  il  était 
probable  que  les  pentes  qui  y  conduisaient  étaient  moins 
roides  que  celles  de  l'autre  extrémité,  mais  pour  l'abor- 
der, il  eût  fallu  exécuter  un  grand  mouvement  tournant 
pendant  lequel  les  troupes  auraient  été  longtemps  expo- 
sées au  feu  de  l'ennemi  et  se  seraient  trop  éloignées  du 
convoi  que  l'on  faisait  masser  près  de  l'hacienda  de  los 
Alamos. 

L'attaque  de  Guadalupe  ayant  donc  été  définitivement 
résolue,  des  rampes  praticables  à  l'artillerie  furent  ouvertes 
le  long  d'un  ravin  qu'on  devait  traverser,  et  les  troupes 
arrêtées  à  3  kilomètres  de  la  ville  firent  le  café. 

A  onze  heures,  les  dispositions  suivantes  furent  prises  : 

La  colonne  d'attaque,  formée  de  deux  bataillons  de 
zouaves  ayant  entre  eux  les  dix  pièces  d'artillerie,  traversa 
le  ravin  et  appuya  sur  la  droite  de  manière  à  aborder  les 


(1)  Le  général  Negrete,  ancien  chef  réactionnaire,  s'élaitrallié  au  gouvernement 
de  Juarez  au  moment  de  l'invasion  étrangère;  il  résista  à  toutes  les  suggestions 
et  ne  voulut  pas  se  joindre  à  Alinonte  ;  il  en  était  de  même  de  O'Horan,  ancien 
aide  de  camp  et  secrétaire  particulier  de  Marquez.  —  Le  général  OHoran  adhéra 
plus  tard  à  l'empire  ei  fut  fusillé  sur  l'ordre  de  Juarez  après  la  chute  de  l'empe- 
reur MaxJmilien  ;  quant  à  Negrete ,  qui  fut  pendant  quelque  temps  ministre  de 
la  guerre  de  Juarez ,  il  reprit  les  armes  contre  le  gouvernement  libéral  aussitôt 
que  les  troupes  françaises  eurent  quitté  le  Mexique. 


164  l"   PARTIE.  CHAPITRE    IV. 

4862.  hauteurs  par  les  pentes  les  moins  rapides.  Le  régiment 
d'infanterie  de  marine  resta  en  réserve  ;  les  fusiliers  marins 
et  la  batterie  de  montagne  se  dirigèrent  vers  la  droite 
de  la  colonne  d'attaque,  afin  d'en  protéger  les  derrières 
contre  la  cavalerie  ennemie. 

A  la  gauche  de  la  ligne  de  bataille,  le  bataillon  de  chas- 
seurs fit  face  aux  corps  mexicains  en  position  dans  la  plaine 
et  qui  avaient  poussé  quelques  tirailleurs  en  avant.  Le  99' 
de  ligne  et  quatre  compagnies  d'infanterie  de  marine  furent 
chargés  de  la  garde  du  convoi.  L'escadron  de  chasseurs 
d'Afrique  s'avança  derrière  les  colonnes  d'infanterie,  et  une 
ambulance  volante  fut  de  suite  établie  dans  les  bâtiments 
de  l'hacienda  Rementeria.  L'artillerie  ayant  ouvert  le  feu  à 
2,000  mètres  environ,  tira  pendant  trois  quarts  d'heure 
sans  résultat  appréciable  ;  les  pièces  furent  alors  portées 
plus  à  droite  afin  de  battre  directement  la  face  de  l'ou- 
vrage sur  laquelle  l'assaut  devait  être  donné  ;  mais  par 
suite  du  relief  du  sol,  plus  on  s'approchait,  moins  on  avait 
de  vue  sur  les  fortifications  et  moins  le  tir  de  l'artillerie, 
dirigé  de  bas  en  haut,  pouvait  être  efficace  ;  celui  des  batte- 
ries ennemies,  parfaitement  servies,  était  au  contraire  fort 
meurtrier. 

Le  général  Zaragoza,  qui  n'avait  pas  prévu  une  attaque 
dans  cette  direction,  envoya  en  toute  hâte  la  brigade  Berrio- 
zabal  sur  le  Gerro  de  Guadalupe,  renforcer  la  division 
Negrete,  et  fit  sortir  delà  place,  derrière  Loreto,  un  corps 
de  cavalerie,  destiné  à  charger  à  son  extrême  gauche  sur 
les  colonnes  d'attaque.  Avec  le  gros  de  ses  troupes,  il  prit 
position  :  sa  gauche  (brigade  Lamadrid)  appuyée  au  Cerro 
Guadalupe,  sa  droite  (division  Diaz)  à  l'église  de  los  Remé- 
dies, dans  le  faubourg  de  la  ville  ;  lo  reste  de  sa  cavalerie 
étant  à  son  extrême  droite. 


LE  GÉNÉRAL  DE  LOREKCEZ.  163 

Après  une  heure  et  quart  de  canonnade,  l'artillerie  4862. 
française  avait  dépensé  1000  coups  environ,  c'est-à-dire 
la  moitié  de  ses  munitions,  et  les  défenses  de  l'ennemi 
n'étaient  pas  encore  endommagées  ;  le  général  de  Lorencez 
se  résolut  néanmoins  à  tenter  une  attaque  de  vive  force. 
Les  deux  bataillons  de  zouaves  étaient  déjà  arrivés  à  mi- 
côte  ;  il  fit  avancer  quatre  compagnies  de  chasseurs  à  pied 
et  leur  prescrivit  de  gravir  les  pentes  à  la  gauche  des 
zouaves,  de  manière  à  diviser  l'attention  de  l'ennemi  ;  deux 
compagnies  de  ce  bataillon  restèrent  seules  dans  la  plaine 
faisant  face  à  la  gauche  de  l'armée  mexicaine.  Le  1"  batail- 
lon de  zouaves,  la  batterie  de  montagne,  le  bataillon  de 
marins  et  l'infanterie  de  marine  durent  obliquer  à  droite, 
en  s'abritant  le  plus  possible  des  feux  de  Loreto,  et  prendre 
la  position  à  revers  ;  une|  section  du  génie  munie  de  plan- 
ches à  échelons  fut  jointe  à  chacune  des  colonnes. 

Le  signal  de  l'assaut  est  donné. 

Les  chasseurs  à  pied,  arrivés  près  des  zouaves  du  2^  ba- 
taillon, s'élancent  avec  eux  sur  le  couvent  de  Guadalupe  et 
luttent  d'héroïsme  pour  escalader  ces  formidables  posi- 
tions encore  intactes.  C'est  en  vain  que  sous  un  feu  terrible 
ils  franchissent  un  profond  fossé,  obstacle  aussi  sérieux 
qu'inattendu  ;  quelques-uns  parviennent  à  se  hisser  sur  le 
mur,  mais  leurs  efforts  ne  peuvent  rien  contre  un  solide 
réduit  organisé  autour  de  l'église  et  défendu  par  trois  étages 
de  feux  superposés  ;  tous  tombent  glorieusement,  à  l'ex- 
ception du  clairon  Roblet,  qui  se  maintient  quelque  temps 
en  sonnant  la  charge. 

Pendant  cet  assaut  le  l'^'"  bataillon  de  zouaves  prononçait 
son  mouvementplus  à  droite;  mais  il  fut  reçu  par  une  vio- 
lente fusillade  de  cinq  bataillons  mexicains,  massés  entre 
Guadalupe  et  Loreto;  en  même  temps  les  batteries  de  Loreto 


166  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE   IV. 

jusqu'alors  invisibles  et  silencieuses,  entraient  en  action 
et  prenaient  d'écharpe  la  colonne  d'attaque.  L'arrivée 
du  bataillon  de  marins  et  des  compagnies  d'infanterie 
de  marine  ne  permit  pas  de  triompher  de  la  résistance 
d'un  ennemi  trop  supérieur  en  nombre  et  parfaitement 
abrité. 

Au  même  moment,  la  cavalerie  mexicaine,  sortie  de  Pue- 
bla  derrière  Loreto,  chargeait  ces  troupes  à  l'improviste 
et  les  obligeait  à  s'arrêter. 

D'un  autre  côté  les  deux  compagnies  de  chasseurs  à  pied, 
restées  seules  dans  la  plaine,  se  voyaient  enveloppées  par 
une  nuée  de  cavaliers.  Elles  se  formèrent  en  carré  avec  un 
admirable  sang-froid,  et  malgré  des  pertes  sensibles  ne  se 
laissèrent  pas  entamer. 

«  Ces  deux  compagnies  firent  une  défense  telle,  dit  le 
rapport  du  général  de  Lorencez,  que  je  ne  savais  qui  ad- 
mirer le  plus,  ou  de  ceux  qui  marchaient  sous  le  feu  de 
Guadalupe,  ou  des  chasseurs  qui,  sans  s'étonner  du  nombre 
des  ennemis  qui  les  entouraient,  se  rallièrent  avec  le  plus 
grand  calme  et  tuèrent  ou  dispersèrent  les  cavaliers  qui  se 
précipitaient  sur  eux.  » 

Le  général  de  Lorencez  se  disposait  encore  à  lancer 
deux  compagnies  de  zouaves  qu'il  tenait  en  réserve,  lors- 
qu'éclata  un  orage  terrible,  accompagné  d'énormes  grê- 
lons ;  les  pentes  devinrent  si  glissantes  que  les  hommes 
pouvaient  à  peine  s'y  tenir  debout.  Il  était  alors  quatre 
heures  ;  l'impossibiHté  de  soutenir  la  lutte  plus  long- 
temps étant  démontrée,  le  général  de  Lorencez  fit  battre  en 
retraite. 

Les  bataillons  se  rallièrent  au  pied  du  Cerro  de  Guada- 
lupe, reprirent  leurs  sacs  qu'ils  y  avaient  déposés,  et  res- 
tèrent en  position  pour  empêcher  tout  mouvement  offensif 


LE    GÉNÉRAL   DE    LORENCEZ.  167 

de  l'ennemi  pendant  l'évacuation  des  blessés,  qui  furent         ^862. 
transportés  à  l'hacienda  de  los  Alamos. 

Il  faisait  presque  nuit  lorsque  cette  opération  fut  ter- 
minée ;  les  troupes  se  replièrent  par  échelons,  sans  être 
inquiétées  ;  à  neuf  heures  du  soir ,  elles  étaient  établies 
au  bivouac. 

Dans  cette  journée,  la  division  du  général  de  Lorencez 
perdit  476  hommes,  chiffre  considérable  relativement  à  son 
effectif  (')  ;  l'ambulance  comptait  alors,  tant  malades  que 
blessés,  345  hommes.  D'après  le  rapport  du  général  Zara- 
goza,  les  Mexicains  eurent  83  hommes  tués,  132  blessés  et 
112  disparus.  Le  général  de  Lorencez  songea  un  instant  à 
renouveler  l'attaque  sur  un  autre  point;  mais  la  crainte 
d'exposer  sa  petite  armée  à  un  nouvel  échec  lui  ht  bientôt 
abandonner  ce  projet,  et  il  se  détermina  à  rétrograder  sur 
Orizaba. 

O  Ces  pertes  se  décomposent  ainsi  : 

TDÉS  ou   DISPARUS.  BLESSÉS. 

Etat-major Le  sous -intendant  Raoul,  tué. 

1  "  bataillon  de  chasseurs.    .  .  4  oflîc".  31  hom*'.  o  ofiîc".       68  hom^'. 

99«  régiment  de  ligne 1                   »  »  2 

2' régiment  de  zouaves (j  80  6  122 

Bataillon  de  marins 1                    8  6  33 

Rég.  d'infanterie  de  marine.  .  3  36  2  03 

Artillerie »                   4  »  4 

Génie »                    »  >>  3 


Totaux 10  ollic".     4o6liom«".         19  oflic".     285  liom'". 

Total  général 476  hommes  (a). 

(*)  Sur  ce   chiffre,  1  officier,  S2  homme-,  avaient  été  blessés  et  faits  prisonniers;    2  hommes  valide» 
seuls  étaient  looibés  aux  mains  de  l'euncmi. 

.(/oarnal  des  marche»  du  u  mai  et  du  29  juiu/] 


168 


1"  PARTIE.  CIlAPITi'.E    IV. 


4862. 

Marche 

rétrograde 

de  Puebla  sur 

Orizaba. 


Le  6  mai,  il  porta  son  campement  un  peu  plus  en  arrière, 
sur  les  cerrosde  Amalucan  et  de  las  Navajas,  qui  dominent 
la  plaine  et  ne  sont  éloignés  de  Puebla  que  de  trois  kilo- 
mètres. 11  y  resta  toute  la  journée  du  7  et  une  partie  de  la 
journée  du  8,  autant  dans  l'espoir  d'attirer  et  de  battre  les 
Mexicains  en  rase  campagne,  que  pour  attendre  le  général 
Marquez,  dont  M.  de  Saligny  et  le  général  Almonte  ne  ces- 
saient d'annoncer  la  prochaine  arrivée.  Le  premier  jour, 
une  colonne  de  cavalerie  s'approcha  du  camp  des  zouaves, 
mais  elle  y  fut  si  vigoureusement  reçue,  qu'elle  prit  la  fuite 
en  laissant  plusieurs  morts  sur  le  terrain,  et  ne  reparut  plus. 
Les  reconnaissances  de  l'ennemi  se  tinrent,  dès  lors,  à 
bonne  distance  des  avant-postes. 

Enfin,  le  8,  à  4  heures  du  soir,  ayant  bien  établi  par  un 
séjour  prolongé  devant  la  ville,  que  s'il  avait  échoué  contre 
des  obstacles  insurmontables,  l'ennemi  de  son  côté  n'avait 
pas  osé  sortir  de  ses  retranchements,  toutes  les  promo- 
tions en  remplacement  des  officiers  et  sous-officiers  tués 
ayant  été  régularisées,  tous  les  blessés  ayant  été  opérés, 
le  général  de  Lorencez  commença  à  faire  défiler  son  convoi 
sur  la  route  d'Amozoc,  et  se  retira  ensuite  dans  le  plus 
grand  ordre. 

Les  Mexicains  furent  encore  plus  étonnés  que  l'ar- 
mée française  du  succès  obtenu  par  eux  le  5  mai.  La  vic- 
toire «  des  enfants  de  VAnahuac  sur  les  premiers  soldats  du 
monde  »  fut  proclamée  avec  enthousiasme  dans  toute  la 
république.  «  C'est  la  justice  de  notre  cause  qui  nous  a 
donné  la  victoire ,  et  l'amour  de  la  patrie  qui  a  sauvé 
la  France  en  1792  nous  sauve  de  même  aujourd'hui.  )> 

(( Les  aigles  françaises  ont  traversé  les  mers  pour 

venir  déposer  au  pied  du  drapeau  mexicain  leurs  lauriers 
de  Sébaslopol,  de  Magenla  et  de  Solférino,  dit  le  général 


LE  GÉ>ÉRA.L  DE  LORENCEZ.  169 

Berriozabal  dans  son  ordre  du  jour;  vous  avez  combattu        ise: 
les  premiers  soldats  de  l'époque  et  vous  êtes  les  premiers 
qui  les  ayez  vaincus  (*).  » 

Le  congrès,  sur  le  point  de  se  séparer,  remit  de  pleins 
pouvoirs  entre  les  mains  de  Juarez. 

Les  généraux  mexicains  rendirent  du  reste  pleinement 
hommage  à  la  bravoure  de  l'armée  française  ;  ils  admirè- 
rent moins  les  dispositions  d'attaque  prises  par  le  général 
de  Lorencez  :  «  L'armée  française  s'est  battue  avec  un 
grand  courage,  dit  le  rapport  du  général  Zaragoza;  son 
général  en  chef  s'est  comporté  avec  peu  d'habileté  dans 
l'attaque  (').  » 

Il  était  difficile  en  effet  d'enlever  de  vive  force  les  fofts 
de  Guadalupe  et  de  Loreto.  L'officier  mexicain,  que  le  gé- 
néral de  Lorencez  avait  vu  à  Amozoc,  avait  bien  dit  que  ce 
n'était  pas  le  point  d'attaque  le  plus  favorable  ;  mais  on 
l'avait  pris  pour  un  agent  de  Juarez  et  l'on  s'était  méfié 
de  ses  avis. 

La  tête  de  la  colonne  française  n'était  arrivée  près  de 
Los  Alamos  qu'à  9  heures.  L'attaque,  ayant  commencé  à 
1 1  heures  et  demie,  n'avait  pas  été  précédée  d'une  re- 
connaissance suffisante  des  positions  ennemies.  Mise  en 
batterie  à  2,000  mètres,  la  nature  du  terrain  ne  lui  per- 
mettant pas,  il  est  vrai,  de  se  rapprocher  beaucoup  plus, 
l'artillerie  de  campagne  ne  pouvait  à  cette  distance  ouvrir 
des  brèches  ;  dans  ces  conditions,  il  était  difficile  d'espérer 
prendre  de  vive  force  des  fortifications  en  maçonneries 
bien  garnies  de  feux  d'artillerie  et  de  mousqueterie.  Le  gé- 
néral de  Lorencez  prétendit  rendre  MM.  Almonte  et  de  Sa- 

^')  Ordre  du  jour  du  7  mai,  reproduit  dans  la  Cronisla  du  15  mai. 
(2)  El  ejercito  frances  se  ha  batido  con  muclia  bizarria  ;  su  gênerai  en  gcfe  se 
ha  portado  con  torpesa  en  el  attaque. 


170  l''  PARTIE.  —  CHAPITRE    IV. 

4862.  ligny  responsables  de  cet  insuccès,  en  leur  reprochant  de 
l'avoir  trompé  sur  les  dispositions  morales  de  l'ennemi.  Ils 
lui  avaient  dit,  en  effet,  que  la  ville  accueillerait  avec  plai- 
sir les  Français  et  que  ses  soldats  seraient  couverts  de  fleurs  ; 
mais,  avant  tout,  il  s'agissait  d'y  pénétrer,  et  par  consé- 
quent d'enlever  une  position  dans  laquelle  l'armée  ennemie 
était  solidement  retranchée.  Les  sympathies  de  la  popula- 
tion de  Puebla  ne  pouvaient  exercer  aucune  influence  sur 
le  résultat  de  cette  opération  militaire. 

Le  général  de  Lorencez  ressentit  un  vif  chagrin  de 
l'échec  qu'il  avait  subi  ;  mais  il  se  montra  à  hauteur  des 
devoirs  nouveaux  que  lui  imposaient  les  circonstances.  Il 
sut  maintenir  le  moral  du  soldat  ;  son  petit  corps  d'armée 
ne  passa  pas  de  la  confiance  aveugle  au  découragement,  et 
la  retraite  de  cette  poignée  de  Français  fut  aussi  mena- 
çante que  l'avait  été  leur  marche  en  avant.  Il  ramena  ses 
troupes  avec  calme,  et  conservant  tout  le  prestige  de  son 
drapeau,  il  se  disposa  à  rester  à  Orizaba  jusqu'à  l'arrivée 
de  renforts. 

Cédant  aux  instances  nouvelles  du  général  Almonte  et 
de  M.  de  Saligny,  qui  le  pressaient  d'attendre  encore  les 
troupes  du  général  Marquez,  le  général  de  Lorencez  sé- 
journa à  Amozoc  le  9  et  le  10  mai.  Mais  il  n'y  fut  rejoint 
que  par  une  dizaine  de  cavaliers  amenés  par  le  général 
Lopez.  Le  mouvement  de  retraite  fut  repris  le  11  mai.  La 
colonne  s'arrêta  successivement  : 

le  11  mai  à  Tepeaca, 

le  12  mai  à  Acatzingo, 

le  13  mai  à  Quecholac, 

le  14  mai  àPalmar, 

le  15  mai  à  la  Canada. 

On  aperçut,  mais  toujours  hors  de  portée,  de  nombreux 


LE  GÉNÉRAL  DE  LORENCKZ.  171 

partis  ennemis  ;  cependant,  à  Palmar,  l'avant-garde  ayant        ^862. 
tourné  rapidement  le  village,  enveloppa  et  fit  prisonniers 
22  cavaliers. 

Le  général  de  Lorencez  pensait  trouver  quelque  résis- 
tance au  passage  des  Gumbres  :  des  abatis  et  des  cou- 
pures avaient  effectivement  été  préparés  sur  la  route, 
mais  aucun  ennemi  ne  parut,  et,  le  16  mai,  la  colonne 
arriva  sans  encombre  à  Acultzingo.  Le  17,  l'ambulance 
fut  transportée  à  Orizaba  ;  le  général  en  chef  s'arrêta  à 
Tecamalucan. 

Un  officier  mexicain  de  l'armée  réactionnaire  se  présenta 
alors  aux  avant-postes  et  annonça  que  la  cavalerie  de  Mar- 
quez, forte  de  2,500  chevaux,  défilait  par  les  sentiers  des 
montagnes  pour  faire  sa  jonction  avec  l'armée  française.  Le 
général  Marquez  arriva  lui-même  une  heure  après.  Il  dit 
qu'il  venait  de  Matamoros  de  Izucar  (à  70  kil.  au  sud  de 
Puebla);  un  détachement  de  l'armée  de  Zaragoza,  envoyé 
contre  lui,  l'avait  empêché  de  rallier  plus  tôt.  Il  confirma 
l'arrivée  prochaine  de  sa  cavalerie. 

Le  18  mai,  le  corps  expéditionnaire  rentra  à  Orizaba,  à 
l'exception  des  deux  bataillons  du  99^  et  de  la  batterie  de 
montagne  laissés  à  Ingenio  à  6  kilomètres  de  la  ville,  pour 
garder  cette  position,  qui  commande  la  vallée  du  Piio  Blanco 
et  la  route  de  Puebla. 

Cependant  les  Mexicains  qui  suivaient  pas  à  pas  le  mou-  Combat 
vement  de  l'armée  française,  d'assez  loin  toutefois  pour  évi-  ^'"^^^'jjg^''^- 
ter  un  engagement,  avaient  déjà  une  avant-garde  de  500 
chevaux  sous  les  ordres  du  général  Tapia,  entre  Acultzingo 
et  Tecamalucan,  près  de  la  Barranca  Seca.  C'est  sur  ce 
point  que  vient  aboutir  le  chemin  de  montagne  suivi  par  la 
cavalerie  de  Marquez,  seule  issue  par  laquelle  elle  pouvait 
descendre  dans  la  vallée  du  Rio  Blanco.  Dès  le  commen- 


172  i"   l'ARTIE.  CHAPITRE    IV. 

<862.  cernent  de  la  journée,  des  groupes  de  cavaliers  étaient 
arrivés  à  la  débandade  et  dans  un  état  d'épuisement  qui 
inspirait  la  pitié. 

Le  général  Tapia  ne  s'était  pas  cru  assez  fort  pour  barrer 
complètement  le  passage  ;  vers  3  heures  du  soir  seulement, 
ayant  été  rejoint  par  environ  1400  hommes  d'infanterie, 
il  attaqua  avec  vigueur  la  cavalerie  réactionnaire.  Mais,  à  la 
même  heure,  le  commandant  Lefebvre  partait  d*'Ingenio 
avec  un  bataillon  de  450  hommes  du  99^  de  hgne  pour 
lui  porter  secours  ;  franchissant  rapidement  les  14  kilomè- 
tres qui  le  séparaient  de  la  Barranca  Seca,  il  atteignit  vers 
5  heures  le  lieu  du  combat.  Les  troupes  du  général  Mar- 
quez étaient  alors  dans  une  position   des  plus  critiques. 

Le  général  Tapia,  appuyant  sa  droite  à  un  mamelon  pier- 
reux, avait  fait  franchir  le  ravin  à  plusieurs  de  ses  batail- 
lons; une  partie  du  corps  de  Marquez  était  déjà  coupé 
de  la  route.  Le  bataillon  du  99^  se  déploya  rapidement  et 
s'élança  au  pas  de  course.  Les  trois  compagnies  de  droite, 
précédées  de  tirailleurs,  poussèrent  vigoureusement  le 
centre  et  la  gauche  de  l'ennemi,  le  culbutèrent  à  la  baïon- 
nette et  refoulèrent  sa  cavalerie,  tandis  que  les  trois  compa- 
gnies de  gauche  se  dirigeaient  sur  le  mamelon  et  en  gravis- 
saient les  pentes  malgré  un  feu  très-vif.  Cet  élan  dégagea 
les  cavaliers  du  général  Marquez,  qui  sut  en  profiter  avec 
décision  et  habileté  ;  passant  derrière  l'infanterie  fran- 
çaise ,  ils  chargèrent  vigoureusement  la  gauche  de  l'en- 
nemi. Le  succès  du  combat  était  déjà  assuré,  mais  cette 
manœuvre  fit  tomber  entre  les  mains  des  Français  et  de 
leurs  auxiliaires  un  nombre  considérable  de  prisonniers. 
L'action,  commencée  à  5  heures  et  demie,  était  terminée 
à  6  heures  et  quart  ;  les  Mexicains  étaient  en  pleine  déroute. 
Une  heure  plus  tard  les  troupes  victorieuses  quittèrent  à 


LE    GÉNÉRAL    DE    LORENCEZ.  173 

leur  tour  le  champ  de  bataille  et  vinrent  bivouaquer  à  <862. 
l'hacienda  de  Tecamalucan.  Dans  ce  combat,  auquel  les 
contingents  de  Marquez  durent  leur  salut,  l'ennemi  perdit 
un  drapeau,  1200  prisonniers,  dont  400  cavaliers,  environ 
100  morts  et  le  double  de  blessés  ;  le  bataillon  du  99*^  eui 
2  tués  et  26  blessés  ;  les  pertes  des  Mexicains  alliés  furent 
d'environ  200  hommes  O. 

Le  combat  de  la  Barranca  Seca  inspira  une  grande  cir- 
conspection à  l'ennemi  ;  le  général  de  Lorencez  put  alors 
s'occuper  d'organiser  ses  cantonnements  à  Orizaba  et  cher- 
cher à  rétablir  ses  communications  avec  la  mer. 

En  rendant  compte  de  la  résistance  inattendue  qu'il  avait 
trouvée  à  Puebla,  le  général  de  Lorencez  sollicita  l'envoi 
au  Mexique  d'un  matériel  de  siège  de  12  canons  et  de  4 
mortiers  et  de  renforts  suffisants  pour  élever  l'effectif  de 
l'armée  à  15  ou  20,000  hommes.  Ses  idées  s'étaient  consi- 
dérablement modifiées  depuis  sa  lettre  du  26  avril.  Il  le 
manifesta  dans  un  ordre  du  jour  à  l'armée. 

î  Soldats  et  marins  !  » 

«  Votre  marche  sur  Mexico  a  été  arrêtée  par  des  obstacles  ma- 
tériels auxquels  vous  deviez  être  loin  de  vous  attendre,  d'après  les 
renseignements  qui  vous  avaient  été  donnés  ;  on  vous  avait  cent 
fois  répété  que  la  ville  de  Puebla  vous  appelait  de  tous  ses  vœux 
et  que  sa  population  se  presserait  sur  vos  pas  pour  vous  couvrir 
de  fleurs.  C'est  avec  la  confiance  inspirée  par  ces  assurances  trom- 
peuses que  nous  nous  sommes  présentés  devant  Puebla » 

Il  accusait  M.  de  Saligny  de  tout  ce  qui  était  arrivé  ;  il 
avait  rompu  ses  relations  avec  lui,  et  s'exprimait  sévère- 
ment sur  son  compte  dans  sa  correspondance  avec  le  mi- 

(')  Le  général  de  Lorencez  au  niiiiistr(\  -li  mai.  —  Rnpportdu  génrral  Zara- 
goza  (Cronista  du  lo  mai  au  l;j  juin). 


-1862. 


Le  général 

de  Lorencez 

rétablit 

ses 

communications 

avec  Vera-Cruz. 


174  l"""  PARTIE.  —  CHAPITRE  IV. 

nistre  de  la  guerre.  I]  lui  supposait  le  projet  de  faire  enle- 
ver le  courrier  de  l'armée  afin  d'empêcher  les  rapports  du 
quartier  général  d'arriver  en  France.  Il  lui  reprochait  en 
termes  très-durs  des  habitudes  incompatibles  avec  la  dignité 
de  son  rang  et  témoignait  même  l'intention  de  le  faire  arrê- 
ter. Le  général  en  chef  ne  se  montrait  pas  plus  satisfait  du 
général  Almonte  ;  il  se  félicitait  au  contraire  de  ses  bonnes 
relations  avec  le  général  Marquez.  Ces  débats  furent  des 
plus  pénibles.  Il  nous  suffit  de  les  avoir  indiqués  pour 
bien  établir  le  changement  qui  s'était  opéré  dans  l'esprit 
du  général  de  Lorencez  depuis  son  arrivée  au  Mexique  et 
la  franchise  avec  laquelle  il  désavouait  les  illusions  des 
premiers  jours  ('). 

Pendant  la  marche  des  troupes  françaises  sur  Puebla,  le 
général  La  Llave,  commandant  les  guérillas  des  terres 
chaudes,  était  venu  prendre  position  au  Chiquihuiteet  avait 
intercepté  toute  communication  entre  les  colonnes  expédi- 
tionnaires et  la  mer.  Un  des  premiers  soins  du  général  de 
Lorencez,  après  son  retour  à  Orizaba,  fut  de  rouvrir  la 
route,  et  de  la  faire  garder  par  des  postes  suffisants  pour 
protéger  la  marche  des  convois  entre  Orizaba  et  Vera- 
Cruz,  d'où  l'armée  allait  être  forcée  de  tirer  toutes  ses  res- 
sources. Ne  voulant  pas  cependant  s'exposer  à  être  faible 
sur  tous  les  points,  en  multipliant  les  détachements,  et 
craignant  de  laisser  des  postes  permanents  dans  les  terres 
chaudes,  il  se  décida  à  faire  occuper  seulement  le  Fortin, 
Cordova,  le  Potrero  et  le  Chiquihuite,  qui  se  trouvent  en- 
core dans  la  zone  tempérée  et  à  donner  aux  convois,  entre 
le  Chiquihuite  et  la  Tejeria,  des  escortes  fortement  cons- 
tituées. 


(')  Le  général  de  Lorencez  au  ministre  de  la  guerre,  24  mai,  11  juin  1862. 


LE  GÉNÉRAL  BE  LORENCEZ.  175 

Après  avoir  laissé  quelques  jours  de  repos  aux  troupes,  1862. 
que  les  dernières  marches  avaient  beaucoup  fatiguées,  il 
forma  une  colonne  d'environ  1,500  combattants  sous 
les  ordres  du  colonel  Hennique  (*),  et  la  dirigea  sur  le 
Chiquihuite.  Cette  position  fut  enlevée  après  un  court 
engagement  qui  coûta  seulement  trois  blessés,  et  l'on  se 
mit  immédiatement  à  l'œuvre  pour  réparer  les  ponts  dé- 
truits par  l'ennemi.  Le  corps  expéditionnaire  é(ait,  à  cette 
époque,  réparti  de  la  manière  suivante  : 

Deux  bataillons  et  la  batterie  de  montatjne  à  Ineenio 
devant  Orizaba  ; 

Deux  bataillons  et  un  peloton  de  cavalerie  à  Cordova  ; 

Deux  bataillons  au  Chiquihuite  ; 

Au  Fortin  et  au  Potrero,  des  détachements  de  Mexicains  ; 
le  reste  des  troupes,  c'est-à-dire  trois  bataillons  d'infante- 
rie, trois  pelotons  de  cavalerie,  10  pièces  d'artillerie, 
étaient  concentrées  à  Orizaba. 

Malheureusement,  il  n'y  avait  pas  lieu  de  compter  beau- 
coup sur  la  coopération  des  auxiliaires  mexicains,  composés, 
en  grande  partie,  de  prisonniers  faits  à  la  Barranca  Seca  et 
que  le  général  Marquez  avait  incorporés  de  force,  selon  la 
coutume  mexicaine.  Ces  troupes  étaient  en  outre  dans  le 
dénùment  le  plus  complet,  et  l'insuffisance  du  numéraire 
était  telle  dans  les  caisses  de  l'armée  que  le  trésor  français, 
auquel  il  était  fort  difficile  d'assurer  le  paiement  de  la  solde 
du  corps  expéditionnaire,  ne  pouvait  donner  aux  Mexicains 
que  de  très-minimes  secours  d'argent.  Pour  les  empêcher 
de  piller  le  pays  et  pouvoir  les  utiliser  soit  dans  les  postes, 
soit  dans  les  escortes  de  convoi,   le  général  de  Lorencez 

<1)  2  bataillons  d'infanterie  de  marine,  1  bataillon  de  zouaves,  l  section  du 
génie  colonial,  2  sections  d'artillerie  de  marine,  1  brigade  de  gendarmerie, 
1  section  d'ambulance. 


17G  l'*  PARTIE.  CHAPITRE    IV. 

4862.        fit  distribuer  des   rations  de   vivres  aux   troupes  mexi- 
caines auxiliaires  ;  il  donna  aussi  au   général  Marquez 
4,000  fusils  trouvés  à  la  douane  de  Yera-Cruz  et  les  deux 
canons  enlevés  aux  Gumbres. 
Diflicuités  Cependant   l'armée    française  s'occupait   d'établir  ses 

pour  les 

approvisionne-    quartiers  à  Orizaba,  afin  d'v  passer  la  saison  pluvieuse  et 

raents  de  vivres.  .  i       "^i         m-    »        t 

Cl  attendre  la  reprise  des  hostilités.  Les  troupes  lurent 
logées  dans  de  bons  casernements.  Deux  grands  hôpitaux 
furent  organisés,  l'un  à  San  José  contenant  700  lits,  l'autre 
dans  le  couvent  de  la  Goncordia  pour  225  malades.  Un  dé- 
pôt de  convalescents  pour  100  hommes  fut  établi  dans  une 
grande  hacienda  voisine  de  la  ville.  On  construisit  des  fours 
en  maçonnerie;  les  fours  de  campagne  fonctionnaient  du 
reste  dans  des  conditions  satisfaisantes  ;  les  magasins  de 
l'administration  s'installèrent  dans  des  locaux  au  centre  de 
la  ville  ;  des  travaux  de  défense  furent  exécutés  par  le 
génie. 

Des  détachements  furent  envoyés  dans  les  grandes  ha- 
ciendas des  environs,  à  Tecamalucan,  à  l'Encinal,  dans 
le  but  de  protéger  l'enlèvement  de  la  paille  et  de  l'orge 
qui  s'y  trouvaient  en  quantités  considérables.  Ces  opé- 
rations donnèrent  lieu  à  plusieurs  engagements  de  peu 
d'importance  avec  les  reconnaissances  que  l'ennemi, 
posté  à  Acultzingo,  ne  cessait  d'envoyer  dans  la  direction 
d'Orizaba  0).  Elles  favorisèrent  le  passage  de  quelques 
approvisionnements  de  farines  et  de  grains  que  l'on  faisait 
venir  du  plateau  d'Anahuac,  en  trompant  la  vigilance 
des  Mexicains.  Mais  les  ressources  que  l'on  se  procu- 
rait ainsi  étaient  fort  insuffisantes  ;  on  prévoyait  qu'elles 
allaient  bientôt  manquer,  et  qu'il  faudrait  demandera  Vera- 

(')  Le  gt'nrral  tlf  Lorcnroz  au  ininislre,  H  juin  1862, 


LE  GÉNÉRAL  DE  LORENCEZ.  177 

Gniz  tous  les    vivres   nécessaires  à    la    subsistance    de         ■isea. 
l'armée. 

Le  général  en  chef  en  lit  prévenir  le  commandant 
supérieur  de  celte  place  et  lui  donna  l'ordre  de  pré- 
parer les  approvisionnements.  On  se  heurtait  là  encore  à 
de  nombreuses  difficultés.  L'ensemble  de  la  situation  était 
fort  peu  satisfaisant;  les  officiers  de  troupe,  qui  rem- 
plissaient les  fonctions  de  sous-intendant  et  dirigeaient 
l'administration  de  la  guerre  à  Yera-Cruz,  n'ayant  pas 
le  droit  d'ordonnancer,  ne  pouvaient  souvent  faire  des 
paiements  urgents  ;  ils  avaient  succombé  tour  à  tour  aux 
atteintes  du  vomito,  et  ce  changement  continuel  dans  la  di- 
rection administrative  contribuait  à  compromettre  le  crédit 
mal  assuré  de  l'armée  française.  M.  le  capitaine  de 
vaisseau  Pioze,  commandant  supérieur,  avait  dû  venir 
à  son  secours  à  l'aide  des  fonds  de  prévoyance  de  la 
marine,  afin  de  satisfaire  aux  dépenses  les  plus  indispen- 
sables. 

Le  général  de  Lorencez  avait  laissé  à  la  disposition  du 
commandant  Roze,  entre  les  mains  duquel  étaient  réunis  le 
commandement  de  l'escadre  et  celui  de  la  a  ille,  une  com- 
pagnie du  99^  et  la  compagnie  de  matelots  créoles.  Il  était 
arrivé,  quelque  temps  après,  un  détachement  d'une  centaine 
de  soldats  d'infanterie  de  marine,  vingt-huit  artilleurs  et 
vingt  gendarmes  ;  c'est  avec  ces  éléments  si  disparates, 
dont  l'effectif  s'élevait  à  cinq  cents  hommes  environ  et  sur 
lesquels  la  fièvre  jaune  sévissait  avec  une  violence  extrême, 
qu'était  constituée  la  garnison  de  Vera-Gruz.  Cet  effectif 
très-insuffisant  permettait  à  peine  de  surveiller  le  mur 
d'enceinte,  dont  l'escalade  était  possible  sur  beaucoup  de 
points.  Un  détachement  mexicain  auxiliaire,  commandé 
par  le  général  Galvez,  campait  à  la  Tejeria  pour  protéger 

12 


178  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE  IV. 

4862.  la  tête  du  chemin  de  fer  ;  à  l'exception  de  cette  petite 
troupe,  le  commandant  Roze  n'avait  pas  un  seul  cavalier, 
et  il  lui  était  impossible  de  s'éclairer  à  un  kilomètre  de 
la  ville;  aussi  était-il  complètement  bloqué,  et  les  gué- 
rilleros du  général  La  Llave  venaient-ils  impunément  tirer 
sur  les  sentinelles. 

A  la  fm  du  mois  d'avril,  le  général  de  Lorencez  auto- 
risa un  ins'énieur  suisse,  M.  de  Stœcklin,  homme  actif  et 
énergique,  à  recruter  une  troupe  de  partisans  à  cheval,  ou 
contre-guérilla,  soit  parmi  les  gens  du  pays,  soit  parmi  les 
aventuriers  étrangers  en  assez  grand  nombre  à  Vera-Cruz. 
Cette  troupe  rendit  d'utiles  services  en  surveillant  les  en- 
virons de  la  place  ;  elle  ne  craignit  pas  d'aborder  l'ennemi 
même  supérieur  en  nombre,  et  le  succès  couronna  plu- 
sieurs fois  son  audace;  mais  elle  était  d'un  effectif  trop  faible 
pour  amener  de  sérieux  résultats  et  pourvoir  suifisamment 
à  la  sécurité  des  communications.  Le  commandant  supé- 
rieur n'avait  aucun  moyen  d'échanger  des  dépêches  avec  le 
général  en  chef.  Parfois  un  Indien,  auquel  on  donnait  200 
ou  300  piastres,  consentait  à  porter  à  Orizaba  un  billet 
chiffré  qu'il  espérait  dérober  aux  investigations  des  guéril- 
leros ;  mais  les  exemples  de  justice  sommaire,  dont  faisaient 
foi  les  cadavres  pendus  aux  arbres  de  la  route,  prouvaient 
que  souvent  ces  malheureux  tombaient  entre  les  mains 
d'ennemis  impitoyables  (^). 

La  population  de  Vera-Cruz,  presque  exclusivement 
composée  de  commerçants  que  la  guerre  ruinait,  devenait 
de  plus  en  plus  hostile  ;  Juarez  y  comptait  de  nombreux 
partisans,  et  les  résidents  français  étaient  loin  d'être  les 
mieux  disposés  ;  depuis  le  départ  du  général  de  Lorencez 

(*)  Le  commandant  Roze  au  ministre  de  la  marine,  26  juillet. 


LE    GÉNÉRAL   DE    LOREÏNCEZ.  179 

pour  Puebla,  on  était  sans  nouvelles  du  corps  expédition-  ''^_^^- 
naire  ;  les  bruits  les  plus  sinistres,  colportés  avec  malveil- 
lance, étaient  répandus  parmi  la  garnison  et  l'escadre.  Un 
seul  courrier  qui  avait  réussi  à  traverser  les  lignes  du  géné- 
ral La  Llave,  avait  donné  quelques  renseignements  fort 
incomplets  sur  ce  qui  s'était  passé  devant  Puebla.  Mais  le 
commandant  Pioze  sut  dominer  la  situation  ;  animé  lui- 
même  des  sentiments  les  plus  énergiques,  il  inspira  aux 
marins  et  aux  soldats  sous  ses  ordres  la  résignation  et  le 
dévouement  qu'exigeaient  les  circonstances  ;  non-seulement 
il  fit  face  à  toutes  les  difficultés,  mais  encore  il  se  préoc- 
cupa des  moyens  de  venir  en  aide  à  l'armée  ;  il  prépara 
des  vivres  et  réunit  un  convoi  de  deux  cents  voitures 
prêtes  à  être  expédiées  lorsque  les  communications  seraient 
rétablies. 

Le  16  mai,  le  général  Douay,  désigné  pour  exercer  le 
commandement  en  second  du  corps  expéditionnaire,  était 
arrivé  de  France,  amenant  avec  lui  300  hommes  environ 
de  divers  corps  ;  ce  fut  un  précieux  renfort  pour  la  malheu- 
reuse garnison,  épuisée  et  décimée  par  les  fièvres  ('). 

A  la  fin  du  mois,  l'escadron  de  chasseurs  d'Afrique 
apporta  le  courrier  pour  France  et  les  demandes  pressantes 
que  le  général  de  Lorencez  adressait  au  commandant  Pioze 
pour  qu'on  lui  envoyât  des  vivres,  des  munitions  et  dos 
effets  ;  l'occupation  du  Chiquihuite  ayant  rendu  les  commu- 
nications un  peu  moins  dangereuses,  le  général  Douay 
partit  avec  quatre-vingts   chasseurs  à  pied,   soixante-dix 

H)  Deux  olïïciers  du  99^  de  ligne,  un  officier  du  2"  zouaves,  trois  officiers 
d'administration,  un  lieutenant  de  vaisseau,  le  médecin  en  chef  de  l'armée, 
deux  aides-majors,  deux  médecins  de  la  flotte,  le  commissaire  d'escadre, 
en  tout  quatorze  officiers,  180  marins  et  soldats  avaient  succombé  au 
vomito. 


180  i"*   PARTIE.  CHAPITRE  IV. 

4862.  soldats  du  Irain  et  un  convoi  de  quarante-sept  voitures  ; 
il  arriva  le  10  juin  à  Orizaba  (^).  Quelques  jours  après, 
le  détachement  mexicain  du  général  Galvez  amena  une 
deuxième  fraction  du  convoi  composée  de  trente-trois 
voitures. 

Malheureusement,  le  10  juin,  un  groupe  de  vingt  cha- 
riots, dont  quinze  portaient  des  munitions,  et  qui  mar- 
chaient sous  l'escorte  de  vingt-sept  cavaliers  de  la  garde 
urbaine  de  Vera-Cruz,  fut  attaqué  à  l'Arroyo-Seco  et 
entièrement  détruit  ;  un  officier  du  train ,  deux  offi- 
ciers d'administration,  sept  cavahers  du  train,  deux  can- 
tiniers  et  deux  cantinières  suivaient  ce  convoi.  L'officier 
du  train  et  son  ordonnance  purent  s'échapper  dans  les  bois  ; 
tous  les  autres  furent  massacrés,  même  les  femmes,  sur  le 
corps  desquelles  les  guérilleros  se  portèrent  aux  actes  de  la 
plus  sauvage  barbarie. 

Ce  triste  épisode  inspira  de  nouvelles  inquiétudes  aux 
chefs  de  l'armée,  tant  sur  la  possibilité  des  ravitaillements 
que  sur  la  sécurité  même  de  Vera-Cruz  (^).  Le  comman- 
dant Roze  appela  à  terre  200  hommes  des  équipages  de  la 
flotte  ;  de  son  côté  le  général  de  Lorencez  fit  immédiatement 
partir  d'Orizaba  le  général  Marquez  avec  1000  fantassins, 
5  à  600  chevaux  et  cinq  obusiers  de  montagne,  et  lui  confia 
le  soin  de  protéger  les  communications,  particulièrement 
entre  la  Soledad  et  la  Tejeria.  Il  fut  décidé  que  le  général 
Galvez  formerait  désormais  la  garnison  permanente  de  ce 
dernier  poste  et  que  le  colonel  mexicain  Facio,  nommé 
commandant  militaire  de  Vera-Cruz  par  le  général  Al- 
monte,  y  fixerait  sa  résidence.  Le  générai  Marquez  emmena 

(•)  Il  eut  la  douleur  de  perdre  successivement  son  officier  d'ordonnance  et  son 
aide  de  camp,  enlevés  run  et  l'autre  par  le  vomito. 

(^)  Le  commandant  Roze  an  ministre  de  la  marine,  16  juin. 


LE    GÉNÉRAL    DE    LOREiNCEZ.  181 

avec  lui  le  courrier  et  un  convoi  de  quatre-vingts  voitures        ^862. 
vides,  destinées  à  rapporter  des  vivres. 

Si,  au  point  de  vue  militaire,  la  situation  du  corps  expédi-       situation 

>  '      •  1  n   f\r\r\  t-i  politique. 

tionnaire  n  était  pas  alarmante,  en  ce  sens  que  d,UUU  h  ran- 
çais  pouvaient  se  considérer  comme  parfaitement  sûrs  de 
se  maintenir  contre  les  efforts  de  l'armée  mexicaine,  les  em- 
barras administratifs  allaient  chaque  jour  en  s'augmentant. 
A  cette  cause  constante  de  préoccupations,  étaient  venus 
s'ajouter,  pour  le  général  de  Lorencez,  les  inconvénients 
graves  résultant  de  sa  rupture  avec  le  ministre  de  France  et 
le  général  Almonte.  L'armée  partageait  les  ressentiments  de 
son  général  en  chef,  et  s'en  prenait  aussi  à  eux  de  l'échec 
subi  devant  Puebla;  elle  l'attribuait,  en  grande  partie,  aux 
illusions  qu'avaient  fait  naître  leurs  promesses  emphatiques 
d'un  soulèvement  des  populations  en  faveur  de  l'inter- 
vention française.  En  effet,  ces  promesses  ne  s'étaient  pas 
réalisées;  quelques-uns  des  chefs  réactionnaires  avaient 
renoncé  à  se  mêler  à  la  guerre  étrangère  ;  d'autres  s'é- 
taient complètement  ralliés  au  gouvernement  de  Juarez.  A 
Guadalajara,  la  troisième  ville  du  Mexique,  le  clergé  lui- 
même  s'était  déclaré  contre  le  plan  politique  du  général 
Almonte  0).  Tout  l'appui  que  l'intervention  pouvait  espérer 
trouver  dans  le  pays  se  réduisait  donc  au  concours  éventuel 
de  quelques  bandes  disséminées  sous  les  ordres  de  Lozada, 
de  Mejia  et  d'autres  hommes  de  moindre  importance,  et 
à  la  coopération  du  général  Marquez,  qui  jouissait,  il  est 
vrai,  d'un  certain  renom  d'habileté  militaire,  mais  qui 
appartenait  au  parti  réactionnaire  extrême  et  était  accusé 
avec  raison  d'excès  sanguinaires. 

Le  cabinet  de  Mexico  était  au  courant  des  difficultés 

(')  Acte  en  date  du  13  mai. 


182  l"   PARTIE.  CHAPITRE  IV. 

-1862.  en  présence  desquelles  se  trouvait  le  général  de  Loren- 
cez  ;  de  plus,  la  mésintelligence  survenue  entre  les  chefs 
de  l'armée  et  les  directeurs  politiques  de  l'expédition 
ne  lui  avait  pas  échappé  :  aussi  pensa-t-il  pouvoir  en  tirer 
parti. 

Le  général  Ortega,  gouverneur  de  Zacatecas,  et  l'un  des 
personnages  les  plus  marquants  du  parti  de  la  réforme,  venait 
d'amener  à  l'armée  du  général  Zaragoza  une  belle  division 
de  6,000  hommes,  formée  des  contingents  de  sa  province 
et  réputée  la  meilleure  troupe  du  Mexique.  Il  écrivit  à 
M.  de  Saligny,  et  une  copie  de  sa  dépêche  fut  gUssée,  non 
cachetée,  dans  un  paquet  adressé  sous  le  couvert  du  géné- 
ral de  Lorencez  à  plusieurs  officiers  mexicains  prisonniers 
à  Orizaba  (')  : 

«  Je  viens  d'arriver  de  l'intérieur  pour  prendre  part  à  la  guerre 
que  mon  pays  se  trouve  malheureusement  avoir  à  soutenir. 

«  Avant  que  recommencent  les  opérations  militaires,  que, 
pour  les  intérêts  du  Mexique,  il  est  utile,  vous  en  conviendrez,  de 
presser  le  plus  possible,  je  me  suis  décidé  à  vous  écrire. 

« Tous  les  Etats  mettant 

leurs  troupes  à  la  disposition  du  gouvernement  de  l'Union,  on  ne 
peut  méconnaître  que  la  nation  entière  est  résolue  h  soutenir  les 
principes  républicains.  Combien  ne  serait-il  pas  plus  honorable 
pour  la  France  et  pour  vous,  dont  la  conduite  va  être  examinée 
sous  peu  par  le  tribunal  de  l'opinion,  d'abandonner  l'idée  d'établir 
une  monarchie  au  Mexique,  de  rejeter  comme  irréalisable  le  plan 
inqiopulaire  de  Gordova  et  de  terminer  d'une  manière  honorable 
pour  la  France  et  pour  le  Mexique,  par  les  voies  diplomatiques,  la 
guerre  à  laquelle  les  deux  nations  ont  été  malheureusement  en- 
traînées 1 

((  Vous  et  le  gouvernement  que  vous  représentez,  Monsieur  le 
comte,  avez  été  trompés  sur  les  hommes  et  sur  la  situation,  et  la 

(')  Le  général  de  Lorcîncez  au  ministre,  16  juin.  Le  texte  espagnol  de  cette 
lettre  n'est  pas  aux  arcliives  du  dépôt  de  la  guerre  ;  il  ne  s'y  trouve  qu'une 
assez  mauvaise  traduction  Irançaiso. 


LE  GÉNÉRAL  DE  LORENCEZ.  183 

reconnaissance  de  cette  erreur  de  votre  part  sera,  en  sauvant  le         -1862. 
beau  nom  de  votre  nation,  un  acte  qui  vous  honorera  comme  di-  ~" 

plomate  et  sauvera  votre  responsabilité  vis-h-vis  du  gouvernement 
français.  Vous  conviendrez  avec  moi  que  notre  position  militaire 
est  actuellement  supérieure  à  la  vôtre  ;  mais  l'intérêt  du  Mexique 
n'est  pas  de  soutenir  une  lutte  contre  la  France,  à  laquelle  il  est 
attaché  par  mille  et  mille  sympathies  ;  il  désire,  au  contraire,  d'un 
côté  satisfaire  à  toute  réclamation  juste  qui  lui  sera  adressée  sans 
menace,  sur  le  terrain  de  la  raison,  et  non  sur  celui  de  la  force,  de 
Tautre  conserver  sa  dignité  et  son  décorum 


«  Je  ne  vous  écris  ni  par  ordre  de  mon  gouvernement  ni  par  ce- 
lui du  général  en  chef;  cependant  si  vous  acceptez  mes  avis  et 
bien  que  notre  armée  soit  aux  portes  d'Orizaba,  j'userai  de  mon 
influence  pour  la  conclusion  d'un  armistice  pendant  lequel  on  pour- 
rait traiter  d'un  arrangement  définitif.  » 

Le  général  de  Lorencez  pensa,  avec  raison,  que  l'hon- 
neur militaire  lui  défendait  d'écouter  ces  insinuations  ;  aussi, 
malgré  tous  les  périls  de  sa  situation,  l'incertitude  de  l'ave- 
nir, la  difficulté  de  recevoir  de  prompts  secours,  il  voulut 
remplir  strictement  son  devoir  de  général  en  chef  et  refusa 
d'entamer  avec  l'ennemi  quelque  négociation  que  ce  fût. 

Peu  de  temps  après,  le  général  Zaragoza,  qui  se  croyait  en   gj^^e  d'Omaba 
mesure  de  prendre  l'offensive,  porta  son  quartier  général     ^mexîcainr 
à  Tecamalucan,  et  le  même  jour  (\  2  juin)  il  envoya  au  géné- 
ral de  Lorencez  un  parlementaire  avec  la  lettre  suivante: 

«  J'ai  des  données  suffisantes  pour  croire  que  vous.  Monsieur,  et 
les  officiers  sous  vos  ordres,  avez  envoyé  h  l'Empereur  une  protes- 
tation contre  la  conduite  du  ministre  Saligny,  pour  vous  avoir  en- 
traîné par  des  fourberies  à  une  expédition  contre  un  peuple  qui 
était  le  meilleur  ami  de  la  nation  française. 

«  Cette  circonstance,  la  connaissance  que  j'ai  de  la  position  cri- 
tique où  se  trouve  l'armée  française,  et  mon  désir  enfin  de  lui 
procurer  une  retraite  honorable,  m'ont  décidé  à  vous  proposer  une 
capitulation  dont  la  base  principale  serait  l'évacuation  du  territoire 
de  la  république  dans  un  temps  donné. 

«  Je  crois  que  mon  gouvernement  ne  désapprouve  pas  ce  der- 
nier appel  à  la  paix,  car  je  puis  sans  outre-passer  mes  pouvoirs 


184  l"    PARTIE.  CHAPITRE   IV. 

4862.  éviter  l'effusion  du  sang  de  deux  peuples  que  l'erreur  et  l'intrigue 
ont  pu  seules  faire  apparaître  comme  ennemis.  Telle  a  été,  d'ail- 
leurs, la  croyance  du  gouvernement  constitutionnel  dès  le  com- 
mencement de  l'invasion. 

«  Si  vous  repoussez  cette  offre  faite  h  ceux  des  Français  qui  sont 
venus  de  bonne  foi,  j'aurai  rempli,  quant  à  ce  qui  regarde  l'huma- 
nité, mon  dernier  devoir,  et  je  me  mettrai  en  mesure  d'exécuter  les 
ordres  que  j'ai  reçus  ;  toute  la  responsabilité  de  ce  qui  pourra  sur- 
venir retombera  entièrement  sur  ceux  qui  se  sont  obstinés  à  pour- 
suivre l'exécution  d'une  entreprise  que  la  raison  et  la  justice  con- 
damnent ». 

Le  général  de  Lorencez,  qui  avait  besoin  de  gagner  du 
temps  pour  rappeler  à  lui  le  99^  de  ligne  laissé  à  Ingenio, 
se  borna  à  faire  une  réponse  ainsi  conçue  (*)  : 

«  Le  général  commandant  en  chef  les  troupes  françaises  au 
Mexique  n'étant  pas  revêtu  de  pouvoirs  politiques  par  son  gouver- 
nement, qui  les  a  tous  conférés  h  M.  de  Saligny,  il  lui  est  impos- 
sible d'entrer  dans  la  voie  des  négociations  qui  lui  est  proposée 
par  M.  le  général  Zaragoza.  Le  ministre  de  France  a  seul  qualité 
pour  recevoir  des  ouvertures  de  cette  nature.  » 

L'ordre  fut  immédiatement  envoyé  au  colonel  L'Hériller 
de  se  replier  sans  retard  sur  Orizaba,  dont  la  garnison  se 
trouvait  fort  réduite  par  suite  du  départ  des  troupes  de 
Marquez.  Soixante  sapeurs  du  génie,  alors  en  route  sur  le 
Chiquihuite,  furent  également  rappelés  en  toute  hâte.  Dans 
la  nuit  du  12  au  13  juin,  l'évacuation  d'Ingenio  fut  termi- 
née avec  le  plus  grand  ordre  ;  tout  le  matériel  fut  trans- 
porté à  Orizaba;  on  emporta  jusqu'aux  fourrages.  A  cette 
époque,  les  travaux  de  défense,  qu'avait  fait  commencer  le 
général  de  Lorencez,  n'étaient  pas  encore  achevés.  Cepen- 
dant des  barricades  avaient  été  construites  dans  les  rues  et 

(')  Le  gciiéral  de  Lorencez  au  ministre,  16  juin,  24  juin. 


LE    GÉiNtRAL    DE    LOKLNlEZ.  18o 

formaient,  au  centre  de  la  ville,  un  bon  réduit  où  étaient        <862. 
renfermés  les  hôpitaux  et  les  magasins. 

En  venant  de  Puebla,  on  ne  peut  aborder  Orizaba  que 
par  un  étroit  défilé  resserré  entre  le  Cerro  Borrego  au  nord 
et  le  Cerro  San  Grislobal  au  sud.  Deux  cours  d'eau,  le  Piio 
Blanco  et  le  Rio  de  la  Angostura  (dérivation  du  précédent), 
coulent  au  fond  de  cette  vallée.  Le  pont  sur  lequel  la  route 
traverse  le  rio  de  la  Angostura,  est  situé  au  pied  même  du 
Cerro  Borrego,  près  de  la  Garita  (maison  d'octroi),  qui  in- 
dique l'entrée  de  la  ville.  Le  général  de  Lorencez  prescrivil 
d'élever  rapidement  des  épaulements  sur  ce  point  et  d'y 
placer  une  section  de  chacune  des  trois  batteries  d'artille- 
rie, afin  d'enfiler  la  route  par  laquelle  l'ennemi  allait  néces- 
sairement se  présenter.  Quatre  compagnies  du  99*^  furent 
affectées  à  la  garde  de  ce  poste.  Une  cinquième  fut  chargée 
deja  défense  de  la  ville  vers  le  nord  ;  la  division  du  général 
Ortega,  qui  avait  commencé  un  mouvement  tournant,  de- 
vait, disait-on,  venir  attaquer  de  ce  côté.  La  cavalerie 
mexicaine  auxiliaire,  sous  le  commandement  du  général 
Taboada,  eut  l'ordre  de  servir  de  grand'gardes  au  colonel 
L'HérilIer  et  de  surveiller  la  plaine.  Le  reste  de  la  garnison 
fut  réparti  à  la  garde  des  barricades. 

Le  général  de  Lorencez  ne  jugea  pas  nécessaire  de  faire 
occuper  le  sommet  du  Cerro  Borrego,  élevé  à  3o0  mètres 
environ  au-dessus  de  la  ville  et  dont  les  pentes  abruptes 
paraissaient  tout  à  fait  inaccessibles  pour  l'ennemi. 

Ces  dispositions  arrêtées,  toute  la  journée  du  13  juin  fut 
employée  aux  préparatifs  de  défense.  Aucune  tentative  de 
l'ennemi  n'eut  lieu  ;  cependant  le  général  Ortega,  ayant  fait 
ouvrir  des  chemins  à  travers  les  bois,  avait  réussi  à  effec- 
tuer son  mouvement  tournant;  avec  trois  obusiers  et  la 
majeure  partie  de  sa  division,  il  défila  à  peu  de  distance  des 


186  l'*   PARTIE.    CliAPITRE  IV. 

1862.  postes  du  général  TaboaJa,  qui  ne  s'aperçurent  de  rien  et 
vint  occuper  les  crêtes  mêmes  du  Cerro  Borrego. 

Vers  10  heures  du  soir,  le  colonel  L'Hériller,  ayant  été 
prévenu  qu'on  entendait  du  bruit  sur  la  montagne,  donna 
immédiatement  l'ordre  à  l'une  des  compagnies  placées  au 
poste  de  la  Angostura  de  gravir  la  hauteur  et  de  s'efforcer 
d'en  prendre  possession  avant  l'ennemi.  A  minuit,  par  une 
nuit  fort  obscure,  la  compagnie  du  capitaine  Detrie  com- 
mença l'escalade  de  ces  pentes,  qui  même  dans  le  jour 
avaient  paru  d'un  accès  impossible  ;  après  des  efforts  inouïs, 
les  hommes,  le  sac  au  dos,  marchant  l'un  derrière  l'autre 
et  dans  le  plus  grand  silence,  arrivèrent  sur  un  premier 
palier  du  Cerro.  L'obscurité  était  si  grande,  qu'on  ne  pou- 
vait rien  voir  à  trois  pas  de  distance. 

Quelques  instants  après,  cette  poignée  de  soldats  recevait, 
à  petite  portée,  une  forte  décharge  de  mousqueterie  partant 
d'ennemis  invisibles,  cachés  dans  les  broussailles,  et  dont 
on  était  loin  de  se  croire  si  rapproché  ;  heureusement  per- 
sonne ne  fat  blessé.  Le  capitaine  Detrie  fit  immédiatement 
mettre  les  sacs  à  terre  et  entraîna  résolument  à  la  baïon- 
nette les  quelques  hommes  qui  l'entouraient.  Lorsque  ceux 
qui  marchaient  les  derniers  l'eurent  rejoint,  il  poussa  plus 
vigoureusement  l'ennemi  devant  lui,  et  pendant  près  d'une 
heure,  il  continua  ainsi  d'avancer  pied  à  pied.  Les  trois 
obusiers  de  montagne  de  la  division  de  Zacatecas  furent 
successivement  enlevés  et  précipités  dans  le  ravin.  Mais  le 
capitaine  Detrie  s'aperçut  bientôt  que  les  forces  qui  lui 
étaient  opposées  allaient  toujours  grossissant  ;  craignant 
que  l'ennemi,  venant  à  reconnaître  la  faiblesse  de  sa  troupe, 
ne  cherchât  à  l'envelopper,  il  arrêta  ses  hommes,  les  fit 
embusquer,  et  leur  recommanda  de  rester  en  place,  coûte 
que  coûte,  et  sans  tirer.  Certain  que  le  bruit  de  la  mous- 


LE  GÉNÉRAL  DE  LOREN'CEZ.  187 

queterie  avait  été  entendu  et  qu'on  avait  dû  envoyer  ^862. 
à  son  secours,  il  attendit  dans  cette  position  pendant 
près  d'une  heure.  En  effet,  une  deuxième  compagnie  du 
99®  (capitaine  Leclère)  vint  le  rejoindre  à  trois  heures  et 
demie  du  matin;  les  deux  compagnies  reprirent  aussitôt 
l'offensive. 

Les  Mexicains,  d'abord  repoussés,  reviennent  deux  fois  à 
la  charge  et  reçoivent  les  assaillants  par  un  feu  terrible. 
Mais  c'est  leur  dernier  effort;  délogés  de  toutes  parts,  atta- 
qués corps  à  corps,  ils  lâchent  bientôt  pied  et  se  déban- 
dent. Les  deux  compagnies  du  99^  s'étaient  trouvées  en 
présence  de  trois  corps  de  la  division  de  Zacatecas  forts 
d'environ  deux  mille  hommes  (2,500  fantassins  et  500  ca- 
valiers étaient  restés  au  pied  de  la  montagne).  Le  capitaine 
Detrie  avait  eu  son  revolver  broyé  dans  la  main,  ses  vête- 
ments criblés  de  balles  ;  six  hommes  étaient  tués,  et  vingt- 
huit  blessés  dont  quatre  officiers.  Deux  cent  cinquante 
Mexicains  étaient  couchés  sur  le  champ  de  bataille,  morts  ou 
grièvement  blessés,  parmi  lesquels  deux  colonels  et  deux 
lieutenants-colonels;  deux  cents  prisonniers,  trois  obu- 
siers  de  montagne,  un  drapeau,  trois  fanions  de  bataillons, 
avaient  été  enlevés  ;  toute  la  division  Ortega,  y  compris  les 
3,000  hommes  restés  dans  la  plaine ,  était  en  fuite  ;  tels 
furent  les  résultats  de  ce  glorieux  combat,  livré  par  cent 
quarante  soldats  du  99^  de  ligne. 

Si  l'on  avait  eu  des  informations  exactes  sur  les  forces 
qui  occupaient  le  Cerro  Borrego,  on  n'eût  jamais  tenté  d'en 
déloger  l'ennemi  avec  si  peu  de  monde.  Le  succès  dû  à  la 
vigueur  véritablement  exceptionnelle  du  capitaine  Detrie 
fut  seulement  possible  grâce  à  l'obscurité  de  la  nuit,  qui 
ne  permettant  pas  à  l'ennemi  de  voir  à  quelle  faible  troupe 


188  l"  PARTIE,  —  CHAPITRE  IV. 

^862.  il  avait  affaire,  cacha  d'autre  part  aux  assaillants  les 
dangers  et  les  difficultés  de  l'entreprise.  Si  les  Mexicains 
avaient  réussi  à  conserver  cette  position,  que  le  gé- 
néral de  Lorencez  n'avait  pas  cru  devoir  comprendre 
dans  sa  ligne  de  défense,  il  est  douteux  que  l'armée  fran- 
çaise eût  pu  se  maintenir  dans  Orizaba  ('). 

Pendant  cette  même  nuit,  du  13  au  14,  le  général  Zara- 
goza  avait  fait  ouvrir  une  tranchée  à  1200  mètres  de  laGa- 
rita  de  la  Angostura,  et  l'avait  fait  armer  de  22  pièces  de 
canon.  Le  14  juin,  à  5  heures  du  matin,  les  Mexicains  diri- 
gèrent un  feu  très-vif  sur  la  Garita  et  sur  le  rancho  de 
Carrizal,  qu'il  fallut  évacuer.  La  hauteur  des  épaulements 
de  la  défense  n'était  pas  encore  suffisante  pour  couvrir  les 
pièces  ;  le  général  Douay  fit  pousser  activement  le  travail 
tout  en  répondant  au  feu  de  l'ennemi  ;  en  moins  d'une 
heure  il  parvint  avec  des  balles  de  coton  à  faire  doubler  la 
hauteur  et  l'épaisseur  des  parapets  et  à  établir  des  masques 
pour  couvrir  les  communications.  A  10  heures  du  matin, 
le  général  en  chef,  voulant  ménager  ses  munitions,  fit 
suspendre  le  feu  ;  l'ennemi  cessa  le  sien  en  même  temps, 
et  ne  le  reprit  que  dans  le  courant  de  la  journée  par  salves 
et  à  de  grands  intervalles.  Vers  midi,  les  sapeurs  du  génie 
furent  envoyés  sur  le  Borrego  pour  en  organiser  la  défense  ; 
les  trois  obusiers  que  le  capitaine  Detrie  avait  fait  précipi- 
ter sur  les  pentes  de  la  montagne  furent  relevés  et  mis  en 
batterie  contre  l'infanterie  du  général  Zaragoza. 

Cependant  les  Mexicains  continuèrent  très-régulièrement 

(')  Le  giîiKJral  de  Lorencez  comprit  toute  la  portée  du  service  que  le  capitaine 
Detrie  avait  rendu  à  l'armée  ;  Lien  que  cet  officier  n'eût  été  nommé  capitaine  que 
depuis  quelques  jours,  à  la  suite  du  combat  de  la  Barranca-Scca,  il  demanda 
et  obtint  pour  lui  le  grade  de  chef  de  bataillon. 

(Rapport  du  général  de  Lorencez,  24  juin.  —  Rapport  du  général  Ortega 
(sans  date). 


LE    GÉNÉRAL    DE    LORENCEZ.  189 

leurs  travaux  d'approche  ;  un  deuxième  boyau  de  tranchée         4862. 
fut  amorcé  au  nord  de  la  route  et,   de  o  à  6  heures  du  "" 

soir,  les  batteries  ennemies  reprirent  le  feu  avec  une  grande 
vivacité  ,  mais  sans  causer  de  dommages  aux  positions 
françaises.  A  8  heures  du  soir,  les  défenseurs  de  la  Garita 
commencèrent  une  ligne  de  contre-approche  afin  d'agran- 
dir leur  front  de  défense  et  de  donner  plus  d'importance  à 
leurs  feux  de  mousqueterie  ;  l'ennemi  inquiéta  ce  travail 
par  quelques  coups  de  canon  qui  ne  firent  aucun  mal.  On 
s'attendait  à  une  attaque  générale  pour  le  lendemain, 
lorsque  le  général  Zaragoza,  ayant  sans  doute  appris  la 
déroute  complète  de  la  division  de  Zacatecas,  fit  retirer  ses 
troupes  pendant  la  nuit,  et  au  point  du  jour  la  plaine  se 
trouva  libre. 

La  petite  garnison  d'Orizaba,  forte  de  2,800  hommes, 
s'était  vue  attaquée  par  14,000  Mexicains.  Cependant,  bien 
que  plus  de  1200  projectiles  eussent  été  lancés  sur  la  ville 
dans  la  journée  du  14  et  dans  la  nuit  suivante,  on  n'eut 
qu'un  officier  et  un  soldat  tués  et  six  blessés.  Les  Mexicains 
perdirent  une  quarantaine  d'hommes  tués  ou  blessés,  parmi 
lesquels  le  général  Tapia,  grièvement  blessé. 

Le  commandant  Delsaux,  de  l'artillerie  de  marine,  avait 
été  enlevé  le  13  juin  par  les  avant-postes  de  l'ennemi  ;  il 
fut  remis  en  liberté  sur  parole  par  le  général  Zaragoza,  puis 
échangé  contre  un  des  officiers  faits  prisonniers  à  la  Bar- 
ranca-Seca.  Le  général  mexicain  renvoya  aussi  quelques 
jours  après  (28  juin)  un  officier  du  l^'"  bataillon  de  chas- 
seurs et  douze  soldats,  tombés  entre  ses  mains  à  l'attaque 
du  5  mai.  Tous  se  louèrent  des  bons  traitements  dont  ils 
avaient  été  l'objet.  Il  restait  dans  les  hôpitaux  de  Puebla 
dix  hommes  blessés  qui  n'avaient  pu  être  transportés.  Le 
général  de  Lorencez  reconnut  les  bons  procédés  des  gêné- 


190  r*   PARTIE.   CHAPITRE   IV. 

4862.  raux  ennemis  en  faisant  reconduire  à  Acultzingo  vingt-sept 
officiers  mexicains  prisonniers,  qu'il  avait  soustraits  aux 
mauvais  traitements  des  troupes  de  Marquez. 

Contrairement  aux  appréhensions  qu'on  avait  eues  pen- 
dant quelque  temps,  l'armée  ennemie  ne  renouvela  pas  son 
attaque  contre  Orizaba.  Malheureusement  l'opinion  publique 
s'éloignait  de  plus  en  plus  du  programme  proposé  par  le 
général  Almonte  et  soutenu  par  les  troupes   françaises. 

c  Notre  impopularité  semble  n'avoir  fail  que  croître  depuis  l'in- 
succès des  libéraux  devant  Orizaba,  écrivait  le  général  de  Loren- 
cez.  Plus  que  jamais  on  doit  se  convaincre  que  nous  n'avons  ici 
personne  pour  nous. 

«  Le  parti  modéré  n'existe  pas,  le  parti  réactionnaire  est  réduit  à 
rien,  et  il  est  odieux.  Les  libéraux  se  sont  partagé  les  biens  du 
clergé,  et  ces  biens  constituaient  la  plus  grande  partie  du  Mexique. 
Il  est  facile  de  déduire  de  ce  fait  le  grand  nombre  de  personnes 

intéressées  à  ce  que  le  parti  clérical  ne  se  relève  pas Personne 

ici  ne  veut  de  la  monarchie,  pas  même  les  réactionnaires.  Les 
Mexicains  sont  tous  infatués  des  idées  libérales  dans  ce  qu'elles 
comportent  de  plus  étroit.  Ils  seront  absorbés  par  les  Américains 
et  ils  accepteront  cette  destinée  comme  bien  préférable  à  la  mo- 
narchie, f 

Quelques  jours  après,  le  général  de  Lorencez  (^)  écrivait 
encore  : 

«  J'ai  toujours  le  regret  de  ne  pas  rencontrer  un  seul  partisan 
de  la  monarchie  au  Mexique;  j'espère  me  tromper,  et  je  crois  que 
par  une  occupation  française  de  plusieurs  années,  on  pourrait  y 
arriver;  mais  il  eût  fallu  bien  se  garder  de  l'annoncer  à  l'avance 
et  d'avoir  un  Almonte,  qui  du  fond  de  nos  bagages  se  déclarât  le 

chef  suprême  de  la  nation  mexicaine Aurait-on  réussi  sans 

cette  lourde  maladresse?  Je  l'ignore,  mais  je  suis  sûr  que  rien  ne 
sera  possible  au  Mexique  avec  Almonte  et  M.  S.  » 

Comme  nous  l'avons  dit,  le  général  Almonte  avait  pris 

(')  Le  général  de  Lorencez  au  ministre,  22  juillet. 


LE    GÉNÉRAL    DE    LOREiNCEZ.  191 

le  titre  de  «  chef  suprême  intérimaire  de  la  nation  »,  et  orga-         '•862. 
nisé  un  ministère  ;  mais  l'arsfent  étant  rare  dans  les  caisses  Mesures  goaver- 

°  nementales 

de  son  gouvernement,  il  avait  décrété  un  emprunt  forcé    ,  ,    d" 

o  _  ^         ,  gênerai  Almontc, 

de  850,000  piastres  qui  n'avait  produit  que  le  tiers  de 
cette  somme.  Afin  d'en  obtenir  le  complément  et  dans  l'es- 
poir de  diminuer  les  embarras  causés  par  l'absence  presque 
totale  du  numéraire,  il  avait  ordonné  l'émission  de  500,000 
piastres  de  billets  avec  cours  forcé.  La  confiscation  des 
marchandises  devait  punir  les  négociants  qui  refuseraient 
d'accepter  ce  papier-monnaie,  en  garantie  duquel  aucune 
stipulation  n'était  faite  et  aucun  mode  de  remboursement 
indiqué.  En  contradiction  avec  lui-même,  le  décret  portait 
que  les  billets  nationaux  ne  seraient  admis  dans  les  caisses 
publiques  que  pour  moitié  des  versements  à  effectuer, 
l'autre  moitié  devant  être  payée  en  numéraire.  Ces  mesures 
financières  n'étaient  certes  pas  de  nature  à  favoriser  les 
transactions  commerciales  ni  à  ramener  les  esprits,  déjà 
disposés  à  s'écarter  de  l'intervention  française.  Elles  ne  de- 
vaient avoir  d'autres  conséquences  que  de  rendre  plus  diffi- 
cile encore  le  ravitaillement  de  l'armée  à  Orizaba,  et  d'aug- 
menter la  défiance  des  habitants  ('). 

Jusqu'alors  il  n'était  arrivé  de  Vera-Gruz  que  les  deux        Marche 

des  convois 

petits  convois  amenés  par  le  général  Douay  et  par  un  déta-   cDtreOrizabaet 

.     .  .  Vera-Cruz. 

chement  du  général  Galvez.  L'armée  ennemie  interceptait 
tous  les  arrivages  des  plateaux.  On  comptait  sur  les  voitures 
que  le  général  Marquez  avait  eu  la  mission  de  conduire  à 
la  Tejeria,  et  qu'il  devait  ramener  chargées  de  vivres  ;  mais 
ayant  appris  l'attaque  dirigée  contre  Orizaba,  craignant,  du 
reste,  de  se  voir  abandonné  de  ses  troupes,  s'il  essayait  de 
les  maintenir  plus  longtemps  dans  la  terre  chaude,  le  géné- 

<0  Le  général  de  Lorencez  au  ministre,  24  juin,  22  juillet. 


192  l"  PARTIE.  CHAPITRE    IV. 

4862.  rai  Marquez  n'avait  pas  voulu  attendre  le  chargement  de 
son  convoi  et  avait  immédiatement  rétrogradé.  Les  appro- 
visionnements du  corps  expéditionnaire  se  trouvèrent  alors 
tellement  restreints,  qu'on  se  vit  obligé  de  réduire  les  ra~ 
tions  (*).  Les  officiers  reçurent  à  partir  du  mois  de  juillet 
un  très-fort  supplément  de  solde  (^)  qui  leur  permit  de 
vivre  sans  trop  de  privations  ;  mais  celle  de  la  troupe  ne 
fut  pas  modifiée,  et  le  soldat  souffrait.  Il  fallait,  à  tout  prix, 
faire  venir  des  denrées  de  Vera-Gruz. 

Le  général  Marquez  avait  déclaré  au  général  de  Loren- 
cez  que  si  l'on  renvoyait  ses  troupes  dans  la  terre  chaude, 
la  crainte  du  vomito  les  ferait  déserter  en  masse  ;  toutefois 
il  avait  offert  d'aller  occuper  Gordova,  pendant  que  la  gar- 
nison française  de  cette  ville  escorterait  les  convois  jusqu'à 
la  côte.  N'ayant  pas  le  choix  des  moyens,  le  général  en 
chef  accepta  cette  combinaison,  mais  il  adjoignit  le  batail- 
lon de  marins  à  la  division  Marquez,  dans  laquelle  il  n'avait 
que  médiocre  confiance.  Le  colonel  Hennique  fut  donc 
chargé  de  conduire  à  la  Tejeria  un  convoi  d'une  centaine 
de  voitures  vides  ;  arrivé  le  3  juillet,  il  en  repartit  le  5  avec 
180  chariots  de  vivres.  Ces  lourdes  voitures,  seuls  moyens 
de  transports  que  l'intendance  avait  pu  se  procurer, 
s'enfonçaient  dans  le  sol  spongieux,  transformé  par  les 
pluies  en  véritable  marais.  Elles  n'avançaient  qu'au  prix 
d'efforts  inouïs,  en  doublant,  triplant,  et  même  quadru- 


(*)  A  partir  du  2o  juin,  la  ration  de  pain  fut  fixée  à  500  grammes;  celle  de 
viande  fut  élevée  à  400  grammes.  On  dislribuait  du  vin  tous  les  deux  jours. 

(')  Ordre  général  n"  109  bis,  du  30  juin  1802.  — Le  supplément  de  solde  était 
de  12  fr.  par  jour  pour  les  officiers  supérieurs;  de  9  fr.  pour  les  officiers  subal- 
ternes. A  Vera-Cruz,  ces  suppléments  furent  portés  à  12  et  à  18  fr.  La  solde 
des  officiers  de  marine  débarqués  avait  servi  de  base  à  ces  allocations,  que  le  dé- 
partement de  la  marine  avait  déjà  données  aux  officiers  do  la  colonne  de  l'amiral 
Jurien. 


LE  GÉNÉRAL  DE  LORENCEZ.  193 

plant  les  attelages.  Il  arrivait  souvent  que  dans  un  jour  on  'I862. 
pouvait  à  peine  faire  une  lieue,  les  hommes  de  l'escorte  res- 
taient parfois  dix-huit  heures  sans  trouver  un  endroit  sec  où 
il  leur  fut  possible  de  prendre  un  peu  de  repos  ;  il  fallait  en 
outre  surveiller  de  très-près  les  arrieros,  on  craignait,  à 
chaque  instant,  de  les  voir  déserter  avec  leurs  mules  ('),  et 
une  troupe  ennemie  forte  de  3,000  hommes  avec  huit  canons 
se  disposait,  disait-on,  à  barrer  à  la  Soledad  le  passage 
du  Rio  Jamapa  ;  enfin  un  bataillon  du  99*^  envoyé  d'Ori- 
zaba  à  la  rencontre  du  courrier  arriva  heureusement  assez 
tôt  pour  empêcher  les  guérillas  de  faire  sauter  le  pont;  le 
colonel  Hennique,  qui  avait  mis  quatre  jours  pour  faire  32 
kilomètres,  atteignit  la  Soledad  le  9  juillet. 

Cependant,  à  Orizaba,  la  famine  devenait  chaque  heure 
plus  menaçante  ;  on  dut  s'arrêter  à  une  résolution  extrême  ; 
malgré  l'insécurité  de  la  route ,  un  des  fonctionnaires  de 
l'intendance  partit  avec  tous  les  mulets  de  bât  disponibles 
(c'est-à-dire  180  animaux  conduits  par  125  soldats  du 
train),  pour  aller  au-devant  des  voitures  et  rapporter  de 
la  farine.  Ce  détachement  passa  sans  être  attaqué;  il  trouva 
le  convoi  à  quelques  lieues  seulement  de  la  Soledad, 
prit  son  chargement  et  rétrograda  aussitôt  sur  Orizaba, 
où  les  voitures  arrivèrent  le  21  juillet,  seize  jours  après 
leur  départ  de  la  Tejeria.  Les  besoins  de  l'escorte  ayant 
absorbé  une  grande  partie  des  vivres  dont  elles  étaient 
chargées,  c'est  h.  peine  si  elles  apportaient  à  la  garni- 
son un  approvisionnement  de  vingt  jours.  Le  général  de 

")  L'intendance  avait  à  sa  disposition  environ  260  chariots  du  pays,  paye's 
60  fr.  par  jour ,  employés  ou  non.  Les  efforts  pour  se  procurer  des  bètes  de 
somme  avaient  échoué  devant  Thostilité  des  populations  mexicaines. 

M.  le  sous-intendant  Raoul  ayant  été  tué  le  3  mai,  les  services  administratifs 
furent  dirigés,  pendant  celte  période  difficile,  par  M.  Gafliot ,  adjoint  à  l'inten- 
dance, secondé  par  M.  Vuillaume,  adjoint  de  2''  classe, 

13 


194  l'"  PARTIE.  CHAPITRE   IV. 

4863.        Lorencez  les  renvoya  de  suite  à  Vera-Gruz  avec  450  mules 
qui  furent  rassemblées  de  tous  côtés  (').  Le  pont  de  la 
Soledad  avait   été   brûlé   le  lendemain  du   passage  du 
colonel  Hennique,  mais  les  eaux  du  Jamapa  n'étant  pas 
hautes,  il  fut  possible  de  traverser  la  rivière  à  gué  ;  à  son 
retour,  ce  convoi  eut  encore  plus  de  peines  et  de  difficultés 
que  le  précédent.  Le  temps  était  épouvantable;  chaque 
jour  100  à  120  hommes  de  l'escorte  tombaient  malades; 
une  compagnie  d'infanterie  de  marine,  que  l'on  ramenait  de 
Vera-Gruz,  perdit  huit  hommes  du  vomito  ;  une  dizaine 
d'arrieros  et  de  soldats  mexicains  moururent  également. 
On  mit  huit  jours  pour  aller  de  la  Tejeria  à  la  Soledad. 
Les  guérilleros,  invisibles  et  insaisissables,  cachés  dans  les 
broussailles  qui  bordent  la  route,  épiaient  continuellement 
une  occasion  favorable  pour  attaquer.  A  El  Sordo,  ils  enle- 
vèrent quelques  attelages  ;  à  Paso  del  Macho,  ils  commen- 
cèrent à  couper  le  pont,  il  fallut  encore  envoyer  un  poste 
permanent  s'établir  sur  ce  point. 

Une  troisième  colonne  de  ravitaillement,  composée  de 
quatre  compagnies  de  chasseurs  à  pied  et  de  vingt-quatre 
gendarmes  C^),  partit  d'Orizaba  le  10  août  avec  huit  voitures 
et  200  mulets  ;  elle  ne  mit  que  dix- huit  jours  pour  le  trajet 
aller  et  retour.  Au  prix  de  toules  ces  fatigues,  on  n'arri- 
vait pourtant  pas  à  réunir  des  approvisionnements  assez 
considérables  pour  ramener  la  ration  de  pain  à  son  poids 
réglementaire  ;  les  chevaux  de  la  cavalerie  manquaient  de 
grains  et  étaient,  en  partie,  nourris  avec  des  cannes  à  sucre. 

Un  quatrième  convoi  de  75  voitures  et  250  mulets  fut 

<*)  L'escorte  fut  formée  par  sept  compagnies  du  99%  une  section  do  sapeurs 
du  génie,  deux  pelotons  de  chasseurs  d'Afrique,  commandés  par  le  lieutenant- 
colonel  Lefebvrc. 

(')  Les  chevaux  des  chasseurs  d'Afrique  étaient  si  épuisés,  qu'on  avait  été  obligé 
de  faire  marcher  les  gendarmes. 


LE  GÉNÉRAL  DE  LORENCEZ.  l95 

mis  en  route  le  25  août;  il  fut  arrêté  par  la  crue  des  eaux  ^862. 
du  Rio  Jamapa,  aucune  offre  d'argent  ne  put  décider  les 
Indiens  à  porter  une  dépêche  à  Vera-Cruz  pour  deman- 
der des  moyens  de  passage.  Les  guérilleros,  embusqués 
sur  la  rive  opposée,  rendirent  infructueuses  toutes  les  ten- 
tatives faites  par  de  hardis  nageurs  pour  passer  un  câble  sur 
l'autre  bord,  et  construire  soit  une  passerelle,  soit  un  ra- 
deau. L'officier  qui  commandait  l'escorte  fut  forcé  de  faire 
chercher  des  vivres  au  Chiquihuite  ;  les  eaux  ne  baissant 
pas ,  il  dut,  le  1*^^  septembre ,  se  décider  à  évacuer  ses 
malades  sur  Gordova  et  s'étabhr  provisoirement  à  Paso- 
Ancho.  L'ennemi  vint  insulter  son  camp  et  lui  enlever  un 
troupeau  de  90  mulets,  dont  la  garde  était  confiée  aux 
mexicains  auxiliaires. 

En  ce   moment,  des  troupes  de  renfort  arrivaient  à        Envoi 

■^  .  d'un  premier 

Vera-Cruz,  et  leurs  têtes  de  colonne  se  montraient  sur  renfort. 
la  rive  gauche  du  Rio  Jamapa  (9  septembre).  Il  était 
urgent  de  rétablir  le  pont.  Le  général  de  Lorencez  envoya 
d'Orizaba,  pour  exécuter  ce  travail,  des  sapeurs  du  génie 
et  un  détachement  de  marins  qui  se  [mirent  immé- 
diatement à  l'œuvre  avec  une  remarquable  activité.  On 
trouva  une  mauvaise  pirogue,  avec  laquelle  un  coura- 
geux soldat  du  l^""  zouaves  parvint  à  traverser  la  rivière 
torrentueuse  ;  il  porta  une  amarre  d'un  bord  à  l'autre,  et 
en  moins  de  quatre  heures,  fut  établi  un  bac  à  traille  pour 
une  voiture;  en  deux  jours  on  effectua  le  transbordement  de 
80  chariots,  tandis  qu'une  passerelle  établie  sur  des  pointes 
de  rochers  servait  aux  hommes  et  aux  bêtes  de  somme. 

Cette  opération  terminée,  la  colonne  venue  d'Orizaba 
continua  sa  route  sur  Vera-Cruz,  et  les  troupes  arrivant 
àè  France  montèrent  vers  le  Chiquihuite. 

Ce  détachement,  commandé  par  le  lieutenant-colonel 


196  l"   PARTIE.  CHAPITRE    IV. 

<862  Labrousse ,  faisait  partie  d'un  premier  renfort  de  deux 
bataillons  et  d'un  escadron  envoyé  d'Algérie  sous  les 
ordres  du  colonel  Brincourt.  Aussitôt  que  la  nouvelle  de 
l'échec  du  5  mai  avait  été  connue ,  l'Empereur  avait 
décidé  l'envoi  au  Mexique  de  renforts  très-considérables, 
mais  leur  départ  devant  être  retardé  jusqu'à  la  fin  de  la 
saison  du  vomito ,  il  avait  craint  que  le  général  de  Lo- 
rencez  n'eût  quelque  peine  à  se  maintenir  avec  le  faible 
effectif  dont  il  disposait ,  et  il  avait  fait  embarquer  de 
suite  un  détachement  de  2,000  hommes,  avec  des  voi- 
tures et  des  troupes  d'administration,  constitué  de  façon 
à  pouvoir  se  suffire  à  lui-même  et  rejoindre  le  général  de 
Lorencez  en  formant  colonne  isolée. 

L'insuccès  du  5  mai  avait  douloureusement  impres- 
sionné la  France  ;  l'Empereur,  qui  avait  résolu  l'expédition 
sans  tenir  compte  du  sentiment  de  la  nation  ,  fut  obligé 
de  venir  demander  le  concours  du  Corps  législatif  afin 
d'obtenir  les  sommes  nécessaires  pour  l'envoi  de  renforts. 
La  dignité  de  la  France  était  alors  sérieusement  com- 
promise ;  ce  n'était  l'heure  ni  des  remontrances  ni  des 
inutiles  regrets,  il  fallait  sauver  l'honneur  du  drapeau. 
Les  représentants  du  pays  répondirent  avec  patriotisme 
à  l'appel  du  Souverain,  bien  qu'il  ne  leur  fût  pas  permis, 
même  en  ce  moment,  de  poser  des  limites  à  l'expédition. 

L'Empereur  donna  au  général  Forey  le  commandement 
,  ^"T        en  chef  du  corps  expéditionnaire,  dont  l'effectif  allait  être 

de  renforts  ^  ^ 

au  Mexique,  porté  à  cuviron  30,000  hommes,  Un  officier  d'élat-major, 
le  commandant  d'Ornant,  partit  immédiatement  pour  le 
Mexique,  afin  de  recueillir  les  renseignements  nécessaires 
sur  la  situation  et  préparer  le  débarquement  des  nou- 
velles troupes.  Il  arriva  le  26  juillet  à  Vera-Gruz;  l'inter- 
ruption  des  communications  ne  lui   permit   pas   de  se 


LE  GÉNÉRAL  DE  LORENCEZ.  197 

rendre  auprès  du  général  de  Lorencez ,  mais  il  lui  fit  sa-  'isea. 
voir,  par  un  billet  chiffré  confié  à  un  Indien,  que  de 
nombreux  renforts  placés  sous  le  commandement  du 
général  Forey,  devaient  prochainement  débarquer,  et  que 
l'Empereur  défendait  de  marcher  sur  Mexico  avant  que 
toutes  les  troupes  fussent  en  ligne.  Après  un  court  séjour 
à  Vera-Gruz,  le  commandant  d'Ornant  revint  en  France. 
Le  rapport  qu'il  adressa  au  ministre  donne  des  renseigne- 
ments fort  exacts  sur  l'état  des  esprits  : 

«  La  garnison  de  Vera-Cruz  est  réduite  à  rien.  Les  petits  dépôts 
ne  comptent  plus  que  deux  ou  trois  hommes  ;  il  y  a  en  qui  n'en  ont 
qu'un;  la  compagnie  du  99^  de  hgne,  dont  l'effectif  au  début  était 
de  quatre-vingt-dix-huit  hommes,  n'en  a  plus  que  dix-neuf  dispo- 
nibles pour  le  service 

«  Une  animosité  très-vive  se  manifeste  ouvertement  contre  la 
direction  donnée  aux  affaires  diplomatiques  au  Mexique  par  les 
agents  de  ce  service,  que  l'on  accuse  partout  d'avoir  trompé  l'Em- 
pereur sur  l'état  vrai  des  choses.  Tous  les  bruits  apocryphes,  ré- 
pandus depuis  quelque  temps,  soit  sur  les  personnes,  soit  sur  les 
causes  non  avouables  que  certaines  feuilles  étrangères  attribuent  à 
l'expédition  ne  seraient  qu'un  écho  affaibli  de  ce  qui  se  colporte  de 
chambre  en  chambre,  sans  en  excepter  même  celle  du  soldat.  La 
rupture  des  relations  entre  le  commandement  et  le  ministre  de 
France,  la  lutte  de  rapports  ouverte  entre  eux  avec  Paris,  sont  pu- 
bliques  l'ennemi  en  prend  acte  pour  dire  aux  populations  que 

venus  au  Mexique  dans  le  but  d'y  rétablir  l'ordre  et  l'union,  les 
Français  donnent  eux-mêmes  l'exemple  de  la  division  dans  leur 
propre  camp.  » 

Les  navires  (*)  qui  portaient  les  premiers  renforts  avaient 
quitté  les  ports  d'Algérie  le  5  juillet  ;  naviguant  de  con- 

(')  L'Eylau,  l'Impérial,  le  Finistère  embarquèrent  : 

Deux  bataiUons  de  zouaves 1,591  hommes. 

Un  escadron  de  chasseurs  d'Afrique 184 

Ouvriers  d'administration 139 

Détachement  du  train 314 

2,228  hommes. 


198  l"   PARTIE.  —  CHAPITRE  IV. 

serve,  ils  étaient  arrivés  àVera-Cruz  le  23  août.  La  moitié 
des  troupes  avait  été  débarquée  le  28  août,  et  dirigée 
immédiatement  vers  l'intérieur  ;  c'est  cette  colonne  qui 
était  à  la  Soledad  le  9  septembre  ;  la  deuxième  moitié  avait 
commencé  son  mouvement  le  1^'"  septembre.  Bien  que  ces 
détachements  n'eussent  pas  séjourné  à  Vera-Cruz,  ils 
furent  cruellement  éprouvés  par  la  fièvre  jaune.  Ils  per- 
dirent quarante  hommes,  parmi  lesquels  un  chef  de  ba- 
taillon de  zouaves;  sur  un  effectif  de  1590  hommes,  ce 
régiment  compta  bientôt  350  malades. 

La  marche  à  travers  les  terres  chaudes  fut  des  plus  pé- 
nibles ;  le  colonel  Brincourt  mit  douze  jours  pour  se  rendre 
de  la  Tejeria  à  la  Soledad  ;  la  chaleur,  les  pluies  conti- 
nuelles, l'humidité  des  bivouacs,  engendrèrent  de  nom- 
breuses maladies;  les  guérilleros,  ne  cessant  de  harceler 
les  colonnes,  les  tenaient  constamment  en  alerte  ;  ils  leur 
enlevèrent  une  vingtaine  de  mules.  Cependant  l'arrivée  de 
ces  troupes  allait  permettre  au  général  de  Lorencez  de 
mieux  faire  garder  ses  communications  avec  la  mer,  sans 
trop  affaiblir  la  garnison  d'Orizaba  ;  il  fit  occuper  la  Sole- 
dad par  un  poste  permanent  et  reprit  possession  du  village 
d'In£fenio  (*). 


(1)  Le  corps  expéditionnaire  fut  alors  réparti  de  la  manière  suivante  : 

A  Ingénia,  le  2"  zouaves,  une  section  d'artillerie  ; 

A  Orizaba,  le  99"  de  ligne,  le  bataillon  de  chasseurs,  le  bataillon  de  marins, 
un  bataillon  d'infanterie  de  marine ,  la  batterie  de  montagne,  une  section  d'ar- 
tillerie et  la  batterie  d'artillerie  de  marine,  une  section  du  génie  ; 

A  Cordova ,  un  bataillon  du  1'^'"  zouaves,  un  peloton  de  chasseurs  d'Afrique, 
une  section  d'artillerie,  une  section  du  génie  ; 

Au  ChiquUmilo,  un  bataillon  du  1"''  zouaves,  détachant  une  compagnie  au 
Potrero  et  une  compagnie  à  Paso  dcl  Macho  ; 

A  la  Soledad,  un  bataillon  d'infanterie  de  marine,  trois  pelotons  de  chasseurs 
d'Afrique,  une  section  du  génie  ; 

A  Vera-Cruz,  une  compagnie  du  99"  de  ligne,  une  compagnie  d'infanterie  de 
marine,  les  matelots  créoles. 


LE    GÉNÉRAL    DE    LORENClîZ.  l99 

L'Empereur  avait  écrit  au  général  de  Lorencez  :  ^^^• 

«  Paris,  15  juin  1862. 

«  Mon  cher  fféncral,  i'ai   appris   avec  plaisir  le  brillant  fait     ,  ,}±^^^^^ 

de  1  Empereur 

d'armes  des  Cumbres  et  avec  peine  la  non-réussite  de  l'attaque  de      au  générai 
Puebla.  ^^  ^°''°'="- 

«  C'est  le  fait  de  la  guerre  de  voir  quelques  revers  obscurcir 
d'éclatants  succès  ;  mais  que  cela  ne  vous  décourage  pas  ;  l'hon- 
neur du  pays  est  engagé,  et  vous  serez  soutenu  partons  les  renforts 
dont  vous  aurez  besoin. 

«  Exprimez  aux  troupes  sous  vos  ordres  toute  ma  satisfaction 
pour  leur  courage  et  leur  persévérance  i\  supporter  les  fatigues  et 
les  privations. 

«  Plus  elles  sont  loin ,  plus  ma  sollicitude  se  porte  sur  elles. 

«  J'ai  approuvé  votre  conduite,  quoiqu'elle  semble  ne  pas  avoir 
été  comprise  de  tout  le  monde. 

«  Vous  avez  bien  fait  de  protéger  le  général  Almonte  ;  étant  en 
guerre  avec  le  gouvernement  actuel  du  Mexique,  tous  ceux  qui 
voudront  se  réfugier  sous  notre  drapeau  auront  le  même  droit  à 
notre  protection:  mais  elle  ne  doit  en  rien  influencer  notre  poli- 
tique à  venir.  Il  est  contre  mes  intérêts,  mon  origine  et  mes  prin- 
cipes d'imposer  un  gouvernement  quelconque  au  peuple  mexi- 
cain. 

«  Qu'il  choisisse  en  toute  liberté  la  forme  qui  lui  convient,  je 
ne  lui  demande  que  la  sincérité  dans  ses  relations  extérieures,  et  je 
ne  désire  qu'une  chose,  c'est  le  bonheur  et  l'indépendance  de  ce 
beau  pays  sous  un  gouvernement  stable  et  régulier. 

«  Sur  ce,  je  vous  renouvelle  l'assurance  de  mes  sentiments. 

«  Napoléon  » 


Mais  en  même  temps  que  cette  lettre,  le  général  de  Lo- 
rencez en  reçut  une  du  ministre  de  la  guerre,  écrite  quinze 


200  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE   IV. 

4862.        jours  plus  tard,  lorsque  les  détails  de  l'affaire  du  5  mai 
avaient  été  mieux  connus  (^)  : 

«  Je  reçois  à  l'instant  un  ordre  de  l'Empereur,  qui  m'impose 
l'obligation  de  vous  adresser  les  observations  qui  suivent. 

€  L'Empereur  admire  le  courage  déployé  par  les  soldats  dans  l'at- 
taque dirigée  contre  Puebla;  mais  S.  M,  n'a  pas  trouvé  opportune 
cette  attaque  ;  l'artillerie  ne  devait  pas  se  mettre  en  batterie  contre 
des  fortifications  à  la  distapce  de  2,500  mètres. 

«  L'Empereur  vous  recommande  de  conserver  de  bons  rapports 
avec  M.  de  Saligny,  qui  est  son  représentant  au  Mexique,  aussi 
bien  qu'avec  le  général  Almonte  et  les  autres  chefs  mexicains  qui 
viennent  à  nous. 

«  Le  général  Forey  va  bientôt  prendre  le  commandement  géné- 
ral; jusque-là  ne  faites  qu'organiser  la  résistance  et  vos  approvi- 
sionnements. 

«  Le  courrier  va  partir;  je  ne  puis  que  vous  renouveler,  mon 
cher  général,  l'assurance  de  mes  sentiments  affectueux.  » 

Aussitôt  après  avoir  reçu  le  billet  chiffré  du  comman- 
dant d'Ornant,  le  général  de  Lorencez  avait  demandé  au 
ministre  de  la  guerre  de  rentrer  en  France  (^).  Quelques 
jours  plus  tard,  le  courrier  lui  apportait  l'ordre  de  faire 
partir  son  chef  d'état-major,  le  colonel  Letellier-Valazé,  qui 
avait  partagé  ses  sentiments  à  l'égard  de  M.  de  Saligny, 
et  avait  été  «  desservi  »  près  de  l'Empereur.  Le  maréchal 
Randon,  ministre  de  la  guerre,  cherchait  toutefois  à  calmer 
l'irritation  du  général  de  Lorencez  (^).  Les  sages  conseils 
qu'il  lui  donnait,  méritent  d'être  suivis  en  tout  temps  : 

«  J'aurais  désiré  vous  voir  au-dessus  de  ces  préoccupations.  Un 
général  dans  votre  position  a  pour  premier  juge  de  ses  actions,  sa 


(1)  Le  ministre  au  général  de  Lorencez,  30  juin. 
(•)  Le  général  de  Lorencez  au  ministre,  9  août, 
<3)  Le  ministre  au  général  de  Lorencez,  17  juillet. 


LE    GÉNÉRAL    DE    LORliNCEZ.  201 

conscience L'homme  droit  et  loyal,  comme  vous  l'êtes,  n'a  donc  -1862. 

pas  besoin  de  s'inquiéter  de  ce  qu'un  mauvais  vouloir,  peut-être  la  — 

calomnie,  cherche  à  soulever  contre  lui  ;  il  va  son  chemin,  fait  pour 
le  mieux  et  dédaigne  ces  attaques  subalternes  qui  la  plupart  du 
temps  n'ont  de  valeur  réelle  que  celle  qu'on  leur  donne  en  s'en 

préoccupant Aussi  longtemps  que  le  ministre  de  France  n'est 

pas  changé  vous  devez  avoir,  sinon  pour  sa  personne,  du  moins  pour 
le  caractère  dont  il  est  revêtu,  la  déférence  que  sa  position  com- 
porte; je  vous  en  dirais  autant  pour  M.  Almonte La  mission  que 

vous  avez  à  remplir,  mon  cher  général,  n'est  pas  une  mission  pu- 
rement militaire  ;  elle  touche  de  près  à  de  très-sérieuses  questions; 
il  faut  s'élever  à  leur  hauteur  et  ne  pas  se  perdre  dans  le  labyrinthe 
où.  les  petites  passions  prennent  position  ». 

Mais  le  général  de  Lorencez  était  trop  profondément 
affecté,  son  cœur  était  trop  ulcéré  pour  qu'il  lui  fût  possible 
de  se  rendre  à  ces  avis.  Les  journaux  de  France  reprodui- 
saient des  correspondances  du  Mexique  dans  lesquelles 
sa  conduite  était  critiquée  ;  il  ne  put  demeurer  calme 
devant  ces  nouvelles  attaques  et  se  défendit  amèrement 
encore  des  accusations  dont  il  était  l'objet. 

Les  officiers  du  corps  expéditionnaire  ne  restaient  pas 
indifférents  à  ces  regrettables  discussions.  Pour  la  plupart, 
ils  prirent  très-vivement  le  parti  de  leur  général  en  chef; 
aussi  fut-il  recommandé  au  général  Forey  de  réagir  contre 
ces  dispositions  hostiles  au  ministre  de  France ,  et  de 
rétabUr  la  bonne  harmonie  entre  l'état-major  du  corps 
expéditionnaire  et  la  légation. 

Gomme  il  en  avait  manifesté  le  désir,  le  général  de  Lo- 
rencez fut  autorisé  à  quitter  le  Mexique  après  l'arrivée  du 
nouveau  commandant  en  chef.  Le  général  Forey  dé- 
barqua à  Vera-Gruz  le  21  septembre  ;  il  arriva  à  Orizaba 
le  24  octobre;  quelques  jours  après,  le  10  novembre, 
le  général  de  Lorencez  se  mit  en  route  pour  rentrer  en 
France;  il  emporta  l'affection  de  tous  ceux  qui,  sous  ses 


202  l"*  PARTIE.  CHAPITRE    IV. 

im.  ordres,  avaient  supporté  les  pénibles  épreuves  de  cette 
campagne  et  laissa  dans  l'armée  de  précieux  souvenirs  de 
droiture  et  de  loyauté  ('). 


(•)  Peu  de  temps  avant  son  départ,  au  moment  où  le  géne'ral  entrait  dans  un 
petit  théâtre  organisé  par  l'armée ,  les  ofïïciers  présents  saisirent  cette  occasion 
de  lui  témoigner  leurs  sympathies  en  l'accueillant  par  des  vivats  et  de  chaleu- 
reux applaudissements. 


CHAPITRE  CINQUIÈME. 


SOMMAIRE. 

Composition  du  corps  expéditionnaire  placé  sous  les  ordres  du  général  Forey. 
—  Instructions  données  au  général  Forey.  —  Le  général  Forey  dissout  le 
gouvernement  provisoire  formé  par  le  général  Almonte.  —  Proclamation  aux 
Mexicains.  —  Echange  de  lettres  entre  le  général  Ortega  et  le  général  Forey. 
— Pénurie  des  vivres  et  des  transports.  —  Marche  de  la  brigade  de  Bertier  sur 
Jalapa.  —  Opérations  au  sud  de  Vera-Cruz.  —  Occupation  d'Omealca.  — 
Expédition  sur  Tampico.  —  Le  corps  expéditionnaire  s'avance  sur  le  plateau 
d'Anahuac.  —  Situation  des  forces  alliées  du  général  Marquez.  —  Marche  du 
général  Bazaine  de  Jalapa  sur  Perote.  —  Combat  de  San  José  (18  février 
1863).  —  Organisation  des  postes  sur  la  ligne  de  communication  avec  Vera- 
Cruz,  —  Arrivée  à  Vera-Cruz  d'un  bataillon  d'Egyptiens.  —  Reprise  des  opé- 
rations contre  Puebla.  —  Dispositions  défensives  prises  par  le  gouvernement 
mexicain. 


Les  troupes  placées  sous  les  ordres  du  général  Forey 
formaient  ^deux  divisions  d'infanterie  et  une  brigade  de 
cavalerie;  on  leur  avait  donné  un  matériel  de  siège,  les 
réserves  d'artillerie  et  les  services  administratifs  néces- 
saires ('). 


Composition 

du  corps 

expéditionnaire 

placé 

sous  les  ordres 

du  fiénéral 

Forey. 


La  l'""  division  d'infantorie,  commandée  par  le  général  Bazaine, 
comprenait  : 

.  „  ,   .     ,         (  18«  bataillon  de  chasseurs  à  pied. 

1^0  brieade  ■     \  4.^    -  ■       *  i 

.,,%,.        {  V'^  recçuïient  de  zouaves, 

gênerai  NeiûTC.  f  q,„    P.       ,  ,    ,. 

^  ^       \  m^  reqiment  do  ligr 


me. 


<*)  Voir  à  l'appendice  la  composition  des  états-majors. 


204  l"  PARTIE.  CHAPITRE    V. 

^862.  I  20*  bataillon  de  chasseurs  à  pied. 

2e  brigade  :      l  3^  régiment  de  zouaves. 

général         /  95^  régiment  de  ligne, 

de  Castagny.    )  Un  bataillon  de  tirailleurs  aigériens,  de  forma- 
1       tion  nouvelle. 


La  batterie  d'artillerie  de  marine  de  4  de  campagne. 
La  batterie  de  montagne  des  marins. 
Une  compagnie  du  génie. 


La  deuxième  division,  dont  le  commandement  devait 
être  réservé  au  général  de  Lorencez,  mais  qui,  par  suite 
du  départ  de  cet  officier  général,  fut  donné  au  général 
Douay,  était  ainsi  composée  : 

'Ire  J3i'igade  ;     [    p^  bataillon  de  chasseurs  à  pied. 
général  Douay,  ;   ^e  régirent  de  zouaves. 

qui  fut  remplacé  pari    nn^     .    ■  t    ^     ^• 

le  colonel L'HériiUer.  (   99«  regmient  de  ligne. 

2^  brigade  :     (   7*  bataillon  de  chasseurs  à  pied. 

général         <   ol^  régiment  de  ligne, 
de  Bertier.      (   62^  régiment  de  ligne. 

Une  batterie  de  montagne. 

Une  batterie  montée  de  4  de  campagne. 

Une  compagnie  du  génie. 

Les  bataillons  de  tirailleurs  et  de  chasseurs  étaient  à  six  compa- 
gnies; les  bataillons  de  ligne  à  sept,  les  bataillons  de  zouaves  à 
huit  compagnies. 

La  brigade  de  cavalerie,  sous  les  ordres  du  général  de 
Mirandol,  se  composait  de  deux  régiments  de  marche 
formés  : 

Le  l^r  régiment  c  deux  escadrons  du  l'^'"  chasseurs  d'Afrique. 
de  (   deux  escadrons  du  2"  chasseurs  d'Afrique. 

Le  2c  régiment   J  deux  escadrons  du  3''  chasseurs  d'Afrique, 
de  j  deux  escadrons  du  12'^  chasseurs. 

et  d'un  demi-escadron  du  ij"  hussards  pour  l'escorte  du  général 
en  chef. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  20o 

On  avait  adopté  cette  combinaison  afin  de  pouvoir,  sans         ^862. 
dégarnir  complètement  FAlgérie,  envoyer  au  Mexique  de 
la  cavalerie  d'Afrique,  que  l'on  croyait  plus  appropriée  que 
toute  autre  à  la  nature  de  cette  expédition. 

La  réserve  d'artillerie  se  composait  de  : 

Une  batterie  de  12  de  réserve; 
Une  batterie  de  4  de  campagne  ; 
Une  batterie  de  12  de  siège; 
Une  demi-compagnie  de  pontonniers  ; 
Des  sections  d'ouvriers  et  d'armuriers  ; 
Une  batterie  montée  de  la  garde,  dont  le  départ  fut  décidé  un 
peu  plus  tard. 

La  réserve  du  génie  était  formée  par  une  compagnie  de 
sapeurs,  des  détachements  d'ouvriers  et  de  sapeurs  con- 
ducteurs. 

Le  régiment  d'infanterie  de  marine,  le  bataillon  de  ma- 
rins-fusiliers ,  les  compagnies  du  génie  colonial  et  les 
volontaires  des  Antilles,  corps  de  formation  récente,  res- 
tèrent en  dehors  de  l'organisation  divisionnaire.  Le  ba- 
taillon de  marins  n'avait  été  d'abord  qu'une  création 
provisoire  ;  bien  que  l'éducation  antérieure  des  marins 
ne  les  eût  nullement  préparés  aux  fatigues  de  cette  guerre, 
ils  s'étaient  mis  promptement  à  hauteur  du  service  pé- 
nible qui  leur  avait  été  demandé  ;  le  5  mai,  ils  s'étaient 
vaillamment  comportés  à  côté  des  zouaves,  et  comme  ils 
avaient  été  à  la  peine,  l'amiral  Jurien  désira  qu'ils  fussent 
aussi  à  l'honneur.  Le  bataillon  de  marins-fusiliers  fut  donc 
maintenu  au  Mexique,  et  des  renforts  lui  furent  envoyés 
pour  porter  de  nouveau  à  500  hommes  son  effectif,  qui 
s'était  affaibli  de  moitié.  La  batterie  de  montagne  des  ma- 
rins partagea  le  sort  du  bataillon  de  marins-fusiliers. 

Les  compagnies  du  génie  colonial  étaient  des  corps  spé- 


206  l"  PARTIE.  CHAPITRE  V. 

1862.  ciaux  des  colonies  de  la  Martinique  et  de  la  Guadeloupe  ;  on 
~  les  avait  envoyées  au  Mexique  pour  être  plus  particuliè- 
rement employées  dans  les  Terres  Chaudes,  dont  elles 
pouvaient,  sans  danger,  supporter  le  climat.  Les  matelots 
créoles,  embarqués  à  bord  des  bâtiments  de  l'escadre, 
avaient  également  résisté  aux  influences  du  vomito  et  rendu 
de  précieux  services.  Cette  expérience  engagea  le  gouver- 
neur de  la  Martinique  à  demander  l'autorisation  de  recruter 
des  volontaires  créoles,  et  d'en  former  une  compagnie  de 
cent  hommes,  à  laquelle  il  donna  un  noyau  de  douze  anciens 
soldats  et  des  cadres  tirés  de  l'infanterie  de  marine.  Cette 
compagnie  débarqua  à  Vera-Cruz  le  2  novembre  (*). 

Le  chiffre  total  des  forces  du  corps  expéditionnaire  du 
Mexique,  d'après  une  situation  du  l»^^  janvier  1863,  époque 
à  laquelle  toutes  les  troupes  étaient  arrivées,  et  où  les  pertes 
n'avaient  pas  encore  sensiblement  diminué  les  effectifs, 
était  de  28,126  hommes,  ayant  5,845  chevaux  et  549  mu- 
lets. 

L'artillerie  disposait  de  : 

8  canons  de  12  de  siège. 
6        —        12  de  réserve. 
24      —        4  de  campagne. 
12      —        de  montagne. 

(1)  La  colonie  de  la  Martinique  avait  en  outre  envoyé  au  Mexique  : 

Une  compagnie  du  génie  de 102  hommes. 

Matelots  créoles 500      — 

Et  la  Guadeloupe  : 

Une  compagnie  du  génie  d'environ 50       — 

Matelots  créoles 400       — 

1,052  hommes. 

(Correspondance  de  l'amiral  Maussion  de  Candé  avec  le  ministre  de  la  marine, 
de  juin  à  septembre  1802.) 


LE    GÉNÉRAL   FOREY.  207 

Les  équipages  du  train  se  composaient  de  :  ^862. 

51  chariots  de  parc,  83  voitures  régirnentaires  à  deux 
roues,  4  voitures  articulées,  6  forges  de  campagne,  85 
litières  et  490  cacolets  pour  les  ambulances  (*). 

(')  L'effectif  du  corps  expéditionnaire  se  décomposait  de  la  manière  suivante  : 

États-majors 51 

Gendarmerie 23 

Infanterie 19,411 

Cavalerie •   .   .   .  1,300 

Troupes     )    Artillerie 1,884 

de  terre.     \   ^^^^^ olb    / 

Troupes    [  Train 1,430  j 

d'adminis-^  Subsistances.  .      363  >      1,834 
tration.   (  Campement .   •         59  ) 
Services  administratifs  et  hôpitaux,  (a)  634  / 


Infanterie 1,609 

Troupes     }  Artillerie 448 

de  marine.   )    Génie 133 

Gendarmerie 43 


2,253 


28,126  hommes 


L'amiral  Jurien  avait  eu  sous  ses  ordres  (situation  du  28 

janvier  1862) 3,310  hommes. 

Du  3  mars  au  17  avril,  il  était  arrivé  avec  le  général  de 

Lorencez 4,573 

Le  23  avril,  venant  des  Antilles 154 

Le  13  mai,  avec  le  général  Douay 321 

Le  13  juillet,  venant  des  Antilles 200 

Le  2  novembre,           id.               100 

Il  arriva  avec  le  général  Forey,  du  23  août  au  9  novembre.  22,320 


Le  total  des  troupes  débarquées  est  donc  de 30,978  hommes. 

Tandis  que  la  situation  au  1"  janvier  1863  donne 28,126 

Différence 2,832  hommes. 

Cette  différence  représente  une  diminution  de  près  de  1/10  de  l'effectif.  Le 

(a)  Ce  chiffre  se  décompose  ainsi  :  10  fonctionnaires  de  l'intendance,  1  commissaire  de  marine, 
13  officiers  d'administration  de  Tintcndancc,  50  médecins,  11  pharmaciens,  29  officiers  d'administra- 
tion des  hôpitaux,  500  inUrmicrs,  20  employés  du  trésor  et  des  postes.  —  Total   .  .      034 


208  l"  PARTIE.  ClfAPITRE  V. 

4862.  Le  nombre  des  voitures  était  tout  h  fait  insuffisant  pour 

assurer  le  service,  car  pendant  quelque  temps  encore  la 
plus  grande  partie  des  approvisionnements  devait  être 
amenée  de  Vera-Cruz  ;  aussi  verra-t-on  cette  pénurie  des 
moyens  de  transport  entraver  les  mouvements  de  l'armée 
et,  comme  au  début  de  l'expédition,  influer  d'une  manière 
fâcheuse  sur  les  opérations  militaires. 

Au  départ  de  France,  l'uniforme  des  troupes  ne  fut  pas 
modifié.  Plus  tard  le  général  Forey  donna  l'ordre  de  lais- 
ser les  shakos  à  la  Martinique  ;  il  fit  distribuer  des  cha- 
peaux de  paille  et  adapter  des  visières  aux  bonnets  de 
police  alors  en  usage  dans  l'infanterie.  Cette  mesure  était 
commandée  par  les  nécessités  du  climat;  mais  les  négli- 
gences de  tenue  qui  en  résultèrent  firent  regretter  que 
l'équipement  des  troupes  n'eût  pas  été  mieux  approprié 
aux  conditions  d'une  guerre  faite  sous  les  tropiques.  Les 
chapeaux  de  paille  furent  d'ailleurs  bientôt  abandonnés,  et 
les  troupes  portèrent  le  képi  avec  couvre-nuque,  qu'elles 
conservèrent  pendant  toute  la  durée  de  la  campagne. 

La  marine  de  guerre  fut  exclusivement  chargée  du  trans- 
port des  troupes  placées  sous  les  ordres  du  général  Forey. 
L'amiral  Jurien,  qui  reprit  à  cette  époque  le  commande- 
ment de  l'escadre  du  golfe  du  Mexique,  en  dirigea  le  dé- 
barquement à  Vera-Cruz  (^). 

plus  grand  nombre  de  ces  hommes  avaient  oté  ramenés  en  France  comme  convales- 
cents. 

Ces  chiffres  ne  peuvent  être  d'une  exacUludc  rigoureuse.  Des  erreurs  se  glis- 
sent toujours  dans  les  décompositions  d'elTeclif.  Les  situations  d'embarquement 
de  la  marine  ne  concordent  pas  avec  celles  de  la  guerre  ;  des  hommes  ont  été 
envoyés  isolément  sur  les  paquebots,  des  marins  compris  dans  l'effectif  du  corps  de 
Tamiral  Jurien  ont  été  rendus  à  la  flotte,  tandis  que  d'autres  ont  été  débarqués. 
Ces  mutations,  peu  considérables  du  reste,  doivent  cependant  modiûer  le  ciiiffre  de 
2,852,  représentant  la  diminution  d'effeclif. 

(1)  Voira  T Appendice  le  détail  des  transports. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  209 

Le  général  Forey,  avec  une  escorte  composée  d'un  ba-         1862. 
taillon  de  chasseurs  à  pied  et  d'un  escadron  de  cavalerie, 
précéda  d'environ  un  mois  le  reste  de  son  corps  expédi- 
tionnaire, et  arriva  à  Yera-Gruz  le  21  septembre. 

En  passant  à  Ténériffe,  où  devaient  faire  relâche  les  bâ- 
timents de  transport,  il  laissa  des  ordres  pour  qu'il  ne  fût 
pas  permis  aux  troupes  de  descendre  à  terre  ;  il  ordonna, 
au  contraire,  qu'elles  seraient  débarquées  à  la  Martinique, 
et  y  séjourneraient  le  temps  nécessaire  pour  assainir  les 
navires  et  reposer  les  hommes  et  les  animaux. 

Les  bâtiments  qui  composaient  les  trois  premiers  con- 
vois, étant  partis  d'Europe  à  intervalles  trop  rapprochés,  se 
trouvèrent  ensemble  sur  la  rade  de  Fort  de  France  ;  le 
gouverneur  de  la  colonie,  craignant  l'encombrement,  les 
dirigea  les  uns  après  les  autres  sur  Vera-Cruz,  où  ils  arri- 
vèrent le  lo  et  le  16  octobre,  ayant  à  leur  bord  environ 
8,000  hommes  et  900  animaux. 

Bien  que  la  saison  ordinaire  du  vomito  fût  alors  passée, 
l'état  sanitaire  de  la  côte  était  assez  mauvais  pour  faire 
craindre  qu'un  tel  rassemblement  d'hommes  n'amenât 
une  recrudescence  de  la  maladie.  Les  hôpitaux  regor- 
geaient de  malades.  Les  pluies  et  le  mauvais  état  des 
chem.ins  ayant  contraint  le  général  Forey  à  rester  à  Vera- 
Cruz  jusqu'au  12  octobre,  ses  troupes  d'escorte  en  avaient 
cruellement  souffert  ;  au  moment  de  son  départ,  le  batail- 
lon de  chasseurs  ne  comptait  plus  que  515  hommes  dans 
le  rang;  il  laissait  deux  cents  hommes  à  l'hôpital.  Les 
soldats  étaient  si  affaiblis  qu'il  fallut  faire  porter  leurs 
sacs  sur  des  mulets  et  175  hommes  restèrent  à  l'ambu- 
lance de  la  Soledad.  On  y  fit  séjour,  et  cependant  on  dut 
s'arrêter  deux  jours  encore  à  Palo-Verde  à  18  kilomètres 
plus  loin.  Le  nombre  des  décès,  d'abord  restreint,  s'aug- 


210  1"=  PARTIE. CHAPITRE    V. 

4862.  menta  bientôt  dans  une  grande  proportion,  surtout  au  delà 
du  Ghiquihuite,  où  le  changement  de  température  ne  fit  que 
hâter  le  développement  des  germes  morbides.  Quinze 
hommes  furent  encore  laissés  au  Ghiquihuite,  trente-trois 
à  Gordova,  où  mourut  le  lieutenant-colonel  Mancel,  chef 
d'état-major  de  la  2'^  division  ;  en  arrivant  à  Orizaba,  il  n'y 
avait  plus  que  dix  hommes  valides  au  bataillon  de  chasseurs, 
112  plus  ou  moins  gravement  atteints  se  traînaient  encore, 
70  éta^ient  portés  sur  des  mulets,  en  tout  192  hommes; 
les  autres  étaient  morts  ou  dans  les  hôpitaux.  On  fut  obhgé 
de  puiser  dans  le  l^*"  et  le  18^  bataillon  de  même  arme, 
pour  rétablir  l'effectif  de  ce  bataillon.  Gette  expérience 
était  assez  dure  pour  qu'on  ne  voulût  pas  exposer  d'au- 
tres corps  à  de  pareils  malheurs  en  les  laissant  séjourner 
trop  longtemps  à  Vera-Gruz  ;  des  ordres  furent  donnés  pour 
que  les  troupes  restassent  à  bord  des  bâtiments  sur  rade 
jusqu'au  moment  où  il  serait  possible  de  les  mettre  en 
route  vers  l'intérieur.  Gette  mesure  n'eût  pas  présenté  d'in^ 
convénients  graves,  si  les  tempêtes  du  Norte  (vent  du 
nord),  dont  la  bienfaisante  influence  devait  assainir  la 
côte,  n'eussent,  d'un  autre  côté,  fait  courir  de  sérieux  dan- 
gers à  l'escadre  dans  la  rade  mal  abritée  de  Sacrificios  et 
dans  le  mauvais  port  de  Vera-Gruz.  Les  inquiétudes  et 
les  préoccupations  des  chefs  de  l'armée  n'avaient  fait 
que  changer  de  nature.  Il  fallut  à  plusieurs  reprises  sus- 
pendre les  opérations  du  débarquement;  souvent  les 
communications  entre  la  ville  et  la  rade  étaient  inter- 
rompues. Le  28  octobre,  éclata  un  ouragan  si  violent, 
qu'un  des  bâtiments  de  l'escadre,  le  Chaptal,  fut  jeté 
à  la  côte  ;  quatre  navires  marchands  se  perdirent  dans  le 

(')  Le  général  Forey  au  ministre,  25  octobre,  25  novembre. 


LE   GÉNÉRAL  FOREY.  211 

port  même  de  Vera-Gruz,  et  cinq  au  mouillage  de  Sacrifi-        4862. 
cios  ;  la  plupart  étaient  chargés  de  matériel  pour  l'armée 
ou  pour  la  marine.  Les  équipages  furent  sauvés,  à  l'excep- 
tion de  trois  ou  quatre  hommes,  et  les  troupes  embarquées 
n'eurent  heureusement  aucune  perte  à  déplorer. 

En  général,  les  traversées  des  bâtiments  de  transport  se 
firent  dans  des  conditions  satisfaisantes.  La  bonne  entente 
qui,  d'après  le  rapport  des  capitaines,  ne  cessa  de  régner 
entre  les  équipages  et  les  passagers,  le  dévouement  des 
uns,  la  discipline  des  autres  leur  avaient  permis  d'échapper 
aux  risques  d'un  aussi  long  voyage,  rendu  plus  difficile 
encore  par  l'encombrement  des  bâtiments,  l'accumulation 
du  matériel,  et  les  mauvaises  conditions  de  navigabilité  des 
navires  de  guerre  désarmés,  transformés  en  transports,  et 
dont  la  charge  était  portée  dans  les  parties  hautes. 

Cependant  les  transports-écuries  avaient  été  notable- 
ment éprouvés.  L'Aube,  qui  avait  à  son  bord  357  chevaux 
de  chasseurs  d'Afrique,  essuya  un  fort  coup  de  vent  avant 
d'arriver  à  la  Martinique.  L'amplitude  du  roulis,  qui  attei- 
gnit jusqu'à  43°  d'inclinaison,  ne  tarda  pas  à  disjoindre  les 
bordages,  des  voies  d'eau  se  déclarèrent  ;  les  chevaux,  bien 
qu'ils  fussent  soutenus  par  des  sangles,  ne  purent  plus 
garder  leur  équihbre  sur  des  plans  inclinés,  rendus  glis- 
sants par  l'humidité.  Les  quarante  chevaux  d'un  bord  ve- 
naient heurter  à  la  fois  de  leur  poitrail  la  charpente  qui 
portait  leur  mangeoire;  ils  la  défoncèrent,  furent  jetés  sous 
les  pieds  des  chevaux  du  bord  opposé,  les  renversèrent  et 
disparurent  avec  eux  sous  l'eau  qui  envahissait  la  batterie 
basse.  11  fut  impossible  de  les  relever.  Les  chevaux  des 
batteries  supérieures,  dont  les  amarres  cassaient,  étaient 
précipités  par  l'ouverture  des  panneaux  sur  ceux  des  étages 
inférieurs,  les  tuaient  en  tombant  ou  se  brisaient  les  mem- 


212  l"    PAUTIE.  CHAPITRE  V. 

4862.  bres.  Ces  malheureuses  bêtes,  roulant  d'un  bord  à  l'autre, 
le  désordre  était  à  son  comble.  Lorsque  la  tempête  fut 
apaisée,  on  constata  que  quarante  chevaux  étaient  morts 
ou  avaient  les  jambes  brisées  et  soixante-dix  étaient  plus 
ou  moins  grièvement  blessés.  Le  Jura  n'avait  pas  été  plus 
heureux.  Sur  362  animaux,  on  avait  été  obligé  d'en  jeter 
120  à  la  mer  (^).  Ces  pertes  affectaient  d'une  manière  sen- 
sible la  cavalerie  du  corps  expéditionnaire,  mais  on  n'eut 
à  regretter  aucun  accident  grave  pour  les  hommes. 

^"don"*^-'""^         Avant   son  départ  pour  le  Mexique,  le  général  Forey 
au  général  Forey.  J^yr^j[j;  pgç^  ^q  l'Empercur  Ics  instructious  suivantes  : 

Fontainebleau,  le  3  juillet  -1862. 

«  Mon  cher  général,  au  moment  où  vous  allez  partir  pour  le 
Mexique,  chargé  de  pouvoirs  diplomatiques  et  militaires,  je  crois 
utile  de  bien  vous  faire  connaître  ma  pensée.  Il  n'entre  pas  dans 
mes  habitudes  de  rappeler  les  événements  passés  pour  critiquer  ce 
qui  n'a  pas  réussi.  Si  je  commence  par  y  faire  allusion,  c'est  que 
l'exemple  des  fautes  commises  empêchera  d'y  retomber  à  l'avenir, 
et  qu'il  est  de  mon  droii  comme  de  mon  devoir  de  distribuer,  sui- 
vant ma  conviction,  le  blâme  et  l'éloge. 

«  J'ignore  si  le  caractère  privé  de  M.  de  Sahgny  laisse  à  dési- 
rer ;  j'ignore  quelles  intempérances  de  langage  on  peut  lui  repro- 
cher; mais  ce  que  je  sais,  et  ce  que  je  déclare  hautement,  c'est 
que  depuis  le  commencement  de  l'expédition  du  Mexique,  ses  dé- 
pêches ont  toujours  été  marquées  au  coin  du  bon  sens,  de  la  fermeté, 
et  de  la  dignité  de  la  France,  et  je  ne  doute  pas  que  si  ses  avis 
eussent  été  suivis,  notre  drapeau  ne  flottât  aujourd'hui  à  Mexico. 
On  dit  qu'il  a  trompé  le  gouvernement  sur  le  véritable  état  des 
choses  au  Mexique;  il  m'a  au  contraire,  j'aime  à  le  reconnaître, 
toujours  dit  la  vérité.    Jamais  il  n'a  prétendu  que  la  population 

(')  Rapport  du  colonel  du  Barail,  7  octobre  1862.  —  Le  général  Forey  au 
ministre,  9  novembre  i862.  —  Le  commandant  de  de  l'Aube  au  ministre  de  la 


LE    GÉNÉRAL   FOREY.  2i3 

mexicaine  fût  assez  enthousiaste  et  assez  énergique  pour  venir  au-  ^862. 
devant  de  nos  soldats  et  se  débarrasser  elle-même  du  gouverne- 
ment qui  l'opprime;  mais  il  a  toujours  soutenu  qu'une  fois  entrés 
dans  l'intérieur  du  pays,  nous  y  trouverions  des  populations  sym- 
pathiques. Or  la  preuve  qu'il  avait  raison,  c'est  que  depuis  l'échec 
du  5  mai,  je  vois  par  un  rapport  du  consul  de  Prusse  à  Puebla, 
adressé  à  son  gouvernement,  que  la  ville  de  Puebla  était  dans  la 
consternation  le  lendemain  de  notre  insuccès;  que,  morne  et  silen- 
cieuse, elle  était  loin  de  participer  à  la  joie  du  corps  de  troupes 
mexicain.  Je  sais,  par  des  lettres  venues  de  Puebla  même,  que  plus 
de  dix  personnes  ont  été  fusillées  pour  intimider  ceux  qui  ose- 
raient, comme  elles,  faire  des  démonstrations  en  notre  faveur.  Je 
sais  par  vingt  lettres  venues  de  Mexico  et  passées  sous  mes  yeux 
(parmi  lesquelles  se  trouve  le  rapport  du  ministre  de  Prusse  et  celui 
du  ministre  de  Belgique)  qu'avant  le  5  mai  le  gouvernement  était 
dans  la  stupeur,  et  que  la  population  nous  attendait  avec  impa- 
tience comme  des  libérateurs.  Ainsi,  le  général  de  Lorencez  n'a  pas 
été  trompé  par  les  rapports  de  M.  de  Saligny  et  du  général  Al- 
monte  ;  car  s'il  avait  réussi  dans  l'attaque  de  Puebla,  tout  ce  que 
ces  messieurs  lui  avaient  annoncé  se  serait  réalisé. 

«  Je  n'en  veux  pas  au  général  de  Lorencez  d'avoir  échoué  ;  tout 
le  monde  peut  se  tromper  à  la  guerre,  mais  je  lui  reproche  de  jeter 
le  blâme  sur  ceux  qui  ne  le  méritent  pas.  S'il  eût  triomphé  à  Gua- 
dalupe,  il  s'en  serait,  avec  raison,  attribué  exclusivement  le  mé- 
rite ;  de  même,  dans  le  cas  contraire,  il  doit  en  supporter  seul  la 
responsabilité.  Sous  ce  dernier  point  de  vue,  je  ne  saurais  assez 
donner  d'éloges  au  général  de  Lorencez  pour  la  manière  dont  s'est 
exécutée  la  retraite,  le  soin  qu'il  a  pris  des  blessés,  et  l'ordre  qu'il 
a  su  maintenir  dans  sa  colonne  encombrée  de  chariots. 

«  Voici  maintenant  la  ligne  de  conduite  à  tenir  par  le  générai 
Forey  : 

e  1°  Faire  h  son  arrivée  une  proclamation  dont  les  idées  princi- 
pales lui  seront  indiquées. 

«  2»  Accueillir  avec  la  plus  grande  bienveillance  le  général  Al- 
monte  et  tous  les  Mexicains  qui  s'offriront  à  lui. 

«  3°  N'épouser  la  querelle  d'aucun  parti,  déclarer  que  tout  n'est 
que  provisoire,  tant  que  la  nation  mexicaine  ne  se  sera  pas  pro  - 


214  r*  PARTIE.  CHAPITRE  V. 

-1862.         noncée.  Montrer  une  grande  déférence  pour  la  religion,  mais  ras- 
""  surer  en  même  temps  les  détenteurs  de  biens  nationaux. 

«  4°  Nourrir,  solder  et  armer,  suivant  ses  moyens,  les  troupes 
mexicaines  auxiliaires;  leur  faire  jouer  le  rôle  principal  dans  les 
combats. 

«  5°  Maintenir  parmi  nos  troupes,  comme  parmi  les  auxiliaires, 
la  plus  sévère  discipline  ;  réprimer  vigoureusement  tout  acte,  tout 
propos  blessant  pour  les  Mexicains,  car  il  ne  faut  pas  oublier  leur 
caractère  orgueilleux,  et  il  importe  au  succès  de  l'entreprise  de  se 
concilier,  avant  tout,  l'esprit  des  populations. 

«  Parvenu  à  Mexico,  il  est  à  désirer  que  le  général  Almonte  et 
les  personnes  notables  de  toute  nuance,  qui  auraient  embrassé 
notre  cause,  convoquent,  suivant  les  lois  mexicaines,  une  assemblée 
qui  décidera  de  la  forme  du  gouvernement  et  des  destinées  du 
Mexique. 

«  Le  général  aidera  le  nouveau  pouvoir  à  introduire  dans  l'ad- 
ministration, et  surtout  dans  les  finances,  cette  régularité  dont  la 
France  offre  le  meilleur  modèle.  Dans  ce  but,  on  enverra  au  gou- 
vernement mexicain  des  hommes  capables  de  seconder  sa  nouvelle 
organisation. 

«  Le  but  à  atteindre  n'est  pas  d'imposer  aux  Mexicains  une 
forme  de  gouvernement  qui  leur  serait  antipathique,  mais  de  les 
seconder  dans  leurs  efforts  pour  établir,  selon  leur  volonté,  un  gou- 
vernement qui  ait  des  chances  de  stabilité  et  puisse  garantir  à  la 
France  le  redressement  des  griefs  dont  elle  a  à  se  plaindre. 

«  Il  va  sans  dire  que,  si  les  Mexicains  préfèrent  une  monarchie, 
il  est  de  l'intérêt  de  la  France  de  les  appuyer  dans  cette  voie,  et, 
dans  ce  cas,  le  général  pourrait  indiquer  l'archiduc  Maximilien 
comme  le  candidat  de  la  France. 

«  Il  ne  manquera  pas  de  gens  qui  vous  demanderont  pourquoi 
nous  allons  dépenser  des  hommes  et  de  l'argent  pour  mettre  un 
prince  autrichien  sur  un  trône. 

«  Dans  l'état  actuel  de  la  civilisation  du  monde,  la  prospérité  de 
l'Amérique  n'est  pas  indifférente  à  TEurope,  car  c'est  elle  qui  ali- 
mente notre  industrie  et  fait  vivre  notre  commerce.  Nous  avons 
intérêt  à  ce  que  la  république  des  Etats-Unis  soit  puissante  et  pros- 
père ;  mais  nous  n'en  avons  aucun  à  ce  qu'elle  s'empare  de  tout  le 


LE    GÉNÉRAL    FORE  Y.  215 

golfe  du  Mexique,  domine  de  là  les  Antilles  et  l'Amérique  du  Sud,  i862. 

et  soit  la  seule   dispensatrice  des  produits  du  Nouveau-Monde.  "~ 

Maîtresse  du  Mexique,  et  par  conséquent  de  l'Amérique  centrale  et 
du  passage  entre  les  deux  mers,  il  n'y  aurait  plus  désormais  d'autre 
puissance  en  Amérique  que  celle  des  Etats-Unis. 

«  Si  au  contraire  le  Mexique  conquiert  son  indépendance  et 
maintient  l'intégrité  de  son  territoire,  si  un  gouvernement  stable 
s'y  constitue  par  les  armes  de  la  France,  nous  aurons  posé  une 
digue  infranchissable  aux  empiétements  des  États-Unis,  nous  au- 
rons maintenu  l'indépendance  de  nos  colonies  des  Antilles  et  de 
celles  de  l'ingrate  Espagne;  nous  aurons  étendu  notre  influence 
bienfaisante  au  centre  de  l'Amérique,  et  cette  influence  rayonnera 
au  Nord  comme  au  Midi,  créera  des  débouchés  immenses  à  notre 
commerce  et  procurera  les  matières  indispensables  à  notre  industrie. 

<i  Quant  au  prince  qui  pourrait  monter  sur  le  trône  du  Mexique, 
il  sera  toujours  forcé  d'agir  dans  les  intérêts  de  la  France,  non  par 
reconnaissance  seulement,  mais  surtout  parce  que  ceux  de  son 
nouveau  pays  seront  d'accord  avec  les  nôtres,  et  qu'il  ne  pourra 
même  se  soutenir  que  par  notre  influence. 

«  Ainsi  donc  aujourd'hui,  notre  honneur  militaire  engagé,  l'exi- 
gence de  notre  politique,  l'intérêt  de  notre  industrie  et  de  notre 
commerce,  tout  nous  fait  un  devoir  de  marcher  sur  Mexico,  d'y 
planter  hardiment  notre  drapeau,  d'y  établir  soit  une  monarchie, 
si  elle  n'est  pas  incompatible  avec  le  sentiment  national  du  pays, 
soit  tout  au  moins  un  gouvernement  qui  promette  quelque  stabilité. 

«  Sous  le  rapport  militaire,  je  n'ai  pas  besoin  de  rappeler  au 
général  Forey  que  plus  une  expédition  est  lointaine,  plus  elle  doit 
être  conduite  avec  un  mélange  bien  calculé  d'audace  et  de  pru- 
dence, c'est-à-dire  que  partout  où  l'on  n'a  pas  à  lutter  contre  des 
obstacles  matériels,  on  peut  hasarder  des  coups  de  main,  et  que 
partout,  au  contraire,  où  se  rencontrent  des  fortifications,  il  faut 
agir  avec  la  circonspection  la  plus  grande.  Un  coup  de  canon  au 
Mexique  est  cent  fois  plus  précieux  qu'en  France.  Ce  que  je  blâme 
absolument  dans  la  dernière  affaire  dePuebla,  c'est  d'avoir  dépensé 
mille  coups  de  canon  dans  une  position  et  à  une  distance  ou  l'ar- 
tillerie ne  pouvait  produire  aucun  effet. 

«  La  gloire  d'un  général  ne  consiste  pas  seulement  dans  le  suc- 


216  l"'  PARTIE.  CHAPITRE  V. 

i862.  ces,  mais  dans  les  moyens  employés  pour  l'obtenir.  Plus  il  ména- 
gera le  tir  de  ses  soldats,  plus  il  tournera  les  obstacles  au  lieu  de 
les  aborder  de  front,  plus  il  saura  par  les  manœuvres,  diviser  les 
forces  de  l'ennemi  et  par  cela  même  accroître  ses  propres  chances, 
plus  il  fera  preuve  de  qualités  supérieures  et  plus  il  justifiera  la 
confiance  placée  en  lui. 

«  Je  recommande  au  général  Forey  de  n'avoir  qu'une  seule  ligne 
d'opérations.  S'il  croit  utile  de  déblayer  la  route  de  Jalapa,  je  ne  le 
ferais,  à  sa  place,  qu'après  être  arrivé  à  Puebla.  Car  alors,  maître 
de  la  Vera-Cruz,  d'Orizaba  et  de  Puebla,  je  séjournerais  dans  cette 
dernière  ville,  et  j'enverrais  de  là  une  colonne  sur  Jalapa,  ce  qui 
ouvrirait  alors  les  deux  grandes  routes  qui  conduisent  à  Vera-Cruz. 

«  Cependant,  si,  d'après  des  renseignements,  cette  colonne  ris- 
quait d'être  arrêtée  par  le  fort  de  Perote,  il  faudrait  bien  se  garder 
de  faire  une  expédition  inutile  et  négliger  la  route  de  Jalapa,  qui, 
plus  tard,  s'ouvrirait  d'elle-même. 

«  Pour  s'emparer  de  Puebla,  je  crois  parfaitement  inutile  de 
faire  le  siège  de  Guadalupe  et  de  Loreto.  L'attaque  par  le  Carmen 
a  toujours  réussi  pendant  les  guerres  civiles,  et  une  attaque  de 
barricades  sera  beaucoup  moins  meurtrière  que  le  siège  des  ma- 
melons ci-dessus  mentionnés.  Toutefois,  môme  dans  cette  attaque, 
quelques  travaux  de  siège  ne  seront  peut-être  pas  inutiles,  et  l'em- 
ploi des  gabions  farcis  peut  mettre  les  troupes  les  plus  exposées 
au  moins  h  l'abri  de  la  fusillade. 

<t  Une  fois  Puebla  en  notre  pouvoir,  cette  ville  doit  devenir  notre 
grand  dépôt  et  le  centre  des  approvisionnements,  où  l'on  établira 
des  hôpitaux. 

«  Il  serait  très-essentiel  d'établir  un  chemin  de  fer  de  la  Vera- 
Cruz  jusqu'au  pied  des  montagnes,  et  je  me  suis  adressé  au  consul 
de  France  à  New-York  pour  savoir  à  quelles  conditions  un  entre- 
preneur américain  pourrait  l'établir 

(En  post-scriptum.)  «  Il  va  sans  dire  que  le  général  Forey  ayant 
tous  les  pouvoirs,  M.  de  Saligny  ne  doit  correspondre  avec  le  mi- 
nistre des  affaires  étrangères,  que  d'après  les  ordres  du  général. 
M.  de  Saligny  doit  être  vis-à-vis  du  général  Forey,  dans  la  môme 
position  qu'un  ministre,  chef  de  légation,  vis-à-vis  d'un  ambassa- 
deur dans  un  congrès.  > 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  217 

La  politique  de  l'Empereur  à  l'égard  du  Mexique  n'était  ''^*^-- 
en  rien  modifiée  ;  il  n'avait  encore  perdu  aucune  illusion  ; 
c'est  à  peine  si  l'insuccès  du  5  mai  lui  avait  ouvert  les  yeux 
sur  les  difficultés  de  l'expédition  au  point  de  vue  militaire, 
car  il  attribuait  cet  échec  aux  mauvaises  dispositions  prises 
par  le  général  de  Lorencez.  «  Je  ne  doute  pas,  écrivait 
l'Empereur,  que  si  les  avis  de  M.  de  Saligny  eussent  été 
suivis,  notre  drapeau  ne  flottât  aujourd'hui  sur  Mexico.  » 

Il  persistait  à  croire  que  l'intervention  française  avait  de 
nombreux  partisans  ;  loin  d'être  désabusé  sur  le  compte  de 
M.  de  Saligny,  il  rendait  hommage  «  au  bon  sens  »  et  à 
l'exactitude  des  informations  qu'il  en  avait  reçues  ;  aussi, 
bien  qu'on  subordonnât  le  ministre  de  France  au  général 
Forey,  afin  de  supprimertoute  cause  de  désaccord  entre  le 
commandant  des  troupes  et  les  agents  pohtiques,  M.  de  Sa- 
ligny n'en  conservait  pas  moins  en  réalité  la  direction  des 
affaires  ;  il  avait  entre  les  mains  tous  les  fils  de  l'intrigue,  et 
c'était  lui  qui  était  tout  particulièrement  chargé  d'en  pré- 
parer le  dénoùment.  Le  général  Forey  s'efforça  donc  tout 
d'abord  de  rétablir  de  bonnes  relations  entre  la  légation 
française  et  l'état-major  du  corps  expéditionnaire  ;  il  alla 
lui-même  chez  le  ministre  de  France,  invita  ses  officiers  à 
s'y  présenter,  et  s'attacha  à  faire  disparaître  toute  trace  des 
dissensions  passées.  A  l'égard  du  général  Almonte,  on 
avait  pris  moins  de  précautions.  Quelques  jours  après  son 
arrivée  à  Vera-Gruz,  le  général  Forey  avait  simplement 
fait  publier  dans  les  journaux  l'avis  suivant  : 

«  Le  général,  commandant  en  chef,  investi  de  tous  les  pouvoirs  Le  général  Forey 
militaires  et  politiques,  fait  savoir  au  peuple  mexicain,  et  en  parti-    ,     Jissout 

1-  T.    1  •.      ?     1     1     -.T         ^  1  .       .      ,     le  gouvernement 

culieraux  habitants  de  la  Vera-Gruz,  que  le  gouvernement  institue  formé 

par  le  général  Almonte  sans  le  concours  de  la  nation,  n'a  d'aucune     P^"" ',«  général 
manière  1  approbation  de  1  intervention  française. 


218  l"  PARTIE.  CHAPITRE   V. 

4862.  ce  Le  général  Almonte  aura  donc  : 

""  ï  1°  A  dissoudre  le  ministère  qu'il  a  créé. 

«  2°  A  s'abstenir  de  promulguer  aucune  loi  ou  aucun  décret. 
«  3°  A  quitter  le  titre  qu'il  a  pris  de  chef  suprême  de  la  nation, 
se  bornant  de  la  façon  la  plus  stricte  à  exécuter  les  instructions  de 
l'Empereur,  qui  sont  de  procéder  par  tous  les  moyens  possibles  à 
l'organisation  de  l'armée  mexicaine  avec  tous  les  autres  généraux 
mexicains  qui  se  sont  joints  à  notre  drapeau  <*^  » 

Mais  en  même  temps,  pour  empêcher  les  ennemis  de  l'in- 
tervention de  prétendre  que  l'indépendance  et  l'autono- 
mie mexicaines  étaient  menacées,  il  fit  hisser  le  drapeau 
mexicain  à  côté  du  drapeau  français  sur  la  maison  de  ville 
de  Vera-Gruz, 

«  Le  chef  suprême  intérimaire  »  était,  comme  on  le  voit, 
traité  avec  assez  peu  de  façons  ;  on  commençait  à  se  rendre 
compte  de  son  impuissance  et  du  tort  qu'il  avait  fait  à  l'in- 
fluence française.  Cependant  ses  actes  gouvernementaux, 
ayant  toujours  été  concertés  avec  le  ministre  de  France,  en 
bonne  justice,  M.  de  Saligny  aurait  dû  en  partager  la  res- 
ponsabilité. 

Proclamation  En  arrivant  au  Mexique,  le  général  en  chef,  conformé- 
ment aux  ordres  de  l'Empereur,  avait  fait  publier  la  procla- 
mation suivante  : 

«  Mexicains, 

«  L'empereur  Napoléon,  en  me  confiant  le  commandement  de 
la  nouvelle  armée  qui  va  bientôt  me  suivre,  m'a  chargé  de  vous 
faire  connaître  ses  véritables  intentions, 

«  Lorsqu'il  y  a  quelques  mois,  l'Espagne,  l'Angleterre  et  la 
France,  subissant  les  mêmes  nécessités,  ont  été  amenées  à  se  réunir 
pour  la  même  cause,  le  gouvernement  de  l'Empereur  n'envoya 
qu'un  petit  nombre  de  soldats,  laissant  à  la  nation  la  plus  outra- 

<')  Journal  de  Vcra-Cruz ,  1"'  octobre.  —  Documents  du  ministère  de  la 
marine. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  219 

gée  la  direction  principale  dans  le  redressement  des  griefs  com-  ^S&2. 

muns.  Mais,  par  une  fatalité  difficile  à  prévoir,  les  rôles  ont  été  ~ 

intervertis,  et  la  France  est  demeurée  seule  à  défendre  ce  qu'elle 
croyait  l'intérêt  de  tous.  Cette  nouvelle  situation  ne  l'a  pas  fait 
reculer. 

«  Convaincue  de  la  justice  de  ses  réclamations,  forte  de  ses  inten. 
lions  favorables  à  la  régénération  da  Mexique,  elle  a  persévéré  et 
persévère  plus  que  jamais  dans  le  but  qu'elle  s'est  proposé. 

«  Ce  n'est  pas  au  peuple  mexicain  que  je  viens  faire  la  guerre, 
mais  à  une  poignée  d'hommes  sans  scrupule  et  sans  conscience, 
qui  ont  foulé  aux  pieds  le  droit  des  gens,  gouvernent  par  une  ter- 
reur sanguinaire,  et,  pour  se  soutenir,  n'ont  pas  honte  de  vendre 
par  lambeaux  à  l'étranger  le  territoire  de  leur  pays. 

«  On  a  cherché  à  soulever  contre  nous  le  sentiment  national,  en 
voulant  faire  croire  que  nous  arrivions  pour  imposer  à  notre  gré  un 
gouvernement  au  pays;  loin  de  là,  le  peuple  mexicain,  affranchi 
par  nos  armes,  sera  entièrement  libre  de  choisir  le  gouvernement 
qui  lui  conviendra;  j'ai  mission  expresse  de  le  lui  déclarer. 

«  Les  hommes  courageux,  qui  sont  venus  se  joindre  à  nous,  mé- 
ritent notre  protection  spéciale ,  mais,  au  nom  de  l'Empereur,  je 
fais  appel,  sans  distinction  de  parti,  à  tous  ceux  qui  veulent  l'indé- 
pendance de  lear  patrie  et  l'intégrité  de  son  territoire.  Il  n'entre 
pas  dans  la  politique  de  la  France  de  se  mêler,  pour  un  avantage 
personnel,  des  querelles  intestines  des  nations  étrangères;  mais 
lorsque  par  des  raisons  légitimes  elle  est  forcée  d'intervenir,  elle 
le  fait  toujours  dans  l'intérêt  du  pays  où  son  action  s'exerce. 

«  Souvenez-vous  oue  partout  où  flotte  son  drapeau,  en  Amérique 
comme  en  Europe,  il  représente  la  cause  des  peuples  et  de  la  civi- 
lisation. 

«  Vera-Cruz,  le  20  septembre.  » 

Peu  de  temps  après  son  arrivée  à  Orizaba,  le  3  novembre, 
le  général  en  chef  jugea  utile  de  caractériser  de  nouveau  • 

la  politique  française  en  publiant  une  seconde  proclamation  : 

«  Mexicains, 

*  A  la  lecture  de  la  proclamation  qu'à  mon  arrivée  dans  votre 
pays  je  vous  ai  adressée,  vous  n'avez  pas  pu  vous  tromper,  et  vous 
avez  reconnu  la  main  de  l'Empereur  ;  lui  seul  possède  le  secret  de 
dire  tant  et  de  si  belles  choses  dans  un  style  aussi  noble  que  net. 

«  Mais  aujourd'hui  que  j'ai  vu  assez  de  votre  pays  pour  vous 


220 


1      PARTIE.  • —  CHAPITRE    V. 


-1862. 


dire  mes  impressions,  laissez-moi  vous  les  exposer  brièvement  et 
avec  la  simple  franchise  d'un  soldat  qui,  je  vous  le  répète,  et 
quoi  que  puissent  vous  dire  des  écrivains  de  mauvaise  foi,  ne  vient 
pas  faire  la  guerre  au  peuple  mexicain,  mais  à  un  gouvernement 
dont  la  triste  situation  de  votre  pays  prouve  à  l'évidence  l'incapa- 
cité à  faire  le  bien. 

«  Que  voit-on  en  effet  dans  vos  villes?  des  bâtiments  en  ruine, 
des  rues  impraticables,  des  eaux  croupissantes  et  viciant  l'air;  que 
sont  vos  routes  ?  des  fondrières,  des  marécages  où  chevaux  et  voi- 
tures ne  peuvent  passer  sans  danger.  Qu'est-ce  que  votre  adminis- 
tration ?  le  vol  organisé  ;  ceux  qui  sont  chargés  par  leurs  fonctions 
de  faire  rendre  justice  à  leurs  concitoyens,  sont  parfois  les  pre- 
miers à  les  molester  dans  leurs  personnes  et  dans  leurs  biens.  Les 
préposés  à  la  rentrée  des  impôts  ne  remplissent  le  plus  souvent 
les  caisses  de  l'état  qu'après  avoir  rempli  leurs  poches. 

«  L'agriculture  peut-elle  être  encouragée  lorsque  le  cultivateur 
est  à  peu  près  certain  de  se  voir  enlever  le  fruit  de  son  travail? 

«  Le  commerce,  les  arts,  peuvent-ils  fleurir  quand  de  toutes 
parts,  et  depuis  longues  années,  retentissent  des  cris  de  guerre? 

Œ  N'avez-vous  donc  recouvré  votre  indépendance,  après  tant  de 
sang  répandu  pour  un  si  noble  but,  que  pour  en  faire  un  si  déplo- 
rable usage,  et  n'est-il  plus  dans  ce  pays,  favorisé  du  ciel  sous  tant 
de  rapports,  de  véritables  patriotes  comprenant  que  cette  noble 
nation  est  exploitée  depuis  trop  longtemps  par  quelques  ambitieux, 
qui  dépensent  dans  des  luttes  fratricides  toutes  les  forces  vives  du 
Mexique  ? 

«  Oui,  je  vous  le  dis  avec  douleur  et  avec  tous  ceux  qui  voient 
la  triste  situation  de  votre  pays,  vous  courez  à  votre  perte  et  vous 
n'avez  plus  qu'un  pas  à  faire  pour  tomber  dans  un  abîme  qui  englou- 
tira votre  indépendance  et  vous  replongera  dans  la  barbarie^  si 
vous  ne  faites  un  pas  en  arrière.  Faites-le  donc  ce  pas,,  quand  la 
Providence  vous  en  offre  une  occasion  peut-être  unique. 

«  La  France  vous  envoie  une  armée,  modèle  d'ordre  et  de  disci- 
pline, quoi  qu'ait  osé  écrire  le  contraire  une  presse  odieusement 
calomniatrice  ;  elle  vient  vous  aider  h  vous  constituer  en  une  nation 
riche,  puissante,  libre  de  cette  vraie  liberté  qui  ne  marche  pas  sans 
l'ordre,  en  une  nntion  que  toutes  les  autres  puissent  reconnaître 
comme  civilisée.  Cette  armée  vous  aidera  à  constituer  un  gouver- 
nement honnête,  probe,  qui  n'emploiera  que  des  agents  honnêtes 
et  probes  comme  lui.  Alors  les  finances  de  l'État  seront  le  bien  de 
tous,  et  non  de  quelques-uns;  elles  serviront,  au  lieu  d'enrichir 
quelques  ambitieux,  à  payer  une  armée  régulière  capable  de  main- 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  221 

tenir  l'ordre  dans  le  pays,  et  de  protéger  au  lieu  de  détruire  la  1862. 

fortune  privée,  elles  serviront  à  ouvrir  des  voies  de  communication  "" 

comme  en  Europe,  afin  de  faciliter  les  relations  commerciales  qui 
font  la  prospérité  des  peuples  ;  elles  serviront  à  réparer  vos  routes, 
vos  ponts,  vos  monuments,  à  entretenir  vos  villes  mal  éclairées, 
mal  pavées. 

«  Tout  cela  ne  vaut-il  pas  la  peine  d'y  réfléchir?  Que  tous  les 
Mexicains,  à  quelque  parti  qu'ils  appartiennent,  se  donnent  la 
main  pour  oublier  de  vieux  ressentiments  et  travailler  en  commun 
à  la  grandeur  de  leur  patrie.  C'est  à  l'ombre  du  drapeau  français 
qu'ils  peuvent  obtenir  ce  résultat,  car  ils  se  souviendront  de  ces 
belles  paroles  de  l'Empereur  :  «  Partout  où  flotte  ce  drapeau,  il 
représente  la  cause  des  peuples  et  de  la  civilisation.  » 

Cette  proclamation  ne  fut  pas  approuvée  en  France,  et 
le  ministre  de  la  guerre  «  crut  devoir  donner  au  général 
Forey  le  conseil  de  ne  pas  faire  abus  des  proclamations  »  (*). 

Le  général  Zarasjoza  était  mort  au  mois  de  septembre  et    ,   Ec^iange 

^  o  -t^  (le  lettres  entre 

avait  été  remplacé  dans  son  commandement  par  le  général  le  généra  onega 
Ortega.  Des  rapports,  qu'on  avait  lieu  de  croire  exacts  C"^),  i'^  s'^^érai  Forey. 
avaient  fait  supposer  que  le  nouveau  commandant  en  chef 
de  l'armée  mexicaine,  «  convaincu  que  l'intervention  fran- 
çaise pouvait  seule  mettre  un  terme  aux  maux  du  pays  »,  ne 
serait  pas  éloigné  d'entrer  en  négociations  avec  les  repré- 
sentants de  la  France. 

Le  général  Ortega  ayant  renvoyé  à  Orizaba  deux  prison- 
niers français,  restés  depuis  le  5  mai  dans  les  hôpitaux  de 
Puebla,  le  général  Forey,  en  le  remerciant  de  cette  courtoi- 
sie, lui  adressa  copie  de  sa  proclamation  au  peuple  mexi- 
cain. Il  lui  écrivit,  en  même  temps,  que  «  s'il  lui  répugnait 
de  correspondre,  même  pour  un  motif  d'humanité,  avec  le 
gouvernement  mexicain  qui,îà  en  juger  par  sa  conduite,  en 
ignorait  les  lois,  il  n'éprouvait  au  contraire  aucune  répul- 

(ï)  Lettre  du  ministre  au  général  Forey,  30  décembre. 
<*)  Note  du  commandant  Capitan,  datée  du  8  novembre. 


222  f  ^   PARTIE.  CHAPITRE  V. 

^862.  sion  à  répondre  par  une  lettre  politique  à  la  délicate  atten- 
tion du  général  Ortega,  qu'il  estimait  comme  un  brave  sol- 
dat et  ne  confondait  pas  avec  le  gouvernement  qu'il  servait. 
Il  lui  exprimait  le  regret  de  voir  que  sa  vaillante  épée  ne  fût 
pas  au  service  d'une  .cause  plus  digne  de  sa  pairie  »  (*). 

Le  général  Ortega  renvoya  lettre  et  proclamation,  s'ex- 
cusant,  en  termes  polis  du  reste,  de  ne  pouvoir  laisser 
d'une  manière  officielle  dans  ses  archives  des  documents  de 
pareille  nature.  «  Citoyen  libre  et  indépendant,  éloigné 
jusqu'alors  du  métier  des  armes,  il  était  venu,  de  centaines 
de  lieues,  offrir  l'appui  de  son  épée  au  gouvernement  ac- 
tuel, parce  que  ce  gouvernement  était  celui  que  les  peuples 
de  la  république  s'étaient  donné  d'eux-mêmes,  qu'il  était 
l'émanation  de  la  démocratie  mexicaine  et  qu''il  importait 
autant  de  le  défendre  que  de  soutenir  l'autonomie  et  les 
droits  de  la  patrie. 

«  Quel  que  soit  le  terrain  sur  lequel  la  question  di- 
plomatique soit  placée  par  les  événements  militaires , 
disait  le  général  Ortega,  la  personne  qui  représentera 
la  France  sera  tôt  ou  tard  obligée  de  s'entendre  avec 
ce  gouvernement,  qui  seul  a  reçu  de  la  nation  des  pou- 
voirs pour  la  représenter.  Que  semblerait  au  général 
Forey,  si  en  lui  adressant  une  communication  courtoise  à 
l'égard  de  sa  personne,  j'insultais  le  gouvernement  de  Napo- 
léon III  ?  Verrait- il  mes  phrases  avec  indifférence?  et  ce- 
pendant de  ma  part  il  y  aurait  quelque  justice,  puisque  le 
sol  de  ma  patrie  est  envahi  par  les  armes  françaises  » 

En  terminant  il  exprimait  l'espoir  de  voir  «  le  général 
Forey  comprendre,  que  les  véritables  intérêts  de  la  France 
n'étaient  pas  de  s'unir  à  quelques  mécontents  pour  renver- 

(*)  Le  général  Forey  au  général  Ortega,  10  novembre  i862  (d'après  le  teite 
espagnol  publié  par  le  gouvernement  mexicain). 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  223 

ser  un  gouvernement  soutenu  par  l'opinion  presque  una-         ^862. 
nime  des  peuples  du  Mexique  et  pour  faire  la  guerre  à  une 
nation  qui  conservait  les  plus  grandes  svmpathies  pour  la 
France  libérale  et  progressiste  »  (^). 
L'intervention  française  ne  ralliait  pas,  en  effet,  de  nom-       Pénurie 

d6S  vivrGs  6t  des 

breux  partisans  ;  l'armée  restait  dans  un  isolement  absolu,  transpons. 
les  populations  des  villes  occupées  par  les  Français  souf- 
fraient considérablement  de  l'état  de  guerre;  elles  voyaient 
leur  commerce  ruiné,  leurs  ressources,  taries;  on  était  obligé 
d'y  payer  à  un  prix  excessif  les  objets  de  première  néces- 
sité. Quels  étaient  donc  les  bienfaits  de  cette  intervention, 
qui  s'annonçait  avec  de  si  belles  promesses?  Les  plus  mau- 
vais jours  des  guerres  civiles  n'avaient  pas  été  si  durs. 

Toute  la  zone  comprise  entre  Orizaba  et  Vera-Cruz  était 
épuisée  ;  on  avait  de  la  peine  à  se  procurer  de  la  viande 
dans  ces  régions  où  les  troupeaux  abondent  d'ordinaire  ; 
l'ennemi  les  avait  chassés  dans  la  montagne  ou  retirés  fort 
loin  de  la  route  et  des  postes  français.  Quant  au  blé,  ce 
pays  n'en  produit  pas,  et  les  guérilleros  pendaient  les  In- 
diens qui  venaient  de  l'Anahuac  apporter  des  provisions  à 
Orizaba.  La  ration  de  pain,  dans  la  fabrication  duquel  le 
maïs  entrait  pour  moitié,  n'était  que  de  600  grammes. 
L'intendance  avait  passé  des  marchés  exécutoires  à  Puebla 
et  à  Mexico  ;  ce  n'était  pas  le  moyen  de  sortir  des  embarras 
présents  ;  il  fallait  donc  toujours  demander  les  approvision- 
nements à  Vera-Cruz,  et  le  nombre  des  voitures  était 
si  insuffisant  que  le  général  en  chef  ne  crut  pas  pos- 
sible de  faire  avancer  ses  troupes  sur  les  hauts  plateaux 
avant  d'avoir  assuré  ses  ravitaillements  et  s'être  procuré  une 


(i)  Le  général  Ortega  au  général  Forey,  16  novembre.  (Pièces  publiées  par  le 
gouvernement  mexicain.) 


224  1^*    PARTIE.  CHAPITRE  V. 

^1862.  plus  grande  quantité  de  chariots  et  de  mulets.  Il  pria  le 
ministre  de  la  guerre  de  lui  en  envoyer  de  France  ;  il 
donna  l'ordre  de  faire  d'importants  achats  aux  Etats-Unis  et 
aux  Antilles  ;  enfin,  il  essaya  aussi  d'utiliser  les  ressources 
locales  en  se  mettant  en  rapport  avec  les  gens  du  pays. 

Le  général  mexicain  Lopez  ayant  pris  l'engagement  de 
livrer  un  millier  de  mules  à  Tampico  si  une  troupe  fran- 
çaise occupait  cette  ville  pendant  quelque  temps,  le  général 
en  chef  y  consentit  ;  quelques  autres  expéditions  moins 
importantes  eurent  également  lieu,  dans  le  même  but,  aux 
environs  des  postes  français.  En  attendant  la  réunion  de  ces 
moyens  de  transport,  le  général  Forey  se  résolut,  malgré 
le  danger  du  climat,  à  maintenir  une  grande  partie  de  ses 
troupes  à  peu  de  distance  de  Vera-Cruz,  afin  d'en  faciliter 
le  ravitaillement. 
Marche  La  brigade  de  Bertier  fut  envovée  à  Jalapa,  centre  d'un 

de  la  brigade  .     ,.         ,  .         "     .  .  , 

de  Beriier  sur  pays  quc  1  on  avait  lieu  de  croire  moins  appauvri  ;  quelques 
autres  troupes  suivirent  aussi  cette  route,  tandis  que  plu- 
sieurs régiments  s'arrêtaient  sur  divers  points  de  celle 
d'Orizaba.  Le  général  de  Bertier  partit  de  Vera-Cruz, 
le  27  octobre,  à  la  tête  d'environ  5,400  hommes  (').  Des 
forces  irrégulières  assez  nombreuses,  commandées  parDiaz- 
Miron,  avocat  de  Vera-Cruz,  poëte  plutôt  que  militaire, 
mais  homme  énergique  et  sincèrement  attaché  au  parti  de 
la  réforme,  tenaient  plusieurs  excellentes  positions  dé- 
fensives. La  première  de  ces  positions,  le  Puente-Nacional, 
fut  cependant  occupée  sans  coup  férir.  Le  général  de  Ber- 
tier s'y  arrêta  pour  attendre  un  convoi  de  vivres,  et  laissant 
ses  malades  (211  hommes)  dans  une  hacienda  voisine,  sous 

(1)  7*  bataillon  de  chasseurs,  Sl^  et  62'  de  ligne,  une  Laiterie  d'artillerie,  un 
escadron  du  12^'  cliasseurs  et  quelques  troupes  d'administration.  —  Le  général 
Forey  au  ministre,  25  novembre:  —  (Journaux  de  marche  ) 


Jalapa. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  223 

la  protection  de  quelques  compagnies,  il  se  porta  de  nou-         ''*^62. 
veau  en  avant  le  3  novembre. 

Près  du  rancho  de  la  Rinconada,  des  guérilleros  embus- 
qués dans  les  broussailles  commencèrent  à  tirailler  sur  la 
tête  de  colonne  et  se  retirèrent  sans  qu'on  pût  les  atteindre  ; 
peu  après,  la  cavalerie  alliée  du  colonel  Figuerero,  qui 
éclairait  la  marche,  fut  vivement  ramenée  par  deux  cents 
cavaliers  mexicains.  L'escadron  de  chasseurs,  s'élançant 
aussitôt,  aborda  vigoureusement  l'ennemi  à  l'arme  blanche, 
lui  fit  tourner  bride  et  le  poursuivit  pendant  deux  lieues. 
Quinze  Mexicains  restèrent  sur  le  terrain,  deux  chasseurs 
furent  tués  et  dix  blessés. 

Le  lendemain,  le  général  de  Bertier  fit  attaquer  la  forte 
position  du  Cerro-Gordo  que  défendaient  environ  3000 
hommes  et  plusieurs  pièces  d'artillerie.  La  tête  de  colonne 
fut  arrêtée  au  pied  des  hauteurs  par  une  vive  fusillade 
et  plusieurs  coups  à  mitraille,  mais  deux  compagnies 
de  chasseurs  s'apprêtant  à  tourner  la  position,  l'ennemi 
l'évacua  précipitamment  en  abandonnant  un  obusier  de 
montagne.  La  colonne  française  eut  deux  hommes  tués 
et  deux  blessés. 

Jalapa  fut  occupé  sans  autre  résistance  le  7  novembre  ; 
la  population  de  cette  ville  parut  assez  mal  disposée  pour 
que  le  général  de  Bertier  jugeât  prudent  de  faire  camper  ses 
troupes  en  dehors  ;  il  ne  s'installa  dans  l'intérieur  que 
quelques  jours  après. 

Tandis  que  s'effectuait  le  mouvement  sur  Jalapa,  le  gé-      Opérations 
néral  Bazaine  avait  envoyé  de  petites  colonnes  au  sud    deVcia-cmz. 
de  Vera-Gruz,  afin  de  dégager  le  cours  inférieur  du  Rio 
Atoyac,  d'éloigner  les  guérillas  de  la  route  d'Orizaba  et 

de  chercher  à  ramener  des  bêtes  de  somme  ou  de  trait 

15 


226  l'*  PARTIE.  —  CHAPITRE  V. 

4862.  et  des  bestiaux  qui  se  trouvent  en  nombre  considérable 
sur  les  bords  des  Rios  Blanco  et  Atoyac  et  près  des  la- 
gunes d'Alvarado.  Le  l^""  novembre,  300  guérilleros  furent 
chassés  de  Medelin  par  une  compagnie  du  95'  et  les  cavaliers 
de  Stœcklin,  qui  traversèrent  résolument  le  Rio  Jamapa, 
sous  le  feu  de  l'ennemi,  ayant  de  l'eau  jusqu'à  la  ceinture. 
Le  16  novembre,  le  3*^  zouaves  et  un  escadron  de  chas- 
seurs d'Afrique  s'avancèrent  jusqu'à  Alvarado  que  l'enne- 
mi abandonna  après  avoir  éloigné  le  bétail  et  encloué  les 
canons.  Le  général  Bazaine  se  disposait  à  faire  continuer 
le  mouvement  jusqu'à  Tlacotalpan,  situé  sur  les  bords  du 
Rio  Papaloapan,  large  et  beau  fleuve  qui  traverse  une  con- 
trée fertile  et  que  les  canonnières  peuvent  remonter  pen- 
dant plusieurs  lieues,  mais  il  en  fut  empêché  par  les  ordres 
du  général  en  chef  qui  lui  prescrivirent  de  ne  pas  dissé- 
miner ses  troupes  et  de  ne  pas  les  fatiguer  dans  des  opéra- 
tions accessoires.  Le  3^  zouaves  fut  donc  rappelé  à  Vera- 
Cruz  (1). 
Occupation  Également  daus  l'espoir  d'attirer  et  d'utiliser  pour  l'ar- 

mée les  ressources  des  pays  qu'arrosent  le  Rio  Atoyac  et  le 
Rio  Blanco,  un  détachement  avait  été  envoyé  de  Cordova 
pour  occuper  l'hacienda  d'Omealca  à  six  lieues  au  sud-est 
de  Cordova,  et  dont  le  pont  sur  le  Rio  Blanco  sert  de  débou- 
ché aux  produits  des  terres  chaudes  du  sud  de  Vera-Gruz. 
Quatre  compagnies  du  l^""  zouaves,  après  avoir  vigoureuse- 

>1)  L'opération  sur  Tlacotalpan  ne  fut  pas  abandonnée  ;  un  détachement  de 
50  volontaires  créoles,  qui  avait  été  envoyé  à,  Alvarado  pour  soutenir  les  cavaliers 
de  Stœcklin,  occupa  Tlacotalpan  le  6  décembre  ;  mais  ayant  voulu,  avec  l'appui  de 
la  canonnière  la  Sainte- Barbe,  relancer  les  guérillas  sur  la  rive  opposée  du  Papa- 
loapan, cette  tentative  échoua.  Sept  hommes  furent  tués  et  dix-huit  blessés,  dont 
plusieurs  restèrent  entre  les  mains  de  l'ennemi  (11  décembre).  Les  guérilleros 
étant  complètement  maîtres  du  cours  supérieur  du  fleuve,  l'occupation  de  Tlaco- 
talpan n'offrit  aucun  des  avantages  qu'on  en  attendait,  et  la  ville  fut  évacuée  le 
22  décembre. 


d'Omealca. 


LE    GÉNÉRAL    FORE Y.  227 

ment  enlevé  des  barricades  établies  par  l'ennemi  au  Penon,         -1862. 
dans  un  défilé  formé  par  des  rochers  et  le  lit  escarpé  du  ~" 

Rio  Blanco,  s'emparèrent  d'Omealca  le  13  novembre.  Mais 
fidèles  à  leur  tactique ,  les  Mexicains  établirent  un  cor- 
don de  surveillance  autour  de  l'hacienda  et  arrêtèrent  les 
marchandises,  qui  d'ordinaire  prennent  cette  direction.  Ce 
poste  fut  abandonné  le  26  décembre,  dès  que  commença  le 
mouvement  général  vers  les  hauts  plateaux. 

L'expédition  sur  Tampico  fut  la  plus  importante  de  ces      Expédition 
opérations  préliminaires,  destinées  à  faciliter  l'organisation    "^^  ampico. 
des  transports. 

Tampico  est  un  port  de  fondation  moderne,  situé  au  nord 
de  Vera-Gruz,  à  trois  lieues  de  la  mer,  près  du  confluent 
des  Rios  Panuco  et  Taniesi,  grands  fleuves  assez  facile- 
ment navigables  pendant  40  à  50  heues,  mais  dont  l'embou- 
chure est  obstruée  par  une  barre  dangereuse,  impraticable 
dans  les  mauvais  temps  et  sur  laquelle  on  ne  trouve  parfois 
que  2"°, 50  d'eau.  Malgré  cette  circonstance  défavorable,  le 
port  de  Tampico,  que  des  routes  commerciales  relient 
d'un  côté  avec  San  Luis  Potosi,  de  l'autre  avec  Yittoria 
et  Monterey,  acquit  rapidement  une  grande  prospérité. 
Sa  population  s'éleva  au  chiffre  de  huit  mille  habitants, 
et  le  revenu  de  sa  douane,  considérablement  augmenté 
depuis  l'occupation  de  Vera-Gruz  par  les  forces  étran- 
gères, constituait  une  des  ressources  les  plus  importantes 
du  gouvernement  mexicain. 

Par  suite  du  désir,  trop  scrupuleux  sans  doute,  de  mé- 
nager les  intérêts  des  neutres  et  ceux  de  la  population 
miexicaine,  la  croisière  française  avait  l'ordre  de  se  bor- 
ner à  arrêter  la  contrebande  de  guerre  ;  Tampico  n'avait 
donc  pas  eu  à  souffrir  d'un  blocus  exercé  dans  de  telles 


228  l"^*  PARTIE.  CHAPITRE  V. 

'isea.  conditions  et  les  navires  de  commerce  français,  auxquels 
l'accès  du  port  était  interdit  par  les  autorités  mexicaines 
ou  qui  n'y  pouvaient  entrer  qu'à  des  conditions  excessive- 
ment onéreuses,  étaient  seuls  à  supporter  un  préjudice.  A 
défaut  d'autre  résultat,  l'expédition  projetée  devait  avoir 
au  moins  l'avantage  de  modifier  cette  singulière  situation  0). 

Le  81*^  de  ligne  fort  de  1500  hommes  environ,  sous  les 
ordres  du  colonel  de  la  Canorgue,  fut  désigné  pour  cette 
opération  dont  l'amiral  Jurien  prit  en  personne  la  direc- 
tion; il  partit  de  Vera-Cruz  le  17  novembre,  avec  dix  bâti- 
ments, afin  d'avoir  un  nombre  d'embarcations  suffisant 
pour  un  débarquement  de  vive  force.  Le  22  novembre,  les 
chaloupes,  portant  1200  hommes,  franchirent  la  barre 
et  le  débarquement  s'effectua  sans  résistance.  Tampico  fut 
occupé  le  lendemain. 

Le  général  Pavon,  qui  commandait  la  garnison  ennemie, 
ne  s'était  pas  trouvé  assez  fort  pour  défendre  la  ville, 
mais  avec  quelques  centaines  d'hommes,  dont  il  disposait,  il 
la  cerna  étroitement  en  attendant  des  renforts.  La  canon- 
nière la  Lance  entra  dans  le  Rio  Panuco,  elle  en  remont^ 
le  cours  pendant  environ  vingt-cinq  lieues  jusqu'à  Panuco  ; 
les  guérilleros  la  saluèrent  au  passage  de  la  Isletta  par 
un  feu  violent  de  mousqueterie,  qui  ne  lui  fit  du  reste  au- 
cun mal. 

Outre  la  Lance,  l'amiral  laissa  dans  le  fleuve  une  cha- 
loupe et  deux  yachts  à  vapeur  ;  les  gros  bâtiments  se  tinrent 
au  mouillage  de  l'île  Lobos  prêts  à  embarquer  les  mulets 
promis  par  le  général  Lopez  ;  mais  on  s'aperçut  bientôt 
que  ce  personnage  ne  serait  nullement  à  même  de  satis- 
faire à  ses  engagements.  Il  aspirait  à  jouer  un  rôle  poli- 

'>*)  Rapport  du  commandant  du  lierthollet,  28  ot-t. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  229 

tique,  bien  plus  qu'il  ne  se  préoccupait  de  venir  en  aide  1862. 
à  l'armée  française.  Il  s'était  installé  de  lui-même  alcade 
mayor  de  Tampico  et  dispensateur  des  revenus  de  la 
douane  ;  on  disait  qu'en  les  exploitant  à  son  profit,  il  pour- 
rait non-seulement  payer  à  l'administration  le  dédit  de  son 
marché,  mais  encore  réaliser  d'importants  bénéfices. 

Le  général  en  chef  avait  eu  l'intention  de  limiter  à  un 
mois  la  durée  de  l'expédition  ;  ce  délai  allait  expirer  et  les 
mules  étaient  loin  d'être  rassemblées  ;  il  ne  voulait  cepen- 
dant, à  aucun  prix,  se  priver  de  la  coopération  d'un  de  ses 
régiments  en  prolongeant  l'occupation  de  Tampico.  Dans 
le  principe,  l'amiral  Jurien  n'avait  pas  été  favorable  à 
l'opération ,  mais  il  trouvait  que,  puisqu''elle  avait  été  en- 
treprise, il  fallait  en  tirer  toutes  les  conséquences  pos- 
sibles; si  la  présence  d'une  garnison  française  à  Tampico 
avait  pour  résultat  de  priver  Juarez  d'une  notable  partie  de 
ses  revenus  et  de  favoriser  des  mouvements  en  faveur  de 
l'intervention  de  la  part  des  généraux  Mejia  et  Moreno , 
qui  se  tenaient  entre  San  Luis  et  la  mer,  il  pensait  qu'on 
n'aurait  pas  à  regretter  cette  diversion.  Sa  correspondance 
avec  le  général  Forey  sur  cette  question  est  fort  intéres- 
sante. Voici  une  de  ses  lettres  : 


Vera-Cruz,  -10  décembre. 


«  Je  ne  puis  nier,  mon  cher  général,  que  je  n'aie  eu  une  ten- 
dance tr^s-prononcée  à  vous  entraîner  à  une  occupation  illimitée 
de  Tampico,  mais  soyez  bien  convaincu  que  je  n'en  ai  laissé  con- 
cevoir l'espérance  à  personne.  Les  habitants  de  Tampico  ont  su, 
dès  le  premier  jour,  que  cette  décision  n'appartenait  qu'au  général 
en  chef  et  que  le  général  en  chef  n'avait  à  Tampico  d'autre  repré- 
sentant que  M.  le  colonel  de  la  Canorgue.  Vous  savez,  mon  cher 
général,  que  j'ai  toujours  eu  quelques  doutes  sur  la  prompte  et 
fidèle  exécution  du  contrat  du  général  Lopez,  mais  j'aurais  eu  mau- 
vaise grâce  à  élever  des  objections  contre  une  expédition  à  laquelle 


230  l"  PARTIE.  CHAPITRE    V. 

4862,  VOUS  teniez  essentiellement.  Je  ne  puis  avoir  d'autre  rôle  ici  que  de 

""  travailler  de  mon  mieux  à  seconder  vos  projets  et  croyez  bien  que 

je  le  ferai  toujours  avec  le  plus  sincère  et  le  plus  affectueux  dévoue- 
ment. C'est  ce  dévouement  même  qui  m'oblige  à  vous  représenter 
les  conséquences  d'une  évacuation  complète  de  Tampico,  si  avant 
de  nous  retirer  nous  ne  laissions  la  place  en  mains  sûres.  Ni  les 
négociants  français,  ni  les  Mexicains,  qui  se  sont  compromis  en 
restant  en  contact  avec  les  envahisseurs  ne  voudraient  attendre  le 
retour  des  libéraux.  Nos  bâtiments  devraient  donner  asile  à  de 
nombreux  réfugiés  et  l'effet  moral  d'une  expédition,  qui  a  si  bien 
réussi  jusqu'à  présent,  serait  loin  d'être  avantageux  à  la  cause  de 
l'Intervention.  Mais  je  le  répète,  il  n'appartient  qu'à  vous  de  juger 
ce  qu'il  convient  ou  ce  qu'il  est  possible  de  faire.  Si  vous  laissez  un 
détachement  à  Tampico,  je  l'appuierai  de  tous  mes  moyens.  Si 
vous  n'en  laissez  pas,  je  dirai  atout  le  monde  et  je  me  persuaderai 
à  moi-même  que  vous  avez  bien  fait. 

«  Ayez  confiance,  mon  cher  général,  dans  mon  loyal  désir  d'a- 
planir les  difficultés  contre  lesquelles  vous  luttez  avec  tant  d'éner- 
gie et  permettez-moi  d'oublier  quelquefois  la  déférence  que  doivent 
m'inspirer  vos  longs  et  éclatants  services  pour  ne  me  souvenir  que 
de  l'affection  que  vous  m'avez  si  souvent  témoignée.  » 

Le  général  en  chef  maintint  l'ordre  de  faire  revenir  le 
81®  de  ligne,  il  laissa  toutefois  à  l'amiral  la  faculté  de  gar- 
der Tampico  avec  ses  propres  ressources  et  un  détachement 
de  trois  compagnies  d'infanterie  de  marine,  c'est-à-dire 
environ  deux  cents  hommes,  qu'il  mit  à  sa  disposition. 
L'amiral  crut  d'abord  cette  combinaison  possible,  mais  il  se 
rendit  bientôt  compte  des  difficultés,  pour  une  aussi  faible 
garnison,  de  résister  à  un  ennemi  dont  les  forces  s'accrois- 
saient sans  cesse.  Le  soin  d'occuper  et  de  défendre  ce  port 
eût  été  pour  l'escadre  une  charge  trop  lourde.  L'évacuation 
fut  résolue  (*).  Le  chiffre  des  troupes  libérales  qui  entou- 
raient Tampico  s'élevait  alors  à  près  de  2000  hommes. 

(U  La  marine  avait  déjà  perdu  1200  hommes  en  gardant  Vera-Cruz  ;  ces 
sacriûces  ne  pouvaient  se  continuer  sans  de  grav<'s  inconvénients.  Les  troupes  de 
mer,  pas  plus  que  celles  de  terre,  n'étant  à  l'abri  du  climat  meurtrier  des  terres 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  231 

Le  colonel  de  la  Canorgue,  qui  ne  voulait  pas  se  laisser         i862. 
enfermer  dans  la  place,  avait  fait  sortir  plusieurs  recon- 
naissances. Le  21  décembre,  une  de  ces  colonnes  eut  à 
quelques  kilomètres  en   avant  d'Altamira  une   rencontre 
assez  sérieuse  avec  l'ennemi. 

Le  22  décembre,  des  canots  portèrent  un  petit  détache- 
ment d'environ  deux  cents  hommes  sur  la  rive  droite  du 
fleuve,  afin  de  débusquer  l'ennemi,  qui  avait  pris  position 
à  Pueblo  Viejo  ;  les  embarcations  s'échouèrent  à  une  trop 
grande  distance  de  la  plage  et,  après  une  fusillade  qui  coûta 
deux  tués  et  vingt  blessés,  il  fallut  donner  le  signal  de  la 
reiraile.  L'expédition  fut  reprise  le  lendemain  en  débar- 
quant sur  un  point  un  peu  plus  éloigné,  mais  les  Mexicains 
quittèrent  Pueblo -Viejo  avant  l'arrivée  de  la  colonne 
française,  pour  y  rentrer  aussitôt  après  son  départ. 

Le  28  décembre,  un  engagement  eut  encore  lieu  au  nord 
de  la  ville;  ce  fut  le  dernier,  l'ordre  d'évacuation  était  donné  ; 
quatre  cents  habitants,  qui  avaient  témoigné  des  sympathies 

chaudes,  l'amiral  demanda  au  ministre  de  la  marine  la  création,  dans  le  plus 
bref  délai,  de  bataillons  coloniaux  formés  avec  des  hommes  de  couleur  pris,  soit 
au  Sénégal,  soit  aux  Antilles,  sans  quoi  on  serait  exposé  à  voir  les  troupes  euro- 
péennes se  fondre  les  unes  après  les  autres  (a). 

La  marine  avait  en  effet  de  trop  cruelles  épreuves  à  supporter,  raùme  sur  les 
bâtimenis  qui  tenaient  la  mer,  pour  qu'elle  pût  se  charger  de  la  garde  des  postes 
à  terre.  On  avait  dû  renvoyer  à  New-York  le  Masséna,  dont  l'équipage  était 
épuisé  ;  la  Grenade,  qui  se  trouvait  devant  Carmen,  avait  eu  à  la  fois  quarante- 
cinq  hommes  malades ,  et  dans  ce  nombre  tous  ses  officiers  ,  tous  les  maîtres 
moins  un.  Vingt  et  un  hommes  étaient  morts  à  la  date  du  8  novembre  ;  il  avait 
fallu  qu'elle  complétât  son  équipage  par  des  levées  à  bord  des  bâtiments  mar- 
chands, et  qu'on  lui  envoyât  des  matelots  noirs  (b). 

A  la  fin  du  mois  de  novembre ,  la  Normandie,  avait  perdu  vingt-quatre 
hommes,  parmi  lesquels  trois  de  ses  chirurgiens  et  trois  officiers.  L'épidémie  à 
bord  de  cette  frégate  prit  de  telles  proportions,  qu'on  tut  obhgé  de  l'envoyer  au 

(a)  Du  12  juillet  au  29  octobre,  on  avait  successivement  dijbarqué  280  marins  pour  le 
service  à  Vera-Cruz.  Quinze  ou  vin;,'t  jours  après  leur  débarquement,  ils  entraient  générale- 
ment à  l'hôpital.  —  Lettre  de  l'amiral,  29  octobre. 

(b)  Rapport   du  commandant   de  ÏÈclair,  26  novembre 


232  l'*  PARTIE.  CHAPITRE    V. 

486Î.  aux  troupes  françaises  et  craignaient  les  vengeances  des 
libéraux,  furent  pris  à  bord  des  bâtiments  de  l'escadre. 
Le  l^'"  bataillon  du  81°  fut  embarqué  le  2  janvier  ;  de  vio- 
lentes et  fréquentes  tempêtes  forçant  à  chaque  instant  les 
navires  à  s'éloigner  d'une  côte  sans  abri,  les  opérations  du 
rembarquement  ne  furent  terminées  que  le  22  de  ce  mois. 
Pendant  cette  période,  les  bâtiments  se  virent  forcés  de 
quitter  sept  fois  la  rade  pour  aller  recevoir  les  coups  de 
vent  en  pleine  mer.  La  ville  fut  évacuée  le  13  janvier  et 
les  dernières  troupes  (c'est-à-dire  320  hommes  du  81*  et 
60  marins)  restèrent  campées  sur  la  plage,  du  17  au  22 
janvier ,  sans  pouvoir  communiquer  avec  l'escadre  ;  une 
force  ennemie  supérieure  en  nombre  avec  plusieurs  pièces 
d'artillerie  se  tenait  à  peu  de  distance,  se  bornant  à  les 
observer. 

Ces  derniers  détachements  embarqués,  il  fallait  faire  sor- 
tir la  canonnière  la  Lance  de  la  rivière,  dont  les  eaux  avaient 
beaucoup  baissé  ;  comme  on  était  à  l'époque  de  la  plus 

mouillage  des  Saintes,  aux  Antilles,  pour  y  rétablir  son  état  sanitaire.  Elle  partit 
le  20  décembre  après  avoir  perdu  son  commandant,  le  capitaine  de  vaisseau 
Russell  et  quarante  officiers  ou  marins,  sur  un  équipage  de  550  bommes.  Elle 
laissa  cent  six  hommes  à  l'hôpital;  on  dut  mettre  à  son  bord  un  équipage 
noir  de  quatre-vingt-dix  hommes  et  la  faire  escorter  par  le  TourvUle. 

Dans  de  telles  conditions,  l'amiral  trouvait  que  le  service  de  la  flotte  devait  se 
restreindre.  Voyant  en  outre  un  grand  inconvénient  à  la  situation  mal  définie  de 
l'amiral  commandant  dans  le  golfe  à  l'égard  du  général  commandant  en  chef,  il 
demanda  à  plusieurs  reprises  qu'il  fût  constitué  à  Vera-Cruz,  avec  deux  ou  trois 
transports,  des  bâtiments  de  flottille,  le  slationnaire  et  les  marins  de  la  direction 
du  port,  une  station  locale  à  l'entière  disposition  du  général  commandant  en  chef. 
Cette  petite  division  permettrait  à  celui-ci  de  faire  opérer  sur  la  côte  les  mouve- 
ments rendus  opportuns  par  la  situation  politique  et  militaire  de  l'intérieur  du 
pays,  et  comme  il  en  disposerait  directement,  il  n'y  aurait  plus  à  craindre  qu'il 
demandât  à  la  marine  un  concours  hors  de  proportion  avec  ses  moyens  d'action. 
Les  grands  bâtiments  et  les  avisos  rapides  formeraient  alors  une  division  d'obser- 
vation qui  seconderait  la  station  locale  ,  mais  dont  la  mission  serait  surtout 
(le  maintenir  dans  le  gulfe  l'ascendant  du  pavillon. 

Cette  demande  ne  fut  pas  accueillie. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  233 

grande  marée  du  mois,  tout  espoir  de  la  sauver  n'était  pas 
perdu  ;  cependant,  bien  qu'elle  eût  été  allégée  autant  que 
possible  et,  malgré  toutes  les  précautions,  elle  s'échoua  et 
fut  vivement  canonnée  par  deux  pièces  mexicaines,  qui 
vinrent  se  mettre  en  batterie  à  1200  mètres.  L'artillerie  de 
la  Tempête  et  de  la  Tourmente  (deux  autres  canonnières 
restées  en  dehors  de  la  barre)  réduisit  au  silence  les  pièces 
ennemies,  mais  l'amiral,  ayant  reconnu  l'impossibilité  de 
renflouer  la  canonnière  échouée,  donna  l'ordre  de  l'incen- 
dier et  de  la  détruire  à  coups  de  canon. 

Ainsi  se  termina  cette  expédition  sans  autre  résultat  que 
l'acquisition  de  deux  cents  et  quelques  mulets  à  un  prix 
fort  élevé.  Aussitôt  arrivé  à  Vera-Cruz,  le  81^  de  ligne 
s'achemina  vers  Orizaba. 


4862. 


Sans  attendre  que  les  moyens  de  transport  fussent  aussi 
complets  qu'il  l'eût  désiré,  le  général  en  chef  s'était  décidé 
à  porter  une  partie  de  ses  troupes  au  delà  des  Cumbres. 
Le  1^^  décembre,  deux  colonnes  d'un  effectif  de  5,700 
hommes  et  placées  sous  les  ordres  du  général  Douay,  s'a- 
vancèrent l'une  par  la  route  d'Acultzingo,  l'autre  par  celle 
de  Maltrata.  Le  général  Douay  franchit  les  Cumbres  d'Acult- 
zingo que  l'ennemi  ne  chercha  pas  à  défendre  et  porta 
son  quartier  général  à  San  Agustin  de  Palmar.  Le  colonel 
LTIériller  suivit  le  chemin  de  MaUrata  pour  s'établir  à 
San  Andrès-Chalchicomula  ;  il  rencontra  les  avant-postes 
mexicains  à  peu  de  distance  de  cette  ville  ;  comme  il  pre- 
nait des  dispositions  d'attaque,  on  vint  le  prévenir  que  ses 
adversaires  battaient  en  retraite  ;  un  escadron  de  chasseurs 
d'Afrique  s'élançant  à  leur  poursuite  atteignit  et  chargea, 
à  un  kilomètre  au  delà  de  San  Andrès,  un  corps  d'environ 
cinq  cents  hommes  auquel  il  ht  quelques  prisonniers. 


Le  corps 
expéditionnaire 

s'avance 

sur  le  plateau 

d'Anahuac. 


234  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE  V. 

^862.  Les  environs  de  Palmar  et  de  San  Andrès  sont  riches  et 

bien  cultivés.  Les  récoltes  étaient  encore  sur  pied  dans  la 
plupart  des  localités,  aussi  le  mouvement  des  colonnes  fran- 
çaises avait-il  été  fort  opportun  pour  empêcher  l'ennemi  de 
se  les  approprier  ou  de  les  détruire.  On  put  se  procurer  du 
blé  et  surtout  du  maïs  ;  les  moulins  de  Palmar,  de  San  An- 
drès et  de  la  Canada  le  transformèrent  en  farine  ('),  ce  qui 
permit  de  faire  vivre  les  troupes  plus  facilement  qu'on  ne 
l'avait  pensé  d'abord  ;  en  effet,  les  ressources  de  toute 
nature  abondent  sur  le  plateau  d'Anahuac  ;  si  l'armée  avait 
pu  s'établir  plus  tôt  dans  cette  région,  elle  n'aurait  pas 
été  obligée  de  faire  venir  ses  vivres  de  Vera-Gruz  au  prix 
d'énormes  fatigues  et  de  dépenses  considérables. 

Une  colonne  fut  envoyée  à  Tehuacan,  où  l'on  offrait  au 
Trésor  une  quantité  assez  importante  de  numéraire  (400,000 
francs  environ),  dont  l'armée  avait  toujours  grand  besoin. 
L'administration  s'y  procura  également  du  sel,  que  l'on 
exploite  dans  les  environs  de  cette  ville.  Cette  colonne  rallia 
ensuite  le  général  Douay  qui,  le  1"  janvier,  avança  ses 
lignes  jusqu'à  Quetcholac  et  Tecamachalco.  L'ennemi  se 
retirait  devant  nos  troupes,  mais  ses  avant-postes  restaient 
toujours  à  peu  de  distance.  D'ailleurs  les  populations  repre- 
naient confiance  ;  à  Palmar  et  à  San  Andrès  les  habitants 


(1)  Le  maïs,  qui  forme  la  majeure  partie  des  cultures  et  dont  les  habitants 
font  la  base  de  leur  alimentation,  offrait  une  ressource  précieuse.  Au  Mexique, 
les  galettes  de  maïs  ou  tortilles,  à  la  confection  desquelles  les  femmes  du  pays 
passent  une  grande  partie  de  leur  journée,  tiennent  lieu  de  pain.  Il  n'existe  de 
boulangeries  qu'en  petit  nombre  et  seulement  dans  les  villes.  Les  manutentions 
de  Varméd  mélangèrent  la  farine  de  maïs  à  la  farine  de  blé  dans  la  proportion  du 
tiers  et  quelquefois  de  la  moitié,  et  l'on  obtint  ainsi  du  pain  d'assez  bonne  qua- 
lité. On  put  alors  rétablir  la  ration  à  son  poids  normal  de  750  grammes.  Le  maïs 
en  grain  était  distribué  aux  chevaux,  qui  le  préféraient  de  beaucoup  aux  avoines 
venues  de  France  et  ('chaullees  par  la  traversée;  enfin  les  liges  de  mais  sèches  ou 
vertes  {zacate)  tenaient  lieu  de  paille  et  même  de  foin. 


LE    GÉNÉRAL   FOKEY.  235 

organisèrent  des  gardes  civiles  pour  résister  aux  guérilleros        486?, 
et  sauver  leurs  récoltes  de  la  destruction,  auxquelles  les 
condamnaient  les  décrets  du  gouvernement  mexicain. 

Ces  premières  positions  sur  le  plateau  étant  prises,  le  gé- 
néral en  chef  fit  également  porter  plus  en  avant  les  troupes 
qui  avaient  suivi  la  route  de  Jalapa.  Le  défilé,  qui  conduit 
de  cette  ville  sur  le  plateau  d'Anahuac,  est  commandé  par 
un  petit  fort  placé  au  pied  du  Cofre  de  Perote  près  de  la 
ville  du  même  nom.  Comme  il  pouvait  arriver  que  les 
Mexicains  cherchassent  à  disputer  le  passage,  le  général  en 
chef  prescrivit  au  général  Bazaine,  resté  jusqu'alors  à  Vera- 
Cruz ,  de  rejoindre  avec  quelques  troupes  le  général  de 
Bertier  à  Jalapa  et  de  prendre  la  direction  de  ce  mouvement- 
11  se  résolut  à  faire  concourir  aussi  à  cette  opération  les 
contingents  aUiés  du  général  Marquez. 


Situation 
des  forces  alliées 


D'après  une  situation  du  l^'"  décembre,  l'effectif  de  ces 
contingents  était  de  1300  hommes  d'infanterie,  1100  cava-  ''ïififuef 
liers,  50  artilleurs  et  un  nombre  fort  considérable  d'officiers 
isolés  (*),  que  l'on  réunit  plus  tard  en  escadron  d'élite  sous 
le  commandement  du  général  Taboada.  Le  général  Mar- 
quez faisait  de  grands  efforts  pour  organiser  ses  soldats  et 
en  tirer  quelque  parti,  mais  il  était  mal  secondé  par  la  plu- 
part de  ses  officiers.  Jusqu'à  l'époque  de  son  arrivée  à 
Orizaba,  le  général  Marquez  n'avait  occupé  dans  les  troupes 
de  la  réaction  qu'une  position  secondaire  sous  les  ordres 
du  général  Zuloaga.  A  la  suite  do  certaines  contestations, 
celui-ci  lui  avait  môme  retiré  son  commandement  pour 


(•)  On  comptait  deux  généraux  de  division,  huit  généraux  de  brigade,  treiitc- 
Imit  colonels,  trente-sept  lieutenants-colonels,  soixante-dix  chefs  de  bataillon, 
deux  cent  deux  capitaines,  cent  soixante-six  lieutenants,  cent  qualrc-vinjrt-douze 
alferez.  (Situation  au  1"'  octobre.) 


236  l"   PARTIE.  CHAPITRE  V. 

1862.  le  donner  à  Gobos.  Au  moment  où  le  général  de  Lorencez  se 
porta  sur  Puebla,  Zuloaga  et  Gobos  ayant  pris  vis-à-vis 
de  Juarez  l'engagement  de  ne  gêner  en  rien  les  opéra- 
tions de  l'armée  libérale,  le  général  Almonte  avait  donné 
Tordre  à  Marquez  de  revendiquer  le  commandement  supé- 
rieur et  de  venir  le  rejoindre.  Il  l'avait  tenté,  mais  n'avait 
pu  se  faire  suivre  que  par  une  faible  partie  des  troupes  et, 
parmi  les  officiers  mexicains  présents  à  Orizaba,  un  grand 
nombre  lui  étaient  même  hostiles.  Comme  il  avait  con- 
servé de  bonnes  relations  avec  le  général  de  Lorencez, 
il  était  ensuite  devenu  suspect  au  général  Almonte  et 
la  jalousie  de  ses  compatriotes  lui  créait  de  fréquentes 
difficultés. 

Si  la  mésintelligence  régnait  entre  les  chefs,  la  discipline, 
le  dévouement,  la  fidélité  au  drapeau  étaient  choses  incon- 
nues du  soldat.  Ces  malheureuses  troupes  étaient  en  outre 
dans  un  dénùment  absolu,  hommes  et  chevaux  mouraient 
de  faim.  Dans  ces  conditions  elles  ne  pouvaient  rendre  de 
grands  services  ;  aussi  étaient-elles  plus  gênantes  qu'utiles. 
Pour  vivre,  elles  pillaient  le  pays  et  augmentaient  ainsi 
l'impopularité  de  l'intervention  française;  le  général  de 
Lorencez  leur  ayant  fait  donner  des  vivres  mais  pas  de 
solde,  elles  continuèrent  leurs  exactions  parce  que  les  vivres 
étaient  insuffisants  ;  on  essaya  de  leur  donner  une  solde 
sans  vivres,  elles  gardèrent  la  solde  et  pillèrent  encore  pour 
se  nourrir  ;  le  général  Forey  se  décida  à  leur  faire  distri- 
buer une  solde  et  des  vivres  (*)  et  leur  promit  des  effets 
d'équipement  attendus  de  France.  Les  troupes  françaises 
avaient  peu  de  sympathie  pour  ces  alliés  déguenillés  et  pil- 
lards plus  semblables  à  des  bandits  qu'à  des  soldats  ;  quant 

<')  Le  général  Furcy  au  ministre,  23  octobre  1862. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  237 

aux  officiers,  leur  orijj^ine,  leurs  habitudes,  leur  éducation,  48C2. 
leur  moralité  étaient  en  général  si  différentes  de  celles  des 
officiers  français  que  des  rapports  intimes  ne  pouvaient 
guère  s'établir  entre  eux.  Les  Mexicains  se  trouvaient  du 
reste  humiliés  d'être  à  la  solde  du  trésor  français,  les 
formes  rigoureuses  de  notre  administration  blessaient  leur 
susceptibilité  ;  ils  ne  pouvaient  s'empêcher  en  outre  de 
voir  d'un  œil  jaloux  l'ingérence  de  la  France  dans  leurs 
affaires  mtérieures  ;  désireux,  à  coup  sûr,  d'en  tirer  pour 
eux-mêmes  tout  le  profit  possible,  ils  pardonnaient  diffici- 
lement à  l'étranger  les  services  qu'ils  étaient  obligés  d'en 
accepter;  l'épithète  de  traître,  que  leur  prodiguaient  leurs 
compatriotes,  sonnait  douloureusement  k  leurs  oreilles, 
tandis  que,  d'autre  part,  ils  se  sentaient  peu  estimés  par  les 
Français  à  côté  desquels  ils  étaient  appelés  à  combattre. 
Les  soldats  français  n'eussent  jamais  consenti  à  être  placés, 
même  éventuellement,  sous  les  ordres  d'un  officier  mexi- 
cain. Ils  étaient  très-disposés  à  tourner  en  dérision  leurs 
alliés,  dont  le  cri  de  ralliement  Viva  la  Religion  !  était  peu  en 
rapport  avec  la  manière  de  vivre  ;  ils  avaient  au  contraire 
une  tendance  à  se  montrer  plus  sympathiques  à  la  devise 
Libertad  y  Reforma,  inscrite  sur  le  drapeau  libéral ,  et  qui 
leur  paraissait  plus  conforme  à  leurs  propres  idées.  C'était 
fort  regrettable  car,  en  se  reportant  au  but  assigné  à  l'ex- 
pédition, on  ne  pouvait  espérer  de  résultat  satisfaisant, 
si  un  parti  politique  sérieux  ne  grandissait  à  l'abri  du 
drapeau  français.  Le  mépris  témoigné  à  ceux  qui  de- 
vaient en  être  le  noyau  ne  pouvait  en  favoriser  le  dévelop- 
pement. 

Le  général  Forey  voulut  relever  les  troupes  alliées  à  leurs 
propres  yeux  et  à  ceux  de  l'armée  française  ;  il  essaya  de 
les  moraliser,  de  leur  donner  une  organisation  h  peu  près 


238  l"    PARTIE.  CHAPITRE  V. 

-1862.  régulière,  mais  il  n'y  parvint  qu'à  grand'peine  se  heurtan^ 
sans  cesse  contre  le  mauvais  vouloir  des  officiers  mexicains, 
contre  leur  répugnance  à  suivre  des  conseils  ou  à  re- 
cevoir une  direction  des  chefs  de  l'armée  française.  Ils 
eussent  voulu  que  les  sommes  destinées  à  l'entretien  de 
leurs  troupes,  sommes  qu'ils  trouvaient  du  reste  très-insuf- 
fisantes, leur  fussent  remises  en  bloc,  avec  la  faculté  d'en 
disposer  selon  leur  gré  ;  il  était  d'autant  plus  difficile  d'ad- 
mettre une  pareille  prétention,  que  l'on  avait  de  sérieuses 
raisons  de  penser  qu'une  bonne  partie  de  l'argent  n'arrive- 
rait pas  à  sa  destination  et  que  le  soldat  serait  plus  malheu- 
reux encore.  Il  fut  enfin  convenu,  après  de  longues  discus- 
sions, que  les  troupes  mexicaines  seraient  soumises  au 
contrôle  de  l'intendance  et  tiendraient  leur  comptabilité, 
sinon  d'une  façon  exactement  conforme  aux  règles  de 
l'administration  française,  au  moins  d'après  les  mêmes 
principes  ;  mais  il  fallut  commencer  par  hquider  156,000 
francs  de  dépenses  faites  par  le  général  Almonte. 

Lorsque  le  général  Forey  manifesta  l'intention  d'envoyer 
à  Jalapa  la  petite  division  du  général  Marquez,  on  lui  tit 
craindre  que  les  hommes  ne  désertassent  en  grand  nombre  ; 
il  persista  néanmoins  dans  son  projet,  croyant  même  qu'il 
était  bon  de  leur  témoigner  plus  de  confiance  qu'il  n'en 
avait  réellement.  Les  troupes  mexicaines  se  mirent  enroule 
le  29  novembre  et,  de  fait,  elles  montrèrent  plus  de  disci- 
pline et  de  tenue  qu'on  ne  l'avait  espéré.  Elles  arrivèrent 
l\  Jalapa  le  7  décembre  et  se  rangèrent  sous  les  ordres  du 
général  Bazaine  ;  cette  épreuve  leur  fut  favorable  et  dès  ce 
moment  elles  tinrent  assez  honorablement  leur  place  à  côté 
des  troupes  françaises  nouvellement  débarquées,  qui  ne 
partageaient  pas  à  leur  égard  les  préventions  de  l'ancienne 
garnison  d'Orizaba. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  239 

Le  général  Bazaine,  amenant  avec  lui  le  3^  zouaves  et        i862. 
une  batterie  d'artillerie,  arriva  le   12  décembre  à  Jalapa  ;        M,^he 

•1  1  T\  du  général 

quatre  jours  après,  il  commença  son  mouvement  sur  Pe-  Bazaine 
rote,  à  la  tête  d'une  colonne  forte  de  3,700  hommes  envi-  "^  Poïe.^""^ 
ron.  Le  17  décembre,  entre  la  Hoya  et  las  Vigas,  des  tirail- 
leurs ennemis,  qui  s'étaient  dissimulés  grâce  à  un  épais 
brouillard,  firent  une  décharge  sur  l'avant-^arde  avec  la- 
quelle  marchait  le  général  Bazaine  ;  ils  blessèrent  mortel- 
lement un  officier  d'état-major  et  atteignirent  quelques 
hommes  ;  le  lendemain,  la  colonne,  qui  avait  bivouaqué  à 
las  Vifijas,  prit  le  chem.in  de  Cerro  Leone,  afin  de  tourner 
les  obstacles  accumulés  sur  la  route  principale.  Un  corps 
de  7  à  800  cavaliers  mexicains  ayant  été  signalé,  le  général 
Bazaine  lança  contre  eux  la  cavalerie  de  Marquez  qu'il  fit 
appuyer  par  un  escadron  du  12*^  chasseurs.  Les  chasseurs 
eurent  bientôt  dépassé  les  cavaliers  alliés  et  chargeant  l'en- 
nemi le  mirent  en  pleine  déroute,  après  lui  avoir  sabré 
une  quarantaine  d'hommes.  Gomme  à  la  Rinconada,  comme 
à  San  Andrès,  un  seul  escadron  vigoureusement  conduit 
avait  obtenu  sur  des  forces  très-supérieures  un  avantage 
marqué  qui  affermit  la  réputation  de  la  cavalerie  française. 

Le  fort  de  Perote  fut  occupé  sans  résistance  le  19  dé- 
cembre ;  le  général  Bazaine  s'y  arrêta  et  fit  rayonner  ses 
troupes  dans  les  environs,  autant  pour  rassurer  les  popula- 
tions que  pour  se  procurer  des  vivres.  On  trouva  des  ap- 
provisionnements en  grande  quantité>et  l'on  réunit  un  trou- 
peau de  dix-huit  cents  têtes. 

L'armée  pouvait  largement  vivre  sur  le  pays  sans  se 
préoccuper  outre  mesure  de  la  constitution  des  moyens 
de  transport.  Il  n'eût  donc  pas  été  impossible  au  corps 
expéditionnaire,  aussitôt  après  son  débarquement,  de 
choisir  des  cantonnements  sur  le  plateau  d'Anahuac,  et 


240  l"  PARTIE.  CHAPITRE    V. 

^863.        par  une  reprise  vigoureuse  et  immédiate  des  hostilités  de 
"  rétablir  le  prestige  du  drapeau  qu'une  trop  longue  inaction 

pouvait  au  contraire  compromettre. 

Arrivé  à  Perote,  le  général  Bazaine,  pour  se  conformer 
aux  ordres  du  général  en  chef,  s'occupa  de  faire  replier  tous 
les  détachements  laissés  sur  la  route  en  commençant  par 
celui  de  Puente  Nacional  qui  était  le  plus  éloigné. 

Trois  compagnies  du  62^  envoyées  de  Jalapa  pour  pro- 
téger cette  évacuation,  rencontrèrent  l'ennemi  dans  les  bois 
de  rOrgano;  l'engagement  se  prolongea  un  certain  temps, 
mais  ne  coûta  que  sept  tués  et  cinq  blessés. 

Les  troupes  françaises  quittèrent  également  Jalapa;  le 
dernier  détachement  arriva  le  18  janvier  à  Perote.  Le  gé- 
néral Bazaine  laissa  ses  malades  dans  le  fort  sous  la  pro- 
tection d'une  petite  garnison  et  continua  son  mouvement  en 
avant;  le  1*'  février,  il  établit  son  quartier  général  dans 
la  petite  ville  de  Nopalucan,  d'où  il  se  mit  en  communi- 
cation avec  Orizaba  par  San  Andrès.  La  brigade  du  gé- 
néral de  Castagny  vint  l'y  rejoindre  et  il  conserva  sous  ses 
ordres  la  brigade  de  Bertier,  bien  qu'elle  ne  fît  pas  partie 
de  sa  division  (*). 

La  citadelle  de  Perote  fut  ensuite  abandonnée  ;  le  premier 
convoi  d'évacuation ,  commandé  par  le  colonel  Garnier, 
fut  attaqué  le  12  février  près  de  la  Yentilla  par  six  cents 
cavaliers  ;  mais  une  colonne  française  avait  été  envoyée  à 
sa  rencontre;  les  chasseurs  d'Afrique  accourant  au  bruit  du 
combat  se  jetèrent  sur  l'ennemi  qu'ils  poursuivirent  à  ou- 
trance, jusqu'à  ce  qu'il  eût  disparu  dans  la  montagne.  Le 
dernier  convoi  fut  amené  sans  encombre  à  San  Andrès  le 
23  février. 

(1)  Dans  la  siiilp,  la  brigade  de  Bertier  passa  définitivement  à  la  1"  division  ; 
la  brigade  Neigre  la  remplaça  à  la  2'  division. 


LE   GÉNÉRAL   FOREY.  241 

De  son  côté,  le  16  février,  le  général  Douay  se  porta  de  ^863. 
Quetcholac  à  Acalzingo  et  à  los  Pieyes  ;  il  se  mit  en  relations 
avec  le  général  Bazaine.  Les  Mexicains  ne  cherchaient  pas 
à  s'opposer  d'une  façon  sérieuse  à  ces  mouvements,  mais 
ils  les  surveillaient  de  très-près,  ne  se  hasardant  à  attaquer 
que  lorsque  la  supériorité  numérique  ou  des  circonstances 
très-favorables  paraissaient  leur  assurer  le  succès  ;  ils  étaient 
toujours  prêts,  du  reste,  à  se  retirer  rapidement  si  les 
chances  tournaient  contre  eux,  car  ils  ne  mettaient  au- 
cun point  d'honneur  à  rester  maîtres  de  leurs  positions  et 
ne  prétendaient  faire  pour  le  moment  qu'une  guerre  d'es- 
carmouches. 

C'est  dans  ces  conditions  que  deux  pelotons  de  chasseurs       combat 

,,.„.'„  „  11,  ■  ''c  San  José 

a  Airique,  formant  1  avant-garde  d  une  reconnaissance  con-  (i8  février). 
duite  par  le  général  Douay  sur  la  route  de  Tepeaca,  ayant 
attaqué  une  embuscade  de  tirailleurs,  se  trouvèrent  inopi- 
nément en  présence  de  cinq  cents  cavaliers  réguliers  des 
escadrons  de  Zacatecas  ;  bien  qu'ils  combattissent  dans  la 
proportion  d'un  contre  dix,  ils  n'hésitèrentpas  à  charger  de 
nouveau  et  vinrent  se  heurter  encore  contre  une  troupe  d'in- 
fanterie couverte  par  un  fossé  ;  mais  leur  élan  incomparable 
triompha  de  tous  les  obstacles  ;  ils  firent  plier  l'ennemi  et 
le  poursuivirent  pendant  quatre  lieues.  Trois  sous-ofticiers 
furent  tués;  les  Mexicains  perdirent  trente  tués  et  neuf 
prisonniers,  dont  un  officier. 

Le  général  Douay,  en  se  rapprochant  de  Puebla,  laissa 
plusieurs  postes  en  arrière  pour  assurer  ses  communica- 
tions avec  Orizaba  et  particulièrement  pour  garder  les 
magasins  et  les  dépôts  de  munitions  rassemblés  à  Quet- 
cholac. Les  voitures  du  corps  expéditionnaire  avaient  été 

employées  sans  relâche  à  amener  dans  cette  petite  ville  les 

IG 


242  l"  PARTIE.  CHAPITRE  V. 

-1863.         parcs  d'artillerie  et  du  génie  et  les  réserves  de  matériel 
nécessaires  au  siège  ('). 

Heureusement  les  subsistances  étaient,  comme  nous  l'a- 
vons dit,  largement  assurées.  Les  denrées  trouvées  sur  les 
plateaux  permirent  de  suffire  à  la  consommation  journa- 
lière et  de  constituer  une  réserve  de  vingt  jours  de  vivres. 
Déchargé  de  préoccupation  à  cet  égard,  le  général  en  chef 
put  affecter  tous  ses  transports  au  matériel  de  guerre  et 
il  donna  l'ordre  de  vendre,  de  céder  à  la  marine  ou 
de  réexpédier  en  Europe  les  vivres  accumulés  à  Vera- 
Cruz  (^). 

L'état  sanitaire  de  l'armée  était  alors  satisfaisant.  Les 
troupes  échappèrent  en  général  aux  influences  du  vomito; 
elles  eurent  toutefois  à  souffrir  de  fièvres  d'acclimatement 
qui,  pendant  quelque  temps,  rendirent  indisponibles  un 
certain  nombre  de  soldats;  mais  leur  santé  s'était  rétablie 
depuis  qu'ils  avaient  gravi  le  dernier  étage  des  plateaux; 
les  hommes  dont  la  constitution  était  trop  affaiblie  furent 
renvoyés  en  France;  enfin  l'effectif  du  corps  expédition- 

^'^  Ces  moyens  de  transport  se  composaient  eu  ce  moment  de  108  voilures  du 
train  français,  de  220  voilures  mexicaines  et  do  25U  voilures  américaines  ache- 
tées à  New-York.  Quoique  inlërieures  aux  grands  chariots  mexicains  et  moins 
bien  appropriées  aux  roules  du  pays,  ces  dernières  voitures,  qui  se  rapprochaieni 
du  modèle  des  chariots  de  pare  fiançais  recouverts  d'une  bâche,  n'eu  consti- 
tuaient pas  moins  un  matériel  roulant  d'une  valeur  réelle  •  mais  on  manquait 
d'animaux  pour  les  atteler. 

Les  escadrons  du  train  avaient  amené  avec  eux  tJ3G  bétes  de  trait  et  670  bètes 
de  somme  ;  on  n'avait  pu  se  procurer  aux  Aniilles,  aux  Etats-Unis  et  au  Mexique 
qu'environ  2500  mulets,  sur  lesquels  on  dut  en  réserver  1100  pour  les  équipages 
de  bât  ;  il  fallut  donc  laisser  à  Vera-Cruz  210  de  ces  voitures,  en  attendant  les 
attelages  demandés  en  France. 

liOO  mulets  avaient  été  achetés  à  Cuba,  1200  à  New-York,  116  à  Tampico, 
2oO  aux  Antilles,  88  au  Mexique,  en  divers  endroits.  —  Total  :  2,754,  sur  les- 
quels on  perdit  environ  200  bètes  pour  diverses  causes. 

(«J  C'est-à-dire  530,000  rations  de  biscuit,  310,000  de  sel,  250,000  de  sucre 
et  café,  1,250,000  d'eau-de-vie,  12,000  quintaux  d'avoine. 


LE    GÉNÉRAL   FOREY.  243 

naire  allait  être  notablement  augmenté  par  l'arrivée  d'une        ^863. 
brigade  de  réserve  forte  de  6,000  hommes  (*). 

Les  opérations  contre  Puebla  pouvaient  donc  commencer 
dans  de  bonnes  conditions,  et  satisfaction  allait  être  donnée 
à  l'impatience  avec  laquelle  le  gouvernement  et  la  nation 
française  attendaient  la  nouvelle  d'une  reprise  sérieuse  des 
hostilités. 

Avant  d'entreprendre  le  siège,  le  général  Forey  organisa     organisation 

,.j  ,.  ,  ^         .        .  „  des  postes 

solidement  sa  hgne  de  communication  avec  Vera-Lruz.    suriaiignede 

j,  ,  communication 

11  partagea  tous  les  postes  entre  deux   commandements   avec Veia-Cruz. 
supérieurs,  celui  de  Vera-Cruz,  et  celui  d'Orizaba  C^).  Il 
ordonna  de  les  pourvoir  de  vivres  pour  trois  mois,  d'un 
approvisionnement  de  trois  cents  cartouches  par  homme, 
et  de  les  protéger  par  des  ouvrages  de  campagne  ;  quelques 

O  Depuis  le  commencement  de  la  campagne  jusqu'au  2o  mars  1863,  l'armée 
de  terre  avait  perdu  :  17  officiers  tués,  29  officiers  morts  de  maladie,  68  soldats 
tués,  571  soldats  morts  de  maladie,  101  disparus.  —  Total  :  786  hommes.  — 
93  officiers  et  soldats  avaient  été  rapatriés. 

O    COMMANDEMENT    DE    VERA-CRUZ. 

M.  Durand  Saint- Amand,  capitaine  de  vaisseau,  commandant  supérieur. 

Compagnies  de  matelots  noirs  des  Antilles  (253  hommes). 

Détachement  de  marins  (91  hommes). 

,  Une   compagnie  d'infanterie  de  marine   (40  hommes  va- 
vera-Cruz.        / 

hues) . 

Section  de  volontaires  de  la  Martinique  (oO  hommes). 

Fraction  de  la  contre-guérilla  de  Figuerero. 

Deux  compagnies  et  demie  d'infanterie  de  marine. 
La  Tejeria.         \  La  compagnie  du  génie  colonial  (moins  25  hommes). 

Fraction  de  la  contre-guérilla  Figuerero. 

Quatre  compagnies  d'infanterie  de  marine. 

25  hommes  du  génie  colonial. 
La  Soledad.        j  Les  auxiliaires  de  Tampico  (c'étaient  des  gens  de  Tampico, 
compromis  pendant  l'occupation  de  la  ville  par  les  Fran- 
çais, et  qui  avaient  été  ramenés  par  l'escadre). 

Douze  cavaliers  du  12"  chasseurs. 

Le  poste  de  Medelin  et  celui  d'Alvarado  relevaient  aussi  du  commandement 


244  l"  PARTIE.   —  CHAPITRE  V. 

<863.         pièces  de  canon  mexicaines  furent  placées  à  la  Soledad,  au 
Chiquihuile  et  à  Orizaba. 

Chaque  bataillon  du  corps  expéditionnaire,  à  l'exception 
des  bataillons  de  chasseurs,  fournit  une  compagnie  pour 
la  garde  des  postes  ;  cette  mesure,  prise  dans  le  but  de 
donner  également  à  tous  les  corps  la  satisfaction  de  par- 
ticiper aux  opérations  actives ,  présentait  l'inconvénient 
de  constituer  partout  des  détachements  sans  homogénéité  : 
aussi  n'était-elle  que  provisoire  et  devait-elle  durer  seule- 
ment jusqu'à  l'arrivée  de  la  brigade  de  réserve,  qui  serait 
plus  particulièrement  affectée  à  ce  service,  il  n'avait  pas  été 
possible  de  laisser  des  détachements  de  cavalerie  mexi- 
caine à  la  Soledad  et  au  Fortin,  les  officiers  ayant  déclaré 
que  tous  les  soldats  déserteraient.  Le  général  en  chef,  ne 
voulant  pas  se  priver  de  sa  cavalerie  française,  en  la  dissé- 
minant sur  ses  derrières,  s'efforça  d'y  suppléer  en  dévelop- 
pant l'organisation  des  contre-guérillas.  Il  avait  déjà  pres- 

deVera-Cniz.  A  Mcdelin  furent   cantonnées  une  section  d'infanterie  de  marine 
et  la  conlre-guérilla  Stœcklin,  récemment  placée  sous  les  ordres  du  colonel  Dupin. 

A  Alvarado,  il  se  trouvait  seulement  une  cinquantaine  d'hommes  des  volon- 
taires de  la  Martinique. 

COMMANDEMENT    d'oRIZABA. 

M.  Waïsse  de  Roquebrunne,  lieutenant-colonel  du  81<^  de  ligne,  commandant 
supérieur. 


,  „        1  1  »c    1       (  Ijne  compagnie  de  tirailleurs  algériens. 
A  Paso  del  Macho.  \  ^   "        ,     ,  ^     , 

Douze  cavaliers  du  12'^  chasseurs. 


Au  Chiquihuite.     |  Deux  compagnies  du  81'=  de  ligne. 
/  Deux  compagnies  du  1"''  zouaves. 
Cordova  et  Rio  Seco.  '  Deux  compagnies  du  2"  zouaves. 
(  Douze  cavaliers  du  12*  chasseurs. 
Au  Fortin.         |   Une  compagnie  du  3"  zouaves. 

!Une  compagnie  du  3*  zouaves. 
Deux  compagnies  du  99'  de  ligne. 
Deux  compagnies  du  95*  de  ligne. 
I  Deux  compagnies  du  51°  de  ligne. 
/  Deux  compagnies  du  02''  de  ligne. 
\  n.jvize  cavnliers  du  12'"  chasseurs. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  2io 

crit  d'en  porler  l'effectif  à  quatre  cents  hommes.  Au  mois  i863 
de  février,  M.  de  Stœcklin,  qui  offrit  sa  démission,  fut 
remplacé  par  le  colonel  d'état-major  Dupin,  alors  en  non- 
activité  et  nominalement  attaché  à  l'état-major  du  général 
Almonte.  Le  corps  de  Slœcklin  se  composait  de  quarante- 
cinq  fantassins,  et  de  quatre-vingts  cavaliers  aventuriers 
de  toutes  les  nations  du  monde ,  armés  de  façons  di- 
verses, mal  équipés,  mal  montés,  sans  munitions,  mais 
presque  tous  gens  intrépides  et  à  ne  reculer  devant  aucune 
entreprise. 

Le  colonel  mexicain  Figuerero  commandait  environ 
quatre-vingts  hommes  à  cheval. 

Le  23  février,  arrivèrent  en  outre  à  Vera-Cruz  quatre        Arrivée 

.  .  .à  Vcra-Cruz 

cents  Egyptiens    destmés    spécialement    au   service  des    d'on  bataiiioa 

1         1  ,  ,T^  -1  ,  .  •  •        d'Egyptiens. 

terres  chaudes.  L  empereur  avait  demande  au  vice-roi 
d'Egypte  de  mettre  à  sa  disposition  un  bataillon  de  noirs  du 
Soudan  dans  l'espoir  que  ces  hommes  résisteraient  mieux 
que  les  Européens  au  climat  de  la  côte.  Ce  bataillon  avait 
été  secrètement  embarqué  à  Alexandrie,  pendant  la  nuit 
du  7  au  8  janvier,  sur  le  transport  la  Seimi'^). 

Il  était  composé  de  : 

Un  chef  de  bataillon,  un  capitaine,  un  lieutenant; 

8  sergents,  15  caporaux,  359  soldats,  39  recrues,  22 
enfants  de  dix  à  quinze  ans. 

Les  soldats  étaient  habillés  et  bien  équipés  ;  les  recrues, 
enlevées  parla  police  du  vice-roi  la  veille  du  départ,  étaient 
presque  nues.  Un  fonctionnaire  de  l'intendance,  qui  avait 
été  envoyé  à  bord  de  la  Seine,  s'occupa  d'organiser  celte 
troupe  qu'il  divisa  en  quatre  compagnies  et  dont  il  com- 
pléta les  cadres  par  des  promotions  immédiates. 

(')  Rapport  du  commandant  de  la  Seine,  '23  février. 


246  l'®  PARTIE.   —  CHAPITRE    V. 

-1863.  Pendant  la  traversée,  sept  hommes  moururent  à  la  suite 

de  fluxions  de  poitrine  ou  de  fièvres  typhoïdes.  On  en 
perdit  encore  une  quinzaine  peu  après  leur  débarquement, 
et  l'on  craignit  un  instant  qu'ils  ne  fussent  pas  à  l'abri  des 
influences  pernicieuses  des  terres  chaudes.  Il  était  presque 
impossible  de  s'en  faire  comprendre  ;  on  ne  savait  com- 
ment les  utiliser;  plus  tard  des  interprètes  choisis  dans 
le  bataillon  de  tirailleurs  algériens  parvinrent  à  entendre 
leur  langue  ;  lorsque  l'on  sut  connaître  leurs  besoins,  soi- 
gner leurs  maladies,  tirer  parti  de  leurs  aptitudes,  ces  sol- 
dats noirs  se  disciphnèrent,  s'acclimatèrent  rapidement  et 
rendirent  les  plus  grands  services  dans  les  postes,  où  les 
troupes  françaises  se  fondaient  en  quelques  jours.  Éner- 
giques et  braves  au  feu,  on  pouvait  sans  crainte  les  opposer 
aux  bandes  de  guérillas  qui  ne  cessaient  de  battre  le 
pays,  épiant  l'occasion  de  surprendre  un  convoi  insuffi- 
samment escorté  ou  un  petit  poste  trop  faiblement  gardé. 
Jusqu'alors  le  succès  avait  presque  toujours  couronné  le 
courage  de  nos  soldats,  mais  les  fatigues  les  affaiblissaient. 
On  s'efforça  de  rendre  moins  pénible  le  service  dans  les 
terres  chaudes,  en  faisant  continuer  les  travaux  du  chemin 
de  fer  destiné  à  en  abréger  la  traversée.  Une  subvention 
fut  accordée  à  la  compagnie,  des  ouvriers  furent  amenés 
d'Amérique,  des  rails  et  du  matériel  envoyés  de  France, 
mais  les  difficultés  étaient  grandes,  les  courses  inces- 
santes des  bandes  ennemies  entravaient  les  travaux,  et 
dans  cette  première  partie  de  la  campagne,  on  ne  put 
utiliser  que  la  section  déjà  ouverte  entre  Vera-Gruz  et 
la  Tejeria. 

Reprise  Toutcs  Ics  dispositions  pour  une  nouvelle  offensive  étant 

dfs  oi)ér;itions 

contre  Puebia.    arrêtées,  Ic  général  Forcy  transporta  son  quartier  général 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  24 i 

à  Quetcholac.  Il  y  arriva  le  27  février  ;  le  lendemain,  il  réu- 
nit un  conseil  de  guerre  dans  lequel  furent  discutés  les 
moyens  d'investir  Puebla  ;  le  choix  du  point  d'attaque  fut 

réservé. 

La  caisse  de  l'armée  manquant  de  numéraire,  on  atten- 
dit jusqu'au  9   mars  un  convoi   d'argent  venant  de  la 
Havane.  Les  troupes  profitèrent  de  ce  délai  pour  s'organi- 
ser complètement  et  se  rapprocher  encore  de  quelques  lieues. 
Le  général  en  chef  avait  alors  sous  sa  main  : 
18,000  hommes  d'infanterie. 
1,400       —       de  cavalerie. 
2,150       —       d'artillerie. 

450      —       du  génie. 
2,300       —       de  troupes  d'administration. 
2^000       —       de  troupes  mexicaines. 

Total  :     26,300  hommes  environ 
et  56  bouches  à  feu,  parmi  lesquelles  deux  mortiers  mexi- 
cains ;  les  canons  étaient  approvisionnés  à  300  coups ,  les 
mortiers  à  150  coups.  On  avait  une  réserve  de  2,400,000 
cartouches. 

Avant  son  départ  d'Orizaba,  le  général  Forey  annonça 
au  corps  expéditionnaire  la  reprise  des  opérations  contre 
Puebla  par  l'ordre  du  jour  suivant  : 

«  Soldats, 

«  Voici  bientôt  neuf  mois  qu'un  petit  nombre  d'entre  vous,  mar- 
chant avec  une  confiance  aveugle  sur  Mexico,  a  rencontré  devant 
Puebla  un  obstacle  que  vous  n'avioz  pas  les  moyens  matériels  de 
renverser. 

«  Vous  dûtes  alors  différer  l'accomplissement  de  la  grande  et 
noble  mission  que  l'Empereur  vous  avait  confiée,  jusqu'à  ce  que 
vous  eussiez  reçu  tout  ce  qui  vous  manquait  pour  cela;  mais  il  a 


1863. 


248  l''   PARTIE.  CHAPIIRE   V. 

<8G3.  fallu  du  temps,  parce  que  la  France  est  loin  et  qu'elle  a  voulu  vous 

"  donner  tous  les  moyens  de  vaincre. 

«  Ce  temps  du  reste  n'a  pas  été  perdu,  et  un  séjour  prolongé 
dans  vos  cantonnements  vous  a  fait  apprécier  par  le  peuple  mexi- 
cain, qui  a  pu  reconnaître  à  l'ordre,  à  la  discipline  qui  n'ont  cessé 
de  régner  parmi  vous,  que  vous  n'êtes  pas  les  instruments  d'une 
politique  d'oppression,  comme  s'efforcent  de  le  lui  faire  croire  ceux 
qui  ont  intérêt  à  le  voir  courbé-  sous  leur  pouvoir  arbitraire,  mais 
que  vous  êtes  bien  les  soldats  de  la  France,  de  cette  France  qui 
marche  à  la  tête  de  la  civilisation,  portant  haut  et  ferme  son  dra- 
peau dans  les  plis  duquel  peuvent  se  lire,  à  côté  des  noms  de  tant 
de  victoires  qui  l'ont  illustré,  ces  mots  :  Ordre  et  Liberté. 

ï  Cette  patience  que  vous  avez  mise  h  préparer  vos  moyens  d'ac- 
tion, les  soldats  abusés  du  gouvernement  qui  règne  encore  pour 
quelques  jours  ;\  Mexico  ont  pu,  dans  la  présomption  que  leur  a 
donnée  leur  facile  triomphe  du  5  mai,  l'imputer  h  la  crainte  qu'ils 
vous  inspiraient.  S'ils  se  sont  endormis  dans  cette  pensée,  que  leur 
réveil  soit  terrible  ! 

t  Soldats,  le  temps  du  repos  est  passé;  reprenez  vos  armes,  et 
marchez  à  la  victoire  que  Dieu  vous  donnera,  parce  que  jamais 
cause  n'a  été  plus  juste  que  la  vôtre.  Vous  avez  à  venger  vos  com- 
patriotes soumis  depuis  longues  années,  par  le  gouvernement  de  ce 
pays,  à  des  injures,  à  des  excès  de  tout  genre.  ;  vous  avez  en  outre 
à  rendre  le  Mexique  h  lui-même.  Quelle  plus  belle  mission  que 
celle-là  ! 

«  Animés  de  cette  noble  ardeur  qui  vous  a  rendus  si  redoutables 
sur  tant  de  champs  de  bataille,  vous  allez  renverser  tous  les  obs- 
tacles qui  se  présenteront  devant  vous. 

«  Comme  je  vous  l'ai  déjà  dit,  soyez  humains  après  la  victoire,, 
surtout  envers  les  êtres  faibles  et  désarmés  ;  mais  soyez  terribles 
pendant  le  combat,  et  bientôt  vous  planterez  le  noble  étendard  de 
la  France  sur  les  murs  de  iMexico,  au  cri  de  :  Vive  TEmpereur  ! 

«  Orizaba,  Iv  17  février  1863.  » 

Le  4  mars,  la  tête  de  colonne  du  général  Bazaine  s'avança 
jusqu'à  Acajete,  celle  du  général  Douay  jusqu'à  San  Bar- 
tolo  ;  l'une  et  l'autre  étaient  ainsi  à  une  petite  journée  de 
marche  d'Amozoc,  point  sur  lequel  devait  s'opérer  la  con- 
centration des  troupes  avant  l'investissement  de  Puebla. 


LK    GÉNÉRAL    FOREY.  249 

Le  9  mars,  le  général  Douay  occupa  Amozoc  après  avoir  ^863. 
échangé  quelques  coups  de  feu  avec  un  avant-poste  mexi- 
cain, tandis  que  le  général  Bazaine  envoyait  des  reconnais- 
sances dans  la  direction  d'Huamantla  afin  de  donner  le 
change  à  l'ennemi  sur  ses  projets  ultérieurs.  Ayant  reçu 
l'ordre  définitif  de  concentration,  le  général  Bazaine  réunit 
sa  division  près  d'Acajete  le  15  mars. 

Le  16  mars,  le  général  Douay  partit  d'Amozocet  s'éta- 
blit à  l'hacienda  de  Manzanilla  en  face  des  cerros  de  Guada- 
lupe  ;  le  général  Bazaine,  traversant  Amozoc  sans  s'y  arrê- 
ter, vint  camper  sous  Puebla,  entre  le  cerro  Amalucan  et 
l'hacienda  de  Alamos. 

L'investissement  commençait. 

Le  gouvernement  mexicain  n'avait  cessé  d'augmenter  ses     pisposUions 

^  ^  '-'  défensives  prises 

éléments  de  résistance  et  de  faire  venir  des  hommes  et  du  ma-         par  ic 

gouvernement 

lériel  des  provinces  éloignées.  Il  cherchait  à  exalter  le  sen-       mexicom. 
timent  national  en  ravivant  la  haine  de  l'étranger  et  en  rap- 
pelant la  victoire  du  5  mai.  Des  médailles  commémoratives 
étaient  distribuées  à  tous  ceux  qui  avaient  pris  part  au  com- 
bat des  Gumbres  et  à  celui  de  Puebla  ;  le  congrès  mexicain 
déclarait  qu'ils  avaient  bien  mérité  de  la  patrie,  des  pen- 
sions étaient  promises  à  ceux  dont  les  parents  succombe- 
raient dans  la  guerre.  D'autre  part,  on  cherchait  à  obte- 
nir des  Français  résidant  au  Mexique,  des  déclarations  désa- 
vouant les  griefs  présentés  par  M.  de  Saligny  ;  des  embau- 
cheurs  s'efforçaient  d'entraîner  les   soldats  français  à  la 
désertion ,  en  leur  promettant  des  concessions  de  terre 
dans  l'intérieur  du  pays.  «Les  soldats  français,  »  disait  une 
des  nombreuses  brochures  répandues  par  l'ennemi  dans 
les  rangs  de  l'armée,  «  comprendront  enfin  la  vérité,  et  au 
Ueu  de  continuer  à  verser  leur  sang  pour  asservir  un  peuple 


-1863. 


250  l'*  PARTIE.  CHAPITRE  V. 

libre,  en  se  forgeant  des  chaînes  pour  eux-mêmes,  ils 
abandonneront  le  rôle  de  tristesse  et  d'infamie  qu'on  leur 
fait  jouer,  pour  venir  parmi  nous  où  ils  trouveront  toute 
espèce  de  protection.  » 

«  Qu'ils  viennent  donc  ;  amis,  ils  trouveront  ici  la  ri- 
chesse et  la  liberté  (*).  » 

Le  général  Ortega  avait  déployé  une  grande  activité  dans 
la  mise  en  état  de  défense  de  Puebla  ;  un  matériel  de  guerre 
considérable  s'y  trouvait  réuni  et  des  fortifications  conti- 
nues avaient  été  élevées  autour  de  la  ville.  Si  Puebla  suc- 
combait, le  gouvernement  mexicain  pensait  avoir  encore 
une  armée  de  15  à  20,000  hommes  pour  défendre  Mexico,  et 
lorsque  la  capitale  tomberait  aux  mains  de  l'ennemi,  il  se 
retirerait  de  ville  en  ville  jusqu'aux  confins  du  territoire  en 
éternisant  la  lutte.  On  intimait  aux  habitants  l'ordre  d'a- 
bandonner leurs  maisons  et  de  détruire  leurs  récoltes  à 
l'approche  de  l'armée  envahissante.  Dans  plusieurs  en- 
droits déjà,  cet  ordre  avait  été  exécuté  sous  la  pression 
des  guérillas. 

A  Puebla,  le  général  Ortega  expulsait  les  religieuses  des 
couvents  qu'elles  possédaient  encore  (10  décembre)  et 
transformait  ces  bâtiments  en  hôpitaux  et  en  magasins.  Le 
gouvernement,  pour  accentuer  de  nouveau  sa  politique  de 
réforme,  étendit  bientôt  cette  mesure  au  pays  entier. 

L'ancien  président  Comonfort  rentra  au  Mexique  et  of- 
frit son  concours  à  Juarez,  pour  lequel  il  avait  témoigné  jus- 
qu'alors peu  de  sympathie.  Il  reçut  de  M.  Yidaurri,  gouver- 
neur ad  |)erpeîMWw  des  états  de  Nuevo-Léon  et  de  Coahuila, 

(')  Extraits  de  la  préface  d'une  brochure  imprimée  en  fran(;ais  à,  Mexico,  con- 
tenant les  discours  prononcés  au  Corps  législatif  sur  la  question  mexicaine  par 
MM.  Ernest  Picard  et  Jules  Eavre.  (îclte  brocliure  était  répandue  par  l'ennemi 
dans  les  rangs  de  l'armée  française. 


LE    GÉNÉRAL   FOR^'.  251 

le  commandement  des  contingents  de  ces  provinces,  et  Jua-        4863. 
rez  lui  ayant  confié  la  mission  spéciale  de  protéger  Mexico, 
il  vint  prendre  position  à  San  Martin-Texmelucan,  à  la 
tête  d'un  corps  de  trois  mille  hommes  environ  (2  février). 

Lorsque  l'on  sut  à  Mexico  que  le  général  Forey  avait 
quitté  Orizaba  et  que  la  reprise  des  opérations  contre 
Puebla  était  imminente,  le  président  .Juarez  se  rendit  dans 
la  place,  passa  la  revue  de  la  garnison,  distribua  de  l'argent 
aux  troupes  et  les  exhorta  à  une  défense  énergique.  Il  rentra 
ensuite  dans  la  capitale,  et  l'armée  mexicaine  se  prépara 
avec  une  confiance  et  un  calme  réels  à  soutenir  l'effort  que 
l'armée  française  allait  tenter  contre  elle. 

Le  10  mars,  l'état  de  siège  fut  déclaré  par  le  général 
Ortega;  le  14  mars,  toutes  les  bouches  inutiles  et  les  rési- 
dents français  reçurent  l'ordre  de  sortir  de  la  place  (*). 


(»)  Pièces  officielles  mexicaines. 


M!<w    f.«j^ii«-,  u  M>^>^  ^/icl-^K*n 


PLAN    Dt    PUEBLA 

l>K,S     KNVIliONS 

-.r«  rililrUi»i-i.rr  .In   I  ..«.bal  .tu  .^  M.ti   lAC^ 
1..T,  ,  ,.  Ir  lUWr»!  Hr  I.OIÎKXCK/.    su.   l.s  l,.™k.ip 
.If  «  AD.M.n-K. 
^  ■■(■crahoiu.  ik  sirt**  (ïîri^  par  If  ('.'^  KOlïV.V 


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S'  i.orif;>7.o 

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V'    /      !-/«    //- 

»ifcs«C7-a^w. 


CHAPITRE   SIXIÈME. 


SOMMAIRE. 

Invpstissement  de  Puebla  (16  mars  1863).  —  Fortifications  de  PneWa.  — Combat 
de  Cholula  (  22  mars).  —  Ouverture  de  la  tranchée  (23  mars).  —  Prise  du 
fort  de  San  Javier  (  29  mars).  —  Attaque  des  cadres.  —  Conseil  de  guerre 
(7  avril).  —  Combat  d'Atlixco  (14  avril).  —  Attaque  du  couvent  de  Santa 
Inès  (23  avril).  —  On  change  le  système  des  attaques,  —  Combat  de  San 
Pablo  del  Monte  (o  mai).  —  Combat  de  San  Lorenzo  (  8  mai).  —  Ouverture 
de  la  tranchée  devant  le  fort  Totimehuacan.  —  Reddition  de  la  place  (17  mai). 
—  Evasion  des  prisonniers  faits  à  Puebla. 

L'investissement  de  Puebla  avait  commencé  le  16  mars,    invesiisscmcnt 

TN       1  •        1       T    •    •         -r\  •  '     1  '^'^  Puebla 

Des  le  matin,  la  division  Douay,  après  avoir  pousse  devant  (-16  mars  i863). 
elle  les  avant-postes  ennemis,  prit  position  sur  le  Cerro 
Amalucan  ;  à  l'arrivée  de  la  division  Bazaine,  qui  la  releva 
sur  ce  point,  elle  s'étendit  en  tournant  Puebla  par  le  nord, 
fit. une  reconnaissance  offensive  sur  les  fortifications  de 
Guadalupe  et  vint  bivouaquer,  comme  nous  l'avons  dit,  à 
l'hacienda  de  Manzanilla.  Le  lendemain,  elle  continua  son 
mouvement  vers  la  droite,  tandis  que  la  division  Bazaine 
tournait  la  ville  par  le  sud.  La  marche  des  troupes  fut  re- 
tardée par  les  travaux  qu'il  fallut  exécuter  au  passage  des 


254  f  PARTIE.  CHAPITRE   VI. 

1863.  barrancas  dont  la  plaine  de  Puebla  est  sillonée  ;  le  18  au 
soir  seulement,  le  général  Douay  ayant  fait  occuper,  après 
un  court  engagement,  les  ponts  de  Mexico  et  de  las  Ani- 
mas et  le  cerro  San  Juan  qui  se  trouve  à  l'ouest  de  Puebla, 
le  général  Bazaine,  s'étant  établi  à  l'hacienda  de  San  Bar- 
t.olo,  d'où  il  commandait  les  routes  du  sud,  la  ville  fut 
complètement  enveloppée. 

La  ligne  d'investissement  était  ainsi  tracée  : 

PREMIÈRE   DIVISION. 

/Quartier  général  de  la  l""*^  division. 

La  brigade  de  Bertier. 

1'^'^  bataillon  du  S*^  zouaves. 
r2''  régiment  de  cavalerie  de  marche, 
i  Cavaliers  auxiliaires  Trujèque. 
'Batterie  de  campagne  de  la  l^e  division. 

Compagnie  du  génie. 
^  Ambulance  et  convoi. 

Camp  du  Cerro     (Le  reste  de  la  brigade  de  Castagny,  moins  un 
Auiaïucan.       \     bataillon  du  95"^,  laissé  à  Amozoc. 


A  San  Barlolo. 


DEUXIEME   DIVISION. 


HacionJa 
de  Manzanilla. 
La  Resurreccion. 

San  Aparicio. 

Santa  Maria 
et  San  Felipe. 

Camp  du  Kancho 
Posadas. 

Camp  San  Juan 

entre  le 

Rancho  Posadas, 

le  pont  de  Mexico 

et  le  pont 

de  Las  Animas. 


?  Escadron  Taboada. 

I  Escadron  Lamadrid. 

I  Un  bataillon  d'infanterie  de  marine. 

^  Le  grand  quartier  général  et  son  escorte. 

ÎLa  brigade  Neigre. 

(  Le  corps  du  général   Marquez  à  hauteur  du 
}     Rancho  sur  la  route  de  Tkixcala, 
(  Une  compagnie  du  2°  zouaves. 

(Le  quartier  général  de  la  2^  division. 

Le  2«  zouaves. 

iLe  bataillon  de  marins. 

i Trois  escadrons. 

Une  section  du  génie. 
,  La  batterie  de  réserve. 


Sur  le 
Cerro  San  Juaii. 


Pont  de  Mexico. 


Pont 
de  Las  Animas. 


LE  GÉNÉRAL  FOREY. 

Un  bataillon  de  chasseurs. 
Batterie  de  montagne. 
Une  section  du  génie. 

Quatre  compagnies  du  99". 
Une  section  du  génie. 
,  Deux  pièces  de  campagne. 

Le  général  L'Hériller. 
Huit  compagnies  du  99*. 
Une  section  du  génie. 
Quatre  pièces  de  campagne. 


18G3. 


Des  travaux  de  retranchement  furent  immédiatement 
commencés  sur  tous  les  points  et  principalement  aux  ponts 
de  Mexico  et  de  las  Animas,  qui  étaient  menacés  de  très- 
près  par  le  corps  d'observation  du  général  Comonfort. 

Le  19  mars,  le  général  en  chef  établit  son  quartier  géné- 
ral sur  le  cerro  San  Juan  et  donna  l'ordre  d'y  amener  les 
parcs  et  les  magasins  de  vivres  ;  les  troupes  rectifièrent 
leurs  positions  et  protégèrent  leurs  camps  par  quelques  tra- 
vaux de  campagne.  Les  reconnaissances  des  fortifications 
de  la  place  confirmèrent  le  général  en  chef  dans  son  inten- 
tion de  diriger  ses  attaques  du  côté  de  l'ouest. 

Depuis  l'année  précédente  Puebla  avait  été  sérieuse- 
ment fortifiée.  La  ville  est  formée  d'ilôts  de  maisons  ou 
cadres  séparés  par  des  rues  qui  se  coupent  à  angle  droit. 
Elle  renferme  environ  cinquante  églises  ou  couvents, 
éditices  d'une  construction  massive,  ayant  des  murs  de  ma- 
çonnerie de  plusieurs  mètres  d'épaisseur  et  dont  l'ennemi 
avait  avantageusement  tiré  parti,  soit  pour  l'organisa- 
tion défensive  de  l'enceinte,  soit  pour  mettre  ses  muni- 
tions et  ses  magasins  à  l'abri.  Au  centre  de  la  ville,  une 
double  rangée  de  barricades  à  embrasures  protégeait  les 
établissements  militaires  les  plus  importants.  Une  ligne  de 


■"ortifications 
de  Puebla, 


2S6  l"   PARTIE.  CHAPITRE    VI. 

1863.  maisons  crénelées  appuyées  par  des  parapets  de  terre  ou 
des  amas  de  décombres  formait  une  enceinte  intérieure  con- 
tinue. Sur  tout  le  périmètre  de  la  ville,  avaient  été  cons- 
truits des  ouvrages  en  terre  se  flanquant  les  uns  les  autres, 
avec  de  solides  bâtiments  pour  réduits.  C'étaient,  en  com- 
mençant par  le  nord  : 

Le  fort  de  Guadalupe,  que  la  petite  armée  du  général  de 
Lorencez  avait  attaque  sans  succès  le  5  mai  précédent  ; 

Le  fort  de  Loreto,  également  construit  sur  les  hauteurs  du 
nord  de  la  ville  .et  relié  au  précédent  par  une  ligne  à  re- 
dans à  laquelle  l'ennemi  avait  donné  le  nom  de  Cinco  de 
Mayo  ; 

Le  fort  Santa  Anita  (appelé  aussi  el  Dernocrata)  ayant  pour 
réduit  l'église  de  Santa  Ana.  Il  était  relié  au  fort  Loreto  par 
une  flèche  posée  en  travers  du  Rio  San  Antonio; 

Le  fort  San  Javier  (appelé  aussi  Iturbide  ou  Pénitencier), 
fortification  importante  d'un  tracé  irrégulier,  dontle  réduit 
était  formé  par  un  vaste  bâtiment  servant  de  pénitencier 
et  par  l'église  San  Javier  ; 

Entre  le  fort  San  Javier  et  le  fort  Santa  Anita  s'élevaient 
des  ouvrages  moins  importants,  que  l'on  appela  tranchées  de 
la  Calera,  de  San  Pablo,  del  Senor  de  los  trahajos  ; 

Les  ouvrages  du  ranchode  Toledo  (appelés  aussi  Morelos)^ 
constitués  par  une  ligne  à  crémaillère  ouverte  à  la  gorge  ; 

Le  fort  de  Carmen  (appelé  aussi  Hidalgo),  ayant  pour 
réduit  le  grand  couvent  de  Carmen  ; 

Le  fort  de  los  Ingénieras,  désigné  aussi  sous  le  nom  de 
Totimehuacan,  parce  qu'il  commandait  la  route  de  ce  village. 

Les  forts  de  Carmen  et  de  los  Ingenieros  étaient  cons- 
truits de  façon  à  battre  complètement  la  vallée  du  Rio  San 
Francisco  ; 

Le  fort  Zaragoza  (appelé  aussi  de  los  Hemedios), 


LE  GÉNÉRAL  FOREY.  2o7 

Le  fort  Independencia  (appelé  aussi  la  Misericordia).  -isos. 

Ces  deux  derniers  défendaient  l'entrée  de  Puebla  du  côté 
de  la  route  d'Orizaba. 

Au  moment  de  l'investissement,  la  garnison  de  la  place 
comptait  environ  22,000  hommes  0),  placés  sous  le  com- 
mandement du  général  Ortega,  qui  avait  pour  chef  d'état- 
major  le  général  Mendoza. 

Le  général  Paz  commandait  l'artillerie. 

Le  général  O'Horan,  la  cavalerie. 

L'infanterie  formait  cinq  divisions  sous  les  ordres  des 
généraux  Berriozabal,  Negrete,  Antilion,  Alatorre,  LaLlave. 

Les  généraux  Garcia,  Prieto,  Gayosso,  Porfirio  Diaz,  Es- 
cobedo,  Ghilardi,  Ignacio  Mejia,  Lamadrid,  Carbajal, 
Aureliano  Rivera,  Pinzon,  Patoni,  etc.,  commandaient  en 
sous-ordre. 

Toutes  les  dispositions  défensives  avaient  été  minutieu- 
sement prises.  Le  moral  du  soldat  était  exalté  par  le  souve- 
nir du  5  mai  ;  les  officiers  se  montraient  enthousiastes  et 
résolus  ;  s'ils  n'espéraient  guère  pouvoir  résister  indéfini- 
ment aux  efforts  de  leurs  adversaires,  ils  avaient  du  moins 
la  ferme  volonté  de  prolonger  la  résistance  jusqu'à  ses  der- 
nières limites.  De  son  côté,  l'armée  française  s'avançait  avec 
la  confiance  tranquille  des  vieilles  troupes  ;  elle  ne  doutait 
pas  d'un  succès  prochain,  mais  ses  chefs,  avertis  par  l'expé- 
rience de  la  précédente  attaque,  procédaient  avec  une  pru- 
dence extrême,  ne  voulant  rien  laisser  au  hasard. 

Le  fort  San  Javier  formait  à  l'ouest  une  saillie  très-pro- 
noncée permettant  de  faire  converger  les  attaques  ;  on  le 
choisit  pour  objectif  de  préférence  au  fort  de  Carmen  qui, 
dans  les  sièges  précédents,  avait  été  considéré  par  les  Mexi- 


0)  Happnrt  in   ;;i=npral  Ortega  (Zaoatecas,  Ififill). 


238  l"  PARTIE.  ■ —  CHAPITEE    VI. 

-1863.         cains  comme  le  point  le  plus  faible  (').  Mais  on  pensait  alors 
~  qu'il  suffirait  de  percer  l'enceinte  fortifiée  pour  se  rendre 

maître  de  la  place,  et,  cette  hypothèse  admise,  il  devait,  en 
effet,  paraître  préférable  d'attaquer  le  fort  San  Javier,  bien 
qu'il  fût  éloigné  du  centre  du  réduit  intérieur  d'une  distance 
double  de  celle  qui  en  séparait  le  Carmen. 

En  attendant  que  les  préparatifs  du  siège  fussent  termi- 
nés, les  troupes  se  bornèrent  à  fortifier  leurs  lignes  et  à 
maintenir  l'investissement  autant  que  le  permettait  la  dis- 
proportion de  leur  effectif  avec  l'étendue  considérable  du 
périmètre  à  garder.  Vers  le  nord  entre  Santa  Maria  et  Man- 
zanilla,  c'est-à-dire  sur  une  longueur  de  plus  de  deux  lieues, 
on  avait  laissé  seulement  deux  bataillons  d'infanterie,  un 
escadron  français  et  quelque  cavalerie  mexicaine  ;  campées  h 
cinq  kilomètres  de  la  place,  ces  troupes  ne  pouvaient  surveil- 
ler efficacement  les  mouvements  de  la  garnison.  L'ennemi 
sut  en  profiter;  dans  la  nuit  du  21  mars,  1500  cavaliers 
commandés  par  Carbajal  et  Aureliano  Rivera,  se  glissèrent 
dans  la  grande  barranca  de  San  Aparicio,  passèrent  tout 
près  de  la  Resurreccion  où  se  trouvaient  120  Mexicains  al- 
liés, poste  trop  faible  pour  leur  barrer  le  passage,  et  rejoi- 
gnirent l'armée  de  Comonfort,  qui  s'occupait  alors  de  faire 
enlever  les  ressources  des  haciendas  environnantes. 

Combat  Le  général  Forey,  pour  ne  pas  laisser  affamer  le  pays, 

(22  mars),      envoya,  le  22  mars,  le  général  de  Mirandol  occuper  Cho- 

lula,  petite  ville  située  à  deux  lieues  environ  à  l'ouest  de 

Puebla.  La  colonne  française  y  trouva  un  corps  de  deux 

mille   cavaliers   ennemis.  Le  général  de  Mirandol,  à  la 


<')  opinion  que  l'Empereur  avait  rappelée  dans  ses  instructions  au  général 
Forev. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  259 

tête  de  trois  escadrons  de  chasseurs  d'Afrique,  commandés  -1863. 
par  le  colonel  du  Barail  et  d'une  centaine  de  cavaliers  al- 
liés, se  porta  de  suite  à  leur  rencontre.  Il  eut  à  franchir 
sous  un  feu  très-vif  une  barranca  profonde  et  escarpée,  et 
trois  fois,  avant  qu'elles  aient  eu  le  temps  de  se  former,  ses 
têtes  de  colonne  reçurent  et  soutinrent  résolument  le  choc 
de  la  cavalerie  ennemie  ;  enfin  à  leur  tour  les  chasseurs 
d'Afrique  s'élancèrent  sur  les  Mexicains  qui,  bientôt  rompus 
et  culbutés,  se  débandèrent  après  une  mêlée  sanglante,  et 
s'enfuirent  laissant  sur  le  terrain  deux  cents  morts  et  cin- 
quante prisonniers.  Les  chasseurs  d'Afrique  eurent  trois 
hommes  tués  et  dix-neuf  blessés,  parmi  lesquels  deux 
officiers. 

Le  23  mars  au  soir,  les  dispositions  préliminaires  du      oavenure 

■^  (le  la  tranchée 

siège  étant  terminées,  la  tranchée  fut  ouverte  devant  le  (i>3  mars). 
fort  San  Javier,  sur  un  développement  de  mille  mètres  et 
à  600  mètres  du  saillant.  Les  travaux  d'attaque  furent  vi- 
goureusement menés  ;  le  25  mars,  la  deuxième  parallèle 
fut  établie  à  330  mètres;  le  lendemain,  les  batteries  ouvri- 
rent le  feu,  bouleversèrent  les  parapets  du  fort,  percèrent  à 
jour  les  bâtiments  du  pénitencier,  et  démontèrent  toutes 
les  pièces  ennemies  à  l'exception  de  deux  ;  une  troisième 
parallèle  fut  tracée  à  135  mètres  du  saillant  ;  dès  lors,  le  fort 
San  Javier  était  complètement  ruiné  ;  une  attaque  de  vive 
force  en  était  possible;  l'ennemi  le  désarma  presque  entiè- 
rement, il  plaça  les  canons  qu'il  en  avait  enlevés  dans  les 
rues  adjacentes  et  derrière  les  maisons  voisines,  de  ma- 
nière à  pouvoir  en  battre  les  abords;  on  jugea  utile,  pour 
diminuer  l'étendue  du  terrain  que  les  colonnes  d'attaque 

^')  Le  général  on  clief  au  ministre,  2G  mars.  2  avril. 


'lÙO  l"    PARTIE.  CHAPITRE  VI. 

48G3.  auraient  à  franchir  à  découvert,  d'établir  une  quatrième 
parallèle.  Elle  fut  ouverte,  pendant  la  nuit  du  27  au  28,  à 
soixante-dix  mètres  environ  du  bastion  attaqué. 

Prise  (lu  fort        Le  s'énéral  Forey  réserva  au  l'"''  bataillon  de  chasseurs  à 

SanJavier  . 

(29  mais),  pied  ct  au  z"  bataillon  du  2"  zouaves,  dont  l'héroïque  valeur 
s'était  brisée,  le  ornai  1862,  sur  les  murs  de  Guadalupe, 
l'honneur  de  monter  à  l'assaut  du  fort  San  Javier. 

Le  29  mars  à  cinq  heures  du  soir,  le  général  Bazaine, 
placé  dans  la  quatrième  parallèle,  en  donne  le  signal.  Les 
hourras  des  troupes  y  répondent  aussitôt,  et  la  première 
colonne,  sous  les  ordres  du  commandant  de  Courcy,  du 
l^""  bataillon  de  chasseurs,  s'élance  sur  les  parapets  qu'elle 
couronne  rapidement.  Une  fusillade  des  plus  vives  part  des 
murs  crénelés,  des  terrasses,  des  portes,  des  fenêtres,  des 
clochers  et  couvre  les  attaques.  L'ennemi  démasque  au 
même  moment  les  pièces  cachées  derrière  les  barricades, 
les  soutient  par  le  feu  de  nombreux  mortiers  et  celui  d'une 
batterie  de  montagne,  qui  vient  prendre  position  en  avant 
de  Carmen.  Les  ouvrages  de  Santa  Anita,  de  San  Pablo,  de 
la  Calera,  de  Morelos  et  de  Carmen  donnent  à  leur  tir  la 
plus  grande  intensité  ;  mais  celte  pluie  de  balles,  de  bou- 
lets, de  bombes  et  de  mitraille,  n'arrête  pas  l'élan  des 
troupes. 

La  seconde  colonne,  dirigée  par  le  commandant  Gau- 
trelet,  du  2^  zouaves,  suit  de  près  la  première  ;  toutes 
deux  poursuivent  leur  succès,  dépassent  les  retranchements 
et  pénètrent  dans  le  Pénitencier.  Il  y  restait  encore  en- 
viron sept  cents  Mexicains,  qui  résistèrent  avec  acharne- 
ment. Ils  cédèrent  enhn,  mais  un  très-petit  nombre 
parvint  à  s'échapper  ;  beaucoup  se  firent  tuer,  les  autres 
furent  faits  prisonniers.  L'ennemi  tenta  plusieurs  retours 


LE    GÉiNEKAL    FORLY.  261 

offensifs,  et  à  8  heures  du  soir  seulement,  le  feu  diminua         i863. 
de  part  et  d'autre. 

D'après  les  documents  mexicains,  la  perte  de  l'ennemi 
dans  cette  journée  fut  de  six  cents  hommes  ;  on  ramena  deux 
cents  prisonniers  au  nombre  desquels  deux  colonels  et 
huit  otficiers.  Trois  obusiers  de  montagne,  une  pièce  de 
campagne,  deux  fanions  furent  enlevés  par  les  troupes 
françaises  ;  mais  ce  succès  leur  coûta  trois  officiers  tués  et 
treize  blessés.  Le  général  deLaumière,  commandant  l'artil- 
lerie, fut  blessé  mortellement  ;  vingt-six  sous-officiers  ou 
soldats  furent  tués  et  189  blessés. 

Le  prise  du  fort  San  Javier  n'avança  pas  les  opérations  Attaque 
du  siège  autant  qu'on  l'avait  espéré  ;  les  Mexicains,  avec  une 
opiniâtreté  à  laquelle  on  était  loin  de  s'attendre,  se  retran- 
chèrent dans  les  maisons  voisines,  à  cinquante  mètres  seu- 
lement des  murs  du  pénitencier  ;  leurs  tirailleurs,  placés 
sur  les  terrasses,  plongeaient  sur  les  attaques,  dont  ils  gê- 
naient considérablement  les  travaux.  Les  pièces  de  petit 
calibre,  qui  furent  amenées  dans  le  fort  San  Javier,  ne  par- 
vinrent pas  à  renverser  les  murs  de  ces  massives  construc- 
tions espagnoles  ;  on  tenta  inutilement  de  pétarder  les 
portes;  une  attaque  par  surprise  ne  réussit  pas  mieux; 
l'emploi  de  la  mine  ne  donna  aucun  résultat.  Des  masses  de 
pierres  et  de  décombres,  accumulés  derrière  les  murs  des 
maisons,  les  transformaient  en  épais  parapets  de  maçon- 
nerie, contre  lesquels  ne  pouvaient  rien  les  procédés  ordi- 
naires des  sièges.  Le  tracé  régulier  des  rues,  dont  le  pas- 
sage était  couvert  par  de  fortes  barricades  armées  de  canon, 
permettait  à  l'ennemi  de  former  de  cent  mètres  en  cent 
mètres  de  véritables  lignes  fortifiées  d'une  solidité  extrême. 
Ces  difficultés  étaient  tout  imprévues.  Le  général  en  chef 


262  l""'    PARTIE.  CHAPITRE  VI. 

4863.        donna  l'ordre  de  faire  le  siège  en  règle  de  chacun  des 
cadres  W. 

Des  pièces  de  montagne  furent  hissées  sur  les  étages 
supérieurs  du  Pénitencier  pour  combattre  le  feu  partant  des 
clochers  voisins  ;  on  ouvrit  une  brèche  dans  le  couvent  de 
Guadalupita  (cadre  n"  2)  et,  dans  la  nuit  du  31  mars,  le 
18®  bataillon  de  chasseurs  s'en  rendit  maître  malgré  une 
vigoureuse  résistance  ;  une  large  ouverture  ayant  été  pra- 
tiquée à  l'aide  d'un  sac  à  poudre  dans  la  maison  voisine 
(cadre  n^  9),  on  put  aussi  l'occuper.  Les  Mexicains  perdirent 
quatre-vingts  hommes  tués  et  soixante  prisonniers ,  les 
Français  deux  tués  et  huit  blessés. 

On  s'organisa  défensivement  dans  les  cadres  dont  on 
s'était  emparé  ;  mais,  de  leur  côté,  les  défenseurs  de  la 
place  construisirent  plus  en  arrière  de  nouvelles  bar- 
ricades, percèrent  des  créneaux  et  couvrirent  de  sacs  à 
terre  les  édifices  voisins.  Leur  nouvelle  ligne  de  défense 
fut  tracée  de  Carmen  à  Santa-Aniia  en  passant  par  Santa 
Inès,  San  Agustin,  la  Merced  et  l'église  del  Senor  de  los 
Trabajos  (^).  Reculant  pied  à  pied,  recommençant  chaque 
jour  des  travaux  défensifs  considérables,  ils  forçaient  les 
assaillants  à  renouveler  sans  cesse  leurs  efforts  et  leurs  sa- 
crifices. Ils  resserraient  le  périmètre  défensif  au  fur  et  à 
mesure  des  progrès  de  l'assiégeant,  et  loin  d'être  affaibhs 
par  la  perte  des  cadres  de  la  première  ligne,  il  semblait  au 
contraire  qu'il  leur  était  avantageux  de  se  replier  derrière 
leur  seconde  et  leur  troisième  ligne,  moins  étendues  et 
plus  faciles  h.  défendre.  Aussi  laissèrent-ils  enlever  sans 


(1)  Pour  faciliter  l'intelligence  des  ordres  des  généraux  et  les  rapports  des 
commandants  de  tranchée,  les  îlots  de  maisons  furent  numérotés  de  1  à  158;  le 
Pénitencier  prit  le  n°  i . 

(')  Rapport  du  gàiéral  Ortcga  (Zacatecas,  1863). 


LE    GÉNÉRAL   FOREY.  263 

grande  résistance  les  îlots  8,  7,  6,  o,  3,  et  25,  situés  en  de-         '^3- 
hors  de  leur  nouvelle  enceinte  et  qu'il  leur  importait  peu 
de  conserver  ;  mais,  dans  la  nuit  du  2  au  3  avril,  on  fut 
arrêté  par  le  cadre  n°  26,  où  se  trouvait  une  caserne. 

Après  avoir  traversé  la  rue  sous  une  violente  fusillade,  la 
colonne  d'attaque,  formée  d'un  détachement  du  3*^  zouaves, 
envahit  le  bâtiment  et  déboucha  dans  une  chambre  obs- 
cure, n'ayant  d'autre  issue  qu'un  porche  étroit  par  lequel 
il  fallut  défdei'  un  par  un  devant  deux  obusiers.  Trente 
hommes,  le  capitaine  Lalanne  en  tête,  s'engagèrent  dans 
ce  passage  ;  ils  arrivèrent  au  milieu  d'une  cour  entourée  de 
murs  crénelés,  où  ils  trouvèrent  tous  les  escaliers  détruits 
et  toutes  les  issues  barricadées.  Accablés  par  une  grêle  de 
mitraille,  de  mousqueterie  et  de  grenades,  ils  furent  forcés 
de  battre  en  retraite  et  revinrent  tous  blessés. 

Au  même  moment,  le  commandant  de  Longueville  s'était 
élancé  du  cadre  n*^  7  sur  le  cadre  n"  27  avec  deux  compa- 
gnies du  51^  et  une  section  du  génie  ;  après  avoir  pénétré 
dans  la  première  maison,  il  s'était  heurté  contre  un  mur  pa- 
rallèle à  la  façade  et  percé  de  deux  rangées  de  meurtrières. 
Le  capitaine  Melot  parvint  cependant  à  se  maintenir  dans 
une  chambre  ;  on  s'efforça  de  le  soutenir  en  établissant  une 
sape  à  travers  la  rue  ;  la  mousqueterie  des  terrasses  et  la 
mitraille  d'une  barricade  voisine  empêchèrent  ce  travail. 

Le  général  de  Bertier  tenta  vainement  de  faire  tourner 
cette  barricade  par  deux  compagnies  du  l^""  zouaves  ;  ac- 
cueilhes  par  un  feu  terrible,  elles  furent  obhgées  de  rétro- 
grader. L'ordre  fut  alors  donné  d'évacuer  cette  position 
intenable,  mais  il  fallait  passer  de  nouveau  à  découvert  sous 
les  décharges  de  mitraille  qui  balayaient  la  rue.  Tous  les 
blessés  furent  cependant  emportés  à  dos  d'homme  au  pus 
de  course  ;  au  point  du  jour  la  compagnie  de  grenadiers  du 


264  l"   PARTIE.  —  CHAPITRE    VI. 

18G3.        capitaine  Melot  quitta  cette  maison,  où  elle  avait  donné  un 
si  bel  exemple  de  courage  et  de  fermeté. 

Le  4  avril,  on  renouvela  l'attaque  du  cadre  n*^  26  ;  trois 
colonnes  formées  par  des  compagnies  du  l^'"  et  du  18®  ba- 
taillon de  chasseurs  à  pied,  se  précipitèrent  avec  la  plus 
grande  intrépidité  ;  après  avoir  franchi  les  brèches ,  les 
chasseurs   arrivèrent   encore    dans    des   chambres   dont 
toutes  les  issues  étaient  solidement  fermées,  les  murs  garnis 
de  trois  rangs  de  créneaux  et  les  voûtes  percées  de  mâchi- 
coulis. Devant  ces  obstacles  insurmontables,  ils  durent  se 
.  replier.  On  abandonna  l'attaque  de  la  caserne  et  l'on  essaya 
de  se  rendre  maître  du  cadre  n°  34  ;  un  pétard  attaché  à 
une  porte  cochère  n'ayant  produit  aucun  effet,  on  com- 
mença une  gabionnade  double  afin  de  traverser  la  rue; 
mais  cette  opération  attira  un  feu  tellement  vif  que  tous  les 
gabions  furent  enlevés  par  les  boulets  et  tous  les  sapeurs 
blessés.  Il  fallut  y  renoncer.  On  boucha  les  ouvertures  pré- 
parées dans  le  cadre  n*^  25  (église  San  Marcos)  pour  la  sortie 
des  colonnes  d'assaut,  et  l'artillerie  se  contenta  de  tirer  sur 
San  Agustin  dans  le  but  d'empêcher  l'ennemi  d'éteindre  un 
incendie  qui  s'y  déclarait. 

Le  général  en  chef  se  rendit  dans  le  cadre  de  San  Marcos 
pour  apprécier  les  obstacles  contre  lesquels  étaient  venus 
échouer  les  efforts  des  troupes.  Il  vit  de  tous  côtés  des  bar- 
ricades étagées  pourvues  d'artillerie,  des  murs  crénelés,  des 
terrasses  garnies  de  sacs  à  terre,  les  dômes  et  les  clochers  des 
éghses  couverts  de  tirailleurs  parfaitement  abrités.  Il  put 
se  convaincre  des  difficultés  des  attaques  de  vive  force 
dans  lesquelles  on  perdait  les  plus  braves  soldats,  car 
c'étaient  toujours  eux  qui  tenaient  la  tête  des  colonnes  et 
tombaient  les  premiers.  Il  ordonna  de  commencer  des  ga- 
leries de  mine.  A  la  nuit,  une  tranchée  souterraine  fut 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  265 

creusée  dans  la  direction  du  cadre  n°  34;  on  trouva  le       ^8^•^• 
roc,  et  ce  travail  ne  put  être  continué. 

Le  5  avril,  des  pièces  de  12  furent  amenées  dans  le  cadre 
de  San  Marcos  pour  ouvrir  des  brèches  que  les  canons  de 
montagne  n'arrivaient  pas  à  pratiquer  dans  de  bonnes 
conditions  ;  le  lendemain,  six  compagnies  du  l^'"  zouaves 
attaquèrent  de  nouveau  le  cadre  n°  34.  A  5  heures  du  soir, 
une  avant-garde  de  trente  hommes,  conduite  par  le  lieu- 
tenant Galland  et  un  détachement  du  génie  pénétrèrent 
vivement  par  la  brèche  ;  une  section  les  suivit  avec  le  même 
entrain  ;  un  feu  épouvantable  de  mitraille  et  de  nîousque- 
terie  remplit  aussitôt  la  rue  ;  plusieurs  hommes  furent  tués, 
et  les  blessés,  se  rejetant  en  arrière,  paralysèrent  l'élan 
de  la  colonne.  Le  commandant  Garteret-Trécourt,  sai- 
sissant un  zouave  par  le  bras,  l'entraîne  avec  lui  au  milieu 
de  l'espace  qui  sépare  les  deux  cadres  et  que  la  mitraille 
balaie  incessamment  ;  le  capitaine  Michelon,  le  lieutenant 
Avêque  s'élancent  sur  ses  pas ,  espérant  enlever  leur 
compagnie.  Efforts  inutiles  !  le  capitaine  Michelon  est 
tué,  les  deux  autres  officiers  sont  blessés;  le  feu  de  l'en- 
nemi se  concentre  sur  les  ouvertures  de  San  Marcos  ;  il 
empêche  la  colonne  de  déboucher  et  force  à  renoncer  à 
l'attaque. 

Le  lieutenant  Galland  organisa  la  défense  des  chambres 
qu'il  avait  occupées  ;  tout  moyen  de  retraite  lui  fut  bientôt 
fermé  ;  à  9  heures  du  soir  l'ennemi  lui  proposa  de  se  rendre, 
il  refusa  ;  ses  hommes  n'ayant  pas  de  vivres,  sentant  l'im- 
possibilité de  résister,  le  quittèrent  successivement  ;  il  ne 
resta  avec  lui  que  deux  sous-ofFiciers,  deux  caporaux  et  un 
zouave.  Dans  ces  conditions  il  se  rendit  à  son  tour  après 
avoir  obtenu  pour  lui  et  ceux  qui  ne  l'avaient  pas  aban- 
donné ,  l'honneur  de  conserver   leurs  armes  ;  trente-six 


266  l""^  PARTIE.  CHAPITRE    VI. 

4863.        hommes  furent  ainsi  faits  prisonniers.  Cette  attaque  infruc- 
~"  tueuse  coûta  en  outre  :  un  officier  tué,  deux  blessés,  huit 

hommes  tués  et  dix-huit  blessés. 
Conseil  ^es  échccs  subis  dans  la  nuit  du  2  au  3  avril,  dans  celles 

%  avrils  du  ^  ^u  ^>  ^^  ^^  ^  ^u  '^>  n'avaient  pas  encore  épuisé  l'é- 
nergie des  troupes;  cependant  il  était  impossible  de  mécon- 
naître qu'elles  avaient  produit  une  impression  fâcheuse  sur 
leur  moral.  Les  circonstances  paraissaient  graves;  le  gé- 
néral en  chef  réunit  en  conseil  de  guerre  les  généraux  de 
division  et  les  chefs  de  service  0),  afin  de  recueillir  leurs 
avis  sur  la  direction  à  imprimer  aux  opérations  ultérieures. 
On  discuta  dans  ce  conseil  : 

1°  S'il  fallait,  en  présence  delà  supériorité  de  l'artillerie 
ennemie,  suspendre  les  attaques  et  attendre  l'arrivée  de 
canons  de  gros  calibre,  que  l'on  ferait  demander  à  l'ami- 
ral commandant  l'escadre  du  golfe  ; 

'2^  S'il  fallait  suspendre  le  siège,  maintenir  seulement 
l'investissement  de  Puebla  et  marcher  sur  Mexico  ; 

3°  S'il  fallait  même  abandonner  l'investissement  et  se 
porter  sur  Mexico  avec  toute  l'armée. 

Ces  deux  derniers  partis  devaient  avoir  le  grave 
inconvénient  d'augmenter  l'exaltation  des  adversaires  de 
l'intervention  et  le  découragement  de  ses  partisans.  Le 
général  en  chef  les  rejeta  et  se  résolut  à  poursuivre  le  siège. 

On  eut  la  pensée  de  diriger  contre  les  forts  de  Totime- 
huacan  et  de  Carmen  une  attaque  analogue  à  celle  qui  avait 
fait  tomber  San  Javier  ;  c'eût  été  d'autant  plus  opportun 
qu'en  abordant  la  ville  de  ce  côté  on  prenait  les  cadres 
dans  le  sens  de  leur  plus  petite  épaisseur  et  que  les  diffi- 
cultés eussent  ainsi  beaucoup  diminué  ;  mais  le  comman- 

<*)  Le  général  eu  chef  au  ministre,  19  avril. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  267 

dant  de  l'artillerie  fit  craindre  que  l'approvisionnement  ^^^es. 
en  munitions  fût  insuffisant  pour  cette  double  attaque.  Il 
fallut  se  résigner  à  continuer  ces  cheminements  si  lents  et 
si  meurtriers  vers  le  cœur  de  la  ville.  On  n'avait  plus 
que  six  cents  kilogrammes  de  poudre  de  mine,  et  l'on  ne 
pouvait  même  songer  à  faire  une  guerre  souterraine  (^). 
Un  temps  d'arrêt  allait  être  forcément  imposé  aux  opé- 
rations du  siège  en  attendant  l'arrivée  de  nouveaux  convois 
de  munitions. 

Dans  cette  première  période  les  pertes  avaient  été  de  : 
Un  officier  général  tué,  cinq  officiers  tués,  deux  officiers 
morts  de  leurs  blessures,  39  officiers  blessés,  36  soldats 
tués,  443  soldats  blessés  dont  230  étaient  encore  à  l'am- 
bulance (^). 

L'artillerie  de  la  place  avait  tiré  environ  23,000  coups 
de  canon,  et  lancé  un  millier  de  bombes  O. 

Pendant  cette  interruption  des  travaux  du  siège,  les  ^Çombat^ 
troupes  s'occupèrent  d'améliorer  les  ouvrages  de  la  ligne  (U  avril). 
d'investissement  ;  elles  furent  aussi  employées  à  quelques 
opérations  extérieures  ayant  pour  objet  le  ravitaillement  de 
l'arm-ée.  Le  corps  d'armée  du  général  Gomonfort  ne  cher- 
chait que  mollement  à  s'opposer  à  ces  opérations  ;  cepen- 
dant un  détachement  franco-mexicain  de  quinze  cents 
hommes(^)s'étant  avancé  jusqu'àAtlixco,  de  fortes  colonnes 
ennemies  l'attaquèrent  le  14  avril.  Dès  qu'il  se  vit  menacé, 
le  colonel  Brincourt,  qui  commandait  cette  petite  expédi- 
tion, prit  l'offensive  de  manière  à  battre  successivement, 


(')  Le  général  Forey  au  ministre,  12  avril. 
(»)  Rapport  du  général  Ortega. 

(3)  500  zouaves,  500  fantassins  mexicains,  260  chasseurs  d'Afrique  et  200 
cavaliers  mexicains. 


268  l"  PARTIE.  CHAPITRE  VI. 

<863.  avant  qu'elles  eussent  opéré  leur  jonction,  deux  colonnes 
ennemies  qui  s'avançaient  sur  deux  directions  différentes. 
Huit  escadrons  mexicains,  aux  ordres  de  Garbajal,  se 
montraient  du  côté  d'Axocopan,  tandis  que  des  colonnes 
d'infanterie  et  de  cavalerie  commandées  par  Etchegaray, 
chef  d'état-major  de  Comonfort,  descendaient  dans  la  val- 
lée parle  chemin  de  San  Juan  Tianguismanalco.  Deux  es- 
cadrons de  chasseurs  se  portèrent  rapidement  à  la  rencontre 
de  Garbajal.  Couverts  par  les  cavaliers  mexicains  alliés 
déployés  en  tirailleurs,  ils  défilèrent  par  un  chemin  creux, 
se  formèrent  en  échelons,  et  vigoureusement  enlevés  par 
le  commandant  de  Tucé,  ils  chargèrent  à  fond  sur  le  flanc 
droit  de  la  cavalerie  ennemie  qui,  surprise  par  cette  attaque 
imprévue,  se  vit  forcée  de  faire  un  changement  de  front 
en  arrière.  Chargé  de  nouveau  pendant  sa  manœuvre, 
l'ennemi  fut  complètement  culbuté  ;  il  se  rallia  cepen- 
dant derrière  une  barranca,  sous  la  protection  de  deux 
bataillons  d'infanterie  accourus  à  son  secours.  Une  troi- 
sième charge  acheva  sa  déroute  et  les  fuyards,  battus 
d'autre  part  par  le  feu  de  l'artillerie  et  de  l'infanterie  fran- 
çaises, tombèrent  encore  sous  le  sabre  des  chasseurs.  La 
colonne  du  général  Etchegaray  commençait  alors  à  débou- 
cher dans  la  vallée  ;  mais  vivement  attaquée  avant  d'avoir 
pu  prendre  une  formation,  elle  se  repha  presque  aussitôt 
sans  tenter  le  moindre  retour  offensif.  L'honneur  de  la 
journée  revint  à  lacavalerie  française,  qui  ne  montra  jamais 
plus  d'entrain  et  de  vigueur.  Environ  deux  cents  Mexicains 
étaient  couchés  sur  le  champ  de  bataille,  et  parmi  les  morts 
se  trouvait  le  général  Porfirio  Garcia.  Ce  succès  ne  coûta 
cependant  que  trois  chasseurs  tués,  deux  officiers  et  sept 
chasseurs  blessés.  La  cavalerie  mexicaine  alliée,  qui  se  com- 
porta bravement  à  côté  de  la  cavalerie  française,  eut  dix- 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  269 

sept  tués  et  trente-deux  blessés.  Le  colonel  Brincourt  put 
achever  avec  toute  sécurité  le  rassemblement  des  denrées; 
sa  mission  terminée,  il  rentra  au  camp  devant  Puebla, 

le  20  avril. 

Le  corps  de  siège  n'eut  qu'un  court  répit  à  ses  fatigues. 
Sans  modifier  toutefois  le  système  général  des  attaques, 
le  général  en  chef  avait  décidé  que  des  travaux  d'approche 
seraient  commencés  vis-à-vis  des  forts  de  Carmen  et  de 
Totimehuacan  ;  il  en  confia  la  direction  au  général  Bazaine. 
Le  général  Douay,  avec  trois  bataillons,  fut  spécialement 
chargé  de  faire  continuer  les  cheminements  dans  l'intérieur 
de  la  ville ,  en  avant  du  fort  San  Javier  ;  il  établit  son  quar- 
tier général  dans  les  bâtiments  mêmes  du  pénitencier. 

De  son  côté,  l'ennemi  n'était  pas  inactif;  il  perfection- 
nait chaque  jour  ses  lignes  de  défense,  et  dans  la  nuit  du 
13  avril,  il  parvint  à  faire  sortir  de  la  place,  par  le  chemin 
déjà  suivi  par  les  quinze  cents  cavaliers  de  Carbajal,  un 
corps  de  cavalerie  de  même  force  sous  les  ordres  du  général 
O'Horan.  Les  postes  delà  ligne  d'investissement  reçurent 
l'éveil  trop  tard  pour  s'opposer  à  son  passage. 

Dans  la  nuit  du  17  avril,  une  partie  de  cette  cavalerie  es- 
saya de  jeter  un  convoi  dans  la  place  en  combinant  son 
mouvement  avec  une  sortie  de  la  garnison  ;  cette  tentative 
échoua  et  le  convoi  fut  enlevé. 

L'ennemi  ne  s'était  pas  mépris  sur  l'importance  des 
travaux  que  le  général  Bazaine  faisait  exécuter  devant  le  fort 
de  Carmen.  En  effet,  un  solide  ouvrage  de  campagne  avait 
été  construit  près  de  l'église  de  San  Baltazar,  et  une  batterie 
placée  sur  une  hauteur  voisine  enfilait  une  des  principales 
rues  de  Puebla.  Dès  le  15  avril,  une  forte  colonne  de  1,500 
hommes  d'infanterie  et  de  700  cavaliers  appuyée  par  huit 
pièces  de  canon,  sortit  de  la  ville  et  attaqua  avec  une  grande 


-1863. 


270  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE   VI. 

1863.        vigueur  les  positions  françaises ,  elle  fut  cependant  forcée 
"~         de  rétrograder,  et  les  tentatives  de  même  nature,  renouve- 
lées les  jours  suivants,  furent  également  impuissantes  à 
arrêter  les  progrès  des  attaques. 

Les  cheminements  dans  les  cadres  se  poursuivaient 
d'autre  part  avec  les  lenteurs,  les  difficultés,  les  dangers 
de  ce  genre  de  guerre.  Le  cadre  n^  4  avait  été  enlevé  le 
16  avril;  le  49,  après  une  attaque  meurtrière  qui  coûta 
dix  hommes  tués  et  quarante-cinq  blessés,  on  s'était  emparé 
du  cadre  n"  29.  L'ennemi  perdit  cent  cinquante  hommes 
tués,  deux  cent  cinquante  prisonniers,  deux  mortiers  et 
une  pièce  de  montagne.  Il  abandonna  ensuite  et  détruisit 
en  grande  partie  les  cadres  n"'  30,  26,  27  et  28,  afin 
d'agrandir  le  champ  de  tir  du  couvent  San  Agustin.  Bien 
que  l'on  avançât  péniblement,  on  faisait  cependant  quelques 
progrès,  et  le  général  en  chef  espérait  prendre  à  revers  le 
fort  de  Carmen,  pendant  que  le  général  Bazaine  l'attaquait 
par  la  plaine. 
Attaque  C'^st  vers  cc  but  que  tendaient  ses  efforts,  lorsqu'il  or- 

''sant'a  ïits'^  donna  de  préparer  l'attaque  du  couvent  Santa  Inès  (cadre 
(25  avril)  (i).  j-^o  52)  et  l'uu  dcs  points  les  plus  forts  de  la  nouvelle  ligne 
de  défense  de  l'ennemi.  Cette  ligne  se  trouvait  alors  tracée 
parles  cadres  n°^  34,  33,  32,  51,  52  et  53.  Le  cadre  n^  32 
était  ce  grand  édifice  de  San  Agustin,  dont  les  feux  croisés 
avec  ceux  de  Santa  Inès  avaient  été  jusqu'alors  si  gênants. 
L'artillerie  construisit  des  batteries  de  brèche  dans 
le  cadre  n°  30,  situé  en  face  de  Santa  Inès;  le  génie 
établit  des  fourneaux  de  mine.  L'attaque  commença  le 
25  avril  au  malin.  L'explosion  des  mines  renversa  une 
partie  du  mur  d'enceinte  et  des  constructions  extérieures 

(<)  Voir  le  plan  du  sii'go  de  Puebin. 


LE    GÉNÉRAL  FOREY.  271 

du  couvent;  les  batteries  en  achevèrent  la  destruction,  -1863. 
mais  on  put  alors  se  rendre  compte  des  difficultés  inouïes 
que  présentait  l'attaque.  En  arrière  du  mur  renversé 
régnait  une  forte  grille  en  fer;  que  les  boulets  ne  pou- 
vaient abattre  ;  quatre  retranchements  successivement  éta- 
ges, dont  les  deux  derniers  avec  des  escarpes  en  pierre, 
avaient  été  formés  au  moyen  des  décombres  des  construc- 
tions voisines.  Les  abords  étaient  garnis  d'abatis  et  de 
filets  en  corde  de  cuir,  rehés  entre  eux  par  des  piquets  ; 
derrière  le  dernier  parapet  s'élevaient  les  bâtiments  du 
couvent  de  Santa  Inès,  avec  leurs  murs  percés  de  créneaux, 
des  tireurs  à  toutes  les  fenêtres  et  sur  les  terrasses.  Une 
aile  de  ce  bâtiment,  sur  laquelle  était  placée  une  pièce  d'ar- 
tillerie, flanquait  les  retranchements.  A  six  heures  et  demie 
les  canons  de  la  batterie  de  brèche  entrent  en  action,  cher- 
chant à  bouleverser  les  retranchements,  à  briser  la  grille, 
à  détruire  les  maçonneries.  Le  feu  dure  ainsi  pendant  trois 
heures,  quoique  les  servants  des  pièces  aient  beaucoup  à 
souffrir  de  la  proximité  des  tirailleurs  ennemis.  A  neuf 
heures  et  demie,  le  général  de  Gastagny  reçoit  l'ordre  de 
tenter  l'assaut. 

Le  signal  est  donné  ;  les  huit  pièces  de  la  batterie  de 
brèche  font  une  salve  à  mitraille  et  les  colonnes  s'élancent. 
Celle  de  droite,  composée  de  quatre  compagnies  du  3*  ba- 
taillon du  i^^  zouaves,  est  commandée  par  le  chef  de  batail- 
lon Melot  ;  celle  de  gauche,  composée  des  quatre  autres 
compagnies  du  même  bataillon,  est  conduite  par  le  capitaine 
Devaux.  L'ennemi  avait  ralenti  son  feu  ;  mais  à  peine  les 
colonnes  commencent-elles  à  déboucher,  que  les  murs,  les 
fenêtres,  les  terrasses  se  couvrent  de  tirailleurs.  Plus  de 
2,000  Mexicains  concentrent  leur  tir  sur  l'espace  étroit  où 
se  pressent  les  assaillants  et  dont  lo  parcours  est  rendu  très- 


272  1"  PARTIE. CHAPITRE    VI. 

<863.  difficile  par  les  décombres  des  murs  renversés  et  par  les 
obstacles  qui  s'y  trouvent  accumulés.  Les  zouaves  s'avan- 
cent sous  une  grêle  de  balles  ;  la  colonne  de  droite  atteint 
la  grille,  celle  de  gauche  la  dépasse  et  arrive  jusqu'aux 
constructions  du  couvent  ;  en  ce  moment,  le  feu  de  l'enne- 
mi redouble.  Les  colonnes  s'arrêtent  écrasées;  l'attaque  ne 
peut  être  continuée  sans  de  grands  et  inutiles  sacrifices  ; 
l'ordre  est  donné  de  battre  en  retraite,  mais  bien  peu  de 
ces  braves  soldats  rentrent  dans  les  lignes.  Ce  terrible 
assaut  avait  coûté  dans  la  colonne  de  gauche,  sur  dix 
officiers,  neuf  tués  ou  disparus  ;  dans  celle  de  droite,  un 
officier  tué,  deux  disparus,  cinq  blessés  ;  27  hommes  étaient 
tués,  127  blessés,  176  avaient  disparu.  On  sut  plus  tard 
que  sur  ce  chiffre  130  hommes  dont  sept  officiers  étaient 
prisonniers.  L'ennemi  admira  leur  courage  et  les  traita  avec 
égards.  Ces  hommes  avaient  combattu  «  comme  des  lions  », 
dit  le  rapport  du  général  Ortega. 
On  change  A  la  suitc  de  cc  nouvcl  échec,  le  général  en  chef  convo- 

le  sYstèinô  des 

attaques.  qua  dc  uouvcau  les  généraux  de  division  et  les  comman- 
dants de  l'artillerie  et  du  génie  ;  c'était  la  quatrième  fois 
que  dans  cette  guerre  de  rues  les  troupes  venaient  se 
heurter  contre  des  obstacles  insurmontables  ;  chaque  fois 
leur  insuccès  avait  été  payé  du  sang  de  leurs  meilleurs  sol- 
dats. On  se  décida  enfin  à  abandonner  le  système  de  chemi- 
nements suivi  jusqu'alors.  Comme  de  nouvelles  bouches  à 
feu  et  d'importants  approvisionnements  de  poudre  devaient 
arriver  prochainement,  le  général  en  chef  reprit  le  projet 
d'attaque  contre  les  forts  de  Carmen  et  de  ïotimehuacan. 
En  attendant,  il  se  contenta  de  prescrire  la  mise  en  état  de 
défense  des  maisons  occupées  dans  l'intérieur  de  la  ville  et 
quelques  travaux  de  sape  destinés  à  resserrer  l'investisse- 
ment. Enhardi  par  lo  succès  de  sa  résistance,  l'ennemi 


LE    GÉNÉRAL   FOREY.  273 

parut  vouloir  intervertir  les  rôles  et  assiéger  les  cadres         ^s^'. 
occupés  par  les  troupes  françaises.  Il  ouvrit  en  effet  des  brè- 
ches dans  les  îlots  n°'  30  et 31,  et  vint  y  donner  l'assaut; 
mais  il  échoua  et  renonça  pour  l'avenir  à  de  semblables 
tentatives. 

Le  général  Forey  fit  compléter  les  travaux  d'investis- 
sement. Ne  pouvant  enlever  la  place  de  vive  force,  il  voulut 
au  moins  y  enfermer  la  garnison  et  lui  interdire  d'une 
façon  absolue  toute  communication  avec  l'armée  de  secours 
qui  cherchait  à  la  ravitailler.  Les  événements  qui  suivi- 
rent montrèrent  l'opportunité  de  ces  dispositions. 

Le  4  mai,  on  apprit  en  effet  que  le  président  Juarez  s'é-       Combat 

^  ^  1,  '^<=  San  Pablodd 

tait  rendu  au  camp  de  Comonfort,  et  Ion  sut  vaguement  Monte  (5  mai). 
qu'un  effort  sérieux  allait  être  fait  pour  introduire  un  grand 
convoi  dans  Puebla.  Le  o  mai,  l'approche  des  forces  enne- 
mies fut  signalée  sur  toute  la  ligne  d'investissement  du 
nord  ,  depuis  San  Domingo  jusqu'à  la  Resurreccion.  Ln 
millier  de  cavaliers  appuyés  par  de  l'infanterie  et  de  l'artil- 
lerie, s'étant  montrés  près  de  San  Pablo  del  Monte,  le 
général  L'Héritier  dirigea  contre  eux  un  escadron  de  chas- 
seurs d'Afrique  ;  vaillamment  conduits  par  le  commandant 
de  Foucaud,  les  chasseurs  forcèrent  l'ennemi  à  se  replier 
vers  Thacienda  d'Acupilco.  Le  commandant  de  Foucaud 
fut  tué  d'un  coup  de  lance  en  tête  de  la  charge  ;  mais  le 
capitaine  de  Montarby  rallia  son  escadron  et  le  ramena 
plusieurs  fois  encore  sur  la  cavalerie  mexicaine.  L'arrivée 
de  quelques  compagnies  du  99'  et  d'une  section  d'artillerie 
de  montagne  décida  l'ennemi  à  ne  pas  engager  son  infan- 
terie et  son  artillerie.  Chacun  reprit  ses  positions.  Les  Mexi- 
cains perdirent  vingt  morts,  vingt  prisonniers,  un  drapeau  ; 
les  troupes  françaises,  un  officier  et  trois  hommes  tués,  deux 
officiers  et  dix  hommes  blessés. 

18 


274  f   PARTIE.  CHAPITRE  VI. 

4863.  Pendant  ce  combat,  de  fortes  colonnes  sorties  de  la  place 

""  attaquèrent  sans  résultat  le  poste  de  San  José  et  celui  de 

Dolores. 

Le  combat  de  San  Pablo  del  Monte  prouva  au  général 
Comonfort  que  les  troupes  françaises  se  tenaient  sur  leurs 
gardes  ;  renonçant  alors  au  projet  de  faire  passer  son  convoi 
dans  cette  direction,  il  voulut  essayer  de  lui  faire  suivre  les 
bords  du  Rio  Aloyac,  entre  les  hauteurs  de  San  Lorenzo 
et  le  cerro  de  la  Gruz,  qui  est  à  une  lieue  du  fort  Santa 
Anita  ;  il  pensait  que  s'il  réussissait  à  chasser  du  cerro  de 
la  Gruz  les  petits  postes  qui  s'y  trouvaient,  son  artillerie 
pourrait  croiser  ses  feux  avec  ceux  de  la  place,  ouvrir  mo- 
mentanément une  communication  et  protéger  le  passage 
des  voitures.  Il  commença  donc  par  prendre  position,  sa 
droite  au  cerro  San  Lorenzo,  son  centre  à  l'hacienda  de 
Pensacola,  sa  gauche  sur  les  cerros  Tenexaque. 

Le  6  mai,  il  reprit  l'offensive  ;  ses  troupes  poussèrent 
devant  elles  les  postes  du  général  Marquez  chargés  de 
garder  le  passage  de  l'Atoyac  et  les  hauteurs  de  la  Gruz; 
mais  l'arrivée  d'une  colonne  française  rétablit  bientôt  le 
combat  et  força  l'ennemi  à  rétrograder.  Cependant  le  gé- 
néral Gomonfort  ne  sembla  pas  découragé  par  l'insuccès  de 
ses  tentatives  du  5  et  du  6  mai  ;  on  le  vit  concentrer  ses 
forces  près  du  village  de  San  Lorenzo,  et  y  faire  exécuter 
des  travaux  de  fortification. 


Combat  Le  général  Forey  résolut  de  le  déloger  de  ces  posi- 

^ («"niai"''!  "°    tions.  Dans  la  nuit  du  7  au  8  mai,  à  une  heure  du  matin, 

le  général  Bazaine  partit  du  pont  de  Mexico  avec  quatre 


O  Journaux  di'  marche.  —  Kapport  ilu  géiiùml  Coinonfoit.  — ■  Voir  le  plan 
n"  3, 


LE    GÉNÉRAL   FOREY.  27o 

bataillons^),  trois  escadrons  français,  un  escadron  mexicain,  ^863. 
la  batterie  de  la  garde,  la  section  d'artillerie  de  montagne 
des  marins  et  un  détachement  du  génie.  Il  suivit  la  route 
de  Mexico,  et  après  avoir  dépassé  le  village  de  Cuautlancin- 
go,  il  prit  à  travers  champs  de  manière  à  éviter  les  postes 
ennemis.  Cette  opération  délicate  s'accomplissait  heureuse- 
ment, et  la  colonne,  observant  le  plus  grand  silence,  s'appro- 
chait de  San  Lorenzo,  lorsqu'une  grand'garde  ennemie, 
placée  à  gauche  de  la  direction  suivie,  éventa  son  mouve- 
ment. Le  général  Bazaine  se  trouvait  en  tète  de  colonne  ; 
il  réussit  à  tromper  les  vedettes  en  faisant  répondre  à  leur  : 
«  qui  vive!  »  par  les  cavaliers  mexicains;  il  continua  de 
gagner  du  terrain  ;  une  barranca  arrêta  sa  marche,  mais 
les  sapeurs  du  génie  pratiquèrent  en  peu  de  temps  des 
rampes  qui  permirent  à  l'artillerie  de  la  traverser.  A  quatre 
heures  et  demie  du  matin  les  éclaireurs  furent  de  nouveau 
arrêtés  par  un  avant-poste  ennemi.  Le  jour  commençait 
à  poindre  ;  comme  il  devenait  impossible  de  dissimuler 
plus  longtemps  l'opération,  le  général  Bazaine  prescrivit 
d'enlever  ce  poste,  ce  qui  fut  vivement  exécuté.  En  même 
temps  il  fit  presser  la  marche,  car  les  hauteurs  de  San 
Lorenzo  s'apercevaient  à  environ  deux  kilomètres;  il  cou- 
vrit son  front  par  une  ligne  de  tirailleurs. 

A  cinq  heures,  les  dernières  troupes  ayant  franchi  la 
barranca,  le  général  Bazaine  déploya  sa  colonne  par  ba- 
taillons, la  section  d'artillerie  de  montagne  à  l'aile  droite, 
la  batterie  de  la  garde  entre  les*  deux  premiers  bataillons, 
la  cavalerie  en  colonne  par  escadron  à  l'aile  gauche.  On 
continua  d'avancer  dans  cet  ordre  de  bataille. 

Le  jour  parut  et  l'on  put  alors  se  rendre  compte  de  l'en- 

n)  Un  bataillon  du  3«  zouaves,  du  31'=  et  du  81«  de  ligne,  et  le  bataillon  de 
tirailleurs  algériens. 


276  l"   PARTIE.   CHAPITRE   VI. 

4863.  semble  de  la  position.  San  Lorenzo  est  situé  sur  une  col- 
line dont  les  pentes,  du  côté  de  l'est,  rocheuses,  assez  roides 
et  sillonnées  de  ravines,  vont  tomber  brusquement  sur  la 
rive  droite  de  l'Atoyac  ;  à  l'ouest,  les  pentes  ondulées  se 
prolongent  au  loin  et  sont  en  partie  couvertes  de  cactus,  de 
bouquets  d'arbres  et  de  cases  indiennes.  Au  sud,  du  côté 
par  lequel  arrivaient  les  troupes  françaises,  le  relief  est 
peu  sensible.  Une  ligne  continue  d'ëpaulements,  à  peu  près 
terminés  et  garnis  d'artillerie,  formait  une  sorte  de  grande 
redoute  ouverte  à  la  gorge,  dont  l'église  de  San  Lorenzo 
était  le  réduit.  A  1,200  mètres,  l'artillerie  ennemie  com- 
mença le  feu  ;  la  batterie  de  la  garde  se  porta  rapide- 
ment en  avant  et  répondit  de  manière  à  protéger  les  der- 
nières dispositions  d'attaque.  A  800  mètres,  le  général 
Bazaine  forma  sa  ligne  en  échelons  par  bataillon,  l'aile 
gauche  en  avant ,  afm  de  déborder  l'ennemi  et  de  lui 
couper  la  retraite,  s'il  était  possible  ;  il  prescrivit  à  la  ca- 
valerie de  prolonger  ce  mouvement  tournant  en  suivant  le 
pied  des  hauteurs  et  de  rejeter  sur  l'Atoyac  tout  ce  qu'elle 
rencontrerait.  Ces  ordres  donnés,  il  fit  battre  la  charge; 
les  cris  enthousiastes  des  soldats  y  répondirent  et  les 
troupes  s'élancèrent  en  bon  ordre  sur  San  Lorenzo,  l'arme 
sur  l'épaule,  malgré  un  feu  violent  de  mitraille  et  de  mous- 
queterie.  La  défense  fut  opiniâtre  dans  le  village,  où  se  trou- 
vaient 6  à  7,000  hommes  et  huit  pièces  d'artillerie.  Elle 
fut  plus  énergique  encore  dans  le  réduit  occupé  par  un 
bataillon  de  Zapadores,  mais  la  vigueur  de  l'attaque  triom- 
pha de  toutes  les  résistances. 

Averti  à  cinq  heures  du  matin  seulement  de  la  marche 
du  général  Bazaine,  le  général  Gomonfort  avait  aussitôt 
renforcé  la  division  qui  défendait  San  Lorenzo,  ordonné 
quelques  dispositions  défensives  et  prescrit  de  faire  éloigner 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  277 

rapidement  le  convoi  de  ravitaillement  ;  il  s'était  ensuite 
porté  au  village  de  San  Lorenzo  ;  mais  déjà  ses  soldats,  chas- 
sés de  leurs  positions,  s'enfuyaient  vers  le  gué  dePensacola, 
et  lui-même  fut  entraîné  par  les  fuyards.  Pendant  ce  temps 
une  partie  de  la  cavalerie  française  poursuivait  sept  à 
huit  cents  cavaliers  mexicains,  tandis  que  l'autre  fraction 
se  rabattait  vers  l'Atoyac  en  sabrant  ceux  qui,  descendant 
de  San  Lorenzo,  cherchaient  à  gagner  les  gués.  La  1'*^  divi- 
sion de  l'armée  de  Gomonfort  et  la  plus  grande  partie 
de  la  2^  division  furent  détruites  ;  la  3*^  division  et  la  cava- 
lerie du  général  O'Horan,  qui  se  trouvaient  sur  la  rive 
gauche  du  Rio,  ne  prirent  pas  part  au  combat  et  se  reti- 
rèrent par  la  route  de  Tlaxcala. 

Le  général  Marquez  était  en  position  sur  le  cerro  de  la 
Gruz  ;  dès  qu'il  vit  l'ennemi  lâcher  pied,  il  descendit  dans 
la  plaine  avec  deux  bataillons  et  deux  escadrons  et  poursui- 
vit son  arrière-garde  jusqu''à  Santa  Inès  Zacatelco.  A  neuf 
heures  et  demie  du  matin,  les  débris  de  l'armée  mexicaine 
disparaissaient  dans  la  direction  de  Tlaxcala.  Le  géné- 
ral Gomonfort  ne  s'y  arrêta  pas  et  vint  le  soir  même 
prendre  position  à  San  Martin  Texmelucan,  afin  de  rallier 
une  division  qui,  sous  les  ordres  du  général  la  Garza,  cou- 
vrait la  route  de  Mexico. 

Les  résultats  du  combat  de  San  Lorenzo  furent  considé- 
rables :  trois  drapeaux,  onze  fanions,  huit  pièces  de  canon, 
la  plus  grande  partie  du  convoi,  environ  mille  prisonniers, 
dont  soixante-douze  officiers,  restèrent  entre  les  mains  du 
général  Bazaine.  On  évalua  les  pertes  de  l'ennemi  à  huit 
cents  tués  ou  blessés.  Grâce  à  leur  élan,  celles  des  troupes 
françaises  furent  minimes  :  un  officier  et  dix  hommes 
,tués,  neuf  officiers  et  quatre-vingts  hommes  blessés;  les 
troupes  alliées  eurent  cinq  hommes  tués  et  dix-huit  blessés. 


1863. 


-1863. 


278 


1'"  PARTIE.  —  CHAPITRE  VI. 


Le  général  Bazaine,  après  avoir  rallié  ses  troupes,  passa 
la  nuit  sur  les  hauteurs  de  San  Lorenzo  ;  le  lendemain  il 
rentra  à  son  quartier  général  de  Molino  en  Medio,  tandis 
que  le  général  Neigre,  à  la  tête  d'une  colonne  légère, 
fut  chargé  de  faire  recueillir  les  denrées  qui  existaient 
encore  en  grande  quantité  dans  les  haciendas  des  en- 
virons. 


Ouverture 
de  la  tranchée 
devant  le  fort 
Totimehuacau 

(iS  mai). 


Les  travaux  du  siège  avaient  été  fort  ralentis  pendant 
les  opérations  contre  l'armée  de  Comonfort  ;  aux  attaques 
de  gauche,  ils  s'étaient  réduits  à  la  mise  en  état  de  défense 
des  îlots  conquis  dans  l'intérieur  de  la  ville.  Aux  attaques 
de  droite,  on  avait  continué  quelques  cheminements.  Le 
général  Bazaine  reprit  la  direction  de  ces  travaux  et  les 
fit  pousser  aussi  rapidement  que  possible.  Le  12  mai  à  7 
heures  et  demie  du  soir,  une  première  parallèle  fut  ouverte 
devant  le  fort  Totimehuacan,  à  690  mètres  du  saillant  sud, 
sur  une  longueur  de  780  mètres. 

Le  16,  les  batteries  des  attaques  de  gauche  et  celles 
des  attaques  de  droite  ouvrirent  leur  feu  et  le  menèrent 
avec  une  grande  vigueur;  la  place  riposta  avec  énergie, 
mais  à  huit  heures  du  matin  le  bastion  d'attaque  n'avait 
plus  une  seule  pièce  en  état  de  servir,  ses  embrasures  étaient 
complètement  détruites.  A  midi,  les  batteries  françaises,  qui 
avaient  eu  beaucoup  à  souftVir  du  feu  de  l'ennemi,  ayant 
été  réparées,  recommencèrent  l'attaque  contre  les  forts  de 
Carmen  et  de  los  Remédies.  L'artillerie  ennemie,  écrasée 
par  un  tir  convergent  et  bien  dirigé,  ne  répondit  que  fai- 
blement ;  à  4  heures  du  soir,  la  lutte  ayant  recommencé 
pour  la  troisième  fois,  elle  resta  silencieuse.  A  la  nuit,  la 
deuxième  parallèle  fut  ouverte  à  la  sape  volante  à  250 
mètres  du  saillant  du  fort. 


LE    GÉiNÉRAL    FOREY.  279 

Depuis  plusieurs  jours  déjà,  des  ouvertures  confiden-        -1863. 
tielles  de  capitulation  avaient  été  faites  au  général  Forey,       Reddition 

de  la  place 

qui  les  avait  repoussées,  en  exigeant  des  propositions  (i7mai). 
plus  catégoriques.  Dans  la  journée  du  16  mai,  à  deux  heures 
du  soir,  au  moment  où  les  batteries  françaises  attaquaient 
si  vigoureusement  les  forts  de  Totimehuacan,  de  Carmen  et 
de  los  Remedios,  le  général  Mendoza,  chef  d'état-major 
général  de  l'armée  ennemie,  s'était  de  nouveau  présenté  au 
quartier  général.  Un  armistice  qu'il  demanda  ayant  été 
péremptoirement  refusé,  il  proposa  de  laisser  sortir  la 
garnison  avec  armes  et  bagages  et  une  partie  de  son  artil- 
lerie de  campagne,  en  lui  accordant  les  honneurs  de  la 
guerre  et  la  liberté  de  se  retirer  .sur  Mexico.  Le  général 
en  chef  rejeta  également  cette  demande  et  congédia  le  par- 
lementaire en  l'invitant  à  faire  connaître  au  général  Ortega 
qu'il  consentirait  aux  honneurs  de  la  guerre  et  au  défilé 
devant  l'armée  française,  mais  que  la  garnison  devrait  en- 
suite déposer  ses  armes  et  se  constituer  prisonnière  de 
guerre.  Le  général  Mendoza  rentra  dans  la  place. 

Le  17,  vers  une  heure  du  matin,  on  remarqua  un  grand 
mouvement  dans  la  ville  et  dans  les  forts  ;  bientôt  après  on 
entendit  de  fortes  explosions.  L'ennemi  brisait  ses  armes, 
enciouait  ses  canons  et  faisait  sauter  ses  munitions. 

Le  général  Ortega  avait  adressé  aux  troupes  l'ordre  du 
jour  suivant  : 

«  Le  manque  de  vivres  ne  permet  pas  ii  la  garnison  de  prolon- 
ger la  résistance,  et  il  ne  reste  même  pas  assez  de  munitions  pour 
soutenir  les  assauts  que  l'ennemi  tentera  vraisemblablement  au 
point  du  jour;  l'avis  de  la  plupart  des  généraux  étant  conforme  au 
sien,  le  général  commandant  en  chef  décide  : 

«  Entre  4  et  o  heures  du  matin,  tout  l'armemenl  qui  a  servi  à  la 
défense  de  la  ville  sera  brisé,  de  manière  qu'il  ne  puisse  en  aucune 
façon  être  utilisé  par  l'ennemi;  la  patrie  exige  ce  sacrifice. 


280  l"    PARTIE.  CHAPITRE    VI. 

-1863.  «  Le  commandant  de  l'artillerie  fera  détruire  toutes  les  pièces 

"■  qui  armaient  la  place. 

«  Les  généraux  commandant  les  divisions,  au  zèle  et  au  patrio- 
tisme desquels  est  confiée  l'exécution  du  présent  ordre  et  les  gé- 
néraux commandant  les  brigades,  dissoudront  toutes  les  troupes. 
Ils  feront  connaître  aux  soldats  qui  ont  défendu  la  place  avec  tant 
de  valeur  et  d'abnégation  et  au  prix  de  tant  de  souffrances  que  cette 
mesure,  rendue  nécessaire  par  les  circonstances,  ne  les  dégage  pas 
cependant  des  devoirs  que  leur  impose  la  défense  de  leur  sol  natal. 
.  Le  général  commandant  en  chef  a  confiance  qu'ils  iront  se  présen- 
ter au  gouvernement  suprême  et  qu'ils  continueront  à  défendre 
l'honneur  du  drapeau  mexicain;  il  les  laisse  en  liberté  absolue  et 
ne  les  constitue  pas  prisonniers  de  guerre  entre  les  mains  de  l'en- 
nemi- 

«  Les  généraux,  officiers  supérieurs ,  officiers  et  soldats  de  l'ar- 
mée doivent  être  fiers  de  la  défense  ;  si  l'ennemi  va  occuper  la  place 
de  Puebla,  ce  résulat  est  dû,  non  à  la  puissance  de  ses  armes,  mais 
au  défaut  absolu  de  vivres  et  de  munitions;  en  effet,  la  ville  en- 
tière et  les  forts  extérieurs,  à  l'exception  du  fort  San  Javier,  sont 
encore  entre  les  mains  des  soldats  de  l'armée  d'Orient. 

«  A  5  heures  et  demie,  on  sonnera  au  parlementaire;  un  pavil- 
lon blanc  sera  hissé  sur  chaque  fort  et  sur  chacune  des  maisons 
qui  font  face  à  celles  occupées  par  l'ennemi. 

«  A  la  même  heure,  les  généraux  et  les  officiers  se  réuniront  sur 
la  place  de  la  cathédrale  et  au  palais  du  gouvernement  pour  se 
constituer  prisonniers  de  guerre. 

«  Le  général  en  chef  ne  demandera  aucune  garantie  pour  les 
prisonniers  ;  chacun  reste  donc  complètement  libre  de  choisir  le 
parti  qu'il  croira  le  plus  honorable  elle  plus  conforme  à  ses  devoirs 
à  l'égard  du  pays. 

«  Les  fonds  qui  existent  au  commissariat  seront  répartis  entre 
les  soldats.   » 

A  quatre  heures  du  matin,  le  général  Ortega  écrivit  au 
général  Forey  : 

«  Général, 

«  Le  manque  de  munitions  et  de  vivres  ne  me  permettant  pas  de 
continuer  lu  défense  de  la  ])lace,  j'ai  dissous  l'armée  (pii  était  sous 
mes  ordres  cl  brisé  son  armement  ycoinijris  toute  l'artillerie. 


LE    GÉNÉRAL    FOREÏ.  281 

«  La  place  est  donc  aux  ordres  de  V.  E.,  qui  peut  la  faire  occu- 
per si  elle  le  juge  convenable  et  prendre  les  mesures  de  précaution 
nécessaires^  afin  d'éviter  les  malheurs  qui  seraient  la  conséquence 
d'une  occupation  de  vive  force  sans  raison  actuellement. 

«  Les  généraux,  officiers  supérieurs,  et  autres  officiers  de  l'ar- 
mée, se  trouvent  au  palais  du  gouvernement  et  se  rendent  pri- 
sonniers de  guerre. 

«  Je  ne  puis  me  défendre  plus  longtemps,  sinon  Votre  Excellence 
ne  doit  pas  douter  que  je  l'eusse  fait. 

«  Acceptez,  etc.  » 

Bientôt  après,  la  garnison  débandée  sortit  de  tous  côtés  ; 
un  grand  nombre  de  soldats  furent  arrêtés  par  les  avant- 
postes  français  et  faits  prisonniers.  Un  bataillon  de  sapeurs, 
commandé  par  le  lieutenant-colonel  de  Gagern,  tenta  de 
forcer  la  ligne  d'investissement  du  côté  du  nord;  il  fut 
cerné  et  déposa  les  armes  sans  résistance.  Quelques  géné- 
raux et  beaucoup  d'officiers  réussirent  à  s'échapper.  Puebla 
fut  aussitôt  occupée  par  un  bataillon  de  chasseurs  à  pied. 

Le  1 9,  le  drapeau  français  fut  hissé  sur  une  des  tours 
de  la  cathédrale,  le  drapeau  mexicain  sur  l'autre ,  et  le 
général  en  chef  fit  son  entrée  à  la  tête  d'une  partie  de 
l'armée  ;  il  fut  reçu  par  le  clergé  mexicain  à  la  porte  de  la 
cathédrale  et  assista  à  un  Te  Deum  d'actions  de  grâces. 

En  rendant  compte  au  ministre  de  la  guerre  que  d'impor- 
tants approvisionnements  de  vivres  et  de  munitions  avaient 
encore  été  trouvés  dans  la  ville,  le  général  Forey  exprimait 
l'opinion  que  la  reddition  en  était  due  à  l'énergie  avec  la- 
quelle les  travaux  d'approche  avaient  été  conduits  contre 
les  forts  du  sud.  C'était  bien  en  effet  le  côté  faible  de  la 
place.  Une  attaque  de  vive  force  était  imminente.  Le  gé- 
néral Ortega  ne  pensait  pas  être  à  même  d'y  résister  ;  tout 
espoir  d'un  secours  extérieur  étant  perdu  depuis  le  combat 
de  San  Lorenzo,  il  fut  obligé  de  terminer  une  défense  qu'il 


ms. 


282  !'■'   PARTIE.    CHAPITRE  VI. 

^863.        avait  du  reste  suffisamment  prolongée  pour  l'honneur  de 
ses  armes. 

Les  prisonniers  causèrent  tout  d'abord  un  grand  embar- 
ras. Les  officiers,  pour  la  plupart  anciens  guérilleros,  exal- 
tés et  dangereux,  étaient  fort  gênants.  Le  général  en  chef 
décida  qu'ils  seraient  envoyés  en  France.  Cinq  mille  sol- 
dats furent  versés  dans  l'armée  de  Marquez,  deux  mille 
employés  à  détruire  les  barricades  et  les  retranchements 
de  la  ville  ;  les  autres  furent  dirigés  sur  les  ateliers  du 
chemin  de  fer.  La  prise  de  Puebla  avait  fait  tomber  entre 
les  mains  des  troupes  françaises  :  26  généraux ,  303  offi- 
ciers supérieurs,  1179  officiers  subalternes,  11,000  sous- 
officiers  ou  soldats (*),  150  pièces  de  canon. 

• 

Évasion  Bien  que  les  officiers  eussent  refusé  d'engager  leur  pa- 

des  prisonuieis  ,  .  .  ,  .       ,  . 

faits  à  Puebla.  rolc,  OU  avait  cru  pouvoir  s  abstenir  de  leur  imposer  une 
surveillance  excessive  ;  un  grand  nombre  en  profitèrent 
pour  s'évader. 

Le  18  mai,  1508  officiers  avaient  déclaré  se  rendre  à 
Puebla. 

Le  jour  du  départ,  on  ne  trouva  que  :  22  généraux, 
228  officiers  supérieurs,  700  officiers  subalternes.  Total  : 
950. 

Au  moment  de  l'embarquement  à  Vera-Gruz  on  ne  compta 
plus  que  :  13  généraux,  110  officiers  supérieurs,  407  offi- 
ciers subalternes.  Total:  530 (^). 

Le  plus  grand  nombre  de  ceux  qui  manquaient  s'étaient 
enfuis  principalement  pendant  le  trajet  d'Orizaba  à  Vera- 
Gruz.  Six  généraux  :  Ortega,  La  Llave,  Patoni,  Pinson, 

(')  Uiiu  note  signée  du  clicf  d'clat-major  de  la  2'  division  n'estime  qu'à  9,000 
le  nombre  d(;s'  prisonniers. 
(*)  Rapport  de  l'umiral. 


LE    GÉNÉRAL   FOREY.  283 

Garcia  el  Prieto  s'évadèrent  d'Orizaba  iiiême  ;  d'autres  parti- 
rent de  Puebla  et  parmi  ces  derniers  :  Escobedo,  Berrio- 
zabal,  Antillon,  Porfirio-Diaz,  Ghilardi,  Negrete.  On  retrou- 
vera tous  ces  chefs  à  la  tête  de  bandes  isolées  ou  de  corps 
régulièrement  constitués.  La  plupart  retournèrent  dans  les 
provinces  où  ils  étaient  connus  et  où  ils  pouvaient  avoir 
de  l'influence.  Ce  furent  eux  qui  entretinrent  le  foyer  des 
idées  libérales  et  contribuèrent  le  plus  à  prolonger  la 
guerre  O. 

Depuis  le  commencement  de  la  campagne,  le  corps  expé- 
ditionnaire avait  perdu  par  le  feu  de  l'ennemi  : 

18  officiers  et  167  hommes  de  troupe  tués. 

79  officiers  et  1039  hommes  de  troupe  blessés  ;  parmi 
ceux-ci  un  grand  nombre  étaient  morts  des  suites  de  leurs 
blessures  (^). 

Le  siège  avait  duré  soixante-deux  jours  depuis  l'investis- 
sement,  cinquante-cinq  jours  depuis  l'ouverture  de  la 
tranchée. 

La  nouvelle  de  la  prise  de  Puebla  fut  reçue  en  France 
avec  une  grande  allégresse.  L'Empereur  en  témoigna  sa 
satisfaction  au  général  Forey  dans  la  lettre  suivante  : 

«  Palais  de  Fontainebleau,  12  juin  1863. 

<c  Général,  la  nouvelle  de  la  prise  de  Puebla  m'est  parvenue 
avant-hier  par  la  voie  de  New-York.  Gel  événement  nous  a  comblés 
de  joie. 

a  Je  sais  combien  il  a  fallu  aux  chefs  et  aux  soldats  de  prévoyance 

(«)  Lettre  du  général  Woll  au  ministre.  2  juin  1863,  (Le  général  WoU,  Fran- 
çais d'origine,  avait  pris  du  service  au  Mexique.  C'était  un  homme  âgé,  considéré 
dans  le  pays  et  dont  le  concours  fut  souvent  utile  à  l'armée  française.  )  —  Le 
général  Forey  au  ministre,  2  juin,  14  juin. 

(»)  Le  général  Forey  au  ministre,  2  juin. 


4863. 


284  l'^    l'AUTlE.  —  CHAPITRE   VI. 

-1863.  et  d'énergie  pour  arriver  h  cet  important  résultat.  Témoignez,  en 
""  mon  nom  îi  l'armée,  toute  ma  satisfaction;  dites-lui  combien  j'ap- 

précie sa  persévérance  et  son  courage  dans  une  expédition  si  loin- 
taine, oîi  elle  avait  à  lutter  contre  le  climat,  contre  la  difficulté  des 
lieux  et  contre  un  ennemi  d'autant  plus  opiniâtre  qu'il  était  trompé 
sur  mes  intentions.  Je  déplore  amèrement  la  perte  probable  de  tant 
de  braves,  mais  j'ai  la  consolante  pensée  que  leur  mort  n'a  été  inu- 
tile ni  aux  intérêts,  ni  à  l'honneur  de  la  France,  ni  h  la  civilisation. 

«  Notre  but,  vous  le  savez,  n'est  pas  d'imposer  aux  Mexicains 
un  gouvernement  contre  leur  gré,  ni  de  faire  servir  nos  succès  au 
triomphe  d'un  parti  quelconque.  Je  désire  que  le  Mexique  renaisse 
à  une  vie  nouvelle,  et  que  bientôt  régénéré  par  un  gouvernement 
fondé  sur  la  volonté  nationale,  sur  les  principes  d'ordre  et  de  pro- 
grès, sur  le  respect  du  droit  des  gens,  il  reconnaisse,  par  des  rela- 
tions amicales,  devoir  à  la  France  son  repos  et  sa  prospérité. 

«  J'attends  les  rapports  oftîciels  pour  donner  à  l'armée  et  k  son 
chef  les  récompenses  méritées;  mais  dès  à  présent,  général,  rece- 
vez mes  vives  et  sincères  félicitations. 

ï  Napoléon  » 


CHAPITRE  SEPTIÈME 


SOMMAIRE. 

Mesures  politiques  prises  après  la  reddition  de  PueLla.  (Mai  1863.)  —  Marche 
de  l'armée  sur  Mexico.  —  Pronunciamiento  à  Mexico.  —  Entre'e  du  géné- 
ral Forey  à  Mexico  (10  juin  1863).  —  Manifeste  à  la  nation  mexicaine.  — 
Formation  d'un  gouvernement  provisoire.  —  Proclamation  dk  l'Empire  (10 
juillet).  — Opérations  militaires.  —  Combat  de  Camaron  (i*'  mai).  —  Opé- 
rations sur  les  côtes.  —  Situation  politique  du  pays.  —  Rappel  du  général 
Forey  et  de  M.  de  Saligny  (octobre  1863). 

Le  général  Forey  nomma  le  colonel  Brincourt  comman-       Mesures 

.    .  ,  politiques  prises 

dant  supérieur  de  Puebla  et  prescrivit  de  réorganiser  les  après  la  reddition 


administrations  locales.  M.  de  Saligny  et  le  général  Al- 
monte  désignèrent  les  personnes  auxquelles  furent  confiées 
les  fonctions  administratives. 

Sur  les  propositions  qui  lui  en  furent  faites  par  le  mi- 
nistre de  France  et  par  M.  Budin,  receveur  général  des 
finances  en  mission,  chef  des  services  financiers,  le  géné- 
ral en  chef  arrêta  plusieurs  mesures  politiques  impor- 
tantes (^),  Un  journal,  rédigé  en  deux  langues,  fut  créé 
sous  le  titre  de  Moniteur  franco-mexicain.  Bulletin  des  actes 
officiels  de  l'Intervention, 

(*)  Moniteur  franeO'mexicain,  —  Lo  général  Forey  au  ministre,  2  juin. 


de  Puebla. 


286  l"  PARTIE.  CHAPITRE  VII. 

1863  Les  douanes  de  terre,  sources  principales  de  revenus 

de  l'État  de  Puebla,  furent  rétablies. 

Par  un  décret  du  21  mai,  les  biens  de  toutes  les  personnes 
portant  les  armes  contre  l'intervention  furent  mis  sous 
séquestre  ;  l'application  de  cette  mesure  causa  de  nombreux 
embarras. 

Un  décret  du  22  mai  prescrivit  la  révision  des  ventes  des 
biens  ayant  appartenu  aux  corps  moraux,  c'est-à-dire  à 
l'ayuntamiento  et  à  diverses  sociétés  de  bienfaisance  de 
Puebla,  ventes  ordonnées,  par  le  gouvernement  de  Juarez 
et  dont  un  grand  nombre  étaient  entachées  de  fraude. 

Dans  l'intention  de  faciliter  les  opérations  du  trésor  de 
l'armée,  un  décret  du  27  mai  interdit  «  V exportation  du 
numéraire  et  des  matières  d'or  et  d'argent  (*).  d 

Le  4  juin,  jour  de  la  Fête-Dieu,  le  général  Forey,  à  la 
tête  de  son  état-major,  suivit  la  procession  dans  les  rues 
de  Puebla;  toutes  les  troupes  formèrent  la  haie.  Le  com- 
mandant en  chef  pensait  que  cette  manifestation  produirait 
un  effet  utile  sur  l'esprit  d'une  population  dont  il  con- 
naissait les  sentiments  religieux  et  qui  était  privée  depuis 
longtemps  des  cérémonies  extérieures  du  culte  C^). 

Marciic  H  se  préparait  d'ailleurs  à  continuer  les  opérations  et 

^'^  jEo/"'  commençait  à  diriger  les  troupes  vers  Mexico,  où  les  libé- 
raux avaient,  disait-on,  l'intention  de  résister(^).  Le  l'^'"  juin, 
les  têtes  de  colonne  étaient  déjà  à  Ayotla,  à  sept  lieues  de 
la  capitale,  lorsqu'on  apprit  que  Juarez,  renonçant  à  tout 
projet  de  défense,  en  était  parti  la  veille.  Les  consuls 

(*)  Les  dlicrels  sur  le  séquestre  et  sur  l'exportation  du  numéraire  l'un^nt  for- 
mellement désapprouvés  par  le  Gouvernement  français,  qui  en  ordonna  l'annu- 
lation. (Lettres  du  ministre  de  la  guerre,  17  juillet,  28  octobre,  15  novembre.) 

(2)  Le  général  Forey  au  minisire,  14  juin. 

(3)  Le  i;[énéral  Forey  au  ministre,  2  juin. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  287 

d'Espagne,  de  Prusse  et  des  États-Unis  se  rendirent,  le  '1863. 
2  juin,  à  Puebla,  près  du  général  en  chef,  et  le  prièrent  de 
faire  occuper  la  ville  par  les  troupes  françaises,  à  l'exclu- 
sion de  la  division  Marquez.  L'ordre  fut  aussitôt  donné  au 
général  Bazaine  de  se  rapprocher  de  Mexico  et  d'y  envoyer 
quelques  détachements,  s'il  le  jugeait  opportun. 

Cependant  les  hommes  du  parti  conservateur,  auxquels  Pronunciamiento 

à  Mexico. 

le  départ  de  Juarez  avait  laissé  le  champ  libre,  s'étaient 
immédiatement  concertés  sous  la  direction  du  général 
Aguilar,  un  des  plus  ardents  instigateurs  de  l'intervention 
française  et  des  idées  monarchiques.  Ils  rédigèrent  un  acte 
d'adhésion  à  l'intervention  et  recueillirent  un  nombre  très- 
considérable  de  signatures.  Un  vieil  officier,  le  général 
Salas,  prit  le  commandement  supérieur  civil  et  militaire 
de  la  ville,  et  quelques-uns  d'entre  eux  furent  députés 
auprès  du  général  Forey  pour  lui  annoncer  le  pronun- 
ciamiento qui  venait  d'avoir  lieu.  Le  général  en  chef  les 
reçut  le  4  juin  ;  il  les  trouva  si  intolérants,  si  peu  modérés 
dans  l'expression  de  leurs  sentiments,  qu'il  craignit  quel- 
que violente  réaction  et  crut  prudent  de  ne  pas  laisser  les 
troupes  de  Marquez  entrer  à  Mexico,  ainsi  d'ailleurs  que 
le  lui  avaient  demandé  les  consuls  étrangers.  Il  donna 
l'ordre  de  les  cantonner  à  quelque  distance  dans  la  petite 
ville  de  Texcoco. 

Le  4  juin,  un  bataillon  de  chasseurs  à  pied  alla  bivoua- 
quer aux  portes  de  la  ville.  Le  7  juin,  le  général  Bazaine 
en  prit  possession  à  la  tête  de  sa  division.  Le  général  Forey, 
qui  avait  quitté  Puebla  le  5,  arriva  le  9  au  Penon,  à  trois 
kilomètres  de  Mexico.  Un  grand  nombre  d'habitants  vin- 
rent le  complimenter,  et  leurs  instances  furent  si  vives, 
qu'il  consentit  à  modifier  les  ordres  déjà  donnés  à  la  divi- 


288  l"  PARTIE. CHAPITRE  VTI. 

^863.  sion  Marquez  et  à  lui  faire  prendre  la  tête  de  colonne  dans 
l'entrée  solennelle  à  Mexico,  qui  devait  avoir  lieu  le  len- 
demain. 

Enirée  L'armée  fut  accueillie  avec  un  grand  enthousiasme; 

du  général  Forev  .  .  ,,  i  •  i 

à  Mexico    '  toutcs  Ics  Tucs  étaient  garnies  d  arcs  de  triomphe,  une 


(iO  juin). 


population  immense  se  pressant  sur  son  passage  l'acclama 
et  la  couvrit  de  fleurs.  Le  général  en  chef  en  rendit  compte 
au  ministre  de  la  guerre,  dans  les  termes  suivants,  par  une 
dépêche  télégraphique  datée  du  iO  juin  même  : 

«  Je  viens  d'entrer  [\  Mexico  à  la  tête  de  l'armée.  C'est  le  cœur 
encore  tout  ému  que  j'adresse  celte  dépêche  à  Votre  Excellence 
pour  lui  annoncer  que  la  population  de  cette  capitale,  tout  entière, 
a  accueilU  l'armée  avec  un  enthousiasme  qui  tenait  du  déhre.  Les 
soldats  de  la  France  ont  été  littéralement  écrasés  sous  les  cou- 
ronnes et  bouquets  dont  l'entrée  de  l'armée  à  Paris,  le  14  août  1859, 
en  revenant  d'Italie,  pourrait  seule  donner  une  idée.  J'ai  assisté  à 
un  Te  Deum  avec  tous  les  officiers  dans  la  magnifique  cathédrale 
de  cette  capitale  remplie  d'une  foule  immense;  puis  l'armée,  dans 
une  admirable  tenue,  a  défdé  devant  moi  au  cri  de  :  Vive  l'Empe- 
reur I  Vive  l'Impératrice  ! 

«  Après  le  défdé,  j'ai  reçu  au  palais  du  gouvernement  les  auto- 
rités qui  m'ont  harangué.  Cette  population  est  avide  d'ordre,  de 
justice,  de  liberté  vraie.  Dans  mes  réponses  à  ses  représentants, 
je  lui  ai  promis  tout  cela  au  nom  de  l'Empereur. 

«  Par  la  plus  prochaine  occasion,  j'aurai  l'honneur  de  vous 
donner  de  plus  amples  détails  sur  cette  réception  sans  égale  dans 
l'histoire,  et  qui  a  la  portée  d'un  événement  politique  dont  le  re- 
tentissemeni  sera  immense.  » 

Le  10  juin  au  soir,  le  général  Forey  fit  afficher  une 
proclamation  dans  laquelle  il  remercia  la  population  de 
l'accueil  qui  lui  avait  été  fait.  Il  assista,  le  lendemain,  avec 
toutes  les  troupes,  à  la  procession  de  l'octave  de  la  Fête- 
Dieu  (^). 

0)  Le  g(5néral  Forcy  au  ministre  ih  h  guerre,  14  juin. 


LE    GÉNÉRAL    FORE Y.  289 

Deijx   jours  après,  il  adressa  le  manifeste  suivant  au        ^863. 
peuple  mexicain  : 

Mexicains  ! 

«  Est-il  nécessaire  que  je  vous  dise  encore  dans  quel  but  l"Em-  Manifeste 
pereur  a  envoyé  au  Mexique  une  partie  de  son  armée  ?  Les  procla-  ml^xfcaill^e" 
mations  que  je  vous  ai  adressées,  malgré  la  politique  ombrageuse 
du  gouvernement  déchu,  vous  sont  certainement  connues,  et  vous 
savez  que  notre  magnanime  souverain,  ému  de  votre  triste  situa- 
tion, n'a  voulu  qu'une  chose  en  faisant  traverser  les  mers  à  ses  sol- 
dats :  vous  montrer  le  noble  drapeau  de  la  France,  qui  est  le  symbole 
de  la  civilisation.  Il  a  pensé  avec  raison  qu'à  sa  vue  ceux  qui  vous 
opprimaient  au  nom  de  la  liberté,  ou  tomberaient  vaincus,  ou  s'en- 
fuiraient honteusement.  La  mission  que  l'Empereur  m'a  confiée 
avait  un  double  but  :  j'avais  à  faire  sentir  aux  prétendus  vain- 
queurs du  o  mai  1862,  le  poids  de  nos  armes  et  à  réduire  à  sa  juste 
valeur  ce  fait  de  guerre  auquel  la  jactance  de  quelques  chefs  mili- 
taires avait  donné  la  proportion  d'une  grande  victoire. 

J'avais  ensuite  à  offrir  le  concours  de  la  France  au  Mexique  pour 
l'aider  à  se  donner  un  gouvernement  qui  fût  l'expression  de  son 
libre  choix,  un  gouvernement  pratiquant  avant  tout  la  justice,  la 
probité,  la  bonne  foi  dans  ses  relations  extérieures,  la  liberté  à 
l'intérieur,  mais  la  liberté  comme  elle  doit  être  entendue,  marchant 
avec  l'ordre,  le  respect  de  la  religion,  de  la  propriété,  de  la  fa- 
mille. 

«  La  déroute  des  troupes  ennemies  dans  toutes  les  circonstances 
où  elles  ont  osé  affronter  nos  sabres  ou  nos  baïonnettes,  puis  le 
siège  de  Puebla,  ont  donné  ample  satisfaction  à  notre  honneur  mi- 
litaire. 

«  Arrivés  avec  de  faibles  moyens  d'attaque  devant  Puebla,  dont 
le  gouvernement  déchu  avait  fait  une  place  de  premier  ordre  et 
qu'il  regardait  comme  un  boulevard  où  viendraient  se  briser  nos 
efforts  et  où  dans  sa  forfanterie  habituelle,  il  prétendait  que  nous 
devions  trouver  notre  tombeau,  nous  l'avons  forcé  à  se  rendre  à 
discrétion  ;  et  chose  extraordinaire  dans  les  fastes  militaires,  une 
garnison  de  20,000  hommes  a  été  obligée  de  se  constituer  prison- 
nière avec  tous  ses  généraux,  tous  ses  officiers,  à  abandonner  en 
notre  pouvoir  un  immense  matériel  de  guerre,  et  cela  lorsqu'elle 
avait  encore  de  puissantes  ressources,  ainsi  que  nous  avons  pu  le 
constater. 

«  Après  la  chute  de  Puebla,  nous  allions  marcher  sur  la  capi- 

19 


290  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE    Vil. 

4863.  taie,  qui,  disait-on,  se  préparait  à  une  sérieuse  résistance  :  nous 

~  avions  pour  la  vaincre  de  puissants  moyens  d'action,  et  la  victoire, 

fidèle  au  drapeau  de  la  France,  n'était  pas  douteuse. 

«  Mais  Dieu  n'a  pas  permis  une  nouvelle  effusion  de  sang,  et  le 
gouvernement  qui  savait  très-bien  qull  ne  pouvait  s"appuyer  sur 
le  peuple  de  cette  capitale,  n'a  pas  osé  nous  attendre  derrière  ses 
remparts  ;  il  s'est  enfui  honteusement,  laissant  cette  grande  et  belle 
cité  à  elle-même.  SU  doutait  encore  de  la  réprobation  générale 
dont  il  était  l'objet,  la  journée  du  10  juin  1863,  qui  appartient  dé- 
sormais à  l'histoire,  doit  lui  enlever  toute  illusion  et  lui  faire  sentir 
son  impuissance  à  conserver  les  débris  du  pouvoir  dont  il  a  fait 
un  si  déplorable  usage. 

«  La  question  militaire  est  donc  jugée. 

«  Reste  la  question  politique. 

«  La  solution,  Mexicains,  dépendra  de  vous.  Soyez  unis  dans 
des  sentiments  de  fraternité,  de  concorde,  de  véritable  patriotisme  ; 
que  tous  les  honnêtes  gens,  les  citoyens  modérés  de  toutes  les  opi- 
nions se  confondent  en  un  seul  parti,  celui  de  l'ordre;  n'ayez  pas 
pour  but  mesquin  et  peu  digne  de  vous  la  victoire  d'un  parti  sur 
un  autre  ;  voyez  les  choses  de  plus  haut,  abandonnez  ces  dénomi- 
nations de  Libéraux,  de  Réactionnaires  qui  ne  font  qu'engendrer 
la  haine,  que  perpétuer  l'esprit  de  vengeance,  qu'exciter  enfin 
toutes  les  mauvaises  passions  du  cœur  humain.  Proposez-vous 
avant  tout  d'être  Mexicains,  et  de  vous  constituer  en  une  nation 
unie,  forte,  par  conséquent  grande,  parce  que  vous  avez  tous  les 
éléments  nécessaires  pour  cela. 

«  C'est  à  quoi  nous  venons  vous  aider,  et  nous  arriverons  en- 
semble à  créer  un  ordre  de  choses  durable,  si,  comprenant  les  vrais 
intérêts  de  votre  pays,  vous  entrez  résolument  dans  les  intentions 
de  l'Empereur  que  je  suis  chargé  de  vous  exposer. 

«  Ainsi,  à  l'avenir,  il  ne  sera  plus  exigé  aucune  contribution  for- 
cée, ni  réquisition  de  quelque  nature  et  sous  quelque  prétexte  que 
ce  soit;  il  ne  sera  commis  aucune  exaction  sans  que  leurs  auteurs 
soient  punis. 

«  Les  propriétés  des  citoyens,  ainsi  que  leurs  personnes,  seront 
placées  sous  la  sauvegarde  des  lois  et  des  mandataires  du  gouver- 
nement. 

«  Les  propriétaires  des  biens  nationaux,  qui  ont  été  acquis  régu- 
lièrement et  conformément  à  la  loi,  ne  seront  nullement  inquiétés 
et  resteront  en  possession  de  ces  biens;  les  ventes  frauduleuses 
seules  pourront  être  l'objet  d'une  révision. 

«  La  presse  sera  libre,  mais  réglementée  d'après  le  système  des 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  291 

avertissements  établi  en  France;  deux  avertissements  entraîneront         -i863. 
la  suppression  du  journal.  "" 

«  L'armée  sera  soumise  à  une  loi  de  recrutement  modéré,  qui 
mettra  fin  à  celte  odieuse  habitude  de  prendre  de  force  et  d'arra- 
cher à  leur  famille  les  Indiens  et  les  laboureurs,  cette  intéressante 
classe  de  la  population  que  l'on  jette  dans  les  rangs  de  l'armée  la 
corde  au  cou,  et  qui  ne  peuvent  que  donner  le  triste  spectacle  de 
soldats  sans  patriotisme,  sans  la  religion  du  drapeau,  toujours 
prêts  à  déserter  ou  à  quitter  un  chef  pour  un  autre  ;  et  cela  se  con- 
çoit par  cela  seul  qu'il  n'y  a  point  au  Mexique  d'armée  nationale, 
mais  des  bandes  aux  ordres  de  chefs  ambitieux  qui  Se  disputent  le 
pouvoir,  dont  ils  ne  se  servent  que  pour  détruire  de  fond  en  comble 
les  ressources  du  pays,  en  s'emparant  des  richesses  d'autrui. 

«  Les  impôts  seront  réglés  comme  dans  les  pays  civilisés,  de 
manière  que  les  charges  pèsent  sur  tous  les  citoyens,  proportion- 
nellement à  leur  fortune,  et  l'on  cherchera  s'il  ne  convient  pas  de 
supprimer  certains  droits  de  consommation,  plus  vexatoires 
qu'utiles,  et  qui  frappent  principalement  les  producteurs  les  plus 
pauvres  de  la  campagne. 

«  Tous  les  agents  qui  ont  le  maniement  de  la  fortune  publique 
seront  convenablement  rétribués;  mais  ceux  qui  n'exercent  pas 
leur  emploi  avec  la  probité  et  la  délicatesse  que  l'Etat  est  en  droit 
d'exiger  d'eux  seront  remplacés,  indépendamment  des  peines  qu'ils 
auront  pu  encourir  pour  malversation. 

«  La  religion  catholique  sera  protégée  et  les  évoques  seront  rap- 
pelés dans  leurs  diocèses.  Je  crois  que  l'Empereur  verrait  avec 
plaisir  qu'il  fût  possible  au  gouvernement  de  proclamer  la  liberté 
des  cultes,  ce  grand  principe  des  sociétés  modernes. 

«  Des  mesures  énergiques  seront  prises  pour  réprimer  le  brigan- 
dage, cette  plaie  du  Mexique,  qui  en  fait  un  pays  à  part  dans  le 
monde  et  paralyse  tout  commerce,  toute  entreprise  d'utilité  pu- 
blique ou  privée  qui,  pour  prospérer^,  ont  besoin  de  sécurité. 

«  Les  tribunaux  seront  organisés  de  manière  que  la  justice 
soit  rendue  avec  intégrité  et  qu'elle  ne  soit  plus  le  prix  du  plus 
offrant  et  dernier  enchérisseur. 

«  Tels  sont  les  principes  essentiels  sur  lesquels  s'appuiera  le 
gouvernement  à  établir  ;  ce  sont  ceux  des  peuples  de  l'Europe  qui 
se  distinguent  entre  tous;  ce  sont  ceux  que  le  nouveau  gouverne- 
ment du  Mexique  devra  s'efforcer  de  suivre  avec  persévérance  et 
énergie,  s'il  veut  prendre  sa  place  parmi  les  nations  civilisées. 

«  Cette  seconde  partie  de  la  tcâche  qui  m'est  imposée,  je  ne  pour- 
rai la  remplir  que  si  je  suis  secondé  par  les  bons  Mexicains. 


292 


r"  PARTIE. 


CHAPITRE    VII. 


1863.  «  Aussi,  je  ne  terminerai  pas  ce  manifeste  sans  faire  appel  à  la 

~  conciliation.  J'invoque  le  concours  de  toutes  les  intelligences,  je 

demande  aux  partis  de  désarmer  et  d'employer  désormais  leurs 
forces,  non  à  détruire,  mais  à  fonder.  Je  proclame  l'oubli  du  passé, 
une  amnistie  complète  pour  tous  ceux  qui  se  rallieront  de  bonne 
foi  au  gouvernement  que  la  nation  librement  consultée  se  donnera. 
«  Mais  je  déclarerai  ennemis  de  leur  pays  ceux  qui  se  montre- 
ront sourds  à  ma  voix  conciliatrice,  et  je  les  poursuivrai  partout  où 


ils  se  réfugieront.  » 


«  Fait  à  Mexico,  le  12  juin  1863.  » 


Formation 

d'un 

gouvernement 

provisoire. 


Le  général  Forey  s'occupa  aussitôt  de  la  constitution 
des  pouvoirs  publics.  L'autorité  de  Juarez  étant  encore 
reconnue  sur  presque  tout  le  territoire  du  Mexique,  il  était 
difficile  de  réunir  an  congrès  d'après  les  lois  du  pays.  Il 
fut  décidé  qu'on  formerait  une  assemblée  de  notables  choi- 
sis dans  la  capitale;  M.  de  Saligny  se  chargea  d'en  pré- 
parer l'élection.  Le  général  Forey,  par  un  décret  du  18 
juin,  désigna  d'abord  trente-cinq  citoyens  pour  former 
une  junte  supérieure  de  gouvernement.  Cette  junte  eut  à 
choisir  trois  de  ses  membres  et  deux  suppléants  pour 
l'exercice  du  pouvoir  exécutif,  puis  à  former  une  assem- 
blée de  notables  en  s'adjoignant  deux  cent  quinze  membres 
nouveaux.  Le  22  juin,  le  général  Almonte,  M^'  de  Labas- 
tida,  archevêque  de  Mexico,  alors  en  Europe,  et  le  général 
Salas  furent  élus  membres  du  gouvernement  provisoire. 
M^'  Ormeacha  remplaça  l'archevêque  absent. 

Ce  fut  aux  mains  de  ce  tinumvirat  que  le  général  en 
chef  remit,  le  24  juin,  l'autorité  gouvernementale  effective, 
qu'il  avait  jusqu'alors  exercée.  Il  se  réserva  seulement  la 
présidence  de  la  section  de  la  junte  chargée  de  l'adminis- 
tration du  département  de  la  guerre.  Outre  les  décrets 
précédemment  rendus  à  Puebla  sur  le  séquestre,  sur  l'ex- 
portation du  numéraire,  sur  la  révision  des  ventes  des  biens 


LK    GÉNÉRAL   FOKLV.  293 

nationalisés,  le  général  Forey  prit  encore  à  Mexico  plu-  i863. 
sieurs  décisions  importantes.  Il  réglennenta  la  presse  con- 
formément à  la  législation  en  vigueur  en  France.  Il  créa 
des  cours  martiales,  et  ces  tribunaux,  chargés  de  juger 
sommairement  tous  les  individus  ayant  fait  partie  d'une 
bande  de  malfaiteurs  armés,  furent  investis  de  pouvoirs 
discrétionnaires.  Leurs  arrêts,  prononcés  à  la  majorité  ab- 
solue des  voix,  étaient  sans  appel  et  exécutoires  dans  les 
vingt-quatre  heures. 

Quelques  jours  après  la  nomination  des  membres  du  pn.ciomation 
pouvoir  exécutif,  la  junte  supérieure  s'adjoignit  les  deux  (io  juillet). 
cent  quinze  citoyens  avec  lesquels  elle  devait  se  transfor- 
mer en  assemblée  des  notables  constituante.  M.  de  Saligny 
prétendit  que  ses  désignations  portaient  sur  des  hommes 
modérés  de  tous  les  partis,  mais  on  avait  eu  soin  de  s'assu- 
rer préalablement  des  dispositions  du  plus  grand  nombre 
d'entre  eux.  Trente-quatre  membres  ne  siégèrent  pas  pour 
divers  motifs.  Sept  refusèrent  le  mandat  qui  leur  était 
donné.  L'assemblée  se  réunit  pour  la  première  fois  le  8 
juillet  et  nomma  aussitôt  une  commission  pour  examiner 
la  question  de  la  forme  du  gouvernement. 

Le  10  juillet,  cette  commission  présenta  un  rapport 
dont  voici  les  conclusions  (')  : 

«  Résumant  ce  qui  vient  d'être  exposé,  la  commission  croit  avoir 
démontré  de  la  manière  la  plus  satisfaisante  : 

«  1°  Que  le  système  républicain,  soit  sous  la  forme  fédérative, 
soit  sous  celle  de  la  plus  énergique  centralisation  du  pouvoir,  a  été, 
depuis  l'époque  où  il  a  été  mis  en  pratique,  la  source  de  tous  les 
maux  de  notre  patrie,  et  que  le  bon  sens  et  l'expérience  politique 
ne  permettent  pas  d'espérer  qu'on  puisse  les  faire  cesser  autrement 
qu'en  extirpant  l'unique  cause  qui  les  a  produits; 

(•)  D'après  la  traduction  jointe  aux  dépèches  du  général  Forey. 


294  l"  PARTIE.  CHAPITRE  VII. 

1863.  «  2"  Que  l'institution  de  la  monarchie  est  la  seule  convenable 

~  pour  le  Mexique,  surtout  dans  les  circonstances  présentes,  parce 

que,  combinant  en  elle  l'ordre  avec  la  liberté,  et  la  force  avec  la 
justice,  elle  parvient  presque  toujours  à  vaincre  l'anarchie,  à  re- 
fréner la  démagogie  immorale  et  désorganisatrice  par  sa  propre 
nature; 

«  3°  Que,  pour  fonder  ce  trône,  il  n'est  pas  possible  de  choisir 
un  souverain  parmi  les  enfants  du  pays,  bien  qu'il  renferme  dcg 
hommes  d'un  mérite  éminent,  par  ce  motif  que  les  qualités  essen- 
tielles pour  constituer  un  monarque  sont  de  celles  qui  ne  s'impro- 
visent pas,  qu'il  n'est  pas  donné  à  un  simple  particulier  de  posséder 
et  de  réunir  et  qui  bien  moins  encore  s'obtiennent  au  moyen  du 
vote  populaire  ; 

«  4°  Que  parmi  les  princes,  brillant  autant  par  la  splendeur 
d'une  naissance  illustre  que  par  l'éclat  des  qualités  personnelles, 
l'Archiduc  Ferdinand-Maximilien  d'Autriche,  est  désigné  au  choix 
de  la  nation  pour  régir  ses  destinées  comme  un  des  rejetons  les 
plus  éminents  de  la  race  royale,  autant  par  ses  qualités  person- 
nelles, sa  haute  instruction,  son  intelligence  élevée  que  par  son  ap- 
titude au  gouvernement. 

ï  En  conséquence,  la  commission  soumet  à  la  délibération  sou- 
veraine de  cette  respectable  assemblée  les  propositions  suivantes  : 

«  1°  La  nation  mexicaine  adopte  pour  forme  de  gouvernement 
la  monarchie  tempérée  et  héréditaire  sous  un  prince  catholique. 

«  2»  Le  souverain  prendra  le  titre  d'Empereur  du  Mexique. 

«  3°  La  couronne  impériale  du  Mexique  sera  offerte  à  S.  A.  L  et 
R.  le  prince  Ferdinand-Maximilien  d'Autriche  pour  lui  et  ses  des- 
cendants^^\ 

«  4°  Dans  le  cas  où,  par  des  circonstances  qu'on  ne  peut  pré- 
voir, l'Archiduc  Ferdinand-Maximilien  ne  prendrait  pas  possession 
du  trône  qui  lui  est  offert,  la  nation  mexicaine  s'en  remet  k  la 
bienveillance  de  S.  M.  Napoléon  ITI,  Empereur  des  Français,  pour 
qu'il  indique  un  autre  prince  catholique  h  qui  la  couronne  sera 
offerte.  » 


H)  L'archiduc  Ferdinand-Maximilien-Joseph  d'Autriche,  m;  ic  6  juillet  1832, 
frère  de  l'omperour  François-Joseph,  marié  le  27  juillet  1857  à  la  princesse 
Marie-CharloUc,  (ille  du  roi  des  Belges,  née  le  6  juin  1840. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  295 

L'assemblée  passa  aussitôt  à  la  délibération  sur  ce  projet,  <863. 
qui  fut  rapidement  adopté  à  une  majorité  de  deux  cent 
vingt-neuf  voix  contre  deux  opposants.  Le  succès  avait 
couronné  l'habileté  déployée  par  les  promoteurs  de  l'Em- 
pire, mais  les  fondations  de  l'édifice  étaient  loin  d'être 
solides.  L'assemblée  vota  des  actions  de  grâces  à  l'empe- 
reur Napoléon,  à  l'Impératrice,  au  général  Forey,  au  gé- 
néral Almonte,  à  M.  de  Saligny,  au  général  Marquez,  etc. 
Elle  décida  que  le  buste  de  l'empereur  Napoléon  serait 
placé  dans  la  salle  des  séances  et  qu'on  demanderait  au 
Pape  sa  bénédiction. 

Le  gouvernement  provisoire  prit  le  nom  de  «  Régence  de 
l'Empire.  »  Un  Te  Deum  fut  chanté  à  la  cathédrale  et,  le 
13  juillet,  le  «  Bando,  »  annonçant  l'Empire  sous  Maxi- 
milien  P^  fut  publié  dans  les  rues  de  Mexico  au  milieu 
des  démonstrations  populaires,  qui  accompagnent  volon- 
tiers tout  changement  de  gouvernement.  Une  députation 
fut  envoyée  en  Europe  pour  offrir  la  couronne  à  l'archiduc 
et  lui  exprimer  «  les  vœux  de  la  nation  mexicaine  représen- 
tée, était-il  dit,  conformément  au  droit  public  et  aux  usages 
traditionnels  du  pays,  par  une  assemblée  de  notables.  » 

Cependant  Juarez,  suivi  de  quelques  députés  du  con- 
grès, avait  transporté  à  San  Luis  Potosi  le  siège  de  son 
gouvernement  ;  il  ne  paraissait  nullement  vouloir  renoncer 
à  la  lutte.  L'arméo  française  en  entrant  à  Mexico,  disait  une 
de  ses  proclamations,  ne  s'était  rendue  maîtresse  que  d'une 
ville  de  ^^Xxxs  {No  mas  que  un  pueblo)  ;  tout  le  reste  du  pays 
obéissait  encore  à  son  autorité.  C'était  exact;  car  aucune 
manifestation  favorable  à  l'intervention  ne  se  produisit 
dans  les  parties  du  territoire  sur  lesquelles  l'action  des  armes 
françaises  ne  se  faisait  pas  directement  sentir.  L'occupation 
de  Mexico  n'avait  pas  dénoué  la  question  mexicaine. 


296  l"   PARTIE.  CHVPITRE    VII. 

i863. 

~"  Une  partie  des  troupes  ennemies  s'étaient  fractionnées 

Opérations  . 

militaires.  en  bandes  de  guérillas  et  se  disposaient  à  mettre  les  cir- 
constances à  profit  pour  se  livrer  au  pillage  ;  mais  le  géné- 
ral Uraga,  avec  quelques  forces  régulièrement  organisées, 
se  retirait  en  ordre  par  la  route  de  Toluca,  tandis  que 
Doblado  se  repliait  par  celle  de  Queretaro,  et  que  Negrete, 
un  des  généraux  qui  s'étaient  enfuis  de  Puebla,  se  préparait 
à  opérer  entre  Mexico  et  Yera-Gruz,  de  manière  à  gêner 
les  communications  de  l'armée  française  avec  la  mer. 

Un  des  premiers  soins  du  général  en  chef,  après  son 
entrée  à  Mexico,  avait  été  d'établir  des  postes  sur  la  route 
de  Vera-Gruz,  afm  de  rendre  faciles  en  tout  temps  la  marche 
des  convois  et  le  service  des  dépêches.  Les  nécessités  du 
siège  de  Puebla  ayant  amené  la  concentration  autour  de 
cette  place  de  la  presque  totalité  des  troupes  françaises,  on 
n'avait  pu  jusqu'alors  protéger  ces  communications  d'une 
manière  efficace.  Les  dépêches  ne  passaient  qu'avec  une 
extrême  difficulté  ;  le  commandant  supérieur  de  Vera-Gruz 
recevait  rarement  des  nouvelles  de  l'armée  ;  de  temps  à 
autre  seulement,  un  Indien  arrivait  à  traverser  les  lignes 
des  guérillas  et  apportait  quelques  renseignements  succincts 
sur  les  opérations  du  siège.  Toutes  les  nouvelles  défavo- 
rables étaient  au  contraire  rapidement  propagées  par  l'en- 
nemi et  aussitôt  exploitées  par  les  partisans  de  Juarez,  très- 
nombreux  parmi  la  population  de  Vera-Gruz. 

A  la  fin  du  mois  de  mars,  une  brigade  de  renfort,  com- 
posée du  7'  de  ligne  et  du  régiment  étranger  et  divers  au- 
tres détachements,  formant  un  effectif  total  d'environ  six 
mille  hommes,  étaient  arrivés  au  Mexique.  Ges  troupes  fu- 
rent réparties  dans  les  postes  des  terres  chaudes  et  dès  ce 
moment  la  route  put  être  mieux  surveillée.  Gependant  les 
guérillas,  dont  le  quartier  général  était  à  Jalapa,  ne  perdi- 


H:    GÉNÉRAL    FOREV.  297 

rent  rien  de  leur  audace;  le  31  mars,  elles  attaquèrent  les         i853. 
ateliers  du  chemin  de  fer,  tuèrent  ou  blessèrent  un  grand 
nombre  d'ouvriers  et  bouleversèrent  les  travaux. 

Le  l®'"  mai,  une  compagnie  du  régiment  étranger  fut       ^^"jJaJon 
également  attaquée  par  des  forces  supérieures  et  entiè-       (i"mai). 
rement  détruite  après  une  héroïque  résistance. 

Un  convoi  portant  trois  millions  de  francs  et  un  autre, 
chargé  de  munitions,  devaient  être  envoyés  de  Vera-Gruz 
à  Puebla;  le  général  Milan,  commandant  les  guérillas 
des  terres  chaudes,  ayant  formé  le  projet  de  les  enlever, 
s'embusqua  près  de  la  route  avec  un  millier  de  fantassins 
et  huit  cents  cavaliers.  On  ignorait  le  voisinage  d'une  force 
aussi  considérable,  lorsque,  le  30  avril,  une  compagnie  du 
régiment  étranger,  commandée  par  le  capitaine  Danjou,  et 
forte  de  soixante-deux  hommes  et  trois  officiers,  partit  du 
poste  du  Chiquihuite  pour  éclairer  les  environs.  Après  avoir 
marché  une  partie  de  la  nuit,  elle  s'arrêta,  à  sept  heures  du 
matin,  au  lieu  dit  Palo-Verde,  pour  y  faire  le  café;  quelques 
instants  plus  tard,  des  éclaireurs  ennemis  étant  signalés 
sur  la  route  du  côté  du  Chiquihuite  ,  le  capitaine  Danjou  se 
replia  dans  la  direction  du  village  de  Camaron  ;  soudain  il 
fut  enveloppé  par  une  nuée  de  cavaliers.  La  compagnie  se 
forma  en  carré  et  reçut  une  première  charge.  Profitant 
d'un  moment  de  répit,  elle  gravit  un  talus  voisin  et  soutint 
encore  sans  se  rompre  une  deuxième  attaque  de  la  cavalerie 
mexicaine  ;  puis,  chargeant  à  son  tour,  elle  perça  la  ligne 
ennemie  et  se  jeta  dans  les  maisons. 

Le  bâtiment  dans  lequel  le  capitaine  Danjou  se  disposa 
à  la  résistance  se  composait  d'une  cour  carrée  de  cinquante 
mètres  de  côté  dont  une  face,  celle  qui  bordait  la  route, 
était  formée  par  un  corps  de  logis  divisé  en  plusieurs 


298  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE   VII. 

4863.  chambres.  Il  occupa  la  cour,  dont  il  fit  barricader  les  ou- 
""  vertures  et  la  chambre  située  à  l'un  des  angles  ;  au  même 

moment,  l'ennemi  pénétrait  dans  la  chambre  située  à 
l'extrémité  opposée. 

Il  était  environ  neuf  heures.  Le  détachement  français, 
sommé  de  se  rendre,  refusa  énergiquement,  et  le  feu  com- 
mença de  tous  côtés.  Le  capitaine  ûanjou  n'espérait  pas 
résister  avec  succès,  mais  il  fit  promettre  à  ses  hommes  de 
se  défendre  jusqu'à  la  dernière  extrémité  ;  bientôt  après,  il 
tombait  frappé  mortellement. 

Le  sous-Heutenant  Vilain  prit  le  commandement. 

Vers  midi,  on  entendit  un  bruit  de  tambours  et  de  clai- 
rons ;  il  y  eut  une  lueur  d'espoir  parmi  les  défenseurs  de 
Gamaron  qui  crurent  à  l'arrivée  d'un  secours.  Cette  espé- 
rance fut  bientôt  dissipée  :  c'étaient  trois  bataillons  mexi- 
cains, forts  de  trois  à  quatre  cents  hommes  chacun,  que 
le  général  Milan  amenait  sur  le  lieu  du  combat.  Cependant 
l'ennemi  avait  réussi  à  pratiquer,  sur  une  des  faces  de  la 
cour,  une  brèche  par  laquelle  il  prenait  à  revers  les  défen- 
seurs des  autres  faces.  A  deux  heures,  le  sous-lieutenant 
Vilain  fut  tué.  Le  commandement  passa  au  sous-lieutenant 
Maudet. 

La  chaleur  était  accablante,  la  troupe  n'avait  pas  mangé 
depuis  la  veille,  personne  n'avait  bu  depuis  le  matin.  Les 
souffrances  des  blessés  étaient  atroces.  L'ennemi  fit  une 
nouvelle  sommation,  qui  fut  encore  repoussée  avec  la  même 
énergie;  alors  il  incendia  un  des  hangars  extérieurs,  et  la 
fumée  rendit  plus  intolérables  encore  les  tortures  de  la  soif. 
Malgré  tout,  on  se  maintint  aux  créneaux  et  aux  brèches. 

A  cinq  heures  et  demie,  l'attaque  fut  suspendue  ;  le  gé- 
néral Milan,  rassemblant  ses  soldats  à  l'abri  d'une  maison 
voisine,  les  harangua,  leur  disant  que  ce  serait  une  honte 


LE    GÉNÉRAL   FOREY.  299 

de  ne  pas  en  finir  avec  les  quelques  Français  qui  restaient  1863. 
debout.  Ces  paroles  furent  entendues  par  un  soldat  d'ori- 
gine espagnole  qui  les  traduisit  à  ses  camarades.  Aussitôt 
après,  un  assaut  général  fut  donné,  les  Mexicains  se  préci- 
pitèrent à  la  fois  sur  toutes  les  ouvertures.  A  la  porte 
principale,  il  ne  restait  qu'un  homme,  il  fut  pris.  A  l'angle 
opposé,  il  y  avait  encore  quatre  soldats  qui  jusqu'alors 
avaient  réussi  à  défendre  une  brèche,  ils  furent  envelop- 
pés par  l'ennemi  qui  remplissait  la  cour  et  entraînés.  Le 
sous-lieutenant  Maudet  s'était  barricadé  avec  quatre  hom- 
mes dans  les  débris  d'un  hangar  ruiné.  Il  s'y  défendit 
encore  un  quart  d'heure  ;  puis,  ayant  fait  envoyer  la  der- 
nière balle  à  l'ennemi,  il  donna  l'ordre  de  charger  à  la 
baïonnette.  Au  moment  où  il  sortait  du  hangar,  tous  les 
fusils  étaient  dirigés  sur  lui  ;  un  de  ses  hommes  lui  fit  un 
rempart  de  son  corps  et  tomba  foudroyé;  lui-mèm.e  fut 
grièvement  blessé  par  deux  balles  et  renversé  à  terre.  Alors 
les  Mexicains,  se  précipitant  sur  les  quelques  survivants  de 
l'infortunée  compagnie,  les  firent  prisonniers. 

Il  était  six  heures  du  soir,  lorsque  succomba  cette  poi- 
gnée d'hommes  héroïques  ;  ils  combattaient  depuis  plus 
de  neuf  heures  ;  deux  officiers  étaient  tués,  le  troisième 
mortellement  blessé.  Vingt  sous-officiers  et  soldats  avaient 
été  tués,  vingt-trois  blessés  parmi  lesquels  sept  moururent 
de  leurs  blessures  ;  les  autres  furent  faits  prisonniers,  à 
l'exception  d'un  tambour  laissé  pour  mort  et  qui,  recueilh 
le  lendemain  par  une  reconnaissance  du  régiment  étranger, 
donna  les  premiers  détails  sur  le  combat. 

On  assura  que  les  Mexicains  avaient  perdu  trois  cents 
hommes  dont  deux  cents  morts  (').  La  vigoureuse  résistance 

<*)  Ordre  général  du  30  août  1863. 


300  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE    VII. 

4863.  de  cette  compagnie  détermina  le  général  Milan  à  laisser  pas- 
ser les  convois  sans  les  attaquer,  et  il  ramena  à  Jalapa  ses 
troupes  fort  impressionnées  des  pertes  sanglantes  que  leur 
avait  coûté  cette  victoire.  Du  reste  les  Mexicains  traitèrent 
avec  humanité  leurs  prisonniers  dont  ils  avaient  admiré 
la  bravoure  ;  lorsque  le  sous-lieutenant  Maudet  mourut , 
s'honorant  eux-mêmes  par  les  égards  témoignés  à  leur 
ennemi  vaincu,  ils  lui  rendirent  les  ]ionneurs  militaires. 

Ces  bandes  n'étaient  ni  les  seuls  ni  les  plus  terribles 
ennemis  contre  lesquels  avaient  à  lutter  les  postes  des 
terres  chaudes.  Depuis  le  commencement  de  la  saison  des 
pluies,  ils  étaient  décimés  par  les  maladies  ;  le  vomito,  re- 
commençant ses  ravages  périodiques  à  Vera-Cruz,  avait 
signalé  son  apparition  en  enlevant,  à  quelques  jours  d'in- 
tervalle, le  colonel  Labrousse,  commandant  supérieur  de 
Vera-Cruz  et  le  chef  du  bataillon  égyptien.  Le  colonel 
Jeanningros,  qui  remplaça  le  colonel  Labrousse,  faillit  aussi 
succomber;  onze  officiers  et  la  moitié  des  soldats  de  la 
garnison  de  Vera-Cruz  moururent  ;  les  équipages  de  la 
flotte  subirent  de  cruelles  pertes.  Heureusement  les  Égyp- 
tiens résistèrent  au  climat  et  purent  seconder  les  compa- 
gnies créoles  des  Antilles,  également  à  l'abri  du  fléau;  mais 
les  garnisons  françaises  de  la  Tejeriaet  de  laSoledad  étaient 
épuisées  par  les  fièvres. 

Sur  les  plateaux,  l'état  sanitaire  était  aussi  satisfaisant 
qu'on  pouvait  le  désirer.  La  saison  des  pluies  apportant  un 
temps  d'arrêt  aux  opérations  militaires,  les  troupes  purent 
se  reposer  dans  de  bons  cantonnements.  Le  général  en  chef 
se  borna  à  faire  poursuivre  les  bandes  de  voleurs  qui,  ar- 
borant, soit  le  drapeau  libéral,  soit  le  drapeau  conserva- 
teur, sortaient  des  hautes  montagnes  qui  bordent  la  vallée 
de  Mexico,  pour  ravager  la  plaine  et  exploiter  les  grands  che- 


LE    GÉNÉRAL   FOREY.  301 

mins.  Une  bande  de  cent  trente-quatre  hommes,  qui  se  disait  ■1863. 
ralliée  à  l'intervention,  fut  cernée  et  désarmée  (17  juin);  son 
chef,  Buitron,  et  ses  lieutenants  furent  passés  par  les  armes. 
Des  détachements  français  occupèrent  Ghalco  et  Tlalpan  ; 
des  troupes  mexicaines  alliées  furent  placées  à  Texcoco,  à 
Guadalupe,  à  Apan,  à  Teotihuacan,  à  Guautitlan.  Ce  der- 
nier poste  avait  pour  mission  spéciale  de  surveiller  les 
digues  du  lac  de  Zumpango,  dont  la  rupture  menacerait 
Mexico  d'inondations  dangereuses  (^).  Enfin,  une  colonne, 
composée  de  huit  compagnies  de  zouaves,  de  deux  pelotons 
de  chasseurs  d'Afrique  et  de  quelques  troupes  alliées, 
placés  sous  le  commandement  du  colonel  Mangin  du 
2«  zouaves,  fut  envoyée  dans  les  montagnes  du  Monte-Alio. 
Elle  enleva  de  vive  force  le  village  de  Santiago,  que  défen- 
daient les  gens  de  Romero  (10  juillet)  et  les  poursuivit 
pendant  plusieurs  jours  à  travers  les  sentiers  affreux  de  ce 

(1)  Mexico  est  situé  au  centre  d'un  grand  bassin  de  quinze  lieues  de  long  sur  douze 
de  large,  auquel  on  donne  improprement  le  nom  de  vallée.  Les  eaux  qui  tombent 
sur  cette  immense  surface  s'accumulent  dans  les  lagunes  qui  en  occupent  les  parties 
les  plus  basses,  et  près  desquelles  Mexico  est  bâti.  A  certaines  époques,  il  en  est 
résulté  des  inondations  terribles  comme  celles  des  années  1553,  1380,  1604, 
1607,  dont  l'histoire  a  conservé  le  souvenir.  Ces  lagunes  sont  à  différents  étages. 
Le  niveau  moyen  des  eaux  de  celle  de  Texcoco,  la  plus  voisine  de  la  ville,  est  de 
3™,  64  inférieur  au  plan  du  parvis  de  la  cathédrale  ;  les  lacs  de  Chalco,  de  San 
Cristobal  et  de  Xaltocan  sont  à  0"o4  au-dessous  de  ce  plan.  Le  lac  de  Zumpango 
est  à  2™, 44  au-dessus.  Ce  ne  sont  à  vrai  dire  que  des  nappes  d'eau  sans  pro- 
fondeur, derniers  vestiges  des  grands  lacs  sur  lesquels  naviguaient  les  brigantins 
de  Cortez.  Leur  surface  est  aujourd'hui  encombrée  d'herbes  et  la  circulation  n'est 
généralement  possible  que  dans  les  canaux  qui  ont  été  dégagés  de  végétation. 
Dans  la  saison  des  grandes  pluies,  le  niveau  des  lagunes  inférieures  monte  assez 
pour  couvrir  d'eau  la  plaine  qui  entoure  Mexico  ;  mais  en  temps  ordinaire,  l'éva- 
poration  et  l'absorption  dans  les  terres  perméables  suffisent  pour  maintenir  les 
eaux  à  une  hauteur  normale.  On  a  du  reste  exécuté  quelques  travaux  d'art  aOn 
de  détourner  dans  les  lagunes  supérieures  le  cours  du  Rio  de  Cuantitlan,  qui  se 
déversait  dans  le  lac  de  Texcoco,  et  l'on  a  ouvert  une  profonde  tranchée  dans  les 
montagnes  qui  ferment  le  bassin  au  nord,  afin  de  procurer  au  trop-plein  de  leurs 
eaux  une  dérivation  artificielle  sur  le  versant  de  l'Atlantique  Ce  canal,  appelé 
Demgue  Real,  date  de  la  domination  espagnole. 


302  l""^  PARTIE.  CHAPITRE  VII. 

4863.  pays  et  sous  une  pluie  torrentielle  qui  augmentait  encore 
les  fatigues  de  cette  expédition.  Cependant  Romero  reparut 
bientôt  après  dans  la  vallée.  On  n'arrivait  pas  non  plus  à 
débarrasser  les  environs  d'Ajusco  des  bandes  qui  les  infes- 
taient, le  général  en  chef  crut  alors  indispensable  de  faire 
occuper  d'une  manière  permanente  quelques  points  sur  les 
versants  opposés  des  montagnes. 

Déjà  le  62'  de  ligne  (colonel  Aymard)  avait  été  envoyé 
à  Pachuca,  à  vingt  lieues  au  nord  de  Mexico,  pour  protéger 
l'exploitation  des  riches  mines  d'argent  qui  entourent  cette 
ville  (19  juin).  Le  général  de  Bertier,  avec  le  51  Me  ligne, 
avait  pris  possession  de  Toluca,  ville  de  douze  mille  habi- 
tants, située  à  seize  lieues  au  sud-est  de  la  capitale,  au 
centre  d'une  fertile  contrée  (5  juillet).  Un  bataillon  du  99*^ 
de  hgne  sous  les  ordres  du  lieutenant-colonel  Lefebvre,  six 
cents  fantassins  et  cinq  cents  cavaliers  de  la  brigade  mexi- 
caine du  général  Vicario,  furent  dirigés  sur  Guernavaca, 
ville  de  dix  mille  âmes,  dans  une  position  importante  au 
débouché  des  terres  chaudes  du  Pacifique,  à  dix-huit  lieues 
au  sud  de  Mexico,  et  à  quatre-vingt-dix  lieues  du  port 
d'Acapulco.  Guernavaca  fut  occupé  le  29  juillet,  et  les 
troupes  mexicaines  furent  poussées  plus  en  avant  à  Jau- 
tepec,  Xochitepec,  Tetecala,  Tasco,  Iguala  et  Teloloapan  ; 
elles  eurent  avec  l'ennemi  de  nombreux  engagements  dans 
lesquels  l'avantage  ne  leur  resta  pas  toujours.  Les  bandes 
de  cette  région,  dont  l'effectif  ne  s'élevait  pas  à  moins  de 
quinze  cents  hommes,  étaient  en  grande  partie  composées 
de  plateadosi^),  sortes  de  bandits  affectant  le  luxe,  et  qui 
jouissent  d'une  certaine  considération  dans  le  pays. 


(1)  Le  nom  do  plnlendos  lour  vient  de  filala,  argent,  parce  que  leurs  effets  et 
leurs  équipements  sont  garnis  d'argent. 


LE    GÉNÉRAL   FOREY.  303 

On  rencontrait  également  des  corps  de  pîateados  au  nord  ^363. 
de  Puebla,  du  côté  de  Tlaxcala,  que  le  SI*"  de  ligne,  sous 
les  ordres  du  colonel  de  la  Canorgue,  occupait  depuis  le 
2  juillet.  Le  général  Negrete  y  avait  établi  son  quartier 
général  et  se  disposait  à  y  concentrer  les  guérillas  avec 
lesquelles  il  comptait  opérer  sur  la  ligne  de  communica- 
tion de  l'armée  française.  Il  ne  chercha  pas  à  résister,  re- 
monta plus  au  nord  et  prit  position  entre  Tulancingo  et 
Huauchinango  au  débouché  des  montagnes  de  la  Huasteca. 

On  donne  ce  nom  à  une  vaste  région  montagneuse , 
qui  s'étend  depuis  Pachuca  et  Tulancingo,  jusqu'à  Tan- 
canhuitz  au  nord,  la  côte  du  golfe  à  l'est  et  le  plateau 
d'Anahuac  au  sud.  C'est  un  pays  tourmenté,  couvert  de 
grandes  forets,  sillonné  par  de  profondes  déchirures,  très- 
difficilement  praticable,  habité  par  une  population  fort 
énergique  et  dont  les  chefs  se  sont  toujours  rendus , 
jusqu'à  un  certain  point,  indépendants  de  l'autorité 
centrale. 

Soutenues  par  le  voisinage  de  Negrete,  les  guérillas  de 
la  Huasteca  tentèrent  plusieurs  coups  de  main  dans  les 
Llanos  de  Apan.  Le  colonel  Aymard  se  porta  sur  Tulan- 
cingo et  les  refoula  dans  leurs  montagnes  (16  juillet).  La 
population  de  cette  ville,  se  montrant  sympathique  à  l'in- 
tervention française,  il  y  laissa  une  garnison  permanente 
(13  août),  et  se  proposa  de  chasser  Negrete  de  la  forte 
position  qu'il  occupait  à  Necaxa,  à  quelques  lieues  au 
nord.  Il  fit  d'adord  enlever  le  village  d'Huauchinango  ; 
on  le  prévint  alors  que  Negrete  avait  douze  cents  hommes 
de  troupes  régulières,  de  nombreux  contingents  de  mon- 
tagnards et  quatorze  pièces  de  canon  ;  se  trouvant  numé- 
riquement trop  faible  pour  tenter  l'attaque  avec  une  cer- 
titude suffisante  de  succès,  il  demanda  le  concours  du 


304  l'*  PARTIE.  CHAPITRE    VIT. 

4863.  général  mexicain  Liceaga,  qui  occupait  Apan,  et  celui 
du  général  de  la  Canorgue('),  qui  était  à  Tlaxcala.  Le 
général  Liceaga  s'avança  aussitôt  sur  Zacatlan  ;  mais  l'en- 
nemi ayant  intercepté  ses  dépêches,  le  colonel  Aymard 
ne  put  en  être  prévenu  ;  le  temps  était  affreux,  les  pluies 
défonçaient  les  routes,  il  renonça  à  l'opération  et  revint 
à  Tulancingo,  ramenant  son  artillerie  avec  la  plus  grande 
peine  (6  septembre).  Le  général  Liceaga  rentra  égale- 
ment à  Apan. 

De  son  côté,  le  général  de  la  Ganorgue  n'avait  pu  se 
mettre  en  mouvement  que  le  8  septembre.  Il  se  porta  ce- 
pendant à  Zacatlan  (21  septembre)  et  y  resta  en  attendant 
que  les  circonstances  permissent  de  reprendre  l'expé- 
dition. 

Pour  aider  au  mouvement  sur  Necaxa,  le  général  Brin- 
court,  commandant  supérieur  de  Puebla,  avait  envoyé  une 
colonne  de  sept  compagnies  du  2*^  zouaves  (commandant 
Lalanne)  sur  Zacapoaxtla,  une  des  positions  fortifiées  de  la 
Huasteca  au  nord  de  San  Juan  de  los  Llanos.  Zacapoaxtla 
fut  enlevé  le  12  septembre  après  un  brillant  combat.  Un 
officier  et  un  zouave  furent  tués,  neuf  hommes  blessés. 
On  prit  un  drapeau  et  deux  canons. 

Negrete,  que  tous  ces  mouvements  inquiétaient,  se  dé- 
cida à  quitter  Necaxa  et,  quelque  temps  après,  rejoignit 
Juarez  à  San  Luis  Potosi.  On  put  confiner  dans  les  mon- 
tagnes les  bandes  de  cette  contrée,  et  la  route  entre  Puebla 
et  Orizaba  fut  ainsi  très-efficacement  protégée  du  côté  du 
nord. 

Du  côté  du  sud,  les  populations  s'étaient  montrées  fran- 
chement disposées  à  maintenir  l'ordre  et  avaient  organisé 

(•)  Le  colonel  de  la  Canorgue,  du  Sh'de  ligne,  venait  dYire  promu  général. 


LE  GÉNÉRAL  FOREY.  303 

des  gardes  civiles.  Un  parti  libéral  de  l'État  d'Oajaca ,  i8C3. 
fort  d'environ  neuf  cents  hommes,  ayant  tenté  de  pénétrer 
dans  l'État  de  Puebla,  trente-cinq  braves  Indiens  du  petit 
village  de  Tepeji  de  la  Seda,  qui  commande  la  route, 
avaient  résolument  essayé  de  lui  barrer  le  passage  ;  ils  se 
défendirent  jusqu'à  l'épuisement  complet  de  leurs  mu- 
nitions, donnant  ainsi  un  noble  exemple  à  suivre  aux 
populations  d'habitude  trop  craintives,  dont  les  bonnes 
dispositions  étaient  souvent  paralysées  par  une  poignée 
de  bandits. 

Une  colonne  française,  envoyée  au  secours  de  Tepeji, 
poursuivit  l'ennemi  sans  pouvoir  l'atteindre,  jusqu'à  Hua- 
juapan  à  cinquante  lieues  au  sud  de  Puebla,  et  châtia  sévè- 
rement les  villages,  dont  les  habitants  étaient  hostiles. 
Elle  parcourut  le  pays  pendant  plusieurs  jours,  visita 
Piaxtla,  Chinantla,  Tehuicingo,  fit  raser  Tusantlan,  brûler 
le  rancho  San  Vicente,  propriété  d'un  des  chefs  ennemis, 
punit  encore  le  village  de  San  Pedro  Acoyuca  et  rentra  à 
Puebla,  le  30  septembre,  après  avoir  laissé  sur  son  passage 
des  traces  de  dévastation,  plus  propres  sans  doute  à  terri- 
fier les  populations  mal  intentionnées  qu'à  les  rallier  à 
l'intervention. 

Dans  les  terres  chaudes,  le  colonel  Dupin,  à  la  tête  de  la 
contre-guérilla,  avait  adopté  le  même  système  de  guerre. 
Les  adversaires  qu'il  avait  à  combattre  étaient,  il  est  vrai, 
indignes  de  toute  pitié.  Leurs  excès,  leurs  cruautés  devaient 
à  juste  titre  les  faire  considérer  comme  des  bandits  avec 
lesquels  il  était  impossible  d'admettre  aucune  composition  ; 
il  arriva  malheureusement  que  des  gens  inoffensifs  eurent 
à  souffrir  des  mesures  sévères  dirigées  contre  les  guéril- 
leros. Pour  rendre  impossibles  des  coups  de  main  sur  les 
convois,  le  colonel  Dupin  fit  brûler,  à  plusieurs  lieues  de 

20 


306  T"  PARTIE.  CHAPITRE    Vil. 

1863.  distance,  toutes  les  cases  isolées,  les  ranchos  ou  les  pueblos, 
qui  pouvaient  offrir  à  l'ennemi  des  abris  pendant  la  saison 
des  pluies. 

Quelques  expéditions  furent  aussi  envoyées  au  nord  de 
Cordova,  où  étaient  les  centres  de  rassemblement  des  gué- 
rillas de  Jalapa;  mais  l'ennemi,  toujours  prévenu  à  temps, 
se  retirait  dans  les  montagnes  voisines,  emmenant  avec 
lui  tous  les  habitants.  Une  garnison  fut  laissée  à  Goscoma- 
tepec;  toutefois  les  tentatives  de  pacification  faites  dans 
ces  contrées  demeurèrent  alors  sans  résultat.  Il  en  fut  de 
même  en  général  dans  toutes  les  terres  chaudes  et  sur 
la  côte  du  golfe,  pays  sans  industrie,  sans  agriculture  et 
dont  la  population  clair-semée  était  habituée  depuis  long- 
temps à  se  passer  d'ordre  et  de  tranquillité.  Des  détache- 
ments de  la  contre-guérilla,  ou  des  colonnes  françaises  vi- 
sitèrent plusieurs  fois  la  vallée  du  Rio-Blanco,  Tlaliscoyan, 
Gotastla,  etc.,  sans  pouvoir  y  ramener  le  calme.  Les  troupes 
réparties  entre  Mexico  et  Puebla,  Puebla  et  Orizaba,  Ori- 
zaba  et  Vera-Gruz  étaient  en  outre  continuellement  en 
mouvement  pour  chercher  à  atteindre  un  ennemi  presque 
toujours  insaisissable. 

,  ,    .  Sur  les  côtes,  l'intervention  française  n'avait  recueiUi 

Opérations 

suriescôles.  d'autre  adhésion  que  celle  des  habitants  de  l'île  de  Gar- 
men.  Intéressés  à  faire  protéger  le  commerce  de  bois  de 
la  Laguna,  ils  avaient  accepté  le  plan  politiqlie  du  géné- 
ral Â.lmonle.  Au  mois  de  mai  1862,  la  canonnière  La  Gre- 
nade, envoyée  dans  ces  parages,  captura  une  goélette  de 
guerre  mexicaine  venue  de  Gam pêche  dans  le  but  de  ré- 
primer le  pronunciamiento  de  Garmen  et  força  deux  autres 
bâtiments  à  se  jeter  à  la  côte  ('). 

<*)  Happorl  du  commandant  de  la  Grenade,  26  avril. 


LE    GÉNÉRAL    FORE Y.  307 

Peu  après  (17  mai  1862),  la  canonnière  r Eclair  alla        -1863. 
sommer  le  gouverneur  de  Campêche  de  s'abstenir  de  tout  ~ 

acte  d'hostilité  contre  l'île  de  Carmen  ;  mais  cette  dé- 
marche n'aboutit  qu'à  un  échange  de  coups  de  canon, 
inoffensifs  il  est  vrai,  entre  elle  et  les  batteries  de  terre. 

Les  bâtiments  de  flottille  français  avaient  une  surveil- 
lance très-difficile  à  exercer  sur  toute  cette  côte  où  leurs 
équipages  étaient  fort  éprouvés  par  les  maladies  ;  malgré 
leur  faible  tirant  d'eau,  ils  étaient  obligés  de  se  tenir 
encore  à  près  de  quatre  milles  du  rivage  et  les  embarca- 
tions ennemies  pouvaient,  presque  toujours,  passer  impu- 
nément entre  eux  et  la  terre  ;  quelques  petits  bâtiments 
furent  cependant  capturés  par  le  Marceau  et  par  ÏEclair, 
on  s'en  servit  pour  aider  au  service  des  croiseurs.  Le 
gouvernement  français,  par  égard  pour  les  intérêts  des 
neutres,  n'ayant  pas  déclaré  le  blocus  complet  des  ports 
mexicains,  les  navires  de  guerre  étaient  réduits  à  voir,  à 
portée  de  leurs  canons,  les  douanes  mexicaines  percevoir 
des  sommes  assez  considérables,  qui  étaient  aussitôt  ap- 
pliquées à  l'entretien  des  guérillas.  La  présence  d'une  ca- 
nonnière dans  les  eaux  de  Carmen  avait  été,  pendant  un 
certain  temps,  utile  au  commerce  de  cette  île ,  mais  l'en- 
nemi, maître  du  cours  supérieur  des  rivières,  intercepta 
bientôt  la  descente  des  bois.  Les  embarcations  françaises 
remontèrent  le  cours  du  grand  fleuve  Usumacinta,  d*abord 
jusqu'à  Palizada  à  dix-huit  lieues  de  l'embouchure,  puis 
jusqu'à  Jonuta  à  huit  lieues  plus  loin,  elles  en  chassèrent 
les  postes  de  guérilleros  et  dégagèrent  momentanément  la 
navigation. 

Le  général  en  chef,  dont  tous  les  efforts  étaient  alors 
concentrés  vers  Puebla,  voulait  éviter  une  dissémination 
de  forces   préjudiciable  à  l'ensemble   de    l'entreprise  et 


308  l"   PARTIE.  CHAPITRE  VII, 

4863  s'opposait  à  ce  que  ces  opérations  prissent  trop  de  dévelop- 
pement; après  être  entré  à  Mexico,  il  reporta  son  attention 
sur  les  côtes  du  golfe  et  se  proposa  d'enlever  à  l'ennemi 
les  ressources  considérables  qu'il  tirait  de  la  mer.  Dans  ce 
but,  il  décida  que  des  garnisons  iraient  s'établir  à  Mina- 
titlan  et  à  Tampico.  Le  consul  de  France  de  Vera-Cruz 
avait  beaucoup  insisté  pour  faire  décider  l'expédition  de 
Minatitlan  ;  ce  port  est  situé  sur  le  Rio  Goatzacoalco  à  huit 
lieues  de  la  mer,  dans  une  position  avantageuse;  il  devait 
être  la  tête  du  canal  et  de  la  ligne  ferrée  que  les  Amé- 
ricains avaient  projeté  d'établir  à  travers  l'Isthme  de  Te- 
huantepec.  Le  revenu  de  sa  douane  du  10  février  au 
i^'"  mai  avait  été  de  26,000  piastres,  ce  qui  donne  la  me- 
sure de  son  importance. *Le  contre-amiral  Bosse  qui,  de- 
puis le  mois  d'avril  1863,  avait  succédé  au  vice-amiral 
Jurien  dans  le  commandement  de  l'escadre ,  ne  voulait 
pas  assumer  la  responsabilité  d'une  occupation  permanente 
des  villes  du  littoral  ;  il  était  contraire  à  ce  projet,  mais 
M.  de  Stœcklin,  l'ancien  commandant  de  la  contre-gué- 
rilla des  terres  chaudes,  se  faisait  fort,  disait-il,  de  tenir 
dans  ce  poste  avec  cent  vingt  aventuriers  qu'il  avait  recrutés 
et  armés  tant  bien  que  mal  ;  l'expédition  fut  définitivement 
résolue.  L'amiral  fit  armer  un  petit  bâtiment  mexicain  ré- 
cemment capturé,  le  Pizarro,  atin  de  le  laisser  devant  Mi- 
natitlan pour  soutenir  le  détachement  qu'on  y  établirait. 

La  troupe  de  M.  Stœcklin  fut  débarquée  sans  résistance 
le  17  juillet;  un  grave  accident  signala  cependant  cette 
expédition  ;  pendant  la  nuit,  la  frégate  îe  Montezuma,  par 
maladresse  ou  par  trahison  du  pilote,  s'échoua  sur  un  banc 
de  sable.  Il  fut  impossible  de  la  remettre  à  flot. 

M.  de  Stœcklin  obtint  d'abord  d'assez  bons  résultats  ; 
plusieurs  localités  voisines  se  soumirent,  mais,  le  17  août, 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  309 

s'étant  imprudemment  porté  avec  vingt-cinq  hommes  con-  jsôs. 
tre  un  rassemblement  ennemi  qui  se  formait  à  Jaltipan,  il 
fut  entouré  par  des  forces  très-supérieures  et  succomba 
sous  le  nombre  de  ses  adversaires.  Le  capitaine  Dubosc  du 
régiment  étranger  le  remplaça.  Grâce  au  concours  du 
Pizarro  et  d'une  canonnière  restée  devant  Minatitlan,  il 
put  se  maintenir  dans  le  fort;  cependant,  le  14  octobre, 
ayant  tenté  une  sortie,  il  fut  vivement  ramené  par  l'ennemi 
qui  lui  tua  quarante  hommes,  en  blessa  quatorze  et  lui 
enleva  un  canon.  Il  fallut  envoyer  de  Yera-Cruz  d'impor- 
tants renforts  et  se  résigner  à  garder  une  attitude  toute 
défensive.  Du  reste,  le  commerce  était  complètement  inter- 
rompu, le  blocus  de  l'embouchure  du  Rio  Goatzacoalco 
eut  donc  été  de  beaucoup  préférable  à  cette  stérile  et  dan- 
gereuse occupation. 

Il  en  fut  de  même  à  San  Juan  Bautista,  capitale  de  l'État 
de  Tabasco,  que  le  général  mexicain  Marin,  gouverneur 
de  Carmen,  avait  occupé  le  18  juin;  la  garnison  s'était 
bientôt  vue  hors  d'état  de  se  suffire  à  elle-même  et  l'amiral 
avait  encore  été  obligé  d'envoyer  une  canonnière  station- 
ner devant  la  ville. 

L'expédition  de  Tampico  devait  se  faire  aussitôt  après 
celle  de  Minatitlan,  mais  la  perte  du  Montezuma  en  retarda 
les  préparatifs.  Le  général  en  chef  avait  destiné  à  cette  opé- 
ration 900  hommes  d'infanterie  de  marine  sous  les  ordres 
du  colonel  Hennique  et  un  corps  mexicain  auxiliaire  de 
deux  compagnies  et  d'un  escadron  composés  en  grande 
partie  d'habitants  de  Tampico  réfugiés  à  Vera-Gruz.  La 
marine  fournit  en  outre  un  détachement  de  quatorze  ca- 
nonniers  pour  le  service  de  deux  pièces  de  4  et  de  deux 
pièces  de  12.  L'effectif  total  de  ces  troupes  s'élevait  à  1280 
liommes  et  172  chevaux.  Elles  s'embarquèrent  le  6  août. 


310  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE  VU. 

1863.  L'amiral  Bosse  dirigea  lui-même  l'escadre.  Le  8  août,  il 

se  présenta  à  l'embouchure  du  Piio  Panuco,  fit  embosser 
trois  de  ses  bâtiments  à  quinze  cents  mètres  de  la  côte  et 
réduisit  au  silence  l'artillerie  d'un  fortin  qui  défendait 
l'entrée  du  fleuve.  Le  débarquement  s'opéra  le  lendemain; 
les  embarcations,  remorquées  par  trois  chaloupes  à  vapeur, 
franchirent  heureusement  la  barre  et  sept  cents  hommes 
furent  mis  à  terre  sans  résistance.  Peu  après,  une  des  cha- 
loupes à  vapeur,  La  Jeanne  d'Arc ,  sombra  sur  la  barre  ; 
son  équipage  fut  sauvé. 

Le  11  août,  le  colonel  Hennique  entra  à  Tampico.  L'en- 
nemi ne  songea  pas  à  défendre  la  ville,  mais  comme  l'an- 
née précédente,  il  la  bloqua  étroitement  du  côté  de  la  terre 
et  la  priva  de  toute  communication  avec  l'intérieur  du  pays, 
tandis  que  le  vomito  se  déclarant  avec  une  extrême  violence 
décimait  chaque  jour  sa  garnison. 

Enfin,  le  6  septembre,  le  gouvernement  français  se  dé- 
cida à  déclarer  le  blocus  effectif  des  côtes  du  golfe,  depuis 
un  point  situé  à  dix  lieues  au  sud  de  l'embouchure  du  Rio 
Bravo  jusqu'à  et  y  compris  Campêche  (').  Cette  mesure 
était  réclamée  depuis  longtemps  par  les  commandants  des 
bâtiments  dont  les  croisières  ne  pouvaient  avoir  aucun  ré- 
sultat sérieux. 

situaiion  A  la  fin  de  l'été  de  1863,  l'armée  française  se  trouvait 

politiquedu  pavs.  i      t\      i  i  i     •»«■      •  -m 

donc  maîtresse  de  Puebla  et  de  Mexico  ;  son  influence  se 
faisait  sentir  dans  un  rayon  d'une  vingtaine  de  lieues  au- 
tour de  ces  villes  ;  ses  détachements  occupaient  la  ligne  de 
Mexico  à  Vera-Cruz.  Le  pavillon  français  se  montrait  sur 
toutes  les  côtes  du  golfe,  et  l'escadre  du  Pacifique  l'avait 

fi)  L'amiral  Bosse  au  ministre  de  la  marine,  30  août. 


LE    GÉNÉRAL    FORET.  311 

également  fait  voir  sur  plusieurs  points  des  côtes  du  grand         m3. 
Océan,  mais  aucun  mouvement  sérieux  ne  s'était  produit  en 
faveur  de  l'intervention. 

Dans  les  diverses  localités  visitées  par  nos  troupes,  les 
populations  paraissaient,  il  est  vrai,  plutôt  sympathiques 
qu'hostiles,  elles  s'étaient  assez  volontiers  associées  à  la 
fête  nationale  du  lo  août  ;  d'autre  part,  elles  avaient  paru 
flattées  de  voir  l'armée  française  célébrer  avec  elles  les 
fêtes  commémoratives  de  l'indépendance  mexicaine   des 
16  et  20  septembre   et  donner    ainsi   un  témoignage  de 
son  respect  pour  la  nationalité  mexicaine.  Il  arrivait  sou- 
vent que  des  villages  ou  des  petites  villes,  pressurées  par 
des  bandes  de  guérilleros,  sollicitaient  la  protection  d'une 
garnison  française  pour  échapper  à  leurs  violences,  mais 
là  se  bornaient  toutes  les  manifestations   intervention- 
nistes ;  Juarez  était  toujours  le  chef  reconnu  et  obéi  de  la 
presque  totalité  du  pays.  Le  gouvernement  de  la  Régence 
était  impuissant  à  se  constituer  et  à  se  suffire  ;  pour  lui  per- 
mettre de  fonctionner,  il  avait  fallu  que  le  général  en 
chef  autorisât  des  émissions  de  bons  du  trésor,  garantis  par 
la  France,  jusqu'à  concurrence  de  200,000  piastres  par 
moisO).  La  coopération  des  forces  alliées,  dont  le  chiffre 
s'élevait  à  environ  six  mille  hommes,  était,  pour  ainsi  dire, 
nulle.  Le  général  Forey  avait  cru  devoir  abolir  les  enrôle- 
ments forcés  ou  Levas,  mode  de  recrutement  peu  moral 
sans  doute,  mais  le  seul  connu  et  appliqué  au  Mexique  ;  on 
n'avait  donc  aucun  moyen  de  maintenir  l'effectif  de  ces 
troupes  que  les  désertions  afPaibhssaient  chaque  jour.  Près 
de  Pachuca,  une  compagnie  était  passée  à  l'ennemi ,  son 
capitaine  en  tête  ;  si  on  les  eût  envoyées  dans  les  terres 

'*>  Le  général  Forey  au  ministre  de  la  guerre.   13  juillet. 


312  l'"  l'ARTIL".  CHAPITRE    VII. 

18G3.  chaudes,  elles  auraient  déserté  en  masse.  On  n'avait  donc 
que  fort  peu  de  confiance  dans  les  soldats,  et  l'on  ne  sa- 
vait encore  quels  étaient  ceux  de  leurs  chefs  sur  lesquels 
il  était  possible  de  compter. 

Les  guérillas  ennemies  et  les  forces  dites  régulières  mon- 
traient au  contraire  une  grande  énergie  ;  leurs  exactions 
leur  donnaient  les  ressources  dont  elles  avaient  besoin  ; 
elles  dominaient  le  pays  par  la  terreur  ;  de  toutes  parts  des 
bandes  surgissaient  et  inquiétaient  les  petits  postes  sans 
vouloir  s'engager  d'une  manière  sérieuse.  Elles  se  recru- 
taient partout,  même  dans  les  villes  occupées  par  les  Fran- 
çais, même  à  Mexico  où  les  libéraux  abusant  de  la  protection 
accordée  aux  gens  paisibles  de  tous  les  partis  poursuivaient 
leurs  menées  hostiles. 

Des  réunions  avaient  lieu  dans  la  maison  du  chargé  d'af- 
faires du  Pérou,  et  le  général  en  chef  qui  s'efforçait  cepen- 
dant de  résister  aux  tendances  réactionnaires  de  la  Régence, 
consentit,  d'après  les  conseils  de  M.  de  Saligny,  à  faire 
arrêter  neuf  personnes  désignées  par  le  gouvernement 
mexicain  et  à  les  faire  déporter  sans  jugement  à  Gayenne, 
Il  déclina  toutefois  la  responsabilité  de  cette  mesure  qui 
causa  une  vive  émotion  au  Mexique  et  fut  formellement 
désapprouvée  par  le  gouvernement  français.  Le  chargé 
d'affaires  du  Pérou  reçut  ses  passe-ports  et  dut  quitter  le 
Mexique  (^). 

L'ancien  président  Miramon  était  revenu  à  Mexico  (28 
juillet)  et  bien  qu'il  promît  son  concours  à  l'intervention  , 
il  était  nécessaire  de  le  surveiller.  Le  fils  de  Santa-Anna 
vint  aussi  à  Vera-Cruz,  mais  on  jugea  prudent  de  l'inviier 
à  quitter  le  Mexique. 

<•)  Le  maréchal  Forey  au  ministre  delà  guerre,  2i  août,  —  Le  général  Bazaine 
au  ministre  de  la  guerre,  27  août. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  313 

A  la  suite  du  siège  de  Puebla,  le  général  Forey  avait  été         ^8G3. 
élevé  à  la  dignité  de  maréchal  ;  le  ministre  lui  écrivit  que        Rappel 

.  ,..,.,    du  général  Forev 

1  Empereur  «  pensait  qu'étant  revêtu  de  cette  diernite,  il         et  de 

,  •       ,        f-  11,-  ,        .         1  .\.       M.  deSalig'iy. 

n  y  avait  plus  lieu  de  le  laisser  à  la  tête  du  corps  expédi- 
tionnaire »  ;  il  l'invita  à  remettre  son  commandement  au 
général  Bazaine.  A  cette  époque  ,  on  ne  connaissait  encore 
à  Paris  ni  l'entrée  à  Mexico,  ni  la  proclamation  de  l'Em- 
pire ('). 

Au  même  moment,  M.  de  Saligny  recevait  aussi  l'ordre 
de  rentrer  en  France;  les  instructions  adressées  au  général 
Bazaine  montrent  que  le  cabinet  des  Tuileries  était  aussi 
peu  satisfait  de  la  lenteur  avec  laquelle  les  opérations  mili- 
taires avaient  été  menées,  que  des  mesures  politiques  prises 
de  concert  par  le  commandant  en  chef  et  le  ministre  de 
France.  Cependant,  ni  le  maréchal,  ni  M.  de  Saligny,  ne 
parurent  se  rendre  compte  des  raisons  qui  avaient  pu  mo- 
tiver leur  rappel.  Ils  se  décidaient  avec  peine  à  quitter  le 
Mexique  ;  l'un  et  l'autre  différèrent  leur  départ.  Le  maréchal 
voulut  attendre  la  réponse  aux  dépêches  annonçant  la  pro- 
clamation de  l'Empire  sous  Maximihen,  pensant  que  cette 
importante  nouvelle  modifierait  peut-être  les  ordres  de  l'Em- 
peï'eur  (^).  M.  de  Saligny  espérait  aussi  que  ce  résultat,  dont 
il  s'attribuait  avec  raison  le  mérite,  lui  vaudrait  d'être 
maintenu  à  son  poste.  En  attendant,  des  manifestations 
furent  provoquées  en  sa  faveur  dans  la  presse  mexicaine, 
et  les  résidents  français  signèrent  des  adresses  au  gouver- 
nement pour  déclarer  que  sa  présence  aux  affaires  serait 
absolument  indispensable  lorsque  l'on  réglerait  les  indem- 
nités. Le  général  Almonte  agit  dans  le  même  sens,  mais  en 


<1)  Le  ministre  de  la  guerre  au  maréchal  Forey,  17  juillet. 
'')  Le  maréchal  Forey  au  ministre  de  la  guerre,  24  août. 


314  l"   PARTIE.  —  CHAPITRE  VII. 

<863.  vain  (*).  Le  maréchal  Forey  et  M.  de  Saligny  furent  de  nou- 
veau et  plus  impérativement  rappelés.  Le  ministre  de  la 
guerre  écrivait  au  général  Bazaine  qu'il  regrettait  l'ajourne- 
ment apporté  à  l'exécution  des  instructions  envoyées  au  ma- 
réchal parce  qu'il  devait  en  résulter  «  du  trouble  et  de 
l'irrésolution  dans  le  pays,  d'autant  plus  qu'une  presse  im- 
prudente, pour  ne  rien  dire  de  plus,  se  permettait  d'élever 
sur  un  piédestal  un  ministre  plénipotentiaire,  que  son  gou- 
vernement rappelait  et  sans  doute  pour  de  bonnes  rai- 
sons (^)  » . 

Le  maréchal  Forey  remit  donc  son  commandement  au 
général  Bazaine  le  1^'"  octobre;  il  s'embarqua  le  21  à  Vera- 
Cruz.  Quant  à  M.  de  Saligny,  il  cessa  ses  fonctions  mais 
ne  partit  pas  encore,  il  était  au  moment  de  se  marier  et 
désirait  ne  pas  s'éloigner  immédiatement.  Cependant  le 
gouvernement  français  attachait  une  importance  toute  par- 
ticulière à  son  départ.  La  dépêche  suivante,  adressée  le  28 
octobre  au  général  Bazaine  par  le  ministre  de  la  guerre,  en 
donne  la  preuve  : 

«  M.  le  minisire  des  affaires  étrangères  a  adressé  par  trois  fois 
différentes  à  M.  de  Saligny  l'ordre  de  rentrer  en  France,  même 
sans  attendre  l'arrivée  de  son  successeur,  M.  de  Montholon,  mi- 
nistre plénipotentiaire  au  Mexique. 

«  Je  suis  chargé  de  vous  faire  connaître  que  l'intention  formelle 
de  l'Empereur  est  que  l'ordre  concernant  M.  de  Saligny  soit  exécuté 
au  reçu  de  cette  lettre,  dans  le  cas  où  il  serait  encore  au  Mexique. 
Vous  donnerez  connaissance  à  M.  de  Saligny  du  contenu  de  la  pré- 
sente dépêche,  et  le  préviendrez  qu'elle  doit  recevoir  sa  complète 
exécution,  quelque  considération  qu'il  pût  d'ailleurs  faire  valoir 
pour  provoquer  un  ajournement  de  quelque  durée  que  ce  soit. 

«  11  vous  appartient  de  prendre  telle  mesure  que  vous  jugerez 
convenable  pour  que  les  présentes  dispositions  soient  accomplies 

^1)  Le  général  Almonte  au  général  WoU,  25  août, 

'*)  Le  ministre  de  la  guerre  au  général  Bazaine,  30  septembre. 


LE    GÉNÉRAL   FOREY.  315 

et  que  M.  de  Saligny  s'embarque  à  Vera-Cruz  par  le  premier  pa-  i863. 

quebot  qui  sera  en  partance  après  la  réception  de  cette  lettre.  ~ 

«  Vous  me  rendrez  compte  de  l'exécution. 

«  Post-scriptum.  Alors  même  que  M.  de  Saligny  donnerait  sa 
démission,  il  ne  devrait  pas  moins  quitter  le  Mexique  sans  aucun 
retard.  » 

Celle  lettre  est  en  réalité  la  condamnation  la  plus  sévère 
et  la  plus  formelle  de  la  conduite  de  M.  de  Saligny  et  de  la 
direction  qu'il  avait  jusqu'alors  imprimée  à  la  politique 
française  au  Mexique.  Depuis  le  début  de  l'expédition,  au- 
cun des  représentants  delà  France  n'avait. donc  su  remplir 
les  intentions  de  l'Empereur.  L'amiral  Jurien,  le  générai 
de  Lorencez,  le  maréchal  Forey,  M.  de  Saligny  avaient 
tour  à  tour  été  désapprouvés.  Seules,  les  appréciations  de 
M.  de  Saligny  eurent  pendant  longtemps  le  privilège  de 
guider  la  politique  des  Tuileries  ;  l'intermédiaire  du  duc  de 
Morny  donna  une  grande  influence  à  sa  manière  de  voir  ; 
l'Empereur  déclara  même  dans  ses  instructions  au  général 
Forey  qu'il  avait  une  entière  confiance  en  lui.  Le  rappel  du 
ministre  de  France  et  le  changement  simultané  du  comman- 
dant en  chef  indiquent  par  conséquent  un  mécontentement 
sérieux  et  une  intention  bien  arrêtée  de  modifier  la  ligne 
de  conduite  suivie  jusqu'alors. 

L'inertie  des  populations  que  l'on  avait  prétendu  si  dis- 
posées à  acclamer  l'intervention  française,  l'impuissance  du 
parti  réactionnaire,  qui  ne  s'était  que  trop  révélée  depuis 
dix-huit  mois,  avaient  sans  doute  fait  évanouir  bien  des 
illusions.  Des  dépêches  du  ministre  des  affaires  étrangères, 
datées  du  mois  de  juin,  et  qui  malheureusement  n'arrivèrent 
à  Mexico  qu'à  la  fin  de  juillet,  témoignent  du  désir  du  gou- 
vernement français  de  mettre  fin  aussi  promptement  que 
possible  à  l'expédition  du  Mexique. 


316  l"   PARTIE.  CHAPITRE  VII. 

4863.  Ces  dépêches  étaient  écrites  avant  que  l'on  connût  la 

prise  de  Puebla,  mais  on  la  regardait  comme  prochaine  et 
M.  Drouyn  de  Lhuis  indiquait  dans  les  termes  suivants,  au 
général  en  chef,  quelle  conduite  il  aurait  à  tenir  (*)  : 

«  Général,  au  moment  où  je  vous  adresse  cette  dépêche,  le  gou- 
vernement de  l'Empereur  est  autorisé  par  vos  derniers  rapports  à 
considérer  la  prise  de  Puebla  comme  un  fait  accompli. 

Après  une  résistance  aussi  longue  et  aussi  opiniâtre,  vous 

ne  serez  sans  doute  pas  en  mesure  de  reprendre  immédiatement 
les  opérations  actives.  Sa  Majesté  a  pensé  que  vous  emploieriez  en- 
viron deux  mois  pour  rassembler  les  moyens  de  vous  remettre  en 
marche  sur  Mexico  dans  toutes  les  conditions  désirables  de  succès. 
Ce  temps  d'arrêt  nécessaire  nous  a  paru  opportun  pour  vous  entre- 
tenir de  la  situation  politique  et  examiner  si  les  circonstances  ne 
nous  permettraient  pas  d'entrevoir  dès  à  présent  la  satisfaction  des 
intérêts,  qui  nous  ont  obligés  h  porter  la  guerre  au  Mexique.  » 

Le  ministre  rappelait  que  les  intentions  et  les  devoirs  de 
la  France  étaient  définis  par  les  termes  de  la  convention 
de  Londres,  par  les  instructions  données  à  l'amiral  Jurien 
et  enfin  par  celles  que  le  général  Forey  avait  lui-même  re- 
çues. Il  n'y  était  pas  question  «  d'imposer  aux  Mexicains 
une  forme  de  gouvernement  qui  leur  fût  antipathique,  mais 
de  les  aider  dans  leurs  efforts  pour  établir,  selon  leur  vo- 
lonté, un  gouvernement  qui  eût  des  chances  de  stabilité  et 
pût  assurer  à  la  France  le  redressement  des  griefs  dont  elle 
avait  à  se  plaindre.  » 

ï  Nous  n'avons  jamais  dissimulé,  continuait  le  ministre,  les 
sentiments  que  nous  inspire  l'administration  de  Juarez;  nous  n'a- 
vons point  caché  que  nous  ne  croirions  pas  pouvoir  négocier  avec 
lui  et  nos  dispositions  n'ont  pas  varié.  Mais  nos  engagements  ne 
vont  point  au  delà  de  la  poursuite  de  nos  droits  et  de  l'appui  que 

O)  Le  ministre  des  affaires  étrangères  au  général  Forey.  5  juin  1863. 


LE    GÉNÉRAL    FOREY.  317 

nous  avons  éventuellement  promis  de  donner  aux  tentative:^  diri-  igo.î. 

gées  contre  le  gouvernement  actuel.  — 

Nous  n'aurions  pas  d'objection  à  entrer  en  relations  avec  un 
pouvoir  nouveau  ayant  l'assentiment  du  pays  et  prêt  à  traiter  sur 
la  base  des  indemnités  et  des  garanties  d'intérêt  général  que  nous 
sommes  fondés  à  revendiquer.  A  nos  demandes  antérieures  nous 
ne  voulons  joindre  la  stipulation  d'aucun  avantage  exclusif  en 
dehors  des  frais  de  guerre  que  l'étendue  de  nos  sacrifices  nous 
oblige  à  réclamer. 

Dans  un  pays  où  le  pouvoir  a  si  souvent  changé  de  mains  depuis 
quelques  années,  la  difficulté  n'est  pas  de  trouver  des  hommes  qui 
l'aient  déjà  possédé  et  qui  aspirent  à  le  ressaisir,  ainsi  que  bon 
nombre  de  personnalités  plus  ou  moins  considérables  entourées 
d'une  notoriété  suffisante  pour  y  prétendre.  Mais  une  société,  dont 
les  malheurs  viennent  principalement  de  ses  divisions,  aurait 
surtout  besoin  de  voir  à  sa  tête  un  nom  capable  de  rallier  les 
partis  opposés  dont  les  succès  alternatifs  ont  tour  à  tour  déchiré  le 
pays.  Notre  désir  serait  donc  que  l'homme  avec  lequel  vous  essaye- 
riez de  vous  mettre  en  rapport  fût  apte  autant  que  possible  à  en- 
treprendre cette  œuvre  de  conciliation  et  eût  reçu  préalablement 
de  la  nation  elle-même,  sous  une  forme  quelconque,  même  provi- 
soire, le  pouvoir  de  traiter  avec  vous.  Il  se  pourrait  qu'il  fallût  le 
chercher  parmi  les  chefs  mêmes  qui,  trompés  par  leur  patriotisme, 
croient  servir  la  cause  nationale  en  portant  les  armes  contre  nous. 
Vous  ne  vous  refuseriez  point  à  sonder  ses  dispositions  parce  qu'il 
serait  aujourd'hui  dans  les  rangs  de  nos  adversaires.  Notre  politique 
a  été,  dès  le  principe,  de  faire  appel  à  tous  ceux  dont  le  concours 
nous  serait  utile,  et  c'est  la  même  penséequi  doit  vous  guider  dans 
les  ouvertures  dont  il  vous  paraîtrait  opportun  de  prendre  l'ini- 
tiative. 

Ces  considérations,  je  le  répète,  restent  subordonnées  aux 
exigences  de  notre  honneur  militaire,  aussi  bien  que  de  la  situation 
générale  dont  vous  êtes  le  meilleur  juge.  Mais  Sa  Majesté  a  pensé 
qu'après  la  prise  de  Puebla  et  sous  l'impression  salutaire  qu'elle 
aura  dû  produire,  vous  seriez  en  mesure  de  provoquer  la  formation 
d'un  gouvernement  avec  lequel  nous  puissions  négocier  sur  les 
bases  que  je  vous  ai  rappelées.  L'entente  que  vous  auriez  à  établir 
préalablement  avec  le  chef  militaire  qui  se  chargerait  de  diriger 
les  événements  réglerait,  d'ailleurs,  les  conditions  de  l'armistice 
entre  nos  troupes  et  les  siennes.  Son  intérêt  serait  d'accord  avec 
nos  propres  convenances  pour  admettre  l'occupation  amiable  de 


318  l"  PARTIE.  —  CHAPITRE  VII. 

4863.         Mexico  jusqu'à  la  conclusion  des  arrangements  définitifs  qui  de- 
'"'  vraient  être  signés  par  vous  dans  cette  ville. 

Si  donc,  des  nécessités  supérieures  et  que  nous  ne  saurions  pré- 
voir à  la  distance  où  nous  sommes  ne  s'y  opposent  pas,  l'intention 
de  l'Empereur,  dont  j'ai  pris  à  ce  sujet  les  ordres,  est  que,  tout  en 
continuant  de  vous  préparer  k  reprendre  votre  marche  en  avant, 
vous  profitiez  du  moment  de  repos  qui  suivra  la  chute  de  Puebla 
pour  faire,  dans  l'ordre  d'idées  que  je  viens  vous  indiquer,  tout  ce 
qui  serait  honorable  et  possible.  Nous  sommes  allés  au  Mexique 
pour  réclamer  des  satisfactions  déterminées.  Après  un  brillant  suc- 
cès militaire,  nous  pouvons  les  accepter  d'un  gouvernement  autre 
que  celui  de  Juarez  et^  si  vous  en  entrevoyez  les  éléments,  vous 
ne  devez  rien  négliger  pour  en  tirer  parti  de  la  manière  la  plus 
conforme  au  sincère  désir  du  gouvernement  de  l'Empereur  de 
mettre  fin  aux  hostilités  aussitôt  que  notre  dignité  nous  le  per- 
mettra. » 


A  la  même  date,  le  ministre  des  affaires  étrangères  com- 
muniquait au  général  en  chef  une  série  de  documents  rela- 
tifs à  Santa  Anna,  et  que  M.  Guttierrez  de  Estrada  lui  avait 
adressés.  Ces  documents  étaient  envoyés  sans  commen- 
taires d'aucune  sorte  ;  comme  M.  Guttierrez  de  Estrada 
était  le  défenseur  le  plus  ardent  des  projets  monarchiques, 
il  est  difficile  de  ne  pas  voir  dans  le  laconisme  même  de  la 
lettre  ministérielle  un  indice  des  appréciations  personnelles 
du  ministre,  peu  favorable  à  la  constitution  d'un  empire 
mexicain. 

Ces  dépèches  autorisent  à  penser  que  la  proclamation 
de  la  monarchie  surprit  désagréablement  le  gouvernement 
français.  Les  procédés  mis  en  œuvre  pour  obtenir  ce  ré- 
sultat n'étaient  pas  de  nature  à.  diminuer  son  mécontente- 
ment ;  l'Empereur  et  l'Archiduc  Maximilien  lui-même  s'en 
montrèrent  peu  satisfaits;  ils  ne  voulurent  pas  considérer 
le  vote  de  l'Assemblée  des  notables  comme  une  garantie 
suffisante  des  vœux  du  pays. 


LE  GÉNÉRAL  FOREY.  319 

a  Nous  avons  accueilli  avec  plaisir,  écrivait  encore 
M.  Drouyn  de  Lhuis  (^),  comme  un  symptôme  de  favorable 
augure,  la  manifestation  des  notables  de  Mexico  en  faveur 
de  l'établissement  d'une  monarchie  et  le  nom  du  prince 
appelé  à  l'Empire.  Cependant,  ainsi  que  je  vous  l'indique 
dans  une  précédente  dépêche,  nous  ne  saurions  considérer 
les  votes  de  cette  assemblée  que  comme  un  premier  indice 
des  dispositions  du  pays.  Avec  toute  l'autorité  qui  s'attache 
aux  hommes  qui  la  composent,  l'Assemblée  recommande 
à  ses  concitoyens  l'adoption  d'institutions  monarchiques  et 
elle  désigne  un  prince  à  ses  suffrages.  » 

Avant  d'accepter  officiellement  la  couronne,  l'Archiduc, 
d'accord  avec  le  gouvernement  français,  demanda  que  les 
décisions  de  l'assemblée  des  notables  fussent  ratifiées  par 
l'adhésion  des  populations  de  l'intérieur.  Ce  tut  un  grand 
désappointement  pour  les  serviteurs  trop  zélés  de  la  poli- 
tique impériale  qui,  dans  leur  dévouement  hâtif,  n'avaient 
fait  en  réalité  qu'ajouter  un  nouveau  pronunciamiento  à  la 
liste  déjà  trop  longue  de  ceux  qui  remplissent  l'histoire  du 
Mexique.  L'Empereur  Napoléon  se  voyait  désormais  dans 
l'impossibihté  de  dégager  sa  politique.  L'Empire  mexicain 
avait  été  proclamé  par  une  assemblée  mexicaine,  nommée 
sous  les  auspices  des  représentants  de  la  France  et  encou- 
ragée par  eux,  comment  refuser  au  nouveau  gouvernement 
la  protection  qui  lui  avait  été  officiellement  promise?  A 
l'armée  française  va  donc  échoir  la  pénible  tâche  de  faire 
reconnaître  l'Empire  sur  toute  la  surface  d'un  immense 
pays  habitué  depuis  longtemps  à  la  décentrahsation  d'un 
gouvernement  fédératif;  c'est  elle  qui  sera  chargée  de  faire 

(*)  M.  Drouyn  de  Lhuis  au  général  Bazaine,  17  août. 


1863. 


4863. 


320  l"  PARTIE.  CHAPITRE    VU. 

accepter  le  nouvel  Empereur  par  des  populations  qui 
ignoraient  même  l'existence  du  prince  destiné  à  les  gou- 
verner. 

Elle  consacrera  pendant  plus  de  trois  ans  encore  ses 
efforts  et  son  dévouement  à  cette  œuvre  ingrate  (^). 

'1'  Depuis  le  début  de  Texpédition,  les  pertes  de  l'armée  de  terre  étaient 
de  47  officiers,  283  hommes  tués  ;  40  ofDciers,  1370  hommes  morts  de  maladie. 
Total  :  1740  morts.  (D'après  un  relevé  fait  le  7  novembre  1863). 

Les  pertes  de  la  marine  étaient  relativement  plus  considérables.  D'après  un 
relevé  statistique  du  22  janvier  1864,  on  comptait  comme  morts  ou  disparus  : 
19  officiers  de  vaisseau,  9  commissaires,  11  chirurgiens,  1  ingénieur  du  génie 
maritime,  1259  officiers  mariniers  et  matelots,  1  officier  et  38  hommes  d'artil- 
lerie de  marine,  11  officiers  et  6S2  hommes  d'infanterie  de  marine,  5  gendarmes, 
9  sapeurs  du  génie  colonial,  2  volontaires  des  compagnies  créoles.  Total  ;  2017 
morts  ou  disparus. 

Le  personnel  de  la  flotte  qui  avait  concouru  à  l'expédition  s'élevait  au  chiEfre 
de  20,312  hommes  des  équipages  (dans  ce  chiffre  les  marins  sont  comptés  autant 
de  fois  qu'ils  ont  fait  le  voyage)  ;  on  avait  débarqué  1351  marins,  2150  hommes 
d'infanterie  de  marine,  310  hommes  d'artillerie  de  marine,  200  sapeurs  du  génie 
colonial,  55  gendarmes.  Total  :  4,066. 


DEUXIÈME  PARTIE 


21 


DEUXIÈME  PARTIE 


CHAPITRE  PREMIER. 


Le  général  Bazaine. 

(Octobre  1863.)  Ligne  politique  tracée  au  général  Bazaine.  —  Réception  de 
la  commission  mexicaine  par  l'archiduc  MaximiJien.  —  Forces  militaires  dont 
disposait  le  général  Bazaine.  —  Armée  mexicaine  alliée.  —  Préliminaires 
de  la  campagne  de  l'intérieur.  —  Les  colonnes  expéditionnaires  quittent  Mexico. 

—  Poursuite  de  la  division  Doblado  jusqu'à  Aguascalientes.  —  Opérations  du 
général  Douay  contre  le  corps  d'Uraga.  —  Opérations  de  la  division  Mejia.  — 
Occupation  et  défense  de  San  Luis  Potosi  (23  et  27  décembre  1863).  —  Occu- 
pation de  Guadalajara  (o  janvier  1864).  —  Difficultés  .suscitées  par  le  clergé. 

—  Retour  du  général  en  chef  à  Mexico  (4  février  1864).  —  Marche  de  la  divi- 
sion Douay  sur  Zacatecas,  puis  sur  Guadalajara.  —  Situation  politique.  — 
Acceptation  officielle  de  la  couronne  par  l'archiduc  Maxirailien.  —  Emprunts. 

—  Convention  de  xMiramar  (10  avril  1864).  —  Arrivée  de  l'empereur  Maxi- 
milien  à  Vera-Cruz  (28  mai  186i).  —  Opérations  du  général  Douay  aux  envi- 
rons de  Guadalajara.  —  Destruction  des  guérillas  de  l'État  de  Guanajuato.  — 
Opérations  dans  la  Sierra  Morones.  —  Combat  de  Matehuala  (17  mai  1864). 

—  Opérations  aux  environs  de  Tampico.  —  Evacuation  de  Minatitlan  (28  mars) 
et  de  San  Juan  Bautista  (27  février).  —  Occupation  d'Acapulco  (3  juin  1864). 

Le  1*^'"  octobre  18(33,  le  général  Bazaine  prit  le  comman-    Ligne  politique 
dément  du  corps  expéditionnaire  et  la  direction  des  affaires  genéraT^Ba^zainc. 
politiques.  Il  se  trouvait  en  présence  d'une  situation  très- 
difïicile.  En  effet,  les  instructions  du  sjouverneinent  fran- 


324  11*  PARTffi.  —  CHAPITRE  l". 

''863.  çais  lui  prescrivaient  d'arrêter  la  régence  de  l'empire 
dans  la  voie  de  réaction  où  elle  paraissait  disposée  à  s'en- 
gager; il  avait  l'ordre  formel  de  faire  rapporter  les  mesures 
relatives  au  séquestre  et  à  l'interdiction  de  la  sortie  du 
numéraire,  et  de  s'efforcer  de  reprendre,  sur  la  direction 
générale  de  l'administration  du  pays,  la  part  d'action  qui 
revenait  de  droit  au  représentant  de  la  France  ;  il  devait 
enfin  s'opposer  énergiquement  aux  actes  gouvernementaux 
qui  ne  seraient  pas  en  harmonie  avec  les  déclarations  faites 
à  diverses  reprises  par  le  gouvernement  français.  Le  gé- 
néral Bazaine  se  vit  donc  obligé  de  modifier  l'organisation 
défectueuse  de  la  plupart  des  services,  de  surveiller  les 
détails  de  l'administration,  et  de  faire  élaborer  sous  sa 
direction  les  projets  de  loi  destinés  à  servir  de  bases  au 
nouveau  gouvernement  (*). 

Le  général  Almonte  avait  toujours  montré  une  grande 
déférence  pour  les  volontés  de  l'Empereur  ;  il  était  animé 
de  dispositions  conciliantes  et  se  conforma  volontiers  aux 
indications  données  par  le  général  Bazaine  ;  le  général  Salas, 
'  deuxième  membre  du  gouvernement  provisoire,  s'associa  à 
cette  manière  de  voir;  mais  il  en  fut  tout  autrement  de 
l'archevêque  de  Mexico,  M^'  Labastida,  récemment  revenu 
d'Europe,  et  qui  prit  ses  fonctions  de  régent  le  19  octobre. 

Les  trois  membres  du  gouvernement  provisoire  s'étant 
partagé  les  divers  ministères,  l'archevêque  se  réserva 
ceux  de  la  justice  et  de  l'intérieur;  il  voulut  faire  rap- 
porter les  décrets  relatifs  à  la  sécularisation  des  biens  de 

(*)  Le  ministre  au  général  Bazaine,  17  juillet,  28  octobre.  —  Le  général 
Bazaine  au  ministre,  27  et  28  septembre,  15  novembre  1863. 

Le  décret  interdisant  la  sortie  du  numéraire  avait  été  d'autant  plus  regrettable 
que  l'exportation  était  continuée  dans  les  ports  occupés  par  l'ennemi  et  au  moyen 
des  navires  anglais.  La  régence  perdait  donc  des  droits  d'exportation  impor- 
tants, et  les  métaux  ;trriv:iipnt  sur  les  niarch('s  anglais  au  préjudice  de  la  France. 


LE    GÉNÉRAL   BAZAINE.  32o 

mainmorte  et  restituer  au  clergé  les  propriétés  vendues  <863. 
en  vertu  des  lois  de  désamortissement.  Il  défendit  aux  juges 
de  connaître  des  causes  concernant  d'anciennes  propriétés 
ecclésiastiques  et  demanda  que  les  locataires  des  immeu- 
bles, adjugés  en  vertu  de  ces  lois,  payassent  leurs  loyers 
aux  anciens  propriétaires  et  non  aux  adjudicataires  dont  il 
se  refusait  à  reconnaître  les  droits  de  propriété.  Le  général 
Almonte  lui  représentait  en  vain  que  la  France  ne  consen- 
tirait jamais  à  admettre  pareille  prétention,  qu'il  était  pru- 
dent de  ne  pas  augmenter,  par  des  réclamations  intempes- 
tives, les  embarras  déjà  trop  considérables  de  la  situation  ; 
l'archevêque  ne  voulut  rien  entendre.  Ne  pouvant,  disait-il, 
transiger  sur  une  question  de  principes,  il  ne  consentait 
même  pas  à  conserver  le  statu  quo  jusqu'au  moment  où 
la  cour  de  Rome  aurait  donné  son  avis. 

Pour  calmer  Tagitation  que  ces  discussions  répandaient 
dans  le  public,  le  général  Bazaine  obtint  des  généraux 
Almonte  et  Salas  la  publication  d'une  note  officielle 
destinée  à  rappeler  que,  jusqu'à  nouvelle  décision,  les 
juges  devaient  se  conformer  à  l'esprit  du  manifeste  du 
général  Forey,  dans  lequel  il  était  dit  «  que  les  ventes 
régulières  seraient  confirmées,  et  que  les  transactions 
frauduleuses  seules  seraient  sujettes  à  la  révision  ».  L'ar- 
chevêque ayant  protesté,  ses  collègues,  d'accord  avec  le 
général  Bazaine,  lui  notifièrent  qu'il  cessait  de  faire  partie 
de  la  régence.  Il  répondit  en  déclarant  que  toutes  les  me- 
sures gouvernementales  prises  en  dehors  de  sa  partici- 
pation seraient  frappées  de  nullité. 

Déçus  de  l'espoir  de  recouvrer  leurs  richesses  perdues  et 
leur  prépondérance  dans  le  pays,  les  évêques  mexicains 
deviennent  dès  ce  moment  les  adversaires  déclarés  de  l'in- 
tervention française.  Il  ne  leur  suffit  pas  d'être  revenus  de 


326 


Il     PARTIE.  CHAPIIRE  I 


4863. 


Réception 

de  la 

commission 

mexicaine 

par  l'archiduc 

Maximilien. 


l'exil,  de  voir  la  religion  protégée,  ses  ministres  honorés  ; 
sans  se  préoccuper  du  tort  que  cette  attitude  pourra  causer 
à  leur  propre  parti,  ils  réclament  encore  la  restauration, 
de  privilèges  qui,  dans  la  plupart  des  États  catholiques, 
ont  disparu  sous  l'influence  des  idées  modernes. 

Le  général  Bazaine  écrivit  à  l'archevêque  pour  l'engager 
à  rejeter  les  conseils  des  hommes  imprudents  contre 
lesquels  il  était  d'ailleurs  décidé  à  sévir,  et  pour  l'inviter  à 
quitter  ses  fonctions  gouvernementales  sans  nouvelle  in- 
sistance. Les  deux  autres  membres  du  gouvernement  pro- 
visoire persistèrent  dans  les  idées  de  conciUation  dont 
s'inspirait  la  pohtique  française,  mais  les  esprits  n'en  restè- 
rent pas  moins  fort  agités  ;  le  général  en  chef,  obligé  de 
quitter  Mexico  pour  se  mettre  à  la  tète  des  colonnes  expédi- 
tionnaires qui  se  dirigeaient  vers  l'intérieur,  eut  le  regret  de 
laisser  derrière  lui  une  situation  très-tendue  et  des  embarras 
de  nature  à  compromettre  l'influence  même  de  la  France. 

La  marche  des  troupes  françaises,  dans  l'intérieur  du 
Mexique,  avait  pour  but  de  provoquer  l'adhésion  des  popu- 
lations au  vote  exprimé  par  l'assemblée  des  notables,  con- 
dition expresse  que  l'empereur  Napoléon  et  l'archiduc 
Maximilien  avaient  mise  à  l'acceptation  de  la  couronne  of- 
ferte à  ce  prince. 

Le  3  octobre,  en  recevant  au  château  de  Miramar  la  dé- 
putation  envoyée  par  l'assemblée  de  Mexico,  l'archiduc 
avait  répondu  aux  vœux  qu'elle  lui  exprimait  : 

«  Messieurs,  je  suis  vivement  touché  du  vœu  émis  par  l'assem- 
blée des  notables  de  Mexico  dans  la  séance  du  10  juillet  et  que 
vous  êtes  chargés  de  me  communiquer. 

«  Il  est  flatteur  pour  notre  maison  que  les  regards  de  vos  com- 
patriotes se  soient  tournés  vers  la  famille  de  Charles  Quint,  dès 
que  le  mot  de  monarchie  a  été  prononcé. 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  327 

«  Quelque  noble  que  soit  la  tâche  d'assurer  l'indépendance  et  la  ''^^• 
prospérité  du  Mexique,  sous  Tégide  d'institutions  à  la  fois  stables  et 
libres,  je  n'en  reconnais  pas  moins,  en  parfait  accord  avec  Sa  Ma- 
jesté l'Empereur  des  Français,  dont  la  glorieuse  initiative  a  rendu 
possible  la  régénération  de  votre  belle  patrie,  que  la  monarchie  ne 
saurait  y  être  rétablie  sur  une  base  légitime  et  parfaitement  solide 
que  si  la  nation  tout  entière,  exprimant  sa  volonté,  vient  ratifier  le 
vœu  de  la  capitale. 

«  C'est  donc  du  résultat  des  votes  de  la  généralité  du  pays  que 
je  dois  faire  dépendre  en  premier  Heu  Tacceptation  du  trône  qui 
m'est  offert.  D'un  autre  côté,  comprenant  les  devoirs  sacrés  d'un 
souverain,  il  faut  que  je  demande  en  faveur  de  l'empire  qu'il  s'agit 
de  reconstituer,  les  garanties  indispensables  pour  le  mettre  à  l'abri 
des  dangers  qui  menaceraient  son  intégrité  et  son  indépendance. 

«  Dans  le  cas  où  ces  gages  d'un  avenir  assuré  seraient  obtenus 
et  où  le  choix  du  noble  peuple  mexicain  pris  dans  son  ensemble  se 
porterait  sur  moi,  fort  de  l'assentiment  de  l'Auguste  Chef  de  ma 
famille,  et  confiant  dans  l'appui  du  Tout-Puissant,  je  serais  prêt  h 
accepter  la  couronne. 

«  Si  la  Providence  m'appelait  h  la  haute  mission  civilisatrice 
attachée  à  cette  couronne,  je  vous  déclare  dès  à  présent.  Messieurs, 
la  ferme  résolution  de  suivre  le  salutaire  exemple  de  l'Empereur, 
mon  frère,  en  ouvrant  au  pays,  par  un  régime  constitutionnel,  la 
large  voie  du  progrès  basé  sur  l'ordre  et  la  morale,  et  de  sceller 
par  mon  serment,  aussitôt  que  le  vaste  territoire  sera  pacitié,  le 
pacte  fondamental  avec  la  nation. 

«  Ce  n'est  qu'ainsi  que  pourrait  être  inaugurée  une  politique 
vraiment  nationale  où  les  divers  partis,  oubliant  leurs  anciens  res- 
sentiments, travailleraient  en  commun  à  rendre  au  Mexique  la  place 
éminente  qui  lui  semble  destinée  parmi  les  peuples,  sous  un  gou- 
vernement ayant  pour  principe  de  faire  prévaloir  l'équité  dans  la 
justice. 

«  Veuillez,  Messieurs,  rendre  compte  à  vos  concitoyens  des  dé- 
terminations que  je  viens  de  vous  énoncer  en  toute  franchise  et 
provoquer  les  mesures  nécessaires  pour  consulter  la  nation  sur  le 
gouvernement  qu'elle  entend  se  donner.  » 


328  II*   PARTIE.  CHAPITRE  l". 

4863.  L'archiduc  exprimait  les  mêmes  intentions  dans  sa  cor- 

respondance avec  le  général  Almonte  ;  il  était  donc  urgent, 
pour  sortir  le  plus  rapidement  possible  des  difficultés 
inhérentes  à  un  gouvernement  provisoire,  d'obtenir  l'adhé- 
sion à  l'empire  des  provinces  de  l'intérieur.  Le  général 
Bazaine  s'en  occupa  activement. 

Forces  militaires      Le  corps  expéditionnaire  était  alors  constitué  de  la  ma- 

dont  disposait         ., 

le  niere  suivante  : 

général  Bazaine. 

Commandant  en  chef  :  le  ge'néral  de  division  Bazaine. 
Chef  d'état-major  général  :  le  général  de  brigade  d'Auvergne. 
Chef  des  services  administratifs  :  l'intendant  militaire  Wolf. 
Commandant  de  l'artillerie  :  le  général  de  brigade  Courtois  d'Hurbal. 
Commandant  du  génie  :  le  général  de  brigade  Vialla. 
Vaguemestre  général  :  le  lieutenant-colonel  Hugueney. 
Grand -prévôt  :  le  chef  d'escadron  de  gendarmerie  de  Chastel. 
Payeur  en  chef  :  M.  Louet. 

première  division  d'infanterie. 

Le  général  de  brigade  de  Castagny,  commandant  la  division. 

l''  brigade,  général  de  Bertier, 

7*  bataillon  de  chasseurs,  51"  et  62°  régiments  de  ligne  ....     4,692  hommes- 

2°  brigade,  colonel  Mangin, 

20°  bataillon  de  chasseurs,  95°  régiment  de  ligne,  3°  régi- 
ment de  zouaves 5,064 


Total  de  la  1"  division 9,736  hommes. 


DEUXIEME    DIVISION    D  INFANTERIE. 

Le  général  de  division  Douay. 

l"^  brigade.  —  Général  L'Hériller. 

i"  bataillon  de  chasseurs,  99°  régiment  de  ligne,  2°   régi- 
ment de  zouaves 4,639  hommes. 

2°  brigade,  général  Neigre. 

18°  bataillon  de  chasseurs,  81°  régiment  de  ligne,  1°'  régi- 
ment de  zouaves 3,347 

Total  de  la  2'  division 10,206  hommes- 


LE    GÉNÉRAL   BAZALNE.  329 


BRIGADE    DE    CAVALERIE. 

Le  général  de  brigade  du  Barail 

(nommé  par  décret  en  date  du  2  juillet  1863;  il  remplaçait  le  général  de  Mirandol,  qui  avait 
été  nommé  général  de  division  et  qui  était  rentré  en  France). 

1"  régiment  de  marche  (quatre  escadrons),  2'  régiment  de 
marche  (quatre  escadrons),  b"  hussards  (un  escadron).  .   .       1,700  hommes. 

BRIGADE    DE    RÉSERVE. 

Le  général  de  brigade  :  de  Maussion*. 
7*  régiment  de  ligne,  régiment  étranger 3,282  hommes. 


1863. 


TROUPES    DE    LA    MARINE. 

Régiment  d'infanterie  de  marine 1,086  hommes. 

Volontaires  de  la  Martinique lOo 

Marins-fusiliers 4o9 

Total  de  l'infanterie 1,650  hommes. 

Batterie  d'artill.  de  marine,  batt.  de  montagne  des  marins,  453 

Compagnies  du  génie  de  la  Guadeloupe  et  de  la  Martinique,  168 

Total  des  troupes  de  la  marine 2,273  hommes. 

Troupes  d'artillerie  (') 3,105  hommes. 

Troupes  du  génie 723 

Troupes  d'administration 2,306 

Services  administratifs 475 


L'effectif  total  des  troupes  françaises  était  donc  de.   .     34,144  hommes, 
ayant  7,477  chevaux  ou  mulets. 

Outre  les  voitures  du  train  des  équipages,  l'administration  disposait  de  274 
grandes  voitures  mexicaines,  de  30  voitures  dites  américaines,  et  de  1,200  mulets 
de  bât. 

Les  corps  spécialement  affectés  aux  terres  chaudes,  et 
non  compris  dans  l'effectif  ci-dessus  ,  se  composaient  de  : 

Un  bataillon  d'Égyptiens,  de 400  hommes. 

La  tontre-guériila  du  colonel  Dupin,  de 203 

(1)  L'artillerie  disposait  de  20  canons  rayés  de  12  de  siège,  6  cauons  rayés  de  12  de  cam- 
pagne, 24  canons  rayés  de  4  de  campagne,  22  canons  rayés  de  4  de  moatagoe,  4  mortiers  de 
27  c.,  10  de  22  c.,  6  de  13  c,  largement  approvisionnés 


m3. 


330  II"   PARTIE.  CHAPITRE  l". 

En  y  comprenant  les  troupes  mexicaines,  le  chiffre  total 
des  forces  placées  sous  le  commandement  du  général 
Bazaine  s'élevait  à  47,667  hommes,  dont  42,000  environ 
sous  les  armes. 

Le  matériel  était  en  bon  état  ;  on  avait  mis  à  profit  la 
saison  des  pluies  pour  faire  les  réparations  ;  le  ministre 
avait  envoyé  de  France  les  approvisionnements  nécessaires. 
L'artillerie,  après  avoir  organisé  ses  atehers,  s'occupait  de 
mettre  en  état  le  matériel  des  troupes  alliées  et  de  fabriquer 
pour  elles  des  munitions  de  toute  espèce.  Depuis  l'arrivée 
de  l'armée  française  à  Mexico  on  avait  travaillé  activement 
à  reconstituer  les  étabhssements  militaires  saccagés  au 
moment  du  départ  du  président  Juarez,  et  qui  compre- 
naient :  une  capsulerie,  une  fabrique  d'étoupilles,  une  ma- 
nufacture d^armes,  une  poudrerie  et  un  arsenal  de  cons- 
truction. A  la  fin  du  mois  de  septembre,  sept  canons-obu- 
siers  de  montagne  étaient  déjà  fondus,  la  capsulerie,  la 
fabrique  d'étoupilles  et  l'arsenal  étaient  k  même  de  suffire 
aux  besoins  courants  des  troupes  alliées;  la  manufacture 
d'armes  allait  être  bientôt  rétablie,  mais  elle  ne  serait  à 
même  de  donner  que  cent  fusils  par  mois,  et  ce  chiffre 
étant  insuffisant,  le  général  en  chef  renouvela  la  demande 
d'armes  faite  au  ministre  par  le  maréchal  Forey.  Quatre 
mille  fusils  avaient  déjà  été  expédiés,  le  ministre  ordonna 
d'en  envoyer  encore  six  mille  (^). 

Pour  remplacer  les  libérables  et  com.bler  les  vides  faits 


(1)  Le  ministre  au  gênerai  on  chef,  31  août,  15  novembre. 

Il  avait  en  outre  fait  embarquer,  sur  un  bâtiment  parti  de  Cherbourg  le  23 
septembre,  six  cents  harnachements,  mousquetons,  sabres  et  pistolets  et  deux 
millions  de  cartouches  pour  les  contre-guérillas  des  terres  chaudes.  Au  mois  de 
novembre,  il  ordonna  encore  l'envoi  de  4,000  fusils,  2,000  mousquetons,  2,000 
sabres  et  150  fusils  à  deux  coups. 


LE    GÉNÉRAL    BAZALNE.  331 

par  les  maladies  ou  par  le  feu  de  l'ennemi,  le  ministre  de  ^863. 
la  guerre  fit  envoyer  au  Mexique  un  renfort  de  3,T00 
hommes.  Le  maréchal  Forey  avait  demandé  une  nouvelle 
brigade  d'infanterie  et  un  régiment  de  cavalerie  (0  ;  le  dé- 
part de  ces  troupes  fut  préparé,  mais  le  général  Bazaine, 
ayant  exprimé  l'avis  que  l'effectif  du  corps  expédition- 
naire était  suffisant,  on  ne  mit  en  route  que  le  2^  batail- 
lon d'infanterie  légère  d'Afrique,  un  détachement  pour  le 
régiment  étranger  et  quatre  escadrons,  non  montés,  des 
régiments  de  cavalerie,  qui  faisaient  déjà  partie  du  corps 
expéditionnaire  C^). 

L'orfijanisation  des  troupes  mexicaines  athées  était  fort       Amée 

_  _  ,    _  _  mexicaine  alliée. 

irrégulière.  On  avait  été  forcé  d'accueilhr  tous  les  officiers 
qui  s'étaient  présentés  et  les  bandes  de  guérillas  disposées 
à  se  rallier  au  nouvel  ordre  de  choses,  quelle  que  fût  l'au- 
thenticité des  grades  auxquels  prétendaient  les  chefs,  quel 
que  fût  le  mode  de  formation  des  détachements  qu'ils  ame- 
naient avec  eux.  Il  n'existait  alors  au  Mexique  aucune  loi 
de  conscription.  L'armée  se  recrutait  par  la  leva,  c'est-à- 
dire  l'enrôlement  forcé  des  Indiens,  qu'on  enlevait  de  leurs 
villages.  La  plupart  du  temps  ces  pauvres  gens,  ignorants 
des  querelles  des  partis  auxquels  ils  servent  d'instruments, 
se  soumettent  avec  résignation  au  sort  qui  leur  est  imposé  ; 
sobres ,  infatigables  marcheurs,  sachant  au  besoin  bien 
mourir,  ils  deviennent  quelquefois  de  bons  soldats,  mais 
désertent  à  la  première  occasion. 
Lorsque  les  chances  de  la  guerre  les  font  tomber  aux 


<l)  Le  maréchal  Forey  au  ministre,  9  septembre. 

(•)  Le  2*  bataillon  d'Afrique  arriva  à  Vera-Cruz  le  14  avril  1864;  deux 
escadrons  du  12' chasseurs  le  10  février;  un  escadron  du  1'^'  chasseurs  d'Afrique 
et  un  escadron  du  o'  hussards  le  9  mars. 


332  II*  PARTIE.  CHAPITRE    l". 

1863.  mains  du  parti  opposé,  le  vainqueur  les  enrôle  dans  ses 
rangs;  sans  enthousiasme,  sans  esprit  militaire,  n'ayant 
aucun  espoir  de  voir  se  modifier  leur  misérable  condition, 
le  triomphe  des  uns  ou  des  autres  ne  leur  importe  guère. 
Leurs  femmes  les  suivent  habituellement  et  partagent  avec 
eux  la  maigre  ration  qui  suffit  à  leur  sobriété  indienne  ;  si 
la  solde  est  payée  régulièrement,  ils  ne  trouvent  pas  leur 
vie  trop  malheureuse,  mais  lorsque  l'argent  fait  défaut, 
on  est  obligé,  pour  empêcher  les  désertions,  de  parquer 
les  soldats  comme  des  troupeaux  dans  les  cours  des  ca- 
sernes ou  des  Mesones  (')  dont  les  issues  sont  soigneu- 
sement gardées.  Si  l'on  ajoute  que  les  chefs,  pour  la 
plupart  officiers  improvisés,  sont  fréquemment  dépourvus 
d'instruction  et  de  moralité  ;  qu'ils  sont  disposés  à  consi- 
dérer les  changements  de  gouvernement  comme  d'excel- 
lentes occasions  d'obtenir  de  nouveaux  grades  ;  que  leur 
avancement  dépend  du  caprice  de  tel  ou  tel  général,  sans 
qu'il  y  ait  aucune  loi  protectrice  des  droits  acquis  et  des 
services  rendus,  on  se  rendra  compte  de  la  différence  qui 
existe  entre  ces  troupes  et  les  troupes  européennes. 

A  côté  des  corps  soumis  à  certaines  règles  de  discipline 
et  d'administration,  il  existe  de  nombreuses  bandes  de  vo- 
lontaires ou  guérillas  affranchies  de  toute  tutelle  hiérar- 
chique et  qui  font  la  guerre  de  partisans  au  gré  du  chef 
qui  les  conduit.  Piéunies  aujourd'hui  pour  atteindre  un  but 
déterminé,  elles  se  dispersent  le  lendemain  et  deviennent 
insaisissables  ;  quelque  temps  après  on  les  trouve  refor- 
mées à  plusieurs  journées  de  distance.  Ce  sont  presque  tou- 
jours des  troupes  de  cavaliers,  bandits  de  grands  chemins, 
aventuriers,  ou  quelquefois  aussi  les  serviteurs  ou  les  amis 

(i)  Meson  se  dit  d'une  auberge  de  passage  avec  grandes  cours  et  dépendances 
pour  les  convois  d'arricros. 


LE    GÉNÉRAL   BAZALNE.  333 

d'un  riche  propriétaire,  d'un  hacendero  qui  a  levé  le  dra-  ^863. 
peau  d'un  parti  et  entraîne  à  sa  suite  les  hardis  vaqueras  (^) 
qui  vivent  sur  les  terres.  Un  grand  nombre  avaient  surgi 
dans  les  terres  chaudes  de  Vera-Cruz  ;un  plus  grand  nombre 
encore  s'étaient  constituées  avec  les  débris  de  l'armée  de 
Gomonfortet  les  prisonniers  évadés  de  Puebla. 

Quant  à  l'armée  mexicaine  alliée,  commandée  par  le 
général  Marquez ,  elle  avait  eu  pour  noyau  la  poignée 
de  soldats  qui,  suivant  la  fortune  de  cet  officier,  étaient 
venus  rejoindre  le  général  de  Lorencez  à  Orizaba.  Leur 
chiffre  s'était  grossi  successivement  de  quelques  déserteurs 
de  l'armée  libérale  et  enfin,  après  la  prise  de  Puebla,  on 
avait  incorporé  dans  leurs  rangs  un  grand  nombre  d'hommes 
provenant  de  la  garnison  prisonnière  ("").  Plus  tard,  le  géné- 
ral Mejia  avait  amené  d'importants  contingents  de  la  Sierra 
Gorda  ;  quelques  autres  troupes  s'étaient  aussi  ralliées  ; 
enfin  beaucoup  d'officiers  des  anciennes  armées  du  parti 
conservateur  se  présentaient  chaque  jour  ;  presque  tous 
aspiraient  à  une  solde  élevée  et  prétendaient  être  généraux, 
colonels,  ou  au  moins  officiers  supérieurs  ;  on  ne  trouvait 
point  d'officiers  subalternes.  Il  était  difficile  de  remettre 
un  peu  d'ordre  dans  ce  chaos  et  d'organiser  ces  troupes 
de  façon  à  les  utiliser  ;  aussi  la  commission  présidée  par 
le  maréchal  Forey  s'était-elle  bornée  à  prescrire  les  me- 
sures les  plus  urgentes.  Elle  avait  divisé  les  troupes 
alliées  en  troupes  permanentes  et  troupes  auxiliaires.  Dans 
les  troupes  permanentes  furent  comptés  : 

<•)  Les  vaqueras  sont  les  gardiens  des  troupeaux  de  chevaux  ou  de  bétail  vivant 
en  liberté  sur  les  grandes  haciendas;  hardis  cavaliers,  ils  passent  leur  temps  à 
dresser  les  chevaux  sauvages  confiés  à  leur  surveillance. 

(*)  Ce  sont  ces  soldais  qui  avaient  figuré  dans  l'entrée  solennelle  de  l'armée 
franco-mexicaine  à  Mexico,  le  10  juin  1863,  et  défilé  devant  le  maréchal  Forey, 
au  cri  de  :  Viva  Napokon  t 


334  II"  PARTIE.  CHAPITRE    I^'. 

^863.  Les  invalides,  les  officiers  disponibles  et  la  division  Mar- 

quez organisée  en  :  six  bataillons,  six  escadrons  de  cavalerie, 
un  escadron  d'exploradores,  une  compagnie  du  génie  et 
trois  batteries  d'artillerie,  formant  un  effectif  total  d'envi- 
ron 7000  hommes. 

Dans  les  troupes  auxiliaires  furent  rangés  tous  les  autres 
corps  qui,  par  leur  mode  de  recrutement  ou  par  le  service 
particulier  auquel  ils  devaient  être  affectés,  ne  se  prêtaient 
pas  aux  formes  administratives  arrêtées  pour  les  troupes 
permanentes.  C'étaient  : 

La  division  Mejia,  forte  de  six  bataillons,  six  escadrons, 
une  batterie.  Effectif  total  :  1,900  hommes  environ; 

La  brigade  Vicario,  forte  de  trois  bataillons  et  demi,  six 
escadrons,  une  section  d'artillerie  de  montagne.  E^ctif 
total  :  1,900  hommes  environ; 

Et  onze  autres  corps  de  moindre  importance  dont  l'effec- 
tif s'élevait  à  2,300  hommes  environ.  Le  trésor  mexicain 
étant  vide  et  l'entretien  de  ces  troupes  incombant  aux 
finances  françaises,  elles  furent  soumises  au  contrôle  de 
l'intendance  (^). 

Préliminaires        Avant  d'entreprcndrc  une  expédition  dans  l'intérieur,  le 

de  la  campagne         ,     ,     ^  in  •  i-i  .i-  i 

(le  l'intérieur,  général  en  chei  organisa  solidement  sa  ligne  de  communi- 
cation avec  la  mer.  Il  réduisit  le  nombre  des  postes  des 
terres  chaudes,  mais  il  fit  installer  ceux  qu'il  conserva  dans 
de  bons  réduits,  susceptibles  d'une  défense  prolongée,  bien 
approvisionnés  en  vivres  et  en  munitions  ;  il  imprima  la 
plus  grande  activité  aux  travaux  du  chemin  de  fer  et  créa 


O  Situation  d'octobre  1863,  —  Le  général  en  chef  au  ministre,  8  octobre 
1863.  — Règlement  du  23  septembre  1863. 

Le  8  octobre,  les  dépenses  d'habillement  s'élevaient  déjà  à  trois  millions  de 
francs. 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  33S 

des  compagnies  de  contre-guérillas  françaises  pour  pro-  -1863. 
téger  les  ateliers  et  assurer  la  sécurité  des  convois.  Cette 
formation  provisoire  comprit  deux  compagnies  de  cent 
volontaires  et  un  escadron  de  quarante  cavaliers  choisis 
dans  les  troupes  françaises  et  placés  sous  le  commandement 
supérieur  du  colonel  Dupin.  La  contre-guérilla  proprement 
dite  dut  être  réorganisée  et  portée  à  l'effectif  de  six  cents 
hommes. 

Le  général  en  chef  compléta  ces  mesures  en  faisant 
occuper  d'une  façon  permanente,  par  quinze  cents  hommes 
des  troupes  de  Marquez,  la  petite  ville  de  Jalapa,  quartier 
général  des  bandes  des  terres  chaudes.  La  brigade  de 
réserve  eut  la  mission  de  garder  les  districts  de  Cordova, 
d'Orizaba  et  de  Tehuacan  ;  une  forte  garnison,  composée 
du  l^'"  zouaves,  fut  laissée  à  Puebla,  mais  on  évacua  tous  les 
petits  postes  qui  défendaient  les  débouchés  de  la  Huas- 
teca,  Zacapoaxtla,  Tlaxco,  Zacatlan;  un  détachement  de 
deux  compagnies  resta  seulement  à  Tlaxcala,  et  le  81'  de 
ligne  fui  appelé  à  Mexico. 

Quatre  compagnies  de  partisans,  fortes  chacune  de  cent 
hommes  de  bonne  volonté  et  commandées  par  des  officiers 
de  choix,  furent  chargées  de  protéger  les  convois  du  com.- 
merce  et  de  faire  une  guerre  à  outrance  aux  bandes  de 
guérilleros  et  de  voleurs  qui  coupaient  les  chemins  ;  elles 
furent  réparties  entre  Mexico,  Puebla,  Orizaba  et  Cordova. 

Le  général  Bazaine  put  alors  mobiliser  la  plus  grande 
partie  du  corps  expéditionnaire.  Il  forma  deux  colonnes 
principales,  l'une  sous  les  ordres  du  général  de  Cas- 
tagny,  composée  des  7^  et  20®  bataillons  de  chasseurs,  du 
3"  zouaves,  du  51®  et  du  95®  de  ligne,  de  deux  escadrons 
de  cavalerie  ;  l'autre,  à  la  tête  de  laquelle  fut  placé  le  gé- 
néral Douay,  comprit  le  l®""  bataillon  de  chasseurs,  le  ba- 


336  II'  l'ARTlE.  CHAPITRE    l". 

^^^-  laillon  de  tirailleurs  algériens,  un  bataillon  du  62"  de  ligne, 
le  99^  de  ligne,  le  2"  zouaves  et  trois  escadrons  de  cava- 
lerie. La  division  mexicaine  du  général  Mejia  dut  marcher 
avec  le  général  Douay  ;  le  général  Marquez,  avec  4,700 
hommes,  suivit  le  général  de  Gastagny.  L'effectif  total  des 
troupes  mobilisées  s'élevait  à  14,000  Français  et  7,000 
Mexicains. 

Les  forces  de  l'ennemi,  dont  on  ne  connaissait  pas  exac- 
tement l'importance,  étaient  réparties  sur  plusieurs  points. 
Entre  Queretaro  et  Tepeji  del  Rio  se  trouvaient,  disait-on, 
treize  mille  hommes  et  une  artillerie  nombreuse  sous  les 
ordres  de  Doblado.  Le  général  Negrete,  à  la  tête  de  huit 
mille  hommes,  se  tenait  entre  San  Luis  Potosi  et  Pachuca. 
Le  général  Uraga  avait  quatre  mille  hommes  en  avant  de 
Morelia;  il  était  appuyé  par  un  corps  de  quatre  mille 
hommes  sous  les  ordres  d'Alvarez  dans  l'Etat  de  Guerrero 
et  par  un  autre  de  cinq  mille  hommes  que  commandait 
Porfirio  Diaz.  On  prêtait  à  l'ennemi  l'intention  de  se  retirer 
sans  combattre  et  de  manœuvrer  sur  les  flancs  et  les  der- 
rières des  colonnes  franco-mexicaines.  Le  général  en  chef 
prit  ses  dispositions  en  conséquence. 

La  base  d'opérations  sur  laquelle  il  devait  s'appuyer 
s'étendait  de  Pachuca  à  Toluca  en  passant  par  Mexico.  Les 
garnisons  françaises  qui,  depuis  le  mois  de  juillet,  occu- 
paient ces  deux  villes,  n'avaient  d'abord  eu  devant  elles 
que  des  bandes  de  guérilleros  sans  consistance  ;  mais  vers 
la  fin  de  septembre  plusieurs  corps  réguliers  de  l'armée 
ennemie,  enhardis  par  leur  immobilité,  essayèrent  de  les 
déborder  dans  l'intention  de  tourner  Mexico  et  de  gêner  les 
communications  de  l'armée  française  avec  la  mer.  Les 
engagements,  qui  eurent  lieu  aux  environs  de  Toluca  et  de 
Pachuca,  préludèrent  au  mouvement  général  d'offensive. 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  337 

Du  côté  de  Toluca,  où  commandait  le  général  de  Bertier,  '^863. 
on  signalait  à  Zitacuaro  un  rassemblement  ennemi  consi- 
dérable. C'était  le  corps  de  Porfirio  Diaz  qui  se  préparait  à 
faire  im  mouvement  tournant  par  le  sud,  pour  donner  la 
main  aux  forces  libérales  de  l'Etat  de  Guerrero  et  se  rendre 
dans  l'Etal  de  Oajaca.  Porfirio  Diaz  exécuta  en  effet  cette 
manœuvre  ;  les  détachements  français  s'étant  avancés  vers 
Asuncion-Malacatepec  et  Villa  del  Yalle  dans  le  but  de 
lui  barrer  la  route,  il  élargit  son  mouvement,  les  évita, 
poussa  devant  lui  la  troupe  mexicaine  du  colonel  Valdez 
trop  faible  pour  lui  résister,  et  grossissant  ses  forces 
avec  des  contingents  du  Guerrero,  il  vint,  à  la  tête  de 
six  mille  hommes,  menacer  les  positions  de  la  brigade 
Vicario  au  sud  de  Cuernavaca.  Le  30  octobre,  après  un 
siège  de  trois  jours  et  malgré  l'énergique  résistance  des 
habitants,  il  enleva  la  petite  ville  de  Tasco  ;  le  5  novembre, 
il  attaqua  Yicario  lui-même,  qui  s'était  renfermé  à  Iguala. 
L'alarme  fut  grande  au  camp  des  Mexicains  alliés  ;  ils  solli- 
citèrent des  secours  avec  instance  ;  les  deux  brigades  de  la 
division  Marquez,  l'une  envoyée  de  Mexico,  l'autre  venant 
de  Toluca  par  des  chemins  de  montagne,  arrivèrent  assez 
à  temps  pour  empêcher  l'ennemi  de  poursuivre  ses  succès. 
Porfirio  Diaz  leva  le  sié^e  d'iffuala  le  7  novembre  et  se 
dirigea  sur  Oajaca,  où  il  se  déclara  gouverneur  des  Etats 
de  Puebla,  d'Oajaca,  de  Vera-Cruz,  et  de  Chiapas.  Il  ne 
tenta  plus  aucun  effort  sur  les  postes  franco-mexicains  et 
se  contenta  de  renforcer  les  guérillas  des  terres  chaudes. 

Aux  environs  de  Pachuca,  extrême  droite  des  positions 
françaises,  se  montraient  aussi  de  nombreux  partis  ennemis 
appartenant  à  la  division  Negrete  ;  les  détachements  du 
62^  et  du  corps  de  Mejia,  qui  occupaient  ce  pays,  restèrent 
sur  la  défensive  jusqu'au  moment  où  les  dispositions  pré- 

22 


338  11^  PARTIE.  oIIAriTîîE   l". 

m2.  liminaires  de  la  campagne  de  l'intérieur  étant  terminées, 
ils  purent  combiner  leur  mouvement  en  avant  avec  celui 
des  troupes  qui  suivaient  la  route  de  Queretaro.  Le 
11  octobre,  le  général  Mejia  enleva  la  petite  ville  d'Ac- 
topan  défendue  par  1300  hommes,  puis  il  vint  prendre 
position  à  Tula.  Quelques  semaines  plus  tard,  il  s'avança 
jusqu'à  l'hacienda  d'Arroyo-Zarco  et  l'occupa  après  un 
engagement  de  cavalerie.  Un  bataillon  du  62^  le  suivit, 
l'autre  bataillon  resta  dans  le  district  des  mines  pour 
tenir  en  respect  les  guérilleros  qu'attiraient  les  richesses 
de  cette  région.  Les  garnisons  de  Pachuca  d'une  part, 
de  Toluca  et  de  Guernavaca  de  l'autre,  couvraient  ainsi 
très-efficacement  les  flancs  des  colonnes  qui  allaient 
s'avancer  vers  l'intérieur. 

Deux  routes  carrossables  conduisent  de  Mexico  dans  le 
centre  du  pays.  L'une,  tracée  par  Toluca,  Acambaro,  Mo- 
relia,  la  Barca,  aboutit  à  Guadalajara.  Dans  la  saison  des 
pluies,  elle  est  impraticable  non-seulement  à  cause  de 
son  mauvais  état  d'entretien,  mais  encore  parce  que  les 
cours  d'eau  ne  sont  pas  guéables.  L'autre  est  la  route 
des  diligences  ;  elle  passe  par  Queretaro,  Léon,  Lagos, 
franchit  les  rivières  sur  des  ponts,  traverse  les  contrées  les 
plus  riches  et  les  plus  peuplées  du  Mexique  et  arrive  éga- 
lement à  Guadalajara,  d'où  elle  se  prolonge  jusqu'à  San 
Blas  sur  le  Pacifique.  C'est  la  grande  artère  commerciale 
entre  les  deux  océans.  Les  convois,  qui  se  dirigent  vers  les 
provinces  du  Nord-Est,  la  suivent  jusqu'à  Queretaro  et 
remontent  ensuite  du  côté  de  San  Luis  Potosi  ;  ceux  qui 
vont  dans  les  provinces  du  Nord-Ouest  passent  par  Lagos, 
Aguascalientes  et  Zacatecas. 

Le  général  en  chef  choisit  la  route  de  Queretaro  pour 
ligne  principale  d'opérations;  des  postes  chargés  de  garder 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  339 

les  communications  devaient  être  répartis  de  distance  en         -|863. 
distance.  La  division  Douay,  les  grands  parcs  et  les  ré-  ~ 

serves  de  vivres,  suivirent  cette  direction.  Le  général 
Bazaine,  avec  les  divisions  de  Gastagny  et  Marquez,  prit 
l'autre  route  dans  le  but  de  s'assurer  la  possession  de 
Morelia  avant  de  pénétrer  plus  à  l'ouest. 

Les  mouvements  des  colonnes  expéditionnaires  com-     Lcscoionnes 

•■•  expéditionnaires 

mencèrent  dès  les  derniers  jours  du  mois  d'octobre.  A   quiitent Mexico. 

cette  époque,  les  grandes  pluies  ont  cessé  et  l'on  entre  dans 

la  saison  la  plus  favorable  aux  opérations  militaires.  Les 

généraux.,  commandant  les  divisions,  se  mirent  en  route, 

le  9  novembre,  pour  rejoindre  leurs  têtes  de  colonne.  Le 

18,  le  général  en  chef  partit  à  son  tour,  laissant  la  place 

de  Mexico  sous  le  commandement  supérieur  du  général 

Neigre. 

Le  général  Douay,  poussant  rapidement  ses  troupes,  fit 
occuper  Queretaro  le  17  novembre.  Il  s'y  arrêta  afm  d'at- 
tendre que  la  colonne  de  Gastagny  fût  à  sa  hauteur; 
les  ressources  de  cette  ville  importante  lui  permirent  de 
former  des  magasins  en  vue  des  opérations  ultérieures. 

Le  général  de  Gastagny,  de  son  côté,  atteignit  Acam- 
baro,  le  24  novembre,  n'ayant  eu  avec  l'ennemi  qu'une 
seule  rencontre  d'avant-garde  près  de  Maravatio.  Il  fut 
rejoint  le  27  par  le  général  en  chef  et  par  la  division  Mar- 
quez. Gette  division,  soutenue  par  la  brigade  de  Bertier,  se 
porta  immédiatement  sur  Morelia,  où  elle  entra,  sans 
coup  férir,  le  30  novembre. 

Le  général  Marquez  se  hâta  de  s'y  organiser  défensive- 
ment.  Bien  que  la  population  fût  généralement  hostile  (*),  il 

<1)  Un   sous-lieutenant  du  31"  de  ligne  fut   assassiné  dans  la  rue  peu  après 
l'entrée  des  troupes. 


340  II"   PARTIE,  —  CHAPITRE    l". 

4863.         pouvait  se  suffire  à  lui-même,   et  le  général  de  Bertier 
rétrograda  aussitôt  avec  les  troupes  françaises. 

Assuré  désormais  du  succès  delà  campagne,  puisque,  en 
moins  d'un  mois,  les  colonnes  expéditionnaires  s'étaient 
avancées  à  soixante  lieues  dans  l'intérieur,  sans  rencontrer 
de  résistance,  le  général  Bazaine,  tout  en  poursuivant  ses 
opérations  dont  le  but  précis,  indiqué  par  l'Empereur 
lui-même,  était  l'occupation  des  grandes  villes  du  pays, 
se  proposait  de  manœuvrer  de  manière  à  mettre  l'ennemi 
dans  l'obligation  d'accepter  le  combat,  ou  du  moins  d'a- 
bandonner l'important  matériel  de  guerre  qu'il  traînait 
avec  lui.  Les  progrès  faciles  des  forces  interventionnistes 
et  l'accueil  favorable  qu'elles  avaient  reçu  des  populations 
dans  la  plupart  des  localités,  à  l'exception  de  Morelia, 
faisaient  bien  augurer  des  dispositions  des  habitants  en 
faveur  de  l'empire.  Des  actes  d'adhésion,  signés  dans 
chaque  municipalité,  avaient  réuni  les  noms  d'un  certain 
nombre  de  citoyens  considérables  par  leur  fortune  et  par 
leur  influence.  Des  troupes  de  guérillas  commençaient  à 
s'organiser  en  faveur  du  nouveau  gouvernement,  et  l'une 
d'elles,  ayant  tendu  une  embuscade  à  un  détachement 
ennemi,  venait  de  tuer  le  général  Comonfort  et  une  ving- 
taine d'hommes  qui  l'escortaient.  D'autres  chefs,  Zermefio 
deLagos,  Ghavez  d'Aguascalientes,  écrivaient  qu'ils  avaient 
arboré  le  drapeau  conservateur  et  demandaient  leur  incor- 
poration dans  l'armée  impériale  ;  enfin  Doblado  lui-même, 
inquiet  de  voir  les  armes  françaises  envahir  les  contrées 
où  se  trouvaient  ses  grandes  propriétés,  paraissait  vouloir 
sauvegarder  ses  intérêts  personnels.  Quelques-uns  de  ses 
amis  firent  des  ouvertures  que  le  général  en  chef  était 
disposé  à  bien  accueillir,  mais  Doblado  ne  cherchait  en 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  341 

réalité  qu'à  gagner  du  temps  et  à  vendre  au  trésor  français  i863. 
d'importantes  quantités  de  numéraire  des  mines  de  Gua- 
najuato  qu'il  avait  accumulées  dans  sa  caisse  particu- 
lière. Au  moment  même  où  des  démarches  étaient  faites 
en  son  nom,  il  publiait  une  proclamation  belliqueuse  , 
et  l'on  assurait  qu'il  avait  encore  sous  sa  main  près  de 
quinze  mille  hommes.  Cependant,  en  reculant  sans  cesse, 
l'ennemi  s'était  laissé  enlever  l'importante  route  d'Acam- 
baro  à  Celaya,  seule  voie  carrossable  par  laquelle  les  deux 
corps  principaux  de  l'armée  libérale  pouvaient  commu- 
niquer entre  eux;  afin  de  rétabhr  ces  communications, 
Doblado  faisait  activement  travailler  à  rendre  praticable 
aux  voitures  le  chemin  de  la  Piedad  à  Léon. 

Aussitôt  après  la  prise  de  Morelia,  le  général  Bazaine       Poursuite 
s'était  porté  d'Acambaro  à  Gelava  ;  il  dirigea  la  colonne  division  Dobiado 

"        I        1  rt  •  jusqu'à 

du  général  Douay  par  San  Miguel  Allende  sur  Guanajuato,  Aguascaiientes. 
qui  fut  occupé,  le  8  décembre,  aux  acclamations  enthou- 
siastes de  la  population.  De  son  côté  le  général  en  chef 
s'avança  par  la  route  principale  jusqu'à  Salamanca;  il 
allégea  sa  colonne  en  y  laissant  les  parcs  et  les  grands 
convois  et,  le  12  décembre,  concentrant  à  Silao  la  division 
Douay  et  la  majeure  partie  de  la  division  de  Castagny.  il  se 
mit  à  la  poursuite  de  Doblado.  On  était  encore  très-incer- 
tain sur  les  intentions  de  l'ennemi.  Une  assez  grande 
réunion  de  forces,  venues  de  Morelia,  de  Queretaro  et  de 
Guanajuato,  était  signalée  près  de  San  Pedro  Piedra-Gorda  ; 
Uraga  et  Doblado  s'y  trouvaient,  et  l'on  supposait  à  l'en- 
nemi le  projet  de  faire  un  retour  offensif  sur  l'aile  gauche 
française,  afin  d'écraser  la  division  Marquez  et  lui  enlever 
Morelia. 

Le  général  Bazaine  résolut  alors  de  se  diriger  de  Silao 


342  II'   PARTIE.   CHAPITRE  I^^ 

4863.  vers  Piedra-Gorda,  tandis  que  le  général  de  Bertier,  laissé 
à  Salamanca,  s'avancerait  vers  Penjamo  et  que  le  général 
Douay  se  porterait  vivement  sur  Léon  pour  couper  cette 
ligne  de  retraite  à  l'ennemi.  Le  mouvement  était  commencé 
sur  ces  données,  lorsque  de  nouveaux  avis  firent  connaître 
que  Doblado,  avec  son  artillerie  et  ses  parcs,  défilait  par 
Léon  et  Lagos  pour  se  jeter  dans  le  nord.  Modifiant  son 
premier  plan,  le  général  Bazaine  lança  derrière  lui  les 
troupes  le  plus  rapprochées,  c'est-à-dire  la  division  de 
Castagny  qui  était  déjà  engagée  sur  la  route  de  Piedra-Gor- 
da  ;  il  se  mit  à  sa  tête  (*)  et,  le  14  décembre  au  soir,  il 
entrait  à  Léon,  dont  la  population  se  montra  fort  sympa- 
thique. Le  lendemain,  il  arrivait  à  Lagos;  Doblado,  n'ayant 
que  quelques  heures  d'avance,  en  était  parti  la  veille,  mais 
la  nécessité  de  réunir  des  vivres  força  la  colonne  fran- 
çaise à  s'arrêter  toute  la  journée  du  17.  La  poursuite  re- 
commença le  18  dans  la  direction  d'Aguascalientes.  L'in- 
fanterie laissa  ses  sacs  ;  la  cavalerie,  qui  avait  conservé  les 
traditions  des  campagnes  d'Afrique,  déposa  une  grande 
partie  des  objets  dont  elle  avait  l'habitude  de  charger  ses 
chevaux,  l'artillerie  n'emmena  que  les  batteries  de  combat  ; 
à  5  heures  du  soir,  on  avait  parcouru  47  kilomètres,  les 
troupes  se  reposèrent  quelques  instants  ;  à  une  heure  du 
matin  elles  se  remirent  en  marche,  et  vers  4  heures  elles 
arrivèrent  à  la  grande  hacienda  de  Ledesma,  14  kilomètres 
plus  loin. 

Le  général  en  chef  avait  fait  réunir  sur  ce  point  les  vo- 


(')  Le  K<'ntTal  Bazaine  conservait  toujours  sons  ses  ordres  directs  unebrigad' 
mixte,  dite  brigade  cV avant-garde,  qu'il  avait  organisée  le  29  novembre  et  dont  il 
avait  donné  le  commandement  au  général  du  Barail.  Cette  brigade  se  compo- 
sait de  six  escadrons  de  cavalerie,  du  3°  zouaves,  d'une  section  d'arlillcric  de 
inontagne  et  de  la  batterie  montée  de  la  garde. 


LE    GÉNÉRAL   BAZALNE.  343 

lontaires  de  Chavez  ;  quelques  heures  avant,  deux  cents         ^863. 
cavaliers  libéraux,  envoyés  de  San  Luis  de  Potosi  pour 
porter  au  général  Uraga  une  forte  somme  d'argent,  étaient 
venus  donner  au  milieu  de  leur  bivouac.  L'ennemi  perdit 
vingt-huit  morts  et  dix-sept  prisonniers. 

Les  éclaireurs  mexicains  annonçant  que  l'artillerie  de 
Doblado  avait  dépassé  Aguascalientes  depuis  longtemps 
déjà,  le  général  Bazaine  crut  devoir  renoncer  à  l'atteindre; 
il  arrêta  sa  colonne  et  la  fit  reposer  le  19  ;  le  jour  suivant, 
il  renvoya  à  Lagos  la  majeure  partie  de  ses  troupes  et 
continua  sa  route  sur  Aguascalientes  avec  la  brigade  du 
Barail.  Les  derniers  détachements  de  l'ennemi  venaient 
seulement  d'en  partir.  Il  remit  Aguascalientes  à  la  garde 
de  Chavez,  et  le  24  décembre,  revint  à  Lagos  après  avoir 
fait  plus  de  cinquante  lieues  en  moins  de  six  jours. 

Le  général  Douay  avait  été  chargé  d'exécuter  vers  Pie-      opérations 
dra-Gorda  le  mouvement  que  le  général  en  chef  avait  eu    générai  Douay 

>    1         1  I  •  1        T    •  l'A  >•!  •        1  contre 

d  abord  le  projet  de  diriger  lui-même  et  qu  il  avait  aban-  le  corps duraga. 
donné  pour  poursuivre  Doblado.  Précédé  à  une  journée  de 
marche  par  une  avant-garde  légère  commandée  par  le  co- 
lonel Margueritte,  le  général  Douay  se  porta  donc  de  Léon 
sur  Piedra-Gorda  ;  le  général  Uraga,  réunissant  toutes 
les  forces  libérales  des  États  voisins,  s'était  déjà  jeté  sur 
Morelia  avec  douze  mille  hommes  et  trente-six  bouches  à 
feu.  Le  17  décembre,  il  paraissait  devant  la  ville,  et  le  18  au 
matin,  il  l'attaquait  avec  la  plus  grande  vigueur.  Un  instant 
il  put  croire  au  succès,  ses  colonnes  parvinrent  jusqu'à  la 
place  principale ,  mais  l'énergie  de  la  défense  répon- 
dit à  l'impétuosité  de  l'attaque.  Le  général  Marquez . 
donnant  à  ses  soldats  l'exemple  du  courage  et  de  la  con- 
fiance, sut  faire  face  de  tous  côtés  et  eut  le  bonheur  do 


344  II'  PARTIE.  CHAPITRE  I*'. 

1863.  repousser  les  assaillants  ;  Uraga  dut  se  replier  en  désordre 
perdant  près  de  six  cents  hommes  tués,  autant  de  prison- 
niers, une  grande  partie  de  son  parc  et  cinq  obusiers  de 
montagne.  Le  général  Marquez  fut  blessé  grièvement  à 
la  figure ,  il  eut  quarante-cinq  tués  et  quatre-vingt-huit 
blessés. 

C'était  la  première  fois  que  les  troupes  mexicaines  alliées 
se  trouvaient  en  présence  de  l'ennemi  sans  être  soutenues 
par  les  Français  ;  elles  firent  belle  contenance  et  relevèrent 
ainsi  leur  réputation  aux  yeux  de  leurs  adversaires  comme 
à  ceux  du  corps  expéditionnaire.  Le  général  en  chef  se 
félicita  d'autant  plus  de  ce  succès  qu'il  était  inespéré,  et 
que  personne  ne  comptait  alors  sur  une  coopération  sérieuse 
des  contingents  alliés. 

Le  général  Uraga  avait  battu  en  retraite  par  la  route  de 
la  Piedad,  dans  l'intention  soit  de  se  retirer  sur  Guadala- 
jara,  soit  plutôt  d'essayer  de  rejoindre  Doblado  ;  mais  ap- 
prenant le  mouvement  du  général  Douay  vers  la  Piedad,  il 
engagea  ses  convois  sur  la  route  de  Zamora,  seule  voie 
carrossable  qui  lui  restât.  Le  20  décembre,  au  moment  où 
il  reçut  la  nouvelle  du  combat  de  Morelia,  le  général  Douay 
avait  son  avant-garde  à  la  Piedad  et  la  suivait  à  quelques 
lieues  de  distance  ;  comprenant  l'importance  qu'il  y  avait 
à  devancer  Uraga  pour  lui  barrer  le  chemin,  il  fit  accé- 
lérer le  mouvement  de  ses  colonnes.  Le  22  décembre,  à 
8  heures  du  matin,  après  avoir  marché  une  partie  de  la 
nuit,  la  cavalerie  du  colonel  Margueritte  arriva  inopinément 
sur  Zamora,  enleva  les  barricades  qui  défendaient  l'entrée 
de  la  ville,  sabra  un  corps  de  trois  cents  cavaliers  et  de  cent 
fantassins  qui  se  préparaient  à  se  mettre  en  roule  et  ra- 
mena un  convoi  de  munitions. 

Uraga  se  trouvait  alors  à  Chilchota,  il  rétrograda  aussi- 


LE    GÉNÉRAL    RAZAINE.  345 

loi  sur  Uruapan.  La  route  de  Zamora  lui  étant  fermée,  il  <863. 
allait  tenter,  malgré  les  difficultés  de  l'entreprise,  de  faire 
passer  les  débris  de  sa  division  par  le  chemin  de  Los 
Reyes  et  de  Goalcoman  auquel  il  fit  travailler  en  toute  hâte 
pour  permettre  le  passage  des  voitures;  lui-même  prit 
position  à  Los  Reyes,  pour  protéger  l'évacuation  de  son 
matériel. 

Le  général  Douay,  qui  était  arrivé  à  Zamora  le  soir  même 
du  combat,  après  une  marche  forcée  de  vingt  lieues  exécu- 
tée en  trente-huit  heures,  se  vit  obligé  de  laisser  reposer 
ses  troupes  et  d'attendre  ses  voitures  de  vivres.  Il  ne  put 
être  à  Los  Reyes  que  le  28  décembre  ;  Uraga  en  était  parti 
la  veille,  mais  tous  ses  convois  n'étaient  pas  encore  passés  ; 
la  colonne  française,  en  se  portant  sur  Uruapan,  arrêta  com- 
plètement leur  marche  et  enleva  une  énorme  quantité  de 
matériel,  un  outillage  de  fonderie  de  canons,  une  machine 
à  frapper  de  la  monnaie,  un  approvisionnement  considé- 
rable de  munitions,  et  une  batterie  de  neuf  pièces  abandon- 
nées sur  la  route.  Les  jours  suivants,  les  Indiens  retrou- 
vèrent encore,  dans  les  montagnes,  beaucoup  de  munitions» 
d'armes  et  d'équipements,  ce  qui  témoignait  du  désarroi  el 
de  la  précipitation  avec  lesquels  l'ennemi  avait  effectué  sa 
retraite.  Sa  désorganisation  était  complète  ;  il  ne  restait 
dans  le  Michoacan  que  des  bandes  éparses  et  désormais 
hors  d'état  de  menacer  de  nouveau  Morelia  ;  mais  Uraga, 
avec  2,500  hommes  et  la  partie  la  moins  pesante  de  ses 
parcs,  parvint  à  gagner  Zapotlan  dans  le  Jalisco,  et  s'occupa 
aussitôt  de  reconstituer  son  corps  d'armée,  en  concentrant 
autour  de  lui  les  forces  libérales  de  cette  province  et  celles 
de  l'État  de  Gohma.  Le  général  Douay  revint  à  Zamora  par 
la  route  de  San  Pedro  Paracho  ;  il  y  trouva  des  instructions 
à  la  suite  desquelles  il  se  porta  sur  la  Barca,  pour  concou- 


'ises. 


Opérations 

de  la 

division  Mcjia. 

Occupation 

et  défense  de 

San  LuisPotosi. 

{2o  et  27  déc. 

4863.) 


346  il"   PARTIE.  CHAPITRE   l". 

rir,  s'il  en  était  besoin,  au  mouvement  que  le  général  en 
chef  opérait  alors  sur  Guadalajara. 

En  s'avançant  vers  l'ouest,  le  général  Bazaine  avait  laissé 
à  Guanajuato  la  division  Mejia  ;  quelque  temps  après  il  la 
fit  relever  par  une  garnison  française,  et  lui  donna  l'ordre  de 
se  rapprocher  de  San  Luis  de  Potosi,  où  se  trouvait  le  siège 
du  gouvernement  libéral.  Le  président  Juarez  maintint  dans 
cette  ville  la  division  Negrete,  dont  l'effectif  était  peu  impor- 
tant ;  il  jugea  prudent  de  se  retirer  lui-même  au  Minerai  de 
Catorce  à  soixante  lieues  plus  au  nord.  Le  général  Mejia  ne 
disposait  que  de  2,500  combattants  et  d'une  batterie  de 
montagne  ;  il  ne  marchait  donc  qu'avec  la  plus  grande 
circonspection,  mais  son  influence  personnelle  était  con- 
sidérable dans  ce  pays;  des  pronunciamientos  en  faveur 
de  l'empire  se  déclarèrent  dans  un  grand  nombre  de  loca- 
lités voisines,  et  Negrete  ne  tarda  pas  à  abandonner  San 
Luis.  Les  forces  alliées  en  prirent  possession,  le  25  dé- 
cembre, au  milieu  des  démonstrations  les  plus  enthou- 
siastes ;  cependant,  le  27  décembre,  Negrete,  renforcé  par 
des  troupes  venues  de  Zacatecas,  tenta  un  vigoureux  retour 
offensif  avec  environ  cinq  mille  hommes  et  neuf  pièces 
d'artillerie.  Il  attaqua  San  Luis  sur  trois  directions  et  pé- 
nétra jusqu'au  centre  de  la  ville  ;  en  ce  moment  une  charge 
heureuse  de  la  cavalerie  de  Mejia  repoussa  l'ennemi,  qui  se 
retira  dans  le  plus  grand  désordre,  abandonnant  850  pri- 
sonniers, toute  son  artillerie  et  tout  son  parc.  La  divi- 
sion Mejia  perdit  cinquante  hommes  tués  et  soixante-cinq 
blessés  ;  elle  se  renforça  des  huit  cents  prisonniers  qui, 
selon  la  coutume  mexicaine,  furent  incorporés  dans  ses 
ransfs. 

Avant  d'avoir  connaissance  des  succès  du  général  Mejia, 
le  général  en  chef,  ne  voulant  pas  laisser  cette  division  trop 


LE    GÉNÉRAL   BAZAIKE.  347 

exposée,  avait  pris  la  précaution  de  diriger  le  général  de  -1864. 
Castagny  de  Lagos  sur  Aguascalientes,  et  lui  avait  prescrit 
de  s'avancer  vers  San  Luis  pour  donner  la  main  à  la  divi- 
sion alliée.  Le  général  de  Castagny  fit  cette  démonstration, 
que  l'issue  heureuse  du  combat  de  San  Luis  rendit  moins 
nécessaire,  et  il  revint  ensuite  prendre  position  à  Aguas- 
calientes pendant  que  le  général  Bazaine  se  dirigeait  vers 
Guadalajara. 

Le  général  en  chef  avait  quitté  Lagos  le  28  décembre,  et   jc*^G3ÏÏjara 
ne  rencontrant  aucun  obstacle,  il  arriva  le  5  janvier  devant  ('j  janvier  \m\-). 
Guadalajara,  qui  fut  occupé  sans  résistance.  Le  général 
Arteaga,  gouverneur  de  l'État  de  Jalisco,  s'étant  trouvé  trop 
faible,  avait  évacué  la  ville  et  était  allé  dans  le  sud  rallier 
les  débris  d'Uraga. 

Un  important  résultat  était  obtenu  par  les  combinaisons 
militaires  à  la  suite  desquelles  les  divisions  françaises,  tra- 
versant le  Mexique  en  moins  de  deux  mois,  avaient  séparé 
en  deux  tronçons  les  forces  ennemies,  rejeté  Doblado  dans 
l'extrême  nord,  et  refoulé  Uraga  dans  les  provinces  du  sud. 
Elles  avaient  provoqué  l'adhésion  au  nouvel  ordre  de 
choses  des  grandes  cités  de  Queretaro,  Morelia,  Guana- 
juato,  Léon,  Aguascalientes,  San  Luis  de  Potosi,  Guadala- 
jara et  rendu  possible  l'acceptation  définitive  de  la  cou- 
ronne par  l'archiduc  Maximilien. 

Les  troupes  françaises  étaient  à  cent  vingt  lieues  seule- 
ment des  côtes  de  l'Océan,  et  grâce  au  concours  offert  par 
le  général  mexicain  Lozada,  elles  allaient  pouvoir  entrer 
en  rapport  avec  l'escadre  du  Pacifique.  A  cette  époque  le 
parti  libéral  semblait  très-affaibli  ;  on  pouvait  espérer  que 
les  gens  d'ordre,  fatigués  des  luttes  intestines,  se  rallie- 
raient autour  d'un  pouvoir  fortement  constitué  et  que,  dans 
leur  propre  intérêt,  ils  aideraient  à  sa  consolidation.  L'ave- 


348  II*  PARTIE.  —  CHAPITRE  l". 

<864.  nir  dépendait  entièrement  de  l'attitude  que  sauraient 
prendre  les  hommes  importants  du  parti  conservateur. 
Quant  aux  chefs  libéraux,  la  plupart  se  montraient  décou- 
ragés. Plusieurs  d'entre  eux,  regardant  Juarez  comme  le 
principal  obstacle  qui  s'opposât  à  une  entente  avec  le  gou- 
vernement français,  désiraient  qu'il  quittât  le  pouvoir. 
L'archiduc  Maximilien,  leur  avait-on  dit,  hésitait  toujours 
à  venir  au  Mexique,  et  ils  supposaient  qu'il  serait  pos- 
sible d'entrer  en  arrangement  avec  la  France,  tout  en 
conservant  au  gouvernement  sa  forme  républicaine  ;  mais 
ils  échouèrent  dans  ces  tentatives.  Juarez,  moins  peut-être 
par  ambition  personnelle  que  par  dévouement  passionné  à 
la  cause  de  la  réforme  dont  il  était  le  plus  tenace  cham- 
pion, resta  inébranlable;  il  se  déclara  décidé  à  conti- 
nuer la  lutte  jusqu'à  sa  dernière  limite  et  à  ne  pas  aban- 
donner une  autorité,  dont  il  était  légalement  et  constitu- 
lionnellement  le  dépositaire.  Près  de  lui  était  un  petit 
groupe  d'amis  fermes  et  dévoués  qui  l'encouragèrent  à  la 
résistance  et  l'aidèrent  virilement  à  défendre  le  drapeau 
de  leur  parti. 

C'est  en  vain  qu'on  eût  cherché  les  marques  d'une 
semblable  énergie  politique  dans  les  rangs  du  parti  in- 
terventionniste. Les  libéraux  avaient  été  contraints  d'éva- 
cuer la  plupart  des  grandes  villes  ;  dans  certains  en- 
droits, les  Français  avaient  même  été  acclamés  comme 
des  libérateurs,  mais  le  gouvernement  provisoire  n'ap- 
portait aucune  activité  à  l'organisation  des  administra- 
lions  publiques  destinées  à  faire  reconnaître  et  à  maintenir 
son  autorité.  Il  ne  manquait  pas  de  solliciteurs  pour  les 
places  lucratives  de  préfets  politiques.  Cependant,  une  fois 
nommés,  les  nouveaux  préfets  ne  se  souciaient  que  médio- 
crement du  bien  public  ;  disposés  à  considérer  ces  fonc- 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  3ll9 

lions  comme  la  juste  rémunération  des  donmiages  soufferts  ^^*- 
sous  l'ancien  gouvernement,  ils  montraient  peu  d'em- 
pressement à  se  rendre  à  leur  poste  et  la  Régence  ne 
savait  pas  les  y  contraindre.  Le  général  Bazaine  déplorait 
cette  apathie  ;  souvent  il  avait  eu  la  plus  grande  diffi- 
culté à  constituer  les  administrations  locales  ;  il  s'était 
vu  forcé  de  laisser  Aguascalientes  aux  mains  de  Chavez, 
chef  de  guérillas  dont  la  valeur  politique  et  le  désinté- 
ressement étaient  fort  contestables  ;  nulle  part  se  faisait 
sentir  l'impulsion  vigoureuse  grâce  à  laquelle  peut  se 
fonder  un  régime  nouveau  ;  l'action  du  pouvoir  central 
ne  s'étendait  pas  aux  provinces,  et  presque  partout  il  fallait 
que  les  commandants  miilitaires  français  suppléassent  h 
l'absence  ou  à  l'insuffisance  des  fonctionnaires  mexicains. 

Les  évêques  eux-mêmes,  au  lieu  de  rentrer  dans  les  dio-      Difficnités 

.  .  -11  T»         •  1  suscitées  par  le 

cèses  qui  leur  étaient  ouverts,  de  travailler  à  1  apaisement  des  cierge. 
esprits  et  au  rétablissement  de  la  paix  publique,  restaient 
à  Mexico,  groupés  autour  de  W  Labastida  ;  ils  excitaient, 
parleurs  protestations  et  leurs  réclamations  intempestives, 
les  passions  du  parti  catholique  et  augmentaient  l'hostilité 
du  parti  de  la  réforme.  Une  scission  menaçait  déjà  de  se 
produire  parmi  les  partisans  de  l'empire  ;  on  répandait  à 
Mexico  des  écrits  clandestins  contenant  d'ardentes  atta- 
ques contre  les  chefs  de  l'expédition  française,  des  appels 
aux  armes,  et  des  provocations  à  un  soulèvement  géné- 
ral contre  les  Français;  le  clergé  semblait  favoriser  ces 
menées. 

Soutenus  et  encouragés  par  le  général  en  chef,  les  géné- 
raux Almonte  et  Salas,  chefs  du  pouvoir  exécutif,  s'effor- 
çaient de  résister  aux  tendances  réactionnaires  des  évêques, 
et  par  de  nouvelles  circulaires,  en  date  du  9  novembre  et 
du  15  décembre,  ils  avaient  jugé  nécessaire  de  confirmer 


350  11*   PARTIE.  —  CHAPITRE  l". 

•<86.v.  les  communiqués  du  24  octobre,  et  de  maintenir  le  statu  quo 
relativement  aux  intérêts  engagés  sur  les  biens  ecclésias- 
tiques sécularisés.  Ces  mesures,  inspirées  par  un  esprit 
de  sage  prudence,  provoquèrent  une  violente  protesta- 
tion que  signèrent  sept  prélats.  Ils  défendirent  d'obéir 
aux  décrets  de  la  régence,  sous  menace  d'excommunica- 
tion majeure ,  déclarèrent  que  l'absolution  in  articulo 
mortis  serait  refusée  à  quiconque  n'aurait  pas  restitué  les 
biens  dont  il  pouvait  être  détenteur  et  n'aurait  pas  ré- 
tracté formellement  toute  participation  aux  mesures  atten- 
tatoires aux  droits  de  l'Eglise.  La  lutte  prenait,  on  le  voit, 
un  caractère  de  plus  en  plus  tranché.  Dans  des  correspon- 
dances échangées  avec  le  général  Neigre,  gouverneur  de 
Mexico,  l'archevêque  ne  craignit  pas  d'accentuer  positive- 
ment son  attitude  hostile  ;  ainsi  donc  au  lendemain  même 
de  la  proclamation  de  l'empire,  lorsque  les  forces  libé- 
rales encore  menaçantes  venaient  à  peine  d'être  éloignées 
des  portes  de  la  capitale,  l'influence  française  trouvait  déjà, 
parmi  ses  adversaires  les  plus  acharnés,  ceux  qui  avaient  le 
plus  ardemment  appelé  l'intervention.  Ce  n'était  pas  le 
premier  mécompte  de  la  politique  qui  avait  conduit  le 
drapeau  français  au  Mexique,  ce  ne  fut  pas  le  dernier.  On 
verra  dans  la  suite  la  plupart  des  partisans  de  la  France  et  le 
nouvel  empereur  lui-même  se  tourner  contre  elle. 

Le  tribunal  suprême  suivit  les  évêques  dans  la  voie  de 
protestation  où  ils  s'étaient  engagés.  Il  adressa  au  gouver- 
nement une  longue  remontrance  dans  laquelle  il  énumérait 
les  titres  de  l'Éghse  mexicaine  à  la  reconnaissance  de  la  na- 
tion, et  rappelait  l'attachement  des  populations  aux  immu- 
nités ecclésiastiques  ;  l'intervention  française,  disait-il,  avait 
été  sollicitée  dans  le  but  de  renverser  les  lois  de  réforme, 
mesures  iniques  des  gouvernements  révolutionnaires;  en 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  3?)1 

voulant  les  maintenir,  même  provisoirement,  l'intervention  iscv. 
manquait  à  l'objet  qu'elle  devait  se  proposer;  du  reste  elle 
ne  pouvait  logiquement  considérer  ces  lois  comme  des  actes 
réguliers,  puisqu'elle  avait  refusé  de  reconnaître  le  président 
Juarez,  de  qui  elles  étaient  émanées  ;  enfin,  les  promesses 
contenues  dans  le  manifeste  du  maréchal  Forey  n'auraient 
d'autre  conséquence  que  de  favoriser  la  mauvaise  foi  des 
adjudicataires  des  biens  ecclésiastiques  ;  en  résumé,  le  tri- 
bunal refusait  de  prêter  le  concours  de  la  justice  aux  me- 
sures édictées  par  les  régents.  La  rébellion  était  formelle 
et  la  Régence  n'avait  d'autre  alternative  que  de  céder  ou  de 
dissoudre  le  Tribunal  suprême.  Ce  fut  à  ce  dernier  parti 
qu'elle  s'arrêta  (2  janvier  1 864 j  ;  cette  décision  énergique 
eut  un  excellent  effet,  et  la  masse  de  la  population  ne  se 
laissa  pas  entraîner  par  les  agitateurs. 

Le  général  en  chef  était  à  Guadalajara  lorsqu'il  fut  informé  Reiouniu  générai 

en  chef 

des  difficultés  avec  lesquelles  la  Régence  était  aux  prises  ;  il  à  Mexico. 
abandonna  le  projet  qu'il  avait  formé  de  pousser  jusqu'à 
Colima  pour  compléter  la  destruction  du  corps  d'Uraga  ; 
laissant  à  Guadalajara  une  garnison  d'environ  seize  cents 
hommes  de  troupe  française  et  de  quatorze  cents  Mexi- 
cains sous  le  commandement  supérieur  du  colonel  Garnier, 
il  revint  à  Mexico  en  passant  par  la  Barca,  Valle  San- 
tiago, Salamanca  et  Queretaro.  Pendant  cette  marche,  il 
lança  plusieurs  fois  des  détachements  de  la  colonne  qui 
l'accompagnait,  contre  les  bandes  ennemies  signalées 
à  sa  portée.  Le  21  janvier,  deux  escadrons  de  chasseurs 
d'Afrique  et  quelques  cavaliers  mexicains  alliés,  com- 
mandés par  le  colonel  Petit,  atteignirent  un  parti  ennemi  à 
Penjamillo.  à  huit  lieues  de  la  Piedad,  lui  firent  vingt- 
neuf  prisonniers,  et  mirent  une  trentaine  d'hommes  hors 
<le  combat.    Des  postes  furent  placés  h  la  Picrlarl  et  à 


352  II*    PARTIE.  CHAPITRE   l". 

4864.        Zamora  pour  aider  les  populations  à  s'organiser  défensi- 
vement. 

Le  général  Bazaine  tenta,  sans  y  réussir,  de  surprendre 
un  corps  ennemi  qui  venait  lever  une  contribution  sur 
Irapuato  ;  et  le  4  février,  ayant  franchi  en  quatre  jours  les 
soixante  lieues  qui  séparent  Mexico  de  Queretaro,  il  ren- 
trait dans  la  capitale. 
Marche  Le  général  Douay  était  en  observation  à  La  Barca  au 

"^  Douay '""  momcnt  où  le  général  Bazaine  se  dirigeait  sur  Guadalajara. 
*"%^^ïur'"''''^  L'occupation  de  cette  place  ayant  eu  lieu  sans  résistance, 
Guadalajara.  ^^^  coucours  devenait  inutile  ;  il  reçut  l'ordre  de  ramener 
sa  division  à  Léon  et  de  prendre  la  direction  supérieure 
des  opérations  militaires  dans  le  nord.  La  division  de  Cas- 
tagny  fut  placée  momentanément  sous  son  commandement  ; 
avec  ces  forces  réunies  il  devait  s'emparer  de  Zacatecas,  où 
l'on  supposait  que  Doblado  chercherait  à  résister.  Le  gé- 
néral Douay,  après  avoir  concentré  sa  division  à  Lagos,  la 
dirigea  sur  Aguascalientes  en  deux  colonnes  ;  avec  l'une 
d'elles,  forte  de  trois  escadrons  et  du  18*^  bataillon  de 
chasseurs,  il  fit  au  préalable  une  pointe  à  gauche  de  la 
route  sur  Teocaltiche,  où  se  trouvait  un  corps  ennemi  en 
position  de  menacer  les  communications  sur  les  derrières 
des  colonnes.  Il  parvint  à  dérober  sa  marche  jusqu'à  trois 
kilomètres  de  la  ville,  et  la  fit  alors  rapidement  cerner 
par  sa  cavalerie.  La  place,  défendue  par  six  cents  hommes 
environ,  fut  enlevée  par  les  chasseurs  à  pied;  l'ennemi 
perdit  cinquante  hommes  tués  et  une  centaine  de  prison- 
niers. Les  autres  s'échappèrent,  grâce  à  la  connivence  des 
habitants.  Les  trois  chefs,  Jaureguy,  Mendoza  et  Ramirez, 
convaincus  de  brigandage  à  main  armée,  furent  passés  par 
les  armes  (29  janvier).  La  colonne  reprit  ensuite  le  chemin 
d'Agiiascalientes  et  se  porta  sur  Zacatecas  par  la  route  di- 


LE    GÉNÉRAL   BAZAINE.  333 

recte,  tandis  que  le  général  de  Castagny  suivait  celle  de  los  ^864. 
Angeles  et  de  la  Blanca.  L'ennemi  ne  les  attendit  point, 
et  cette  ville  importante,  centre  de  riches  exploitations 
minières,  fut  occupée  sans  difficultés,  le  6  février.  Laissant 
dans  cette  province  la  division  de  Castagny,  le  général 
Douay  se  hâta  de  rétrograder,  afin  de  secourir  le  colonel 
Garnier,  sérieusement  menacé  à  Guadalajara. 

En  effet,  le  général  Uraga  avait  reconstitué  sa  division 
plus  vite  qu'on  ne  l'avait  pensé  ;  comptant  sur  les  sympa- 
thies des  populations  et  sur  les  intelligences  qu'il  avait 
dans  la  ville ,  il  s'avança  contre  Guadalajara  avec  cinq 
mille  hommes.  Le  général  Ortega,  l'ancien  défenseur 
de  Puebla,  avait  réuni  deux  mille  hommes  dans  l'Etat 
de  Zacatecas,  et  devait  aider  ce  mouvement  en  descen- 
dant vers  le  sud  ;  mais  l'énergique  contenance  du  colonel 
Garnier  montra  bientôt  à  l'ennemi  qu'il  ne  serait  pas 
facile  d'avoir  raison  de  sa  petite  garnison.  Il  contint  par 
sa  ferme  attitude  les  dispositions  hostiles  d'une  partie  des 
habitants,  déclara  la  ville  en  état  de  siège,  et  se  mettant  à 
la  tête  d'une  portion  de  ses  troupes,  il  prit  lui-même  l'of- 
fensive et  força  les  guérillas,  qui  s'approchaient  de  la  place, 
à  reculer  au  delà  de  San  Agustin.  Pendant  plusieurs  jours, 
on  tirailla  aux  garitas,  mais  l'ennemi  n'osa  faire  aucune 
tentative  sérieuse.  L'arrivée  du  général  Douay  (23  février) 
et  de  plusieurs  détachements,  envoyés  par  le  général  en 
chef,  mit  Guadalajara  complètement  à  l'abri  des  insultes 
des  forces  libérales.  Le  général  Douay  installa  dans  cette 
ville  le  quartier  général  de  sa  division. 

De  retour  à  Mexico,  le  général  Bazaine  affermit  le  gou-       sitnation 

vernement  provisoire  dans  les  dispositions  qu'il  avait  mon-  '^"  ' 

trées;  il  lui   recommanda  de  continuer  à  entourer  les 

23 


354  II"   PARTIE.   CHAPITRE   l". 

'1864.        évêques  de  considération,  mais  de  sévir  très-énergique- 
ment  contre  tous  ceux  qui,  leur  servant  d'instrument,  cher- 
cheraient à  troubler  la  paix  pubHque.  Il  fit  revenir  à  Mexico 
le  général  Miramon,  resté  à  Guadalajara,  et  dont  l'attitude 
paraissait  suspecte.  Vers  la  même  époque,  Santa-Anna  ar- 
rivait à  Vera-Cruz  ;  bien  qu'il  protestât  de  son  dévouement 
à  Pempire  et  qu'il  eût  consenti  à  signer  un  engagement 
formel  de  s'abstenir  de  toute  démonstration  politique,  il 
publia  un  manifeste  dans  un  journal  d'Orizaba.  Le  général 
Bazaine  donna  l'ordre  de  l'arrêter  et  de  le  renvoyer  à  la  Ha- 
vane sur  un  navire  de  guerre.  Il  prescrivit  à  tous  les  com- 
mandants miUtaires  d'exercer  une  surveillance  active  sur  les 
autorités  civiles  et  de  s'opposer  à  ce  qu'elles  abusassent  de 
la  protection  des  baïonnettes  françaises  en  s'engageant  dans 
une  voie  de  réaction.  Les  secours  spirituels  ayant  été  refu- 
sés à  un  habitant  de  Morelia,  acquéreur  de  biens  ecclésias- 
tiques, et  son  corps  étant  resté  sans  sépulture,  le  général  en 
chef,  de  sa  propre  autorité,  ordonna  l'inhumation  et  pro- 
voqua, de  la  part  de  la  Régence,  l'envoi  d'instructions  for- 
melles à  tous  les  préfets,  pour  prévenir  le  retour  de  pareils 
scandales ,  l'effervescence  du  parti  clérical  se  calma,  du 
reste,  peu  à  peu.  L'acceptation  définitive  de  la  couronne  par 
l'archiduc  et  son  arrivée  au  Mexique  paraissant  prochaines, 
le  clergé  attendit  dans  l'espoir  de  trouver,  chez  le  nouveau 
souverain,  des  dispositions  plus  favorables.  Les  évêques  de 
Guadalajara,  de  San  Luis,  et  de  Zâcatecas  partirent  pour 
leurs  diocèses.  Cependant,  à  Guadalajara,  l'autorité  ecclé- 
siastique, de  concert  avec  le  préfet,  ayant  essayé  de  réta- 
blir dans  l'instruction  publique  certaines  règles  abrogées 
et  revendiquant,  en   outre,  ses  droits  sur  les  anciennes 
propriétés  du  clergé,  le  général  en  chef,  dans  l'intérêt  de 
l'apaisement  des  passions  politiques,  jugea  nécessaire  d'op- 


LE    GÉiNÉRAL    BAZAINE.  355 

poser  à  ces  tendances  un  veto  absolu.  A  chaque  instant,  'isei. 
il  se  voyait  ainsi  forcé  d'intervenir  dans  les  questions 
d'administration  intérieure;  le  général  Almonte  lui  prêtait 
un  concours  loyal,  il  est  vrai,  mais  trop  insuffisant  pour 
qu'il  fût  possible  de  réagir  d'une  manière  efficace  contre 
les  funestes  habitudes  et  la  démoralisation  que  les  révolu- 
tions incessantes  avaient  introduites  dans  la  nation.  Il  était 
difficile  de  faire  revivre  les  traditions  d'un  pouvoir  centra- 
lisateur oubliées  depuis  longtemps  et  de  rétablir  ces  règles 
de  déférence  à  l'autorité  centrale,  qui  sont  la  base  nécessaire 
de  tout  gouvernement  monarchique.  Les  préfets  tendaient 
à  gouverner  leurs  provinces  comme  des  Etats  indépen- 
dants. Ils  s'organisaient  avec  un  budget  à  part,  une  petite 
armée  particulière,  acceptant  les  secours  financiers  ou  l'ap- 
pui des  forces  militaires  du  gouvernement  suprême,  mais 
nullement  disposés  à  se  priver  de  leurs  propres  ressources 
pour  contribuer  aux  charges  communes.  Si  l'on  voulait 
arriver  à  fonder  l'empire,  il  fallait  de  toute  nécessité  faire 
abandonner  ces  anciens  errements  (*). 

Il  est  intéressant  d'observer  qu'au  moment  même  où 
le  général  Bazaine  se  plaignait  des  tendances  fédéralistes 
des  autorités  provinciales,  le  président  Juarez  se  trouvait 
lui-même  au  milieu  de  graves  embarras  dus  à  la  même 
cause.  Forcé  de  reculer  devant  les  colonnes  franco-mexi- 
caines, nous  avons  vu  qu'il  avait  transféré  le  siège  de  son 
gouvernement  de  San  Luis  de  Potosi  au  Pieal  de  Gatorce.  Il 
continua  son  mouvement  de  retraite  vers  le  nord  et  mani- 
festa l'intention  de  s'établir  à  Monterey,  capitale  du  Nuevo- 
Leon  et  la  ville  la  plus  importante  des  provinces  du  nord- 
est.  Les  États  hmitrophes  de  Nuevo-Leon  et  de  Coahuila 

(*)  Le  général  Bazaine  au  ministre  de  la  guerre,  !7  décembre  1863,  21  fé- 
vrier et  28  mars  1864. 


3S6  11^  PARTIE.  CHAPITRE  l". 

486i.  avaient  alors  pour  gouverneur  commun  D.  Vidaurri,  qui 
avait  acquis  une  grande  influence  dans  ces  contrées  et  s'y 
était  rendu  en  quelque  sorte  indépendant.  N'ayant  pu  dissua- 
der Juarez  de  venir  à  Monterey,  il  déclara  qu'il  s'y  opposerait 
par  la  force,  voulant,  disait-il,  préserver  ses  Etats  du  fléau  de 
l'invasion  étrangère  que  la  présence  du  président  ne  man- 
querait pas  d'attirer.  Celui-ci  ne  tint  aucun  compte  de  ces 
menaces.  Il  arriva,  le  11  février,  à  Monterey,  escorté  par  des 
forces  assez  importantes;  mais  Vidaurri  lui  ayant  enlevé 
par  surprise  son  artillerie,  il  se  retira,  craignant  d'enga- 
ger un  conflit  dont  l'issue  pouvait  être  douteuse. 

Le  général  Bazaine  crut  voir,  dans  cette  attitude  de  Vi- 
daurri, un  indice  de  dispositions  favorables  à  l'empire  ;  il 
lui  fit  faire  des  ouvertures  confidentielles,  et,  dans  le  but 
de  hâter  son  évolution  politique,  il  donna  l'ordre  à  la  divi- 
sion Mejia  de  s'avancer  jusqu'à  Matehuala.  Le  colonel 
Aymard,  commandant  à  San  Luis,  se  porta  à  Venado  ; 
mais,  soit  défiance  de  ses  propres  forces,  soit  espoir  de  se 
maintenir  indépendant,  à  la  fois  vis-à-vis  du  gouvernement 
républicain  de  Juarez  et  du  gouvernement  de  la  Régence, 
Vidaurri  publia  les  lettres  du  général  Bazaine  et  déclara  que, 
dans  une  aussi  grave  conjoncture,  il  ne  pouvait  prendre 
de  détermination  sans  consulter  le  peuple  de  ses  provinces 
qu'il  avait  toujours  associé  à  son  administration.  Il  donna, 
en  efl'et,  l'ordre  d'ouvrir  des  registres  de  vote  et  appela  les 
populations  à  se  prononcer  par  oui  ou  par  non  sur  la 
question  de  savoir  si  l'on  résisterait  aux  Français,  ou  si 
l'on  accepterait  l'intervention  et  l'empire.  Il  n'eut  pas  le 
temps  de  faire  celte  singulière  application  du  sufl'ragc  uni- 
versel, idée  louable  à  coup  sûr,  si  l'on  reste  dans  le  domaine 
de  la  théorie,  mais  en  vérité  bien  étrange  pour  quiconque 
connaît  l'indifterence  profonde  avec  laquelle,  au  Mexique, 


LE    GÉNÉRAL   BAZAINE.  SoT 

la  masse  du  peuple  a  l'habitude  de  subir  les  changements  ^864, 
de  gouvernement.  Vidaurri  ne  réussit  pas  dans  son  double 
jeu  ;  violemment  combatta  par  les  partisans  de  Juarez,  il  se 
vit  bientôt  forcé  de  lui  céder  la  place  et  s'enfuit  au  Texas 
avec  Quiroga,  son  lieutenant,  laissant  aux  mains  du  prési- 
dent de  précieuses  ressources  de  toute  nature,  des  forces 
militaires  bien  organisées,  et  des  sommes  importantes  qui 
permirent  au  gouvernement  républicain  de  reconstituer 
son  armée  et  de  continuer  la  résistance.  Le  moment  ne  pa- 
raissait pas  opportun  pour  entreprendre  une  nouvelle  cam- 
pagne ;  le  général  en  chef  rappela  le  colonel  Aymard  à  San 
Luis  et  fit  cantonner,  à  Matehuala,  Catorce,  et  Venado,  la 
division  Mejia,  que  le  typhus  avait  sérieusement  éprouvée. 

Juarez  recouvra  ainsi  les  moyens  matériels  de  maintenir 
son  autorité  et  de  résister  aux  intrigues  qui  se  tramaient 
au  sein  même  du  parti  libéral.  Les  amis  de  Doblado  pour- 
suivaient toujours  leurs  démarches  auprès  du  général 
Bazaine  ;  mais,  inspirés  par  la  politique  anglaise  et  espa- 
gnole, ils  proposaient  des  bases  de  conciliation  maintenant 
inadmissibles,  telles  que  la  reprise  de  la  Convention  de 
Londres  et  rétablissement  d'un  nouveau  gouvernement 
sous  le  protectorat  des  trois  puissances.  Doblado  désirait 
que  Juarez  abandonnât  la  présidence;  dans  ce  cas,  les 
pouvoirs  présidentiels  auraient  été,  d'après  la  constitu- 
tion, exercés  provisoirement  par  le  général  Ortega,  pré- 
sident de  la  cour  suprême,  sur  les  bonnes  dispositions 
duquel  il  pensait  pouvoir  compter. 

Cette  combinaison  eût  peut-être  été  acceptable  quelques 
mois  plus  tôt  ;  mais  actuellement,  le  commandant  en  chef 
devait  attendre  le  développement  de  la  situation  créée  par 
le  vote  de  l'assemblée  des  notables,  et  s'efforcer  de  ren- 
verser les  obstacles  qui  s'opposaient  encore  à  l'édification 


358 


If  PARTIE. 


CHAPITRE    f 


1864. 


Acceptation 
officielle  de  la 

couronne 
par  rarcliidiic 

Maximilien. 


du  trône.  En  homme  prévoyant,  Doblado  s'occupait,  du 
reste,  de  réaliser  son  énorme  fortune  et  de  se  ménager 
les  moyens  de  passer  aux  Etats-Unis. 

L'archiduc  Maximilien  était  en  efïet  décidé  à  se  rendre 
au  Mexique.  Les  actes  d'adhésion  à  l'empire  recueillis  sur 
le  passage  des  colonnes  françaises,  avaient  été  envoyés  à 
Miramar,  et  lorsque  le  nombre  en  parut  suffisant,  l'ar- 
chiduc prévint  la  commission  mexicaine  qu'il  était  prêt  à 
accepter  la  couronne.  Le  10  avril  1864,  il  reçut  solennelle- 
ment les  députés  mexicains  ayant  à  leur  tête  M.  Guttierrez 
de  Estrada. 

Sur  une  table  étaient  déposés  les  actes  d'adhésion  dont 
le  mûr  examen,  disait  l'archiduc,  lui  donnait  l'assurance 
qu'il  était  l'élu  du  peuple  mexicain.  Il  annonça  aux  députés 
que  la  loyauté  et  la  bienveillance  de  l'empereur  des  Fran- 
çais lui  avaient  permis  d'obtenir  pour  le  nouvel  empire  des 
garanties  suffisantes,  et  que,  de  l'assentiment  du  chef  de 
sa  famille,  il  acceptait  la  couronne  des  mains  de  la  nation 
mexicaine.  Il  promit  l'établissement  de  lois  constitution- 
nelles aussitôt  que  le  permettrait  la  pacification  du  pays, 
et  annonça  l'intention  d'aller,  avant  son  départ  pour  le 
Mexique,  demander  les  bénédictions  du  Saint-Père. 

Près  de  huit  mois  s'étaient  déjà  écoulés  depuis  le  mo- 
ment où  les  vœux  de  l'assemblée  des  notables  avaient  été 
transmis  à  l'archiduc.  La  grave  détermination  qu'il  venait 
de  prendre  était  donc  sérieusement  mûrie;  on  assure, 
d'ailleurs,  qu'il  n'eut  jamais  d'hésitation,  et  ses  lettres 
au  général  Almonte  en  font  foi.  Tandis  que  les  colonnes 
françaises  provoquaient  l'adhésion  à  l'empire  des  popu- 
lations du  centre  du  Mexique ,  l'archiduc  réglait  d'im- 
portantes questions  financières,  de  la  solution  desquelles 
dépendaient  les  conditions  d'existence  de  son  gouverne- 


1864. 


LE    GÉNÉRAL   BAZAINE.  339 

ment.  De  plus,  instruit  sur  les  vicissitudes  de  la  fortune, 
il  ne  voulait  pas  abandonner  sa  patrie  sans  esprit  de  retour, 
et  tenait  à  conserver  ses  droits  de  succession  éventuelle 
au  trône  d'Autriche. 

L'empereur,  son  frère,  s'y  opposait,  et  ces  contestations 
de  famille  ne  furent  terminées  qu'au  dernier  moment. 
L'archiduc,  désirant  ne  pas  retarder  plus  longtemps  l'ac- 
ceptation officielle  de  la  couronne  du  Mexique,  signa  la 
renonciation  que  l'empereur  d'Autriche  demandait  ;  mais, 
quelques  mois  après,  il  protesta  contre  l'irrégularité  de 
cette  renonciation. 

L'archiduc  Maximilien  voulait,  en  outre,  obtenir  la  re- 
connaissance des  puissances  européennes,  s'assurer  un 
appui  financier  sérieux  par  la  conclusion  d'un  emprunt, 
et  enfin  avoir  la  certitude  que  des  forces  françaises,  en 
nombre  suffisant,  resteraient  pendant  plusieurs  années  au 
Mexique.  Le  gouvernement  français  avait  trop  grand  inté- 
rêt à  mener  à  terme  la  difficile  entreprise  dans  laquelle 
il  s'était  si  imprudemment  engagé,  pour  ne  pas  mettre  au 
service  du  nouvel  empereur  sa  diplomatie,  ses  finances, 
et  ses  soldats. 

La  question  financière  était  la  plus  difficile  à  régler.  Emprunt. 
Nous  avons  déjà  dit  dans  quelle  détresse  le  trésor  mexicain 
se  trouvait  depuis  de  longues  années  ;  les  sources  de  reve- 
nus étaient  presque  entièrement  taries,  il  fallnit  donc 
demander  au  crédit  public  les  sommes  indispensables  aux 
frais  de  premier  établissement  ;  mais  comment  amener  les 
capitalistes  à  prêter  leur  argent  à  un  débiteur  jusqu'ici 
insolvable  et  dont  l'insolvabilité  future  n'était  que  trop 
facile  à  prévoir?  L'habileté  de  M.  Fould,  ministre  des 
finances,  triompha  de  cet  obstacle,  en  substituant,  il  est 
vrai,  aux  graves  difficultés  du  moment  des  difiicultés  plu? 


360  11"  PARTIE.  —  CHAPITRE  l". 

«864  graves  encore  pour  l'avenir.  La  plus  grande  partie  des 
"  titres  de  la  dette  extérieure  mexicaine,  qui  s'élevait  au  ca- 
pital de  256  millions  de  francs,  et  dont  l'origine  remontait 
aux  premiers  temps  de  l'indépendance,  se  trouvaient  entre 
les  mains  de  créanciers  anglais.  En  affectant  au  paiement 
d'une  partie  de  cette  dette  une  fraction  de  l'emprunt  pro- 
jeté, on  devait  intéresser  les  créanciers  anglais  à  son  succès. 
M.  Fould  sut  faire  accepter  cette  idée  par  une  importante 
maison  de  banque  anglaise  qui  se  chargea  de  l'émission. 
Plus  tard,  la  société  du  Crédit  mobilier  français  fut  associée 
à  cette  combinaison,  et  les  receveurs  généraux  des  finances 
furent  invités  à  y  prêter  leur  concours. 

Il  fut  convenu  que  l'on  créerait  18  millions  de  rente  à 
6  0/0,  dont  six  millions  seraient  réservés  à  la  France  et 
aux  indemnités  françaises.  En  émettant  l'emprunt  au  taux 
de  63  fr.,  on  comptait  sur  un  capital  de  190  millions 
environ  ;  mais  la  souscription  publique  fournit  seulement 
102,600,000  francs,  que  les  frais  de  courtage  et  de  com- 
mission réduisirent  encore  à  moins  de  96  millions.  Sur  ce 
produit,  une  somme  de  8  millions  fut  immédiatement 
comptée  à  l'archiduc  Maximilien;  27  millions  passèrent 
aux  mains  des  créanciers  anglais;  le  reste  fut  déposé  à  la 
Caisse  des  dépôts  et  consignations  en  garantie  de  deux 
années  d'intérêt,  ou  repris  par  le  Trésor  français  à  valoir 
sur  les  frais  de  guerre.  L'emprunt  fut  presque  entièrement 
souscrit  en  France,  grâce  à  la  confiance  qu'inspirait  la 
prétendue  coopération  des  capitalistes  anglais,  et  grâce 
surtout  à  la  propagande  faite  par  les  agents  de  l'Etat.  Le 
résultat  de  cette  opération  financière  était,  en  définitive,  de 
faire  servir  l'épargne  française  au  remboursement  des 
créances  anglaises,  et  au  paiement  des  dépenses  person- 
nelles de  l'empereur  Maximilien. 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  361 

Une  commission  des  finances  mexicaines  fut  constituée        <864. 
à  Paris  sous  la  présidence  du  comte  de  Germiny,  pour  re- 
présenter le  gouvernement  mexicain  dans  les  opérations 
financières  nécessitées  par  l'emprunt. 

Quant  aux  rapports  qui  devaient  lier  la  France  à  l'em-      ConTcntion 

^  -"^  ^  ^  de  Miramar  (1) 

pire  du  Mexique,  ils  furent  déterminés  par  une  convention  (^o  avril  i864). 
dont  les  termes  avaient  été  préalablement  discutés  et  qui 
fut  signée  à  Miramar  le  10  avril  1864.  Il  y  fut  stipulé  que 
l'effectif  des  troupes  françaises  serait  réduit  au  chiffre  de 
vingt-cinq  mille  hommes,  et  qu'elles  évacueraient  le  Mexi- 
que au  fur  et  à  mesure  de  l'organisation  des  troupes  des- 
tinées à  les  remplacer.  La  légion  étrangère,  dont  l'effectif 
serait  porté  à  huit  mille  hommes,  resterait  au  Mexique  six 
ans  après  le  départ  des  troupes  françaises.  En  cas  de  réu- 
nion de  troupes  françaises  et  mexicaines,  le  commande- 
ment appartiendrait  toujours  à  l'officier  français. 

Les  frais  de  guerre  à  rembourser  par  le  Mexique  furent 
arrêtés,  au  l^*"  juillet  1864,  à  la  somme  de  270  millions  de 
francs.  A  partir  de  cette  époque,  le  gouvernement  mexicain 
paierait  mille  francs  par  homme  et  par  an  pour  l'entretien 
des  troupes  françaises. 

Dans  des  articles  additionnels  secrets,  l'empereur  Maxi- 
milien  approuvait  les  principes  et  les  promesses  énoncés 
dans  la  proclamation  du  maréchal  Forey,  en  date  du  12 
juin  1863,  ainsi  que  les  diverses  mesures  prises  de  con- 
cert entre  la  Régence  et  le  commandant  en  chef  du  corps 
expéditionnaire.  L'empereur  Napoléon  s'engageait  à  ne 
réduire  que  successivement  l'effectif  du  corps  expédition- 
naire, de  telle  sorte  qu'il  resterait  vingt-huit  mille  hommes 
en  1865,  vingt-cinq  mille  hommes  en  1866  et  vingt  mille 
hommes  en  1867. 

<n  Voir  le  texte  à  l'appendice. 


362  II*  PARTIE.  CHAPITRE  l". 

^864.  Avant  son  départ,  l'empereur  Maximilien  arrêta  la  créa- 

tion d'un  corps  de  volontaires  autrichiens  composé  de  : 
trois  bataillons  d'infanterie,  deux  régiments  de  cavalerie  à 
cinq  escadrons,  deux  batteries  d'artillerie  de  montagne, 
deux  compagnies  de  pionniers  dont  l'effectif  total  devait 
être  de  deux  cent  cinquante  officiers  et  sept  mille  trois  cents 
hommes.  On  s'occupa  aussi  de  former  un  régiment  belge 
à  deux  bataillons,  fort  de  deux  mille  hommes.  Le  gouverne- 
ment français  ayant,  de  son  côté,  l'intention  de  développer 
l'organisation  de  la  légion  étrangère  française,  on  pensait 
que  ces  troupes  deviendraient  le  noyau  de  l'armée  impé- 
riale et  resteraient  au  Mexique  après  le  départ  des  Français. 

Arrivée  L'cmpcreur  MaximiHen  et  l'impératrice  Charlotte  quit- 

de  l'emperear        ^  i..  -i  i^/  -i- 

Maximilien      tercnt  Miramar,  le  14  avril,  sur  la  tregate  autrichienne  la 

au  Mexique  ,  ^      n    '  o  •        i      m  •      r^        ^^y 

(28  mai  1804).  Novara,  escortée  par  la  tregate  trançaise  la  Thémis.  Ils  allè- 
rent à  Rome  s'agenouiller  devant  le  Saint-Père  et  aussitôt 
après,  firent  route  pour  Vera-Cruz,  où  ils  arrivèrent  le 
28  mai. 

A  cette  époque,  la  situation  militaire  et  politique  du 
Mexique  paraissait  satisfaisante  ;  les  troupes  françaises  oc- 
cupaient la  plupart  des  grandes  villes  ;  à  l'abri  de  leurs 
baïonnettes,  il  commençait  à  se  produire  parmi  les  popu- 
lations un  mouvement  en  réalité  très-favorable  à  l'empire. 
Dans  beaucoup  d'endroits,  les  habitants  demandaient  des 
armes  et  formaient  des  gardes  civiles;  à  la  Piedad,  ils 
avaient  énergiquement  résisté  à  une  attaque  des  libé- 
raux. De  courageux  citoyens  ne  craignaient  pas  de  se 
mettre  à  la  tête  des  administrations  locales,  postes  dan- 
gereux, où  ils  s'exposaient  aux  cruelles  vengeances  des 
chefs  libéraux. 

Cependant  les  vallées  de  Mexico  et  de  Puebla  étaient 


LE    GÉNÉHAL    BAZAINE.  363 

toujours  parcourues   par   quelques  guérillas ,   mais   ces        <864. 
bandes  sans  consistance  ,  activement  poursuivies  par  les 
compagnies  de  partisans ,  ne  pouvaient  inspirer  aucune 
inquiétude  sérieuse. 

Les  terres  chaudes  même  étaient  plus  tranquilles;  Co- 
tastla,  sur  le  Rio-Blanco,  ayant  été  occupé  d'une  manière 
permanente,  les  guérillas  s'étaient  éloignées  de  la  route  de 
Vera-Cruz;  Diaz-Miron  avait  fait  sa  soumission.  Depuis  le 
mois  d'août  1863,  les  travaux  du  chemin  de  fer  atteignaient 
la  Soledad  ;  il  n'était  plus  nécessaire  de  faire  escorter  les 
convois  du  commerce.  Gamaron,  Paso  del  Macho,  la  Sole- 
dad se  repeuplaient  rapidement.  Au  mois  de  février,  plus 
de  six  cents  chariots  et  huit  mille  mules  étaient  venus 
prendre  des  chargements,  et  si  l'aspect  de  ce  pays  désolé 
et  inculte  devait  encore  frapper  de  tristesse  les  souverains 
qui  venaient  de  quitter  les  rivages  de  l'Adriatique,  ceux 
qui  se  souvenaient  des  misères  des  années  1862  et  1863, 
reconnaissaient  à  peine  cette  contrée  ainsi  transformée  où, 
d'étape  en  étape,  on  était  sûr  d'avoir,  au  moins,  des  vivres 
et  un  abri. 

Le  général  Bazaine  trouvait  la  situation  aussi  bonne  que 
possible.  «  Je  suis  plein  de  confiance  dans  la  solution  pa- 
cifique prochaine  de  la  question  mexicaine,  écrivait-il 
au  ministre  de  la  guerre ,  et  j'ai  assez  de  troupes  pour 
la  mener  à  bon  terme.  On  ne  parle  plus  de  Juarez  et  de 
son  gouvernement  ambulant,  et  je  ne  sais  pas,  quant  à 
présent,  où  ils  sont.  »  Bien  que  ces  appréciations  ne  fus- 
sent pas  justifiées,  les  progrès  de  la  pacification  étaient 
incontestables.  Ce  résultat  était  dû  à  l'activité  inces- 
sante et  à  l'inteUigente  énergie  des  troupes  françaises. 
Fractionnées  en  une  infinité  de  détachements  et  de  petites 
colonnes,  dont  l'effectif  dépassait  rarement  quinze  cents 


364  11''  PARTIE.  CHAPITRE    l". 

4864.  Qu  dgQx  mille  hommes,  elles  cherchaient  partout  l'ennemi, 
ne  lui  laissant  ni  trêve  ni  repos.  Les  soldats  étaient  aguer- 
ris aux  fatigues,  vigoureux,  dévoués  ;  on  pouvait  tout  oser 
avec  de  pareils  éléments. 

Ainsi  le  4  février,  le  commandant  Estelle,  commandant 
supérieur  de  Salamanca,  avec  quatre  cents  fantassins  de 
différents  corps,  dix-sept  chasseurs  d'Afrique  et  quarante 
cavaliers  mexicains ,  attaquait  deux  mille  hommes  des 
guérillas  du  Michoacan  qui  avaient  occupé  Valle  Santiago. 
L'élan  fut  si  impétueux  qu'en  une  demi-heure  il  était 
maître  de  la  position,  avait  entre  ses  mains  un  drapeau, 
trois  obusiers  de  montagne,  deux  cents  chevaux,  et  deux 
cents  prisonniers  ;  le  détachement  français  perdit  seule- 
ment huit  blessés. 

Le  30  mars,  le  capitaine  Mealhié  sortait  de  Salamanca 
avec  cent  soixante-quatre  fantassins  français  et  quatre- 
vingts  cavaliers  mexicains;  au  point  du  jour,  il  attaquait,  à 
Cuitzeo  de  las  Naranjas,  sept  cents  fantassins  et  cinq  cents 
cavaliers  ayant  deux  canons.  Après  avoir  soutenu  pendant 
deux  heures  et  demie  une  très-vive  fusillade,  il  fit  sonner 
la  charge,  et  sa  poignée  d'hommes,  culbutant  l'ennemi, 
enleva  les  deux  pièces  et  lui  fit  perdre  plus  de  trois  cents 
tués,  blessés  ou  prisonniers.  Il  n'eut  que  deux  tués  et  vingt 
blessés. 

Les  nombreuses  colonnes  que  le  général  en  chef  diri- 
geait de  Mexico  vers  l'intérieur,  afin  de  reformer  d'une 
façon  à  peu  près  normale  les  divisions  désorganisées  par 
la  multiplicité  des  petits  postes  laissés  en  arrière,  aidaient 
à  la  dispersion  des  guérillas  ennemies.  Le  colonel  Clin- 
chanl,  en  se  rendant  de  Puebla  à  Guadalajara,  avec  une 
partie  du  1"  régiment  de  zouaves,  traversa  le  Michoacan, 
fil  une  pointe  sans  résultat  sur  Zitacuaro  (26  mars),  mais 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  363 

soutint  par  sa  présence  dans  le  pays  les  petites  opérations  -tsci. 
des  détachements  mexicains  alliés.  L'autre  fraction  de  ce 
régiment  et  un  escadron  du  12^  chasseurs  à  cheval,  sous 
les  ordres  du  colonel  du  Preuil,  étaient,  à  la  même  époque, 
également  dirigés  sur  Guadalajara  par  la  route  de  Léon. 
Cette  colonne  contribua  à  la  poursuite  des  bandes  de  Ro- 
mero  entre  Mexico  et  Queretaro;  arrivé  à  Léon,  le  colonel 
du  Preuil,  avec  sa  cavalerie,  se  porta  rapidement  par  une 
marche  de  nuit  sur  la  Canada  de  los  Negros,  où  il  atteignit 
et  sabra  une  troupe  de  six  cents  cavaliers  et  cent  fantassins. 
L'ennemi  perdit  une  centaine  de  morts,  l'escadron  fran- 
çais cinq  hommes  blessés.  (28  avril.) 

De  leur  côté,  les  généraux  Douay  et  de  Castagny  ordon- 
nèrent des  expéditions  plus  importantes,  afin  de  déga- 
ger les  pays  de  production  qui  alimentent  Guadaïajara  et 
Zacatecas. 

Le  général  Douav,  après  avoir  parcouru  les  environs  de      Opérations 

°  ./        1  -i  du  général  Douay 

Guadalajara  et  pourvu  à  la  sécurité  des  routes  voisines,     a^  environs 

•>  ^  ,  de  Guadalajara. 

s'avança  vers  l'ouest  dans  le  but  d'entrer  en  relations  avec 
le  général  Lozada,  chef  d'une  grande  influence  qui,  à  la 
tête  des  Indiens  du  district  de  Tepic,  était  le  maître  in- 
contesté de  cette  partie  du  pays.  Il  lui  donna  rendez-vous 
à  Tequila,  à  trois  journées  de  Guadalajara  ;  mais  jaloux  sans 
doute  de  ménager  l'indépendance  de  sa  position  en  évitant 
de  se  rencontrer  avec  un  général  français,  Lozada  prétexta 
une  maladie  et  se  fit  représenter  par  le  général  Rivas, 
son  lieutenant  (19  mars).  Il  accepta,  du  reste,  des  subsides 
pour  ses  troupes  qu'il  évaluait  à  deux  mille  fantassins  et 
mille  cavaliers,  et  promit  son  concours  à  l'empire.  A  son 
retour,  le  général  Douay  se  porta  au  sud  de  Guadalajara 
contre  les  bandes  de  Simon  Gutlierrez  et  de  Rojas,  dont 
les  cruautés  et  les  exactions  désolaient  la  province. 


'ISG'i 


Destruction 
des  guérillas 

de  l'Etat 
de  Guanajuato. 


360  II"  PARTIE.  —  CHAPITRE  l". 

Le  21  mars,  les  chasseurs  d'Afrique  du  colonel  Margue- 
ritte  atteignirent  Guttierrez  à  Cuisillo,  après  une  course  à 
toute  bride  de  cinq  kilomètres  ;  les  bandits,  abrités  derrière 
des  murs  en  pierre  sèche,  essayèrent  en  vain  de  résister  ; 
cent  cinquante  des  leurs  tombèrent  sous  le  sabre  des 
chasseurs,  qui  enlevèrent  deux  cents  chevaux  et  une  pièce 
d'artillerie. 

Le  général  Douay  visita  les  montagnes  voisines  de  Co- 
cula  ;  il  fit  détruire  les  fonderies  et  les  fabriques  d'armes 
et  de  poudre  de  Tula  et  de  Tapalpa  (26  et  27  mars), 
puis  revint,  le  31  mars,  à  Guadalajara,  se  réservant  de 
chasser  plus  tard  le  général  Uraga  des  positions  qu'il 
avait  prises  sur  les  barrancas  du  nevado  et  du  volcan  de 
Colima. 

Un  bataillon  de  marche  de  six  cents  hommes,  venus  de 
Guadalajara  sous  les  ordres  du  colonel  Garnier,  avait  ap- 
puyé ces  opérations.  Lorsqu'elles  furent  terminées,  le  co- 
lonel Garnier  quitta  l'Etat  de  Jalisco  avec  le  51^  de  ligne, 
pour  se  rendre  dans  l'Etat  de  Guanajuato,  dont  il  était  nom- 
mé commandant  supérieur.  Il  s'occupa  sans  retard  de 
purger  le  pays,  compris  entre  Léon  et  La  Piedad,  des  gué- 
rillas nombreuses  qui  avaient  été  déjà  atteintes  à  Valle 
Santiago,  à  Cuitzeo,  à  la  Canada  de  los  Negros.  Il  explora 
la  Sierra  de  San-Gregorio ,  enleva  des  approvisionne- 
ments considérables  cachés  dans  les  grottes,  prit  trois 
pièces  d'artillerie,  et  força  Rincon  Gallardo,  gendre  de 
Doblado,  à  disperser  les  bandes  réunies  sous  son  com- 
mandement et  à  quitter  lui-même  la  contrée  (du  30  mai 
au  3  juin).  Quelques  jours  après,  la  compagnie  de  partisans 
du  51®  de  ligne,  sous  les  ordres  du  capitaine  de  Musset, 
surprit  à  Cueramaro  la  bande  de  Guzman,  et  le  fit  prison- 
nier avec  vingt-huit  de  ses  hommes  (26  juin). 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  367 

Enfin,  le  17  août,  Gantarito,  qui  venait  d'être  battu  à  'isei- 
Yuririapundaro,  fut  encore  atteint  par  cette  compagnie  de 
partisans  au  Rancho  de  Piodeo.  Il  fut  tué  avec  vingt-quatre 
guérilleros  ;  vingt-quatre  hommes  furent  faits  prisonniers 
et  deux  cents  chevaux  enlevés.  Cet  heureux  coup  de  main 
acheva  la  destruction  des  bandes  de  l'Etat  de  Guanajuato  et 
rétablit  dans  cette  contrée  une  tranquillité  dont  peu  de 
provinces  jouissaient  à  cette  époque. 

Le  général  de  Gastagny  avait  également  voulu  chasser  opérations 
les  guérillas  des  vallées  de  Jerez  et  de  Villa-nueva  dont  sierra  Morones. 
^es  produits  servent  à  l'alimentation  des  districts  miniers 
de  Zacatecas  et  de  Fresnillo.  Il  les  parcourut  avec  des 
colonnes  légères  sans  pouvoir  atteindre  l'ennemi.  Le  16 
février  seulement,  un  détachement  de  cent  chasseurs 
à  pied  et  de  soixante  cavaliers  mexicains,  sous  les  ordres 
du  commandant  Lepage  de  Longchamps,  surprit,  après 
une  marche  de  seize  lieues,  la  petite  ville  de  Golotlan 
et  enleva  deux  pièces  de  montagne ,  deux  coulevrines 
{Esinerillas)  et  soixante-seize  prisonniers  O.  A  peine  le 
général  de  Gastagny  était-il  de  retour  à  Zacatecas,  que  les 
bandes  reparaissaient  dans  la  Sierra  Morones.  José  Maria 
Ghavez  réunissait  de  nouveau  sous  ses  ordres  cinq  cents 
hommes  avec  deux  canons.  Le  25  mars,  il  attaquait  l'ha- 
cienda de  Malpaso,  y  massacrait  femmes,  enfants,  vieil- 
lards ;  mais  le  lendemain,  le  capitaine  Grainvillers,  en- 
voyé de  Zacatecas  avec  une  compagnie  du  1*^'  bataillon 
de  chasseurs  à  pied,  le  surprit  à  Jerez,  le  fit  prisonnier 
avec  quarante  des  siens,  tua  une  centaine  d'hommes, 
et  enleva  les  deux  canons.  Un  seul  chasseur  fut  blessé. 

(*)  Parmi  ces  prisonniers  se  trouvait  le  général  Gliilardi,  ancien  garibaldien, 
échappé  de  Puebla  après  la  capitulation  ;  il  fut  déféré  à  une  cour  martiale  et  passé 
par  les  armes  (17  mars), 


368  II*  PARTIE.  —  CHAPITRE    l". 

<864.  Quelques  jours  après   (11    avril),  le  commandant  de 

Courcy,  avec  cent  cinquante  chasseurs  à  pied,  atteignit  à 
Colotlan  la  bande  de  Sandoval,  forte  de  cinq  cents  cavaliers, 
cent  fantassins  et  deux  pièces,  et  lui  tua  quelques  hommes. 
Il  se  remit  en  campagne  accompagné  d'un  grand  nombre 
de  rancheros  armés,  battit  toute  la  Sierra,  fit  quatre-vingts 
lieues  en  sept  jours,  et  ramassa  un  obusier  de  12  et  une 
grande  quantité  de  munitions.  Il  devenait  nécessaire  de 
combiner  une  opération  sérieuse  pour  débarrasser  complè- 
tement le  pays  des  bandes  dont  la  présence  entretenait  une 
grande  agitation.  Le  général  Douay  fit  placer  une  garnison 
mexicaine  à  Cuquiosur  la  roule  de  Zacatecas  à  Guadalajara 
par  la  Sierra  Morones,  envoya  dans  cette  région  une  co- 
lonne de  six  compagnies  d'infanterie,  un  escadron  et  deux 
pièces  de  montagne,  sous  les  ordres  du  colonel  de  Potier. 
Au  même  moment,  le  général  L'Hériller,  qui  commandait 
à  Zacatecas  (le  quartier  général  du  général  de  Castagny 
ayant  été  transféré  à  Queretaro),  faisait  partir  des  déta- 
chements de  Zacatecas  et  d'Aguascalientes  pour  concourir 
à  cette  expédition. 

Le  13  mai,  le  colonel  de  Potier  attaqua  Nochistlan,  où 
se  trouvaient  environ  cinq  cents  hommes  commandés  par 
Jésus  Mejia.  La  ville  fut  enlevée  après  un  combat  sanglant, 
dans  lequel  périrent  Jésus  Mejia  lui-même,  presque  tous 
ses  officiers,  et  plus  de  deux  cents  hommes.  Le  reste  fut 
pris  ;  quatre  pièces  d'artillerie  et  une  grande  quantité  de 
chevaux  et  de  munitions  restèrent  entre  les  mains  de  la  co- 
lonne française,  qui  perdit  seulement  un  homme  tué,  deux 
officiers  grièvement  blessés,  et  vingt-quatre  blessés. 

Le  colonel  de  Potier  s'engagea  ensuite  dans  la  Sierra  à 
la  poursuite  de  Sandoval  ;  toutes  les  issues  étant  fermées, 
on  espérait  le  cerner  ;   malheureusement  le  passage  de 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  369 

Tlaltenango  ayant  été  momentanément  abandonné  par  ''864. 
suite  de  faux  renseignements ,  Sandoval  en  profita  et 
se  déroba  en  fuyant  vers  le  nord.  Le  commandant  de 
Courcy  se  mit  à  sa  poursuite  avec  une  petite  colonne  de 
cent  quatre-vingt-dix  fantassins,  dix-sept  cavaliers  fran- 
çais, et  trente-trois  cavaliers  mexicains.  Il  finit  par  l'at- 
teindre le  22  mai  à  Valparaiso.  Le  peloton  de  chasseurs  h 
cheval,  réduit  à  treize  hommes,  aborda  sans  hésiter  plus  de 
trois  cents  cavaliers,  pendant  que  l'infanterie  accourait  au 
pas  de  course.  L'ennemi  perdit  cent  vingt  morts,  trois 
cents  prisonniers,  cinq  canons,  deux  cents  chevaux,  une 
grande  quantité  d'armes  et  de  munitions.  Le  commandant 
Japy,  avec  un  détachement  du  2'  zouaves  envoyé  de  Zaca- 
tecas,  arriva  une  heure  après  le  combat.  11  avait  franchi 
vingt-huit  lieues  en  vingt-quatre  heures.  Quelques  instants 
plus  tôt,  et  les  bandes  de  Sandoval  étaient  entièrement 
anéanties.  Ce  combat  coûta  deux  chasseurs  à  cheval  tués, 
l'officier  commandant  le  peloton  fut  blessé  de  cinq  coups 
de  lance.  De  son  côté,  le  colonel  de  Potier  avait  parcouru 
la  Sierra,  enlevé  six  canons,  60,000  cartouches,  deux  fau- 
conneaux, des  armes,  des  munitions.  Le  détachement  venu 
d'Aguascalientes  surprit  aussi,  à  Sandovales  (24  mai),  une 
cinquantaine  de  guérilleros  qui  furent  presque  tous  tués 
ou  faits  prisonniers.  Ces  opérations  rendirent  pour  quelque 
temps  la  tranquillité  aux  vallées  de  Jerez  et  de  Villanueva 
dont  les  habitants  s'organisèrent  défensivement,  sous  la 
protection  des  compagnies  de  partisans  du  99*^  de  ligne  et 
du  2<^  zouaves.  Continuellement  harcelés  par  les  colonnes 
françaises,  la  Gadena  et  Sandoval  se  décidèrent  à  faire  leur 
soumission  (août  1864). 

A  Pinos,  à  peu  près  à  égale  distance  de  Zacatecas,  de 

San  Luis  de  Potosi  et  d'Aguascalientes,  se  trouvaient  aussi 

24 


370  if  PABTIE.  CHAPITRE    l". 

4864.  de  nombreux  partis.  Des  détachements  venus  de  ces  trois 
villes  convergèrent  sur  ce  point  (8  mai)  ;  ils  ne  purent  tou- 
tefois atteindre  qu'une  fraction  des  forces  ennemies,  à 
laquelle  ils  enlevèrent  un  canon  et  une  trentaine  de  prison- 
niers. Toutes  ces  guérillas  se  replièrent  vers  le  nord  dans  la 
Sierra  Hermosa,  où  le  général  Ortega  concentra  trois  mille 
hommes  et  seize  canons.  Le  but  de  l'ennemi  paraissait  être 
de  pénétrer  dans  les  districts  miniers  afm  de  se  procurer 
de  l'argent  et  d'affirmer  la  vitalité  du  parti  républicain, 
en  provoquant  une  levée  générale  de  boucliers  au  mo- 
ment où  l'empereur  Maximilien  débarquerait  au  Mexique. 
Si  les  Français,  obligés  de  renforcer  leurs  positions  dans 
le  nord,  dégarnissaient  la  route  de  Vera-Cruz  à  Mexico, 
une  guérilla  hardie  parviendrait  peut-être  à  inquiéter  le 
cortège  impérial,  et  l'opinion  publique  en  Europe,  comme 
en  Amérique,  ne  pourrait  manquer  d'en  être  sérieusement 
impressionnée. 

Combat  Juarcz,  dout  l'armée  s'était  en  partie  reformée  dans  les 

de  Matehuala  .  .  ^  . 

(17  mai  isôi;.  provinccs  du  nord,  se  disposait  donc  à  faire  attaquer  simul- 
tanément les  postes  avancés  du  côté  de  Zacatecas  et  de  San 
Luis  0).  Le  mouvement  sur  Zacatecas  n'eut  pas  lieu  en 
temps  utile,  mais  Doblado,  à  la  tête  de  six  mille  hommes 
avec  dix-huit  pièces  d'aitillerie,  descendit  de  Monterey  et 
marcha  sur  Matehuala,  centre  des  cantonnements  de  la  di- 
vision Mejia. 

Le  colonel  Aymard,  commandant  supérieur  de  San 
Luis,  se  porta  au  secours  de  la  division  alliée  avec  neuf 
compagnies  du  62^  de  ligne,  un  escadron  de  chasseurs 
d'Afrique,  et  trois  sections  d'artillerie,  formant  un  effectif 

<i)  Correspondances  interceptées  jointes  à  la  lettre  du  gonùral   Bazaino  au 
ministre,  du  iO  août  1864. 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  371 

d'environ  huit  cents  hommes.  Le  17  mai  au  matin,  il  arriva  -1804. 
en  vue  de  Matehuala  au  moment  où  la  division  Doblado, 
qui  ignorait  encore  son  approche,  débouchait  dans  la  plaine. 
Les  troupes  alliées  l'attendaient  rangées  en  bon  ordre 
derrière  des  murs  en  pierres  sèches.  Laissant  deux  cents 
hommes  à  la  garde  de  ses  bagages,  le  colonel  Aymard  tra- 
versa rapidement  la  ville,  forma  une  colonne  d'attaque  de 
quatre  compagnies,  et  la  lança  aussitôt  sur  l'aile  gauche  de 
l'ennemi.  Carbajal,  à  la  tête  de  cinq  cents  cavaliers,  essaya 
de  contrarier  ces  dispositions,  mais  il  fut  si  vigoureuse- 
ment chargé  par  les  chasseurs  d'Afrique  et  par  un  escadron 
aUié,  que  sa  cavalerie  complètement  culbutée  s'enfuit  en 
désordre  et  ne  reparut  plus  de  la  journée.  Une  batterie 
ennemie  de  quatre  pièces,  concentrant  alors  son  feu  sur  la 
colonne  française,  s'efforça  d'arrêter  ses  progrès;  les  chas- 
seurs d'Afrique  s'élancèrent  de  nouveau  et  l'infanterie  les 
suivant  au  pas  de  course  enleva  les  canons. 

A  l'aile  gauche,  la  division  Mejia  avait  résisté  avec  succès 
aux  attaques  de  l'ennemi  ;  prenant  ensuite  l'offensive,  elle 
força  également  ses  adversaires  à  lui  céder  le  terrain.  Les 
troupes  libérales  se  retirèrent  en  pleine  déroute,  abandon- 
nant douze  cents  prisonniers,  un  drapeau,  toute  leur  artil- 
lerie, et  tous  leurs  équipages  à  l'exception  de  ceux  de  la  ré- 
serve. On  ne  connut  pas  le  chiffre  des  morts  et  des  blessés. 
Les  troupes  françaises  perdirent  quatre  hommes  tués  et 
quarante-cinq  blessés;  les  Mexicains  alliés,  trente-deux 
morts  et  quatre-vingt-sept  blessés. 

Cette  campagne  désastreuse  n'abattit  pas  la  persévérance 
de  Juarez.  Il  se  maintint  à  Monterey  ;  mais  Doblado,  dont 
l'intluence  fut  ruinée  par  cet  insuccès,  quitta  la  scène  po- 
litique et  peu  de  temps  après  passa  aux  États-Unis,  où  il 
mourut  le  19  juin  1865. 


372  II*  PARTIE.  —  CHAPITRE    l". 

i8G4.  Quant  aux  bandes  des  terres  chaudes,  elles  furent  te- 

nues en  respect;  aucun  nuage  n'assombrit  donc  l'aurore 
de  l'empire ,  mais  l'orage  ne  devait  pas  tarder  à  se  former 
et  à  grossir  au-dessus  du  trône. 

Cependant  le  combat  de  Matehuala  avait  dégagé  l'état 
de  San  Luis  ;  les  gardes  rurales  suffirent  à  la  poursuite  des 
quelques  guérillas  restées  dans  le  pays.  Cette  bonne  situa- 
tion faisait  espérer  au  général  Bazaine  de  pouvoir  rétablir 
prochainement  les  communications  commerciales  entre 
San  Luis  et  Tampico  ;  c'était  une  question  importante,  car 
en  ramenant  dans  le  port  de  Tampico  les  navires  qui, 
faute  de  trouver  de  débouché  pour  leurs  marchandises, 
préféraient  aborder  sur  les  points  occupés  par  l'ennemi,  le 
gouvernement  impérial  bénéficierait  d'importants  droits 
de  douane  dont  la  caisse  de  Juarez  avait  jusqu'alors 
profité. 

Opérations         Tampico  avait  été  réoccupé,  le  11  août  1863,  par  le  ré- 

aux  environs  de        .  •,,•(>  •       ^  ■  •     ^  •  ,,    .       , 

Tampico.  giment  d  inianterie  de  marine,  mais  la  garnison,  decimee 
par  les  maladies,  s'était  vue  réduite  à  un  rôle  purement 
défensif.  L'ennemi  la  bloquait  de  près  du  côté  de  la  terre, 
tandis  que  le  mauvais  temps  de  la  saison  d'hiver  ne  lui 
permettait  pas  de  communiquer  régulièrement  avec  les 
bâtiments  de  l'escadre.  Les  troupes  de  marine,  devant  ren- 
trer en  France  (*),  le  général  Bazaine  les  fit  remplacer , 


(')  Les  troupes  do  la  marine  avaient  été  laissées  dans  les  terres  chaudes.  Le 
ministre  de  la  marine,  qui  voyait  ces  contingents  plus  exposés  que  les  troupes 
de  terre  aux  dangers  des  maladies,  en  provoqua  le  rappel.  Le  bataillon  de  marins 
fusiliers  précédemment  réorganisé  en  deux  compagnies  et  stationné  à  La  Soiedad 
fut  remis  à  la  disposition  de  l'amiral  le  28  février  1864;  l'infanterie  de  marine 
quitta  Tampico  pour  rentrer  en  France,  le  9  m.irs  suivant. 


LE    GÉNÉRAL    BAZALNE.  373 

au  mois  de  mars,  par  la  contre-guérilla  Dupin,  réorganisée  ^864. 
et  notablement  augmentée.  Un  certain  nombre  d'anciens 
soldats,  libérés  du  service,  y  furent  attirés  par  des  avan- 
tages particuliers,  et  l'on  y  détacha  de  bons  officiers  pris 
dans  les  régiments  du  corps  expéditionnaire.  Cette  troupe 
comptait  alors  cinq  cent  cinquante  hommes,  et  une  section 
d'obusiers  de  montagne.  Le  colonel  Dupin  eut  en  outre, 
sous  ses  ordres,  un  corps  mexicain  de  trois  cents  hommes 
commandé  par  le  colonel  Llorente. 

Après  avoir  réussi  à  occuper  le  petit  port  de  Tuxpan,  le 
colonel  Llorente  avait  été  forcé  de  l'abandonner  et  se  trou- 
vait assiégé  à  Temapache  par  douze  cents  hommes,  à  la 
tête  desquels  était  Carbajal  (avril  1864).  Cortina,  le  chef 
libéral  le  plus  influent  du  Tamaulipas,  était  également 
attendu  et  tous  deux  se  flattaient  de  jeter  à  la  mer  la  poi- 
gnée de  Français  qui  occupaient  Tampico. 

Le  colonel  Dupin ,  loin  de  se  laisser  intimider,  entra 
immédiatement  en  campagne.  Le  11  avril,  il  partit  de 
Tampico  avec  cent  quarante  fantassins,  cent  vingt-cinq 
cavaliers,  vingt  artilleurs,  et  ses  deux  pièces.  Son  mouve- 
ment détermina  Carbajal  à  lever  le  siège  de  Temapache, 
mais  le  colonel  Llorente,  au  lieu  de  rejoindre  la  contre- 
guérilla,  retourna  à  Tuxpan  ;  la  population  de  race  in- 
dienne prêta  heureusement  un  utile  concours  au  colonel 
Dupin,  lui  fournit  des  guides,  et  lui  procura  des  vivres. 
De  leur  côté,  les  hacenderos  ralliaient  les  forces  libé- 
rales; le  colonel  Dupin  fit  ruiner  leurs  propriétés;  sui- 
vant l'ennemi  l'épée  dans  les  reins,  il  joignit  enfin  Carba- 
jal, le  18  avril,  au  village  de  San  Antonio  et  lui  livra  un 
sanglant  combat.  La  contre-guérilla  eut  six  officiers  blessés 
dont  un  mortellement,  huit  hommes  tués  et  vingt-six  bles- 
sés grièvement.  On  releva  cent  cinquante  cadavres  de  l'en- 


374  II®   PARTIE.  CHAPITRE  f  ^ 

1864.  nemi  parmi  lesquels  seize  officiers.  Un  drapeau  et  la  caisse 
contenant  huit  cents  piastres  tombèrent  entre  les  mains  du 
colonel  Dupin  ;  on  fit  un  seul  prisonnier,  c'était  un  aide 
de  camp  de  Carbajal  ;  les  Indiens  assouvirent  leurs  ven- 
geances en  massacrant  les  hommes  isolés  qu'ils  rencon- 
trèrent dans  la  campagne.  Carbajal  quitta  définitivement 
cette  contrée,  où  ses  troupes  étaient  incapables  de  tenir 
contre  les  vaillants  aventuriers  de  la  contre-guérilla.  Il 
raUia  la  division  de  Doblado  et  nous  avons  déjà  vu  qu'il 
prit  part,  sans  plus  de  bonheur,  au  combat  de  Mate- 
huala. 

La  contre-guérilla  revint  à  Tampico,  où  elle  attendit  le 
moment  de  reprendre  ses  opérations  vers  l'intérieur. 

Évacnation  La  gamison  française,  qui  gardait  Minatillan,  était  loin 

do  Minatillan        i,         •       ^  i^a  /i  t\ 

(-28  mars)      Q  avoir  obtenu  les  mêmes  heureux  résultats.  Des  reniorts, 

6t   dô 

San  Juan  Bautista  envoyés  par   Porfirio  Diaz ,  avaient  élevé   à  trois  mille 

(27  février), 

hommes  l'effectif  des  troupes  ennemies  de  Garcia  ;  il  cernait 
la  ville  de  très-près,  interdisait  toute  communication  avec 
l'intérieur,  et  arrêtait  complètement  le  commerce.  La  gar- 
nison, déjà  très-éprouvée  par  les  maladies,  se  trouvait  fort 
exposée  ;  le  général  en  chef  fit  évacuer  Minatitlan  (28  mars), 
et  décida  que  l'on  se  bornerait  à  bloquer  l'embouchure  du 
Goatzacoalco. 

La  même  mesure  avait  déjà  été  prise  à  l'égard  de  San 
Juan  Bautista  dans  l'Etat  de  Tabasco.  Une  petite  garnison 
mexicaine  de  deux  cents  hommes,  sous  les  ordres  du  com- 
mandant Arevalo,  s'y  maintenait  difificilement.  La  canon- 
nière la  Tourmente  était  venue  s'embosser  près  de  la  ville,  et, 
pendant  plus  d'un  mois,  ce  bâtiment  resta  exposé  au  feu  de 
deux  pièces  de  24  ;  il  était  presque  entièrement  désemparé, 
avait  perdu  quatre  hommes  tués  et  dix-neuf  blessés.  Le 


LE   GÉNÉRAL  BAZAIKE.  375 

général  en  chef  autorisa  l'amiral  à  faire  cesser  cette  lutte 
inutile  et  disproportionnée.  Les  cours  d'eau,  qui  sillonnent 
ce  pays  permettaient  k  l'ennemi  de  se  mouvoir  rapide- 
ment dans  tous  les  sens  à  l'aide  de  ses  embarcations  ;  on  ne 
pouvait  donc  espérer  aucun  résultat  de  pacification  dans 
une  province  si  éloignée  du  centre  et  dont  la  population 
se  montrait  si  peu  disposée  en  faveur  de  l'empire.  San 
Juan  Bautista  fut  abandonné  le  27  février;  l'ennemi  ne 
gêna  pas  le  mouvement  d'évacuation.   L'embouchure  du 
Rio  Tabasco  fut  bloquée,  mais  les  bouches  des  autres  bras 
du   fleuve   étant  praticables  aux   grandes  embarcations, 
l'ennemi  conserva  des  communications  faciles  avec  la  mer. 
L'abandon  de  Minatitlan  et  de  San  Juan  Bautista  pou- 
vait nuire  au  prestige  de  l'influence  française  et  aux  pro- 
grès des  idées  interventionnistes  ;  l'effet  défavorable,  pro- 
duit sur  les  populations  de  la  côte,  fut  en  partie  contre- 
balancé par  les  avantages  récemment  obtenus  auYucatan. 
Un  parti  assez  nombreux,  à  la  tête  duquel  était  le  général 
Navarrete,  s'était  déclaré  en  faveur  de  l'empire.  La  lutte 
politique  se  compliquait  d'ailleurs  de  rivalités  locales  et 
les  gens  deMérida,  ennemis  de  ceux  de  Campêche,  étaient 
entrés  en  campagne  pour  réduire  celte  ville  qui  soutenait 
l'autorité  de  Juarez.  L'appui  des  navires  de  l'escadre  leur 
assurait  le  succès  ;  en  effet  Campêche  s'étant  rendu  le  22 
janvier  au  commandant  du  Magellan  (^),  tout  le  Yucatan 
reconnut  l'empire ,  mais  Navarrete  fut  impuissant  à  retenir 
plus  longtemps  ses  soldats  sous  les  armes,  et  l'on  ne  put, 
comme  on  l'avait  espéré,  les  utiliser  dans  le  Tabasco. 
Ainsi,  lorsque  l'empereur  Maximilien  arriva,  le  drapeau 

(1)  Le  commandant  du  Marjellaii  enleva  comme  trophées  une  vingtaine  de  pièces 
d'artillerie,  la  plupart  d'origine  française,  portant  le  railltsimede  1?40. 


4864, 


376  11^  PAUnE.  CHAPITRE    l". 

1864.  impérial  flottait  sur  toute  la  côte  du  Yucalan,  à  Carmen, 
Alvarado,  Vera-Gruz,  ïuxpan,  et  Tampico;  l'autorité  de 
Juarez  était  encore  reconnue  dans  les  autres  ports  du  golfe 
du  Mexique. 

Occupation  iSur  Ics  côtcs  de  l'océan  Pacifique,  le  général  Lozada, 
(3jniQ%64).  rallié  à  l'Empire,  occupait  San  Blas,  et  dans  les  premiers 
jours  de  juin,  un  détachement  français  fut  débarqué  à 
Acapulco.  Ce  port  n'était  pas  le  plus  important  au  point 
de  vue  du  rendement  des  douanes,  mais  c'était  un  refuge 
nécessaire  pour  les  bâtiments  de  la  croisière  et  le  point 
de  relâche  des  paquebots  américains  par  lesquels  l'es- 
cadre se  procurait  des  ravitaillements. 

L'amiral  Bouët,  commandant  l'escadre  du  Pacifique, 
avait  demandé  au  général  en  chef  d'y  placer  une  garnison 
permanente.  Déjà,  au  mois  de  janvier  1863,  il  avait  essayé 
d'entrer  en  pourparlers  avec  le  gouverneur  de  la  ville,  lui 
proposant  d'établir  entre  eux  des  rapports  de  neutralité 
réciproque.  Le  gouverneur,  tout  en  déclinant  cette  propo- 
sition, avait  cependant  répondu  qu'il  laisserait  les  navires 
entrer  pour  prendre  de  l'eau  ;  mais  l'escadre,  composée  de 
la  Pallas,  frégate  à  vapeur,  la  Galathée,  corvette  à  voiles, 
la  Cornélie,  corvette  à  voiles,  le  Diamant,  aviso,  fut  reçue 
à  coups  de  canon  lorsqu'elle  se  présenta  (10  janvier 
1863).  Les  bâtiments  ripostèrent  aussitôt;  en  vingt  mi- 
nutes ils  firent  taire  les  batteries  ennemies.  Des  détache- 
ments jetés  à  terre  allèrent  enclouer  les  pièces,  et  l'escadre 
l'esta  trois  jours  sur  rade.  Peu  de  temps  après  le  blocus  fut 
mis  devant  Acapulco  et  Manzanillo  ;  toutefois  on  laissa  aux 
navires  de  guerre  des  puissances  neutres  et  aux  paque- 
bots américains  la  faculté  d'entrer  à  Acapulco,  seus  là 
condition  de  ne  prendre  et  de  ne  déposer  ni  passagers  ni 


LE    GÉiNÉRAL   BAZAIIVE.  377 

inarchandises  ;  à  quelque  temps  de  là,  les  navires  français         i86i. 
capturèrent  trois  petits  bâtiments  ennemis  qui  furent  armés 
par  nos  marins  et  concoururent  à  la  croisière. 

L'amiral  Bouët  ayant  obtenu  du  général  en  chef  l'envoi 
d'une  garnison  à  Acapulco,  le  bataillon  de  tirailleurs  algé- 
riens fut  destiné  à  cette  occupation  ;  on  le  croyait  plus  apte 
qu'aucune  autre  troupe  à  résister  à  l'insalubrité  d'un  cli- 
mat, moins  mauvais  que  celui  de  Vera-Cruz,  fort  dan- 
gereux cependant  à  cause  des  fièvres  pernicieuses  qui 
régnent  une  partie  de  l'année.  Ce  bataillon,  fort  de  trente 
officiers  et  464  hommes,  fut  embarqué  à  San  Blas  le  28  mai 
et  débarqué  sans  résistance  à  Acapulco,  le  3  et  le  4  juin  ; 
une  partie  avait  été  montée  sur  des  chevaux  du  pays, 
afin  de  former  une  sorte  d'infanterie  à  cheval,  pouvant  se 
transporter  rapidement  d'un  point  sur  un  autre,  mais  com- 
battant à  pied  et  conservant  l'armement  du  fantassin. 
Le  lendemain  du  débarquement,  les  tirailleurs  attaquèrent 
un  camp  de  huit  cents  Mexicains  à  Pueblo  Nuevo,  à  trois 
lieues  d'Acapulco,  lui  enlevèrent  quatre  canons,  et  tuèrent 
une  cinquantaine  d'hommes,  quatre  tirailleurs  furent  bles- 
sés; quelques  autres  sorties  heureuses  éloignèrent  les  forces 
mexicaines  restées  à  portée  de  la  place. 

Tel  était  donc  l'ensemble  de  la  situation  du  Mexique  à 
l'arrivée  de  l'Empereur.  Les  opérations  militaires  étaient 
loin  d'être  terminées  puisque  les  troupes  libérales  tenaient 
encore  au  nord  les  provinces  de  Tamaulipas,  de  Nuevo- 
Leon,  de  Coahuila,  de  Durango,  de  Ghihuahua,  de  Sinaloa, 
et  de  Sonora;  au  sud,  elles  occupaient  les  états  de  Mi- 
choacan,  d'Oajaca,  de  Tabasco,  et  de  Chiapas;  la  circula- 
tion commerciale,  seule  ressource  qui  alimentât  le  trésor 
public,  était  rétablie  seulement  entre  Vera-Gruz,  Guadala- 
jara,  San  Luis,  Zacatecas,  et  Morelia.  Les  revenus  des 


378  11^    PARTIE.  CHAPITRE  l". 

4864.  douanes  maritimes,  à  l'exception  de  celles  de  Vera-Cruz, 
étaient  complètement  nuls  ;  les  libéraux  tiraient  au  con- 
traire des  sommes  importantes  des  ports  entre  leurs 
mains.  Matamoros  leur  donnait  ^00,000  piastres  par  mois  ; 
les  revenus  de  Mazallan  étaient  également  fort  élevés.  11 
fallait  certainement  se  rendre  maîtres  de  ces  deux  points, 
mais  on  ne  pouvait  tout  demander  à  la  fois  à  une  armée 
d'un  effectif  restreint.  Cependant  les  actes  du  général 
Bazaine  étaient  déjà  l'objet  de  critiques  dont  l'écho  par- 
vint à  Paris.  L'empereur  Napoléon  ,  auquel  on  représenta 
l'urgence  de  s'emparer  de  Mazatlan ,  en  donna  Tordre 
formel.  Quelques-uns  des  conseillers  du  nouvel  empire 
allaient  même  jusqu'à  se  plaindre  de  l'inaction  du  corps 
expéditionnaire,  et  à  exciter  l'empereur  Maximilien  contre 
son  commandant  en  chef;  ce  fut  l'origine  de  difficultés 
qui  prirent  dans  la  suite  un  grand  développement. 

Loin  d'être  inactive,  on  verra  qu'avec  un  effectif  de 
moins  de  quarante  mille  hommes,  l'armée  française  mon- 
tra son  drapeau ,  du  nord  au  sud  du  Mexique,  sur  une 
étendue  de  plus  de  six  cents  lieues;  mais  le  premier  de- 
voir du  général ,  qui  disposait  d*un  instrument  aussi  pré- 
cieux, était  d'en  ménager  l'emploi,  et  non  de  le  faire  servir 
à  toutes  les  ambitions  comme  à  toutes  les  impatiences. 

Le  général  Bazaine  le  comprit  ;  il  fut  soucieux  de  la  santé 
et  de  la  vie  de  ses  soldats  ;  il  sut  éviter,  à  une  si  grande 
distance  de  la  mère-patrie,  tout  désastre  qui  eût  été  sans 
doute  irréparable.  Si  ceux  des  Mexicains,  qui  se  disaient 
impérialistes,  eussent  suivi  les  exemples  de  dévouement  et 
d'abnégation  donnés  par  les  troupes  françaises,  TEmpire 
mexicain  eût  été  fondé. 


CHAPITRE   DEUXIÈME 


SOMMAIRE. 

Manifeste  de  l'empereur  Maximilien  à  son  arrivée  au  Mexique  (29  mai  1864).  — 
Voyage  de  l'Empereur  dans  les  provinces  de  l'intérieur.  —  Situation  générale 
du  pays.  —  Le  nonce  du  pape.  —  Questions  religieuses.  —  Opérations  mili- 
taires. —  Expédition  dans  la  Huasteca.  —  Combat  de  la  Candelaria  (!'='■  août), 
—  Opérations  dans  le  nord.  —  Occupation  de  Durango  (4  juillet).  —  Occu- 
pation de  Saltillo  et  de  Monterey  (20  et  26  août).  —  Combat  du  Cerro  de  la 
Majoma  (21  septembre).  —  Opérations  de  l'escadre  à  l'embouchure  du  Rio 
Bravo  del  Norle.  —  Occupation  de  Matamoros  (26  septembre).  —  Opérations 
dans  l'Etat  de  Jalisco.  —  Occupation  de  Colima  (3  novembre),  —  Combat  de 
Jiquilpan  (22  novembre).  —  Evacuation  d'Acapulco  (14  décembre  1864). 

La  nouvelle  de  racceptation  officielle  de  la  couronne       Manifeste 

,,        ,  .  ,  .  1       ,  V..  •      V    njT      •  V  -1  ^'^  l'empereur 

par  1  archiduc  arriva,  le  lo  mai,  a  Mexico  ;  a  partir  de  ce      Maximiiien 

,  r>T  l'/iài  -1^  ^^n  arrivée  au 

lour  la  netçence  tut  dissoute  et  le  mènerai  Almonte  prit  les       Mexique. 

,  .  r      .  .    1     rT7  -1  (29  mai  1864.) 

renés  du  pouvoir  comme  lieutenant  de  1  Empereur  ;  il  ne 
les  conserva  que  peu  de  temps  puisque,  le  28  du  même 
mois,  la  frégate  la  Novara,  ayant  à  son  bord  les  nouveaux 
souverains,  entrait  dans  les  eaux  de  Vera-Gruz  O. 

O)  On  trouve,  dans  le  recueil  des  documents  diplomatiques  des  Etats-Unis,  la 
traduction  d'une  lettre  que  l'empereur  Maximilien  aurait  écrite  à  Juarez  pour  lui 
tlcmander  de  cesser  la  guerre  civile,  et  de  venir  loyalement  concourir  avec  lui 
au  bonheur  du  Mexique.  Bien  que  ces  sentiments  soient  en  concordance  avec  les 
illusions  généreuses  de  l'empereur  Maximilien  et  avec  les  idées  qu'il  exprimait 
volontiers,  l'authenticité  de  cette  lettre  nous  parait  discutable. 


380  if  PARTIE.  CHAPITRE    11. 

<864.  L'empereur  Maximilien,  en  mettant  le  pied  sur  la  terre 

du  Mexique,  adressa  le  manifeste  suivant  à  la  nation  : 

«  Mexicains, 

«  Vous  m'avez  désiré  I  Votre  noble  pays,  par  l'expression  spon- 
tanée des  vœux  de  ia  majorité,  m'a  élu  pour  veiller  dorénavant 
sur  ses  destinées. 

«  Quelque  pénible  qu'il  ait  été  pour  moi  de  dire  adieu  pour  tou- 
jours à  mon  pays  natal  et  aux  miens,  je  l'ai  fait,  persuadé  que  le 
Tout-Puissant  m'a  confié  par  votre  intermédiaire  la  noble  mission 
de  consacrer  toutes  mes  forces  et  toute  mon  âme  à  un  peuple  qui, 
fatigué  de  combats  et  de  luttes  désastreuses,  aspire  ardemment  à 
la  paix  et  au  repos,  à  un  peuple  qui,  après  avoir  assuré  glorieuse- 
ment son  indépendance,  veut  jouir  maintenant  des  bienfaits  de  la 
civilisation  et  du  véritable  progrès. 

c  Le  sentiment  de  confiance  réciproque,  qui  nous  anime,  sera 
couronné  d'un  brillant  résultat,  si  nous  restons  toujours  unis  pour 
défendre  courageusement  les  grands  principes,  seuls  fondements 
vrais  et  durables  des  sociétés  modernes.  La  justice  inviolable  et 
immuable,  l'égalité  devant  la  loi,  la  facilité  pour  tous  de  se  créer 
une  carrière  et  une  position  sociale,  la  liberté  individuelle  bien 
comprise  s'accordant  avec  la  protection  des  personnes  et  des  pro- 
priétés, le  développement  de  la  richesse  nationale,  l'amélioration 
de  l'agriculture,  des  mines,  et  de  l'industrie,  la  création  de  voies  de 
communications  propres  à  l'extension  du  commerce,  et  enfin  le 
libre  développement  de  l'intelligence  dans  tous  ce  qui  intéresse  le 
bien  public. 

«  Les  bénédictions  du  ciel,  le  progrès  et  la  liberté  ne  nous  man- 
queront pas,  si  tous  les  partis,  se  laissant  guider  par  un  gouverne- 
ment fort  et  loyal,  se  réunissent  pour  atteindre  le  but  que  je  viens 
d'indiquer,  et  si  nous  conservons  le  sentiment  religieux  qui  a  tou- 
jours distingué  notre  belle  patrie  jusque  dans  les  temps  les  plus 
malheureux. 

«  Le  drapeau  civilisateur  de  la  France  porte  si  haut  par  son 
noble  Empereur,  h  qui  vous  devez  le  retour  de  l'ordre  et  de  la  paix, 
représente  les  mêmes  principes.  C'est  ce  que  vous  disait,  il  y  a 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  381 

quelques  mois,  dans  un  langage  sincère  et  désintéressé  le  comraan-  18G4. 

dant  en  chef  de  ses  troupes,  lorsqu'il  vous  annonçait  une  nouvelle 

ère  de  prospérité. 

.  Tous  les  pays,  qui  ont  voulu  devenir  grands  et  puissants  entre 

les  nations,  ont  dû  suivre  cette  voie  ;  si  nous  sommes  unis,  loyaux 

et  fermes,  Dieu  nous  donnera  la  force  pour  atteindre  au  degré  de 

prospérité  que  nous  ambitionnons. 

.  Mexicains  1  L'avenir  de  notre  beau  pays  est  entre  vos  mains. 

Quant  à  moi,  je  vous  offre  une  volonté  sincère,  la  loyauté,  et  une 

ferme  intention  de  respecter  les  lois  et  de  les  faire  respecter  avec 
une  autorité  inviolable. 

«  Ma  force  est  dans  la  protection  de  Dieu  et  dans  votre  con- 
fiance; le  drapeau  de  l'indépendance  est  mon  symbole  ;  ma  devise, 
vous  la  connaissez  déjà  :  «  Equité  dans  la  justice.  .  J'y  serai  fidèle 
toute  ma  vie.  Il  est  de  mon  devoir  de  prendre  le  sceptre  avec  con- 
fiance et  l'épée  de  l'honneur  avec  fermeté.  A  l'Impératrice  appar- 
tient la  tâche  enviable  de  consacrer  au  pays  tous  les  nobles  senti- 
ments d'une  âme  chrétienne  et  toute  la  douceur  d'une  tendre  mère. 
«  Unissons-nous  pour  atteindre  le  but  commun  ;  oublions  les 
ombres  du  passé,  ensevelissons  les  haines  de  parti;  l'aurore  de  la 
paix  et  d'un  bonheur  mérité  se  lèvera  radieuse  sur  le  nouvel  em- 
pire. » 

Le  29  mai  au  matin,  l'Empereur  et  l'Impératrice  débar- 
quèrent à  Yera-Gruz.    Gomme    on  était  k  l'époque   du 
Vomito,  il  avait  été   décidé  qu'ils  traverseraient  la  ville 
sans  s'y  arrêter.  Cette  circonstance  et  l'heure  matinale 
du  débarquement  influèrent  d'une  manière  fâcheuse  sur 
l'accueil  qu'ils  reçurent  de  la  population  vera-cruzaine, 
fort  peu   sympathique  du   reste  à  l'empire.  Ils  en   fu- 
rent péniblement  impressionnés,  l'Impératrice  surtout  ;  la 
traversée   des  terres  chaudes,  le  mauvais  temps,   et  un 
accident  de  voiture  contribuèrent  à  attrister  le  début  du 
voyage  ;  mais  à  Gordova,  où  ils  arrivèrent  au  milieu  de  la 
nuit,  l'Empereur  et  l'Impératrice  furent  chaleureusement 


382  II"  PARTIE. CHAPITRE    II. 

<86i.  acclamés  par  les  Indiens  accourus  en  grand  nombre  des 
campagnes  voisines  ;  dans  leur  crédulité  naïve,  ces  pauvres 
gens  saluaient  en  eux  l'avènement  d'une  ère  nouvelle,  et 
l'accomplissement  des  antiques  traditions  qui  promettaient 
à  leur  race,  affranchie  par  un  libérateur  venu  de  l'orient, 
l'éclat  et  la  splendeur  des  temps  passés.  Ces  ovations  se 
continuèrent  sur  toute  la  route  jusqu'à  Mexico.  La  veille 
du  jour  fixé  pour  leur  entrée  solennelle  dans  la  capitale, 
l'Empereur  et  l'Impératrice  s^ arrêtèrent  à  Guadalupe;  la 
plus  grande  partie  de  la  société  de  Mexico  se  porta  au  de- 
vant d'eux.  Des  députations  étaient  arrivées  des  provinces 
de  l'intérieur;  les  arcs  de  triomphe,  les  vivats,  les  accla- 
mations, les  démonstrations  les  plus  enthousiastes  ne  man- 
quèrent pas  sur  le  passage  du  cortège  impérial  ;  l'allé- 
gresse paraissait  générale,  et,  si  l'on  n'avait  su  que  de 
semblables  manifestations  accueillent  généralement  tous 
les  nouveaux  pouvoirs,  on  eût  pu  croire  que  l'empire  ré- 
pondait en  effet  aux  vœux  sincères  du  peuple.  L'Empereur 
et  l'Impératrice  se  montrèrent  d'une  aménité  parfaite  avec 
les  ofticiers  français  ;  ils  témoignèrent  une  grande  consi- 
dération au  commandant  en  chef,  et  l'Empereur  lui  laissa 
la  libre  direction  des  opérations  mihtaires. 

Le  général  Bazaine  fut,  peu  de  temps  après,  élevé  à  la 
dignité  de  maréchal  (*).  «  Mes  relations  avec  Sa  Majesté, 
écrivait-il  au  ministre,  sont  des  plus  faciles,  car  Elle  a 
bien  voulu  me  laisser  entièrement  la  direction  militaire; 
je  n'en  abuserai  certes  pas  et,  quand  je  prends  une  déter- 
mination d'une  certaine  gravité,  j'en  donne  toujours  con- 
naissance à  l'Empereur  (-).  » 

(1)  Décret  impérial  du  5  septembre  1864. 

(2)  Le  général  liuzaino  au  minisire  de  la  guerre,  28  juin  1864.  —  Voir  à 
l'appendice  la  répartition  des  troupes  au  mois  df  juin  1864. 


LE    GÉNÉRAL    BAZAIKE,  383 

Les  premiers  jours,  les  choses  marchèrent  aussi  bien  -1864. 
que  possible,  mais  lorsqu'il  fallut  s'occuper  sérieusement 
des  affaires ,  les  difficultés  surgirent  de  toutes  parts.  La 
détresse  financière,  les  animosités  de  parti,  les  désordres 
administratifs,  la  stagnation  commerciale  rendaient  la  si- 
tuation fort  critique.  Ce  n'était  pas  seulement  un  trône  qu'il 
s'agissait  de  consolider,  c'était  une  nation  entière  qu'il  fal- 
lait rappeler  à  la  vie.  Toute  la  puissance  d'un  homme  de 
génie  eût  à  peine  suffi  à  pareille  entreprise. 

L'empereur  Maximilien  était  heureusement  doué  ;  bon, 
affable,  intelligent,  instruit,  exerçant  un  grand  charm.e  sur 
tous  ceux  qui  l'approchaient,  il  manquait  cependant  de  la 
décision  et  de  la  force  de  volonté  nécessaires  pour  triom- 
pher d'une  situation  aussi  difficile  ;  le  soin  d'organiser  son 
palais,  de  régler  l'étiquette  de  sa  cour,  de  distribuer  les 
hautes  charges  domestiques  ou  gouvernementales  aux  fa- 
miliers qui  l'avaient  accompagné  au  Mexique,  paraît  avoir 
absorbé  une  précieuse  partie  de  son  temps.  L'Impératrice, 
femme  d'une  inteUigence  élevée,  d'une  grande  vigueur 
morale,  et  d'un  caractère  énergique,  s'associa  aux  travaux 
de  l'Empereur  ;  mais  comment  pouvait-elle  suppléer  par 
son  activité  à  l'expérience  politique  qui  faisait  naturelle- 
ment défaut  à  une  princesse  de  vingt-quatre  ans? 

Avec  les  souverains,  étaient  arrivés  d'Europe,  deux 
hommes  dont  l'influence  fut  considérable  au  début  du 
règne.  L'un  d'eux,  M.  Scherzenlechner,  hongrois  d'ori- 
gine, avait  été  gouverneur  de  l'Empereur  dans  sa  jeu- 
nesse ;  l'autre,  M.  Eloin,  ingénieur  belge,  s'était  attaché 
à  la  fortune  de  l'impératrice  Charlotte.  Installés  au  ca- 
binet de  l'Empereur  avec  le  titre  de  conseillers  intimes, 
ils  se  partagèrent  toutes  les  questions.  Piien  ne  se  fit 
sans  leur  intermédiaire;  leur  ignorance  des  hommes  et 


384  II"   PARTIE.  — ^  CHAPITRE    II. 

-1864.  des  choses  du  pays,  l'impossibilité  de  suffire  à  la  mul- 
tiplicité des  travaux,  l'insuffisance  de  leurs  connaissances 
en  matière  politique  et  administrative,  les  entraves  qu'ils 
apportaient  à  la  prompte  expédition  des  affaires  par  un 
examen  minutieux  et  parfois  incompétent,  eurent  les  plus 
fâcheux  résultats.  Les  ministres  supportèrent  difficile- 
ment l'ingérence  de  ces  deux  étrangers  dans  les  affaires 
du  pays,  et  le  maréchal  Bazaine,  lui-même,  eut  bientôt 
à  se  plaindre  des  critiques  dont  ses  opérations  militaires 
étaient  l'objet.  D'un  autre  côté ,  l'Empereur ,  obéissant 
à  des  tendances  libérales  qu'il  n'était  pas  opportun  de 
manifester,  éloigna  la  plupart  des  hommes  choisis  par 
la  Régence ,  et  nomma  le  général  Almonte  grand  maré- 
chal du  palais,  pour  le  reléguer  dans  une  haute  sinécure 
honorifique  qui  ne  lui  laissait  plus  aucune  influence.  Il 
constitua  son  ministère  en  y  appelant  des  hommes  connus 
pour  leur  libéralisme  ;  il  donna  le  portefeuille  des  affaires 
étrangères  à  M.  Ramirez,  républicain  ardent,  remarqué  par 
son  antipathie  pour  l'intervention,  et  qui  n'avait  pas  voulu 
siéger  à  l'assemblée  des 'Notables;  cette  politique  aliéna 
la  plupart  des  hommes  du  parti  clérical  conservateur  sans 
rallier  sincèrement  aucun  de  ceux  du  parti  opposé. 
Voyage  Dcs  tiraillements  ne  lardèrent  pas  à  se  produire  ;  sollicité 

de  l'Empereur      ,  ,  i  /   •   •  i  ,•  •    i-    • 

dans  de  prendre  une  décision  sur  les  graves  questions  qui  divi- 
l'intérieur.  ^  saicut  Ic  pays,  et  dout  la  plus  sérieuse  était  toujours  celle 
des  biens  ecclésiastiques,  l'Empereur  n'osa  pas  trancher  les 
difficultés  qu'elles  soulevaient,  et  voulut  gagner  du  temps 
pour  attendre  l'arrivée  d'un  nonce  apostolique.  Afin  de 
se  soustraire  aux  obsessions  dont  il  était  l'objet,  et  s'as- 
surer personnellement  des  dispositions  du  pays,  il  laissa 
la  régence  à  l'Impératrice  et  quitta  Mexico  pour  voya- 
ger dans  l'intérieur.  Accompagné  de  quelques  officiers 


LE    GÉNÉRAL    BAZALNE.  383 

français  mis  à  sa  disposition  par  le  général  Bazaine  et  d'une         4864. 
escorte  de  cavalerie  franco-mexicaine,  sous  les  ordres  du 
commandant  Loysel,  chef  d'escadron  d'état-major,  il  se  mit 
en  route  le  10  août. 

Le  15  août,  jour  de  la  fête  de  l'empereur  Napoléon,  il 
présida  un  banquet  qu'il  offrit  à  San  Juan  del  Rio  aux 
troupes  françaises  ;  il  s'arrêta  quelques  jours  à  Queretaro, 
et  se  rendit,  le  16  septembre,  à  Dolores  Hidalgo,  où  la  fête 
de  l'Indépendance  mexicaine  fut  célébrée  au  lieu  mêm.e 
d'où  le  curé  Hidalgo  avait  jeté  le  premier  cri  de  liberté. 
L'Empereur  saisit  cette  occasion  de  rendre  publiquement 
hommage  à  l'appui  prêté  au  Mexique  par  la  France  (^). 

Il  visita  Guanajuato,  Léon,  La  Piedad,  Moreha,  Toluca, 
et  ne  revint  à  Mexico  que  le  30  octobre,  après  une  excur- 
sion de  près  de  trois  mois  ,'que  les  pluies  continuelles  et  le 
mauvais  état  des  routes  avaient  plus  d'une  fois  rendue 
extrêmement  pénible.  Aucune  réception  officielle  ne  devait 
avoir  lieu  à  Mexico,  mais  la  population  fit  spontanément  à 
l'Empereur  une  ovation  plus  enthousiaste  encore  qu'à  son 
arrivée  ('■^).  Partout,  sur  sa  route,  il  avait  été  accueilli  avec 
les  mêmes  démonstrations  et  de  nombreuses  protestations 
de  dévouement  ;  aucun  souverain  héréditaire,  visitant  ses 
États,  ne  trouva  de  réceptions  plus  chaleureuses  que  celles 
qui  lui  furent  faites  à  Guanajuato,  à  Léon,  à  Morelia  sur- 
tout, dont  la  population  s'était  cependant  montrée  si  hos- 


(1) La  idea  de  la  independencia  habia  nacido  ya  ;  pero  desgraciada- 

mente  aun  no  la  de  la  union  ;  peleaban  hermano  contra  hermano.  las  pasiones  y 
odios  de  partido  amenazahan  minar  a  lo  que  los  heroes  de  nuestra  hermosa  palria 
habian  creado.  La  tricolor,  ese  magnifico  simbolo  de  nuestras  victorias,  se  habia 
casi  dejado  invadir  por  un  solo  color,  el  de  !a  sangre.  Entonces  llego  al  pais  dpl 
apartado  oriente  y  tambien  bajo  el  siinjoolo  de  una  gloriosa  tricolor  el  magnanimo 
auxilio;  una  aguila  mostro  à  Jaotra  el  camino  de  la  moderacion  y  de  la  ley,   .   .   . 

'')  Le  man'-chal  au  ministre,  9  novembre. 

or. 


386  H*   PARTIE.  CHAPITRE    II. 

4864.  tile  à  l'intG^vention  française  au  mois  d'octobre  précédent. 
L'établissement  de  la  monarchie  semblait  répondre  aux 
véritables  désirs  du  peuple.  On  ne  saurait  en  effet  nier 
la  spontanéité  des  manifestations  qui  se  produisirent  sur 
le  passage  de  l'Empereur;  mais  la  masse  indienne  rai- 
sonnait peu  ses  acclamations,  et  comme,  d'autre  part,  les 
ennemis  de  l'empire  s'éloignaient  ou  se  taisaient,  il  était 
possible  de  se  faire  illusion  sur  les  sentiments  du  pays. 
Cette  fièvre  d'enthousiasme  une  fois  apaisée,  les  passions  se 
réveillèrent  ;  aucune  plaie  n'était  cicatrisée,  aucun  esprit 
mieux  disposé  aux  concessions  ;  la  popularité  du  souverain 
allait  être  compromise  le  jour  où  il  lui  faudrait  porter  la 
main  sur  les  abus  et  entreprendre  les  réformes. 

L'Empereur  reçut  avec  bienveillance  les  hommes  de  tous 
les  partis  ;  il  s'efforça  de  leur  faire  accepter  une  sorte  de 
trêve  ;  cependant  il  témoignait  une  préférence  marquée  à 
ceux  qui  lui  étaient  signalés  pour  leurs  idées  libérales  (^)  ; 
presque  partout  il  changea  les  fonctionnaires  nommés  par 
la  'Régence  et  les  remplaça  par  d'autres  d'opinions  plus 
avancées  ;  c'était  agir  avec  une  grande  précipitation.  Ces 
mesures,  froissant  les  intérêts  et  la  susceptibilité  d'hommes 
souvent  très-dévoués  aux  institutions  monarchiques,  les 
désaffectionnèrent  et  les  découragèrent  profondément; 
malgré  ces  modifications  de  personnel,  aucune  impulsion 
vigoureuse  ne  fut  donnée  aux  rouages  administratifs.  Les 
nouveaux  élus  restèrent  dans  les  errements  traditionnels 
de  leurs  prédécesseurs  et  nulle  amélioration  ne  fut  réa- 
lisée dans  les  mœurs  politiques  du  pays.  L'Empereur  visi- 


(')  11  rerut  avec  distinction  le  général  Uraga  qui,  depuis  quelques  jours,  venait 
de  déposer  les  armes,  et  prit  son  fils  comme  officier  d'ordonnance.  11  vit  aussi  le 
général  Vidaurri,  lancicn  gouverneur  de  Nuevo-Leon.  Tuus  deux  onirérent  au 
Conseil  d'iitat. 


LE    GÊNÉE AL    BAZAINE.  387 

lait  les  églises,  les  écoles,  les  prisons,  accordait  des  grâces,  4864. 
passait  une  grande  partie  du  jour  à  examiner  les  sollicita- 
tions des  uns  et  des  autres,  et  se  perdait  dans  les  détails 
alors  qu'aucune  loi  constitutionnelle  n'était  encore  préparée 
pour  le  pays,  que  le  clergé  presque  menaçant  revendiquait 
ses  privilèges,  et  que  le  canon  des  troupes  juaristes  se  faisait 
entendre  de  nouveau  à  quelques  journées  seulement  de  la 
route  qu'il  suivait.  Cédant  toujours  à  cette  prévention  qui  le 
porlait  à  éloigner  de  lui  les  hommes  de  l'ancien  parti  inter- 
ventionniste, l'Empereur  ne  voulait  pas  voir  le  général 
Marquez  dont  la  division,  alors  réunie  dans  le  Michoa- 
can,  était  en  marche  vers  Golima;  il  essaya  de  l'éviter; 
mais  le  général  Marquez  tenait  à  honneur  de  lui  présenter 
ses  troupes  alors  très-convenablement  organisées,  et  qui 
pouvaient  devenir  un  excellent  noyau  pour  une  armée 
nationale.  Il  se  trouva  sur  le  passage  du  cortège  impérial  ; 
TEmpereur,  forcé  de  le  recevoir,  l'accueillit  froidement, 
ne  s'arrêta  que  quelques  instants,  et  ne  daigna  pas  seu- 
lement passer  devant  le  front  de  cette  petite  division 
mexicaine  qui,  la  première,  avait  combattu  sous  la  ban- 
nière de  l'empire.  A  cette  époque,  au  contraire,  il  en  déci- 
dait le  licenciement,  et  commettait  la  faute  de  n'entou- 
rer son  trône  que  de  baïonnettes  étrangères.  Le  général 
Marquez  était  si  compromis,  par  l'énergie  souvent  cruelle 
dont  il  avait  fait  preuve,  que,  sans  doute,  il  eût  été  diiïicile 
de  lui  conserver  une  haute  position  dans  l'armée  ou  dans 
le  gouvernement  impérial  ;  sa  présence  pouvait  être  un 
obstacle  à  la  fusion  des  anciens  partis  ;  mais  il  n'était 
pas  encore  question  de  cette  réconciliation,  et  il  y  avait 
ingratitude  de  la  part  de  l'empereur  Maximilien  à  mécon- 
naître les  services  rendus  par  ce  général  à  la  cause  de 
l'empire. 


388  II®  PARTIE.  CHAPITRE    II. 

Pendant  son  voyage,  l'Empereur  avait  pu  se  convaincre 
du  déplorable  état  dans  lequel  se  trouvaient  toutes  les 
branches  de  l'administration,  du  désordre  des  finances,  de 
l'ignorance  du  clergé,  de  son  insouciance  des  choses  reli- 
gieuses, de  sa  préoccupation  des  intérêts  matériels  (*). 

Il  se  préoccupa  vivement  du  sort  de  la  race  indienne 
maintenue  presque  partout  dans  un  état  voisin  du  servageC^). 
Attaché  à  la  culture  des  grandes  haciendas,  le  travailleur 
ou  peon  ne  peut  en  quitter  le  territoire  sans  s'être  acquitté 
vis-à-vis  de  l'hacendero,  non-seulement  de  ses  dettes  per- 
sonnelles, mais  encore  de  celles  de  son  père  que  l'iniquité 
des  anciennes  lois  coloniales  fait  passer  sur  sa  tète.  Son  sa- 
laire est  si  modique  qu'il  ne  peut  jamais  se  libérer  ;  au  con- 
traire, sa  dette  s'accroît  sans  cesse,  parce  que,  pour  resserrer 
les  liens  qui  l'attachent  à  la  glèbe,  son  maître  se  charge  de 
lui  procurer  de  l'eau-de-vie,  des  vêtements,  les  menus  ob- 
jets de  ménage  dont  il  a  besoin,  et  lui  ouvre  volontiers  un 
crédit  dans  la  tienda  (magasin  de  détail)  de  l'hacienda.  La 
douceur  ordinaire  des  Indiens,  l'intelligence  qu'ils  dénotent 
souvent,  leur  reconnaissance  pour  les  égards  qu'on  leur 
témoigne,  intéressèrent  l'Empereur,  comme  elles  avaient 
déjà  intéressé  les  chefs  de  l'expédition  française.  Ces  pauvres 
gens,  habitués  à  être  maltraités  et  pressurés  par  tous  les  par- 
tis, se  montraient  parfois  étonnés  des  ménagements  dont  les 
Français  usaient  envers  eux  ;  ils  n'étaient  pas  éloignés  de  les 


(')  A  son  passage  à  Queretaro ,  il  s"était  (Uonné  de  ne  pas  y  voir  l'évèque  du 
diocèse,  et  Tavait  fait  immédiatement  mander  de  Mexico,  où  il  se  trouvait;  mais 
ce  prélat  répondit  que  «  le  soin  de  sa  famille  »  ne  lui  permettait  pas  de  quitter  la 
capitale  ;  or,  à  quelques  lieues  seulement  de  Queretaro,  des  villages  entiers  d'In- 
diens n'étaient  pas  baptisés  ;  l'empereur  ayant  formé  le  projet  de  s'y  rendre  et 
de  servir  lui-môme  de  parrain  à  ces  malheureux,  les  curés  se  hâtèrent  de  les  bap- 
tiser en  masse. 

tî)  Voir  à  l'appendice  la  note  sur  la  i'oloiiis;ition. 


LE    GÉiNÉRAL   BAZAINE.  389 

considérer  comme  des  libérateurs  ;  aussi,  flans  plus  d'un  en-  -1864. 
droit,  entourèrent-ils  l'Empereur  des  témoignages  non  équi- 
voques de  leur  dévouement,  et  ne  cachèrent-ils  pas  les  espé- 
rances que  leur  faisait  concevoir  l'établissement  d'un  nouvel 
ordre  de  choses.  En  profitant  des  aspirations  de  cette  nom- 
breuse population,  en  l'émancipant  graduellement,  l'Em- 
pereur espérait  trouver  en  elle  les  plus  fermes  soutiens  de 
son  trône. 

A  son  retour  à  Mexico,  il  fit  publier,  par  le  Journal  officiel, 
une  lettre  qu'il  écrivit  à  M.  Velasquez  de  Léon,  et  dans  la- 
quelle étaient  résumées  les  impressions  rapportées  de  son 
voyage.  Convaincu,  disait-il,  de  l'adhésion  à  l" empire  de  l'im- 
mense majorité  du  pays,  fort  du  devoir  qui  lui  était  imposé 
de  ramener  la  paix  et  la  tranquillité,  il  ne  pouvait  plus  consi- 
dérer comme  des  belligérants  les  bandes  armées  qui  bat- 
taient la  campagne  ;  elles  devaient  donc  être  traitées  comme 
des  rassemblements  de  malfaiteurs  auxquels  étaient  appli- 
cables toutes  les  rigueurs  des  lois.  Il  rétablit  la  juridiction  des 
cours  martiales  (^)  qu'il  avait  d'abord  cru  pouvoir  adoucir; 
mais  le  général  Bazaine,  ne  voulant  pas  laisser  retomber, 
sur  l'armée  française  seule,  la  responsabilité  des  exécutions 
sommaires,  insista  pour  que  ces  tribunaux  exceptionnels 
fussent  autant  que  possible  composés  d'officiers  mexicains. 
Les  colonnes  mobiles  pouvaient  suffire  d'ailleurs  à  purger 
le  pays  des  bandes  de  voleurs,  et  à  réduire  ce  qui  restait 
des  forces  juaristes  dans  les  provinces  du  centre.  Les  diffi- 
cultés réelles  de  la  situation  résidaient  dans  les  questions 
de  finance  et  dans  les  questions  religieuses;  c'était  là  sur- 
tout qu'on  devait  apporter  un  remède  énergique. 

Depuis  l'arrivée  de  l'Empereur  au  Mexique,  le  général 

^'•)  Le  maréchal  au  minisire,  9  novembre,  10  décembre  1864. 


390  II*  PARTIE.  CHAPITRE    II. 

1864.  en  chef  avait  prescrit  aux  commandants  militaires  français 
de  nô  plus  s'immiscer  dans  les  affaires  administratives, 
mais  cependant  de  se  tenir  au  courant  de  ce  qui  se  passait 
dans  l'étendue  de  leur  commandement,  afm  de  pouvoir 
l'instruire  confidentiellement  des  mesures  qui  violeraient 
les  principes  de  l'intervention,  ou  compromettraient  l'in- 
fluence française  ;  d'un  autre  côté,  les  caisses  publiques  se 
trouvant,  dans  la  plupart  des  localités,  hors  d'état  de  sub- 
venir aux  besoins  des  services,  il  avait  autorisé  les  com- 
mandants supérieurs  à  adresser,  aux  payeurs  de  l'armée, 
des  réquisitions  à  titre  d'avances  remboursables  à  Mexico. 
Cette  mesure  permit  aux  autorités  impériales  de  fonctionner; 
une  pareille  situation  ne  pouvait  se  prolonger  longtemps  ; 
il  était  de  toute  nécessité  que  le  gouvernement  central  arri- 
vât à  fournir  à  ses  agents  les  moyens  d'action  dont  ils 
avaient  besoin  et  qu'il  leur  inspirât  l'énergie  indispensable  à 
Taccomplissement  de  leurs  devoirs.  L'Empereur  comprenait 
le  mal  ;  mais,  impuissant  à  le  guérir,  il  se  bornait  à  indiquer, 
dans  des  circulaires,  les  principes  de  bonne  administration 
qu'il  désirait  voir  appliquer.  Il  instituait  des  commissaires 
impériaux  chargés  de  parcourir  les  provinces  pour  les  ins- 
pecter, redresser  les  abus,  et  faire  droit  aux  réclamations (*). 
Chaque  jour  paraissait  au  Journal  officiel  quelque  décret 
nouveau;  il  ne  suffisait  pas  de  décréter,  il  fallait  agir;  et 
ni  l'Empereur,  ni  les  ministres  ne  montrant  de  résolution, 
les  travaux  du  cabinet  restaient  forcément  stériles.  Un  con- 
seil d'Etat  fut  créé  ;  l'Empereur,  toujours  désireux  de  conci- 
lier les  partis,  y  fit  entrer  des  hommes  d'opinions  diverses; 
rintention  était  bonne,  cependant  il  eût  mieux  valu  com- 
mencer par  asseoir  l'autorité  impériale  sur  des  bases  solides 

0)  Le  maréchal  au  uiiiiistrc,  27  novembre. 


LE    GÉNÉUAL    BAZAINE.  391 

et  ramener  les  uns  et  les  autres  dans  l'obéissance,  avant  de         4864. 
tenter  une  réconciliation  chimérique. 

Il  existait  alors  au  Mexique  trois  partis  bien  tranchés  :    .  situation 

^  •■    _  générale  du  pays. 

Le  parti  libéral  et  républicain  repoussait  d'une  façon  abso- 
lue l'idée  monarchique,  bien  que  les  principes  procla- 
més par  l'empereur  Maximilien  fussent  susceptibles  de  don- 
ner une  am.ple  satisfaction  à  ses  désirs  de  réforme;  cette 
opposition  ne  pouvait  être  réduite  que  par  la  force.  Le 
parti  réactionnaire  et  clérical  regardait  l'empire  comme  son 
œuvre  personnelle,  et  prétendait  en  conséquence  à  la  répa- 
ration des  dommages  subis  sous  le  régime  antérieur  et  au 
rétablissement  de  ses  privilèges  perdus.  La  politique  conci- 
liatrice de  l'Empereur  et  les  intentions  libérales  du  nouveau 
gouvernement  ne  répondaient  en  rien  à  ses  espérances 
et  à  ses  illusions  ;  depuis  longtemps  déjà,  il  ne  dissimu- 
lait plus  son  hostilité  contre  l'influence  française;  le  mo- 
ment n'était  pas  éloigné  où  il  ferait  preuve  des  mêmes  dis- 
positions à  l'égard  de  l'empire.  Enfin,  un  troisième  parti 
tendait  à  se  former  sous  le  nom  de  parti  national  pur. 
Il  réunissait  des  hommes  honorables,  modérés  dans  leurs 
idées,  portés  jusqu'à  un  certain  point  à  soutenir  les  insti- 
tutions impériales,  mais  impatients  de  la  tutelle  d'une  ar- 
mée étrangère  et  hostiles  à  toute  intervention  du  dehors. 
C'était  sur  eux  que  l'Empereur  pensait  pouvoir  le  mieux 
compter  ;  il  leur  donna  la  majorité  dans  ses  conseils,  et 
bientôt  alors  se  manifesta,  dans  les  divers  degrés  de  la  hié- 
rarchie, une  tendance  marquée  à  se  dégager  de  l'influence 
de  la  France,  tout  en  profitant  de  l'appui  indispensable  de 
son  trésor  et  de  son  armée.  On  eût  voulu  que  depuis  le 
commandant  d'un  simple  poste  militaire  jusqu'au  maréchal, 
les  officiers  français  ne  fussent  que  les  agents  du  gouverne- 
ment impérial,  une  sorte  de  gendarmerie  chargée  de  pour- 


392  II*  PARTIE.  —  CHAPITRE    11. 

^864.  voir  à  sa  sûreté  et  de  veiller  à  l'exécution  de  ses  ordres. 
L'armée  française  n'était  pas  disposée  à  accepter  un 
pareil  rôle  ;  elle  se  savait  le  soutien  indispensable  de 
l'empire  et  supportait  avec  quelque  impatience  les  allures 
singulières  de  certaines  autorités.  De  nombreux  froisse- 
ments se  produisirent  ;  des  plaintes  furent  portées  à  l'Em- 
pereur contre  plusieurs  mesures  prises  par  des  officiers 
français,  entre  autres  contre  des  amendes  ordonnées  par 
des  commandants  militaires.  Le  général  en  chef,  loin  de 
désavouer  ses  subordonnés,  les  couvrit  de  sa  propre  res- 
ponsabilité ;  il  se  plaignit  à  son  tour  de  l'attitude  malveil- 
lante et  taquine  des  fonctionnaires  mexicains,  et  demanda 
la  révocation  de  plusieurs  préfets  0).  Le  ministre  de  l'inté- 
rieur, lui-même,  en  vint  à  adresser  au  commandant  en  chef 
une  lettre  écrite  en  termes  mal  sonnants  et  signée  par  son 
secrétaire.  Le  maréchal  la  lui  renvoya  C^).  Il  est  facile  de 
comprendre  quelles  blessures  d'amour-propre  devaient  être 
la  conséquence  de  pareilles  relations  ;  forcés  de  céder  de- 
vant le  commandant  de  l'armée  entre  les  mains  duquel 
étaient  non-seulement  la  force  matérielle,  mais  encore  les 
ressources  financières ,  les  fonctionnaires  mexicains  s'en 
vengeaient  en  critiquant  ses  actes  auprès  de  l'Empereur, 
et  ils  provoquaient  ainsi  cette  mésintelhgence  qui  dura 
jusqu'à  la  fin  du  séjour  des  troupes  françaises  au  Mexique  ('). 
Cependant  l'empereur  Maximilien  se  voyait  obligé 
d'avoir  sans  cesse  recours  à  la  protection  de  ces  troupes,  et 

(')  Le  maréchal  à  l'impératrice  CliarloUe,  24  septembre  1864. 

O  Quelques  jours  auparavant,  le  ministre  de  l'intérieur  s'était  permis  de 
iiiàmer  oOiciellemcnt,  dans  une  circulaire,  les  mesures  ordonne'es  par  le  général 
Neigre  à  Guadalajara. 

(3)  Le  maréchal  Randun,  alors  ministre  do  la  guerre,  avait  depuis  longtemps 
prévu  ces  difTicultés  inévilahlcs  ;  aussi  ne  cessail-il  de  recommander  au  maréchal 
d'inspirer  à  ses  subordonnés  et  aux.   agents  civils  des  linances,  la  patience,  le 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  393 

d"appeler  auprès  de  lui  des  employés  français  pour  suppléer  '86^' 
au  mauvais  vouloir  ou  à  l'incapacité  des  Mexicains.  Confor- 
mément à  la  convention  de  Miramar,  les  services  financiers 
ayant  été  remis  entre  les  mains  de  fonctionnaires  mexi- 
cains, les  recettes  de  toute  nature  avaient  baissé  et  les 
caisses  s'étaient  promptement  vidées.  Désireux  de  rétablir 
l'rdre  dans  la  perception  et  l'Eemploi  des  deniers  publics, 
l'empereur  voulait  rendre  à  des  agents  français  la  di- 
rection et  le  contrôle  des  finances  mexicaines.  Il  pria 
l'empereur  Napoléon  de  lui  envoyer,  pour  réorganiser 
le  service,  un  fonctionnaire  d'un  ordre  élevé  (*)  ;  en 
attendant,  il  convint,  avec  le  maréchal  Bazaine,  que  des 
employés  français  seraient  immédiatement  placés  dans 
les  principaux  centres  de  perception,  afin  de  s'efforcer 
de  faire  rentrer,  dans  les  caisses  centrales,  les  ressources 
que  les  autorités  montraient  trop  de  tendance  à  conser- 
ver pour  les  affecter  à  des  besoins  locaux.  Le  maréchal 
hâta  le  départ  de  ces  employés,  mais  le  ministre  des 
finances  mexicaines  avait  intentionnellement  omis  de 
transmettre  des  instructions  à  ses  agents,  et  lorsque  les 
Français  arrivèrent,  ils  se  heurtèrent  contre  une  force 
d'inertie  dont  il  leur  fut  impossible  de  triompher.  Le  ma- 
réchal prévint  le  ministre  que  si  celte  hostilité  se  prolon- 
geait, et  si  l'on  se  refusait  plus  longtemps  à  entrer  dans 


dévouement ,  l'abnégation  qni  leur  étaient  nécessaires,  afin  de  consolider  le  gou- 
vernement dont  ils  avaient  la  tutelle.  Il  n'était  peut-être  pas  trop  à  regretter , 
pensait-il,  que  le  souverain  ,  tout  en  restant  fidèle  aux  principes  protégés  par 
l'armée  française,  cherchât  en  dehors  de  son  influence  des  points  d'appui  dans  le 
pays.  Les  intérêts  de  la  France  ne  s'en  trouveraient  que  plus  tôt  dégagés.  —  Le 
ministre  au  maréchal,  13  septembre,  30  octobre. 

(1)  Une  bonne  administration  pouvait  donner  des  ressources  importantes.  En 
eflfet,  dans  les  neuf  premiers  mois  de  Tannée  1864,  les  douanes  de  Vera-Cruz 
rapportèrent  2,440,262  piastres.  —  Le  maréchal  au  ministre,  27  septembre. 


394  Tl^  PARTIE.  CHAPITRE  II. 

la  voie  des  réformes,  il  cesserait  d'autoriser  les  avances  d'ar- 
gent que  le  trésor  mexicain  demandait  chaque  jour  aux 
caisses  de  l'armée  (^). 

Trop  facilement  disposé  à  céder  aux  influences  de  son 
entourage,  l'empereur  Maximilien  ne  montrait  pas  assez  de 
fermeté.  Loin  d'accepter  les  projets  financiers  élaborés  par 
la  mission  française,  il  reculait  devant  l'établissement  de 
nouveaux  impôts,  et  caressait  l'idée  d'arriver  à  d'impor- 
tantes économies  par  une  réorganisation  complète  du 
système  militaire  mexicain.  La  base  de  cette  combinaison 
était  le  licenciement  en  masse  de  presque  toutes  les  troupes 
mexicaines.  Il  n'est  pas  nécessaire  d'insister  pour  faire 
apprécier  l'inopportunité  de  cette  mesure  et  l'effet  déplo- 
rable qu'elle  devait  produire  dans  le  pays.  La  pacifi- 
cation n'était  pas  achevée  ;  Juarez  restait  encore  maître 
des  provinces  du  nord  ;  de  sérieux  rassemblements  de 
troupes  libérales  existaient  dans  les  Etats  de  Michoacan, 
de  Guerrero ,  et  d'Oajaca ,  et  c'est  dans  ces  conditions 
que  l'Empereur  voulait  dissoudre  les  quelques  bataillons 
mexicains  qui  représentaient  l'armée  impériale.  A  ces 
soldats  médiocres,  il  avait  le  projet  de  substituer  les 
troupes  françaises  et  les  contingents  de  volontaires  autri- 
chiens et  belles  dont  il  avait  arrêté  la  formation  avant 
son  départ  d'Europe  ;  mais  c'était  une  grande  faute  de 
ne  montrer  autour  du  trône  que  des  uniformes  étran- 
gers à  l'exclusion  de  l'uniforme  national  ;  de  plus,  tout 
le  poids  de  l'occupation  militaire  allait  retomber  ainsi 
sur  l'armée  française ,  et  le  maréchal  se  disait  fort  op- 
posé au  projet  de  l'Empereur  dont  les  conséquences  lui 
paraissaient  devoir  être  onéreuses  pour  la  France  C'^).  Il 

(*)  Le  maréchal  au  ministre  de  la  guerre,  27  nov.,  10  et  27  décembre  1864. 
(»)  Le  maréclial  au  ministre,  28  octobre  1864,  9  et  20  janvier  1865. 


LE    GÉNÉRAL   BAZAINE.  39S 

savait  que  l'armée  mexicaine  coûtait  très-cher,  que  les         '1864. 
chefs  de  corps  présentaient  souvent  des  effectifs  imagi- 
naires, qu'ils  gaspillaient  l'argent  ;  il  voulait  donc  qu'on 
cherchât  à  la  morahser,  qu'on  essayât  d'y  introduire  de 
nouveaux  éléments,  mais  il  voyait  un  danger  à  désorga- 
niser des  troupes  dont  les  services  étaient  utiles  et  qui  ne 
manqueraient  pas  de  passer  à  l'ennemi  le  lendemain  de 
leur  licenciement.  Cependant  l'Empereur  persista  dans  son 
intention  de  dissoudre  au  moins  tous  les  corps  auxihaires, 
resguardos,  contre-guérillas,    volontaires,   etc.,  répartis 
dans  les  provinces  ;  il  ordonna  de  licencier  ces  forces 
le  l'^^'"  février  1865,  et  de  les  remplacer  par  des  gardes 
rurales  stables  ou  mobiles,  dont  l'importance  serait  déter- 
minée dans   chaque  district   par  une   junte    locale.  La 
solde  et  l'entretien  de  ces  troupes  devant  être  à  la  charge 
des  habitants,  ceux-ci,  pour  diminuer  l'impôt  qui  en  était 
la  conséquence,  furent  naturellement  portés  à  restreindre 
l'effectif  des  nouveaux  corps  ;  les  gardes  rurales  ne  s'orga- 
nisèrent pas  ou  s'organisèrent  mal,  elles  furent  insuffi- 
santes pour  assurer  la  sécurité  des  routes,  et  beaucoup 
d'officiers  et  de  soldats  congédiés,  se  trouvant  sans  solde 
et  sans  emploi,  entrèrent  dans  les  guérillas  ennemies.  Les 
commandants    militaires   français    ayant  signalé  partout 
les  inconvénients   de  celte  mesure,  le  maréchal   obtint 
qu'elle  fût  ajournée,  mais  déjà  le  mauvais  effet  était  produit 
et  le  mécontentement  général   dans  l'armée   mexicaine. 
Ainsi,  dans  les  affaires  militaires  comme  dans  les  affaires 
administratives ,   le  gouvernement  de   l'empereur  Maxi- 
milien  n'avait  pu  réaliser  aucune  amélioration. 

Il  n'arriva  pas  à  un  meilleur  résultat  pour  le  règlement  des 
questions  religieuses.  Le  clergé  persistait  dans  son  attitude 


396  u"  PARTIE.  CHAPITRE    II. 

4864.  d'opposition  ;  il  refusait  les  sacrements  aux  détenteurs  de 
biens  ecclésiastiques,  et  il  trouvait  parfois,  parmi  les  auto- 
rités et  près  des  tribunaux,  de  complaisants  auxiliaires 
pour  ses  revendications.  APuebla,  il  avait  su  tirer  parti  du 
décret  du  général  Forey  relatif  à  la  restitution  des  pro- 
priétés appartenant  aux  établissements  de  bienfaisance  ; 
en  faisant  classer  dans  cette  catégorie  la  presque  totalité  de 
ses  biens,  il  parvenait  à  rentrer  peu  à  peu  dans  ses  an- 
ciennes richesses  (^). 

L'Empereur,  à  son  passage  à  Rome,  avait  obtenu  du  Pape 
la  promesse  d'être  soutenu  dans  le  règlement  des  difficultés 
religieuses ,  mais  il  avait  négligé  de  déterminer  les  bases 
principales  du  concordat  à  intervenir  ;  maintenant ,  il 
attendait  l'arrivée  d'un  nonce  apostolique,  et  n'osait  tou- 
cher, sans  l'assentiment  du  Sainl-Siége,  aux  prérogatives 
de  l'Eglise.  Le  nombre  des  mécontents  ne  fit  que  s'accroître  ; 
on  se  plaignit  tout  haut  de  la  lenteur  et  des  demi-mesures 
du  gouvernement.  Les  journaux  de  Juarez  tournaient 
l'Empereur  en  ridicule  ;  ils  plaisantaient  ses  irrésolutions 
et  le  peu  de  portée  des  décisions  gouvernementales  qui, 
la  plupart  du  temps,  n'avaient  pour  objet  que  des  questions 
d'ordre  secondaire  C^). 


il)  Le  maréchal  au  minisire,  28  juillet,  27  septembre,  28  octobre,  9  no- 
vembre. 

(»)  «  Le  temps  se  passe  et  le  manifeste  ne  paraît  pas;  l'aventurier  qui  se  voit 
assailli  par  les  importuns,  s'occupe  d'examiner  les  enfants  des  écoles,  de  visiter 
les  hôpitaux  pour  en  étudier  les  misères  et  les  lamentations,  puis  il  rentre  chez 
lui  lire  les  œuvres  du  baron  de  Humboldt. ..  Parler  d'une  goutte  de  sang  l^orripilc 

Maximilien et  c'est  caché  sous  la  crinoline  do  la  gentille  Charlotte  qu'il  veut 

sauver  Tempirc,  tandis  que  d'autres  le  lui  conquièrent.  —  Avec  son  ministre 
Velasquez  de  Léon  et  la  gentille  Ciiarlolle,  qu'on  nous  représente  comme  un 
Lycurgue  féminin,  il  ne  reste  pas  même  a.  Maximilien  la  fatigue  de  noircir  une 
plume.  »  (Pcriodico  officiai  del  gobierno  conslitucioiial  de  Ix  republica  mexicana, 
n"  41.  Montercy,  le  14  août  1864.) 


LE    GÉMÉRAL    BAZAINE.  397 

Enfin  le  nonce  apostolique,  i\P'  Meglia,  débarqua  le  29        ^8C4. 
novembre  à  Vera-Gruz.  Il  fut  reçu  par  l'empereur  le  10  Le  nonce  du  Pape. 

1  '  1  •  T^  •  "  r         1-      1  ■  Questions 

décembre  suivant.  Dès  son  arrivée,  M^'  Meglia  montra  religieuses. 
son  peu  de  sympathie  pour  l'influence  française.  Il  ne  ve- 
nait pas,  disait-il,  autoriser  un  compromis  qui  amenât  la 
conciliation  des  intérêts  opposés,  mais  au  contraire  faire 
restituer  au  clergé  tous  les  biens  dont  il  avait  été  injuste- 
ment dépouillé  ('). 

La  situation,  que  l'empereur  Maximilien  voulait  régula- 
riser de  concert  avec  le  Saint-Siège,  était  fort  complexe. 
Elle  avait  pris  naissance,  sous  la  présidence  de  Comon- 
fort,  dans  un  décret  du  25  juin  1856,  par  suite  duquel 
une  partie  des  propriétés  ecclésiastiques  fut  régulière- 
ment aliénée,  tout  en  sauvegardant,  dans  une  certaine 
mesure,  les  droits  du  clergé.  Après  la  chute  de  Gomon- 
fort,  un  décret  du  28  janvier  1858,  rendu  par  Miramon, 
considéra  comme  nulles  et  non  avenues  toutes  les  aliéna- 
tions faites  sous  l'empire  du  décret  précédent.  Mais  à 
la  même  époque,  Juarez,  résumant  en  lui  les  pouvoirs 
constitutionnels,  établissait  son  gouvernement  à  Vera-Gruz; 
par  un  troisième  décret  de  1859,  il  déclarait  tous  les 
biens  du  clergé,  propriété  nationale  et  en  prescrivait  la 
vente  au  profit  du  trésor.  Lorsque  Juarez  fut  installé  à 
Mexico,  des  lois  dites  de  réforme,  promulguées  au  mois  de 
décembre  1860,  confirmèrent  le  décret  de  1859  dans  toute 
son  extension.  De  ce  conflit  de  lois,  de  décrets,  de  règle- 
ments émanés  de  pouvoirs  rivaux,  étaient  résultées  de  nom- 
breuses complications.  D'une  part,  il  y  avait  eu  des  ventes 
régulières  et  des  droits  légitimement  acquis;  d'autre  part  il  • 

i')   Le  raaP'clial  au  ininistro.  9  et  10  décembre. 


398  II*  PARTIE.  CHAPITRE  II. 

4864.  existait  incontestablement  des  contrats  frauduleux.  Telles 
étaient,  en  résumé,  les  difficultés  que  l'Empereur  pensait 
pouvoir  résoudre  avec  le  concours  du  nonce,  en  recon- 
naissant, dans  les  limites  de  la  justice,  les  conséquences  des 
faits  accomplis,  et  en  tenant  compte  de  l'impossibilité  dans 
laquelle  on  était  de  reconstituer  des  biens  dont  un  certain 
nombre  avaient  déjà  changé  de  nature,  ou  étaient  passés 
entre  plusieurs  mains.  Il  demandait  donc  que  l'Eglise 
mexicaine  consentît  à  céder  les  propriétés  que  les  gou- 
,  vernements  antérieurs  avaient  vendus  comme  biens  natio- 
naux; de  son  côté,  l'Etat  pourvoirait  aux  frais  du  culte 
et  à  l'entretien  de  ses  ministres.  A  cette  proposition,  et 
malgré  les  pressantes  instances  de  l'Impératrice  même, 
le  nonce  se  contenta  de  répondre  que  ses  instructions 
ne  lui  permettaient  nullement  d'accepter  de  pareilles 
bases  et  qu'il  devait  en  référer  à  la  cour  de  Rome.  «  Sa 
mission  avait  pour  but,  dit-il  dans  une  lettre  au  ministre 
Escudero,  de  voir  révoquer  et  abolir  en  même  temps  que 
les  lois,  dites  de  réforme,  toutes  celles  contraires  aux  droits 
sacrés  de  l'Eglise.  L'épiscopat  et  le  clergé,  d'accord  avec  la 
partie  la  plus  saine  de  la  nation,  abhorraient  l'idée  d'une 
indemnisation  payée  par  le  trésor  et  préféreraient  vivre  de 
la  charité  des  fidèles.  Le  Saint-Siège  avait  pu  d'autant 
moins  donner  des  instructions  sur  les  bases  proposées, 
qu'il  ne  pouvait  supposer  que  le  gouvernement  impérial 
consommerait  l'œuvre  commencée  par  Juarez  (0.  » 

Les  instructions  du  Souverain  Pontife,  résumées  dans  une 
lettre  du  18  octobre  1864,  que  le  nonce  apportait  à  l'Empe- 
reur, prescrivaient  d'obtenir  l'abrogation  des  lois  de  ré- 
forme, l'établissement  de  la  religion  catholique  à  l'exclusion 

<i)  LeUre  du  25  décembre  1864. 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  399 

de  tout  autre  culte,  le  rétablissement  des  ordres  religieux,         1804. 
la  restitution  du  patrimoine  ecclésiastique,  la  surveillance  ~ 

du  clergé  sur  l'instruction  publique.  L'Empereur  répondit 
à  cette  déclaration  en  faisant  publier  au  journal  officiel  la 
lettre  suivante  qu'il  adressa  au  ministre  de  la  justice  : 

Mexico,  27  décembre  1864. 

«  Afin  d'aplanir  les  difficultés  qui  ont  été  soulevées  au  sujet  des 
lois  dites  de  réforme,  nous  nous  proposions  d'adopter  avant  tout 
des  mesures  à  la  fois  satisfaisant  les  justes  exigences  du  pays,  ré- 
tablissant la  paix  dans  les  esprits  et  la  tranquillité  dans  les  cons- 
ciences de  tous  les  habitants  de  l'empire. 

a  Dans  ce  but,  nous  sommes  allé  à  Piome  pour  ouvrir  des 
négociations  avec  le  Saint-Père ,  comme  chef  universel  de  l'Eglise 
cathoHque. 

«  En  ce  moment  le  Nonce  apostolique  est  à  Mexico  ;  mais,  à 
notre  extrême  surprise,  il  a  manifesté  qu'il  manquait  d'instructions 
et  qu'il  avait  à  les  attendre  de  Rome. 

«  La  situation  violente,  qu'avec  de  grands  efforts  nous  avons  pro- 
longée pendant  plus  de  sept  mois,  n'admet  plus  de  délai  et  de- 
mande une  prompte  solution;  pour  cela  même  nous  vous  chargeons 
de  nous  proposer  au  plus  tôt  des  moyens  efficaces,  pour  que  la  jus. 
tice  soit  administrée  sans  égard  à  la  qualité  des  personnes;  pour 
que  les  intérêts  légitimes  créés  par  les  lois  de  réforme  soient  assu- 
rés, en  réparant  les  excès  et  injustices  commis  sous  le  voile  même 
de  Id  justice,  enfin  pour  subvenir  au  maintien  du  culte  et  à  la  pro- 
tection des  choses  sacrées  placées  sous  la  sauvegarde  de  la  religion, 
et  faire  que  les  sacrements  soient  administrés  et  les  fonctions 
du  ministère  sacerdotal  soient  exercées ,  dans  tout  l'empire,  sans 
rétribution,  ni  charge  aucune  pour  les  populations. 

f  A  cet  effet,  vous  nous  proposerez  avant  tout  une  révision  des 
opérations  d'amortissement  et  de  nationalisation  des  biens  ecclé- 
siastiques, basée  sur  là  sanction  de  celles  légitimement  faites, 
exécutées  sans  fraude  et  aux  termes  des  lois  qui  ont  décrété  l'a- 
mortissement et  la  nationalisation  desdits  biens. 

«  Agissez,  enfin,  conformément  au  principe  d'ample  et  franche 


400  if  PARTIE.  —  CHAPITRE  II. 

>I864.         tolérance,  sans  perdre  de  vue  que  la  religion  de  l'Etat  est  la  reli- 
~  ,        gion  catholique,  apostolique  et  romaine,  s 


Le  Nonce  prolesta  par  une  noie  conçue  en  termes  si 
irrespectueux,  que  le  ministre  des  affaires  étrangères  lui 
répondit  qu'il  n'avait  pas  jugé  convenable  d'en  donner 
communication  à  l'Empereur;  c'était  le  seul  moyen  de 
sauvegarder  la  dignité  du  souverain,  tout  en  évitant  une 
rupture  éclatante. 

Quelques  jours  après,  un  décret  impérial  ayant  remis  en 
vigueur  les  lois  relatives  à  Vexequatur  des  bulles  émanant 
de  la  cour  de  Rome,  le  Nonce  protesta  de  nouveau  en  re- 
vendiquant la  souveraineté  et  l'indépendance  de  l'Eglise,  et 
le  droit  suprême  de  juridiction  du  Pape  en  matière  de 
dogme,  de  morale,  et  de  discipline,  droit  auquel  nul  ide  ses 
sujets,  fût-il  empereur  ou  roi,  »  ne  pouvait  porter  atteinte 
en  empêchant  la  promulgation  de  ses  décrets.  La  société 
moderne,  même  au  Mexique,  ne  sait  plus  entendre  un  pa- 
reil langage  ;  aussi  M.  Ramirez,  ministre  des  affaires  étran- 
gères, répondit-il  fièrement:  «  Maximilien,  citoyen  et 
membre  de  la  communion  chrétienne,  s'incline  avec  res- 
pect et  soumission  devant  l'autorité  spirituelle  du  père 
commun  des  fidèles  ;  mais  Maximilien,  empereur  et  repré- 
sentant la  souveraineté  mexicaine,  ne  reconnaît  pas  sur  la 
terre  de  pouvoir  supérieur  au  sien  »  (*). 

Ce  fut  le  dernier  échange  de  communications  officielles 
entre  le  gouvernement  mexicain  et  le  Nonce  qui  demanda 
ses  passe-ports,  et  quitta  Mexico  à  la  fin  d'avril  1863.  L'Em- 
pereur le  fit  accompagner  avec  les  plus  grands  égards 
jusqu'à  Vera-Cruz,  où  il  s'embarqua  le  2  juin.  De  son  côté, 

(')  M.  Ramirez  à  M»''  Mcglia.  29  janvier  1863. 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  401 

l'empereur  Maximilien  envoya  une  mission  extraordinaire 
à  Rome,  afin  d'essayer  encore  d'obtenir  l'entente  indis- 
pensable pour  ramener  le  calme  dans  les  esprits. 

Les  conflits,  qui  s'étaient  élevés  entre  le  Nonce  du  Saint- 
Siège  et  le  gouvernement,  avaient  en  effet  singulièrement 
empiré  la  situation  et  surexcité  le  parti  clérical.  Des  menées 
secrètes,  aboutissant  à  une  sorte  de  vaste  complot,  furent  dé- 
couvertes par  la  police.  Dans  des  réunions  tenues  à  Puebla, 
la  ville  cléricale  par  excellence,  on  discutait  les  moyens  do 
combattre  efficacement  le  gouvernement  impérial  et  de  sou- 
lever les  populations  contre  l'armée  française.  En  prévision 
des  difficultés  que  pourrait  causer  l'opposition  du  clergé, 
le  maréchal  avait  déjà  conseillé  à  l'Empereur  d'éloigner  du 
Mexique  les  hommes  qui  pouvaient  servir  d'instrument  ou 
d'appui  à  cette  faction.  Le  général  Miramon,  qui  jusqu'a- 
lors n'avait  été  que  gênant,  mais  dont  l'attitude  paraissait 
devenir  hostile,  fut  envoyé  en  Europe  avec  la  mission,  assez 
peu  déguisée,  d'étudier  le  système  militaire  de  la  Prusse. 
Le  général  Marquez,  qui  était  en  expédition  du  côté  de 
Colima,  fut  rappelé  à  Mexico  et,  peu  de  temps  après,  partit 
également,  sous  le  prétexte  de  négocier  avec  le  Sultan  cer- 
taines acquisitions  dans  la  Terre-Sainte  (^).  Comme  on  le 
voit,  on  ne  s'était  pas  beaucoup  préoccupé  de  trouver  une 
raison  plausible  à  l'éloignement  de  ces  deux  personnages. 

Le  maréchal  s'absentait  en  ce  moment  de  Mexico  pour 
prendre  la  direction  d'une  expédition  contre  Oajaca  ;  il  re- 
commanda au  général  L'Hériller,  entre  les  mains  duquel  il 
laissa  le  commandement,  de  montrer  la  plus  grande  éner- 
gie et,  après  avoir  pris  toutefois  l'agrément  de  l'Empereur, 
de  ne  pas  hésiter  à  faire  enlever  les  individus  suspects.  Le 

(•)  Le  lientenant-colonel  Boyer,  chef  du  cabinet  du  man^-lial,  au  général 
Ribourt,  elicf  du  cahinot  du  ministre,   11  nfiviHiiljre. 

26 


186^ 


402  11*  PARTIE.  CHAPITRE    11. 

1864.        général  Taboada  fut  arrêté,  puis  exilé  en  Europe  ;  le  géné- 
ral Vicario,  fort  compromis  également,  échappa  par  la 
fuite  aux  rigueurs  dont  il  était  menacé  ;  ses  troupes  res- 
tèrent d'ailleurs  fidèles  sous  les  ordres  du  colonel  Ortiz  de 
la  Peîia.  Une  de  ces  alliances  hybrides,  fréquentes  aux 
époques   de  crises  politiques,  s'était  conclue  entre  des 
hommes  qui,  placés  par  leurs  idées,  leurs  intérêts,  et  leurs 
passions,  à  des  pôles  opposés,  étaient  hier  encore  ennemis 
acharnés,  mais  s'entendaient  maintenant  sur  ce  point  com- 
mun :  le  désir  de  renverser  un  gouvernement  dont  les  al- 
lures modérées  ne  convenaient  aux  exagérations,  ni  des 
uns,  ni  des  autres.  Dans  leurs  proclamations,  les  libéraux 
républicains  déversèrent  l'outrage  sur  les  personnes  du 
parti  libéral  modéré  qui,  admettant  l'intervention  française 
comme  moyen,  appuyaient  l'empire  parce  qu'ils  y  trou- 
vaient la  solution  la  plus  favorable  aux  intérêts  du  pays. 
Ils  tendaient  au  contraire  la  main  aux  cléricaux,  en  exaltant 
le  mérite  des  hommes  influents  de  ce  parti  qui  avaient  des 
griefs  personnels  contre  le  gouvernement  impérial  ;  puis, 
ils  cherchèrent  à  surexciter  l'amour-propre  national  en 
montrant  l'Empereur  entouré  de  soldats  étrangers,  tandis 
que  les  troupes  mexicaines  étaient  licenciées.  «  S'il  est  vrai 
qu'ils  protègent  le  parti  conservateur,  pourquoi  ne  for- 
ment-ils pas  une  armée  mexicaine  ?  Pourquoi  poursuivent- 
ils  et  exilent-ils  nos  bons  généraux,  tels  que  Miramon, 
Vêlez,  Sanchez,  Facio,  et  une  foule  d'autres  qui  ont  tou- 
jours été  considérés  comme  les  plus  forts  soutiens  du  parti 
conservateur  ?  Pourquoi,  en  leur  donnant  des  missions  spé- 
ciales à  l'étranger,  a-t-on  exilé  les  hommes  les  plus  capables 
et  les  plus  influents  du  Mexique  ?  Et  enfin,  pourquoi  Maxi- 
milion,  empereur  d'une  poignée  de  traîtres,  s'il  est  appuyé 
parla  volonté  nationale,  ne  fait-il  pas  retirer  l'armée  fran- 


LE    GÉNÉRAL   BAZAINE.  403 

çaise  et  n'adopte-t-il  pas  une  nouvelle  constitution  pour         m^ 
moraliser  le  pays?  Au  contraire,  il  a  désarmé  quelques 
compagnies  mexicaines  qu'il  avait  formées  W » 

Les  succès  militaires  des  premiers  mois  de  l'année  1865 
ne  permirent  pas  à  ces  menées  de  se  développer  d'une  ma- 
nière inquiétante;  quelques  chefs  de  troupes  auxiliaires 
firent  seuls  défection,  et  la  main  vigoureuse  du  comman- 
dement empêcha  le  mal  de  se  propager.  L'archevêque  de 
Mexico  voulut  retourner  en  Europe;  mais  l'Empereur  s'y 
opposa,  et  tout  en  conservant  une  certaine  déférence  vis-à- 
vis  du  clergé,  il  ne  se  départit  pas  de  la  fermeté  qu'il 
entendait  montrer. 

Le  26  février,  l'Empereur  décréta  la  liberté  des  cultes 
et  la  révision  de  toutes  les  transactions  relatives  aux  an- 
ciennes propriétés  ecclésiastiques,  afin  de  confirmer  celles 
qui  avaient  eu  lieu  de  bonne  foi  et  concilier,  autant  que 
possible,  les  divers  intérêts  engagés.  Malheureusement,  les 
dispositions  de  ce  décret,  dont  l'esprit  était  très-juste  et 
très-libéral,  devaient  être  entravées  par  des  lenteurs  inter- 
minables.  Les   propriétaires   loyaux  des   anciens  biens 
ecclésiastiques,  en  faveur  desquels  il  avait  été  rendu,  le 
trouvèrent  même  préjudiciable  à  leurs  intérêts  (^).  Il  était 
impossible  de  satisfaire  personne,  si  l'on  voulait  recher- 
cher patiemment  la  vérité  dans  le  dédale  de  ces  affaires, 
ne  pas  tolérer  les  abus,  éviter  de  ressusciter  des  privi- 
lèges aboHs.  D'autre  part,  les  évêques,  appuyés  par  la 
cour  de  Rome,  étaient  outrés  des  procédés  du  gouverne- 
ment impérial.  Sous  le  gouvernement  de  Juarez,  ils  avaient 
été  spoliés ,  la  religion  avait  été  outragée,  les  ministres 
maltraités,  mais  c'était  là  une  situation  bien  définie  dans 

(»)  Proclamation  de  Félix  Diaz,  janvier  1865. 
(2)  Le  maréchal  au  ministre,  27  février. 


404  if   PARTIE.  —  CHAPITRE  II. 

4864.  laquelle  la  justice  était  de  leur  côté,  la  violence  et  l'injus- 
tice du  côté  de  Juarez,  en  résumé,  une  crise  révolution- 
naire, après  laquelle  tous  les  droits  méconnus  ne  manque- 
raient pas  d'être  restaurés  ;  voici  au  contraire  que  le 
pouvoir  réparateur,  à  l'établissement  duquel  ils  avaient 
travaillé  avec  tant  d'ardeur,  dont  les  premières  assises 
avaient  été  posées  par  leurs  soins,  et  qui  se  proclamait  le 
protecteur  de  la  religion,  ne  restaurait  rien,  et,  loin  de 
restituer  à  l'Eglise  ses  richesses  perdues,  lui  en  demandait 
le  sacrifice  volontaire,  afin  de  ratifier,  à  tout  jamais,  les 
conséquences  des  lois  de  réforme  rendues  par  Juarez.  Ce 
résultat  était  inattendu  pour  l'épiscopat  mexicain  ;  sourd 
aux  leçons  du  passé,  il  ne  voulut  faire  aucune  concession 
et,  au  lieu  d'aider  à  la  consolidation  du  trône ,  il  unit 
aveuglément  ses  efforts  à  ceux  des  libéraux  républicains 
qui  voulaient  le  précipiter  dans  l'abîme.  Ce  que  désirait 
obtenir  l'empereur  Maximilien  était-il  donc  une  innovation 
dont  l'histoire  de  l'Eglise  ne  présentait  aucun  exemple  ? 
Voulait-il,  lui  le  premier,  porter  atteinte  à  un  principe  in- 
violable et  jusqu'alors  universellement  respecté  par  la 
société  catholique?  Au  sortir  de  la  tourmente  de  93,  lorsque 
Bonaparte  releva  la  religion  de  ses  ruines,  il  eut  à  régler 
avec  le  Saint-Siège  des  difficultés  tout  aussi  importantes  ; 
mais  il  réussit  dans  son  entreprise  parce  que  son  pouvoir 
était  fort,  et  qu'il  imposait  des  volontés  plutôt  qu'il  ne 
demandait  des  services.  Cependant,  la  France  rentra  dans 
le  giron  de  l'Eglise,  et  son  clergé,  purifié  parles  épreuves, 
fut  digne  d'être  donné  comme  exemple  au  clergé  du  monde 
entier.  Telle  n'était  pas  la  position  de  l'empereur  Maximi- 
lien. Sans  armée,  sans  finances,  presque  sans  partisans, 
le  nonce  du  Souverain  Pontife  prend  à  son  égard  une  atti- 
tude presque  hautaine,  et  lui  refuse  tout  concours  pour  la 


LE    GÉiNÉHAL    BAZAINE.  403 

réforme  de  l'Eglise  mexicaine.  Une  lettre  de  l'impératrice 
Charlotte,  datée  du  mois  de  janvier  1865,  fait  voir  quels 
soucis  environnaient  alors  le  trône. 

«  Je  ne  sais  si  vous  êtes  au  fait  que  le  Saint-Père,  qui  a  le  carac- 
tère enjoué,  dit  souvent  de  lui-même  qu'il  est  jettaiore.  Eh  bien  ! 
c'est  positif  que  depuis  que  son  envoyé  a  mis  le  pied  sur  notre  sol, 
nons  n'avons  eu  que  des  déboires,  et  nous  en  attendons  un  nombre 
qui  ne  sera  pas  moindre  dans  un  avenir  prochain. 

€  L'énergie  et  la  persévérance  ne  nous  manquent,  je  crois,  pas; 
mais  je  me  demande  si  les  difficultés  de  toute  espèce  continuant  de 
la  sorte,  il  y  aura  possibilité  d'en  sortir.  En  effet,  voici  l'état  des 
choses  actuel.  Le  clergé,  blessé  à  mort  par  la  lettre  du  27  dé- 
cembre, n'est  pas  facile  à  dompter;  tous  les  vieux  abus  se  coalisent 
pour  éluder  les  dispositions  de  l'Empereur  vis-à-vis  de  lui.  Il  y  a 
là-dedans,  non  peut-être  du  fanatisme,  mais  une  telle  ténacité 
sourde  et  manœuvrière,  que  je  crois  impossible  que  les  membres, 
qui  composent  aujourd'hui  le  clergé,  puissent  jamais  en  former  un 
nouveau.  Ce  qu'on  fera  d'eux,  voilà  la  question.  Lorsque  Napo- 
léon P""  obtint  du  Pape  la  démission  des  évêques  émigrés,  ils  vivaient 
à  l'étranger,  et  comme  c'étaient  de  saints  personnages,  ils  se  rési- 
gnèrent. Ceux-ci,  nous  les  avons  ici,  ils  quitteraient  volontiers  leurs 
sièges,  mais  pas  leurs  revenus.  Un  traitement  de  l'Etat  ne  leur 
rapporterait  jamais  autant,  et  leur  idéal  est  de  vivre  en  Europe  avec 
cet  argent,  pendant  que  nous  bataillons  ici  pour  fixer  la  position 
de  l'Eglise. 

€  Les  biens  vendus  vont  être  revisés,  seconde  pomme  de  dis- 
corde ,  car  par  la  reconnaissance  des  lois  de  réforme,  nous  nous 
sommes  mis  les  conservateurs  sur  les  bras.  Aujourd'hui,  nous  al- 
lons avoir  à  dos  les  libéraux  et  les  adjudicataires.  Comme  il  ne 
saurait  y  avoir  qu'un  poids  et  une  mesure  pour  tous,  ceux  qui  se 
sont  livrés  à  des  opérations  illicites  vont  devoir  restituer  leurs 
gains,  et  je  crains  que  cette  œuvre  de  réparation  et  de  justice  n'ex- 
cite autant  de  passions  que  la  perte  dos  biens  pour  le  clergé.  » 

C'était  malheureusement  trop  vrai  et  très-exactement 
prévu. 


4864. 


406  II®  PARTIE.  CHAPITRE  II. 

^864.  Cependant,  l'armée  française,  restant  étrangère  à  ces  agi- 

Opéra'.ions      tatîons  politiques,  avait  poursuivi  sa  tâche.  Une  des  plus 

militaires.  ,  .  /   i     i     /     •         i  •      i 

Expédition  dans  grandes  preoccupations  du  maréchal  était,  depuis  long- 
temps, le  rétablissement  des  communications  commerciales 
entre  Tampico  et  San  Luis.  Pour  obtenir  ce  résultat,  déjà 
préparé  par  le  combat  de  San  Antonio  (18  avril  1864),  il 
fallait  amener  la  soumission  des  chefs  de  la  Huasteca  dont 
les  contingents,  en  donnant  la  main  aux  guérillas  du  Ta- 
maulipas,  étaient  maîtres  du  pays  qui  sépare  ces  deux 
villes.  Le  maréchal  prescrivit  au  général  Mejia  d'envoyer 
une  garnison  à  Tula  de  Tamaulipas,  afin  de  se  mettre  en 
relations  avec  la  contre-guérilla  qui  occupait  Tampico  , 
et  il  prépara  une  opération  militaire  dans  la  Huasteca. 
Les  conditions  topographiques  particulières  de  cette  pro- 
vince, dont  les  montagnes  et  les  forêts  sont  des  plus  favo- 
rables à  une  guerre  de  partisans,  rendaient  cette  opération 
fort  difficile.  L'expédition  projetée  avait  pour  objectif  Hue- 
jutla,  à  soixante-dix  lieues  environ  au  nord  de  Mexico  et 
l'une  des  bourgades  les  plus  importantes  de  la  Huasteca. 
C'était  le  quartier  général  d'Ugalde  et  de  Campfner,  les 
chefs  les  plus  influents  de  la  province. 

Le  colonel  Dupin  entra  le  premier  en  campagne  (7  juin)  ; 
à  la  tète  de  550  hommes,  il  se  dirigea  vers  Tancasnequi, 
point  où  cesse  la  navigation  du  Piio  Tamesi,  à  trente-cinq 
lieues  de  Tampico.  En  face  de  Tancasnequi,  à  Tantoyu- 
quita,  sur  la  rive  opposée  du  fleuve,  se  trouvaient  les  entre- 
pôts des  marchandises  que  le  commerce  de  Tampico  expé- 
diait vers  l'intérieur,  et  un  bureau  de  douane  qui  percevait 
pour  les  libéraux  un  énorme  droit  de  trente  p.  0/0  ad  va- 
lorem. 

Au  moment  où  la  contre-guérilla  arrivait  à  Tancasnequi, 
un  convoi  considérable  venait  d'en  partir  dans  la  direction 


LE    GÉNÉRAL   BAZALNE.  407 

de  Vittoria.  La  cavalerie,  lancée  à  sa  poursuite,  en  atteignit         i^*- 
plusieurs  fractions  et  ramena,  quelques  jours  après,  un 
certain  nombre  de  voitures,  les  unes  chargées  de  munitions, 
les  autres  contenant  du  vin  et  des  liqueurs  que  le  colonel 
Dupin  considéra  comme  de  bonne  prise  (*). 

A  la  même  époque,  le  général  Olvera,  avec  quatre  mille 
hommes  de  la  division  Mejia,  se  portait  de  San  Luis  Po- 
tosi  à  Tula.  Le  colonel  Dupin  lui  demanda  un  bataillon 
pour  garder  les  entrepôts  de  Tantoyuquita,  et  continua  sa 
marche  vers  Tancanhuitz  ;  mais  les  populations  se  soule- 
vèrent à  l'instigation  des  chefs  libéraux  ;  les  pueblos  d'Ozu- 
luoma,  de  Panuco,  de  Tantima  se  prononcèrent  contre 
l'empire  ;  on  disait,  en  outre,  qu'Huejutla  était  défendu 
par  onze  cents  hommes,  et  le  concours  promis  par  les 
chefs  impérialistes  se  bornait  à  l'arrivée  de  deux  généraux, 
quatorze  officiers,  et  dix-huit  hommes.  Plutôt  que  de  con- 
tinuer sur  Huejutla  une  opération  qui  n'était  pas  sans 
dangers,  le  colonel  Dupin  revint  sur  ses  pas  et,  dérobant 
sa  marche,  il  fut  assez  heureux  pour  surprendre  successi- 
vement les  bandes  de  Noriega,  de  Mascareiîas  et  de  Ca- 
sado.  Il  les  détruisit  en  partie,  fit  pendre  tous  les  guérille- 
ros qui  tombèrent  entre  ses  mains,  parcourut  ensuite  les 
villages  insurgés,  et  les  fit  rentrer  dans  l'ordre. 

D'un  autre  côté,  le  colonel  Tourre  était  parti  de  Mexico, 
le  7  juillet,  avec  un  bataillon  du  B''  zouaves,  un  escadron 
du  5*^  hussards,  et  une  section  d'artillerie  de  montagne  ;  il 
suivit  la  route  de  Tulancingo  et  de  Zacualtipan.  Le  28  juil- 
let, il  quittait  ce  dernier  point  et  s'engageait  au  cœur  de  la 
Huasteca,  dans  une  région  déserte,  sans  aucune  ressource. 


(•)  Celte  prise  donna  lieu  à  de  vives  protestations  de  la  part  du  commerce  de 
Tampico  et  à  des  revendications  qui  n'étaient  pas  sans  fondement. 


408  II*   PARTIE.  CHAPITRE  II. 

1864.  et  dont  les  rares  habitants  s'enfuyaient  à  son  approche.  Il 
comptait  sur  la  coopération  de  la  contre-guérilla  ;  mais 
le  colonel  Dupin,  dont  le  tempérament  ne  s'accommodait 
guère  du  contact  des  troupes  régulières  et  de  la  subordina- 
tion qui  en  était  la  conséquence,  prétexta  une  dépèche  du 
maréchal  qui  lui  disait  de  se  disposer  à  prendre  part  à 
une  grande  opération  vers  le  nord,  et  il  revint  à  Tampico 
(31  juillet),  laissant  le  colonel  Tourre  livré  à  ses  propres 
forces. 

Combat  Les  avantages  du  mouvement  combiné  par  le  maréchal  se 

de  la  Candelaria    ,  ....  ,         tt      i  i  '  •    i.  j       • 

(1"  août -1864).  trouvaient  ainsi  perdus.  Ugalde,  rassure  au  sujet  des  inquié- 
tudes que  lui  causait  la  présence  de  la  contre-guérilla  sur 
ses  derrières,  prit  position  avec  huit  cents  hommes  au 
défilé  de  la  Candelaria,  dangereux  passage  qu'il  rendit  plus 
difficile  encore  en  y  faisant  élever  des  retranchements. 
Les  guérilleros,  embusqués  dans  des  broussailles  impéné- 
trables, reçurent  la  colonne  française  par  une  fusillade 
meurtrière.  Il  fallut  un  rude  combat  pour  forcer  le  défdé. 
La  chaleur  était  suffocante  ;  les  hussards ,  mettant  pied 
à  terre,  firent  le  coup  de  feu  à  côté  de  l'infanterie.  Pour 
gravir  les  pentes  et  en  déloger  l'ennemi,  les  zouaves  du- 
rent se  pratiquer  un  chemin  à  travers  les  lianes  avec  leurs 
sabres-baïonnettes  ;  enfin,  les  crêtes  furent  couronnées  et 
les  Mexicains  battirent  en  retraite.  Ce  vigoureux  effort 
coûta  la  vie  à  huit  hommes  asphyxiés;  un  officier  et  trois 
hommes  furent  tués,  et  trente-trois,  blessés  ;  la  chaleur 
rendait  toutes  les  blessures  fort  graves.  Le  lendemain,  le 
colonel  Tourre  entrait  à  Huejutla,  où  il  ne  restait  pas  un 
seul  habitant. 

Après  quelques  jours  d'un  repos  indispensable  à  la 
suite  des  fatigues  de  cette  pénible  marche  dans  les  mon- 
tagnes ,  sous  un  soleil  ardent,  il  rétrograda  vers  Mexico. 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  409 

En  plusieurs  endroits,  l'ennemi  essaya  encore  de  lui  barrer        i86i. 
la  route  ;  mais  chaque  fois,  la  colonne  s'ouvrit  rapidement 
un  passage. 

On  ne  retira  pas  le  moindre  résultat  de  ces  labeurs 
et  de  ces  souffrances;  cependant,  un  peu  plus  tard,  lassés 
de  cette  lutte  incessante  dont  le  profit  était  en  défini- 
tive à  peu  près  nul  pour  eux,  les  principaux  chefs  ennemis 
manifestèrent  des  tendances  de  soumission.  Dans  l'espoir 
de  hâter  leur  décision,  le  maréchal  fit  partir  de  nouveau, 
pour  la  Huasleca,  deux  compagnies  de  partisans  comman- 
dées par  le  capitaine  du  Bessol,  tandis  que,  d'après  l'ordre 
de  l'Empereur,  le  général  mexicain  Casanova  se  rendait 
à  Tampico  pour  entamer  les  pourparlers.  Le  capitaine  du 
Bessol,  tout  en  opérant  contre  les  guérillas,  accepta  les 
ouvertures  qui  lui  furent  faites.  On  convint  d'abord  d'une 
suspension  d'armes,  puis  d'un  armistice  pendant  lequel 
deux  des  principaux  chefs ,  Campfner  et  Andrade ,  et 
trente  de  leurs  officiers  se  rendirent  à  Mexico.  Entre 
autres  conditions,  ils  demandaient  le  paiement  d'une  cer- 
taine somme  d'argent  destinée,  disaient-ils,  à  couvrir  les 
engagements  personnels  qu'ils  avaient  pris  pour  soutenir 
la  guerre.  Cette  prétention  n'était  pas  exorbitante,  et  le 
maréchal  eût  voulu  la  voir  accueillir,  mais  les  conseil- 
lers de  l'Empereur  en  jugèrent  autrement  ;  aucune  réponse 
satisfaisante  ne  fut  donnée  aux  délégués  ;  l'affaire  fut 
traînée  en  longueur  et  l'agitation  dans  la  Huasteca  fut  ainsi 
perpétuée.  Le  maréchal  déclara  que  si  le  gouvernement  ne 
profitait  pas  de  l'occasion  qui  se  présentait,  il  se  refuse- 
rait à  envoyer  ses  troupes  s'user  dans  ce  pays. 

Cette  menace  ne  produisit  aucun  effet.  Les  premiers  dé- 
tachements de  volontaires  autrichiens  étaient  arrivés,  et 
l'empereur  Maximilien,  qui  projetait  de  s'en  réserver  l'eni- 


410  II'  PARTIE.  CHAPITRE    II. 

-1864.        pioi,  pensait  obtenir  par  la  force  une  pacification  que  les 
négociations  n'avaient  pas  amenée.  Du  reste,  il  suffisait  de 
masquer  les   débouchés  de  la  Huasteca,  pour  localiser 
l'insurrection  dont  cette  contrée  était  le  foyer. 
Opérations  II  importait  au  contraire  d'en  terminer  avec  le  gouver- 

nement de  Juarez,  de  détruire  son  armée ,  et  d'occuper 
les  provinces  du  nord  qui  obéissaient  toujours  à  son  au- 
torité. L'ancien  président  était  encore  soutenu  par  des 
partisans  dévoués  avec  lesquels  il  fallait  compter.  Patoni, 
gouverneur  de  Durango,  avait  sous  ses  ordres  environ 
3000  hommes  ;  des  guérillas  importantes  du  Sinaloa  et  de 
la  Sonora  étaient  à  portée  de  lui  prêter  leur  appui.  Dans 
la  même  région,  Ortega  commandait  à  2,o00  hommes, 
avec  lesquels  il  tenait  Sombrerete,  Piio-Grande ,  San  Juan 
Mesquital.  Auprès  de  Juarez ,  sous  les  ordres  directs  de 
Negrete,  ministre  de  la  guerre,  se  trouvaient  4000  hommes 
et  une  nombreuse  artillerie.  Enfin ,  dans  le  Tamaulipas, 
les  guérillas  de  Canales  et  de  Cortina ,  et  les  forces  dont 
disposait  le  général  La  Garza,  gouverneur  de  cet  Etat, 
s'élevaient  environ  à  3000  hommes.  L'ensemble  de  ces 
troupes  formait  donc  un  effectif  total  de  12  à  13,000 
hommes.  Les  ressources  financières  du  gouvernement  li- 
béral étaient  assez  considérables.  Il  disposait  encore  des 
douanes  de  Matamores,  de  Piedras  Negras,  de  Mazat- 
lan,  de  Guaymas;  on  lui  expédiait  des  armes  de  toutes 
parts ,  mais  surtout  de  San  Francisco  et  du  Texas  ;  on 
suppose  qu'il  recevait  aussi  de  l'argent  des  Etats-Unis; 
enfin  il  avait  toujours  la  ressource  extrême  des  «  presta- 
mos  »  ou  emprunts  forcés.  Mais  il  tirait  sa  plus  grande 
lorce  de  l'appui  moral  que  lui  prêtaient  les  Etats-Unis, 
et  des  sympathies  non  déguisées  du  parti  Hbcral  dans 
tous  les  pays  européens.  En  France  môme,  au  Corps  légis- 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE,  411 

latif,  les  députés  de  l'opposition  ne  cessaient  de  réclamer         i864. 
très-énergiquement  le  rappel  des  troupes  du  Mexique. 

Au  commencement  de  l'expédition  française,  le  prési- 
dent Lincoln  avait  écrit  à  Juarez  :  «  Nous  ne  sommes  pas  en 
guerre  ouverte  avec  la  France,  mais  comptez  sur  de  l'ar- 
gent, sur  des  canons,  et  sur  des  enrôlements  volontaires 
que  nous  favoriserons.  »  Plus  tard,  M.  Seward,  dans  ses 
instructions  au  général  Banks,  commandant  le  département 
du  golfe  du  Mexique,  prescrivait  d'observer  les  règles  d'une 
stricte  neutralité  et  de  s'abstenir  de  toute  intervention 
armée  sur  le  territoire  mexicain;  mais  il  lui  rappelait 
que  les  Etats-Unis  étaient  «  en  relations  de  bienveillance 
et  d'amitié  avec  la  république  mexicaine,  et  qu'ils  entrete- 
naient avec  elle  des  rapports  diplomatiques  »  (^).  Juarez 
avait  en  effet  à  Washington  un  représentant  accrédité, 
M.  Piomero,  dont  l'influence  et  l'activité  lui  étaient  des 
plus  précieuses.  Enfin,  le  4  avril  1864,  la  chambre  des 
représentants  des  Etats-Unis  adopta,  par  un  vote  una- 
nime, une  résolution  qui  affirmait  son  opposition  à  la  re- 
connaissance de  la  monarchie  au  Mexique.  Le  gouverne- 
ment français  avait  été  fort  ému  de  cette  manifestation; 
M.  Drouyn  de  Lhuis,  en  recevant  la  visite  du  représentant 
des  Etat-Unis,  l'accueillit  par  ces  mots  :  «  Nous  apportez- 
vous  la  paix  ou  la  guerre?  »  (-).  Mais  M.  Seward,  trop 
prudent  pour  ne  pas  ménager  la  France  et  s'engager  dans 
des  complications  extérieures  qui  eussent  rendu  plus  mena- 
çante la  crise  américaine,  s'était  hâté  d'écrire  que  le  gou- 
vernement des  Etats-Unis,  tout  en  acceptant  avec  déférence 
la  résolution  votée  par  la  chambre,  ne  jugeait  pas  opportun 

(»)  M.  Seward  au  major  général  Banks,  Washington,  23  novembre  1863. 
(Senate  documents,  1864-186o.) 

(2)  M.  Dayton  à  M.  Seward,  22  avril  1864. 


412  II*   PARTIE.  CHAPITRE  II. 

^864.        de  l'exprimer  dans  les  mêmes  termes,  ni  de  se  départir, 
quant  à  présent,  de  la  politique  qu'il  avait  jusqu'alors  suivie 
à  l'égard  de  l'intervention  française  au  Mexique.   Cette 
résolution,  ajoutait-il,  était  l'interprète  fidèle  du  sentiment 
unanime  du  peuple  des  Etats-Unis;  cependant  pour  avoir 
un  caractère  législatif,  il  fallait  qu'elle  fût  adoptée  par  les 
deux  chambres  et  sanctionnée  par  le  président,  ou,  en  cas 
de  refus  du  président,  votée  de  nouveau  par  les  deux  tiers 
des  membres  de  chaque  chambre.  La  France  ne  devait 
donc  ni  s'alarmer,  ni  douter  du  bon  vouloir  du  gouverne- 
ment américain,  et  les  instructions  données  aux  autorités  de 
la  frontière  mexicaine  leur  prescrivaient  toujours  d'obser- 
ver une  stricte  neutralité  (').  Il  était  facile  de  voir  que  le 
gouvernement  des  Etats-Unis  attendait  le  rétablissement 
de  la  paix  intérieure  pour  se  déclarer  plus  franchement. 
D'ailleurs  les  manifestations  anti-françaises  se  multipliaient 
à  New-York,  à  la  Nouvelle  Orléans,  en  Californie  ;  dans  des 
banquets  publics,  les  vœux  les  plus  ardents  étaient  émJs 
en  faveur  de  la  république  du  Mexique  ('■^).  Pour  Juarez,  la 
question  se  résumait  donc  en  ceci  :  résister  et  vivre  assez 
longtemps  pour  que  le  triomphe  déjà  prévu  des  fédé- 
raux sur  les  confédérés  fût  assuré  et  que,  libres  d'autres 
préoccupations,  les  Etats-Unis  pussent  l'aider  d'une  ma- 
nière   plus  effective.  La  France   et   l'empire    mexicain 
avaient,  au  contraire,  intérêt  à  hâter  le  plus  possible  la  dis- 
solution du  gouvernement  républicain  et  à  forcer  Juarez  de 
quitter  le  pays  ;  si  l'empire  restait  le  seul  gouvernement  de 
fait  existant  au  Mexique,  on  pensait  que  les  Etats-Unis  ne 
pourraient  en  reconnaître,  ni  en  soutenir  un  autre. 

Pendant  la  saison  sèche,  il  eût  été  dangereux  d'aventurer 

(•)  M.  Seward  à  M.  Dayton,  7  avril  1864. 

(*)  Le  maréchal  au  ministre,  10  mai,  31  août. 


LE    GÉNÉRAL   BAZAINE.  413 

des  colonnes  dans  les  déserts  arides  qui  séparent  San  Luis         4864. 
de  Saltillo  ;  il  avait  donc  fallu  attendre  la  saison  des  pluies 
pour  entreprendre  les  opérations  vers  le  nord.  Au  mois  de 
juin,  le  moment  d'entrer  en  campagne  était  arrivé. 

Les  troupes  franco-mexicaines  de  la  ligne  du  nord  étaient 
alors  réparties  de  la  manière  suivante  :  la  brigade  L'Héril- 
1er  à  Zacatecas,  ayant  des  avant-postes  à  Fresnillo,  et  fai- 
sant face  aux  divisions  Paloni  et  Ortega. 

La  brigade  Aymard  à  San  Luis  Potosi  avec  un  avant- 
poste  à  Venado. 

La  division  mexicaine  Mejia  cantonnée  à  Tulade  Tamau- 
lipas,  Piio  Verde,  Yalle  del  Maïz,  ayant  en  avant-garde  la 
brigade  Lopez  à  Matehuala,  à  Gatorce,  et  au  Gedral. 

La  contre-guérilla  Dupin  à  Tampico  ;  ces  trois  dernières 
fractions  faisant  face  à  la  division  Negrete  et  aux  guérillas 
du  Tamaulipas. 

La  division  de  Gastagny  avait  son  quartier  général  à 
Queretaro  en  seconde  ligne. 

Deux  grandes  routes  conduisent  dans  le  nord  :  l'une  part 
de  Zacatecas  et  se  dirige  vers  Durango  et  Ghihuahua; 
l'autre  va  de  San  Luis  à  Saltillo,  Monterey,  et  Matamores. 
Des  routes  transversales  unissent  Zacatecas  à  San  Luis  par 
Salinas  ;  Zacatecas  à  Saltillo  par  Mazapil;  Durango  à  Sal- 
tillo par  Parras.  Au  nord  de  la  route  de  Parras,  s'étend  un 
vaste  pays  désert,  le  Bohon  de  Mapimi,  dans  lequel  une 
troupe  ne  pourrait  subsister  (^). 

(')  De  Mexico  à  Zacatecas,  on  compte  163  lieues; 

De  Zacatecas  à  Durango,  71  lieues  ;    de  Durango  à  Ghihuahua,  170  lieues  ; 

De  Mexico  à  San  Luis,  114  lieues;  de  San  Luis  à  Saltillo,  112  lieues;  de  Sal- 
tillo à  Monterej',  40  lieues  ;  de  Monterey  à  Matamoros,  90  lieues  ; 

De  Durango  à  Parras,  92  lieues  ;  de  Parras  à  Saltillo,  30  lieues  ; 

De  Tampico  ix  Viltoria,  6b  lieues  ;  de  Vittoria  à  Monterey,  70  lieues  ; 

De  Tampico  à  Tula  de  Tamaulipas,  77  lieues  ;  de  Tula  à  San  Luis  Potosi,  6S 
lieues;  de  Tula  à  Vitforin,  40  lieues. 


414  II®  PARTIE.  CHAPIXnE    II. 

-1864.  Le  projet  du  maréchal  était  de  pousser  d'abord  la  bri- 

gade L'Hériiler  sur  Durango,  puis  de  faire  avancer  sur  des 
lignes  parallèles  la  division  de  Castagny,  la  division  Mejia, 
et  la  contre-guérilla.  La  division  de  Castagny  suivrait  la 
grand'route  de  San  Luis  à  Saltillo,  le  général  Mejia  mar- 
cherait par  Vittoria  et  Linarès  pour  arriver,  selon  les  cir- 
constances, soit  à  Monterey,  soit  à  Matamoros  ;  la  colonne 
légère  du  général  Lopez  prendrait  la  route  de  Galeana  pour 
maintenir  en  relations  les  colonnes  du  général  de  Castagny 
et  du  général  Mejia  ;  enfin,  la  contre-guérilla,  suivant  jus- 
qu'à Yittoria  la  même  direction  que  la  division  Mejia,  se 
rapprocherait  ensuite  de  la  côte  vers  Soto-la-Marina  et  San 
Fernando  de  Presas,  afin  de  se  mettre  en  communication 
avec  l'escadre  dont  les  compagnies  de  débarquement  se- 
raient mises  à  terre  à  l'embouchure  du  Rio  Bravo  del 
Norte. 

La  marche  du  général  L'Hériiler  sur  Durango  étant  com- 
binée avec  ces  mouvements,  il  ne  resterait  à  Juarez  d'autre 
alternative  que  de  passer  la  frontière  ou  de  s'enfoncer  dans 
les  solitudes  du  nord-ouest. 
Occupation  Parti  de  Zacatecas  le  22  juin,  le  général  L'Hériiler  entra 

de  Durango        ,      ,    .    -,1        ,   tn  '  •      .  '     i         '   •   . 

(4  juillet).  le  4  juillet,  a  Durango,  sans  avon^  trouve  de  résistance  sur 
sa  route.  La  population  de  cette  grande  ville  accueillit  les 
troupes  françaises  avec  beaucoup  de  sympathie.  Les  habi- 
tants les  plus  considérables  acceptèrent  les  fonctions  pu- 
bliques. Une  adresse  de  reconnaissance  à  l'empereur  Napo- 
léon se  couvrit  de  signatures;  un  riche  propriétaire, 
M.  Florès,  Ht  don,  par  acte  régulier,  à  l'armée  française, 
d'un  territoire  de  50  lieues  carrées  aux  environs  de  Mapimi, 
pour  l'établissement  de  colonies  militaires  ;  nulle  part 
l'intervention  ne  fut  mieux  accueillie.  Ni  Ortega,  ni  Patoni 
n'avaient  cherché  à  s'opposer  au  mouvement  du  général 


LE    TtÉNÉRAL    BAZAINE.  413 

L'Hériller.  Le  premier  avait  rejoint  Juarez  avec  sa  division,         '864. 
le  second  se  trouvait  à  Chihuahua  où  il  organisait  les  con- 
tingents de  cette  province.  Surpris,  disait-on,  par  la  rapi- 
dité de  la  marche  des  colonnes  françaises,  il  n'avait  pas  eu 
le  temps'de  revenir. 

Quelques  jours  après  l'occupation  de  Durango ,  le  gé- 
néral L'Hériller,  ayant  appris  que  l'artillerie,  qui  avait 
évacué  la  ville  à  son  approche,  se  trouvait  arrêtée  par  les 
mauvais  chemins  à  quelques  lieues  vers  le  nord,  envoya 
des  troupes  à  sa  poursuite  ;  une  colonne  légère  s'avança 
jusqu'à  San  Juan  del  Piio,  mais  sans  pouvoir  l'atteindre,  et 
dut  se  contenter  de  battre  l'arrière-garde  ennemie. 

Une  fraction  importante  des  forces  de  Patoni,  sous  les 
ordres  de  Gorona,  s'était  détachée  de  sa  division  ;  ce  chef 
commença  dans  l'Etat  de  Durango,  et  plus  tard  continua, 
dans  celui  de  Sinaloa,  une  guerre  de  partisans  plus  gênante 
que  redoutable,  mais  qui  harassait  les  troupes  et  les  for- 
çait à  multiplier  les  colonnes  mobiles.  Le  19  juillet,  deux 
compagnies  du  2'  zouaves  (capitaine  Hurtel),  surprit  le 
camp  de  Gorona,  à  Juana-Guerra,  après  une  course  de 
quatre  kilomètres  au  pas  gymnastique.  Elles  lui  enlevèrent 
une  trentaine  de  prisonniers,  ses  bagages,  soixante  che- 
vaux, et  tuèrent  quarante-cinq  hommes.  Nous  ne  tarde- 
rons pas  cependant  à  retrouver  Gorona,  maître  des  passages 
de  la  Sierra  et  paralysant  tous  les  efforts  de  pacification 
tentés  dans  le  Sinaloa  et  l'ouest  de  l'Etat  de  Durango. 

Pendant  que  le  général  L'Hériller  opérait  sur  Durango, 
le  général  de  Gastagny  faisait  préparer  le  mouvement  au 
nord  de  San  Luis.  Un  poste  français,  ayant  pris  possession 
de  Vanegas  à  soixante  lieues  de  San  Luis,  on  dirigea  sur  ce 
point  les  approvisionnements  de  vivres  et  de  munitions  né- 


416  II"  PARTIE.  CHAPITRE  II. 

1864.  cessaires  pour  les  opérations  ultérieures.  Le  29  juillet,  le 
général  de  Castagny  quitta  San  Luis  à  la  tête  d'une  colonne 
de  3,500  hommes  ;  le  9  août,  il  était  à  Vanegas.  Le  succès 
de  l'opération  dépendait  en  grande  partie  de  la  rapidité 
avec  laquelle  elle  serait  conduite.  Il  importait,  en  effet, 
d'arriver,  sur  chaque  lieu  d'étape,  assez  à  temps  pour  empê- 
cher l'ennemi  de  détruire,  avant  de  se  retirer,  les  réservoirs 
dans  lesquels  sont  conservées  les  seules  eaux  du  pays. 
La  cavalerie  de  la  division,  soutenue  par  un  bataillon  de 
chasseurs,  ayant  été  rapidement  poussée  en  avant,  réussit 
à  empêcher  la  destruction  complète  des  digues,  et,  le  16 
août,  après  avoir  battu  un  parti  de  deux  cents  cavaliers, 
elle  atteignit  l'hacienda  d'Agua-Nueva ,  située  à  huit  heues 
seulement  de  Saltillo  ;  des  sources  existant  sur  ce  point, 
la  marche  des  convois  était  dès  lors  assurée. 

A  peu  de  distance  au  delà,  se  trouve  le  défdé  de  l'An- 
gostura,  forte  position,  célèbre  par  le  combat  que  les  Amé- 
ricains y  livrèrent  en  1846.  L'ennemi  avait  élevé  quelques 
ouvrages  de  fortification  et  paraissait  disposé  à  disputer 
le  passage,  mais  inquiété  sur  ses  derrières  par  un  corps 
de  huit  cents  hommes  commandés  par  Quiroja,  lieutenant 
de  Vidaurri,  il  se  décida,  au  dernier  moment,  à  se  retirer 
en  abandonnant  huit  pièces  d'artillerie  et  une  centaine 
de  caisses  de  munitions. 

On  se  rappelle  que  Vidaurri,  gouverneur  des  Etats  de 
Nuevo-Leon  et  de  Coahuila ,  avait  cherché  à  résister  à 
Juarez ..  mais  que,  forcé  de  lui  céder  la  place,  il  s'était 
réfugié  sur  la  rive  gauche  du  Rio  Bravo.  Les  confédérés 
l'accueillirent  bien,  et  lui  fournirent  les  moyens  de  réor- 
ganiser une  petite  troupe,  dont  ils  facililèrent  le  passage 
sur  l'autre  rive  du  fleuve.  Ce  sont  ces  partisans,  com- 
mandés par  Quiroja,  qui  menaçaient  h  revers  les  positions 


Monlerey 
(20  et  26  août). 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE,  417 

des  libéraux  à  l'Angoslura.  Ils  occupèrent  Monterey,  le  13  <864 
août,  au  moment  même  où  l'avant-garde  française  arrivait 
à  Agua-Nueva.  Toutefois,  la  conduite  de  Quiroja  était  aussi 
ambiguë  que  l'avait  toujours  été  celle  de  Vidaurri  ;^  il  se 
défendait  d'être  l'allié  des  Français  et  annonçait  avec  jac- 
tance qu'il  saurait  bien  les  arrêter  et  conserver  au  Nuevo^ 
Léon  son  indépendance  (^). 

Juarez  fit  passer  sa  famille  aux  Etats-Unis;  il  prit  lui- 
même  la  route  de  Parras  pour  rallier  Patoni  et  se  rendre  à 
Ghihuahua. 

Le  20  août,  le  général  de  Gastagny  occupa  Saltillo  dont  ^^^3;;^';;^",,^ 
la  population  se  montra  plutôt  craintive  que  mal  disposée  ; 
il  fallut  cependant  employer  des  mesures  de  rigueur  pour 
faire  accepter  aux  notables  des  fonctions  administratives. 
Une  colonne  légère,  commandée  par  le  général  Aymard, 
poursuivit  Juarez  sur  la  route  de  Parras  ;  les  autres  troupes 
se  dirigèrent  sur  Monterey,  où  elles  entrèrent  sans  coup 
férir,  le  26  août.  Quiroja  en  était  parti  la  veille  ,  non  sans 
avoir  fait  protester,  près  du  général  de  Gastagny,  de  ses 
dispQsitions  favorables  à  l'empire  et  à  l'intervention.  On 
trouva  dans  Monterey  55  pièces  de  divers  calibres,  150,000 
cartouches,  et  15,000  projectiles,  ce  qui  donne  la  mesure 
des  ressources  dont  Juarez  disposait  encore. 

Arrivé  à  Monterey,  le  général  de  Gastagny  se  vit  forcé, 
avant  de  poursuivre  ses  opérations,  d'attendre  que  la  divi- 
sion Mejia,  qui  marchait  sur  sa  droite,  fût  à  sa  hauteur. 
Gette  colonne  ayant  trouvé  de  grandes  difficultés  dans 
sa  marche,  était  encore  très  en  arrière,  et  ce  retard  para- 
lysait le  mouvement  des  troupes  françaises;  la  saison 
des  pluies ,  époque  la  plus  favorable  pour  la  traversée 

(')  Journal  fie  Monterey.  —Le  rnarwlial  au  ministre,  29  août, 

27 


>I864. 


418  II'  PARTIE.    CHAPITRE  II. 

des  plaines  de  l'Etat  de  San  Luis ,  gônaii  au  contraire 
les  opérations  militaires  dans  les  montagnes  du  Tamau- 
lipas  ;  en  quelques  heures,  les  torrents  grossis  devenaient 
parfois  des  rivières  de  deux  cents  mètres  de  large  et  oppo- 
saient au  passage  des  troupes  des  obstacles  presque  infran- 
chissables. Les  bagages  ne  pouvaient  suivre  les  colonnes 
à  travers  les  chemins  fangeux  ;  les  soldats,  exposés  à  mille 
privations,  mouillés  toute  la  journée,  épuisés  de  fatigue, 
succombaient  en  grand  nombre,  et  ces  souffrances  étaient 
encore  augmentées  par  l'insuffisance  de  l'organisation  ad- 
ministrative des  troupes  mexicaines  qui  n'avaient  ni  les 
transports,  ni  les  ambulances,  ni  les  réserves  de  vivres 
sans  lesquelles  une  colonne  française  n'entrait  jamais  en 
campagne.  Partie  de  Tula  de  Tamaulipas  le  5  août,  la 
division  Mejia  avait  dû  suivre  des  sentiers  à  peine  tracés, 
bordés  de  précipices  ;  assez  heureuse  encore  pour  ne  pas 
rencontrer  l'ennemi,  elle  était  arrivée  à  Vittoriale  14  août; 
trente-huit  hommes  et  quarante-cinq  animaux  étaient  morts 
de  misère  dans  cette  marche  de  neuf  jours.  11  fallut  s'arrê- 
ter pour  reposer  les  troupes,  et  le  26  août  seulement,  c'est- 
à-dire  le  jour  même  où  le  général  de  Gastagny  entrait  à 
Monterey,  le  général  Mejia  poursuivit  son  mouvement  en 
avant.  Il  arriva  le  8  septembre  à  Gadeyreita  dans  un  état 
déplorable.  Les  bagages  étaient  restés  embourbés  sur  les 
routes,  les  hommes  étaient  exténués,  et  c'est  à  peine  si,  des 
débris  de  sa  division ,  il  put  tirer  l'effectif  d'une  petite 
colonne  légère  avec  laquelle  il  se  dirigea  sur  Matamoros. 
Les  lenteurs  de  la  marche  du  général  Mejia  avaient  été 
des  plus  préjudiciables  à  l'ensemble  des  opérations.  Le 
général  de  Gastagny,  craignant  de  le  laisser  trop  en  l'air, 
était  resté  à  Monterey  pour  l'attendre  et  l'appuyer  au  be- 
soin ;  il  avait  même  jugé  nécessaire  de  faire  rétrograder  le 


LE    GÉNÉRAL    BAZALNE.  419 

général  Aymard,  qui  s'éiait  avancé  jusqu'à  Parras  à  la  -1864. 
poursuite  de  Juarez.  Toutefois  le  mouvement  de  cette  der- 
nière brigade  n'avait  pas  été  entièrement  stérile;  car, 
serrés  de  trop  près,  plusieurs  corps  ennemis  se  jetèrent 
dans  les  solitudes  du  Bolson  de  Mapimi,  où  les  soldats  se 
mutinèrent  et  se  débandèrent  ;  quarante  officiers  se  pré- 
sentèrent à  Parras  ;  les  déserteurs  couvraient  les  routes,  et 
les  coureurs  de  Quiroja  enlevèrent  trois  cents  hommes  et 
soixante  voitures.  Il  était  regrettable  qu'au  lieu  de  conti- 
nuer son  mouvement  vers  l'ouest,  la  brigade  Aymard  eût 
rétrogradé  vers  Saltillo.  Le  Puo  de  Nazas  débordé  coupait 
à  l'ennemi  la  route  de  Chihuahua,  et  si  un  mouvement 
avait  été  combiné  entre  le  général  Aymard  et  des  colonnes 
envoyées  de  Durango,  il  eût  été  possible  de  détruire  com- 
plètement l'armée  libérale  et  peut-être  d'enlever  Juarez 
lui-même. 

Bien  que  le  général  L'Hériller,  commandant  à  Durango, 
ne  disposât  que  de  peu  de  troupes,  il  s'éclairait  cependant 
à  d'assez  grandes  distances  en  faisant  parcourir  le  pays  par 
des  colonnes  mobiles.  L'une  d'elles,  commandée  par  le 
colonel  Martin  et  forte  de  cinq  compagnies  du  2'  zouaves, 
deux  pelotons  de  cavalerie  et  une  section  d'artillerie,  s'était 
avancée  jusqu'à  l'hacienda  de  la  Zarca  au  delà  du  Rio  de 
Nazas  (^7  août)  ;  elle  avait  ramassé  un  matériel  considérable 
et  tenait  facilement  en  respect  Patoni,  dont  les  troupes , 
réduites  par  la  désertion,  ne  s'élevaient  plus  qu'à  sept  ou 
huit  cents  hommes  ;  mais,  lorsque  Juarez  arriva  de  l'est 
avec  les  corps  réunis  de  Negrete  et  d'Ortega,  le  colonel 
Martin  craignit  de  se  trouver  trop  isolé  et  se  replia  sur 
San  Juan  del  Piio  (10  septembre).  L'ennemi,  enhardi 
par  le  faible  effectif  des  troupes  qui  gardaient  Durango 
et  les  communications  en  arrière,  avait   formé  le  projet 


420  11^  PARTIE.  CHAPITRE    II. 

'iSG'i.  (l'enlever  Durango  aux  Français  et  de  rétablir  d'un  seul 
coup  son  prestige  détruit  par  des  échecs  continuels.  On 
estimait  à  cinq  mille  hommes  les  forces  que  Juarez  pou- 
vait encore  concentrer  ;  outre  le  détachement  du  colonel 
Martin,  le  général  L'Hériller  n'avait  à  Durango,  pour 
faire  face  à  l'orage,  qu'un  bataillon  de  chasseurs  à  pied, 
deux  compagnies  du  99'  de  ligne,  et  deux  pelotons  de 
cavalerie.  Trois  compagnies  étaient  à  Sombrerete  ;  quatre 
compagnies  et  cinq  cents  cavaliers  auxiliaires  à  Fresnillo. 
Averti  de  la  gravité  de  la  situation,  le  maréchal  ordonna 
aux  garnisons  de  Zacatecas ,  d'Aguascalientes  et  de  Léon 
de  faire  un  mouvement  vers  le  nord  ;  il  arrêta  le  99*^,  qui 
rétrogradait  sur  Mexico,  et  dirigea  rapidement ,  de  San 
Luis  sur  Zacatecas,  une  colonne  de  renfort  primitivement 
destinée  au  général  de  Castagny.  Mais  les  distances  à 
franchir  étaient  trop  considérables  pour  permettre  à  ces 
troupes  d'arriver  en  temps  utile  ;  seule,  la  brigade  Aymard 
aurait  pu  prêter  un  secours  efficace  au  général  L'Hé- 
riller, si  elle  avait  prolongé  son  mouvement  au  delà  de 
Parras. 

Le  10  septembre,  les  têtes  de  colonne  ennemiesét  aient 
signalées  simultanément  :  Paloni  à  Guencamé  ;  Negrete  et 
Juarez  à  La  Noria  ;  Carbajal  àYerbaniz.Le  général  L'Hériller 
donna  l'ordre  à  tous  les  détachements  militaires  mexicains 
de  sortir  de  leurs  postes  pour  éclairer  le  pays.  Le  colonel 
Martin,  laissant  une  petite  garnison  à  San  Juan  del  Rio,  se 
porta  sur  Santa  Lucia,  de  manière  à  observer  San  Juan  tout 
en  couvrant  Durango.  Dans  la  nuit  du  15  au  16  septembre, 
une  reconnaissance,  sortie  de  Fresnillo  sous  les  ordres 
du  capitaine  Hurtel,  surprit  Carbajal,  qui  était  venu  lever 
une  contribution  il  l'hacienda  de  Juan  Ferez,  et  le  rejeta 
sur  Yerbaniz;  enfin,  un  autre  détachement  d'une  compa- 


LE    GÉNÉRAL    BAZAIIVE.  421 

gnie  de  chasseurs  et  de  deux  pelotons  de  cavalerie,  corn-  i864. 
mandé  par  le  capitaine  Marqué  et  venant  de  Durango,  re- 
connut, le  16  septembre,  la  présence  à  Tapona  d'un  corps 
de  3,000  hommes  ayant  26  canons.  L'ennemi  paraissait 
descendre  vers  le  sud  par  Mesquital  et  Nieves  de  façon  à  se 
porter  soit  sur  Sombrerete,  soit  sur  Fresnillo  ;  le  colonel 
Martin  résolut  de  l'attaquer  pendant  cette  marche  de  flanc. 
Le  18,  il  atteignit  Porfias,  le  20,  Saucillo,  le  21 ,  il  prit  la  di- 
rection de  l'hacienda  de  la  Estanzuela  située  à  douze  lieues 
de  Saucillo.  A  trois  lieues  de  l'hacienda,  il  fut  prévenu,  par 
des  bergers,  que  l'ennemi  se  dirigeait  également  sur  ce 
point;  une  vedette,  enlevée  un  peu  plus  loin,  lui  apprit  que 
la  cavalerie  s'y  trouvait  déjà  et  que  l'infanterie  et  l'artillerie 
avaient  pris  position  plus  en  arrière.  Le  colonel  Martin,  qui 
avait  été  rallié  par  le  détachement  du  capitaine  Marqué, 
disposait  alors  de  six  compagnies  d'infanterie,  un  esca- 
dron de  chasseurs,  deux  obusiers  de  montagne,  et  un 
escadron  mexicain,  ensemble  cinq  cent  trente  Français  et 
quatre-vingts  Mexicains. 

L'escadron  de  chasseurs  formant  l'avant-garde  fouilla  les        combot 
abords  de  l'hacienda  ;  après  un  court  engagement,  les  cerro  deVijoma 
avant-postes  ennemis  se  replièrent,  mais  avec  un  aplomb   (2<  septembre). 
inaccoutumé,  d'où  l'on  conclut  qu'ils  se  sentaient  fortement 
soutenus.  Le  colonel  Martin  prit  ses  dispositions  d'attaque; 
il  massa  son  convoi  derrière  les  bâtiments  de  l'hacienda, 
plaça  les  m.uletiers  aux  créneaux  des  terrasses,  et,  lais- 
sant la  compagnie  de  chasseurs  comme  réserve,  il  marcha 
sur  l'ennemi,  une  compagnie  en  avant  pour  soutenir  la 
cavalerie,  les  quatre  autres  compagnies  déployées,  l'artille- 
rie au  centre. 

En  sortant  de  la  Estanzuela,  la  route  de  San  Miguel  Mes- 
quital s'infléchit  à  droite  et  s'élève  sur  un  petit  plateau  ; 


422  II*   PARTIE.   CHAPITRE  II. 

-1861.  à  trois  kilomètres  environ,  elle  passe  au  pied  du  Gerro  de 
Majoma  dont  le  relief  est  de  trente  mètres.  C'était  derrière 
ce  mouvement  de  terrain  que  le  général  Ortega,  dissimu- 
lant des  forces  assez  considérables,  avait  rangé  son  corps 
d'armée  en  bataille.  Le  colonel  Martin  croyait  d'abord 
n'avoir  devant  lui  qu'une  division  de  quinze  cents  hommes; 
il  ne  tarda  pas  à  reconnaître  l'énorme  supériorité  numé- 
rique de  ses  adversaires,  mais  il  était  trop  avancé  pour 
pouvoir  hésiter.  Il  allait  lancer  sa  poignée  de  cinq  cent 
trente  Français  contre  plus  de  quatre  mille  Mexicains , 
appuyés  par  vingt  pièces  de  canon.  C'étaient  les  divisions 
Alcade  (ancienne  division  Negrete),  Patoni  et  Ortega,  for- 
mant trois  mille  cinq  cents  hommes  d'infanterie,  et  la  cava- 
lerie de  Carbajal,  forte  de  sept  cents  chevaux  W.  Patoni  était 
à  l'extrême  droite,  Alcade  au  centre,  Ortega  à  gauche,  une 
partie  de  l'artillerie  près  de  la  route  de  San  Miguel-Mes- 
quital,  l'autre  partie  en  batterie  sur  le  Cerro  de  Majoma. 
Le  colonel  Martin  dirigea  l'effort  de  ses  soldats  sur  le  ver- 
sant nord  de  la  hauteur,  dont  l'escalade  était  favorisée  par 
les  arbustes  qui  la  couvraient.  Aussitôt  l'artillerie  ennemie 
ouvrit  le  feu,  et  l'un  des  premiers  boulets  vint  le  frapper 
mortellement.  Le  chef  de  bataillon  Japy  du  2*^  zouaves, 
ayant  pris  le  commandement,  ordonna  l'assaut. 

Quatre  officiers  et  un  grand  nombre  d'hommes  tom- 
bent bientôt  grièvement  blessés  ;  les  zouaves ,  dont  la 
disproportion  du  nombre  exalte  l'ardeur,  gravissent  les 
pentes  du  Cerro,  abordent  résolument  et  enlèvent  à  la 
baïonnette  une  batterie  de  huit  pièces  qui,  placée  à  mi-côte, 
balayait  le  plateau.  Ils  couronnent  ensuite  la  hauteur, 
refoulent  les  bataillons  ennemis  sur  le  versant  opposé,  et 

(')  Ces  chiffres  résullenl  d'une  siluatio»  trouvée  sur  le  corps  d'un  ollicier 
mexicain  tué  dans  le  coinbal. 


LK    GÉNÉRAL    BAZALXE.  423 

restent  maîtres  de  trois  autres  canons.  Tant  d'audace  dé-  -1864 
concerte  l'ennemi  ;  mais  Ortega  ramène  franchement  ses 
bataillons  à  la  charge.  Il  ne  leur  demande  que  «  dix  mi- 
nutes d'énergie  »  et  les  pièces  vont  être  reprises.  Les 
zouaves  se  serrent  pour  résister  au  choc.  Le  commandant 
Japy  engage  alors  sa  dernière  réserve  ;  l'escadron  de  chas- 
seurs fournit  une  charge  à  fond  sur  les  masses  ennemies, 
les  culbute  sans  retour  et  dégage  les  zouaves,  tandis  que, 
les  chasseurs  à  pied,  accourant  au  pas  de  course,  se  jettent 
sur  la  batterie  de  neuf  pièces  en  position  sur  la  route  de 
Mesquital,  et  s'en  rendent  maîtres  ;  ils  la  retournent  contre 
l'ennemi  et  chargeant  eux-même  les  canons,  ils  précipitent 
sa  retraite  par  l'efficacité  de  leur  tir.  L'artillerie  du  Gerro  est 
également  retournée  contre  les  Mexicains;  leur  déroute  est 
complète.  L'obscurité  de  la  nuit  et  l'extrême  fatigue  des 
troupes  qui,  avant  de  combattre,  avaient  fait  une  étape 
de  douze  lieues,  mirent  fm  au  combat.  Les  cadavres  cou- 
vraient les  pentes  du  Gerro  de  Majoma  ;  on  ne  recueillit  que 
vingt  etun  blessés  de  l'ennemi.  Toute  l'artillerie,  c'est-à-dire 
vingt  pièces,  une  grande  quantité  d'armes,  lo2  prisonniers 
furent  les  trophées  de  cette  journée  ;  deux  généraux  mexi- 
cains étaient  tués  ;  deux  autres  grièvement  blessés  furent 
transportés  à  Mesquital.  La  colonne  française  comptait  un 
officier  et  vingt  hommes  tués,  quatre  officiers  et  quarante- 
six  hommes  blessés.  Les  moyens  dont  disposait  le  comman- 
dant Japy  ne  lui  permettant  pas  de  poursuivre  l'ennemi, 
il  rétrograda  sur  Durango,  où  il  rentra  le  26  septembre 
au  milieu  de  l'allégresse  générale.  Si,  dans  ce  moment,  la 
division  de  Gastagny  avait  pu  déboucher  de  Parras,  c'en 
était  fait  de  l'armée  libérale.  Juarez,  qui  attendait  à  Nazas 
le  résultat  de  ces  opérations,  se  retira  avec  Negrete  et  une 
petite  escorte  de  deux  cents  cavaliers,  et  se  réfugia  à  Chi- 


424  11^   PARTIE.  CIIAl'lTl'.E  II. 

^864.  huahua,  où  il  fut  d'ailleurs  chaleureusement  accueilli. 
Patoni ,  accompagné  de  quelques  officiers,  mais  sans  un 
soldat,  se  rendit  à  Nazas,  d'où  il  gagna  également  Ghihua- 
hua.  Carbajal  conserva  deux  cents  cavaliers  ;  l'infanterie 
se  révolta  et  un  grand  nombre  de  déserteurs  se  rendirent 
aux  avant-postes  français.  Les  reconnaissances  envoyées 
aux  environs  de  la  Estanzuela  ne  trouvèrent  plus  un 
seul  groupe  ennemi  ;  elles  ramassèrent  encore  une  grande 
quantité  de  matériel  et  sept  pièces  de  canon. 

Le  combat  du  Gerro  de  Majoma  termina  brillamment  la 
campagne;  cependant  le  résultat  ne  fut  pas  décisif,  puisque 
Juarez  restait  sur  le  territoire  mexicain,  et  que,  loin  de  se 
décourager,  il  avait  simplement  transporté  de  Monterey  à 
Ghihuahua  le  siège  de  son  gouvernement. 

Opérations  L'Etat  dc  Duraugo  se  trouvait  dès  lors  soumis  en  entier 

lie  l'escadre  à  ^  .        .  .  "^  i      nr      • 

l'embouchure  du  à  l'autorité  impériale.  Au  nord-est  du  Mexique,  les  opéra- 

Rio  Bravo  dcl        .  ,  •     ,         ,      ,      t    •   •         nr    ••        i      i  ,   mi 

Norie.  tions  combinecs  de  la  division  Mejia,  de  la  contre-gueriila 
et  de  l'escadre  avaient  également  fait  reconnaître  l'empire 
dans  les  provinces  de  Nuevo-Leon  et  de  Tamaulipas. 

Dès  le  mois  d'août,  l'amiral  Bosse,  commandant  l'escadre 
du  golfe,  avait  envoyé,  à  l'embouchure  du  Pdo  Bravo,  le 
Darien,  le  Colbert  et  la  Drôme;  il  s'y  était  ensuite  rendu 
lui-même  avec  la  Belloîie,  et,  le  22  août,  400  marins  de  dé- 
barquement, commandés  par  M.  le  capitaine  de  vaisseau 
Véron,  avaient  pris  possession  de  la  petite  ville  de  Bagdad 
située  sur  la  côte,  près  du  tleuve.  A  cette  époque,  Mata- 
moros  était  au  pouvoir  de  Gortina,  qui  l'occupait  avec  400 
fantassins,  500  cavaliers  et  12  pièces  de  canon. 

L'amiral  ne  disposait  pas  de  moyens  suffisants  pour  s'em- 
parer de  la  ville;  n'ayant  aucune  nouvelle  de  la  contre-gué- 
rilla, ni  du  général  Mcjia,  il  se  contenta  de  bloquer  l'embou- 


LE    GÉNÉRAL    BAZAIAE.  42o 

chure  du  fleuve  et  de  le  faire  remonter  par  quelques  embar-  ^^^• 
cations  qui  tiraillaient  avec  les  postes  ennemis  embusqués 
sur  les  rives.  Le  voisinage  des  forces  américaines  fédérales 
et  confédérées,  qui  se  disputaient  la  possession  du  fort 
Brownsville,  situé  en  face  de  Matamoros  sur  la  rive  gauche, 
rendait  en  outre  fort  délicate  la  position  des  détachements 
français.  Trois  cents  cavaliers  confédérés  étaient  maîtres  du 
fort  ;  neuf  cents  fédéraux,  parmi  lesquels  deux  cents  soldats 
noirs,  étaient  campés  à  peu  de  distance  dans  une  île  voi- 
sine de  Tres-Brazos.  Les  chefs  de  f  une  et  de  l'autre  force 
envoyèrent  complimenter  l'amiral  ;  les  confédérés,  comp- 
tant plus  particuHèrement  sur  sa  sympathie,  firent  tous 
leurs  efforts  pour  l'amener  à  leur  prêter  quelques  secours, 
et  s'offrirent  eux-mêmes  à  l'aider  s'il  voulait  attaquer  Ma- 
tamores ;  en  revanche,  les  fédéraux  avaient  déjà  recherché 
Talliance  de  Cortina,  et  ils  n'étaient  pas  éloignés  de  le  favo- 
riser dans  ses  entreprises  contre  les  Français,  tout  en 
prétendant  respecter  la  neutralité. 

Le  6  septembre,  Cortina  vint  déployer  ses  forces  devant 
Bagdad  et  fit  un  simulacre  d'attaque  ;  mais  cette  démons- 
tration n'avait  d'autre  but  que  de  dissimuler  le  passage 
sur  la  rive  opposée  de  400  de  ses  hommes,  qui  allèrent 
soutenir  les  fédéraux  dans  une  attaque  contre  les  confé- 
dérés. 

L'amiral  ayant  protesté  près  du  colonel  Day,  comman- 
dant des  troupes  fédérales,  en  lui  demandant  l'interne- 
ment des  gens  de  Cortina,  cet  officier  répondit,  avec  une 
mauvaise  foi  évidente,  qu'il  n'avait  encore  reçu  aucun  avis 
officiel  de  l'arrivée  des  Mexicains  dans  ses  lignes  et  qu'il 
s'efforcerait  du  reste  de  les  empêcher  de  repasser  la  fron- 
tière. Il  vint  lui-même  à  Bagdad  le  iO  septembre,  et  promit 
que  Cortina  ne  tarderait  pas  à  faire  des  ouvertures  de  con- 


426  II®  PARTIE.  CHAPITRE  II. 

1864-  ciliation.  La  nuit  suivante,  Gortina  repassa  cependant  sur 
la  rive  droite,  et  revint  à  Matamores  pour  en  chasser  Ca- 
nales,  son  lieutenant,  qui  avait  profité  de  son  absence" 
pour  faire  un  pronunciamiento  contre  lui.  Les  chefs  amé- 
ricains étaient  très-intéressés  dans  les  débats  personnels 
entre  Gortina  et  Ganales;  ni  les  fédéraux,  ni  les  confédérés 
n'avaient  d'artillerie  ;  celle  qui  se  trouvait  à  Matamoros 
était  l'objet  de  leurs  convoitises.  Les  confédérés  entrèrent 
à  ce  sujet  en  pourparlers  avec  Ganales,  tandis  que  les  fédé- 
raux, s'étant  concertés  avec  Gortina,  proposaient  de  sa  part 
à  l'amiral  une  suspension  d'hostilités  à  condition  que  ses 
troupes  seraient  libres  de  passer  au  camp  fédéral  avec  leur 
matériel  et  leur  artillerie.  Au  même  moment,  le  colonel  fédé- 
ral faisait  secrètement  embarquer  sur  un  bâtiment  américain 
deux  des  pièces  mexicaines.  Gependant.  peu  de  temps  après, 
une  embarcation  française,  portant  pavillon  parlementaire, 
était  accueillie  à  coups  de  canon  par  la  garnison  de  Ma- 
tamoros, et  forcée  de  rétrograder  après  s'être  trouvée  dans 
une  position  critique.  L'amiral  n'avait  aucun  moyen  de 
venger  cette  insulte,  mais  il  reçut  enfin  des  nouvelles  du 
général  Mejia,  qui  lui  annonçait  son  arrivée  prochaine. 

Occupation         Matamoros  fut  en  effet  occupé  sans  coup  férir,  le  26  sen- 
ne Matamoros  ^  i  ^  x 

(26  septembic).  tcmbrc,  par  les  troupes  impériales.  Ne  sachant  plus  que 
devenir,  ne  pouvant  redescendre  vers  San  Fernando,  où  il 
aurait  rencontré  la  contre-guérilla,  n'ayant  plus  la  possibi- 
lité de  déjouer  la  surveillance  de  la  marine  pour  passer  au 
camp  fédéral,  Gortina,  afin  de  gagner  du  temps,  avait  pris 
le  parti  d'offrir  sa  soumission  pure  et  simple,  et  de  livrer 
les  quinze  pièces  qui  armaient  encore  Matamoros  ;  quant  à 
\  Ganales,  il  passa  avec  deux  cents  hommes  à  Brownsville 
où  il  fut  bien  accueilli  par  les  confédérés. 


LE    GÉNÉRAL   BAZAINE.  427 

Le  général  Mejia  envoya  un  détachement  relever   le         -iscï. 
poste  français  de  Bagdad;  l'escadre  laissa  un  bâtiment  à 
l'embouchure  du  Piio  Bravo  et  revint  à  Vera-Gruz. 

La  contre-guérilla  avait  également  coopéi'é  aux  opéra- 
tions dans  le  Tamaulipas.  Le  12  août,  le  colonel  Dupin, 
avec  cinq  cents  hommes,  était  parti  de  Tampico,  où  ne  de- 
vait rester  qu'une  petite  garnison;  mais  avant  son  départ, 
fidèle  au  système  de  terrorisme  par  lequel  il  jugeait  néces- 
saire de  dominer  le  pays,  il  fit  pendre  aux  réverbères  de  la 
place  principale  quatre  guérilleros  récemment  arrêtés.  Il 
se  rendit  d'abord  à  Vittoria,  où  était  encore  la  division 
Mejia;  le  12  septembre,  après  avoir  reçu  la  soumission 
du  général  La  Garza,  gouverneur  du  Tamaulipas,  et  avoir 
organisé  les  administrations,  il  continua  son  mouve- 
ment ;  comme  à  Tampico,  il  ne  quitta  pas  la  ville  sans 
laisser  des  exemples  de  sa  justice  sommaire;  trois  hommes 
furent  pendus  sur  la  place.  Très-gênée  par  les  pluies  tor- 
rentielles de  la  saison ,  la  contre-guérilla  franchit  péni- 
blement les  trente  heues  qui  séparent  Vittoria  de  Soto  la 
Marina;  le  débordement  des  rivières  la  retint  sur  ce 
point,  du  15  au  23  septembre.  Le  29,  elle  occupa  San 
Fernando  de  Presas,  quartier  ordinaire  des  bandes  de 
Cortina,  où  elle  trouva  d'importants  approvisionnements; 
sept  pièces  d'artillerie  furent  découvertes  soit  dans  la  ville, 
soit  dans  les  environs  où  elles  étaient  embourbées.  Ayant 
appris  l'occupation  de  Matamores,  le  colonel  Dupin  laissa, 
pour  garder  San  Fernando,  un  bataillon  mexicain  mis  à 
sa  disposition  par  le  général  Mejia,  et  rétrograda  sur  Vit- 
toria ;  nulle  part  il  n'avait  rencontré  l'ennemi  et  l'on  pouvait 
croire  le  Tamaulipas  pacifié  ;  mais  en  réalité  les  guérillas 
s'étaient  simplement  dispersées  en  attendant  le  retour  de  la 
belle  saison. 


428  11^    PARTIE.  CHAPITRE   II. 

4864.  Il  est  incontestable  cependant  que  la  cause  de  l'empire 

avait  fait  d'importants  progrès.  Yidaurri  et  Quiroja  s'étaient 
enfin  décidés  à  faire  leur  soumission.  Yidaurri  fut  nommé 
conseiller  d'Etat  par  l'empereur  Maximilien.  Beaucoup 
d'autres  chefs  moins  importants  avaient  également  offert  de 
déposer  les  armes.  L'armée  de  Juarez  était  presque  entière- 
ment anéantie.  Dans  cette  dernière  campagne,  on  lui  avait 
enlevé  118  pièces  d'artillerie,  vingt  mille  projectiles,  un 
million  de  cartouches  ;  ses  moyens  de  guerre  ne  pouvaient 
être  reconstitués  de  longtemps. 

Le  maréchal  confia  la  garde  des  Etats  de  Nuevo  Léon  et 
de  Coahuila  et  du  district  de  Matamores  à  la  division  Mejia  ; 
le  colonel  Dupin  fut  nommé  gouverneur  du  Tamaulipas  ; 
quant  au  général  de  Castagny,  il  reçut  l'ordre  de  transpor- 
ter son  quartier  général  à  Durango,  pour  relever  la  brigade 
l'Hériller  qui  devait  prochainement  rentrer  en  France. 

Des  résultats  satisfaisants  furent  également  obtenus  dans 
les  provinces  centrales  de  Guanajuato  et  de  Zacatecas,  soit 
par  la  dispersion  des  bandes ,  soit  par  la  soumission  de 
leurs  chefs. 

Opérations  Daus  le  sud-oucst,  restait  encore  un  groupe  important  de 
jaiisco.  forces  libérales  provenant  du  corps  d'armée  d'Uraga.  Avant 
l'arrivée  de  l'empereur ,  des  pourparlers  avaient  été  enta- 
més avec  le  général  Uraga  ;  il  ne  partageait  pas  les  préven- 
tions de  la  plupart  de  ses  compatriotes  contre  l'étranger , 
et  croyait  que  l'influence  des  idées  européennes  pouvait 
être  utile  à  son  pays  ;  au  début  de  l'expédition  il  avait  don- 
né, comme  on  le  sait,  des  preuves  nombreuses  de  sympathie 
pour  la  France.  Cependant,  au  mois  de  mars  1864,  les  gé- 
néraux et  les  officiers  de  sa  division  signèrent  une  protes- 
tation formelle   contre  la    monarchie  ;  une  copie  de  ce 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE'.  429 

manifeste,  conçu  d'ailleurs  en  termes  modérés,  respectueux  i864 
même  pour  le  nom  de  l'empereur  Maximilien,  avait  été  en- 
voyée au  commandant  en  chef  par  le  général  Uraga.  En  lui 
exprimant  d'une  manière  fort  courtoise  son  attachement  aux 
principes  républicains,  il  ajoutait  que  sa  conviction  sincère 
était  que  «  la  monarchie  perdrait  le  Mexique  et  coûterait  cher 
à  laFrancei^)  »,  et  qu'il  désirait  sincèrement  voir  l'ordre,  la 
paix  et  la  tranquillité  rétablis  par  des  moyens  de  concilia- 
tion en  dehors  de  l'idée  monarchique  ;  après  l'arrivée  de 
l'empereur  Maximilien,  lorsque  l'empire  eut  obtenu  l'au- 
torité du  fait  accomph,  se  voyant  dans  l'impossibilité  de 
tenir  la  campagne  d'une  façon  honorable,  répugnant  à 
rester  à  côté  d'hommes  tels  que  Rojas,  Guttierrez  et 
quelques  autres  dont  les  actes  déshonoraient  la  cause 
républicaine,  le  général  Uraga  écrivit  qu'il  adhérait  à 
l'empire  et  prévint  le  général  Marquez  qu'il  traverserait 
ses  lignes,  pour  se  rendre  à  Léon,  avec  une  escorte  d'une 
centaine  de  cavaliers  ;  il  vit  l'empereur  lors  de  son  voyage 
dans  l'intérieur,  et,  comme  Vidaurri,  il  accepta  un  siège 
au  conseil  d'Etat.  Cinq  généraux  et  plusieurs  officiers 
suivirent  son  exemple  ;  quelques-uns  cherchèrent  à  re- 
joindre Juarez  et  furent  arrêtés  en  route  par  les  gué- 
rillas impérialistes  ;  d'autres  enfin  restèrent  à  la  tête  des 
troupes  qui  se  fractionnèrent  en  deux  groupes  princi- 
paux, l'un  sous  les  ordres  d'Arteaga,  l'autre  sous  ceux 
d'Etchegaray.  Resserrés  dans  un  espace  étroit  entre  les 
montagnes  duMichoacan,  Guadalajara  et  la  mer,  ces  chefs 
comprenaient  l'inutilité  de  leur  résistance  :  aussi  es- 
sayèrent-ils toujours,  sans  jamais  y  réussir,  de  percer  la 
ligne  des  postes  français  pour  gagner  les  provinces  du 

(')  Le  général  Uniga  au  général  Bazaine,  16  avril  l8iM. 


430  II*"  PARTIE.  —  CHAPITRE  II. 

4864.  nord  où  Jiiarez  avait  transporté  la  guerre.  Un  corps  de 
quatre  bataillons,  qui  tentait  de  s'ouvrir  une  issue  du  côté 
de  Cocula,  fut  complètement  battu  au  Chifflon  par  le  colo- 
nel Clinchant,  commandant  la  ligne  des  avant-postes  de 
Guadalajara,  et  perdit  environ  deux  cents  hommes,  six 
canons,  de  nombreux  prisonniers  (9  août).  Ces  troupes 
furent  donc  forcées  de  rester  dans  leurs  anciennes  positions 
au  sud  de  Zapotlan  ;  dès  que  la  saison  des  pluies  fut  passée, 
le  maréchal  prescrivit  au  général  Douay  de  concerter 
une  expédition  avec  le  général  Marquez,  afin  de  prendre 
possession  de  Colima  et  du  port  de  Manzanillo. 

Lg  15  octobre,  le  général  Douay  partit  de  Guadalajara, 
marchant  directement  au  sud  ;  sur  sa  droite  des  corps 
mexicains  devaient  observer  le  pays  jusqu'à  la  mer,  tandis 
que  le  général  Marquez ,  étabh  à  Zamora  avec  quinze 
cents  fantassins,  trois  cents  cavaliers  et  quelques  pièces 
d'artillerie,  couvrirait  sa  gauche  et  s'avancerait  par  la  route 
de  los  Reyes.  Cette  dernière  colonne  le  rejoignit,  le  26 
octobre,  à  Zapotitlic,  non  loin  des  volcans  de  Colima  (^). 

D'énormes  barrancas  prennent  naissance  dans  ces  mon- 
tagnes ;  les  plus  importantes,  celles  d'Atenquique  et  de 
Beltran,  ont  près  de  dix-sept  cents  mètres  de  profondeur. 
Aucune  voiture  ne  peut  les  traverser;  les  chemins  étroits 
et  rapides  tracés  sur  leurs  versants  ne  sont  praticables 
qu'aux  bêtes  de  somme.  Les  Mexicains  s'étaient  étabKs  en 
arrière  de  ces  immenses  tranchées  dont  leur  artillerie 
balayait  facilement  le  bord  opposé.  Il  eût  été  imprudent 
d'aborder  ces  obstacles  de  front  :  aussi  le  général  Douay, 
laissant  une  partie  de  sa  colonne  devant  les  barrancas  pour 


(')  Lo  volcan  de  Colima  est  à  3,800  miHres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer; 
le  Nevado,  munlagne  couverte  de  neiges  perpétuelles,  est  ù  4,300  mètres. 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  431 

occuper  et  surveiller  l'adversaire,  traversa  le  Rio  Coahua-  isei. 
nejo  dans  lequel  les  barrancas  viennent  déboucher  et, 
faisant  un  grand  détour  sur  sa  gauche,  il  suivit  un  chemin 
de  montagne  par  lequel  il  pouvait,  d'après  les  circons- 
tances, soit  prendre  la  position  à  revers,  soit  marcher 
directement  sur  Colima. 

Dès  que  l'ennemi  eut  connaissance  de  ce  mouvement,  il      Occupation 

de  Colima 

se  relira  précipitamment,  détruisit  son  matériel,  culbuta    (o  novembre), 

dans  les  ravins  ses  douze  pièces  de  grosse  artillerie,  et 

s'échappa  par  le  sentier  de  Javali  qui  contourne  le  volcan 

au  sud-ouest.  La  route  était  donc  ouverte  ;  le  5  novembre, 

le  général  Douay  se  rendit  à  Colima,  où  le  général  Marquez 

était  entré  déjà  depuis  trois  jours.  Il  y  laissa  les  troupes 

mexicaines  alliées,  et  rétrograda  aussitôt  pour  se  mettre  à 

la  poursuite  de  l'ennemi.  Trois  colonnes  convergèrent  sur 

Autlan  ;  les  Mexicains,  sous  les  ordres  du  général  Arteaga, 

marchant  avec  une  extrême   rapidité,  n'avaient  fait  que 

traverser  cette  ville;  ils  s'étaient  ensuite  concentrés  àTeco- 

lotlan,  et,  le  15  novembre,  on  apprit  inopinément  à  Gua- 

dalajara  qu'ils  avaient  coupé  la  ligne  d'avant-postes  entre 

Cocula  et  Ameca,  et  qu'ils  se  dirigeaient  à  marches  forcées 

vers  l'est.  Déjà  les  postes  franco-mexicains  de  cette  région 

avaient  été  plusieurs  fois  attaqués  par  les  bandes  de  Rojas 

et  de  Guttierrez,  qui  disposaient  alors  de  huit  cents  hommes 

et  de  deux  pièces  d'artillerie.   Le   général  Rivas  s'était 

même  trouvé  très-compromis  à  Ameca,  et  n'avait   été 

dégagé  que  par  l'arrivée  très-opportune  de  la  compagnie 

de  partisans  du  capitaine  Berthelin,  qui  tua  une  centaine 

d'hommes  à  l'ennemi  et  lui  enleva  cinquante  prisonniers 

et  un  canon  (7  novembre). 

Inquiet  pour  les  troupes  disséminées  dans  la  plaine,  le 
général  Neigre,  commandant  à  Guadalajara,  leur  donna 


432  II'    PARTIE.    CHAPITRE  II. 

<864;  l'ordre  de  se  replier  sur  Santa  Ana  Acallan,  et  envoya  pom- 
les  soutenir  une  colonne  sous  les  ordres  du  lieutenant- 
colonel  Lepage  ;  mais  un  détachement  de  quatre-vingts 
hommes,  s'étant  mal  éclairé,  fut  enlevé  dans  la  nuit  du  J6 
au  47.  La  compagnie  qui  occupait  le  poste  de  Santa  Ana, 
dissimulant  son  petit  nombre  à  la  faveur  de  l'obscurité, 
harcelait  au  contraire  les  Mexicains,  cherchait  à  entra- 
ver leur  marche ,  mettait  une  quarantaine  d'hommes  hors 
de  combat,  et  portait  le  désordre  dans  leurs  rangs. 

Le  lieutenant-colonel  Lepage  suivit  l'ennemi  qui  lon- 
geait le  bord  sud  du  lac  de  Chapala  ;  mais  comme  il  n'a- 
vait que  trois  cents  hommes,  il  ralentit  sa  marche  de 
manière  à  attendre  que  d'autres  colonnes  envoyées  par  le 
général  Douay  fussent  à  sa  hauteur. 

De  son  côté,  le  maréchal  fit  rapidement  descendre  un 
fort  détachement  de  Léon  sur  Jalpa,  pour  barrer  la  route 
du  nord. 

Le  général  Douay ,  averti  du  mouvement  d'Arteaga , 
dirigea  trois  détachements  sur  trois  chemins  parallèles. 
Le  lieutenant-colonel  Cottat  partit  de  Zapotlan  ;  le  colonel 
de  Potier  se  porta  de  Zacoalco  sur  Teoquitatlan  ;  le  colonel 
Clinchant  prit  une  direction  intermédiaire  entre  le  colonel 
de  Potier  et  le  lieutenant-colonel  Lepage.  Celui-ci  mar- 
chait sur  la  route  la  plus  rapprochée  du  lac  et  par  consé- 
quent de  l'ennemi;  cependant,  le  22  novembre  au  matin, 
il  entendit  le  canon  en  avant  de  lui.  C'était  le  colonel  Clin- 
chant  qui,  avec  deux  cent  cinquante  zouaves,  un  escadron 
de  chasseurs  et  deux  pièces  de  montagne,  avait  gagné  les 
Mexicains  de  vitesse  et  était  déjà  aux  prises  avec  eux.  Le 
21  au  soir,  après  une  marche  forcée,  il  était  arrivé  à  une 
lieue  et  demie  de  Jiquilpan,  où  se  trouvaient  campés  quatre 
mille  hommes  et  vingt  pièces  de  canon. 


LE    GÉNÉRAL    BAZAlNi".  433 

Après  avoir  fait  reposer  ses  hommes,  il  repartait  au  mi- 
lieu de  la  nuit,  et  vers  5  heures  du  malin,  il  abordait  un  petit 
plateau  au-dessus  de  Jiquilpan,  sur  lequel  l'ennemi  était  en 
position.  Tout  d'abord  son  avant-garde,  culbutant  les  pre- 
miers postes  à  la  baïonnette,  délivra  le  détachement  fran- 
çais fait  prisonnier  quelques  jours  avant,  puis  les  zouaves 
gravirent  la  hauteur  en  poussant  l'ennemi  devant  eux  ; 
pendant  un  moment,  ils  se  virent  entourés  de  tous  côtés, 
mais  une  charge  décisive  de  l'escadron  de  chasseurs  les 
dégagea  et  assura  le  succès.  Les  Mexicains  se  retirèrent  lais- 
sant un  grand  nombre  de  morts,  neuf  obusiers  de  mon- 
tagne, et  une  grande  quantité  de  munitions.  Un  général  et 
une  vingtaine  d'officiers  se  constituèrent  prisonniers.  Le 
colonel  Clinchant,  un  officier,  et  quinze  zouaves  furent 
blessés  ;  un  officier  et  six  zouaves,  tués. 

Le  lieutenant-colonel  Lepage  arriva  peu  après  le  combat. 
Le  colonel  de  Potier,  qui  avait  élargi  son  mouvement  vers 
le  sud,  se  trouvait  à  Tinguindinle  soir  même,  et  son  avant- 
garde  put  encore  atteindre  une  partie  des  forces  battues  le 
matin  à  Jiquilpan.  Le  corps  d'armée  d'Arleaga,  se  dispersa 
dans  les  montagnes  du  Michoacan,  où  il  renforça  les  guérillas 
qui  tenaient  ce  pays.  D'après  les  ordres  du  maréchal,  le  gé- 
néral Douay,  au  lieu  de  revenir  à  Guadalajara,  se  rendit  à 
Moreha  afin  de  s'occuper  de  la  pacification  de  cette  province. 

Le  général  Marquez,  qui  avait  pris  possession  de  Man- 
zanillo  le  18  novembre,  ne  crut  pas  devoir  y  laisser  de 
garnison  permanente  ;  il  répartit  sa  division  entre  Colima 
et  Za.potlan  sous  les  ordres  d'un  de  ses  lieutenants  ;  lui- 
même  revint  à  Mexico  et  fut  obligé,  ainsi  que  nous  l'avons 
dit,  de  partir  pour  l'Europe. 

Le  maréchal  regretta  qu'on  n'eût  pas  conservé  le  port  de 

Manzanillo,  car  les  ordres  venus  de  France  lui  prescrivant 

28 


Combat 
de  Jiquilpan 
22  no V.  4864). 


Evacuation 

(l'Acafiulco 

(li-déci'niliiv;. 


434  II"   PARTIl!).   CHAPITRE   II. 

4864.  d'occuper  Mazatlan,  il  dut  employer  à  cette  opération  les 
troupes  de  la  garnison  d'Acapulco,  et  l'escadre  allait  ainsi 
perdre  le  seul  port  de  relâche  qu'elle  possédât  sur  la 
côte  méridionale  du  Mexique.  Le  gouvernement  mexi- 
cain ne  jugeait  de  l'importance  d'Acapulco  qu'au  point 
de  vue  commercial  ;  c'était  lui,  comme  on  l'a  vu  précé- 
demment, qui  avait  provoqué  les  instructions  auxquelles 
le  maréchal  devait  obéir.  Il  est  vrai  que  le  revenu  des 
douanes  de  ce  port  était  à  peu  près  nul,  tandis  que  les  nom- 
breux navires,  qui  fréquentaient  Mazatlan,  y  acquittaient 
des  droits  considérables.  L'occupation  de  Mazatlan  était 
donc  utile,  mais  il  eût  fallu  conserver  également  Acapulco 
où  l'escadre  trouvait  des  ravitaillements,  du  charbon  et 
d'où  elle  pouvait  se  mettre  en  relations  avec  la  ligne  des 
paquebots  américains. 

Bien  que  ses  équipages  y  fussent  décimés  par  les  fièvres, 
que  la  Victoire  eût  près  de  cent  malades,  que  la  Pallas  en 
eût  deux  cents,  l'amiral  Bouët  tenait  à  l'occupation  d'Aca- 
pulco comme  à  une  question  de  première  nécessité.  Le  ca- 
pitaine de  vaisseau  de  Kergrist,  qui  le  remplaça  par  inté- 
rim, était  du  même  avis.  Le  maréchal  essaya  donc  de  con- 
server cette  position  en  donnant  l'ordre  au  général  Vicario, 
qui  était  à  Iguala,  d'y  envoyer  un  détachement  de  ses 
troupes.  Vicario  n'obéit  qu'à  regret  ;  il  lui  fallait  s^éloigner 
de  ses  propriétés,  s'exposer  à  un  climat  meurtrier,  et  affron- 
ter les  Indiens  Pintos  du  vieil  Alvarez,  dont  le  nom  seul 
inspirait  de  la  terreur  aux  Mexicains  des  plateaux.  Il  descen- 
dit cependant  vers  le  sud,  mais  arrivé  à  Chilapa,  où  l'ennemi 
était  renfermé,  il  tourna  autour  de  la  place  pendant  plu- 
sieurs semaines  sans  oser  l'attaquer,  finalement  se  fit  bous- 
culer dans  une  sortie,  et  se  replia  en  désordre.  Tout  espoir 
de  faire  arriver  des  troupes  mexicaines  à  Acapulco,  se  trou- 


LE    GÉNÉRAL    BAZAINE.  435 

vant  perdu,  le  maréchal  expédia  l'ordre  formel  et  définitif        ^86*- 
d'évacuation.  Le  14  décembre,  les  quatre  dernières  com- 
pagnies de  tirailleurs,  qui  restaient  dans  ce  port,  furent 
embarquées  et  transportées  à  Mazatlan,  où  se  trouvait  déjà 
l'autre  fraction  du  bataillon. 

Lorsque  s'acheva  l'année  1864,  l'armée  française  avait 
fait  reconnaître  l'autorité  impériale  sur  la  plus  grande 
partie  de  l'immense  territoire  du  Mexique,  de  nombreuses 
adhésions  s'étaient  manifestées,  et  cependant  l'existence 
de  l'empire  était  toujours  en  question.  C'est  qu'au- 
cune solution  n'avait  encore  été  donnée  aux  graves  diffi- 
cultés qui  divisaient  le  pays  ;  même  dans  les  villes  les  plus 
dévouées  au  nouveau  gouvernement,  on  sentait  que  les 
succès  militaires  des  troupes  françaises  étaient  les  seules 
bases  sur  lesquelles  reposât  l'édifice,  et  l'on  disait  partout 
que,  l'armée  française  partie,  l'empire  s'écroulerait.  Il  res- 
tait encore  à  pacifier  le  Michoacan,  à  chasser  Juarez  de 
Chihuahua,  à  occuper  les  ports  de  l'océan  Pacifique ,  et 
à  se  rendre  maître  de  la  province  d'Oajaca,  dans  laquelle 
Porfirio  Diaz  commandait  à  un  corps  important  de  troupes 
libérales  ;  ce  fut  la  tâche  que  le  maréchal  entreprit  avec 
l'année  nouvelle.  L'effectif  du  corps  expéditionnaire  s'éle- 
vait alors  au  chiffre  de  trente  mille  hommes  ;  les  volon- 
taires autrichiens  et  belges  commençaient  seulement  à 
arriver  au  Mexique,  et  l'on  ne  savait  quel  parti  il  serait 
possible  d'en  tirer  ;  du  reste,  aucune  organisation  sérieuse 
n'avait  encore  été  donnée  à  l'armée  mexicaine.  En  France, 
après  avoir  espéré  que  l'avènement  de  l'empereur  Maximi- 
lien  serait  le  signal  de  la  rentrée  successive  des  troupes, 
on  s'alarmait  aujourd'hui  de  voir  l'occupation  se  prolonger. 
Le  maréchal,  désireux  de  donner  quelque  satisfaction  au 


436  II"   PARTIE.  CHAPIIRE   II. 

<864.  sentiment  public,  renvoya  une  brigade  entière  :  le  l^"" ba- 
taillon de  chasseurs ,  le  99^  de  ligne ,  et  le  2«  zouaves , 
troupes  qui  étaient  arrivées  les  premières  au  Mexique.  La 
batterie  de  la  garde  était  déjà  partie.  L'empereur  Maxi- 
milien  et  l'impératrice  Charlotte  regrettaient  cette  mesure. 
Ils  se  rendaient  assez  exactement  compte  de  la  situation  et 
n'étaient  pas  rassurés  pour  l'avenir.  Dans  une  lettre  dont  il 
a  déjà  été  donnée  des  extraits  au  sujet  des  questions  reli- 
gieuses, l'impératrice  Charlotte  écrivait  : 

«  Le  fait  capital  est  que  Tarmée  diminue  et  avec  elle  la  force 

matérielle  du  gouvernement.  Je  crains  toujours  qu'on  ne  lâche  la 
proie  pour  l'ombre.  Certes,  le  corps  législatif  parlera  en  France, 
mais  il  ne  s'agit  que  de  discours  plus  ou  moins  sonores.  Tandis 
qu'ici,  ce  sont  des  faits  qui  peuvent  compromettre  le  succès  d'une 
œuvre  que  la  France  a  fondée,  et  qui  est  destinée  à  porter  le  nom 
de  Napoléon  III  aux  générations  futures.  Il  est  fort  beau  de  dire, 
comme  dans  le  parlement  anglais  :  Le  Mexique  est  si  bien  organisé 
qu'il  n'a  besoin  du  secours  de  personne.  Mais,  pour  ma  part,  je 
préfère  m'en  tenir  aux  réalités. 

«  Pour  civiliser  ce  pays-ci,  il  faut  en  être  complètement  maître,  et 
afin  d'avoir  ses  coudées  franches,  il  faut  pouvoir  tous  les  jours  réa- 
liser sa  force  en  gros  bataillons;  c'est  un  argument  qui  ne  se  dis- 
cute pas. 

t  Toute  la  force  que  l'on  n'est  pas  à  même  de  réaliser,  telle  que 
le  prestige,  l'habileté,  la  popularité,  l'enthousiasme,  n'a  qu'un  prix 

conventionnel,  ce  sont  les  fonds  qui  montent  et  qui  baissent il 

faut  des  troupes.  Les  Autrichiens  et  les  Belges  sont  très-bons  en 
temps  de  calme,  mais  vienne  la  tempête,  il  n'y  a  que  les  pantalons 
rouges;  s'il  m'est  permis  de  vous  dire  toute  ma  pensée,  je  crois 
qu'il  nous  sera  très-difficile  de  traverser  toutes  les  premières  crises 
vitales,  si  le  pays  n'est  pas  plus  occupé  qu'il  ne  l'est.  Tout  est  fort 
disséminé  et  il  me  semble  qu'au  lieu  de  rien  rappeler,  il  aurait 
peut-être  fallu  augmenter.  Je  crains  fort  que  le  maréchal  ne  se 
repente  de  n'avoir  pas  écrit  au  mois  d'octobre  ce  que  nous  lui 


LE    GÉNÉRAL   BAZAINE.  437 

avions  demandé.  Il  a  craint  du  mécontentement  en  France,  et  a,  je  -i864, 

crois,  échangé  un  petit  désagrément  contre  un  plus  grand.  Ceci  ~" 

n'est  pas  mon  opinion  toute  seule  que  je  n'oserais  avancer  avec  au- 
tant d'assurance,  c'est  celle  de  juges  compétents.  Ils  disent  qu'ils 
ne  sont  pas  rassurés  non  point  tant  à  cause  de  nous,  qu'à  cause  de 
Tarmée  ;  car  nous  pouvons  supporter  un  accroc,  personne  ne  s'en 
étonnerait,  mais  pas  les  armes  françaises  ;  nous  pouvons  au  besoin 
nous  retirer  comme  Juarez  dans  une  province  éloignée,  nous  pou- 
vons retourner  d'où  nous  sommes  venus;  mais  la  France  ne  peut 
pas  ne  pas  triompher,  parce  qu'elle  est  la  France  d'abord,  et  parce 
que  son  honneur  est  engagé.  » 


f 


('-.  .^l..^        l'A|,.Ml,l,i,n  .lu   M.-.,x,.,„.-    IHCl     [Mû      l'i.m.t... 


COMBAT  des  CUMBRES- 

(  26  Avril  186Z  ) 

COMBAT  delà  BARRANCA-SECA 


18  Mai  i8t)Z; 


■» 


?^ 


r''-''  ■:  "^ 


4€* 


Echelle  de  60000 


INDICATION  des  POSITIONS. 


Ti'oupes 

Fru/içaises 

Mexicaines     \    »^„„„„^ 

Inf^ 

Cav'^ 

i 

saisir  A,-!           lifesirr/i,- 

1 

CapUautf  JYiaa^  Jee. 


/rnpfJ>uff.eno^^ 


CHAPITRE  TROISIÈME. 


SOMMAIRE. 

Opérations  militaires  dans  la  province  d'Oajaca.  —  Siège  et  prise  d'Oajaca  (8 
février  1865.) —  Opérations  contre  les  guérillas  de  l'Etat  d'Oajaca,  de  la  Huas- 
teca ,  des  terres  chaudes  de  Vera-Cruz,  du  Michoacan,  de  l'Etat  de  Jalisco.  — 
Occupation  de  Mazatlan  (13  novembre  1864).  —  Marche  de  la  di\'ision  de 
Castagny  de  Durango  à  Mazatlan.  —  Combat  de  l'Espinazo  del  Diablo  (1"  jan- 
vier 1863).  —  Combat  de  Veranos  (11  janvier).  —  Occupation  de  Guaymas  de 
Sonora  (29  mars).  —  Agitation  dans  les  pro\ànces  du  nord.  —  Mouvement  de 
Negrete,  de  Chihuahua  sur  Saltillo,  Monterey,  et  Matamoros.  —  Appréhensions 
d'une  intervention  des  Etats-Unis.  —  Forces  militaires  à  la  disposition  du  ma- 
réchal Bazaine.  —  Mésintelligence  entre  le  gouvernement  mexicain  et  les  au- 
torités françaises.  —  Etat  des  finances. —  Emprunts. 

Avant  la  fin  de  l'année  1864,  l'influence  française  ne      Opéraiions 

militaires  dans 

s'était  pas  encore  fait  sentir  dans  les  provinces  au  sud      i^  province 

d'Oajaca. 

de  Puebla;  les  Etats  de  Guerrero,  d'Oajaca,  et  de  Chiapas 
n'avaient  pas  reconnu  l'autorité  impériale. 

Porfirio  Diaz,  un  des  meilleurs  généraux  du  parti  répu- 
blicain, s'était  établi  à  Oajaca,  avec  un  corps  de  troupes 
assez  considérable  qu'il  entretenait  facilement  à  l'aide 
des  ressources  de  cette  riche  province.  La  présence  de 
ces  forces  ennemies  à  peu  de  distance  de  la  grand'route 
de  Vera-Cruz,  obligeait  le  maréchal  à  conserver  des 
postes  importants  sur  cette  ligne  de  communication,  et 
entravait  les  progrès  de  la  pacification  parmi  les  popula- 


440  11^  PARTIE.  CHAFITllE  111. 

-1864.  lions  de  ces  contrées  généralement  bien  disposées  pour 
l'empire  ;  mais,  avant  de  s'engager  dans  une  expédition 
contre  Porfirio  Diaz,  il  désirait  attendre  que  les  opérations 
entreprises  dans  le  nord  eussent  été  menées  à  bonne  fin, 
et  qu'il  lui  fût  possible  de  disposer  d'un  nombre  de  troupes 
sufïisant  pour  réduire  toute  résistance. 

Oajaca  est  situé  à  cent  vingt  lieues  de  Mexico  et  à  quatre- 
vingt-dix  lieues  de  Puebla  ;  il  fallait  tout  d'abord  ouvrir 
une  route  carrossable  pour  le  passage  des  convois.  C'est 
dans  ce  but,  et  aussi  avec  l'intention  d'arrêter  les  in- 
cursions de  l'ennemi  dans  les  districts  pacifiés  de  l'état 
de  Puebla,  que  le  maréchal  avait,  dès  le  mois  de  juillet 
1864,  prescrit  au  général  Brincourt,  commandant  supé- 
rieur de  Puebla,  de  se  porter  à  Huajuapan  à  cinquante 
lieues  au  sud  de  Puebla  et  d'y  établir  un  poste  de  deux 
bataillons.  En  même  temps,  une  colonne  française  devait 
s'avancer  d'Orizaba  sur  Teotitlan,  une  colonne  mexicaine 
marcher  d'Atlixco  sur  Tlapa,  enfin  la  brigade  Vicario 
s'efforcerait  de  descendre  de  Guernavaca  sur  Chilapa.  Le 
maréchal  espérait,  par  ce  mouvement  combiné,  resserrer 
Porfirio  Diaz  dans  la  province  d'Oajaca. 

Le  général  Brincourt  se  dirigea  donc  sur  Huajuapan 
qu'il  occupa  sans  résistance  le  l^""  août  ;  le  même  jour,  le 
colonel  Giraud,  parti  d'Orizaba,  entrait  à  Teotitlan  ,  au 
lieu  de  s'y  arrêter,  il  poursuivit  son  mouvement  vers  San 
Juan  de  los  Cueïs  en  laissant  plusieurs  petits  détache- 
ments derrière  lui. 

Porfirio  Diaz  se  trouvait  alors  sur  la  ligne  d'Iïuajuapan  ; 
dérobant  sa  marche  à  travers  les  montagnes,  il  se  porta 
vers  Teotitlan,  et,  le  10  août,  à  la  tête  de  deux  mille 
hommes,  il  tomba  inopinément  sur  le  village  de  San  An- 
tonio où  se  trouvait  une  compagnie  du  7''  do  ligne,  tandis 


Lli   MARÉCHAL   BAZAINii.  441 

que  son  frère  Félix  Diaz  (surnommé  el  Ghato),  avec  six  ^864. 
cents  fantassins,  cent  cinquante  cavaliers,  et  trois  canons, 
attaquait  une  autre  compagnie  à  l'hacienda  d'Ayotla.  Les 
détachements  français,  commandés  par  d'énergiques  offi- 
ciers, résistèrent  vigoureusement,  cependant  ils  eussent 
succombé  sous  la  supériorité  du  nombre,  sans  la  prompte 
arrivée  de  quelques  renforts.  L'ennemi  subit  des  pertes 
sensibles  ;  les  troupes  françaises  eurent  cinq  morts  et  une 
trentaine  de  blessés.  Dix  cavaliers  mexicains  alliés  se  firent 
bravement  tuer  à  côté  d'elles. 

Le  colonel  Giraud,  revenu  à  Teotitlan,  se  préparait  à 
rétrograder  sur  Orizaba  ;  ayant  appris  que  Porfirio  Diaz  mé- 
ditait une  nouvelle  attaque,  il  arrêta  son  mouvement;  le 
17  août,  le  général  Brincourt  rejoignit  le  colonel  Giraud,  et 
ne  pouvant  résister  au  désir  de  poursuivre  l'ennemi,  bien 
que  le  maréchal  ne  l'y  eût  pas  autorisé,  il  poussa  jusqu'à 
Nochistlan  situé  à  trente-cinq  lieues  de  Tehuacan  et  à 
vingt  lieues  environ  d'Oajaca.  Il  se  croyait  même  assez 
fort  pour  enlever  cette  ville,  mais  il  fut,  contre  son  gré, 
forcé  de  céder  aux  injonctions  formelles  du  comman- 
dant en  chef.  Le  maréchal  Bazaine  s'opposait  à  cette 
expédition  parce  qu'il  n'avait  que  fort  peu  de  monde 
sous  la  main,  et  qu'il  lui  aurait  été  impossible  de  soute- 
nir le  général  Brincourt,  en  cas  d'insuccès  ;  de  plus  il 
était  nécessaire  de  renforcer  les  colonnes  engagées  dans 
le  nord  ;  le  mouvement  vers  Oajaca  fut  donc  arrêté,  une 
garnison  fut  laissée  à  Yanhuitlan  dans  une  excellente  po- 
sition militaire  ;  les  autres  troupes  rétrogradèrent.  On 
continua  de  faire  activement  travailler  aux  routes;  des 
corvées  d'Indiens  y  furent  employées  sous  la  direction  des 
ofticiers  français  pendant  les  mois  de  septembre,  d'octobre, 
et  de  novembre  1864  ;  comme  le  temps  manquait  pour 


442  II*  PARTIE.  CHAPITRE    III. 

4864.  des  études  nouvelles  sur  le  terrain,  on  se  contenta  d'élar- 
gir le  chemin  muletier  et  d'en  adoucir  les  pentes  les  plus 
roides  ;  la  tâche  était  déjà  des  plus  difficiles  ;  il  y  avait 
d'énormes  crevasses  à  franchir,  et  souvent  les  gorges 
étaient  si  étroites  qu'il  fallait  cheminer  dans  le  lit  même 
des  torrents,  entre  les  hautes  murailles  granitiques  qui 
les  encaissent.  A  la  fin  du  mois  de  novembre,  les  tra- 
vaux étaient  cependant  assez  avancés  pour  que  des  voi- 
tures pussent  arriver  jusqu'à  Yanhuitlan.  C'est  à  cette 
époque  que  furent  repris  les  projets  contre  Oajaca.  Une 
forte  colonne  des  trois  armes  fut  organisée  sous  les  ordres 
du  général  Courtois  d'Hurbal,  commandant  l'artillerie  du 
corps  expéditionnaire. 

La  colonne  principale,  les  convois,  et  un  parc  de  siège 
s'acheminèrent  par  la  grand'route  de  Puebla  à  Yanhuitlan  ; 
deux  autres  petites  colonnes  légères  furent  dirigées  sur 
Oajaca  ;  l'une,  partant  d'Orizaba,  suivit  le  chemin  muletier 
de  Teotitlan;  l'autre,  partant  de  Mexico,  eut  l'ordre  de 
passer  par  Cuernavaca,  Morelos,  et  Matamoros,  afin  de 
rassurer  les  populations  de  ces  contrées,  alarmées  par 
quelques  échecs  récents  des  forces  mexicaines  alliées  ;  elle 
devait  rejoindre  le  général  Courtois  d'Hurbal  à  Acatlan. 

Le  système  de  défense  d'Oajaca  était  analogue  à  celui 
de  Puebla  ;  presque  toute  la  population  avait  quitté  la  ville 
qui  était  couverte  de  retranchements  et  de  barricades.  Les 
maisons  de  l'enceinte  extérieure  ayant  été  démolies,  leurs 
décombres,  amoncelés  dans  les  maisons  de  la  deuxième 
ligne,  formaient  d'immenses  parapets  de  maçonnerie  aux- 
quels de  solides  couvents  servaient  de  réduit.  Un  fort 
carré  de  construction  ancienne  dominait  la  ville  ;  Porfîrio 
Diaz  avait  fait  élever  des  ouvrages  en  terre  sur  les  hau- 
teurs voisines.  Il  disposait  d'environ  sept  mille  hommes, 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  443 

dont  trois  mille  de  troupes  régulières,  le  reste  formé  par         ^864. 
des  contingents  de  montagnards,  tireurs  habiles,   qu'on 
avait  armés  de  rifles  américains,  et  ardents  libéraux,  fort 
attachés  à  Juarez,  leur  compatriote. 

Le  frère  de  Porfirio  Diaz  commandait  en  outre  un  corps 
de  sept  cents  cavaliers  ;  l'un  et  l'autre  déployaient  la  plus 
grande  énergie  et  ne  reculaient  devant  aucune  considé- 
ration pour  organiser  la  résistance.  Ils  avaient  enlevé 
les  vases  sacrés  des  églises  pour  les  convertir  en  argent, 
et  les  cloches  pour  fondre  des  boulets  ou  s'en  servir 
comme  fougasses  en  avant  des  retranchements.  Ils  avaient 
ruiné  non-seulement  les  maisons  de  la  ville,  mais  encore 
un  grand  nombre  de  propriétés  suburbaines  ;  aussi  l'ani- 
mosité  des  Indiens  était-elle  à  son  comble. 

Ces  hommes  doux  et  paisibles,  habitant  les  riches  vallées 
de  cette  pro\dnce,  propriétaires  ou  usufruitiers  de  la  terre 
qu'ils  cultivent,  bien  moins  soumis  que  dans  les  autres  par- 
ties du  Mexique  à  la  domination  tyrannique  des  hacenderos 
et,  par  suite,  vivant  dans  une  meilleure  condition,  étaient 
intéressés  au  maintien  de  l'ordre  et  de  la  tranquilhté.  Le 
pillage  de  leurs  églises,  l'enlèvement  de  leurs  cloches  les 
avaient  vivement  indisposés  contre  les  libéraux  ;  ils  accueil- 
lirent avec  une  joie  non  déguisée  l'arrivée  des  colonnes 
françaises  et  vinrent  en  grand  nombre  travailler  aux  routes  ; 
ils  répondirent  toujours  avec  empressement  à  l'appel  qui 
leur  fut  fait  par  les  autorités  impérialistes,  et  se  prêtèrent 
volontiers  et  sans  apparence  de  servilité,  à  toutes  les  cor- 
vées que  nécessitait  le  passage  des  convois  dans  les  endroits 
difficiles. 

Le  12  décembre,  le  général  Courtois  d'Hurbal  atteignit 
Yanhuitlan  ;  au  delà  de  ce  poste,  la  route  n'était  pas  encore 
ouverte  ;  il  fallait,  pour  descendre  dans  la  vallée  d'Oajaca» 


444  11'  PARTIE.  CHAPITRE  111. 

im.  franchir  une  sierra  difficile,  et  c'était  là  que  les  plus  grands 
obstacles  attendaient  les  colonnes.  Tout  le  matériel  roulant 
fut  laissé  à  Yanhuitlan  ;  suivi  seulement  des  troupes  lé- 
gères, le  général  se  porta  en  avant  pour  organiser  les  ate- 
liers de  travailleurs  sur  les  routes  et  reconnaître  les  posi- 
tions de  l'ennemi. 

A  douze  lieues  d'Yanhuitlan,  au  rancho  de  las  Minas,  un 
ravin,  profond  de  plusieurs  centaines  de  mètres  et  encaissé 
entre  des  berges  presque  verticales,  coupe  la  route  ;  d'un 
côté,  la  descente  n'a  pas  moins  de  cinq  kilomètres  de  déve- 
loppement ;  sur  le  bord  opposé,  la  disposition  des  escar- 
pements ne  permet  pas  d'en  adoucir  les  pentes  ;  après  les 
•  travaux  qui  furent  exécutés,  elles  conservèrent  encore  une 
rapidité  excessive  qui  atteignait  en  certains  endroits  0",40 
par  mètre.  La  colonne  légère  passa  néanmoins  sans  trop 
de  peine;  le  17  décembre,  elle  fit  sa  jonction,  à  San  Fran- 
cisco Huitzo,  avec  celle  qui  venait  d'Orizaba  et  dont  les 
guérillas  de  Figueroa  avaient  essayé  de  gêner  la  marche.  Le 
lendemain,  on  rencontra,  en  avant  d'Ella,  les  grand'gardes 
ennemies  ;  elles  se  replièrent  après  un  combat  de  quelques 
instants,  dans  lequel  furent  tués  un  ofïicier  et  six  cavaliers 
du  peloton  français  d'avant-garde.  Le  général  Courtois 
d'Hurbal  s'établit  à  Etla,  à  quatre  lieues  d'Oajaca;  pendant 
que  l'on  travaillait  à  préparer  l'arrivée  du  parc  de  siège,  il 
fit  autour  de  la  place  des  reconnaissances  préliminaires  qui 
amenèrent  plusieurs  engagements. 

Les  démonstrations  des  colonnes  françaises  et  les  prépa- 
ratifs ostensibles  d'un  siège,  ne  paraissant  pas  décider  Por- 
firio  Diaz  à  quitter  Oajaca,  le  maréchal  se  résolut  à  prendre 
la  direction  de  cette  opération  dont  l'importance  s'accusait 
chaque  jour  de  plus  en  plus,  il  prépara  l'envoi  de  nouveaux 
renforts,  et  emmenant  avec  lui   quelques  escadrons,  il 


LK    MARÉCHAL    BAZ    INE.  445 

franchit  en  douze  jours  les  cent  vingt-cinq    lieues  qui         ^8C3. 
séparent  Mexico  cl'Etla  ;  il  rejoignit  le  général  Go^irtois 
d'Hurbal  le  15  janvier  1863  ('). 

Au  prix  d'incessants  travaux  et  d'efforts  inouïs,  la  plus 
grande  partie  du  matériel  de  siège  avait  été  amenée  dans 
la  vallée  d'Oajaca.  De  nombreux  attelages  de  bœufs  et  plu- 
sieurs centaines  d'Indiens  ayant  été  réunis  au  ravin  de  las 
Minas,  on  avait  pu  descendre  les  chariots  de  parc  tout 
chargés,  en  enrayant  complètement  les  roues  et  en  appli- 
quant cinquante  hommes  par  voiture  à  des  cordes  de  re- 
traite, mais  il  avait  été  impossible  de  leur  faire  gravir  la 
pente  opposée.  On  dut  vider  les  caissons  d'artillerie,  et 
transporter  les  projectiles  et  les  cartouches  à  dos  de  mulet 
jusqu'au  sommet  de  la  pente;  on  attela  quatre  et  quelque- 
fois cinq  paires  de  bœufs  à  chaque  pièce  ;  quarante  à 
cinquante  hommes  poussaient  aux  roues  ou  tiraient  à  des 
cordes  fixées  au  joug  des  bœufs  et  aux  anses  des  canons  ; 
sans  le  concours  de  ces  nombreux  auxiliaires ,  il  eût 
été  probablement  impossible  de  triompher  des  difficultés 
exceptionnelles  qui  se  présentèrent. 

Lorsque  le  maréchal  prit  le  commandement  direct,  il 
avait  sous  sa  main  :  deux  bataillons  du  3«  zouaves,  douze 
compagnies  du  régiment  étranger,  un  bataillon  d'infanterie 
légère  d'Afrique,  une  compagnie  de  zouaves  montés,  trois 
escadrons  de  cavalerie  française,  commandés  par  le  général 
de  Lascours,  quatre  escadrons  mexicains,  une  batterie  de  4, 
une  batterie  de  12,  quatre  sections  d'artillerie  de  montagne, 
et  une  compagnie  du  génie.  En  attendant  l'arrivée  des 
grands  convois  qu'il  avait  mis  en  route  avant  son  départ, 
il  fit  investir  la  place.  Il  établit  son  quartier  général  à  l'ha- 

(I)  Le  colonel  Osmont,  cliof  d'étcat-major  général,  accompagnait  le  maréchal. 


446  Tl"    PARTIE.  CHAPITRE   III. 

'1865.  cienda  Blanca,  et  commença,  le  17  janvier,  à  faire  tour- 
ner la  ville  simultanément  par  le  nord  et  par  le  sud.  Le 
bataillon  d'Afrique,  passant  par  le  nord,  devait  franchir, 
au  col  de  Tres-Gruces,  le  contrefort  montagneux  à  l'extré- 
mité duquel  étaient  établis  les  ouvrages  qui  dominaient  la 
ville  ;  les  postes ,  chargés  de  garder  les  hauteurs,  dispu- 
tèrent le  passage,  cependant  on  s'établit  le  même  jour  au 
village  de  San  Felipe,  et  l'on  coupa  l'aqueduc  qui  fournit 
les  eaux  à  la  ville. 

L'investissement  se  compléta  les  jours  suivants  ;  pour 
suppléer  à  l'insufFisance  du  corps  de  siège,  le  maréchal  or- 
donna que  chaque  petit  poste  se  couvrirait  par  des  travaux 
de  campagne  de  façon  à  pouvoir  soutenir  pendant  quelque 
temps  l'eftbrt  d'une  troupe  supérieure  ;  il  fit  élever  des  bar- 
ricades sur  toutes  les  avenues  et  tracer  une  hgne  de  cir- 
convallation  autour  de  la  place;  on  profita  des  obstacles 
naturels  toutes  les  fois  qu'on  le  put  et,  partout  ailleurs,  on 
creusa  une  tranchée  ;  les  Indiens  vinrent  en  grand  nombre, 
moyennant  salaire,  concourir  à  ces  travaux.  Le  développe- 
ment de  cette  hgne  avait  trente-sept  kilomètres,  pour  la 
surveillance  desquels  on  comptait  moins  de  quatre  mille 
hommes.  L'ennemi,  qui  s'était  laissé  enfermer  sans  trop 
s'en  rendre  compte,  fut  ainsi  privé  de  toute  communica- 
tion avec  l'extérieur  ;  il  aurait  pu  sans  doute  forcer  ce 
faible  cordon,  mais  les  travaux  de  circonvallation  devaient 
assez  retarder  la  marche  d'une  colonne  pour  que  les 
troupes  d'investissement  eussent  le  temps  de  se  concentrer 
et  de  se  mettre  à  sa  poursuite.  La  cavalerie  de  Félix  Diaz, 
sortie  de  la  place  au  commencement  du  mois,  tenta  inuti- 
lement d'y  rentrer;  l'artillerie  des  forts  et  des  couvents 
essaya,  sans  y  réussir,  de  gêner  les  travaux  ;  le  22  janvier 
seulement,  Porfirio  Diaz  disputa  l'occupation  de  l'hacienda 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  447 

de  l'Aguilera.  La  position  resta  aux  troupes  françaises  ;        486o. 
le  maréchal ,  qui  n'avait  pas  ordonné  de  prendre  pos- 
session de  ce  point,  ne  voulut  pas  y  exposer  un  poste; 
l'hacienda  fut  évacuée  et  l'on  se  contenta  d'établir  des 
embuscades  aux  abords. 

La  place  devait  être  attaquée  par  les  hauteurs  du  nord, 
en  même  temps  que  des  cheminements  seraient  commencés 
dans  la  plaine  sur  plusieurs  directions.  Les  ouvrages  dé- 
fensifs  de  l'ennemi  étaient  assez  importants  pour  exiger 
dans  une  certaine  mesure  le  développement  des  opérations 
d'un  siège  régulier.  Quatre  grands  couvents,  placés  aux 
quatre  points  cardinaux  de  la  ville,  formaient  en  quelque 
sorte  les  bastions  d'un  vaste  réduit  carré,  dont  une  double 
ligne  de  barricades  et  de  maisons  fortifiées  représentaient 
les  courtines.  C'étaient  au  nord  :  les  couvents  contigus  de 
San  Domingo  et  de  Carmen  ;  à  l'est  :  le  couvent  de  la 
Merced  ;  au  sud  :  San  Francisco  ;  à  l'ouest  :  la  Soledad.  De 
l'artillerie  en  armait  les  terrasses  ;  les  murs  des  cours  et 
des  chambres  étaient  percés  de  créneaux  ;  des  communica- 
tions couvertes  les  reliaient  entre  eux  et  avec  le  centre  de 
la  ville. 

Des  ouvrages  permanents  ou  des  retranchements  s'éta- 
geaient  sur  les  hauteurs  dont  ils  couronnaient  les  sommets. 

Sur  le  Cerro  de  la  Soledad,  à  170  mètres  au-dessus  de 
la  place  d'armes,  s'élevait  un  fort  carré  en  maçonnerie, 
appelé  fort  Zaragoza  ;  à  deux  cents  mètres  en  avant,  était  un 
ouvrage  en  terre  appelé  la  Libertad  ;  à  onze  cents  mètres 
plus  au  nord  et  à  deux  cent  quatre-vingt-dix  mètres  au- 
dessus  de  la  place,  le  l^""  Cerro  du  Dominante  était  défen- 
du par  une  redoute  carrée  en  terre  ;  enfin  le  2^  Dominante, 
à  quatre  cents  mètres  du  précédent,  portait  un  ouvrage 
ouvert  à  la  gorge  et  une  flèche  encore  inachevée.  Ces  for- 


4865. 


448  II"   PARTIE.  CHAPITRE    III. 

tifications  étaient  protégées  par  un  système  complet,  et  fort 
judicieusement  établi,  de  fougasses,  trous  de  loup,  petits 
piquets,  réseaux  de  fil  de  fer  et  de  cordes  de  cuir. 

Les  convois  de  vivres  et  de  munitions  et  les  dernières 
troupes  étant  arrivées  à  la  fin  du  mois  de  janvier,  le  maré- 
chal disposait  de  : 

4,000  hommes  d'infanterie, 

200  sapeurs  du  génie, 

500  cavaliers, 

800  artilleurs. 


Total.  .  5,500  combattants,  et  environ  cinq  cents 
hommes  des  services  administratifs.  Il  avait  en  outre  trois 
cents  cavaliers  mexicains  alliés,  une  centaine  d'cxplora- 
dores  (volontaires  du  pays),  une  section  du  génie,  et  une 
demi-section  d'artillerie  mexicaines. 

Le  matériel  d'artillerie  était  considérable  ;  on  avait  ras- 
semblé un  parc  de  douze  pièces  de  12  de  siège  approvi- 
sionnées à  trois  mille  coups,  huit  canons  de  4  de  montagne, 
et  six  mortiers  de  divers  calibres. 

La  tranchée  fut  ouverte,  le  l^""  février,  sur  la  crête  étroite 
qui  relie  les  cerros  Dominante  au  col  de  Très  Cruces,  à 
douze  cents  mètres  du  saillant  des  ouvrages  avancés  ;  mais 
les  cheminements  ne  se  continuèrent  pas  régulièrement  (*). 
Presque  aussitôt,  une  batterie  fut  commencée  à  mille  mètres 
de  l'ennemi  et  la  communication  en  arrière,  avec  le  dépôt 
de  tranchée,  se  fit  à  découvert  par  un  sentier  à  peu  près 
défilé  des  vues  de  l'artillerie.  Deux  autres  batteries  furent 
construites  sur  les  hauteurs  voisines  appelées  cerro  Mojote 
et  cerro  Pelado.  Elles  ouvrirent  le  feu  le  4  février,  tandis 

(*)  Les  travaux  du  génie  du  siège  d'Oajaca  furent  diriges  par  le  colonel 
Doutrelainc,  sous  les  ordres  du  général  Vialla.  Le  général  Courtois  d'Hurbal  fut 
spécialement  chargé  do  l'allaquc  sur  les  Iiauleurs. 


LE    MARÉCHAL   BAZAINP:.  449 

que  dans  la  plaine,  la  ligne  d'investissement  se  resserrait        -isgo. 
chaque  nuit  et  que  les  zouaves,  avec  leur  audace  tradition- 
nelle et  leur  intelligente  initiative,  s'avançaient  peu  à  peu 
dans  les  faubourgs  mêmes  de  la  ville. 

Une  gabionnade  fut  établie,  dans  la  nuit  du  5  au  6  février, 
à  moins  de  trois  cents  mètres  du  cerro  Dominante,  et  trans- 
formée le  lendemain  en  batterie  de  mortiers  dont  le  tir  eut 
une  grande  efficacité,  bien  qu'ils  fussent  placés  à  une  cin- 
quantaine de  mètres  en  contre-bas.  L'ennemi  couvrait  les 
tranchées  d'obus,  de  mitraille  et  de  balles  ;  dans  la  nuit  du 
5  au  6  et  dans  la  journée  suivante,  il  tira  plus  de  quatre 
cents  coups  de  canon  sur  l'étroit  espace  où  se  faisaient  les  ^, 
travaux  d'approche  ,   mais  quelques   hommes  seulement  ^j  "^'-^ 

furent  atteints.  >a  .Z 

Le  roc  affleurant  presque  partout,  il  était  difficile  de  <i:>-*/ 

pousser  les  cheminements  plus  loin  :  aussi  le  maréchal  ré-  -^ 

solut-il  de  tenter  une  attaque  de  vive  force  ;  il  donna  l'ordre 
de  livrer  l'assaut  le  9,  au  point  du  jour;  les  troupes  étaient 
déjà  massées  dans  lestranchées^  lorsque  le  général  Porfirio 
Diaz,  après  avoir  demandé  une  capitulation  qui  lui  fut  re- 
fusée, se  présenta  en  personne  au  quartier  général  et  rendit 
la  place  à  discrétion. 

Un  plus  beau  résultat  ne  pouvait  être  obtenu  avec  moins 
de  sacrifices.  Quatre  mille  prisonniers,  soixante  pièces  de 
canon,  un  matériel  de  guerre  important  tombaient  entre 
les  mains  des  troupes  françaises,  dont  les  pertes  ne  se  mon- 
taient qu'à  huit  ou  dix  tués  et  à  une  trentaine  de  blessés. 
Les  habiles  dispositions  du  maréchal  Bazaine  se  trouvaient 
couronnées  d'un  plein  succès. 

Le  général  Porfirio  Diaz,  les  officiers,  et  une  partie  des 
soldats  furent  dirigés  sur  Puebla  ;  mais,  comme  il  était  dif- 
ficile de  conserver  un  aussi  grand  nombre  de  prisonniers, 

29 


450  II"  PARTIE.  —  CHAPITRE  III. 

-1863.        le  maréchal  remit  en  liberté  la  plupart  des  soldats  enrôlés 

~  de  force;  ceux  qui  appartenaient  aux  provinces  éloignées 

de  Sinaloa  et  de  Sonora  y  furent  renvoyés  par  les  soins  des 

autorités  impériales  ;  d'autres  furent  incorporés  dans  les 

troupes  mexicaines  alliées. 

Après  quelques  jours  de  repos,  le  maréchal  reprit  la 
route  de  Mexico  avec  la  plus  grande  partie  de  ses  troupes. 
Il  rentra  dans  la  capitale  le  25  février  (^). 

On  apprit,  vers  la  même  époque,  que  Tehuantepec  venait 
d'être  occupé  par  des  partisans  de  l'empire.  Des  armes  et 
des  munitions  leur  furent  envoyées. 

Opérations  Le  général  Mangin  C^)  restait  à  Oajaca  avec  deux  batail- 

ronf ro 

les  guérillas  lons  du  régiment  étranger  et  le  bataillon  d'infanterie  légère 
l'Etat  d'Oajaca.  d'Afriquc.  Son  premier  soin  fut  d'y  rappeler  les  habitants 
que  le  siège  avait  chassés  et  de  les  encourager  à  recons- 
truire leurs  demeures  pour  la  plupart  détruites,  non  par  le 
feu  des  batteries  de  siège,  mais  bien  par  suite  de  l'impi- 
toyable exigence  des  chefs  mexicains  qui,  ayant  sacrifié 
toute  autre  considération  aux  nécessités  de  la  défense  et 
transformé  cette  riche  cité  en  un  amas  de  décombres,  ne 
s'étaient  pas  fait  pardonner  leur  vandalisme  en  poussant  la 
résistance  jusqu'à  ses  dernières  limites.  Le  général  Mangin 
se  préoccupa  ensuite  de  faire  reconnaître  l'autorité  impé- 
riale dans  toute  l'étendue  de  la  province,  où  ne  se  trouvaient 
plus  d'autres  forces  ennemies  que  le  corps  de  cavalerie  de 
Ghato  Diaz  et  les  guérillas  de  Figueroa. 

Chato  Diaz,  sorti  d'Oajaca  au  commencement  de  janvier, 

(1)  Du  1'^'  juillet  18G4  jusqu'au  i'=''  mai  1865,  on  dépensa  en  transports  pour 
les  expéditions  sur  Oajaca,  1,806,000  francs,  qui  furent  imputés  aux  finances 
mexicaines. 

(2)  Le  colonel  Mangin,  du  3"  zouaves,  avait  reçu,  quelques  jours  auparavant 
sa  nomination  île  L'énéral. 


LE    MABÉCHAL    BAZAINE.  /J5l 

avait  battu  le  pays  à  d'assez  grandes  distances,  et  cherché        m6. 
à  inquiéter  la  marche  des  convois  du  corps  de  siège  ;  il  ~ 

avait  tenté  des  coups  de  main  sur  Huajuapan  et  sur  Tehua- 
can  ;  repoussé  par  les  gardes  rurales  mexicaines,  il  se 
replia  sur  Teotitlan  et  se  jeta  dans  la  Sierra  d'Ixllan  où  ses 
forces  ne  tardèrent  pas  à  se  disperser.  Des  colonnes,  en- 
voyées dans  cette  région  et  dans  le  district  de  Villa-Alta, 
purent  sans  difficultés  installer  les  autorités  impériales  et 
organiser  des  troupes  locales  ;  mais  Figueroa,  avec  ses  con- 
tingents, dominait  toujours  le  pays  au  nord-est  de  Teo- 
titlan. Son  quartier  général  était  établi  dans  les  montagnes 
voisines  de  Huehuellan. 

Le  général  Mangin  essaya  de  détruire  ce  centre  de  ré- 
sistance. Le  lo  mars  au  matin,  après  une  pénible  marche 
de  nuit  de  treize  lieues,  il  attaqua  les  hauteurs  d'Huehuet- 
lan  ;  les  premières  positions  furent  rapidement  enlevées , 
mais  un  épais  brouillard  vint  paralyser  l'élan  des  assaillants 
et  permit  à  l'ennemi  de  battre  en  retraite.  Les  fortifications 
furent  rasées  ;  un  poste  d'observation  fut  laissé  à  Teotitlan 
pour  surveiller  les  guérillas  dont  le  voisinage  était  dan- 
gereux et  gênant. 

Les  populations  qui  vivent  dans  les  pays  de  montagnes 
et  d'un  accès  difficile  sont  généralement  plus  jalouses 
de  leur  indépendance  et  plus  énergiques  que  celles  des 
terres  basses  ;  les  guérilleros  trouvent  dans  ces  régions 
des  refuges  où  il  est  presque  impossible  de  les  forcer.  Il 
fallait  donc,  ou  négocier  la  soumission  des  chefs,  ou  se 
borner  à  occuper  les  défilés  des  Sierras,  afin  de  ga- 
rantir la  tranquillité  des  habitants  de  la  plaine,  en  gé- 
néral plus  paisibles  et  disposés  à  se  soumettre  à  n'im- 
porte quelle  autorité,  pourvu  qu'ils  eussent  la  possibilité 
de  vaquer  à  leur  négoce  ou  à   leurs  travaux  agricoles. 


452  H*   l'ARTIE.  CHAPITRE    III. 

4865.        Il  en  fut  ainsi  presque  partout  au  Mexique,  dans  la  pro- 
""  vince  d'Oajaca  comme  dans  le  Michoacan,  dans  le  Sinaloa, 

et  dans  laHuasteca. 

Guérillas  Lgs  mauvaises  dispositions  des  ministres  de  l'Empereur 

de  laHuasteca.  ^y^^^  £jj-|.  ^chouer  les  pourparlers  entamés  avec  les  chefs  de 
cette  dernière  contrée,  les  hostilités  recommencèrent. 
Le  8  décembre  1864,  l'ennemi  attaqua  une  première  fois 
Zacatlan  ;  il  en  fut  repoussé.  Quelque  temps  après,  les  gué- 
rillas, ayant  réuni  quinze  cents  hommes,  triomphèrent  delà 
résistance  que  leur  opposaient  les  habitants  de  cette  petite 
ville.  Le  maréchal,  fort  mécontent  de  voir  que  le  gouver- 
nement mexicain  n'avait  pas  voulu  accepter  les  conditions 
de  soumission  offertes  par  les  chefs  du  pays  insurgé,  était 
résolu  à  ne  plus  envoyer  de  troupes  dans  la  Huasteca  ;  il 
lui  était  difficile  cependant  de  refuser  tout  concours  aux  po- 
pulations qui  s'armaient  d'elles-mêmes  et  demandaient  à 
être  soutenues.  L'ordre  fut  donné  aux  commandants  des 
postes  français  de  Tulancingo  et  de  San  Juan  de  Los  Llanos 
d'appuyer  les  gardes  rurales.  Zacatlan  fut  repris  (27  dé- 
cembre 1864);  toutefois  le  capitaine  Hurtel,  commandant 
supérieurde  Tulancingo,  dépassa  les  intentions  du  comman- 
dant en  chef;  à  la  tête  de  quatre  compagnies  du  2^  zouaves, 
il  tenta  une  expédition  dans  le  cœur  même  de  la  Sierra 
d'Huauchinango.  Le  28  janvier,  il  attaqua  l'ennemi  au  col  de 
Tres-Cruces,  et,  après  l'avoir  délogé  de  cette  position,  il  se 
porta  vers  Pehuatlan  ;  les  guérilleros  occupèrent  alors  toutes 
les  crêtes  voisines  et  dirigèrent  sur  la  colonne  française  une 
fusillade  si  meurtrière  qu'elle  dut  rétrograder.  La  retraite 
se  fit  sous  une  pluie  de  balles,  mais  avec  calme  et  en  bon 
ordre,  comme  il  convenait  à  ces  vigoureux  soldats  dont  la 
valeur  avait  été  maintes  fois  éprouvée  ;  quatre  officiers  et 


LE    3IAUÉCUAL    BAZALNE.  453 

huit  zouaves  tombèrent  mortellement  frappés ,  un  officier         ises. 
et  vingt-six  hommes  furent  blessés  ;  le  détachement  s'ar^ 
rêta  quelques  instants  au  sommet  du  col,  puis  rentra  au 
milieu  de  la  nuit  à  Acazuchitlan. 

A  la  même  époque,  le  premier  détachement  des  volon- 
taires autrichiens  entrait  en  campagne.  Sur  un  ordre  direct 
de  l'empereur  MaximiUen,  qui  était  en  désaccord  avec  le 
maréchal  relativement  à  l'opportunité  des  opérations  dans 
la  Huasteca,  le  major  Rodolich  marcha  sur  Tesuitlan,  au 
nord  de  Jalapa,  et  enleva  la  place  après  un  brillant  combat 
(6  février)  ;  ce  fut  un  heureux  début  pour  ces  nouveaux 
contingents.  Le  17  février,  un  détachement  autrichien 
et  une  petite  colonne  française  s''emparèrent  également 
de  Zacapoaxtla  où  l'ennemi  avait  repris  position  ;  mais 
le  mois  suivant,  cinquante  hommes  tombèrent  dans  une 
embuscade  à  Xochiapulco  ;  vingt-trois  hommes  furent 
tués  et  les  autres  faits  prisonniers  (19  mars).  Il  fallut 
renouer  les  négociations  avec  les  chefs  ennemis;  on  con- 
clut un  armistice  et  les  prisonniers  furent  rendus  à  Tulan- 
cingo  le  6  avril. 

Cette  suspension  d'armes,  dont  la  durée  fut  de  plusieurs 
mois,  correspond  à  une  période  d'assez  grande  tranquillité 
dans  les  provinces  cenUales  du  Mexique.  En  effet,  l'Etat 
d'Oajaca  venait  d'être  pacifié  presque  complètement,  les 
Etats  de  Puebla,  de  Mexico,  de  Queretaro,  de  Guanajuato, 
de  San  Luis  étaient  fort  paisibles. 

Dans  l'Etat  de  Vera-Gruz,  Daquin,  l'un  des  principaux       Gucniias 

des 

chefs  des  guérillas,  s'était  soumis.  Seules  les  bandes  du  Rio    terres  chaudes 

(Je 

Blanco  continuaient  à  donner  quelque  inquiétude.  Un  cer-      vera-cruz. 
tain  nombre  de  prisonniers  de  guerre  de  la  garnison  d'Oa- 
jaca rendus  à  la  liberté  ou  qui  s'étaient  échappés,  et  des 


'  Il     PARTIE.  CHAPITRE  III. 

'ises.  hommes  provenant  des  auxiliaires  mexicains  des  terres 
chaudes,  licenciés  d'après  les  ordres  de  l'empereur  Maxi- 
mihen,  avaient  notablement  grossi  leurs  rangs.  La  garde 
rurale  d'Alvarado  avait  fait  défection.  Pour  arrêter  les 
progrès  de  l'ennemi,  le  chef  de  bataillon  Maréchal,  com- 
mandant supérieur  de  Vera-Gruz,  se  porta  sur  le  Rio  Blanco 
avec  cent  Autrichiens,  cent  vingt  Egyptiens  et  une  trentaine 
de  cavaliers  mexicains.  Il  s'empara  de  Tlaliscoyan,  le  26 
février,  à  la  suite  d'un  violent  combat,  puis  il  enleva  la 
position  du  Gocuite;  mais,  le  2  mars,  il  tomba  dans  une 
embuscade  au  Gallejon  de  la  Laja  et  y  fut  tué  avec  vingt- 
cinq  de  ses  soldats.  La  petite  colonne  revint  à  Vera- 
Gruz,  emmenant,  non  sans  peine,  vingt-sept  blessés  que 
l'excessive  chaleur  faisait  affreusement  souffrir.  Du  reste 
cet  insuccès  ne  compromit  en  rien  la  situation  générale 
des  terres  chaudes. 

Guérillas  Dans  le  Michoacan,  les  bandes  deRomero  venaient  d'être 

du  Michoacan.    J^|^^.^j^gg  .  j^^  partie  de  cette  province,  voisine  du  Rio  de 

Lerma,  avait  retrouvé  quelque  sécurité  ;  mais,  à  l'ouest 
et  au  sud,  les  guérillas  s''étaient  renforcées,  depuis  l'ar- 
rivée dans  ce  pays  des  forces  d'Arteaga  chassées  de  l'Etat 
de  Jalisco. 

Jusqu'au  mois  de  décembre  1864,  aucune  opération 
d'ensemble  n'avait  été  entreprise  contre  les  bandes  du 
Michoacan.  Le  général  Marquez ,  qui  commandait  à 
Morelia ,  ayant  trop  peu  de  troupes ,  s'était  borné  à 
protéger  un  rayon  assez  restreint  autour  du  chef-lieu 
de  la  province,  et  à  placer  des  garnisons  sur  quelques 
points,  à  Zitacuaro  entre  autres  qui  était  le  lieu  de  con- 
centration ordinaire  des  bandes  ennemies,  lorsqu'elles 
tentaient  un  mouvement  du   côté  de   l'Etat  de  Mexico. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  4S5 

Au  mois  de  juin  1864,  Riva  Palacio   s'était   avancé 
jusqu'à  Toluca. 

Les  guérillas  de  cette  région  avaient  un  effectif  de  plus 
de  deux  mille  hommes.  Elles  attaquèrent  Zitacuaro  et  déter- 
minèrent les  détachements  mexicains  alliés  à  leur  aban- 
donner cette  position  (8  août).  Le  général  en  chef  prescrivit 
d'en  reprendre  possession,  ce  qui  eut  lieu  le  25  août.  Ro- 
mero  reparut  cependant  dans  la  vallée  de  Toluca,  pilla 
plusieurs  haciendas,  et  réussit  à  se  dérober  à  toutes  les 
poursuites.  Il  fallait  mettre  à  l'abri  des  insultes  de  l'en- 
nemi la  route  que  l'empereur  Maximilien  devait  parcou- 
rir, lors  de  son  voyage  dans  l'intérieur.  Une  colonne 
mobile,  composée  d'une  compagnie  de  zouaves  et  de  qua- 
rante-cinq chasseurs  d'Afrique,  fut  donc  envoyée  de 
Mexico  sous  les  ordres  du  capitaine  de  La  Hayrie;  les  zoua- 
ves furent  montés  sur  des  mulets,  afin  de  pouvoir  suivre 
la  cavalerie  et  d'être  encore  à  même,  après  une  longue 
étape,  de  faire  une  marche  de  nuit,  ou  de  tenter  un  coup 
de  main  dans  les  montagnes.  Cette  organisation  donna 
d'excellents  résultats  et  fut,  dans  la  suite,  appliquée  à 
quelques  autres  compagnies. 

Dans  une  affaire  de  nuit  à  Irimbo,  Crescendo  Morales, 
un  des  chefs  les  plus  influents,  ayant  été  tué,  sa  mort 
amena  la  soumission  d'un  grand  nombre  de  villages 
(13  octobre)  ;  l'Empereur  passa  sans  être  inquiété. 

Le  capitaine  de  la  Hayrie  continua  de  battre  le  pays  avec 
les  troupes  mexicaines  des  colonels  Lamadrid  et  Valdez. 
Le  l^""  novembre,  une  rencontre  eut  lieu  entre  les  contin- 
gents aUiés  et  la  bande  de  Romero.  Yaldez,  sur  la  fidélité 
duquel  on  pouvait  compter,  fut  blessé  mortellement  ;  son 
fils  prit  le  commandement  à  sa  place  et  fit  défection,  mais 


4863. 


456  11°  PARTIE.  CHAPITRE  111. 

i86s.  une  compagnie  de  partisans,  envoyée  à  sa  poursuite,  re- 
prit une  partie  du  matériel  et  les  deux  pièces  d'artillerie 
de  cette  troupe  (9  janvier).  Quant  à  Romero,  il  fil  sans 
succès  une  tentative  sur  Toluca  (25  décembre),  et  rentra 
dans  les  montagnes  de  Zitacuaro, 

L'expédition  sur  Colima  ayant  dégarni  le  Michoacan, 
on  ne  put  mener  les  opérations  dans  cette  région  aussi 
activement  qu'il  eût  été  nécessaire.  Au  mois  de  décem- 
bre, l'arrivée  des  troupes  de  la  2*^  division  d'infanterie 
permit  de  s'en  occuper  de  nouveau.  Le  quartier  général 
de  cette  division  fut  établi  à  Morelia  le  27  décembre; 
le  général  Douay,  rentrant  en  France  (11  janvier),  re- 
mit le  commandement  provisoire  au  colonel  du  Preuil, 
qui  parcourut  le  pays  entre  Tacambaro,  Ario,  Taretan, 
Uruapan,  Tancitaro  et  Patzcuaro  ;  il  laissa  des  garnisons 
mexicaines  à  Taretan  et  à  Uruapan.  D'un  autre  côté,  le  co- 
lonel de  Potier,  placé  avec  un  bataillon  du  81*  de  ligne  à 
Maravatio,  entrait  en  campagne  dans  les  montagnes  voi- 
sines de  Zitacuaro  ;  il  fractionna  sa  colonne  en  détache- 
ments qui  atteignirent  plusieurs  fois  l'ennemi ,  et  le 
31  janvier,  avec  une  compagnie  du  81*^  de  ligne,  deux 
pelotons  de  cavalerie,  et  les  cavaliers  mexicains  alliés  de 
Lamadrid,  il  surprit  à  Apacingan  les  bandes  réunies  de 
Komero.  Deux  cents  hommes  furent  tués,  cent  soixante  faits 
prisonniers,  tous  les  autres  dispersés.  Un  nombre  consi- 
dérable de  chevaux,  d'armes  et  de  munitions  tombèrent 
entre  les  mains  du  détachement  franco-mexicain,  qui 
perdit  seulement  quelques  blessés.  Romero  était  au 
nombre  des  prisonniers.  11  fut  conduit  à  Mexico,  déféré  à 
une  cour  martiale  pour  crimes  de  brigandage  et  d'assas- 
sinats, et  passé  par  les  armes  avec  deux  de  ses  officiers. 
L'empereur  Maximilien  fit  grâce  aux  autres. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  457 

Dans  l'ouest  et  le  sud  du  Miclioacan.  les  résultats  ne  ^863. 
furent  pas  aussi  complets.  Le  général  Neigre,  ayant  pris  le 
commandement  le  2  février,  organisa  une  ligne  d'avanl- 
postes  à  Tacambaro,  Ario  et  Acuitzeo,  pour  garantir  Morelia 
contre  les  entreprises  des  troupes  d'Arteaga.  Le  20  février, 
un  détachement  de  deux  compagnies  de  zouaves  se  heurta 
à  los  Reyes  contre  huit  cents  hommes.  Les  auxiliaires 
mexicains  ayant  lâché  pied,  il  fut  forcé  de  rétrograder 
laissant  aux  mains  de  l'ennemi  un  officier  grièvement 
blessé  et  deux  zouaves  qui  furent  d'ailleurs  traités  avec 
égards  et  recueillis,  quelque  temps  après,  par  une  colonne 
française.  Comme  nous  l'avons  dit,  la  pacification  de  l'Etat 
de  Michoacan  offrait  des  difficultés  toutes  particulières,  . 
par  suite  de  la  configuration  du  pays  et  de  la  possibilité 
pour  les  guérillas  de  se  ravitailler  et  de  se  reformer  dans 
la  vallée  du  Rio  de  las  Balzas. 

Presque  au  même  moment,  dans  l'Etat  de  Jalisco,  les  Guériiia? 
bandes  de  Simon  Guttierres,  d'Herreira  Gairo  et  de  Rojas  l'Etat  d^jaii 
étaient  atteintes  par  les  colonnes  légères  françaises.  Rojas, 
le  bandit  le  plus  redouté  du  pays,  avait  été  surpris,  le 
28  janvier,  à  Potrerillos  par  la  compagnie  de  partisans 
de  Guadalajara.  Il  avait  été  tué  ainsi  que  soixante 
hommes;  un  obusier,  cinq  cents  chevaux  et  mulets, 
cinq  cents  armes, sept  mille  piastres,  une  grande  quantité 
de  matériel  furent  pris  dans  son  camp,  et  la  tranquillité 
revint  dans  cette  province.  Plusieurs  généraux  du  parti 
libéral  avaient  déposé  les  armes  (*)  ;  l'ennemi  cédait 
partout  devant  les    troupes   françaises ,    et   il    semblait 


'•)  Les  généraux  Komulo  del  Valle,   Etchegaray ,  Solis,   Xcri.    Juliu  Garcia. 
Herreira  y  Cairo,  liront  leur  soumission  à  ceUe  t'^oque. 


458  II*  PARTIE.  —  CHAPITRE    III. 

-1865.        alors  que  l'influence  de  l'empire  faisait  de  sérieux  pro- 
grès. 

ci?MaSn  Mazatlan  venait  d'être  occupé  ;  on  ne  pouvait  supposer 
(i3nov.  1864).  encorc  que  la  soumission  des  provinces  de  Sinaloa  et  de 
Sonora  dût  rencontrer  des  difficultés  particulières,  et  le 
maréchal  avait  assez  de  confiance  dans  l'avenir  pour  son- 
ger à  renvoyer  d'autres  troupes  en  France.. 

A.U  commencement  de  l'année  1864,  la  Cordelière  ^\?iit 
essayé  de  canonner  Mazatlan  ;  mais  son  artillerie  ayant 
une  portée  inférieure  à  celle  de  la  place,  elle  reçut  une 
dizaine  de  boulets  dans  sa  coque  ou  dans  sa  mâture,  et 
fut  obligée  de  se  retirer  sans  avoir  obtenu  aucun  résultat. 

Les  opérations  sérieuses  contre  Mazatlan  n'eurent  lieu 
qu'au  mois  de  novembre  1864.  M.  le  capitaine  de 
vaisseau  de  Kergrist,  commandant  par  intérim  l'escadre 
du  Pacifique,  prit  deux  des  compagnies  de  tirailleurs 
algériens  de  la  garnison  d'Acapulco  et  les  conduisit 
d'abord  à  San  Blas,  où  elles  furent  rejointes  par  le 
commandant  Munier  et  un  détachement  venu  de  Mexico. 
Le  13  novembre,  il  débarqua  ces  troupes  à  Mazatlan, 
qui  fut  occupé  après  une  canonnade  de  quelques  ins- 
tants, par  deux  cent  vingt  tirailleurs  algériens  et  cent 
cinquante  marins. 

Le  général  Lozada,  à  la  tête  de  trois  mille  Indiens,  s'était 
avancé  de  Tepic  par  la  route  du  Rosario,  afin  d'appuyer 
cette  opération.  L'état  de  la  mer  n'avait  pas  permis  aux  bâ- 
timents de  se  rapprocher  assez  de  la  côte  pour  entrer  en 
relations  avec  lui;  mais  dès  qu'il  entendit  le  canon,  il  se 
porta  vivement  sur  Mazatlan,  et  sa  cavalerie  atteignit  en- 
core quelques  troupes  de  l'arrière-garde  ennemie  ;  le 
général  Lozada  ne  pouvait  maintenir  longtemps  ses  con- 


LE    5IARÉCHAL    BAZAINE.  459 

tingents  sur  pied  ;  il  lui  fallut  ramener  ses  Indiens  dans  '•ses. 
leurs  villages  où  les  appelaient  les  travaux  des  champs, 
et  la  garnison  de  Mazatlan,  forte  de  trois  cents  hommes  à 
peine,  se  trouva  livrée  à  ses  propres  forces  ;  elle  ne  tarda 
pas  à  être  étroitement  bloquée  dans  la  place.  Le  11  dé- 
cembre, un  corps  de  quatorze  cents  hommes  menaça  la 
ville,  et  s'avança  à  portée  de  canon  des  remparts.  Un 
renfort  de  deux  cent  trente  tirailleurs  montés  étant 
arrivé  le  16  décembre,  le  commandant  Munier  en  pro- 
fita pour  rompre  le  cercle  qui  l'enveloppait  ;  il  sortit  le 
lendemain  et  culbuta  ks  avant-postes  ennemis.  Mais 
un  regrettable  événement  survint  alors  et  rendit  sa  po- 
sition plus  difficile  en  portant  un  coup  sérieux  au  pres- 
tige des  armes  françaises.  Une  compagnie  de  tirailleurs 
algériens ,  forte  de  soixante-huit  hommes ,  avait  été 
envoyée  à  bord  du  Lucifer  pour  aider  à  l'installation  des 
autorités  impériales  à  Culiacan.  Le  20  décembre,  M.  le 
capitaine  de  frégate  Gazielle  la  conduisit  à  Altata  et 
débarqua  lui-même  avec  une  compagnie  de  marins  et 
deux  obusiers.  Il  se  dirigea  sur  Culiacan  avec  une  troupe 
mexicaine  de  quatre  cents  hommes  sous  les  ordres  du 
général  Cortez.  Le  22  décembre,  l'ennemi,  commandé 
pai  Rosalès,  fut  rencontré  à  San  Pedro,  à  six  lieues  de 
Culiacan.  Les  auxiliaires  alliés  ne  tinrent  pas,  et,  après 
un  combat  de  deux  heures,  le  détachement  français  se  vit 
forcé  de  se  rendre.  Quatre-vingt-cinq  hommes,  dont  sept 
officiers,  furent  faits  prisonniers.  Le  général  Cortez  s'é- 
chappa. 

Le  général  Vega,  qui  soutenait  la  cause  de  l'empire 
dans  le  nord  de  l'Etat  de  Sinaloa,  venait  également  de 
tomber  entre  les  mains  des  libéraux;  Patoni  le  fit  fu- 
siller (16  décembre). 


460  II'  PARTIE.  —  CllAl'llRE    III. 

186a.  La  situation  pouvait  devenir  grave,  mais  des  colonnes 

Mai7he  importantes  allaient  prochainement  arriver  de  Durango.  Le 
de'^Castagiy  de  général  de  Gastagny  avait  reçu  l'ordre  de  transporter  son 
à  nSba.  quartier  général  à  Mazatlan  et  préparait  les  moyens  de  faire 
passer  ses  troupes  à  travers  les  montagnes  abruptes  de  la 
Sierra  Madré  du  Pacifique.  Les  habitants  de  Durango,  dont 
les  intérêts  commerciaux  étaient  fort  étroitement  liés  au 
rétabhssement  des  communications  avec  la  mer,  le  secon- 
dèrent en  fournissant  des  subsides  pour  les  réparations  du 
chemin  qui  conduit  à  Mazatlan.  La  distance  entre  ces  deux 
villes  est  de  80  lieues,  et  le  sentier  qui  les  unit  est  à  peine 
praticable  pour  les  convois  de  mulets.  Des  pentes,  que  la 
durelé  du  roc  ne  permet  pas  d'adoucir,  s'accentuent  en 
certains  endroits  jusqu'à  45  degrés  ;  les  pierres  roulantes, 
le  peu  de  largeur  du  sentier,  les  précipices  qui  le  bordent, 
en  rendent  les  passages  fort  périlleux,  même  pour  les  pié- 
tons et  les  bêtes  de  somme.  Au  fond  des  gorges  qui  sépa- 
rent les  chaînons  parallèles  des  montagnes,  coulent  des 
ruisseaux  dont  les  gués  n'ont  d'ordinaire  que  quarante  à 
soixante  centimètres  d'eau,  mais  que  la  moindre  pluie 
transforme  en  torrents  infranchissables.  Enfin,  jusqu'à 
Durasnito,  situé  à  cinquante  lieues  de  Durango,  on  ne 
rencontre  aucun  village,  aucune  ressource  ;  au  delà,  le  pays 
est  moins  pauvre,  mais  les  bandes  de  Corona  l'avaient 
dévasté,  et  les  habitants  se  déclaraient  tous  hostiles  à  l'in- 
tervention française.  Ces  obstacles  ne  devaient  pas  néan- 
moins empêcher  l'expédition.  Le  18  novembre,  un  déta- 
chement avait  été  envoyé  jusqu'à  Durasnito  pour  diriger 
les  travaux  de  réparations  de  la  route,  pendant  que  le  l'^rba- 
taillon  de  chasseurs,  le  ol*^  et  le  62°  de  ligne,  destinés  à 
cette  opération,  se  concentraient  à  Durango. 

Une  avant-garde  de  trois  compagnies,  sous  les  ordres  du 


-180", 


LE    MARÉCHAL    BAZAINK.  ^61 

lieutenant-colonel  Deplanque,  commença  le  mouvement  le 
18  décembre;  elle  fut  suivie  le  22  par  une  première  co- 
lonne de  deux  bataillons  du  31%  commandée  par  le  colonel 
Garnier.  Le  quartier  général  avec  un  bataillon  et  un  esca- 
dron se  mit  en  route  le  26  ;  enfin,  une  dernière  colonne 
partit  le  4  janvier.  Chacune  de  ces  fractions  était  accompa- 
gnée d'un  grand  convoi  de  mulets  chargés  de  vivres  et  de 
munitions  ;  on  emmena  des  troupeaux  et  l'on  emporta  des 
fours  de  campagne,  de  manière  à  pouvoir  distribuer 
chaque  jour  du  pain  aux  hommes  et  leur  permettre  de 
surmonter  les  fatigues  qu'on  allait  affronter. 

Aux  difficultés  inhérentes  à  une  marche  dans  de  pareilles 
montagnes,  par  d'étroits  sentiers  taillés  en  corniche,  où 
l'on  devait  se  suivre  à  la  file,  et  où  le  moindre  faux  pas  pou- 
vait coûter  la  vie,  vinrent  s'ajouter  d'autres  souffrances 
physiques,  conséquence  de  la  raréfaction  de  l'air  et  du 
froid  qui  règne  dans  ces  régions  à  3,000  mètres  au-dessus 
du  niveau  de  la  mer  0).  Enfin,  à  l'endroit  le  plus  difficile, 
sur  une  crête  à  laquelle  son  âpreté  a  fait  donner  le  nom 
de  rEspinazo  del  Diablo,  les  bandes  de  Gorona  attendaient 
les  colonnes  et  s'apprêtaient  à  leur  disputer  le  passage.  L'a- 
vant-garde s'arrêta. 

Le  colonel  Garnier  la  rejoignit  bientôt,  et  le  l^^janvier  au  ^^  ^,g'^^^\\  j^j 
matin,  il  lança  trois  détachements  à  l'assaut  de  cette  for-  ^^,,  ja^nî.^'ks). 
midable  position  ;'* celui  qui  devait  l'aborder  de  front  ren- 
contra des  obstacles  insurmontables,  mais  les  deux  autres, 
gravissant  résolument  les  rochers  sans  répondre  au  feu  des 
■  gens  de  Gorona,  atteignirent  les  redoutes  derrière  lesquelles 
ils  étaient  abrités,  les  attaquèrent  à  la  baïonnette,  et  les 

(1)  Pendant  la  nuit,  le  thermomètre  descend  à  plusieurs  degrés  au-dessous  de 


462 


ir   PARTIE. 


CHAPITRE  III. 


4865. 


Combat 
de  Veranos 
(11  janvier). 


poursuivirent  de  sommet  en  sommet.  Onze  barricades  ou 
retranchements  furent  ainsi  enlevés  ;  l'ennemi  eut  une  cen- 
taine d'hommes  hors  de  combat  ;  la  colonne  française 
compta  dix  tués  et  trente-neuf  blessés.  Les  jours  suivants, 
et  jusqu'à  l'arrivée  à  Mazatlan,  les  guérillas  ne  cessèrent  de 
harceler  la  marche  de  cette  première  colonne,  mais  aucun 
combat  sérieux  ne  fut  plus  livré. 

Le  général  de  Castagny  suivait  de  près  le  colonel 
Garnier.  A  son  passage  à  Veranos,  il  laissa  une  com- 
pagnie de  chasseurs  à  pied  pour  garder  les  communi- 
cations avec  Durango.  La  nuit  suivante  (10  au  11  janvier) 
ce  détachement  fut  attaqué,  il  résista  énergiquement  ;  mais 
le  feu  ayant  été  mis  aux  maisons  voisines  du  réduit,  il  dut 
chercher  son  salut  en  se  faisant  jour  à  la  baïonnette. 
Quelques  hommes  seulement  réussirent  dans  cette  tentative 
désespérée  et  se  réfugièrent  dans  les  bois^»  les  autres  furent 
faits  prisonniers.  Dès  qu'il  apprit  ce  malheur,  le  général  de 
Castagny  rétrograda  et  put  encore  sauver  quatorze  soldats 
et  deux  officiers  ;  on  releva  dix-sept  cadavres;  le  reste  avait 
été  pris  et  emmené.  Tandis  qu'on  enterrait  les  morts,  quatre 
cents  cavaliers  firent  soudain  irruption  dans  le  village 
qu'ils  traversèrent  au  galop;  une  division  de  chasseurs 
d'Afrique  sauta  immédiatement  à  cheval  et  les  poursuivit 
pendantdeuxheues,  leur  sabrantune  soixantaine  d'hommes; 
cette  charge,  si  vigoureusement  menée,  coûta  la  vie  au  chef 
d'escadron  de  Montarby  qui  la  commandait  et  à  un  chas- 
seur; un  officier  fut  blessé.  Le  général  de  Castagny  fit  en- 
tièrement brûler  le  village  de  Veranos,  dont  il  accusait  les 
habitants  de  connivence  avec  les  guérilleros.  Corona,  de  son 
côté,  mit  ses  prisonniers  à  mort  et  laissa  leurs  corps  (^)  sans 


(1)  Cinquante  hommes,  d'après  le  rapport  de  Corona. 


LE    MARÉCHAL   BAZAI>E.  463 

sépulture.  C'est  ainsi  que   fut  inaugurée  dans  l'Etat  de         ]S6b. 
Sinaloa  une  guerre    qui  allait  être  implacable  et  sans  "" 

merci. 

Arrivé  à  Mazatlan  le  13  janvier,  le  général  de  Castagny, 
se  conformant  aux  ordres  du  maréchal,  renvoya  le  ba- 
taillon de  tirailleurs  algériens  à  San  Blas,  et  bien  qu'il  n'eût 
avec  lui  que  :2,800  hommes,  il  organisa,  pour  battre 
les  environs,  deux  colonnes  mobiles,  fortes  chacune  de 
six  compagnies,  d'une  section  d'artillerie  de  montagne, 
et  de  quelques  cavaliers.  Ces  détachements  ne  purent  ja- 
mais joindre  l'ennemi;  familiarisés  avec  la-contrée,  dont 
ils  connaissaient  tous  les  chemins  et  tous  les  couverts,  les 
guérilleros  insultaient  presque  chaque  jour  le  bivouac  des 
colonnes  et  osaient  même  venir,  jusqu'aux  portes  de  Ma- 
zatlan, enlever  les  mules  au  pâturage  ;  ils  étaient  les  maîtres 
du  pays  et  trouvaient  de  l'appui  chez  presque  tous  les 
habitants. 

Cependant  la  population  du  district  de  la  rsoria,  au 
nord-est  de  Mazatlan,  ayant  témoigné  le  désir  de  vivre 
en  paix  avec  les  Français,  le  général  de  Castagny  lui 
envoya  une  garnison;  au  contraire  il  donna  mission  au 
colonel  Cottret  de  se  rendre  dans  le  district  de  San  Se- 
bastien, compris  entre  les  Rios  de  Mazatlan  et  du  Rosario, 
et  de  raser  le  pays  dont  les  habitants  étaient  partisans  de 
Gorona.  Le  rancho  de  Baron,  le  village  de  Malpica,  la  petite 
ville  de  San  Sebastien  furent  livrés  aux  flammes,  puis 
ensuite  San  José  Matatlan,  Copala,  où  l'ennemi  essaya  de  se 
défendre,  et  Guacimas.  Une  autre  colonne  détruisait  au 
même  moment  el  Verde,  Santa  Catalina,  Naranjas,  Zigue- 
ros,  et  Jacobo,  où  furent  retrouvés  les  corps  des  prisonniers 
de  Yeranos. 

Ces  exécutions,  loin  de  comprimer  les  mauvaises  dispo- 


i865. 


464  11'"  PARTIE,  CHAPITRE  ill. 

sitions  du  pays,  augmentèrent  encore  l'acharnement  des 
guérillas  ;  les  détachements  envoyés  en  reconnaissance  et 
les  postes  permanents  placés  à  La  Noria  et  à  Mesillas, 
étaient  continuellement  aux  prises  avec  elles.  Les  intérêts 
des  populations  agricoles  de  la  plaine  les  amenaient,  dans 
plusieurs  endroits,  à  demander  la  protection  des  troupes 
françaises  pour  s'occuper  de  leurs  travaux  de  culture  et 
sauver  leurs  récoltes  ;  quelques  villages  organisaient  même 
des  gardes  rurales  ;  mais  les  habitants  des  districts  mi- 
niers et  montagneux  de  Gopala,  de  Panuco  et  de  Petaca 
fournissaient  aux  chefs  libéraux  des  hommes  et  des  res- 
sources. 

Le  maréchal ,  espérant  que  le  général  Lozada ,  dont 
l'influence  était  considérable  le  long  de  la  côte  du  Paci- 
fique, pourrait  être  un  utile  auxiliaire  dans  le  Sinaloa, 
lui  demanda  de  venir  de  nouveau  prêter  son  concours 
au  général  de  Gastagny.  Le  5  avril,  Lozada  arriva  en 
effet  au  Rosario  avec  ses  contingents,  et,  quelques  jours 
après,  battit  complètement  un  corps  de  quinze  cents 
hommes  que  Corona  conduisait  contre  lui  ;  en  peu  de  temps, 
il  parvint  à  organiser,  dans  les  régions  bien  disposées,  un 
millier  d'hommes  de  gardes  rurales,  tandis  que  le  lieute- 
nant-colonel Cottret  poursuivait  ses  opérations  dans  les  dis- 
tricts hostiles  et  détruisait  encore  Panuco,  Petaca,  Sanla 
Lucia  et  Charcos.  Guzman,  un  des  lieutenants  de  Corona, 
fit  sa  soumission  ;  Corona  lui-même  quitta  momentanément 
le  pays.  La  route  de  Tepic  à  Mazatlan  se  trouva  dégagée,  et 
l'Etat  de  Sinaloa  étant  alors  assez  tranquille,  Lozada  ren- 
tra dans  le  district  de  Tepic.  Le  général  de  Castagny,  qui 
avait  été  rallié  par  un  bataillon  du  62*^  venu  de  Durango, 
put  envoyer  une  partie  de  ses  troupes  s'établir  au  port  de 
Guaymas  en  Sonora. 


LE    MARÉCHAL    BAZAIKE.  465 

Au  début   de    l'expédition    du  Mexique,   et  sur  la  foi 


4865. 


de  renseifi'nements  peu  précis,  on  avait  dit  des  merveilles      Occupation 

.de  Guaymas  de 

sur  les  richesses  minières  de  l'Etat  de  Sonora,  pays  viersje,        sonora 

,  "       .      ^  (29  mars). 

inexploré,  si  éloigné  du  pouvon^  central  que  son  action  ne 
s'y  faisait  nullement  sentir.  A  Paris,  on  avait  même  dis- 
cuté, dans  les  conseils  du  gouvernement,  la  possibilité  pour 
la  France  de  prendre  possession  d'une  partie  de  ce  terri- 
toire et  d'en  exploiter  les  mines  pour  couvrir  les  dépenses 
de  la  guerre  (*)  ;  bien  que  ce  projet  présenté  par  quelques 
esprits  plus  aventureux  que  sages  n'eût  pas  été  accepté,  il 
avait  cependant  inquiété  assez  sérieusement  les  Mexicains. 
Le  gouvernement  français  s'empressa  de  les  rassurer  à  cet 
égard,  et  lorsque  l'escadre  française  fit  voile  pour  Guaymas, 
il  ne  s'agissait  d'aucune  entreprise  sur  les  richesses  sup- 
posées de  cette  province,  mais  seulement  d'enlever  à  Jua- 
rez  le  dernier  port  par  lequel  il  communiquait  avec  les 
Américains  de  San  Francisco. 

Le  25  mars  1865,  la  division  navale  du  Pacifique,  com- 
posée du  Lucifer,  du  d'Assas,  de  la  Cordelière  et  de  la 
Pallas,  prit  à  Mazatlan  un  détachement  d'un  millier 
d'hommes,  placé  sous  lo  commandement  du  colonel  Gar- 
nier,  et  formé  de  dix  compagnies  du  51 '^  de  ligne  et  d'une 
section  d'artillerie  de  montagne.  Le  général  de  Castagny 
accompagna  les  troupes  destinées  à  cette  expédition.  L'es- 
cadre arriva  devant  Guaymas  le  29  mars;  Patoni,  qui  oc- 
cupait la  ville,  se  retira  sans  essayer  de  résister.  Le  débar- 
quement s'opéra  sur  le  môle  même,  et  les  premiers  détache- 
ments mis  à  terre  purent  encore  échanger  quelques  coups 
de  feu  avec  l'arrière-garde  des  troupes  mexicaines. 

(')  La  maison  de  banque  Jccker  était  concessionnaire  de  vastes  terrains  en  Sonora: 
l'influence  des  personnages  qui  avaient  des  intérêts  dans  ses  affaires  ne  paraît  pas 
avoir  été  titrnngère  à  ces  projets,  auxquels  du  reste  aucune  suite  ne  fut  donnée. 

30 


466  II"  PARTIE.  —  CHAPITRE    III. 

4fi6S.  Les  reconnaissances  envoyées  autour  de  la  place  signa- 

""  lèrent  toutefois  les  avant-postes  ennemis  à  très-petite  dis- 
tance ;  la  situation  se  présentait  donc  la  même  qu'à  Mazat- 
lan  ;  la  garnison  française,  bloquée  de  très-près  et  isolée 
de  toute  communication  avec  l'intérieur,  allait  être  ré- 
duite à  un  rôle  passif.  D'ailleurs  la  ville,  laissée  sous 
le  commandement  du  colonel  Garnier,  officier  sur  l'éner- 
gie duquel  on  savait  pouvoir  compter,  était  à  l'abri  d'un 
coup  de  main.  Le  général  de  Gastagny  revint  à  Ma- 
zatlan. 

Il  était  maintenant  bien  prouvé  que  l'autorité  du  gou- 
vernement impérial  ne  s'établirait  nulle  part  dans  le  Sinaloa 
et  la  Sonora,  sans  la  protection  permanente  des  troupes 
françaises.  Dans  le  Sinaloa,  il  eût  été  difficile  de  trouver 
des  partisans  sincères  de  l'Empire.  La  population  de  Ma- 
zatlan,  presque  exclusivement  composée  d'étrangers,  sur- 
tout d'Américains,  dont  le  commerce  avait  été  arrêté  par 
l'arrivée  des  Français,  regrettait  le  gouvernement  républi- 
cain. Autrefois,  malgré  l'insécurité  des  routes,  les  transac- 
tions commerciales  étaient  encore  possibles  ;  aujourd'hui 
elles  étaient  entièrement  interrompues.  Gonflant  dans  son 
courage  et  dans  sa  supériorité  morale  qui  en  imposent  aux 
Mexicains,  l'Américain  du  Nord  ne  redoute  guère  les  pil- 
lards des  grands  chemins  ;  bien  armé,  bien  monté,  il  ne 
craint  jamais  d'aller  partout  où  peuvent  l'attirer  les  inté- 
rêts de  son  négoce.  Ge  n'est  pas  chez  ces  hardis  pionniers 
que  l'intervention  française  et  l'Empire  devaient  trouver  de 
sympathiques  auxiUaires  ;  à  la  protection  gênante  et 
aux  entraves  d'une  administration  régulière,  leur  caractère 
indépendant  préférait  de  beaucoup  la  liberté  d'action  avec 
le  souci  de  se  protéger  eux-mêmes.  Depuis  quelque  temps, 
les  avantages  d'une  terre  particulièrement  propre  à  la  cul- 


LE   MARÉCHAL   BAZAINE.  467 

ture  du  coton  entre  l'Océan  et  le  pied  de  la  Sierra  Madré,  -isgo. 
les  attirait  dans  le  Sinaloa,  de  même  que  les  richesses  mi- 
nérales les  avaient  conduits  dans  les  provinces  du  nord  du 
Mexique.  C'est  par  cette  émigration,  lente  mais  continue,  de 
la  race  saxonne,  que  se  prépare  l'absorption  successive  des 
plus  riches  contrées  du  Mexique  dans  le  vaste  système  ré- 
publicain des  Etats-Unis.  L'initiative  personnelle  de  ces 
aventuriers,  bien  plus  encore  que  l'habileté  politique  du 
gouvernement  américain,  favorise  les  progrès  d'une  invasion 
qui,  sous  des  apparences  actuellement  pacifiques,  n'en 
aura  pas  moins,  plus  tard,  toutes  les  conséquences  d'une 
conquête.  La  terre  reste  toujours  au  plus  digne;  il  est  donc 
probable  que,  dans  ces  régions,  les  races  indienne,  créole 
et  métisse  se  fondront  dans  la  race  plus  puissante  qui  s'im- 
plante au  milieu  d'elles  ou  disparaîtront  d'un  sol  qu'elles 
n'ont  pas  su  féconder.  Sans  doute,  l'intervention  euro- 
péenne n'aura  fait  que  hâter  ce  résultat  ;  trop  faibles,  en 
effet,  pour  résister  seuls  aux  forces  de  la  France,  les  libé- 
raux du  Mexique  ont  appelé  à  eux  les  Américains  du  Nord, 
qui  se  sont  empressés  de  leur  fournir  des  armes,  des  sol- 
dats, de  l'argent,  en  échange  de  concessions  importantes. 
Beaucoup  d'hommes  du  parti  libéral  voyaient  cependant  le 
danger  d'une  intimité  trop  grande  avec  les  Etats-Unis  ;  op- 
posés à  la  monarchie,  qu'ils  croyaient  incompatible  avec  les 
mœurs  du  pays,  ils  déploraient  à  la  fois,  et  la  conduite  des 
partisans  de  l'Empire  et  celle  du  gouvernement  de  Juarez, 
dont  le  résultat  commun  devait  être  une  regrettable  in- 
gérence des  Etats-Unis  dans  les  affaires  intérieures  du 
Mexique  (^). 


<U  Le  maréchal  au  minislre,  10  mai,  dO  auùt  1865,  et  les  pièces  annexées. 


du  Nord. 


468  II"  PARTIE.  ■ —  CHAPITRE    III, 

4865.  Le  combat  du  cerro  de  Majoma,  en  détruisant  la  dernière 

Agitation       armée  de  Juarez,  n'avait  cependant  ni  abattu  son  courage, 

dans  .  .     1    -  ,     ,  Ti     j  '     •  ,     ^ 

les^ provinces  m  amoindri  sa  persévérance,  il  s  était  occupe  de  reconsti- 
tuer ses  moyens  de  guerre  et  ne  se  résignait  même  pas  à 
une  attitude  défensive.  Bientôt,  les  corps  de  partisans,  qui 
se  tenaient  dans  le  nord  de  l'Etat  de  Durango,  devinrent 
assez  gênants  pour  déterminer  les  commandants  supérieurs 
de  cette  province  à  envoyer  des  colonnes  légères  de  ce  côté; 
au  mois  de  novembre  1864,  l'une  d'elles  s'avança  jusqu'au 
Rio  Florido  et  peu  après  il  fut  nécessaire  d'établir  une 
forte  ligne  d'avant-postes  sur  le  Rio  de  Nazas.  On  disait 
alors  que  Negrete,  à  la  tête  de  2,o00  hommes  bien  armés, 
bien  équipés,  bien  soldés,  ayant  seize  pièces  de  canon,  mé- 
ditait une  entreprise  sérieuse  sur  les  provinces  soumises 
à  l'Empire. 

Par  suite  de  l'occupation  du  Sinaloa,  l'Etat  de  Durango 
se  trouvait  très-dégarni  de  troupes  ;  le  maréchal,  préoc- 
cupé des  projets  attribués  à  Tennemi,  dirigea  rapidement 
des  renforts  vers  le  nord  ;  il  prépara  la  réunion  à  San  Luis 
Potosi  d'une  colonne  mobile  d'un  millier  d'hommes,  et  or- 
donna la  formation,  à  Queretaro,  d'un  corps  de  réserve 
prêt  à  se  porter  où  le  danger  menacerait.  En  ce  moment, 
on  craignait  de  voir  les  Etats-Unis  se  déclarer  enfin  d'une 
manière  formelle  contre  l'intervention  française  en  faveur 
de  Juarez.  Comme  s'ils  eussent  été  assurés  de  la  coopéra- 
tion active  des  Américains,  un  grand  nombre  de  chefs  li- 
béraux se  rapprochaient  de  la  frontière  du  Rio  Bravo  et  y 
réunissaient  des  troupes  ;  leurs  proclamations  affirmaient 
l'espoir  d'être  soutenus  par  une  armée  américaine,  et,  de 
fait,  l'attitude  des  chefs  des  troupes  fédérales  sur  la  fron- 
tière du  Nord  était  de  nature  à  justifier  ces  prévisions.  Ils 
avaient  cherché  à  s'entendre  avec  les  confédérés,  en  don- 


LE    MARÉCHAL    BAZALNE.  469 

nant  pour  base  à  leur  réconciliation  un  projet  d'inlerven-  -isôo. 
tien  armée  au  Mexique,  et  ceux-ci  en  avaient  prévenu  le 
général  Mejia,  qui  commandait  à  Matamoros.  Carbajal, 
Texien  d'origine,  servait  d'intermédiaire  habituel  entre 
les  fédéraux  américains  et  les  libéraux  du  Mexique  ;  il 
était  allé  à  la  Nouvelle-Orléans  pour  nouer  des  relations 
avec  eux  et  en  avait  reçu  des  preuves  certaines  de  sympa- 
thie et  des  promesses  d'appui  qui  se  seraient  sans  doute 
réalisées,  sans  la  prudence  et  la  réserve  que  le  gouvernement 
de  l'Union  apportait  encore  dans  ses  relations  internatio- 
nales. Les  chefs  des  bandes  juaristes  persistaient  néanmoins 
dans  leurs  espérances  ;  Escobedo  et  Mendez  étaient  prêts 
à  commencer  une  vigoureuse  campagne  ;  d'autres  venaient 
les  ralHer  de  différents  points  de  l'intérieur.  En  même 
temps,  sous  l'influence  des  agents  de  Juarez,  toute  la  La- 
guna,  c'est-à-dire  le  pays  compris  entre  Parras,  Aviles  et 
Guencamé,  s'était  insurgée  et  de  nombreuses  bandes  s'y  or- 
ganisaient. Les  guérillas  du  Sinaloa  remontaient  au  nord  à 
travers  la  Sierra  et  paraissaient  vers  Tamasula  et  Guana- 
sevi.  Negrete  continuait,  de  son  côté,  ses  préparatifs  mili- 
taires ;  il  se  tenait  entre  Parral  et  Piio  Florido,  pays  de 
grandes  ressources,  et  manifestait  hautement  l'intention  de 
pénétrer  dans  l'Etat  de  Durango,  où  l'effectif  des  troupes 
françaises  était  fort  restreint. 

Gette  situation  réclamait  sérieusement  l'attention  du 
maréchal.  11  envoya  un  bâtiment  de  guerre  à  l'embou- 
chure du  Rio  Bravo  pour  surveiller  les  menées  américaines, 
et  donna  l'ordre  k  la  contre-guérilla  française  0)  de  se 
rendre  de  Tula  à  Matehuala  pour  servir  d'avant-garde  à 

(1)  La  conlri'-i-'Uérilla  était  alors  comiioiijc  de  trois  coiuiiagnies  d'infanterie, 
deux  escadrons  et  une  section  d'artillerie,  formant  ensemble  environ  six  cent'^ 
Jiommes  sous  le  commandement  du  capitaine  IS'ey  d'Elchingcn.  Le  colonel  Dupiii, 


1865. 


Mouvement 

do  Negrete  de 

Chihuahua  sur 

Saltillo, 

Monterey 

et  Matamores. 


470  II®  PARTIE. CHAPITRE    111. 

une  colonne  en  formation  à  San  Luis  Potosi    sous  les 
ordres  du  colonel  Jeannin^ros. 

Le  général  Aymard,  commandant  supérieur  de  Durango, 
crut  nécessaire  de  prendre  en  personne  le  commandement 
des  avant-postes  du  Piio  de  Nazas,  afin  d'observer  de  plus 
près  les  mouvements  de  l'ennemi  ;  il  sollicita  des  renforts 
avec  instance. 

Le  général  Brincourt  reçut  donc  l'ordre  de  se  porter 
rapidement  de  Léon  sur  Fresnillo  et  sur  Cuencamé.  Le 
général  Neigre,  commandant  provisoirement  la  2^  divi- 
sion, dut  quitter  le  Michoacan  et  prendre  position  à  Fres- 
nillo avec  dix  compagnies ,  deux  escadrons ,  et  six  pièces 
d'artillerie,  afin  d'être  à  même  de  se  porter,  soit  sur  Parras, 
soit  sur  Sierra  Hermosa. 

Le  maréchal  les  prévint  que,  selon  toute  probabilité, 
Negrete  chercherait  à  étendre  dans  les  provinces  de  l'Est 
l'agitation  qui  se  produisait  dans  celles  de  l'Ouest  ;  il  leur 
recommanda  de  surVeiller  ses  mouvements,  et,  dans  le  cas 
où  il  paraîtrait  se  diriger  vers  Monterey,  de  s'établir  sur  la 
route  de  Parras  pour  lui  barrer  le  passage  ('), 

Le  28  mars,  le  général  Brincourt  était  à  Cuencamé. 
Il  supposait  encore  Negrete  au  Rio  Florido,  et  il  se  rendit 
à  Nazas  pour  se  mettre  en  relations  avec  le  général  Ay- 
mard, qu'il  devait  remplacer  dans  son  commandement, 
puis  il  se  dirigea  sur  Mapimi  par  la  route  d'El  Gallo  ; 
mais  Negrete,  qui  se  trouvait  à  Mapimi,  en  partit  le  30 
mars  pendant  que  le  général  Brincourt  était  à  El  Gallo  ; 
il  déroba  sa  marche  et  se  jeta  sur  le  chemin  de  Parras, 
que  désormais  personne  ne  pouvait  plus  lui  fermer.  Le 


contre  lequel  des  plaintes  nombreuses  avaient  été  portées,  était  rentré  en  France, 
sur  la  demande  formelle  de  l'empereur  Maximilien. 
(')  Le  maréchal  au  ministre,  19  mai. 


LE   MARÉCHAL    BAZAINE.  471 

général  Neigre  arriva  le  8  avril  à  Fresnillo  ;  mal  rensei-  ^^' 
gné  aussi  sur  les  mouvements  de  l'ennemi,  ne  recevant 
du  général  Brincourt  aucune  nouvelle  qui  lui  confirmât 
les  craintes  exprimées  par  le  maréchal,  il  continua  sa  route 
sur  Durango.  Le  général  Brincourt,  de  son  côté,  ne  trou- 
vant personne  à  Mapimi,  se  rabattit  au  sud  par  San  Salva- 
dor et  San  Juan  del  Rio,  afin  de  contenir  les  guérillas  du 
Sinaloa  qui  cherchaient  à  déboucher  par  Papasquiaro,  puis 
il  revint  à  Durango. 

Quant  àNegrete,  il  marchait  avec  la  plus  grande  rapidité, 
et  le  9  avril  entrait  au  Saltillo,  que  les  insurgés  de  Parras 
avaient  momentanément  envahi  après  un  petit  engagement 
avec  la  garnison  impérialiste;  poursuivant  ses  succès,  il 
occupa  Monterey  le  12  avril,  y  laissa  une  garnison,  et  se 
dirigea  "aussitôt  sur  Matamores.  Des  partis  de  guérilleros 
insultaient  déjà  la  place  ;  Cortina  avait  fait  défection  avec 
sept  cent  cinquante  hommes,  et  s'était  réuni  à  Carbajal  ;  sa 
troupe,  grossie  de  nombreux  flibustiers  américains,  s'em- 
para de  toutes  les  villes  des  bords  du  Rio  Grande. 

Le  général  Mejia  concentra  en  toute  hâte,  à  Matamoros, 
sa  division  éparse.  Il  ne  disposait  que  de  trois  mille  hommes 
de  troupes  ;  les  habitants  et  les  commerçants  étrangers 
s'étant  armés  formèrent  en  outre  un  corps  de  huit  cents 
volontaires.  Au  même  moment,  la  plus  grande  partie  du 
Tamaulipas  se  souleva  ;  de  nombreux  pronunciamientos 
eurent  lieu,  la  garnison  impérialiste  de  Vittoria  fut  atta- 
quée par  Mendez  le  5  avril  ;  livrée  à  elle-même,  privée 
de  tout  appui,  elle  capitula  le  22  du  même  mois.  Grâce 
à  l'énergie  de  son  préfet  politique,  Tula  de  Tamauhpas 
résista  pendant  quelque  temps  ;  mais,  le  4  juin,  l'ennemi 
s'en  rendit  maître.  Cependant,  au  nord,  la  situation  s'ag- 
gravait chaque  jour  ;  on  redoutait  de  voir  les  Américains 


472  11^  PARTIE.  CHAPITRE    111. 

-ises.  entrer  en  scène.  Le  maréchal  Bazaine  se  hâta  d'envoyer 
par  mer  au  secours  du  général  Mejia  un  bataillon  de  cinq 
cents  hommes  du  régiment  étranger,  sous  les  ordres  du 
commandant  de  Brian.  Ce  renfort  .ayant  été  débarqué  le 
2  mai  à  l'embouchure  du  Rio  Bravo,  son  arrivée  détermina 
Negrete  à  battre  en  retraite  ;  il  s'était,  du  reste,  borné  à 
échanger  quelques  coups  de  canon  avec  la  place  et  n'avait 
rien  entrepris  de  sérieux. 

A  en  juger  par  la  mollesse  de  ses  attaques,  il  semblerait 
qu'il  eût  été  fort  désappointé  par  l'attitude  réservée  des 
forces  fédérales  américaines,  sur  la  coopération  desquelles 
les  libéraux  avaient  cru  pouvoir  compter  ;  pour  les  entraî- 
ner à  faire  en  sa  faveur  quelque  démonstration  compro- 
mettante, il  allégua  faussement  que  sa  retraite  avait  été  dé- 
terminée par  un  mouvement  d'un  corps  de  confédérés,  ce 
qui  donnait  la  preuve  de  leur  aUiance  secrète  avec  les 
Français.  Le  statu  qiio  n'en  fut  pas  moins  maintenu  sur  les 
deux  rives  du  fleuve,  et  Negrete  prit  le  parti  de  rétro- 
grader. Le  17  mai,  il  était  au  Saltillo  ;  ses  forces  s'élevaient 
alors  à  quatre  mille  fantassins,  huit  cents  cavaliers  et  vingt 
et  un  canons. 

Désireux  de  combattre  le  mauvais  effet  produit  par  la 
manœuvre  hardie  à  la  suite  de  laquelle  les  Etats  de  Coa- 
huila  et  de  Nuevo-Leon  paraissaient  être  rentrés  sous  l'au- 
torité de  Juarez,  le  maréchal  Bazaine  voulut  essayer  d'en- 
velopper Negrete  et  de  détruire  ses  troupes.  Il  donna 
l'ordre  à  trois  colonnes  de  converger  sur  Saltillo  ;  l'une, 
commandée  par  le  général  Brincourt,  devait  arriver  par  la 
route  de  Parras  ;  la  seconde,  sous  les  ordres  du  colonel 
Jeanningros,  venir  par  la  roule  de  San  Luis,  et  la  troisième 
être  envoyée  deMalamoros.Les  deux  premières  effectuèrent 
le  mouvement  ordonné,  mais  le  général  Mejia,  occupé  à 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  473 

régler  ses  rapports  avec  les  autorités  fédérales  récemment        i865. 

installées  à  Brownsville,  craignit  d'affaiblir  sa  garnison  et  "^ 

ne  concourut  pas  à  cette  opération.  ,  j^ 

Negrete  s'était  fortifié  dans  les  gorges  de  rAngostura>(  J^j  r    f^  b. 
Le  colonel  Jeanningros  arriva  devant  l'ennemi,  le  31  mai;    Ivaa^j^v^         # 
il  attendit  le  général  Brincourt  pour  attaquer,  mais  au  der-  y^-''*^^     x^^o^a^ 
nier  moment,  Negrete  refusa  le  combat  ;  il  évacua  ses  po-   "^"^  .     ^^t,'. 
sitions  dans  la  nuit  du  6  au  7  juin,  et  se  retira  par  la  route        ^V.  i'  '^^ 
de  Monclova  avec  deux  mille  cinq  cents  hommes  et  seize  ca-  à^^j 

nons.  Une  autre  fraction  de  deux  mille  hommes,  conduite 
par  Escobedo,  prit  le  chemin  de  Galeana. 

Le  7  juin,  les  colonnes  réunies  du  colonel  Jeanningros 
et  du  général  Brincourt  entrèrent  au  Saltillo  ;  cette  dernière 
rétrograda  immédiatement  sur  Parras  afin  de  fermer  cette 
ligne  de  retraite  à  Negrete,  tandis  que  le  colonel  Jeannin- 
gros, se  mettant  à  sa  poursuite,  put  atteindre  et  sabrer  son 
arrière-garde  à  Mesillas.  Les  troupes  ennemies,  forcées  de  se 
jeter  dans  le  désert  de  Mapimi,  se  débandèrent  ;  un  grand 
nombre  de  déserteurs  se  présentèrent  à  Parras,  et  Negrete 
ne  put  conserver  avec  lui  qu'une  poignée  d'hommes.  Il 
rapportait,  il  est  vrai,  des  sommes  importantes  prove- 
nant des  contributions  de  guerre ,  mais  la  destruction 
presque  complète  de  sa  division  ayant  indisposé  contre 
lui  les  chefs  du  gouvernement  républicain,  il  se  sé- 
para d'eux. 

Juarez  se  trouvait  donc  de  nouveau  sans  armée,  isolé 
dans  sa  capitale  de  Chihuahua.  Le  moment  paraissait  venu 
d'en  finir  avec  lui  et  de  le  contraindre  à  quitter  le  Mexique. 
Le  cabinet  de  Mexico  attachait  toujours  à  cette  question 
une  grande  importance  ;  il  conservait  l'illusion  de  voir  les 
Etats-Unis  reconnaître  l'empereur  Maximilien  dès  que  l'an- 


474  II®    PARTIE.  CHAPITRE  III. 

-1865.  cien  président  aurait  définitivement  abandonné  le  territoire 
mexicain.  C'était  singulièrement  se  méprendre  sur  les  dis- 
positions des  Américains  et  sur  leurs  véritables  sentiments  à 
l'égardderEmpirequelegouvernement  français  avait  essayé 
de  fonder  à  leurs  frontières.  Le  dernier  coup  venait  d'être 
porté  à  la  résistance  des  confédérés  ;  le  26  mai  1865,  avait 
été  signée  la  convention  qui  terminait  la  guerre  de  la  Séces- 
sion. L'heure  était  venue  pour  les  Etats-Unis  de  se  souvenir 
que  l'intervention  française  au  Mexique  était  la  consé- 
quence d'une  politique  hostile,  d'ailleurs  très-clairement 
manifestée  par  la  reconnaissance  du  droit  de  belligérants 
accordée  aux  Etats  du  Sud.  Si,  à  cette  époque,  le  Mexi- 
que complètement  pacifié  eût  été  soumis  en  entier  à  l'au- 
torité de  l'empereur  Maximilien,  peut-être  les  Etats-Unis, 
fatigués  par  une  longue  lutte,  occupés  à  cicatriser  les 
plaies  de  la  guerre  civile,  eussent-ils  craint  de  s'engager 
dans  de  trop  grandes  complications  extérieures  et  consenti 
à  vivre  momentanément  en  bonne  intelligence  avec  ce 
nouveau  gouvernement  ;  mais  telle  n'était  pas  la  situa- 
tion. L'Empire  était  seulement  reconnu  dans  les  pro- 
vinces où  flottait  le  drapeau  français  ;  il  ne  subsistait  que 
grâce  à  cette  protection ,  tandis  que  la  récente  tentative 
de  Negrete,  l'existence  des  forces  libérales  encore  maî- 
tresses du  Tamaulipas  et  de  la  plus  grande  partie  du  Mi- 
choacan,  la  résistance  des  guérillas  du  Sinaloa  et  de  la 
Sonora,  qui  tenaient  en  échec  les  garnisons  de  Mazatlan 
et  de  Guaymas,  prouvaient  la  vitalité  du  parti  républicain. 
Dès  ce  moment,  on  pouvait  prévoir  qu'à  moins  d'affronter 
une  rupture  avec  les  Etats-Unis,  rupture  contraire  aux 
sympathies  et  aux  intérêts  de  la  nation  française,  l'empe- 
reur Napoléon  se  verrait  forcé  de  rappeler  prochainement, 
et  non  sans  quelque  humiUation,  les  régiments  qui,  depuis 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  475 

plus  de  trois  ans,  s'épuisaient  dans  des  efforts  aussi  glorieux  ^865. 
que  stériles.  C'en  était  donc  fait  du  trône  de  Maximilien. 
En  effet,  les  Etats-Unis  affirment  dès  lors  leur  volonté 
formelle  de  ne  pas  tolérer  plus  longtemps  un  seul  soldat 
européen  sur  leur  continent  ;  ils  déclarent  l'intention  d'ap- 
pliquer la  doctrine  Monroë  de  la  manière  la  plus  absolue, 
et  c'est  à  peine  s'ils  prennent  le  soin  d'adoucir  leurs  ré- 
clamations près  du  gouvernement  français,  sous  les  formes 
ordinairement  courtoises  du  langage  diplomatique.  Bien 
qu'ils  ne  se  départissent  pas  encore  de  la  neutralité  officiel- 
lement observée  depuis  le  commencement  de  l'expédition, 
aucune  entrave  n'était  apportée  aux  enrôlements  faits  ou- 
vertement, sous  la  direction  du  général  Ortega,  àPittsburg, 
à  Philadelphie  et  à  New-York  ;  des  armes,  des  munitions, 
des  équipements  étaient  expédiés  sur  les  douanes  de  Pie- 
dras  Negras,  de  Paso  del  Norte  et  d'Acapulco.  Ils  inter- 
disaient, au  contraire,  l'exportation  des  fourrages  que 
l'administration  française  faisait  venir  de  San  Francisco 
pour  les  garnisons  de  la  côte  du  Pacifique,  et  ils  s'oppo- 
saient à  l'émigration  de  la  Californie  vers  le  Mexique,  de 
peur  que  le  gouvernement  impérial  ne  profitât  de  l'appui 
des  nombreux  confédérés  alors  disposés  à  chercher  un  éta- 
blissement en  SonoraW.  [1  y  avait  certainement  une  grande 
exagération  dans  les  assertions  des  chefs  libéraux  qui  ne 
cessaient  d'annoncer  le  prochain  passage  du  Piio  Bravo 
par  un  corps  de  30,000  hommes,  mais  il  était  néanmoins 
prudent  de  se  rendre  compte  de  quel  poids  pèserait  l'épée 
des  Etats-Unis  si  elle  venait  à  être  jetée  dans  la  balance. 

Au  mois  d'avril  1863,  les  forces  militaires  à  la  disposi-  Forces  militaires 

.  .  .  à  la  disposition 

tion  du  maréchal  Bazame  se  composaient  environ  de  :  du  marôchai 

Bazaine. 
^•)  Le  maréchal  au  ministre,  28  mars,  8  avril. 


lllQ  if  PARTIE.  —  CHAPITRE    III. 

i865.  28,000  hommes  de  troupes  françaises, 

20,000  hommes  de  troupes  mexicaines, 
8,500  hommes  de  gardes  rurales  ou  de  corps  de  police, 

difficilement  mobilisables. 
6,000  hommes  des  contingents  volontaires  autrichiens. 
1,300  hommes  des  contingents  belges. 
Ce  qui  donnait  un  total  de 

63,800  hommes,  dont  la  moitié  pouvait  entrer  en  ligne  ; 
effectif  assez  imposant  pour  que  le  maréchal  se  crût  à  même 
de  résister  pendant  longtemps  à  une  invasion  américaine. 

Le  corps  d'armée  français  formait  un  noyau  de  troupes 
excellentes,  autour  duquel  se  groupaient  des  corps  indi- 
gènes ou  auxiliaires  dont  quelques-uns  n'étaient  pas  sans 
valeur.  On  avait  cependant  peu  fait  pour  créer  au  Mexique 
un  état  militaire  en  rapport  avec  les  exigences  de  la  situa- 
lion  politique.  A  proprement  parler,  l'armée  nationale 
n'existait  pas  ;  du  moins,  ce  n'était  toujours  qu'une  agglo- 
mération sans  consistance  d'hommes  obéissant  à  tel  ou  tel 
chef,  et  qu'il  n'avait  pas  été  possible  de  soumettre  à  une 
énergique  centrahsation  de  com.mandement  et  d'adminis- 
tration ;  à  l'exception  des  divisions  Mejia  et  Marquez,  les 
•  troupes  mexicaines  étaient  employées  dans  les  expéditions 
seulement  comme  appoint  des  colonnes  françaises.  Leur 
effectif  s'accroissait  à  mesure  que  le  rayon  d'opérations 
du  corps  expéditionnaire  s'étendait ,  mais  aucun  progrès 
sensible  n'avait  été  réalisé  dans  leur  organisation  depuis 
le  règlement  provisoire  du  mois  de  septembre  1863.  L'em- 
pereur Maximilien  n'avait  pas  apporté  à  cet  objet  une  sol- 
licitude suffisante.  Peu  attiré  vers  les  choses  militaires  par 
la  nature  de  ses  études  antérieures,  il  était  incompétent  sur 
la  plupart  des  questions  qui  s'y  rattachaient.  11  forma  une 


LE   3IARÉCHAL  BAZAINE.  477 

commission  sous  la  présidence  du  maréchal  Bazaine  et  se  ^sos 
déchargea  entièrement  sur  lui  du  soin  important  de  cons- 
tituer son  armée.  Les  soldats  mexicains  lui  inspiraient  peu 
de  sympathie.  Les  Indiens  malingres,  gauches,  mal  habillés, 
avaient,  il  est  vrai,  une  triste  apparence  militaire  et  n'of- 
fraient rien  qui  pût  flatter  l'amour-propre  d'un  souverain, 
aussi  s'était-il  peu  soucié  de  savoir  quel  parti  on  pouvait 
tirer  de  ces  pauvres  gens.  Quant  aux  officiers,  ce  qu'il  en 
entendait  dire,  ce  qu'il  en  avait  vu  par  lui-même,  n'était 
pas  de  nature  à  corriger  la  mauvaise  impression  produite 
par  l'aspect  extérieur  des  soldats.  L'empereur  Maximilien 
avait  donc  l'armée  mexicaine  en  médiocre  estime  ;  il  la  né- 
gligea ;  le  jour  où  il  s'occupa  d'elle,  ce  ne  fut  que  pour  rui- 
ner le  peu  d'organisation  qu'elle  possédait  et  en  réduire 
l'effectif  sous  prétexte  qu'elle  coûtait  trop  cher. 

Le  décret  du  7  novembre  1864,  relatif  au  licenciement 
des  corps  auxiliaires  et  à  la  création  de  gardes  rurales, 
porta  le  premier  coup  à  l'armée  mexicaine,  et  bien  que 
l'exécution  en  eût  été  suspendue  après  quelques  essais  mal- 
heureux, il  désaffectionna  un  grand  nombre  d'officiers. 
Ensuite  l'éloignement  du  général  Marquez,  opportun  peut- 
être  au  point  de  vue  politique,  paraissait  fort  regrettable 
au  point  de  vue  militaire,  car,  de  l'avis  général,  c'était  un 
des  meilleurs  officiers  du  Mexique  et  l'un  des  plus  expéri- 
mentés. Enfin,  la  promulgation  d'une  loi  organique  de 
l'armée  (loi  du  25  janv.  1865),  résultat  des  travaux  de  la 
commission,  avait  été  tout  à  fait  inefficace  pour  porter 
remède  à  la  situation  militaire  (^).  L'organisation  de  VslY- 


(•)  Cette  loi  déterminait  les  cadres  et  les  effectifs  de  l'arme'e  ainsi  qu'il  suit  : 
18  officiers  généraux,  40  officiers  d'état-major,  66  officiers  d'administration,  10 
officiers  d'état-major  de  place. 

Tne  frarde  palatine,  50  hommes;  une  léorion  de  gendarmerie,  1.918  hommes; 


478  11^  PARTIE.  CHAPITRE   III. 

4865.        mée  mexicaine  sur  ces  nouvelles  bases  était  beaucoup  plus 
~  théorique  que  pratique.  L'empereur  Maximilien  eut  l'im- 

prudence d'inaugurer  cette  réorganisation  par  un  décret  de 
licenciement  qui  devait  être  appliqué,  le  1^^  février  1865,  à 
l'ensemble  de  toutes  les  troupes  permanentes  ou  auxiliaires, 
et  il  avait  décidé  qu'on  ne  reformerait  d'abord  que  quelques 
corps  modèles  destinés  à  servir  de  type  aux  nouveaux  ba- 
taillons ou  régiments.  A  lire  ce  décret,  on  ne  peut  croire 
vraiment  qu'il  eût  pour  objet  de  réorganiser  une  armée  en 
présence  de  l'ennemi.  Le  mécontentement  fut  général,  les 
protestations  arrivèrent  de  toutes  parts,  des  corps  entiers 
firent  défection  ('). 

Bien  que  le  licenciement  ne  dût  amener  qu'une  trans- 
formation des  corps  existants  et  non  leur  suppression,  il  fut 
difficile  de  calmer  les  esprits  ;  les  commandants  supérieurs 
français,  témoins  des  désordres  qui  résultaient  de  Tan- 
nonce  de  cette  mesure,  l'appelaient  un  désastre,  et  c'est  alors 
qu'en  l'absence  du  maréchal  occupé  au  siège  d'Oajaca,  le 
général  L'Hérillerj  commandant  à  Mexico,  obtint  de  l'em- 
pereur Maximilien  de  faire  surseoir  à  sa  mise  à  exécution. 
Sauf  quelques  modifications  de  détail,  l'armée  mexicaine 

douze  bataillons  d'infanlerie,  commandés  par  des  colonels  ou  lieutenants-colonels 
et  deux  bataillons  de  chasseurs  (à  huit  compagnies),  17,600  hommes; 

Six  régiments  de  cavalerie  à  quatre  escadrons,  4,740  hommes; 

Douze  compagnies  présidiales,  1,524  hommes; 

Un  bataillon  d'artillerie  à  pied,  à  six  batteries  ;  un  régiment  d'artillerie  à 
cheval,  à  huit  batteries,  dont  quatre  montées  et  quatre  de  montagne  ;  un  escadron 
du  train   d'artillerie,   2,595  hommes; 

Un  bataillon  du  génie,  837  hommes  ; 

Un  escadron  du  train  des  équipages,  une  compagnie  d'ouvriers  d'administration, 
830  hommes. 

Total,  avec  les  cadres  d'officiers,  31,000  hommes. 

(1)  Fragoso,  dans  l'Etat  de  Mexico  ;  Valdez,  aux  environs  de  Toluca.  Fragoso, 
véritable  chef  de  bandits,  s'était  rallié  à  l'empire  au  commencement  de  1864  ;  on 
avait  eu  la  faiblesse  de  lui  reconnaître  le  grade  de  colonel  et  de  le  laisser  à  la  tête 
de  sa  troupe. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  Ù79 

conserva  donc  son  ancienne  formation.  11  fallait  cependant        ^ggg 
prendre  une  décision  à  l'égard  des  nombreux  officiers  dis-  "" 

ponibles  dont  on  devait  reviser  les  brevets  (').  Aucune  loi 
de  recrutement  n'était  encore  arrêtée.  La  Leva  ayant  été 
supprimée,  le  maréchal  eût  désiré  voir  établir  la  conscrip- 
tion, mais  l'Empereur  craignait  avec  raison  que  ce  système 
ne  fût  pas  applicable  au  Mexique  où  existent  des  castes  très- 
tranchées.  On  employa  parfois  avec  succès  le  recrutement 
à  prime  pour  le  recruteur  et  pour  la  recrue  ;  dans  d'autres 
cas,  particulièrement  pour  les  gardes  rurales,  les  munici- 
palités et  les  haciendas  furent  tenues  de  fournir  un  certain 
nombre  d'hommes,  dont  elles  étaient  responsables  ;  on  in- 
corporait les  déserteurs  et  les  prisonniers  de  l'ennemi, 
et,  afin  de  conserver  les  hommes  sous  les  drapeaux,  on 
était  obligé,  suivant  la  coutume  ordinaire  au  Mexique,  de 
les  tenir  renfermés  dans  les  casernes. 

Pour  réorganiser  une  armée,  il  faut  une  main  ferme  et 
une  volonté  puissante.  Les  commissions  étudient  les  diffé- 
rentes questions,  proposent  des  projets,  mais  elles  sont  na- 
turellement incapables  de  faire  exécuter  un  ordre,  de  faire 
appliquer  un  décret.  Le  maréchal  avait  la  force  et  l'influence 
nécessaires  pour  être  obéi  ;  il  se  désintéressa  de  cette  ques- 
tion et  se  contenta  de  se  plaindre  de  l'insuffisance  ou  de 
la  mauvaise  volonté  des  ministres  de  l'Empereur,  sans  pa- 
raître se  rendre  compte  que  c'était  à  lui,  surtout,  que  reve- 
naient le  droit  et  le  devoir  de  constituer  autour  du  trône 
mexicain  les  troupes  destinées  à  le  défendre.  L'empereur 


(*)  Il  n'y  avait  pas  au  Mexique  de  général  de  quelque  notoriété  qui  n'eût 
nommé  des  officiers  de  tous  grades  ;  d'autres  s'étaient  conféré  leurs  litres  à  eux- 
mêmes,  et  le  justifiaient  sur  le  chiffre  des  hommes  qui  s'étaient  groupés  autour 
d'eux.  L'appât  d'une  solde  les  attirait  maintenant  en  grand  nombre,  et  il 
fallait  reviser  toutes  ces  positions  fort  irrégulières. 


'i'80  n^   PARTIE.  —  CHAPITRE  III. 

ises.  Maximilien  comprit  la  nécessité  de  dissoudre  les  commis- 
sions et  sous-commissions  dont  le  rôle  d'élaboration  était 
terminé.  Il  en  prévint  le  maréchal  et  le  remercia  par  une 
lettre  particulière  O.  Il  eût  désiré  cependant  qu'un  officier 
général  français  fût  chargé  de  continuer  l'organisation  à 
peine  ébauchée.  Cette  combinaison  n'ayant  pu  aboutir, 
l'Empereur  confia  ce  soin  au  général  autrichien  de  Thun, 
commandant  la  brigade  austro-belge. 

Les  volontaires  autrichiens  et  belges  étaient  arrivés  dans 
les  premiers  mois  de  1865,  et  nous  avons  déjà  parlé  de 
plusieurs  opérations  militaires  auxquelles  ils  prirent  part. 

Cette  brigade  se  composait  : 

l''  D'un  régiment  belge  à  deux  bataillons; 

2^  D'un  corps  autrichien  comprenant  : 

Trois  bataillons  de  chasseurs  à  pied. 

Deux  compagnies  de  pionniers, 

Deux  batteries  de  montagne, 

Un  régiment  de  hussards  à  cinq  escadrons, 

Un  régiment  de  uhlans  à  cinq  escadrons  (^). 

Le  maréchal  avait  fait  venir  les  Belges  à  Mexico  ;  quant 


(')  L'empereur  Maximilien  au  maréchal,  26  mars  1865. 

(")  Le  premier  détachement  belge  arriva  au  Mexique  le  13  octobre  1864  ; 
les  autres  furent  amenés  successivement  par  les  paquebots  mensuels.  Le  pre- 
mier détachement  autrichien  arriva  le  30  décembre  1864,  le  dernier  le  5  mai 
1863. 

L'uniforme  des  Belges  se  rapprochait  de  celui  de  nos  cliasseurs  à  pied , 
avec  un  chapeau  conique  en  feutre  noir. 

Les  Autrichiens  portaient  un  pantalon  garance  avec  jambière,  une  vareuse 
bleu  foncé  et  un  chapeau  conique  en  feutre  gris. 

Les  volontaires  autrichiens  étaient  formés  d'hommes  do  loutcs  provenances,  de 
nationalités  diverses,  d'âges  très-différents  ;  un  certain  nonilire  avaientun  passé  forl 
obscur,  aucune  cohésion  n'existait  entre  eux  ;  aussi,  au  début,  inspiraient-ils  une 
très-médiocre  confiance  à  leurs  officiers;  la  plupart  des  fantassins  n'avaient  jamais 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  481 

aux  Autrichiens,  ils  restèrent  en  majeure  partie  à  Orizaba         <«cb. 
et  dans  l'état  de  Puebla. 
Au  mois  d'avril  1865  0),  les  troupes  françaises   étaient 

touché  un  fusil,  beaucoup  de  cavaliers  ne  savaient  pas  monter  à  cheval  ;  d'ail- 
leurs ils  étaient  venus  au  Mexique  sans  chevaux,  et  la  remonte  fut  longue  etdilli- 
cile.  (Aus  den  Gefechlen  des  œsterreichischea  Freicorps  in  Mejico,  par  le  major 
vox  ScHONOvsKY,  Vienne,  1873.) 

Si  les  volontaires  autrichiens  se  mirent  rapidement  à  la  hauteur  du  service  que 
l'on  attendait  d'eux,  s'ils  se  distinguèrent  souvent  par  leur  bravoure  et  leur  fer- 
meté, on  doit  en  reporter  le  mérite  au  corps  d'officiers  placés  à  leur  tête. 

Le  régiment  belge,  également  bien  commandé,  était  formé  en  partie  d'hommes 
très-jeunes  ;  ce  corps  avait  besoin  d'être  instruit  et  discipliné  avant  de  pouvoir 
iHre  employé  activement  ;  les  Belges  avaient  cru  venir  au  Mexique  comme  garde 
d'honneur  de  l'impératrice  Charlotte.  Les  fatigues  et  les  privations  d'une  cam- 
pagne pénible  n'étaient  compensées  par  aucun  avantage  réel  ;  il  y  eut  chez  ces  vo- 
lontaires, comme  chez  les  Autrichiens,  de  nombreuses  désillusions. 

(')  La  i"  division  :  général  de  Gastag.vy  ;  quartier  général  à  Mazatlan. 

1", brigade  :  7'  bataillon  de  chasseurs,  ol^  de  ligne,  62'  de  ligne;  en  majeure 
partie  à  Mazatlan  et  aux  environs,  avec  des  détachements  à  Guay mas  et  à  Durango. 

2'^  brigade  :  2'  bataillon  d'Afrique,  à  Oajaca  ;  3'  zouaves,  à  .Mexico  ;  régiment 
étranger,  à  Oajaca,  Mexico,  Queretaro. 

La  2'  division  :  général  Douay  (provisoirement  commandée  par  le  ''énéral 
Xeigre)  ;  quartier  général  en  marche,  de  Jlorclia  sur  Durango. 

1"  brigade  :  bataillon  de  tirailleurs  algériens,  ù  Guadalajara;  81*  de  ligne,  à 
Mexico,   Morelia,  etc.;  i"  zouaves,  à  Aguascaliefites,   Zacatecas,   Guadalajara 
Léon,  Lagos. 

2"  brigade  :  18»  bataillon  de  chasseurs,  en  colonne  au  nord  de  Durango; 
7°  de  ligne,  à  Guanajuato,  San  Luis  Potosi,  Léon  ;  93»  de  ligne,  à  Aguascalientes, 
Zacatecas,  Guadalajara  et  environs. 

brigade  de  cavalerie  :  général  de  Lascûurs  ;  1"  régiment  de  marche ,  à  Ma- 
zatlan et  nord  de  Durango  ;  2*  régiment  de  marche,  à  Mexico;  12«  chasseurs,  à 
Mexico,  Guadalajara. 

Compagnie  da  génie  colonial  :  à  CorJova  et  Campêche. 

Contre-guérilla  :  à  Vcnado,  Tampico. 

Bataillon  égyptien  :  Terres  chaudes  de  Vera-Gruz. 

La  compagnie  de  volontaires  créoles ,  dont  les  engagements  n'avaient  qu'une 
durée  de  deux  ans,  était  partie  du  Mexique  le  17  novembre  1864.  Les  troupes 
de  la  marine  avaient  été  successivement  rappelées,  et  depuis  le  mois  de  janvier 
186S,  il  ne  restait  à  terre  que  les  matelots  de  la  direction  du  port  de  Vera-Cruz. 

Le  contre  amiral  Bosse  avait  été  nommé  au  commandement  en  chef  de  la  divi- 
sion navale  des  Antilles,  du  golfe  du  Mexique  et  de  l'Amérique  du  Nord  ;  il  fut  rem- 
placé dans  le  commandement  direct  de  l'escadre  des  côtes  du  Mexique  par  M.  le 
capitaine  de  vaisseau  Cloué  (26  août  1864). 

31 


482  II''   PARTIE.  CHAPITRE  III. 

4863. 

—  fort  disséminées  ;  le  maréchal  Bazaine  voulut  les  répartir 

d'une  manière  plus  normale  qui  permît  une  concentra- 
tion rapide.  Nous  avons  déjà  vu  qu'un  bataillon  fran- 
çais avait  été  envoyé  à  Matamores,  et  que  des  colonnes 
s'étaient  dirigées  au  nord  vers  Saltillo  et  Monterey  ; 
quelques-unes  de  ces  troupes  restèrent  dans  ces  contrées 
comme  pointe  avancée,  de  manière  à  surveiller  de  près 
les  mouvements  de  l'ennemi  sur  les  rives  du  Rio  Bravo  ; 
une  colonne  se  porta  sur  Chihuahua,  tandis  qu'une 
partie  de  la  division  de  Gastagny,  rappelée  de  Mazatlan, 
reprenait  position  dans  l'état  de  Durango.  Des  corps  de 
réserve  se  concentrèrent  en  arrière,  à  Léon,  Lagos,  Que- 
retaro. 

Le  maréchal  Bazaine,  portant  alors  toute  son  attention 
vers  la  frontière  américaine,  négHgeait  les  soins  de  la  paci- 
fication dans  les  provinces  du  centre  et  du  sud.  Sa  corres- 
pondance prouve  qu'à  cette  époque  il  se  préoccupait  ex- 
clusivement de  tenir  tête,  avec  sa  poignée  de  Français, 
aux  armées  que  les  Etats-Unis  pourraient  envoyer  contre 
lui,  et  qu'il  reléguait  toutes  les  autres  questions  au  second 
plan. 

Mésintelligence        H    u'cxistait  plus  de   rapports  bienveillants    entre  le 
le  goivcrnemeiit  commaudaut  cu  chef  et  r Empereur  dont  les  conseillers 

et  JèïanToHtés    étaient,  en  général,  peu  favorables  à  la  France.  M.  Eloin, 
lanraiv.b.      ^^^^  ^^^^^  ^^  cabiuet,  avait  particulièrement  montré,  dès 

les  premiers  jours,  une  hostilité  à  peine  déguisée  contre 
tout  ce  qui  portait  l'empreinte  de  l'influence  française.  Le 
maréchal  sentait  ses  actes  discutés,  ses  opérations  militaires 
critiquées  ;  il  fut  froissé  plus  d'une  fois  des  mauvaises- dis- 
positions de  l'entourage  impérial  et,  de  son  côté,  ne 
témoigna  plus  aux  souverains  la  même  sympathie.  Il  fai- 
sait mouvoir  les  troupes,  aussi  bien  les  Autrichiens  et 


\ 


LE    3IARÉCHAL    BAZAINE.  483 

les  Mexicains    que  les  Français,   comme  il   l'entendait;         4865. 
il  imposait  des  amendes  aux  populations  mal  disposées,  ~ 

ordonnait  des  réquisitions  de  transport  à  la  charge  du 
trésor  mexicain,  en  un  mot  agissait  en  maître,  et  prenait 
à  peine  le  soin  d'en  informer  l'Empereur.  Intervenant 
même  dans  les  questions  d'administration  civile,  il  fit, 
de  sa  propre  autorité,  arrêter  et  traduire  devant  les  con- 
seils de  guerre,  en  vertu  des  décrets  sur  l'état  de 
guerre,  rendus  en  juin  et  novembre  1863  et  non  rap- 
portés, cinq  rédacteurs  de  journaux  qui,  à  l'occasion 
du  procès  du  chef  de  bande  Romero,  avaient  publié 
des  articles  critiques  ou  injurieux  contre  l'armée  française. 
Cette  mesure  avait  ému  l'Empereur  qui  laissa  cependant  la 
justice  française  suivre  son  cours,  de  peur  de  provoquer  une 
rupture  de  la  part  du  maréchal  (0.  Les  rédacteurs  furent 
condamnés  à  la  prison  et  à  l'amende. 

Cette  mésintelligence  s'accentua  de  jour  en  jour;  au 
commencement  de  l'année  1865,  le  siège  d'Oajaca  glorieu- 
sement terminé,  le  maréchal  eût  peut-être  envisagé  avec 
satisfaction  la  possibilité  de  quitter  le  Mexique  ;  l'empe- 
reur Maximilien,  de  son  côté,  aurait  vu  avec  plaisir  le 
commandement  supérieur  passer  aux  mains  du  général 
Douay  qui,  rentrant  momentanément  en  France  avec  un 
congé  de  convalescence,  s'était  arrêté  quelques  jours  à 
Mexico,  et  dont  les  idées  et  les  appréciations  sur  la  situa- 
tion générale  du  Mexique  et  la  conduite  de  la  guerre 
avaient  séduit  l'Empereur  et  l'Impératrice  C'^). 

A  cette  époque,  le  maréchal  prétendait  en  effet  que  la 

(0  Le  maréchal  au  ministre,  28  mars  1863. 

(')  L'empereur  Maximilien  demanda  (février  180a  )  le  rappel  du  maréchal 
Bazaine.  Tel  est  du  moins  un  des  motifs  que  l'on  attribua  au  voyage  en  France  du 
général  mexicain  Woll  ;  mais  celui-ci  aurait  atténué  dans  ses  rapports  à  l'empereur 
Napoléon  les  expressions  du  mécontentement  do  l'empereur  Maximilien. 


484  11*  PARTIE.  CHAPITRE    111. 

-1865.         «  situation  était  très-bonne  et  croyait  le  moment  favorable 

~  au  rétablissement  des  finances  par  des  réductions  d'eftec- 

tif  ;  »  il  avait  maintenu  ses  ordres  relatifs  au  renvoi  de 

nouvelles  troupes  en  France.  L'empereur  Maximilien  en 

était  fort  mécontent  (*). 

Cependant  le  maréchal  ayant  formé  le  projet  d'épouser 
une  jeune  fille  d'une  des  principales  familles  de  Mexico,  ma- 
demoiselle de  iaPena,  l'empereur  espéra  que  ces  nouveaux 
liens  l'intéresseraient  plus  intimement  à  l'avenir  de  l'em- 
pire ;  ce  fut  l'occasion  d'un  rapprochement  entre  eux.  Le  ma- 
réchal, trouvant  que  les  affaires  politiques  marchaient  mal, 
n'en  continua  pas  moins  à  blâmer  les  mesures  prises  par  le 
gouvernement  impérial  ;  l'Empereur,  jugeant  que  les  opéra- 
tions militaires  auraient  dû  être  difteremment  conduites, 
s'en  prenait  toujours  au  maréchal  des  difficultés  de  la  situa- 
tion. Les  tiraillements  se  renouvelèrent  ;  le  préfet  de  Guana- 
juato  ayant  montré  du  mauvais  vouloir  au  commandant  mi- 
litaire français,  le  maréchal  retira  la  garnison  française,  et 
fit  savoir  à  l'Empereur  qu'il  en  agirait  de  même  partout  où 
il  ne  rencontrerait  pas  un  concours  loyal  et  dévoué  de  la 
part  des  autorités  politiques  et  adminislralives.Les  anciens 
partis  relevaient  la  tête  ;  à  Mexico,  un  comité  directeur  tra- 
vaillait par  tous  les  moyens  à  la  ruine  de  l'empire.  Des  lettres 
de  Santa-Anna,  qui  furent  interceptées,  ne  laissaient  aucun 
doute  à  cet  égard,  et  le  maréchal  croyait  que  plusieurs  mi- 
nistres, certains  commissaires  impériaux,  beaucoup  de  fonc- 
tionnaires de  tous  rangs  étaient  en  rapport  avec  les  conspi- 


W  Le  maréchal  au  ministre,  27  février  18G5. —  Outre  la  batterie  de  .'i  garde, 
et  de  nombreux  libérables  et  convalescents,  on  avait  renvoyé  en  France,  au\  mois 
de  septembre  et  d'octobre  d864  ,  le  1"  et  le  20'-"  bataillons  de  chasseurs  à  pied  ; 
Ift  99*  de  ligne  panit  en  deux  convois ,  au  mois  de  décembre  suivant,  et  le 
2*  zouaves  au  mois  de  mars  186S. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  48o 

rateurs.  Il  écrivit  à  Paris  au  ministre  de  la  guerre  qu'un         1863. 
grand  nombre  d'hommes,   importants  par  leur  position  ~ 

dans  le  pays,  étaient  mécontents  du  gouvernement,  qu'ils 
cherchaient  à  se  grouper  :  «  leurs  inquiétudes  s'aggravant 
depuis  les  derniers  événements  d'Amérique,  ils  se  comptent 
et  forment  un  faisceau  dont  la  force  s'augmente  en  propor- 
tion de  la  faiblesse  du  gouvernement,  et  du  danger  que 
peut  créer  l'apathie  apparente  qui  préside  aux  destinées  du  . 
pays  ou  le  choix  des  agents  du  pouvoir  exécutif. 

«  J'ai  reçu  à  cet  égard  des  confidences  qui  émanent 
d'une  source  qui  ne  me  permet  pas  le  doute,  et  je  sais  que, 
plutôt  que  de  subir  le  joug  américain  auquel  tend  le  parti 
démagogique,  les  conservateurs  n'hésiteraient  pas  à  se 
donner  au  bras  qui  les  a  soutenus,  et  sur  lequel  ils  basent 
toutes  leurs  espérances  d'avenir.  C'est  une  annexion  à  la 
France,  ou  tout  au  moins  un  protectorat  sous  sa  forme  la 
plus  absolue,  que  le  parti  conservateur  est  décidé  à  propo- 
ser, le  jour  où  par  suite  d'événements,  qui  ne  sont  point 
improbables,  le  souverain  que  l'intervention  a  donné  au 
pays  viendrait  à  lui  manquer  (*).  » 

Le  ministre  de  la  guerre  répondit  que  «  si  ces  tendances 
prenaient  quelque  consistance  »,  il  fallait  «  les  repousser 
de  la  manière  la  plus  péremptoire,  car,  à  aucun  titre  et  dans 
quelque  circonstance  que  ce  fût,  une  pareille  combinaison 
ne  saurait  être  admise  ou  seulement  entrevue,  elle  serait 
en  opposition  formelle  avec  les  intérêts  delà  France  et  avec 
les  intentions  de  l'Empereur  C^).  » 

Le  mariage  du  maréchal  fut  célébré,  le  26  juin,  à  la  cha- 
pelle du  palais;  le  maréchal  écrivit  au  ministre  de  la  guerre 

(')  Le  maréchal  au  ministre,  28  mai  1865. 

(2>  Le  ministre  au  maréchal  Bazaine,  30  juin  1865. 


486  II*  PARTIE.  CHAPITRE    III. 

4863.         que  l'Empereur  et  l'Impératrice  avaient  été  pour  lui  «  d'une 
parfaite  bonté  (*).  » 

Loin  de  s'apaiser,  le  mécontentement  de  l'Empereur  était 
cependant  entretenu  par  des  nouvelles  fort  peu  satisfai- 
santes reçues  de  tous  les  points  du  territoire  ;  il  pensait 
qu'on  aurait  pu  remédier  à  cet  état  de  choses,  si  le  maré- 
chal, au  lieu  de  présenter  la  situation  sous  des  couleurs 
trop  favorables  et  de  renvoyer  des  troupes  en  France,  avait, 
ainsi  qu'il  le  lui  conseillait,  sollicité  de  nouveaux  renforts. 
Les  sentiments  de  l'empereur  Maximilien  se  trouvent  nette- 
ment exprimés  dans  une    lettre  datée  du  29  juin  1865  : 

«  Je  reçois  des  nouvelles  fort  alarmantes.  Il  faudra  pourvoir  à 
la  sûreté  de  cette  place  importante  de  Guanajuato. 

8  Si  le  moindre  scandale  arrive,  j'en  rends  responsable  le  ma- 
réchal. 

«  Il  faut  le  dire  nettement,  notre  situation  militaire  est  des  plus 
mauvaises,  Guanajuato  et  Guadalajara  sont  menacés. 

«  La  ville  de  Morelia  est  entourée  d'ennemis;  Acapulco  est  perdu 
et  donne  par  son  excellente  position  un  chemin  toujours  ouvert 
pour  alimenter  la  guerre,  et  pour  fournir  l'ennemi  d'hommes  et 
d'armes. 

«  Oajaca  est  presque  dégarni  ;  San  Luis  Potosi  est  en  danger. 

«  Du  nord  ne  viennent  pas  de  nouvelles,  de  manière  que  la  posi- 
tion militaire  est,  je  le  répète,  bien  mauvaise,  plus  mauvaise  que 
l'automne  passé. 

«  On  a  perdu  un  temps  précieux,  on  a  ruiné  le  trésor  public,  on 
a  ébranlé  la  confiance,  et  tout  cela  parce  qu'on  a  fait  croire  îi  Paris 
que  la  guerre  est  glorieusement  finie,  que  d'immenses  territoires 
plus  vastes  que  la  France  étaient  redevenus  calmes  et  paisibles. 

(•)  Le  mari-chal  au  ministre,  28  juin. 

L'Empereur  donna  en  dot  à  la  inarécliale  le  palais  de  Bucna-Vista,  résidence  du 
commandant  en  chef.  Une  clause  du  contrai  spécifiait  que,  dans  le  cas  où  le  muré- 
chal  quitterait  le  Mexique,  cet  hôtel  serait  repris  par  l'Etat  moyennant  une  somme 
de  cent  mills  piastres.  Aprùs  la  cliulc  de  l'empire,  le  gouvernement  républicain  s'en 
empara. 


LE    31ARÉCHAL    BAZAINE.  48/ 

«  Donnant  suite  à  ces  rapports  complètement  faux,  on  a  rappelé         <868. 
une  grande  quantité  de  troupes,  voulant  ainsi  gagner  l'opposition; 
on  a  laissé  un  nombre  insuffisant  de  soldats. 

«  D'un  autre  côté,  on  nous  a  fait  dépenser  des  sommes  énormes 
pour  les  mauvaises  troupes  auxiliaires,  et  de  cette  manière  le  pauvre 
pays  doit  payer  des  troupes  françaises,.... des  hordes  d'indigènes 
qui  ne  lui  font  que  du  mal,  et  en  récompense  de  ces  immenses 
sacrifices  pécuniaires,  nous  voyons  les  principales  villes  du  pays, 
les  centres  de  la  richesse,  menacés  par  des  troupes  audacieuses 
qu'on  se  plaît  à  appeler  «  ladroms  »,  mais  qui  montrent  un  talent 
militaire  très-remarquable,  profitant  immédiatement  des  grandes 
faiblesses  de  notre  position. 

«  Dans  tous  ces  points,  il  y  a  deux  questions  sérieuses  à  régler  : 
l'insuffisance  des  troupes  et  les  sommes  inouïes  que  cette  lente  et 
malheureuse  guerre  engloutit. 

«  Le  point  le  plus  brûlant  pour  le  moment  est  d'assurer  les 
grandes  villes. 

«  La  perte  de  Guanajualo  serait  un  malheur  irréparable  ;  la 
prise  de  Morelia  un  scandale  sans  nom. 

€  A  propos  de  Morelia,  je  me  rappelle  très-bien  les  promesses 
qu'on  m'avait  faites  l'année  dernière.  On  parlait  comme  à  présent 
du  temps  des  pluies.  On  disait  qu'en  hiver  tout  serait  fait.  On  fai- 
sait mille  promesses  aux  malheureuses  populations,  et  il  se  passe 
une  année  et  nous  voilà  dans  la  position  la  plus  déplorable.  » 

Il  y  avait  beaucoup  de  vrai  dans  ce  triste  exposé  de  la 
situation  du  pays,  bien  que  les  alarmes  au  sujet  de  la  con- 
servation des  grandes  villes  de  l'intérieur,  toujours  proté- 
gées par  l'armée  française  fussent  des  plus  exagérées.  II 
eût  été  certainement  avantageux  d'avoir  un  eftectif  français 
plus  considérable,  mais  enfin  ces  mauvaises  troupes  auxi- 
liaires, ces-hordes  d'indigènes,  dont  l'Empereur  parle  avec 
tant  de  dédain,  étaient  en  définitive  composées  des  mêmes 
éléments  que  les  troupes  républicaines  ;  qu'elles  fassent 
médiocres,  et  sur  tous  les  points  de  beaucoup  inférieures 


488  II*  PARTIi;.  —  CHAPITRE   III. 

<86S.  à  des  corps  européens,  c'est  incontestable  ;  l'Empereur 
devait  le  savoir  avant  d'accepter  la  couronne.  Il  assurait 
d'ailleurs  ne  s'être  jamais  fait  d'illusions  sur  le  véritable 
état  du  pays  (0;  d'autre  part,  il  ne  pouvait  espérer  que  le 
gouvernement  français  continuerait  indéfiniment  ses  sacri- 
fices d'hommes  et  d'argent,  malgré  le  désir  maintes  fois 
exprimé  par  la  France  de  voir  mettre  un  terme  à  l'inter- 
vention au  Mexique.  Quand  les  Mexicains  eux-mêmes 
restaient  inertes,  que  les  plus  ardents  partisans  de  la 
monarchie  se  montraient  impuissants  à  provoquer  quel- 
que manifestation  sérieuse  en  faveur  de  l'empire,  était-il 
sage  de  croire  que  les  troupes  françaises,  leur  effectif  fùl-il 
double  ou  triole,  arriveraient  à  rélablir  l'ordre  dans  un 
pays  déchiré  depuis  quarante  ans  par  la  guerre  civile?  Le 
clergé  était  de  plus  en  plus  hostile  ;  la  reconnaissance  des 
lois  de  réforme  avait  porté  son  irritation  au  comble,  tandis 
que  la  révision  des  ventes  des  biens  ecclésiastiques  avec 
les  lenteurs  de  la  justice  mexicaine  et  les  vexations  qui  en 
étaient  la  conséquence,  ne  satisfaisait  personne  et  grossis- 
sait les  rangs  de  l'opposition.  Les  plaintes  de  milliers  de 
veuves  de  militaires,  d'estropiés,  et  de  blessés,  auxquels  on 
ne  payait  pas  régulièrement  la  pension  qu'ils  recevaient  des 
autres  gouvernements,  faisaient  le  plus  mauvais  effet.  Une 
lettre,  datée  du  30  juin  1865,  adressée  à  l'Empereur  par  le 


(*)  J'ai  bien  voulu  croire  ce  que  Teran  me  disait  avant  mon  départ  d'Europe, 
et  je  savais  que  les  idées  des  pauvres  exilés  de  la  Régence  embarrassée  n'étaient 
que  des  fantasmagories.  Je  ne  me  fis  jamais  d'illusions,  mais  j'ai  trouvé  que  la 
situation  n'était  pourtant  pas  si  triste  que  Teran  la  peignait  alors  et  qu'il  vou- 
drait encore  la  faire  paraître  ;  ce  pays  est  meilleur  qu'il  n'en  a  la  réputation,  et 

il  est  précisément  meilleur  dans  le  sens  contraire  aux  exilés (Extrait  d'une 

lettre  de  l'empereur  Maximilien  au  baron  de  Pont,  8  décembre  186S.) 

M.  Teran,  agent  du  gouvernement  de  Juarez  en  Europe,  était  allé  voir  l'em- 
pereur Maximilien  à  Miramar,  pour  lo  détourner  d'accepter  la  couronne  du 
Mexique. 


LE    MARÉCHAL    BAZAliNE.  480 

préfet  de  Morelia  pour  lui  donner  sa  démission,  est  inté-         i86o 
ressante  à  connaître  comme  indice  des  dispositions  actuelles 
des  anciens  partisans  de  l'empire  : 

«  Sire,  la  marche  politique  que  S.  M.  a  cru  devoir  imprimer  à 
son  gouvernement  n'a  pas  répondu  au  grand  but  que  S.  M.  se  pro- 
posait sans  doute  en  l'adoptant;  tout  au  contraire,  les  populations 
l'ont  vue  avec  une  extrême  défiance  et  les  révolutionnaires  avec  un 
dédain  marqué. 

«  L'enthousiasme  des  premières  est  éteint,  elles  sont  tombées 
dans  l'indifférence,  d'où  elles  passeront  h.  l'aversion. 

«  La  révolution  dont  les  titres  ont  été  reconnus  par  S.  M.,  de  la 
façon  la  plus  explicite  et  la  plus  solennelle,  méprise  les  concessions 
parce  qu'elle  se  croit  autorisée  aies  regarder  comme  de  justes  répa- 
rations qui  lui  sont  dues.  Elle  marche  à  son  but,  rien  ne  l'arrête  et 
peut-être  triomphera-t-elle  dans  ce  département. 

«  Ce  n'est  pas  qu'elle  soit  forte  par  le  pouvoir  des  armes  ;  sa 
force  est  dans  la  faiblesse  du  gouvernement.  Celui-ci  n'a  pas  de 
pensée  fixe,  il  n'a  pas  d'ensemble  dans  ces  mesures  ;  l'opi^ortunité 
et  l'unité  d'action  manquent  dans  tout.  En  un  mot,  Sire,  on  cherche 
en  vain  l'intelligence  supérieure  qui  dirige,  la  volonté  ferme  qui 
décide,  la  main  vigoureuse  qui  exécute;  le  chaos  en  est  la  consé- 
quence forcée. 

«  Telle  est  la  situation  du  Michoacan.  Il  convient  à  mon  devoir 
comme  autorité,  à  ma  loyauté  comme  homme  d'honneur,  de  l'ex- 
primer franchement  à  S.  M.  en  insistant  pour  la  quatrième  fois  sur 
la  démission  que  je  donne  de  la  préfecture  politique. 

«  Je  prie  S.  M.  de  l'accepter  pour  me  sauver  au  moins  du  ridi- 
cule qui  est  le  sort  réservé  aux  fonctionnaires  publics  de  ce  mal- 
heureux département.  » 

La  désaffection  était  en  effet  générale.  L'Empereur,  au 
lieu  d'exercer  le  pouvoir  d'une  main  ferme  et  sous  sa 
propre  responsabilité,  laissait  paralyser  ses  excellentes  in- 
tentions par  le  mauvais  vouloir  ou  l'apathie  de  ses  agents  ; 
il  avait  la  faiblesse  de  soumettre  ses  décisions  au  contrôle 
de  ses  ministres,  et  en  subordonnait  l'exécution  à  leur  au- 


490  II*  PARTIE.  —  CHAPITRE  III. 

mo.  torisation  préalable  (*).  Très-fréquemment,  des  questions 
arrêtées  dans  un  sens  entre  l'Empereur  et  le  maréchal  re- 
cevaient, quand  elles  avaient  passé  par  les  ministres,  une 
solution  toute  différente,  ou  bien  elles  étaient  indéfiniment 
ajournées. 

L'expérience  était  faite,  l'épreuve  était  "tentée  ;  de  plus 
la  guerre  civile  d'Amérique  une  fois  terminée,  l'influence 
française  devait  inévitablement  succomber  sous  l'influence 
bien  autrement  puissante  de  la  république  américaine.  Les 
moins  clairvoyants  reconnaissaient  actuellement  l'impossi- 
bilité de  maintenir  l'empire  ;  la  fraction  la  plus  active  et  la 
plus  intelligente  du  pays  était  entraînée  dans  le  courant 
des  idées  républicaines  démocratiques  ;  la  masse  indienne 
restait  inerte,  et  les  conservateurs  monarchiques  ne  repré- 
sentaient qu'une  minorité  fort  insuffisante  ;  avec  plus  d'é- 
nergie, l'empereur  Maximilien  aurait  peut-être  tiré  meil- 
leur parti  de  la  situation,  il  n'est  pas  probable  qu'il  fût 
parvenu  à  la  dominer. 

Il  était  également  injuste  de  rendre  le  maréchal  Bazaine 
responsable  des  difficultés  de  l'heure  présente.  L'empe- 
reur Maximilien  se  montrait  cependant  trop  disposé  à  le 
faire  (^). 

(1)  Un  Français,  qui  était  allé  à  Mexico  pour  s'occuper  de  la  fondation  d'éta- 
blissements de  crédit,  écrivait  le  12  août  1865  :  «  Comme  étranger,  ce  qui  se 
passe  dans  ce  pays  ne  me  regarde  pas;  mais  je  ne  puis  m'empècher  de  plaindre 
sincèrement  S.  M.  Maximilien  d'être  entouré  d'hommes  aussi  arriérés;  en  vérité, 
on  serait  porté  à  croire  que  c'est  de  mauvaise  foi  qu'ils  agissent.  Sa  Majesté  est 
trop  bonne  et  a  trop  de  déférence  pour  eux  ;  avec  de  pareils  hommes,  ses  efforts 
pour  faire  le  bien  du  pays  sont  frappés  de  stérilité.  » 

(2)  La  lettre  suivante,  de  l'empereur  Maximilien,  fera  connaître  l'aigreur  de 
ses  sentiments  à  l'égard  du  maréchal. 

ChapuUepec,  18  juillet  1865  —  « Je  ne  me  plains  pas  contre  les  Français 

auxquels  le  Mexique  doit  tant  do  reconnaissance,  mais  je  me  plains  amèrement 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  491 

Un  rapide  exposé   de  la  situation  financière  du  pays         I860. 
achèvera  de  prouver  combien  étaient  précaires  les  condi- 
tions d'existence  de  l'empire. 

Les  ministres  de  l'empereur  Maximilien  s'exprimaient 
ainsi  dans  un  rapport  qu'ils  lui  adressaient  à  ce  sujet  : 

Sire,  en  montant  sur  le  trône  du  Mexique,  ce  dont  Votre  Majesté 
pouvait  le  moins  se  flatter  c'était  de  venir  gouverner  une  nation 
prospère.  V.  M.  reconnut  de  la  manière  la  plus  formelle  que  l'Em- 
pire et  la  présence  de  l'Empereur  étaient  acceptés  comme  l'espoir 

et  directement  contre  quelques  Français  qui  servent  mal  leur  Empereur  et  l'hon- 
neur de  leur  dropeau.  Je  parle  de  ces  hauts  fonctionnaires  qui  dépensent  Targent 
et  le  sang  du  Mexique  inutilement,  qui  font  toutes  les  intrigues  pour  contrecarrer 
la  formation  d'une  armée  nationale,  qui  renvoient  des  troupes  sans  la  permission 
do  leur  souverain  et  contre  les  traités  les  plus  sacrés,  qui  permettent  et  autorisent 
le  vol  et  le  saccage,  qui  démoralisent  de  plus  en  plus,  tous  les  jours,  une  helle  et  glo- 
rieuse armée,  qui  foulent  à  leurs  pieds  les  principes  de  la  civilisation,  la  gloire 
de  Napoléon  et  de  ses  drapeaux  ;  je  parle  de  ces  chefs  qui  me  laissent  dans 
l'ignorance  la  plus  complète  de  faits  militaires,  qui  me  parlent  de  victoires 
quand  il  y  a  des  défaites,  qui  sacrifient  inutilement  de  braves  troupes,  qui  ont 
mis  mon  empire  dans  une  position  militaire  plus  triste  qu'elle  n'a  été  l'année 
passée,  qui  permettent  à  Juarez  d'enrôler  une  nouvelle  armée  et  de  se  moquer 
d'un  maréchal  de  France  et  de  son  armée. 

«  Si  je  ne  me  plains  pas  ouvertement,  si  je  ne  montre  pas  mon  mépris,  c'est 
par  égard  pour  mon  meilleur  ami,  pour  l'empereur  Napoléon,  par  respect  pour 
cette  grande  nation  à  laquelle  nous  devons  tant.  J'avale  bien  des  injustices,  bien 
des  humiliations  auxquelles  je  n'étais  accoutumé  de  ma  vie,  par  amour  pour  ma 
nouvelle  patrie,  par  amitié  pour  la  France.  Je  fais  comme  si  j'étais  dupé,  pour 
sauver  l'avenir,  et  vous  savez  bien  que  je  ne  suis  la  dupe  de  personne  et  que  ma 
mémoire,  malheureusement  trop  bonne,  me  fait  rappeler  toutes  les  promesses  et 
tous  les  mensonges  qu'on  m'a  faits  et  dits  depuis  quatorze  mois.  Aucune  des  pro- 
messes n'a  été  tenue  et,  je  le  répète,  la  position  militaire  est  plus  mauvaise  que 
l'année  dernière,  chose  que  je  peux  vous  prouver  sur  la  carte  et  par  les  rapports 
que  je  reçois,  qui,  c'est  vrai,  ne  me  parviennent  pas  malheureusement  du  quar- 
tier général  comme  cela  devrait  être,  mais  qui  pour  cela  ne  sont  pas  moins  au- 
thentiques. Du  reste,  je  me  console  de  ne  pas  recevoir  des  rapports  inexacts  du 
quartier  général,  puisque  le  même  malheur  arrive  comme  je  viens  de  le  savoir  po- 
sitivement à  l'empereur  des  Français. 

«  On  se  joue  des  deux  Empereurs,  voilà  la  situation  ;  mais  elle  ne  durera  pas 
longtemps  ;  les  deux  Empereurs  commencent  à  voir  clairement  et  le  Mexique  et  la 
gloire  de  l'armée  française  seront  sauvés  et  triompheront  de  toutes  les  intrigues 
méprisables.  » 


492  11°  PARTIE.  CHAPITRE  III. 

/)865.  d'un  remède  à  d'immenses  malheurs  qui  pesaient  douloureuse- 

—  ment  sur  ce  pays  depuis  longues  années,  et  que  le  gouvernement 

de  V.  M.  était  l'héritier  de  beaucoup  d'autres  qui  avaient  accumulé, 

peu  importe  à  qui  en  revient  la  faute,    une  foule  de  désordres  et 

de  calamités,  d'engagements  et  de  déceptions.... 

«  Grande  renommée  de  richesses,  pauvreté  réelle^  brillantes  illusions 
et  amères  déceptions,  telle  est  notre  histoire  financière.  » 

On  disait  que  les  revenus  du  Mexique,  sous  le  gouverne- 
ment des  vice-rois,  s'élevaient  à  vingt  millions  de  piastres; 
mais,  en  regardant  les  chiffres  de  près  et  en  déduisant  les 
frais  de  perception,  on  arrive  seulement  à  un  total  de 
treize  millions  et  demi  de  piastres  qui  s'était  abaissé  à  huit 
ou  neuf  millions  au  moment  où  l'indépendance  fut  procla- 
mée. On  estimait  que,  lorsque  l'empereur  Maximilien 
accepta  la  couronne ,  le  revenu  public  s'élevait  à  quinze 
millions  de  piastres  au  plus  ;  il  était  dû  dix  annuités  sur  la 
dette  étrangère,  plus  de  cinquante  millions  de  piastres  à  la 
France  pour  frais  de  l'expédition,  et  cent  millions  à  la  dette 
intérieure.  Quoique  ce  bilan  ne  fût  pas  alors  très-bien 
connu,  la  première  préoccupation  du  nouveau  souverain, 
avant  même  son  départ  de  Miramar,  avait  été  de  négocier 
un  emprunt.  Nous  avons  déjà  dit  qu'il  réussit,  grâce  à 
l'habileté  de  M.  Fould,  ministre  des  finances  de  France; 
on  obtint  cet  emprunt  au  chiffre  nominal  d'un  peu  plus  de 
cinquante  millions  de  piastres,  à  un  taux  de  6  ''/o,  mais  les 
frais  et  les  conditions  de  la  souscription  le  réduisirent  à 
moins  de  vingt  millions  de  piastres,  ce  qui  fit  ressortir 
l'intérêt  à  plus  de  12  %  ;  pour  le  Mexique  ces  conditions 
n'étaient  pas  encore  trop  mauvaises  ;  «  dans  ses  jours  les 
plus  prospères,  la  république  mexicaine  eût  été  heureuse 
de  trouver  de  l'argent  à  ce  prix  »  ('). 

fl)  Rapport  du  minisfe  des  finances. 


LE    MARÉCHAL    BAZAIINE.  493 

Mais  c'est  à  peine  si,  après  les  prélèvements  faits  pour  ^soo. 
les  créanciers  anglais,  pour  les  garanties  d'intérêts,  et  pour 
le  trésor  français,  il  était  resté,  sur  le  produit  de  cet  em- 
prunt, quelques  millions  que  l'empereur  Maximilien  reçut 
à  Miramar  et  appliqua  en  partie  aux  dépenses  de  premier 
établissement.  Il  fallait,  de  toute  nécessité,  faire  un  nouvel 
appel  au  crédit  public. 

Dans  les  premiers  mois  de  l'année  1864,  le  ministre  des  Mission 
finances  avait  envoyé  au  Mexique  M.  Corta,  député  .au 
Corps  législatif,  u  homme  d'un  excellent  esprit,  calme,  et 
instruit,»  disait  le  ministre  lui-même (*);  il  avait  pour  mis- 
sion spéciale  d'étudier  la  situation  financière,  de  se  rendre 
compte  des  difficultés,  d'en  préparer  l'aplanissement,  de 
régler  les  différentes  questions  d'indemnités  et  de  réclama- 
tions françaises,  sans  oublier  surtout  la  créance  Jecker  (^), 
et  de  faire  la  lumière  sur  les  incertitudes  de  l'avenir. 

Après  un  séjour  de  quelques  semaines  àMexico,  M.  Gor- 
ta  revint  à  Paris,  ébloui,  disait-il,  de  la  fécondité  de  ce  sol 
privilégié.  C'est  alors  que  fut  conçue  cette  nouvelle  et  har- 
die combinaison  financière  de  l'émission  d'un  emprunt 
mexicain  sur  la  place  de  Paris,  malgré  la  dépréciation  qui 
frappait  déjà  les  titres  précédemment  émis.  M.  Corta  arriva 
juste  à  point  pour  facihter  le  succès  de  cette  aventureuse 
opération.  Il  fit  à  la  tribune  du  corps  législatif  un  récit 
merveilleux  des  richesses  du  Mexique  (^),  de  l'avenir  fortu- 
né qui  lui  était  réservé  par  le  développement  du  commerce, 
de  l'agriculture,  et  de  l'industrie;  sous  le  gouvernement 

(»)  Lettre  de  M.  Achille  Fould,  31  mars  1864. 

<*'  Voir  à  l'appendice. 

(3)  Séances  des  9  et  10  avril  1865  :  •  Le  Mexique,  au  point  de  vue  agricole, 
commercial  et  industriel,  est  tout  simplement  le  pays  le  plus  favorisé  du  globe.  • 
La  plupart  des  chiffres  cités  par  M.  Corta  au  sujet  des  revenus  des  impôts,  aux 
différentes  époques,  sont  erronés. 


494  ïl"   PARTIE.  CHAPITRE  III. 

1865.  sage  et  populaire  de  Teoipereur  Maximilien,((  apparaissant 
aux  Indiei^  comme  l'homme  de  la  prédiction,  l'homme 
venu  d'Orientaux  cheveux  blonds  et  aux  yeux  d'azur.» 

M.  Rouher,  ministre  d'Etat,  corrobora  les  assertions 
de  M.  Corta  dans  un  pompeux  langage,  où  il  était  ques- 
tion de  découverte  et  d'exploitation  de  mines  de  fer,  de 
houille,  de  sources  d'huile  de  pétrole  ;  il  donna,  en  ces 
termes,  aux  futurs  souscripteurs  de  l'emprunt,  la  garantie 
morale  du  gouvernement  français  :  «  Le  but  doit  être 
atteint,  la  pacification  doit  être  complète,  l'armée  française 
ne  doit  revenir  sur  nos  rivages  que  son  œuvre  accomplie 
et  triomphante  des  résistances  qu'elle  aura  rencontréesC^).» 

Quelques  jours  après,  l'emprunt  était  lancé  et,  en  trois 
jours,  entièrement  souscrit  avec  un  engouement  indes- 
criptible C^).  L'épargne  française  s'engloutissait  de  nouveau 
dans  ce  gouffre  où  l'influence  politique  et  le  prestige  de 
la  France  étaient  déjà  près  de  disparaître.  Enfin,  quelque 
argent  était  trouvé  pour  satisfaire  aux  exigences  pres- 
santes du  moment.  Déduction  faite  des  frais  de  négocia- 
tions et  des  prélèvements  divers,  il  ne  parait  pas  être  resté 
au  gouvernement  mexicain  une  somme  de  50  millions  de 
francs,  sur  les  170  millions  ou  environ  qui  furent  versés 
par  les  souscripteurs. 

On  comprend  que,  dans  de  telles  conditions,  il  était  dif- 
ficile que  l'état  financier  du  Mexique  parvînt  à  s'améliorer. 


(>)  Séance  du  10  avril  1865. 

(2)  Par  un  syndicat  de  trente-cinq  banquiers,  auxquels  s'adjoignirent  deux  cents 
banques  secondaires. 

On  émit  500,000  obligations  à  340  fr.,  devant  produire  un  capital  de 
170  millions.  —  Ces  obligations,  remboursables  à  500  fr.,  étaient  productives 
d'un  irUérêt  annuel  de  30  fr.  La  grande  attraction  de  celte  combinaison  él;iit  le 
tirage  de  lots  semestriels  de  500,000  fr.,  de  100,000  fr.,  de  50  et  de  10.000  fr. 
Les  banquiers  chargés  de  l'émission  prélevèrent  une  commission  de  10  p.  lot). 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  49o 

Avec  une  bonne  gestion,  on  aurait  pu  notablement  aug-  -iSCo. 
menler  les  revenus  publics,  mais  il  y  avait  peu  d'ordre 
dans  l'administration ,  peu  d'intégrité  chez  beaucoup 
d'agents.  Nous  avons  dit  que  l'empereur  Maximilien  avait 
voulu  confier  le  contrôle  et  la  direction  des  services  finan- 
ciers à  des  employés  français,  et  nous  avons  fait  connaître 
les  difficultés  que  la  mauvaise  volonté  des  Mexicains  op- 
posait à  l'application  de  cette  mesure.  Cependant,  l'Empe- 
reur ayant  demandé  à  la  France  un  fonctionnaire  d'un 
rang  élevé  pour  organiser  le  système  financier  du  Mexique, 
un  inspecteur  général  des  finances,  M.  Bonnefons,  fut  mis  à 
sa  disposition.  Il  se  rendit  àMexico  au  mois  de  février  1865. 
L'Empereur  et  l'Impératrice  désiraient  qu'il  acceptât  le 
portefeuille  de  ministre  des  finances,  mais  il  se  récusa 
sagement,  d'accord  avec  le  maréchal  Bazaine  qui  écrivait 
à  ce  sujet  : 

«  J'ai  reçu  M.  Bonnefons,  et  nous  sommes  tombés  d'accord  sur 
les  difficultés  qui  surgiraient,  et  sur  le  peu  d'indépendance  que  lui 
laisserait,  vis-à-vis  des  intérêts  de  la  France,  sa  position  officielle 
de  ministre  des  finances  mexicaines.  De  son  côté,  l'empereur  Maxi- 
milien  voudrait  qu'il  fût  ministre  titulaire,  mais  je  crois  qu'il  y  a 
une  arrière-pensée  qui  peut  se  traduire  ainsi:  «  M.  Bonnefons  une 
fois  ministre,  je  ne  serai  jamais  embarrassé,  puisqu'il  aura  à  sa  dis- 
position la  caisse  et  le  crédit  de  larmée  française»;  je  puis  me 
tromper,  mais  M.  Bonnefons  ne  serait  qu'un  banquier  officiel  ayant 
rang  de  ministre.  Il  vaut  donc  mieux  qu'il  prenne  la  direction  des 
services  financiers  à  titre  de  conseiller,  de  commissaire  général, 
de  contrôleur  général,  comme  on  voudra,  avec  son  admission  au 
conseil  des  ministres. 

«  J'ai  donc  parlé  dans  ce  sens  à  l'Empereur  et  à  l'Impératrice 
qui,  avec  raison,  s'occupe  des  affaires  du  pays,  et  LL.  MM.  trouvent 
que  M.  Bonnefons  est  trop  timide  quant  à  la  responsabilité  et  qu'il 
faut  qu'il  soit  ministre  réel;  l'aftaire  en  est  là  ('),  » 

(')  Le  maréchal  au  ministre,  10  mars  1865. 


49G  U^   PARTIE.  —  CHAPITRE  III. 

^8C5.  Ce  n'était  pas  sans  arrière-pensée  d'intérêt  personnel  que 

le  gouvernement  français  envoyait  un  fonctionnaire  des 
finances  à  l'empereur  Maximilien.  Il  entendait  s'exonérer 
autant  que  possible  des  charges  que  lui  imposait  le  maintien 
de  son  armée  au  Mexique,  et  des  instructions  confidentielles 
avaient  été  adressées  à  ce  sujet  au  maréchal  .(^)  On  ne  con- 
sentait à  venir  en  aide  à  l'empereur  Maximilien  au  moyen 
de  la  trésorerie  de  l'armée  qu'à  certaines  conditions  déter- 
minées, entre  autres  la  remise,  aux  mains  d'agents  français, 
de  la  direction  de  tous  les  services  financiers,  le  règlement 
des  indemnités  françaises ,  et  le  remboursement  d'une 
somme  de  2,100,000  fr.,  payée  pour  la  construction  du 
chemin  de  fer  de  Vera-Gruz.  L'empereur  Maximilien, 
n'ayant  pas  le  choix  des  moyens,  souscrivit  à  toutes  ces 
exigences  ;  mais  on  ne  peut  s'empêcher  de  plaindre  ce 
malheureux  souverain  qui  n'avait  le  droit  de  disposer  ni 
d'un  écu,  ni  d'un  soldat. 

M.  Bonnefons,  étant  tombé  malade,  fut  remplacé  par 
M.  Langlais,  consedler  d'Etat  ;  en  attendant  l'arrivée 
de  ce  nouveau  fonctionnaire,  les  ministres  mexicains  se 
hâtèrent  de  prendre  nombre  de  mesures  qui  devaient  pa- 
ralyser son  action,  et,  à  l'insu  des  représentants  de  la 
France,  consentirent  même  avec  la  maison  Jecker  à  un 
arrangement  onéreux  pour  le  Trésor  mexicain  (^). 

M.  Langlais  fut  d'abord  assez  mal  reçu;  plus  tard,  l'em- 
pereur MaximiUen  apprécia  combien  était  précieux  un 
auxiliaire  aussi  dévoué  et  aussi  intelligent  ;  mais  sa  santé 
était  déjà  ébranlée  par  le  changement  de  climat  ;  il  ne  put 
résister  à  l'excès  de  travail,  et  mourut  après  une  courte 
maladie.  L'empereur  MaximiUen  le  pleura  comme  un  ami. 

(*)  Instructions  du  15  mars.  —  Le  maréchal  au  ministre,  28  avril. 
(*)  Voir  à  l'appendice. —  Le  niaréclial  au  ministre,  27  et  28  octobre. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  497 

M.  Langlais  avait  élaboré  un  plan  d'organisation  finan-        -1860 
cière  et  un  projet  de  budget  où  les  recettes  et  les  dé- 
penses s'équilibraient  à  peu  près  ;  on  ne  réussit  pas,  du 
reste,  à  mettre  ses  combinaisons  en  pratique. 


32 


CHAPITRE  QUATRIÈME. 


SOMMAIRE. 

Politique  des  Etats-Unis.  —  Emigration  des  confe'déres  au  Mexique.  —  Création 
des  divisions  militaires  et  des  grands  commandements.  —  Opérations  militaires 
dans  le  Miclioacan.  —  Premier  combat  de  Tacambaro  (11  avril  1863).  — 
Combat  d'Huaniqueo  (23  avril).  —  Deuxième  combat  de  Tacambaro  (11 
juillet).  —  Combat  de  Santa  Ana  Amatlan  (12  ociobre).  —  Menées  du  général 
Santa  Anna.  —  Réoccupation  d'Acapulco  (11  août).  —  Opérations  des  volon- 
taires autrichiens  dans  la  province  d'Oajaca  et  dans  la  Huasteca,  —  Expédi- 
tion sur  Ghihuahua.  —  Décret  du  3  octobre  1863.  —  Opérations  militaires  en 
Sonora. —  Opérations  dans  leTaraaulipas. —  Opérations  des  colonnes  françaises 
dans  le  nord-est.  —  Voyage  de  l'impératrice  Charlotte  au  Yucatan. 

Vers  le  milieu  de  l'année  1865,  la  possibilité  d'une  in-  Poiniqne 
tervention  armée  des  Etats-Unis  dans  les  affaires  du  Mexique 
préoccupait  vivement  le  maréchal  Bazaine  :  aussi,  comme 
nous  l'avons  dit,  il  cherchait  à  concentrer  ses  troupes  de 
manière  à  les  diriger  promptement  sur  la  frontièredunord, 
dans  le  cas  où  les  circonstancesl'exigeraient.  On  s'appliqua, 
du  reste,  à  écarter  toute  cause  de  conflit,  et  la  plus  grande 
patience  fut  recommandée  au  général  Mejia  à  l'égard  des 
chefs  militaires  de  la  rive  gauche  du  Rio  Bravo. 

Avant  d'évacuer  Brownsville,  les  confédérés  avaient  fait 
passer  sur  la  rive  mexicaine  d'assez  grandes  quantités  de 
marchandises  et  une  batterie  d'artillerie.  Les  fédéraux  en 


des  Etats-Unis. 


500  II*  PARTIE.  CHAPITRE    IV. 

réclamèrent  la  restitution.  Pour  que  cet  incident  ne  prît 
pas  trop  d'importance,  le  maréchal  conseilla  au  gouverne- 
ment mexicain  de  restituer  purement  et  simplement  la  bat- 
terie d'artillerie,  ce  qui  était  conforme  au  droit  internatio- 
nal ;  la  question  des  marchandises  fut  réservée,  et  M.  Roblès, 
ministre  de  Fomento  (^\  fut  envoyé  en  mission  spéciale  à 
Matamoros,  pour  régler  les  questions  litigieuses  et  arranger 
les  différends  à  l'amiable.  Les  bandes  de  Gortina  et  d'Esco- 
bedo  continuaient  à  recevoir  bon  accueil  sur  le  territoire 
des  Etats-Unis,  où  elles  passaient  fréquemment,  soit  pour 
se  ravitailler,  soit  pour  échapper  aux  poursuites  des  forces 
impérialistes  ;  cependant  d'assez  bons  rapports  s'établirent 
entre  le  général  Mejia  et  le  général  Brown,  commandant  à 
Brownsville;  celui-ci  protesta  de  son  intention  d'observer 
une  stricte  neutralité;  le  cabinet  de  Washington  parais- 
sait mieux  disposé  ;  le  gouverneur  de  la  Californie  s'oppo- 
sait au  départ  pour  le  Mexique  d'un  bâtiment  portant  quatre 
cents  flibustiers;  il  faisait  surveiller  la  frontière  de  l'Arizona 
afin  d'en  interdire  le  passage  aux  bandes  armées  (^)  ;  les 
alarmes,  causées  par  les  dispositions  hostiles  des  Etats-Unis, 
s'apaisèrent,  et  le  maréchal  crut  possible  de  proposer  au 
ministre  de  la  guerre  de  faire  encore  rentrer  en  France  un 
régiment  d'infanterie,  un  bataillon  de  chasseurs,  et  deux  es- 
cadrons (3).  Cependant  on  apprit  bientôt  que  les  Américains 
envoyaient  des  troupes  au  Texas  ;  le  général  Shéridan  était 
attendu,  disait-on,  avec  60  à  70,000  hommes  ;  les  rapports 
de  la  marine  signalaient,  à  Brazos-Santiago,  la  présence  de 


(•)  Le  ministère  de  /'omenio  correspond  aux  ministères  des  travaux  publics,  de 
l'agriculture,  du  commerce,  etc.  La  signification  de  fomento  est  :  encouragement, 
appui,  protection. 

(»)  Le  maréchal  au  ministre,  28  juin, 

'3)  Le  maréchal  au  ministre.  H  juillet. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  oOl 

quinze  navires  à  vapeur  ;  25,000  hommes  étaient  déjà  -1865. 
réunis,  parmi  lesquels  15,000  soldats  noirs  dont  les  Etats- 
Unis  étaient  fort  embarrassés,  et  qu'ils  auraient  sans  doute 
lâchés  volontiers  sur  le  Mexique  (^).  On  savait  que  le  gou- 
vernement américain  n'avait  aucune  envie  d'augmenter  ses  v 
difticultés  en  s'engageant  dans  une  guerre  avec  la  France  ; 
mais  l'animosité  du  peuple  était  si  grande,  que  le  cabinet 
pouvait  se  voir  débordé,  soit  par  l'opinion  pubHque,  soit 
par  le  congrès.  M.  de  Montholon,  ancien  ministre  de 
France  à  Mexico,  où  il  avait  été  remplacé  par  M.  Dano,  et 
qui  remplissait  alors  les  mêmes  fonctions  à  Washington, 
écrivait  au  maréchal,  le  30  juillet (^)  :  «  La  guerre  étrangère 
est  à  l'ordre  du  jour  aux  Etals-Unis  ;  le  gouvernement  lutte 
pour  l'éviter,  afin  de  ne  pas  augmenter  sa  dette  publique, 
qui  s'élève  déjà  à  plus  de  quinze  milliards  de  francs,  mais 
il  n'est  pas  assez  fort  pour  s'opposer  aux  cris  que  l'on  pro- 
fère partout  autour  de  lui,  et  particulièrement  dans  l'armée 
qui  est  encouragée  dans  le  sens  de  la  guerre  par  son  chef  le 
général  Grant.  » 

Au  même  moment,  l'empereur  MaximiHen,  s'abusant  sur 
les  véritables  sentiments  du  cabinet  de  Washington,  écri- 
vait personnellement  au  président  Johnson,  sans  avoir  pris 
la  précaution  de  faire  sonder  ses  dispositions  ;  celui-ci 
refusait  de  recevoir  la  lettre  de  l'Empereur  et  déclinait 
tout  rapport  avec  l'envoyé  chargé  de  la  lui  remettre.  En 
faisant  part  de  cet  incident  au  ministre  de  France  à  Was- 
hington, M.  Seward,  secrétaire  d'Etat  aux  affaires  étran- 
gères, en  prit  occasion  pour  affirmer,  de  nouveau  et  officiel- 
lement, l'intention  bien  arrêtée  des  Etats-Unis  de  re-  ■ 
connaître  seulement  le  gouvernement  républicain  et  son  / 

(*)  Le  maréchal  au  ministre,  28  juillet. 
(*)  Le  maréchal  au  ministre,  27  août. 


502  11'  PARTIE.  CHAPITRE  IV. 

4865.  président  Juarez.  Bien  que  le  gouvernement  français  fît 
valoir,  auprès  du  cabinet  de  Washington,  que  le  rappel  du 
corps  expéditionnaire  serait  la  conséquence  presque  immé- 
fi  diate  de  la  reconnaissance  de  l'Empire,  au  moins  comme 
pouvoir  de  fait  établi  à  Mexico,  toutes  ses  démarches 
échouèrent. 
Émigration  L'accucil  reçu  au  Mexique  par  les  nombreux  émigrés 

des  confédérés  .  ,  ^ 

au  Mexique,  confédérés,  forcés  de  s'expatrier,  augmenta  l'irritation 
des  Américains  du  nord,  dans  le  cœur  desquels  les 
vives  passions,  suscitées  par  la  guerre  civile,  n'étaient  pas 
encore  calmées.  L'empereur  Maximilien  et  le  maréchal  Ba- 
zaine  pensaient,  avec  raison,  que  celte  émigration  d'hommes 
énergiques  était  une  bonne  fortune  pour  le  Mexique.  Leur 
industrieuse  activité  féconderait  le  sol,  et,  par  leur  esprit 
pratique,  ils  développeraient  les  idées  d'ordre  et  de  respect 
aux  lois,  dont  le  pays  avait  grand  besoin  ;  mais  les  Etats- 
Unis  étaient  mécontents  de  voir  s'établir  près  de  leurs 
frontières  une  population  essentiellement  hostile,  toute 
disposée  à  combattre  leur  influence  et  à  recommencer 
la  guerre  dès  que  les  circonstances  le  permettraient.  Le 
maréchal  s'attacha  autant  que  possible  à  faire  disparaître 
cette  cause  d'excitation  en  donnant  l'ordre  au  colonel  Jean- 
ningros,  commandant  à  Monterey  les  troupes  françaises  les 
plus  avancées,  de  faire  désarmer  les  Américains  qui  se 
présenteraient  dans  ses  lignes,  et  de  les  diriger  immédiate- 
ment vers  l'intérieur  (*).  Tout  en  évitant  de  heurter  directe- 
ment les  Etats-Unis,  il  était  de  la  poHtique  du  gouverne- 
ment impérial,  d'accueillir  ces  hôtes  et  de  chercher  à  les 
fixer  dans  le  pays. 

(')  Un  certain  nombre  d'oflGciers,  dont  plusieurs  avaient  acquis  de  la  noto- 
riété dans  la  jçuerrc  de  la  Sécession,  passèrent  au  Mt'xi(iue  ;  c'étaient  les  généraux 
Allen,  Magruder,  Walker,  Wilcox,  Leabster,  Stevens,  Kings,  Terrel,  ilardeman, 
Harris,  Price,  Polo,  Preston,  Smith,  Kirby,  etc.,  et  le  conimodore  Maury. 


LE   5IARÉCHAL   BAZALNE.  o03 

Un  ancien  représentant  de  l'État  de  Californie  au  Sénat 
américain,  le  docteur  Gwin,  avait  formé  un  vaste  plan 
de  colonisation  pour  la  Sonora;  il  fut  reçu  en  audience 
par  l'empereur  Napoléon  ;  des  correspondances  inter- 
ceptées ayant  appris  au  cabinet  de  Washington  l'accueil 
bienveillant  que  ces  projets  avaient  trouvé  aux  Tuile- 
ries, il  chargea  M.  Bigelow,  son  représentant  à  Paris,  de 
demander  des  explications  à  ce  sujet.  Le  ministre  amé- 
ricain fit  donc  savoir,  par  une  note  officielle,  au  ministre 
des  affaires  étrangères,  qu'il  était  «  chargé  de  déclarer 
franchement  que  les  sympathies  du  peuple  américain 
pour  les  républicains  du  Mexique  étaient  très-vives,  et 
qu'on  verrait  avec  impatience  la  continuation  de  l'in- 
tervention française  dans  ce  pays;.... que  toute  faveur 
accordée  au  projet  du  docteur  Gwin  par  l'empereur  ti- 
tulaire du  Mexique,  ou  par  le  gouvernement  impérial  de 
France,  tendrait  notablement  à  accroître  cette  impatience 
populaire  parce  qu'elle  serait  regardée,  peut-être  avec  jus- 
tice, comme  impliquant  un  danger  pour  les  Etats-Unis  » . 

Le  ministre  des  affaires  étrangères  répliqua  que  le  gou- 
vernement français,  «  toujours  prêt  à  répondre  loyalement 
aux  demandes  d'explications  inspirées  par  un  esprit  de 
conciliation  et  présentées  sur  un  ton  amical,  était  au  con- 
traire résolu  à  repousser  toute  interpellation  qui  serait 
faite  sur  un  ton  comminatoire  » .  Toutefois,  en  écrivant  au 
ministre  de  France  à  Washington,  M.  Drouyn  de  Lhuis 
lui  fit  connaître  l'intention  du  gouvernement  de  rappeler 
les  troupes  françaises,  au  fur  et  à  mesure  du  rétablisse- 
ment de  l'ordre  et  delà  pacification  du  pays  ;  il  ajouta  «  qu'il 
hâtait  de  ses  vœuxlesplus  sincères  lejouroùle  dernier  soldat 
français  quitterait  le  Mexique  »,  et  que  le  terme  assigné  à 
l'occupation  de  ce  pays  serait  très-avancé,  si  les  Etats-Unis 


504 


Il    PARTIE. 


CHAPITRE    IV. 


4865. 


Création 
des  divisions 

militaires 

et  des  grands 

commandements. 


cessaient  d'encourager  l'anarchie  et  d'appuyer  de  leurs 
sympathies  le  parti  hostile  à  l'Empire  ;  au  surplus,  on 
devait  savoir  que  la  France  n'avait  pas  l'habitude  de  pres- 
ser son  pas  sur  des  injonctions  hautaines  (^).  Cependant, 
quelle  que  fût  l'aigreur  de  ces  communications,  on  ne  par- 
tageait pas  les  craintes  du  maréchal  Bazaine,  relativement  à 
une  intervention  armée  des  Américains  du  nord.  D'ailleurs 
les  ministres  de  l'empereur  MaximiHen,  inspirés  par  un 
faux  sentiment  de  susceptibiHté  nationale,  se  montraient 
hostiles  à  tout  ce  qui  venait  de  l'étranger;  les  entraves  qu'ils 

apportèrent  aux  projets  de  colonisation  les  firent  avorter  (^). 

# 

Un  des  corollaires  de  la  loi  organique  de  l'armée  mexi- 
caine avait  été  le  partage  du  territoire  de  l'empire  en  huit 
divisions  militaires  (^). 

Il  fut  convenu,  entre  l'Empereur  et  le  maréchal,  que 
pour  donner  plus  d'unité  aux  opérations  militaires,  il 
serait  établi  en  outre  deux  grands  commandements. 

San  Luis  de  Potosi  fut  désigné  pour  être  le  chef-lieu 
du  premier  commandement,  formé  par  la  réunion  des  3'  et 
5'  divisions  militaires,  et  comprenant  les  anciens  Etats  de 
San  Luis,  de  Tamaulipas,  de  Nuevo-Leon,  et  de  Coa- 
huila.  Il  fut  confié  au  général  Douay,  qui  était  revenu  au 
Mexique.  Durango  devint  le  siège  du  deuxième  grand  com- 
mandement, à  la  tête  duquel  fut  placé  le  général  de  Cas- 
tagny.  Il  comprenait  les  6^  et  8'  divisions  territoriales, 
c'est-à-dire  les  anciens  Etats  de  Zacatecas,  de  Durango,  de 


(')  M.  Drouyn  de  Lhuis  à  M.  de  Montiiolon,  17  août  1865. 

(')  Voir  à  l'appendice  une  nolo  sur  la  colonisation  et  sur  les  efforts  géné- 
reux tentés  par  l'empereur  Maximilicn  pour  émanciper  la  classe  des  travailleurs 
agricoles. 

(3)  Au  point  de  vue  administratif,  et  pour  arriver  à  détruire  l'autonomie  pro- 
vinciale, le  pays  avait  été  divisé  en  cinquante  départements. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  o05 

Chihuahua,  de  Sonora,  etdeSinaloa.  Le  maréchal  remania         mb. 
l'organisation  divisionnaire  des  troupes  du  corps  expédi-  ~ 

tionnaire  ainsi  qu'il  suit  : 

1''''  division  :  général  Douay. 

1"  brigade:      ( '^  "  rég.  de  zouaves. 

<  8'P  rég.  de  ligne. 

gênerai  INeigre.     i  d   i   -n        i     /•     -n  i    •  • 

(  bataillon  de  tirailleurs  algériens. 

2«  brigade:       l  3«  rég.  de  zouaves. 

<  2«  bataillon  d'infanterie  légère  d'Afrique.  ^ 
général  Mangin.     in/-.., 

*  (  Régiment  étranger. 

2*  division  :  général  de  Gastagxy. 


jre  brigade  ■      (  ^^^  bataillon  de  chasseurs  à  pied. 

.  .   .  „  W^  rég.  de  ligne. 

gênerai  Bri.xcourt.  /  ^^î»     .       i     i- 

(  9o^  reg.  de  ligne. 

2e  brigade  •       (  '"  h^^sUloii  de  chasseurs  à  pied. 

,  °  <  ol«  rég.  de  ligne, 

général  Aymard.     J  r>-,„    .        i     -,■ 

{  Dz^reg.  de  ligne. 


O-   "^  ^^S' 


Le  général  Douay  se  rendit  à  San  Luis  ;  le  général  de 
Gastagny  quitta  Mazatlan  et  revint  à  Durango  (l^""  juillet). 
Comme  il  était  à  présumer,  si  la  guerre  éclatait,  que  l'ef- 
fort principal  des  Américains  se  porterait  sur  la  ligne  de 
San  Luis,  le  général  de  Gastagny  devait,  dans  cette  hypo- 
thèse, se  replier  de  Durango  sur  Zacatecas,  puis  sur  Que- 
retaro,  position  centrale  et  avantageuse  pour  la  concen- 
tration de  l'armée.  Des  mesures  de  précaution  furent 
prises  sur  la  route  de  Vera-Gruz  à  Mexico  ;  des  fortifications, 
élevées  sur  plusieurs  points,  et  l'on  prépara  les  moyens  de 
ramener  promptement  les  garnisons  de  Guaymas  et  de 
Mazatlan. 

Outre  les  deux  grands  commandements  du  Nord-Est 
et  du  Nord-Ouest,  l'empereur  Maximilien  aurait  désiré 


-1860 


506 


ir  PARTIE.  CHAPITRE    IV. 


constituer  au  Sud,  sous  les  ordres  d'un  général  français, 
un  troisième  commandement  dans  lequel  eût  été  comprise 
la  province  de  Michoacan.  Le  général  L'Hériller,  à  qui 
cette  mission  fut  offerte,  crut  impossible  de  l'accepter  sans 
avoir  un  chiffre  suffisant  de  forces  françaises,  et  comme  le 
maréchal  n'était  pas  disposé  à  faire  opérer  ses  troupes 
dans  une  direction  qui  les  éloignait  des  lignes  stratégiques 
du  Nord,  il  ne  fut  pas  donné  suite  à  ce  projet. 


Opérations 

militaires  dans 

le 

Michoacan. 


C'était  dans  le  Michoacan  que  les  forces  libérales  se 
maintenaient  avec  le  plus  de  succès  ;  elles  étaient  organi- 
sées en  cinq  brigades,  commandées  par  Piegules  et  Riva- 
Palacio,  sous  les  ordres  supérieurs  du  général  Ar- 
teaga.  A  la  tête  des  troupes  mexicaines  impériales  se 
trouvait  le  colonel  Mendez,  officier  sur  lequel  on  pouvait 
compter. 

Au  commencement  de  l'année  1865,  lorsque  le  quartier 
général  de  la  division  Douay  fut  transporté  à  Morelia,  de 
sérieux  efforts  avaient  été  faits  pour  pacifier  ce  pays.  On 
était  parvenu  à  détruire  quelques  guérillas;  cependantl'en- 
nemi  continuait  à  tenir  la  campagne  ;  lorsqu'il  avait  besoin 
de  se  reposer  ou  de  se  réorganiser,  il  se  retirait  dansla  vallée 
du  Rio  de  las  Balzas,  où  des  armes,  des  munitions  et  de 
l'argent  lui  arrivaient  par  les  ports  du  Pacifique;  les  colonnes 
françaises  s'avancèrent  jusqu'à  Huetamo  ;  mais  il  leur 
eût  été  impossible  de  rester  longtemps  dans  cette  région, 
sous  un  climat  énervant  et  sans  communication  assurée 
avec  le  centre  du  pays.  Elles  revinrent  sur  leurs  pas  et  l'on 
dut  se  borner  k  couvrir  Morelia  par  une  ligne  d'avant- 
postes,  placés  à  Tacambaro,  Ario  et  Acuitzeo. 

Au  mois  de  mars  1865,  le  départ  de  la  plus  grande  par- 
lie  des  troupes  françaises,  appelées,  par  les  événements  du 


LE   MARÉCHAL   BAZAINE.  507 

Nord,  dans  l'Etat  de  Durango,  fut  pour  les  guérillas  libé-  i86o. 
raies  le  signal  de  nouvelles  entreprises.  Dès  le  7  mars, 
Arteaga  occupait  Tacambaro  ;  Ugalde,  Valdez,  le  curé 
Traspena  enveloppaient  Zitacuaro  et  faisaient  la  garnison 
prisonnière.  Le  colonel  Mendez  reprit  possession  de  cette 
petite  ville  ;  une  garnison  mixte  de  cent  vingt  Belges 
et  de  cent  Mexicains  y  fut  placée  ;  mais  l'ennemi  revint 
et,  sans  se  compromettre  dans  une  attaque,  il  alluma 
des  incendies  qui  consumèrent  toutes  les  maisons,  à  l'ex- 
ception du  réduit  (15  avril)  ;  on  fut  obligé  de  l'aban- 
donner. 

Quant  à  Piegules,  avec  deux  mille  hommes,  il  paraissait 
vouloir  s'ouvrir,  par  la  Piedad,  un  chemin  qui  lui  permît 
de  gagner  les  provinces  du  Nord.  Les  détachements  en- 
voyés en  toute  hâte  de  Léon  et  de  Guanajuato  le  forcèrent 
à  renoncer  à  cette  tentative. 

A  cette  époque,  les  opérations  dans  le  Michoacan  étaient 
dirigées  par  le  colonel  de  Potier,  qui,  outre  la  brigade 
mexicaine  du  colonel  Mendez,  disposait  d'un  bataillon  du 
81*  de  ligne,  du  régiment  des  volontaires  belges  et  d'un 
escadron  du  o'  hussards;  il  envoya  deux  colonnes  à  la 
poursuite  de  Régules  ;  celui-ci,  manœuvrant  avec  une 
grande  habileté,  leur  échappa,  et,  marchant  avec  une  pro- 
digieuse vitesse,  passa  de  Zipimeo  à  Guitzeo,  puis  à  Que-   Premier  combat 

^  ...  .  .  de  Tacambaro 

rendaro;  il  se  dirigea  ensuite  vers  le  Sud  et,  le  11  avril,  (n  avrinsGo). 
tomba  inopinément  sur  Tacambaro ,  où  se  trouvaient 
quatre  compagnies  belges  et  un  escadron  mexicain.  Enva- 
hissant la  ville  avec  une  rapidité  telle  que  pas  un  coup  de 
fusil  ne  fut  tiré,  il  attaqua  aussitôt  le  réduit  où  les  Belges 
s'étaient  précipitamment  renfermés.  Après  une  résistance 
de  quatre  heures,  pendant  laquelle  sept  officiers  et  vingt 
hommes  furent  tués,  trois  officiers  et  onze  hommes  blessés, 


508  II*  PARTIE.  CHAPITRE    IV. 

1865.         le  major  Tydgadt,  mortellement  blessé  lui-même,  capi- 
tula. Régules  emmena  deux  cent  dix  prisonniers. 

A  la  nouvelle  de  ce  malheureux  événement,  le  colonel 
de  Potier  se  dirigea  immédiatement  sur  Tacambaro  ;  il  y 
arriva  le  16  avril,  recueillit  les  blessés  et  une  vingtaine 
de  prisonniers  qui  s'étaient  échappés  des  mains  de  l'en- 
nemi, et  reprit  la  poursuite  de  Régules.  Celui-ci,  après 
avoir  échoué,  le  17  avril,  à  Uruapan,  devant  l'énergique 
résistance  d'une  garnison  mexicaine  de  deux  cents  hommes, 
crut  avoir  assez  d'avance  sur  la  colonne  française  pour  se 
porter  vers  Morelia  et  tenter  un  coup  de  main  contre  cette 
ville,  alors  dégarnie  de  troupes. 

Combat  H  ne  réussit  pas  et  fut  atteint,  le  23  avril,  à  Huaniqueo, 

d'Huaniqueo  ,  i         i     i       tw      •  i  ^  ,  i  , 

(23  avril).  par  le  colonel  de  Potier,  battu,  complètement  desorga- 
nisé et  forcé  de  reprendre  la  route  du  Sud.  L'escadron 
du  5^  hussards,  qui  était  à  l'avant-garde  de  la  colonne, 
fut,  pendant  quelque  temps,  très-sérieusement  engagé 
contre  un  ennemi  fort  supérieur  en  nombre.  L'arrivée 
de  l'infanterie  décida  le  succès  du  combat.  Les  troupes 
françaises  perdirent  dix-sept  hommes,  dont  dix  hus- 
sards. 

Cette  guerre  se  continua  pendant  les  mois  suivants  avec 
des  chances  diverses  ;  les  corps  français  ayant  été  rap- 
pelés à  Mexico  (1^'  juin),  Arteaga  et  Régules  rentrèrent 
en  campagne  avec  2,500  hommes;  le  19  juin,  après 
un  combat  acharné,  ils  s'emparèrent  d'Uruapan  et  fu- 
sillèrent le  commandant  militaire  et  le  préfet  politique. 
Une  colonne  française,  sous  les  ordres  du  colonel  Clin- 
chant,  était  alors  en  observation  à  Puruandiro,  près  du 
Rio  de  Lerma  ;  elle  se  porta  rapidement  sur  Uruapan 
et  chassa  l'ennemi  (23  juin);  mais  le  maréchal  persistait  à 
ne  vouloir  laisser  aucun  détachement  de  ses  troupes  dans 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  509 

le  Michoacan.  Il  prescrivit  au  colonel  Glinchant  de  re-         «ses. 
tourner  à  Léon.  Le  régiment  belge  et  les  troupes  mexi- 
caines de  Mendez  restèrent  seuls  dans  cette  province,  et 
reçurent  l'ordre  de  se  borner  à  l'occupation  permanente 
de  Patzcuaro,  de  Morelia,  et  d'Acambaro. 

Le  11  juillet,  le  régiment  belge  prit  à  Tacambaro  une  Deuxième  combat 
brillante  revanche  du  combat  malheureux  du  mois  d'avril,  lu^iuim). 
Le  lieutenant-colonel  Yan  der  Smissen,  à  la  tête  de  850 
Mexicains  et  Belges,  attaqua  les  forces  d'Arteaga,  qui  avait 
pris  position  à  une  lieue  de  la  ville,  mit  trois  cents  hommes 
hors  de  combat  et  leur  enleva  six  canons,  leur  parc,  six 
cents  fusils  et  cent  soixante-cinq  prisonniers.  Il  perdit 
onze  Belges  tués  dont  un  officier.  Gêné  par  ses  blessés 
et  de  nombreux  malades,  le  colonel  Van  der  Smissen 
revint  à  Morelia;  mais  Arteaga  était  mis  dans  l'im- 
possibilité de  reprendre  la  campagne  avant  quelque 
temps  W. 

Le  rapport  envoyé  par  le  lieutenant-colonel  Van  der 


(')  Le  succès  remporté  par  les  Belges  charma  tout  particulièrement  l'Impé- 
ratrice, dont  il  flattait  l'amour-propre  national  ;  le  colonel  de  Potier,  à  la  tète  de 
son  régiment  qui  avait  fait  la  campagne  du  Michoacan  avec  les  Belges,  alla  l'en 
féL'citer  au  château  de  Chapultepec.  L'Impéralrice  en  fut  vivement  touchée  ;  on 
lit  dans  une  lettre  qu'elle  écrivait  le  même  jour  : 

«  J'ai  passé  devant  le  front  des  troupes  en  parlant  à  la  plupart  des  ofiBciers  et 
à  plusieurs  soldats  ,  puis  le  régiment  a  déûlé  aux  cris  de  :  Vive  l'Empereur  t 
Vive  l'Impératrice  !  Ils  étaient  superbes ,  avec  leur  air  martial,  leurs  pantalons 
rouges,  couvre-nuque  et  guêtres  blanches. 

•  A  vous  dire  vrai,  la  vue  de  tout  régiment  français  me  cause  un  battement 
de  cœur  indéfinissable  et  je  ne  sais  quel  sentiment  de  consanguinité.  Les  dra- 
peaux troués,  qui  sont  restés  parmi  les  premiers  souvenirs  de  mon  existence, 
produisent  sur  moi  une  sensation  que  je  ne  saurais  dire.  C'est  de  l'afTection,  de 
l'admiration,  le  tout  ensemble,  mais  tout  en  la  retenant;  car  que  suis-je  pour  ces 
hommes-là  qui  me  sont  touti  » 


1865. 


510  II"  PARTIE.  CHAPITRE  IV. 

Smissen  à  la  suite  du  combat  de  Tacambaro  fut  la  cause 
de  dissentiments  graves  entre  lui  et  le  colonel  Mendez,  qui 
trouvait  trop  amoindrie  la  part  de  succès  attribuée  aux 
troupes  mexicaines  ;  d'un  autre  côté,  le  lieutenant-colonel 
belge  ne  voulait  pas  se  placer  sous  les  ordres  de  Mendez  ; 
des  officiers  envoyèrent  leur  démission,  et  le  maréchal, 
pour  couper  court  à  ces  difficultés,  éloigna  ce  régiment  du 
Michoacan,  et  l'envoya  dans  le  Nord,  sous  les  ordres  du 
général  ûouay. 


Combat 
de  Santa  Ana 

Amallan 
(-12  octobre). 


Au  mois  d'octobre,  Arteaga  ayant  reparu  à  Uruapan,  le 
colonel  Mendez,  à  la  tète  de  trois  cents  cavaliers  et  de 
quatre  cents  fantassins ,  se  mit  à  sa  poursuite  ;  après 
une  marche  de  nuit ,  il  atteignit  et  battit  à  Santa  Ana 
Amatlan  un  corps  d'un  millier  d'hommes  (12  octobre). 
Les  généraux  Arteaga  et  Salazar,  dix  officiers  supérieurs, 
une  quarantaine  d'officiers  subalternes  et  quatre  cents 
hommes  tombèrent  entre  ses  mains.  L'empereur  Maximi- 
lien  venait,  par  un  décret  du  3  octobre,  de  déclarer  hors 
la  loi  les  chefs  dissidents  qui  persistaient  à  ne  pas  déposer 
les  armes  ;  Mendez  s'en  autorisa  aussitôt  et ,  en  repré- 
sailles de  l'exécution  du  commandant  militaire  et  du 
préfet  d' Uruapan,  il  fit  fusiller  les  deux  généraux  et  trois 
colonels. 

Régules  ne  vengea  pas  la  mort  de  ses  compagnons  sur  les 
prisonniers  de  Tacambaro  qui  étaient  en  son  pouvoir;  mais 
les  chefs  libéraux  refusèrent  de  traiter  directement  de 
leur  échange  avec  le  gouvernement  mexicain;  les  négo- 
ciations à  ce  sujet  furent  réglées  entre  Riva  Palacio  et  le 
quartier  général  français.  Le  5  décembre,  sept  officiers 
belges,  neuf  officiers  mexicains  et  cent  quatre-vingts  sol- 
dats belges  furent  rendus  à  Acuitzeo. 


LE   MARÉCHAL    BAZAINE.  511 

Les  succès  précédemment  obtenus  par  les  libéraux  dans         1860. 
l'Etat  de  Michoacan  avaient  donné  à  plusieurs  des  chefs        Menées 
de  spartis  hostiles  à  l'Empire  l'idée  d'y  transporter  le     sa'ntaTnna. 
centre  de  la  résistance,  afin  de  se  rapprocher  de  Mexico 
et  d'avoir  plus  de  chances  de  profiter  des  soulèvements 
qu'ils  comptaient  provoquer.  Le  haut  clergé,   des  minis- 
tres mêmes  de  l'Empereur,  s'il  faut  en  croire  les  rapports 
du  maréchal,  s'entendaient  avec  Santa  Anna. 

Des  lettres  saisies  avaient  indiqué  le  plan  général  du 
mouvement  projeté  ;  Santa  Anna  devait  débarquer  sur  la  côte 
de  Vera-Gruz  ou  sur  celle  du  Pacifique;  les  guérillas  du 
Michoacan,  les  Indiens  du  Guérrero  conduits  par  Alvarez, 
et  les  corps  que  Portirio  Diaz  pourrait  organiser  dans 
l'Etat  d'Oajaca  0),  se  porteraient  alors  simultanément  sur 
Mexico  ;  une  insurrection  générale  ne  manquerait  pas 
d'éclater  et  renverserait  l'étranger  du  trône.  Santa  Anna 
travaillait  à  cette  combinaison  avec  l'ardeur  et  l'inconsé- 
quence dont  sa  vie  poUlique  ne  donne  que  trop  d'exemples; 
un  de  ses  neveux  était  son  agent  à  Mexico  ;  son  fils  s'étant 
permis  de  protester  contre  une  de  ses  proclamations  au 
peuple  mexicain,  il  déclara  qu'il  le  déshériterait  et  qu'il 
consacrerait  toute  son  immense  fortune(^)  à  la  guerre  sainte. 
On  devait  certainement  faire  la  part  de  l'emphase  ordinaire 
de  ce  personnage,  mais,  dans  l'éventuahté  d'une  rupture 
avec  les  Etats-Unis,  il  fallait  prévoir  les  embarras  qui  pour- 
raient surgir  de  ce  côté,  d'autant  plus  que  les  Américains 
lui  avaient  déjà  vendu  une  assez  grande  quantité  d'armes(^), 

(')  Le  maréchal  au  ministre,  10  août. — Porlirio  Diaz  s'était  évadé  de  Puebla, 
où  il  était  iruerné  depuis  la  prise  d'Oajaca. 

<*>  Cent  vingt  millions  de  francs,  disait-on. 

(5)  Quatre  mille  carabines,  quatre  mille  pistolets,  douze  canons.  —  Le  maré- 
chal au  ministre,  9  octobre. 


l86o. 


512  II*  PARTIE.  CHAPITRE  IV. 

et  récemment  une  frégate  des  Etats-Unis  s'étant  rendue 
à  Saint-Thomas ,  Santa  Anna  en  grand  uniforme  était 
monté  à  son  bord  où  il  avait  reçu  des  honneurs  tout  par- 
ticuHers. 


Réoccupation 

d'Acapulco 

(U  août). 


Il  paraissait  donc  urgent  de  réoccuper  Acapulco.  Deux 
des  bâtiments  de  l'escadre,  la  Victoire  et  le  Lucifer,  prirent 
à  Manzanillo  quatre  cents  hommes  de  troupes  mexicaines, 
sous  les  ordres  du  général  Oronoz,  et,  le  11  août,  les  dé- 
barquèrent sans  coup  férir  devant  Acapulco.  La  ville  était 
presque  entièrement  abandonnée  par  ses  habitants.  Le 
maréchal,  de  son  côté,  envoya  des  reconnaissances  vers 
le  Guerrero,  et  fit  ouvrir  une  route  carrossable  entre 
Guernavaca  et  le  Piio  Mescala.  Le  pays  au  sud  de  Mexico 
était  alors  dégarni  de  troupes  françaises  ;  la  brigade  mexi- 
caine de  la  Pena  (ancienne  brigade  Yicario)  surveillait  seule 
la  vallée  du  Rio  de  Mescala. 


Opérations 
des  volontaires 

autrichiens 

dans  la  province 

d'Oajaca 

et  dans) 

la  Uuasleca. 


L'Etat  d'Oajaca  était  gardé  par  des  troupes  austro- 
mexicaines  ;  mais  bien  que,  de  l'avis  du  maréchal,  les 
contingents  autrichiens  eussent  une  excellente  composition 
en  officiers  et  en  soldats,  les  dispositions  ordonnées  par 
le  général  de  Thun  avaient  été  si  malheureuses,  qu'au 
mois  d'août,  Figueroa  battit  un  faible  détachement  autri- 
chien sorti  de  Tehuacan  ;  il  entra  ensuite  dans  la  ville  et 
fit  prisonniers  une  vingtaine  d'hommes  réfugiés  dans  le 
réduit  (14  août).  Une  petite  colonne  française,  venant 
d'Acultzingo,  le  chassa  de  cette  position  ;  mais  il  réussit 
encore  à  détruire  un  détachement  austro-mexicain  de 
cent  quarante  hommes  envoyé  d'Oajaca.  Figueroa  fut  à 
son  tour  battu  le  25  octobre,  à  Acalpan,  par  un  escadron 
autrichien. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  ol3 

Il  perdit  deux  cents  hommes  et  offrit  sa  soumission  qui  ^865. 
fut  acceptée  ;  un  mois  après,  il  reprenait  la  campagne  à  la 
tète  de  cinq  cents  guérilleros.  Les  garnisons  laissées  dans 
cette  province,  paraissant  beaucoup  trop  faibles  au  ma- 
réchal, il  donna  l'ordre  formel  au  général  de  Thun  d'a- 
bandonner les  expéditions  inutiles  et  meurtrières  dans  la 
Huasteca,  et  d'augmenter  le  chiffre  des  troupes  autri- 
chiennes dans  l'Etat  d"Oajaca. 

Les  opérations  dans  la  Huasteca  s'étaient  continuées 
contre  le  gré  du  commandant  en  chef.  L'armistice  conclu 
au  mois  d'avril  n'ayant  été  suivi  d'aucun  arrangement  défi- 
nitif, les  hostilités  furent  reprises  au  commencement  de 
juillet.  Le  général  de  Thun,  après  avoir  concentré  ses 
forces  à  Zacapoaxtla,  attaqua,  le  16  juillet,  les  positions  des 
Gumbres  d'Apulco  et  les  enleva  après  un  combat  opiniâ- 
tre ;  il  y  construisit  un  blockhaus  ;  quelques  jours  plus  tard 
(22  juillet),  les  Mexicains  l'incendièrent,  et  firent  prison- 
niers les  vingt-cinq  hommes  qui  s'y  trouvaient.  Plusieurs 
autres  engagements  eurent  encore  lieu  avec  des  chances 
différentes,  mais  toujours  sans  conséquences  utiles  pour  la 
pacification.  L'expérience  démontrait  de  nouveau  l'impos- 
sibilité de  soumettre  un  pays,  dont  les  montagnes,  les 
gorges,  les  ravins,  sont  autant  de  positions  presque  inex- 
pugnables ;  les  Autrichiens  suspendirent  leurs  opérations 
et  laissèrent  seulement  des  postes  à  Tesuitlan,  Zacapoaxtla 
et  Tulancingo.  Des  négociations  reprises  avec  les  chefs 
de  la  Huasteca  ayant  amené,  à  la  fin  du  mois  de  no- 
vembre, la  soumission  de  Martinez,  un  des  plus  impor- 
tants d'entre  eux,  les  troupes  autrichiennes  se  bornèrent 
dès  lors  à  quelques  petites  expéditions  au  nord  de  Jalapa, 
afin  de  faire  respecter  la  route  de  Vera-Cruz  ;  la  majeure 
partie  de  ces  contingents  ainsi  rendus  disponibles  fut  en- 

33 


514  if  PARTIE.  r.HAPITnE    IV. 

1865.        voyée  dans  l'État  d'Oajaca,  pour  arrêter  les  progrès  de 
Porfirio  Diaz. 

Expédition         Le  maréchal,  ainsi  rassuré  au  sujet  des  tentatives  que  les 

sur  Cliihualiua,  .  **  ■^. 

chefs  libéraux  pourraient  faire  sur  ses  derrières,  prit  ses 
mesures  afin  de  relancer  Juarez  jusque  dans  l'Elat  de  Ghi- 
huahua.  Depuis  l'insuccès  de  la  campagne  du  général 
Negrete,  le  commandement  des  troupes  libérales  du  Nord 
était  partagé  entre  Ruiz,  Aguirre,  Villagran,  Ojinaja  et 
Carbajal.  Ils  rallièrent  les  soldats  dispersés,  rassemblèrent 
le  matériel  épars,  firent  des  levées  d'hommes  et  d'argent, 
et  s'efforcèrent,  par  tous  les  moyens,  de  reconstituer  une 
nouvelle  armée. 

Dès  le  mois  de  mai,  avant  même  la  dispersion  du  corps 
de  Negrete,  le  maréchal  avait  prescrit  au  général  Brincourt 
de  se  préparer  à  marcher  sur  Chihuahua,  et  de  pousser 
cette  opération  avec  assez  de  vigueur  pour  que  Juarez  eût 
quitté  le  territoire  du  Mexique  au  mois  d'octobre,  époque 
de  la  réunion  du  Congrès  des  Etats-Unis.  Gomme  nous 
l'avons  dit,  on  espérait  à  Mexico  que  le  départ  de  l'ancien 
président  déterminerait  le  cabinet  de  Washington  à  recon- 
naître l'empire.  G'élait  le  seul  but  que  se  proposait  le  ma- 
réchal en  envoyant  des  troupes  à  Ghihuahua.  «  Je  ne  veux 
d'aucune  façon,  écrivait-il,  que  nos  troupes  dépassent 
Ghihuahua  de  plus  d'une  journée  de  marche;  et,  tout  en 
laissant  croire  que  nous  resterons  dans  cette  province,  dès 
que  les  troupes  seront  reposées,  le  général  Brincourt  se 

mettra  en  route  sur  Rio-Florido,  puis  sur  Durango Il 

fera  reconnaître  l'empire,  organisera  les  autorités  civiles 
et  militaires,  s'il  y  a  les  éléments  suffisants  et  de  honrie  vo- 
lonté, sans  compromettre  les  uns  ou  les  autres...  Ainsi,  il 
est  bien  entendu  que  la  colonne  Brincourt  doit  se  mettre 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  olo 

en  retour  quinze  ou  vingt  jours  au  plus  après  son  arrivée,  ^86o- 
pour  revenir  àDurango...  Les  événements,  qui  peuvent  se 
produire  d'un  instant  à  l'autre  sur  la  frontière  nord,  ne 
nous  permettent  pas  de  tenir  les  troupes  aussi  éparpillées. 
Nous  aurons  fait  le  possible,  advienne  ce  qui  pourra  de 
Juarez  et  des  populations,  et  pensons  avant  tout  à  l'hon- 
neur de  nos  armes,  le  cas  échéant  ! 

«  En  résumé,  la  diplomatie  veut  s'appuyer  sur  la  fuite 
de  Juarez  de  sa  dernière  capitale,  pour  amener  les  Etats- 
Unis  à  la  reconnaissance  de  l'empire  mexicain  ;  nous  ne 
pouvons  faire  plus,  et  ce  serait  folie  que  de  vouloir  le  sui- 
vre en  ce  moment  dans  tous  les  recoins  où  il  voudra  aller.» 

Des  ordres  étaient  donnés  pour  que  la  garnison  de 
Guaymas  fit,  à  la  même  époque,  une  pointe  offensive  vers 
l'intérieur,  afin  que  Juarez  ne  put  se  réfugier  en  Sonora. 
Les  limites  de  l'opération  sur  Chihuahua  étaient  donc  bien 
définies  ;  il  importait  en  outre  qu'elle  fût  rapidement  effec- 
tuée, aussi  le  maréchal  prescrivit-il  au  général  Brincourt, 
à  moins  d'impossibilité  absolue,  de  marcher  sur  Chihuahua 
par  la  route  la  plus  courte,  c'est-à-dire  de  se  porter  direc- 
tement de  Parras,  où  il  se  trouvait,  sur  Mapimi,  en  tra- 
versant la  Laguna.  La  saison  des  pluies  était  déjà  fort 
avancée,  et  dans  ce  pays  coupé  de  rivières  et  inondé  à 
chaque  instant,  la  marche  de  colonnes  suivies  de  voitures 
ne  laissait  pas  que  de  présenter  de  sérieuses  difficultés. 
Le  9  juin,  à  la  Sauceda,  entre  Saltillo  et  Parras,  le 
général  Brincourt  avait  eu  un  exemple  des  dangers  que 
présentent  ces  inondations  subites.  «  Le  bivouac  était  éta- 
bli près  d'une  petite  rivière,  et  à  peu  de  distance  de  pro- 
fondes barrancas  alors  à  sec,  ayant  en  moyenne  six  mètres 
de  profondeur  sur  vingt  mètres  de  largeur  et  qui,  réunies, 
eussent  contenu  les  eaux  d'un  grand  fleuve  de  Franco. 


1 


S16  II'    PARTIE.  CHAPITRE   IV. 

4865.  Un  violent  orage  éclate,  les  barrancas  se  remplissent,  l'eau 
~  s'y  écoule  avec  une  rapidité  prodigieuse,  et  cependant  la 

colonne  se  trouve  tout  à  coup  au  milieu  d'un  lac  immense, 
les  eaux  s'élevant  à  plus  de  cinquante  centimètres  au- 
dessus  du  sol  (^).  » 

Le  général  Brincourt  commença  son  mouvement  le  1^"* 
juillet;  de  Parras,  oii  restait  momentanément  un  poste  fran- 
çais, il  devait  se  rendre  à  Mapimi  ;  de  Mapimi,  à  Rio  Flo- 
rido;  il  se  proposait  d'établir  sur  ce  point  des  magasins, 
des  dépôts  de  vivres,  et  d'y  préparer  les  moyens  de  traver- 
ser en  tout  temps  le  Rio  Florido,  obstacle  le  plus  impor- 
tant entre  Durango  et  Ghihuahua.  Le  village  de  Rio  Florido 
est  situé  sur  la  rive  gauche  du  fleuve  dont  la  largeur,  en 
cet  endroit  et  à  cette  époque  de  l'année,  est  d'environ  mille 
mètres  ;  c'est  une  bonne  position  militaire,  à  peu  de  dis- 
tance des  villes  de  AUende  et  de  Parral,  à  86  lieues  de 
Durango  et  à  75  de  Ghihuahua  (^). 

Le  général  Brincourt  avait  sous  ses  ordres  trois  batail- 
lons ,  deux  escadrons  de  chasseurs  d'Afrique ,  et  quatre 
sections  d'artillerie,  ensemble  2,500  hommes  (^)  ;  le  8  juil- 
let, il  traversa,  non  sans  grande  peine,  le  Rio  de  Nazas, 
au  gué  de  Torreon.  Entre  le  Rio  de  Nazas  et  le  Rio 
Florido,  le  pays  n'est  qu'un  désert;  la  colonne  arriva,  le 
22  juillet,  à  Rio  Florido  et  le  lendemain  à  Villa  Allende; 

(*)  Le  général  Brincourt  au  Maréchal,  14  juillet. 

(«)  De  Durango  à  San  Salvador 42  lieues  1/2 

De  San  Salvador  à  Rio  Florido 43      — 

De  Rio  Florido  à  Allende 8      —    1/2 

De  Allende  à  Santa  Rosalia 21      — 

De  Santa  Rosalia  à  Sanla-Gruz  de  Rosales 18      —    1/2 

De  Santa-Cruz  de  Rosales  à  Ghihuahua 27      — 

160  lieues  1/2 
De  Allende  au  Parral,  7  lieues. 
(3)  18"  bataillon  do  chasseurs  à  pied,  Ofi'-  de  ligne,  1"  chasseurs  d'Afrique. 


LE    MARÉCHAL    BAZALNE.  517 

de  ce  point,  un  détachement  fut  envoyé  chercher  de  l'ar-         -«865. 
gent  au  Parral,  ville  de  10,000  habitants  et  centre  minier 
important,  à  29  kilomètres  de  Allende. 

C'était  au  Parral,  à  Allende,  et  à  Piio  Florido  que  l'en- 
nemi cherchait  à  reconstituer  ses  forces.  Ruiz ,  qui  était  au 
Parral,  se  replia  sur  Santa  Rosalia  ;  puis,  se  voyant  suivi 
dans  cette  direction  par  les  colonnes  françaises,  il  se  mit  en 
retraite  sur  Chihuaha  emmenant  dix-huit  pièces  d'artillerie, 
dont  quatorze  de  gros  calibre,  tandis  que  Aguirre,  avec 
environ  sept  cents  hommes,  se  retirait  vers  le  désert.  Le 
général  Brincourt  fut  arrêté  pendant  huit  jours  à  Las  Gar- 
zas  par  le  Rio  de  Conchos,  dont  le  passage  oftVit  des  diffi- 
cultés inouïes  ;  Piuiz  était  au  même  moment  arrêté  par  le 
Rio  San  Pablo,  à  Santa-Gruz  deRosales  ;  mais  ayant  appris 
que  la  tête  de  colonne  française  commençait  à  franchir  le 
Rio  de  Conchos,  il  fît  enclouer  ses  pièces,  noyer  ses  muni- 
tions, briser  ses  affûts,  et  passa  le  Rio  San  Paj-jlo  à  la  nage 
avec  une  partie  de  ses  troupes  ;  le  général  Yillagran , 
accompagné  d'un  bataillon  de  cinq  cents  hommes  et  de 
quatre  pièces  de  montagne,  se  sépara  de  lui  et  remonta  à 
l'ouest,  vers  la  Sierra. 

Le  9  août,  une  avant-garde  du  général  Brincourt  arrivait  à 
Rosales,  où  elle  s'emparait  du  matériel  et  des  quatorze  pièces 
abandonnés  par  l'ennemi.  On  était  alors  à  vingt-sept  lieues 
de  Chihuahua  ;  Juarez  avait  quitté  cette  ville  depuis  le  o 
août  et  se  retirait  vers  Paso  del  Norte  ;  les  troupes  hbérales 
s'étaient  dispersés.  Le  général  Brincourt  ayant  assuré  ses 
communications  par  des  postes  laissés  au  Piio  Florido,  à 
Allende,  au  Parral,  à  Santa  Rosalia,  et  à  Santa  Cruz  de  Ro- 
sales, marcha  sur  Chihuahua  avec  une  colonne  légère  et 
entra  dans  la  ville  le  15  août;  il  s'occupa  aussitôt  de  rétablir 
es  autorités  municipales  et  de  réorganiser  l'administration. 


SIS  II*   PARTIE.  CHAPITRE    IV. 

1865.  A  la  suite  de  cette  courte  mais  pénible  campagne  que  les 

troupes  avaient  fournie  avec  une  remarquable  vigueur,  le 
drapeau  français  était  ainsi  porté  à  plus  de  quatre  cents 
lieues  de  Mexico  et  à  cent  soixante  lieues  de  Durango.  On 
avait  perdu  seulement  un  officier  et  un  soldat  noyés  au  pas- 
sage du  Rio  de  Conchos  ;  mais  le  général  Villagran,  qui  avait 
quitté  le  gros  des  troupes  libérales  à  Santa-Gruz  de  Piosa- 
les,  s'était  porté  rapidement  sur  le  Par  rai,  et  avait  écrasé 
une  compagnie  du  95*^  de  ligne,  envoyée  dans  cette  ville 
pour  chercher  de  l'argent.  Le  lieutenant  Pyot,  qui  com- 
mandait cette  compagnie  forte  de  soixante-six  hommes,  fut 
attaqué  le  8  août,  dans  la  nuit  ;  il  résista  pendant  deux 
heures,  et  se  faisant  ensuite  jour  à  la  baïonnette  avec 
quatorze  de  ses  hommes,  il  parvint  à  gagner  la  campagne 
et  à  rentrer  au  Rio  Florido  ;  un  officier  et  seize  hommes 
furent  tués,  vingt-quatre  faits  prisonniers.  D'après  le 
rapport  de  Villagran,  les  Mexicains  perdirent  un  général, 
un  officier,  quatre  hommes  tués  et  trois  blessés.  Averti  de 
ces  événements,  le  colonel  Cousin,  du  95*^,  se  porta  rapide- 
ment de  Allende  sur  le  Parral  ;  il  arriva  le  lendemain  du 
combat  et  recueillit  treize  soldats  blessés. 

En  rendant  compte  au  maréchal  du  succès  de  son  expé- 
dition, le  général  Brincourt  mentionnait  certains  bruits, 
venant  de  la  frontière,  d'après  lesquels  Juarez  aurait  quitté 
le  territoire  mexicain  et  serait  passé  aux  Etats-Unis.  Cette 
nouvelle,  également  rapportée  par  plusieurs  journaux  amé- 
ricains, fut  accueillie  à  Mexico  avec  grande  satisfaction. 
L'empereur  Maximilien  croyait  y  voir  la  fin  de  la  résis- 
tance du  parti  républicain,  et  comptait  plus  que  jamais  sur 
la  reconnaissance  prochaine  de  l'Empire  par  les  Etats- 
Unis.  «  Le  gouvernement  des  Etats-Unis  est  assez  bien 
disposé,  écrivait-il;  il  reçoit  déjà  mes  agents  avec  amabi- 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  ol9 

lité  et  encouragement,  mais  faisant  toujours  la  craintive  ^86o. 
question  :  a  Juarez  est-il  parti?  (*).  >>  C'est  à  cette  époque 
cependant,  que  le  président  Johnson  éconduisait  l'envoyé 
porteur  d'une  lettre  de  l'empereur  du  Mexique,  et  qu'il 
faisait  ofticiellement  savoir  au  gouvernement  français  son 
intention  formelle  de  ne  pas  reconnaître  l'empire  mexi- 
cain. 

L'empereur  Maximilien  pensa  que  le  moment  était  venu  ^^"^ilbre 
de  faire  une  sérieuse  manifestation  politique.  Il  adressa  -isso. 
au  pays  une  proclamation  dans  laquelle  il  déclarait  que, 
l'ancien  président  ayant  quitté  le  territoiue  national,  per- 
sonne ne  pouvait  s'abriter  désormais  derrière  le  masque  de 
la  légalité  pour  continuer  la  guerre  contre  l'Empire  ;  par 
conséquent  les  bandes  de  guérillas  •  devaient  être  considé- 
rées comme  des  associations  de  malfaiteurs  auxquelles 
serait  appliquée  toute  la  rigueur  des  lois  martiales  : 

«  Mexicains,  la  cause  soutenue  avec  tant  de  courage  et  de  cons- 
tance par  D.  Benito  Juarez  avait  déjà  succombé  non-seulement 
devant  la  volonté  nationale,  mais  devant  la  loi  même  que  ce  chef 
invoquait  à  l'appui  de  ses  titres.  Aujourd'hui,  cette  cause,  dé- 
générée en  faction,  est  restée  abandonnée  par  le  fait  de  la  sortie 
de  son  chef  du  territoire  de  la  patrie. 

«  Le  gouvernement  national  a  été  longtemps  indulgent  et  il  a 
prodigué  les  actes  de  clémence  pour  laisser  aux  hommes  égarés,  à 
ceux  qui  ne  connaissaient  pas  l'état  des  choses,  la  possibilité  de 
s'unir  à  la  majorité  de  la  nation  et  de  rentrer  dans  le  chemin  du 
devoir. 

ï  Tl  a  obtenu  le  résultat  désiré  ;  les  hommes  honorables  se  sont 
groupés  autour  de  son  drapeau,  et  ont  accepté  les  principes  justes 
et  libéraux  qui  guident  sa  politique.  Le  désordre  n'est  ])lus  entre- 
tenu que  par  quelques  chefs  égarés  par  des  passions  qui  n'ont  rien 
de  patriotique,  et  par  une  soldatesque  sans  frein  qui  reste  toujours 
comme  le  dernier  et  triste  vestige  des  guerres  civiles. 

«  Dorénavant  la  lutte  sera  entre  les  hommes  honorables  de  la 

(')  LeUre  de  l'empereur  iM;i\imilieu,  du  17  aoùl  1865. 


520  II"   PARTIE.  CHAPllRE    IV. 

-1865.         nation  et  les  bandes  de  malfaiteurs  et  de  brigands.  Le  temps  de 
~  l'indulgence  est  passé,  elle  ne  servirait  plus  qu'au  despotisme  des 

bandes,  à  ceux  qui  incendient  les  villages,  à  ceux  qui  volent  et  as- 
sassinent les  citoyens  pacifiques,  de  malheureux  vieillards  et  dcç; 
femmes  sans  défense. 

«  Le  gouvernement,  fort  de  son  pouvoir,  sera  désormais  in- 
flexible dans  le  châtiment;  ainsi  l'exigent  les  droits  de  la  civilisa- 
tion, le  respect  de  l'humanité,  et  les  exigences  de  la  morale  ^*\  » 

Mexico,  le  2  octobre  186S. 

Cette  proclamation  était  suivie  d'un  décret,  daté  du  3 
octobre,  contresigné  par  tous  les  ministres,  édictant  des 
peines  sévères  coptre  les  bandes  et  rassemblements  armés, 
et  tous  ceux  qui  leur  prêteraient  appui. 

Art.  If'.  —  Tous  les  individus  faisant  partie  de  bandes  ou  ras- 
semblements armés  existant  sans  autorisation  légale,  qu'ils  pro- 
clament ou  non  un  prétexte  politique,  quels  que  que  soient  d'ailleurs 
l'organisation  de  ces  bandes,  le  caractère  et  la  dénomination  qu'elles 
prennent  seront  jugés  militairement  par  les  cours  martiales;  s'ils 
Sont  déclarés  coupables,  lors  même  que  ce  ne  serait  que  du  seul 
fait  d'appartenir  à  une  bande  armée,  ils  seront  condamnés  à  la 
peine  capitale,  et  la  sentence  sera  exécutée  dans  les  vingt-quatre 
heures  ^^K 

Les  individus  de  cette  catégorie,  faits  prisonniers  à  la 
suite  d'un  combat,  devaient  être  jugés  par  le  commandant 
de  la  troupe  au  pouvoir  de  laquelle  ils  tomberaient,  l'en- 
quête terminée  et  la  sentence  exécutée  dans  les  vingt-quatre 
heures. 

Art.  5. — Seront  jugés  et  condamnés  conformément  h  l'art.  P""  ('); 

L  Ceux  qui,  volontairement,  auront  procuré  aux  guérilleros  de 
l'argent  ou  toute  autre  espèce  de  secours. 

IL  Ceux  qui  leur  auront  donné  des  avis,  nouvelles,  ou  conseils. 

IIL  Ceux  qui,  volontairement  et  sans  ignorer  la  qualité  des  gué- 
rilleros, Survendront  ou  procureront  des  armes,  des  chevaux,  des 
munitions,  des  vivres,  et  en  général  tout  article  de  guerre. 

(')  D'après  une  tniducUon. 


LE    MARÉCHAL    BAZALNE.  52 i 

Les  personnes  qui  entretiendraient  des  relations  avec  les  '•ses. 
guérilleros,  leur  donneraient  asile,  répandraient  des  nou- 
velles de  nature  à  troubler  l'ordre,  n'avertiraient  pas  du 
passage  d'une  bande  ou  de  son  approche,  devaient  être 
traduites  devant  les  cours  martiales  et  condamnées  à  la 
prison  ou  à  des  amendes.  Les  habitants  et  les  hacenderos 
qui,  pouvant  le  faire,  ne  se  défendraient  pas  contre  les 
guérillas,  étaient  également  rendus  passibles  des  mêmes 
peines.  Une  amnistie  fut  accordée  aux  individus  ayant  ap- 
partenu à  une  bande  armée,  à  la  condition  de  se  présenter 
aux  autorités  avant  le  lo  novembre. 

La  rigueur  des  peines  portées  dans  ce  décret  n'était 
nullement  en  dehors  des  conditions  ordinaires  dans  les- 
quelles vivait  le  Mexique,  et  fut  loin  d'émotionner  le  pays, 
comme  la  presse  hostile  voulut  le  faire  croire.  Chaque 
changement  de  gouvernement,  chaque  crise  politique 
sérieuse  a  toujours  amené  les  chefs  de  parti  à  user  de 
semblables  moyens  pour  réduire  leurs  adversaires,  l'his- 
toire du  Mexique  présente  un  grand  nombre  de  faits  ana- 
logues; il  suffit  de  rappeler  le  décret  rendu  par  Juarez,  le 
25  janvier  1862  au  commencement  de  la  guerre,  décret 
qui  appliquait  la  peine  de  mort  à  des  cas  si  nombreux 
qu'on  l'avait  ironiquement  désigné  sous  le  nom  de  Loi 
mortuaire  (^) 

Rendu  sur  les  instances  et  d'après  les  conseils  du  maré- 

")  Ces  d«îcret3de  rigueur  portent  d'ordinaire  leurs  correctifs  en  eux-mêmes,  car 
leur  sévérité  les  rend  la  plupart  du  temps  inapplicables.  Cependant  les  exécutions 
des  généraux  Arteaga  et  Salazar  et  de  leurs  compagnons,  fusillés  sur  l'ordre  du 
colonel  Mondez,  ont  été  la  conséquence  du  décret  du  3  octobre  ;  elles  n'étaient 
du  reste  que  des  représailles  de  la  mort  du  commandant  militaire  et  du  préfet 
d'Uruapan,  exécutés  peu  de  temps  avant  par  les  chefs  libéraux.  L'empereur 
Maximilien  en  fut  douloureusement  impressionné  ;  son  intention  était  beaucoup 
plutôt  de  menacer  que  de  frapper  ;  aussi  l'ordre  fut  immédiatement  donné  à 
Meudez  d'épargner  les  chefs  honorables  qui  viendraient  à  tomber  entre  ses  mains, 


mn. 


522  II*   PARTIE.  CHAPITRE    IV. 

chai  Bazaine(0,le  décret  du  3  octobre  n'avait  pas  en  vue 
les  chefs  honorables  du  parti  libéral  ;  il  se  proposait  la 
répression  du  brigandage  qui,  sous  le  drapeau  politique, 
avait  pris  d'effrayantes  proportions.  Plutôt  que  de  faire  une 
nouvelle  loi  sur  laquelle  la  malveillance  et  l'hostilité  des 
partis  ont  eu  tant  de  prises,  il  aurait  mieux  valu  appliquer 
purement  et  simplement,  mais  d'une  manière  ferme  et 
équitable,  les  décrets  déjà  rendus,  en  1863,  par  le  maréchal 
Forey  sur  l'organisation  et  la  juridiction  des  cours  martiales; 
au  lieu  de  faire  un  crime  à  l'empereur  Maximilien  des  dis- 
positions du  décret  du  3  octobre,  on  aurait  pu,  avec  beau- 
coup plus  de  raison,  lui  reprocher  d'avoir  trop  souvent, 
par  excès  débouté,  adouci  la  sévérité  des  peines  prononcées 
par  les  tribunaux  militaires.  S'il  n'avait  pas  craint  d'indis- 
poser l'armée  française,  il  eût  étendu  sa  clémence  sur  le 
plus  grand  nombre  des  gens  condamnés  parles  cours  mar- 
tiales C^).  Enfin,  si  le  décret  du  3  octobre  avait  besoin  d'être 
justifié,  il  suffirait  de  citer  le  texte  même  de  la  circulaire 
datée  du  même  jour  et  envoyée  aux  préfets  par  le  ministre 
de  l'intérieur  : 

«  Le  gouvernement  de  S.  M.  suit  une  marche  libérale;  il  tolère 
toutes  les  opinions,  respecte  tous  les  droits;  d'après  cela  vous  com- 
prendrez que  les  considérations  de  parti  ne  doivent  être  d'aucun 
poids  dans  vos  actes  qui,  de  cette  manière  seulement,  seront  con- 
formes à  l'esprit  de  la  loi  promulguée  à  la  date  de  ce  jour. 

Riva-Palacio  particulièrement,  dont  le  père  siégeait  au  Conseil  d'Etat  et  fut  plus 
tard,  à  Queretaro,  un  des  défenseurs  de  l'Empereur. 

Le  décret  du  3  octobre  a  été  un  des  principaux  cliefs  d'accusation  portés  contre 
l'empereur  Maximilien;  mais  il  fallait  Tinjustice  des  passions  politiques  et  la 
mauvaise  foi  pour  lui  reprocher  d'avoir  été  cruel  un  seul  jour  ;  les  journaux 
libéraux  eux-mêmes  ne  s'étaient-ils  pas  moqués  de  sa  clémence  et  de  son  liorreur 
de  la  guerre,  en  disant  qu'une  goutte  de  sang  le  faisait  évanouir? 

(1)  Le  maréchal  au  ministre,  9  octobre. 

<2)  L'Empereur  voulait  même  gracier  Uoniero  ,  chargé  de  plusieurs  crimes  de 
droit  commun. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINt:.  323 

«  Les  bandes  armées,  qui  saccagent  les  centres  de  populations,  ises, 

enlèvent  les  habitants,  incendient,  assassinent,  et  volent,  n'ont  pas  ~ 

de  drapeau;  et  si  elles  en  arborent  un,  dans  le  but  de  couvrir  leurs 
crimes,  la  dignité  humaine  et  l'honneur  du  pays  exigent  qu'il 
soit  arraché  de  leurs  mains. 

«  Le  gouvernement  espère  que  les  chefs  honorables  qui,  par 
suite  d'un  déplorable  aveuglement,  conservent  une  attlitude  hos- 
tile de  nature  à  encourager  les  criminels,  finiront  par  comprendre, 
suivant  les  dispositions  de  la  loi,  que  la  cause,  qui  ne  peut  plus  être 
dignement  défendue,  est  en  dehors  du  droit  de  la  guerre^  qu'il 
n'est  jamais  permis  d'armer  le  brigandage  contre  la  société,  et  que 
les  principes  libéraux  et  de  progrès  réel  qui,  solidement  établis, 
ouvriront  à  notre  pays  une  ère  de  prospérité,  ne  doivent  pas  être 
sacrifiés  à  des  questions  d'intérêt  personnel  et  de  simple  forme  du 
gouvernement  ^^K  » 

La  préoccupation  constante  de  l'empereur  Maximilien, 
comme  le  prouvent  le  préambule  de  sa  proclamation  et 
la  circulaire  du  ministre  de  l'intérieur,  était  de  rallier  les 
dissidents  libéraux,  Juarez  lui-même  s'il  était  possible.  Vi- 
vant d'illusions,  il  nedésespérait  pas  d'arriver  à  ce  résultat, 
et  penchait  de  plus  en  plus  vers  le  parti  que  l'intervention 
française  avait  combattu  au  Mexique,  tandis  qu'il  délaissait, 
au  contraire,  ses  premiers  et  plus  fidèles  partisans.  Les 
hommes,  dont  l'empereur  Maximilien  recherchait  l'appui  et 
dont  il  s'entourait  le  plus  volontiers  dans  ses  conseils,  étaient 
ceux  qui,  ne  pouvant  souffrir  la  tutelle  française,  auraient 
à  tout  prix  voulu  chasser  l'étranger  de  leur  pays.  Naturelle- 
ment le  quartier  général  n'approuvait  pas  cette  tendance 
politique,  les  journaux,  qui  recevaient  ses  inspirations,  cri- 
tiquèrent l'hommage  rendu  à  Juarez  par  ces  termes  de  la 
proclamation  impériale  :  «  La  cause  soutenue  avec  tant  de 
courage  et  de  constance  par  D.  Benito  Juarez.»  Leurs  obser- 
vations provoquèrent  un  vif  mécontentement  et  leur  atti- 

(1)  D'après  une  traduction. 


524  11*   PARTIE.  CHAPITRE  IV. 

i865.  l'èrent  les  sévérités  de  l'administration  mexicaine;  l'Ère 
nouvelle  reçut  un  avertissement.  La  docilité,  avec  laquelle 
les  ministres  avaient  contresigné  le  décret  du  3  octobre,  do- 
cilité dont  l'Empereur  lui-même  s'était  étonné,  faisait  sup- 
poser au  maréchal  qu'ils  pourraient  bien  avoir  une  arrière 
pensée  et,  en  échange  de  leur  complaisance,  chercher  à 
obtenir  de  l'Empereur  quelque  mesure  hostile  à  la  France. 
On  prétendait  même  que  les  libéraux  promettaient  de  se 
rallier  à  l'Empire,  si  l'on  renvoyait  l'armée  française.  Le 
maréchal  rapporta  ces  bruits  au  gouvernement  français  ; 
cependant  ils  ne  paraissent  pas  avoir  été  vraiment  sé- 
rieux (^).  En  effet  Juarez,  au  lieu  de  quitter  le  territoire 
mexicain,  comme  on  le  supposait,  envoyait  de  Paso  del 
Norte  aux  différents  agents  de  son  gouvernement  la  note 
suivante,  signée  par  son  ministre  Lerdo  de  Tejada  : 

Paso  del  Norte,  15  août  1865. 

«  Ayant  quitté  la  ville  de  Chihuahua  le  5  courant,  le  président 
de  la  république  est  arrivé  à  Paso  del  Norte  hier  ;  il  a  ordonné  que 
le  siège  du  gouvernement  y  serait  établi  pour  le  présent. 

ft  Ici,  comme  sur  tout  autre  point  de  la  République  oîi  les  cir- 
constances pourront  rendre  convenable  que  le  siège  du  gouverne- 
ment soit  établi,  le  citoyen  président  fera  tout  son  possible  pour 
remplir  son  devoir  avec  courage  et  constance  ;  il  répondra  ainsi 
aux  vœux  du  peuple  mexicain,  qui  ne  cessera  jamais  de  lutter  par- 
tout contre  l'envahisseur,  et  finira  infailliblement  par  triompher 
dans  la  défense  de  son  indépendance  et  des  institutions  républi- 
caines. » 

a  Indépendance  et  Liberté.  » 

Le  général  Brincourt  avait  obtenu  de  bons  résultats 
dans  l'État  de  Chihuahua  ;  les  Indiens  de  cette  province 
se  montrèrent  sympathiques  à  l'empire  ;  ils  se  pronon- 
cèrent en  sa  faveur  du  côté  de  Concepcion  et  s'armèrent 

(')  Le  maréchal  au  ministre,  9  octobre. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  523 

pour  résister  aux   forces  libérales.   Ojinaja,  gouverneur        4865. 
militaire  du  pays  pour  Juarez,  fut  tué  dans  un  combat 
contre  eux  et  ses  troupes  se  débandèrent.  Bien  que  les 
ordres  du  maréchal  fussent  formels,  le  général  Brincourt 
trouvait  que  l'abandon  de  Ghihuahua  serait  si  impolitique 
qu'il  retarda,  autant  qu'il  le  put,  le  moment  de  rétrograder 
et  sollicita  de  nouvelles  instructions.  Il  suffisait,  disait-il, 
d'un  millier  d'hommes  pour  conserver  à  l'Empire  tout  un 
immense  territoire,  en  interdire  l'accès  aux  juaristes,  et 
amener  ainsi  la  ruine  totale  de  leur  parti  ;  mais  le  maré- 
chal se  montrait  toujours  inquiet  de  la  possibilité  d'une 
collision  avec  les  Etats-Unis,  plus  inquiet  peut-être  qu'il 
ne  l'était  en  réalité  et  que  la  situation  ne  le  compor- 
tait ;  ses  ordres  furent  maintenus.  On  a  voulu  voir,  dans 
cette  évacuation  fort  intempestive,  une  preuve  des  mau- 
vaises dispositions  du  maréchal  à  l'égard  de  l'empereur 
MaximiHen,  et  du  médiocre  intérêt  que  lui  inspirait  la  con- 
solidation de  sa  couronne.  Cependant,  peu  après,  cédant 
aux  instances  de  l'Empereur,  il  consentit  à  laisser  provisoi- 
rement une  garnison  française  à  Ghihuahua  ;  un  contre- 
ordre  ne  pouvant  arriver  à  temps  pour  arrêter  le  général 
Brincourt,  une  nouvelle  colonne  fut  dirigée  de  Durango 
vers  le  nord,  sous  le  commandement  de  M.  le  chef  d'esca- 
dron d'élat-major  Billot  (^). 

Le  général  Brincourt  avait,  bien  à  regret,  quitté  Ghi- 
huahua le  29  octobre  ;  le  20  novembre  suivant,  Juarez  y 
revenait  avec  une  centaine  de  ses  partisans,  mais  il  devait 
y  rester  seulement  quelques  jours.  Sa  politique  n'était 
pas  de  concentrer  autour  de  lui  les  forces  militaires  du 
parti  libéral  ;   il  cherchait,   au  contraire ,   à  grossir  les 

<•)  Elle  se  composait  d'un  bataillon  du  7^  de  ligne,  de  deux  pelotons  de  cava- 
lerie et  d'une  section  d'artillerie  ;  ensemble  ;  oOO  hommes  environ. 


526  II"  PARTIE.  —  CHAPITRE  IV. 

-1865.  troupes  qui  opéraient  dans  le  Tamaulipas  sous  Escobedo, 
dans  le  Sinaioa  et  la  Sonora  avec  Patoni  (^),  afin  de  diviser 
les  efforts  des  Français  et  les  empêcher  de  ruiner  d'un  seul 
coup  les  espérances  des  républicains  en  anéantissant  toute 
l'armée  libérale  dans  une  campagne  heureuse.  Quant  à 
lui,  il  se  contentait  d'une  petite  escorte,  et  ne  mettait  aucun 
amour-propre  à  reculer  de  village  en  village  ;  lorsque  la 
deuxième  colonne  expéditionnaire  du  nord,  venant  de  Du- 
rango,  s'approcha  de  Chihuahua,  il  en  repartit  simplement 
(9  décembre)  et  retourna  au  Paso  del  Norte  attendre,  avec 
la  patience  inépuisable  des  hommes  de  sa  race,  des  cir- 
constances plus  favorables.  Sa  petite  armée,  sous  les  ordres 
de  D.  Luis  Terrazas,  représentée  alors  par  quatre  cents 
fantassins,  une  centaine  de  cavaliers,  et  six  canons,  se  retira 
également.  Chihuahua  fut  réoccupé  sans  coup  férir,  le  11 
décembre. 

Cependant  la  désunion  s'était  glissée  parmi  les  adhérents 
de  Juarez  ;  il  était  arrivé  au  terme  de  ses  pouvoirs  depuis  le 
30  novembre  1865;  mais,  de  sa  propre  autorité,  par  un 
décret  du  8  novembre,  il  les  avait  prorogés  jusqu'à  la  fin  de 
la  guerre,  et  avait  destitué  le  général  Ortega  qui,  d'après  la 
constitution  et  en  qualité  de  président  de  la  Cour  suprême, 
auraitdûexercerl'autoritéprésidentielle  jusqu'aux  nouvelles 
élections.  Le  général  Ortega  s'était  rendu  aux  Etats-Unis 
sans  autorisation.  Juarez  saisit  ce  prétexte  pour  se  débar- 
rasser d'un  compétiteur  gênant.  Sa  conduite  fut  désap- 
prouvée par  plusieurs  membres  influents  du  parti  libéral, . 
Don  Manuel  Ruiz  entre  autres,  membre  de  la  Cour  suprême 
et  suppléant  légal  du  président  de  cette  cour.  M.  Ruiz  se 
présenta  au  commandant  Billot  à  Rio  Florido,  le  l^""  dé- 

(^)  Lettre  de  Juaroz  à  D.  Jésus  Teran,  Paso  del  Norte,  17  août. 


LE   MARÉCHAL   BAZAINE.  o27 

cembre,  et  déclara  rentrer  dans  la  vie  privée.  La  veille,  il  iscy. 
avait  publié  au  Parral  une  protestation,  longuement  moti- 
vée, contre  la  violation  des  principes  fondamentaux  de  la 
constitution  dont  Juarez  s'était  rendu  coupable.  La  notoriété, 
dont  jouissait  D.  Manuel  Ruiz,  et  la  place  qu'il  occupait 
dans  le  parti  libéral,  donnaient  à  ce  manifeste  une  impor- 
tance toute  particulière  ;  ces  incidents  paraissaient  devoir 
favoriser  les  efforts  tentés  par  l'empereur  Maximilien  pour 
rallier  les  hommes  politiques  encore  attachés  au  régime 
répubhcain.  Si  Juarez  eût,  en  cette  occasion,  montré 
quelque  défaillance,  peut-être  la  république  mexicaine 
eût-elle  sombrée  ;  il  ne  serait  resté  que  des  chefs  de  bande 
n'ayant  aucune  cohésion,  sans  mandat  d'aucune  sorte,  ca- 
pables tout  au  plus  d'entretenir  l'anarchie  et  la  guerre 
civile  ;  l'Empire  se  serait  fortifié  de  tout  ce  que  le  parti 
opposé  aurait  perdu.  La  protestation  de  Manuel  Ruiz  et  celle 
qui  fut  publiée  quelque  temps  après  par  le  général  Ortega, 
n'empêchèrent  pas  Juarez  de  rester  toujours  la  véritable 
personnification  de  la  résistance  à  l'intervention  française 
et  à  l'Empire  ;  il  continua  d'être  reconnu  comme  président 
de  la  république  par  la  grande  majorité  des  chefs  libéraux. 
Ortega  ne  rallia  qu'un  très-petit  nombre  de  partisans. 

Malgré  les  intentions  bien  formulées  par  Juarez  de  n'ac- 
cepter aucun  compromis  avec  l'Empire,  et  les  gages  certains 
donnés  à  cette  politique  par  sa  conduite  même,  l'empereur 
Maximihen  poursuivait  toujours  son  rêve  d'alliance  avec 
le  parti  libéral.  Un  de  ses  amis,  le  baron  de  Pont,  était 
en  relations  avec  D.  Jésus  Teran,  ancien  secrétaire  dé 
Juarez  et  son  agent  confidentiel  en  Europe;  par  l'inter- 
médiaire de  ces  deux  personnes,  des  lettres  de  Juarez 
écrites  à  D.  Jésus  Teran  parvenaient  à  l'empereur  Maxi- 
milien et,  très-probablement  aussi,  les  lettres  de  l'Em- 


?)28  II*  PARTIE.  CHAPITRE  IV. 

'1865.  pereur  au  baron  de  Pont  étaient  communiquées  à  Juarez. 
Or  voici  les  révélations  curieuses  que  contient  une  des 
lettres  de  l'Empereur,  datée  du  8  décembre  18650. 

«  Teran  est  un  vrai  patriote  comme  son  maître,  il  avait  les 
meilleures  intentions  pour  son  pays;  s'il  est  bien  informé,  il  doit 
savoir  que,  dans  toutes  les  discussions,  je  défends  son  maître  et 
que  je  reconnais  toujours  combien,  en  beaucoup  de  choses,  il  a  été 
utile  au  Mexique  ;  mais  il  lui  arrive,  comme  à  notre  bon  vieux 
Guttierrez,  ce  qui  arrive  à  tous,  il  exagère,  et  les  souvenirs  de  la 
réalité  s'effacent 

«  La  question  du  moment  et  du  prochain  avenir  est  d'organiser  le 
pays  d'une  manière  réfléchie  et  patiente.  Cette  tâche  n'admet  ni 
miracles,  ni  transitions  subites,  et  je  cherche  à  éviter  l'unique  erreur 
de  mon  prédécesseur  Juarez  qui,  dans  le  coart  espace  de  sa  prési- 
dence, voulut  tout  briser,  tout  réformer. 

«  La  seule  chose  à  laquelle  on  peut  prétendre,  c'est  un  dévelop- 
pement organique  et  une  conviction  réfléchie  ;  il  faut  laisser  de 
côté  tous  les  coups  brillants,  ils  sont  permis  en  Europe  oii  l'on  a 
affaire  à  des  esprits  blasés,  ici  tout  est  vigueur  et  jeunesse  .... 


(I)  Le  baron  do  I^ont  avait  communiqué  à  l'empereur  Maximilien  une  lettre  de 
D.  Jésus  Teran  dans  laquelle,  entre  autres  clioses,  on  lisait  : 

Berne,  17  septembre  1865. 

«  Je  crois,  monsieur  le  baron,  que  le  moment  est  venu ,  pour  l'empereur  du 
Mexique,  de  réfléchir  sérieusement  sur  sa  position  et  de  prendre  une  résolution 
définitive  avant  que  les  affaires  ne  se  compliquent,  parce  qu'alors  il  sera  emporté  par 
la  force  des  événements,  et  que  sa  conduite  ne  dépendra  plus  de  sa  volonté 

«  Si  mes  anciennes  relations  avec  Don  B.  Juarez,  et  les  personnes  qui  compo- 
sent son  cabinet  me  permettent  de  lui  être  de  quelque  utilité,  je  suis  disposé  à 
faire  ce  qui  dépendra  de  moi  pour  le  dégager  honorablement  de  sa  position,  cer- 
tain que  j'éviterai  ainsi  à  ma  patrie  de  nouvelles  épreuves.  Je  travaillerai  à  amener 

Don  B.  Juarez  à  conclure  un  arrangement  liunorable  pour  Tun  et  pour  l'autre 

A  la  place  de  l'empereur,  je  commencerais  par  décréter  une  suspension  d'hosti- 
lités avec  le  gouvernement  constitutionnel. 

.  Afin  de  conclure  un  traité  aussi  avantageux  que  possible,  et  usant  des  facul- 
tés qu'accorde  le  traité  de  Miramar,  je  renverrais  l'armée  française, puis  je 

ferais  connaUre  ma  résolution  de  me  retirer. 


LE    MARÉCHAL    BAZALNE.  o29 

ï  Je  crois  trouver  dans  les  lettres  de  Teran  une  diplomatie  pro-  ^gos. 

tonde  et  réelle  ;  je  désire  beaucoup  m'entendre  avec  Juarez,  mais 
tout  d'abord,  il  doit  reconnaître  la  décision  de  la  majorité  effective 
de  la  nation  qui  veut  la  tranquillité,  la  paix,  et  la  prospérité,  et  il 
faut  qu'il  se  décide  à  collaborer  avec  son  énergie  inébranlable  et 
son  intelligence  reconnue  à  Tceuvre  difficile  que  j'ai  entreprise.  Si, 
comme  je  le  crois,  il  envisage  réellement  le  bonheur  du  Mexique, 
jl  doit  bien  comprendre  qu'aucun  Mexicain  n'aime  autant  que  moi 
le  pays  et  son  progrès,  et  que  j'y  travaille  avec  toute  sincérité  et 
avec  les  meilleures  intentions;  qu'il  vienne  pourm'aider  sincère- 
ment et  loyalement,  et  il  sera  reçu  à  bras  ouverts  comme  tout  bon 

Mexicain Vous  pouvez  remercier  Teran,  en  mon  nom,  de  ses 

bonnes  paroles  ;  vous  lui  direz  que  je  suis  prêt  à  recevoir  Juarez 
dans  mon  conseil  et  parmi  mes  amis,  mais  que,  pour  le  moment, 
j'ai  à  défendre  ce  qui  est  au-dessus  de  ma  vanité  et  de  mon  bien- 
(Hre  individuels,  l'indépendance  d'un  beau  pays  et  d'un  peuple  de 
huit  millions  d'âmes,  tâche  digne  d'un  prince  de  ma  famille  ^^\  f 

Nous  avons  dit  qu'au  moment  même  oii  le  général  Brin-  opéniion? 
court  marchait  sur  Chihuahua,  les  troupes  françaises  pé-  ""sonôra/" 
nélraient  également  dans  l'intérieur  de  la  Sonora.  La  gar- 
nison débarquée  à  Guaymas,  le  29  mars  précédent,  était 
trop  faible  pour  sortir  de  la  place,  mais  à  la  fm  du  mois 
de  mai,  elle  avait  reçu  des  renforts  qui  lui  permirent  de 
rompre  le  blocus  de  l'ennemi.  Les  forces  libérales,  com- 
mandées par  Pesquiera,  comptaient  deux  mille  cinq  cents 
hommes  et  dix  canons  ;  elles  étaient  campées  à  la  Pasion 
au  pied  des  montagnes,  à  huit  lieues  de  Guaymas.  Le  22 
mai,  le  colonel  Garnier,  après  avoir  forcé  les  avant-postes 
ennemis  du  Cavallo  à  se  replier,  essaya  de  surprendre  le 
camp  de  Pesquiera  par  une  marche  de  nuit;  l'escadron 
de    chasseurs,  qui  formait  l'avant  garde,   s'avança  trop 

(')  D'après  le  texte  publié  par  l'abbc  Domenech,  Juarez  et  Maximilien,  Paris, 
IS68. 

34 


530  11°  PARTIE.  CHAPITRE  IV. 

4865.  loin  du  gros  de  la  colonne  ;  il  tomba  sur  le  campement 
des  libéraux,  y  sema  le  désordre,  mais  donna  l'éveil  à  l'en- 
nemi, qui  put  battre  en  retraite  et  se  mettre  hors  de  portée 
avant  l'arrivée  de  l'infanterie  française.  Pesquiera  se  retira 
sur  Hermosillo,  la  ville  la  plus  importante  de  la  contrée,  à 
trente-sept  lieues  de  Guaymas  ;  le  colonel  Garnier  revint  à 
Guaymas. 

La  province  de  Sonora  compte  environ  cent  vingt  mille 
habitants  dont  la  moitié  de  race  indienne  ;  cette  popula- 
tion est  éparpillée  sur  une  grande  étendue  de  pays,  en 
partie  aride,  et  dont  la  richesse  minérale  paraît  être  de 
beaucoup  au-dessous  des  narrations  exagérées  qui  en  ont 
été  faites.  Le  nord  de  cette  contrée  est  fréquemment  dé- 
vasté par  les  Indiens  Apaches  ;  depuis  la  suppression  des 
présidios  espagnols,  la  plupart  des  haciendas  et  des  vil- 
lages sont  détruits,  le  pays  est  ruiné. 

Les  tribus  indiennes,  fixées  en  Sonora,  et  dont  la  plupart 
sont  converties  au  christianisme  depuis  les  premiers  temps 
de  la  conquête,  sont  les  seuls  adversaires  qui  puissent 
être  opposés  aux  Indiens  sauvages.  Les  plus  considérables 
de  ces  tribus  sont  celles  des  Pimas  (quinze  mille  individus 
environ)  établis  dans  les  districts  du  Nord-Ouest  ;  les  Pa- 
payos,  tribu  guerrière  non  convertie  qui  habite  près  de  la 
frontière  (huit  à  dix  mille  individus);  les  Opatas  (trente- 
cinq  mille  environ)  établis  dans  les  districts  d'Urès, 
d'Arispe,  d'Opozura,  de  Sahuaripa;  Tanori,  leur  chef, 
vint  à  Guaymas  offrir  au  colonel  Garnier  un  concours  qui 
fut  très-utile  dans  plus  d'une  circonstance  ;  enfin  les  Ya- 
quis  et  les  Mayas  qui  vivent  dans  les  vallées  des  Rios  Yaqui 
et  Maya,  où  ils  s'adonnent  à  l'agriculture  et  à  l'industrie 
minière.  Us  sont  au  nombre  d'environ  trente  mille.  Sous 


LE    MARÉCHAL    BAZALNE.  531 

l'influence  de  quelques  hommes  dévoués  aux  nouvelles        -1865. 
institutions,  ces  tribus  se  montrèrent  favorables  aux  Fran- 
çais et  chassèrent  les  libéraux  de  leurs  villages  (0. 

Ces  bonnes  dispositions  déterminèrent  le  maréchal  à 
faire  pénétrer  des  troupes  françaises  dans  le  cœur  du  pays. 
Parti  de  Guaymas,  le  23  juillet  1865,  avec  cinq  cent  cin- 
quante hommes,  le  colonel  Garnier  entra  sans  coup  férir  à 
Hermosillo,  le  29  du  même  mois.  Pesquiera,  continuelle- 
ment harcelé  par  les  Indiens  qui  lui  enlevèrent  quatre 
canons,  se  replia  sur  Urès,  puis  sur  Arispe.  Un  pronuncia- 
miento  en  faveur  de  l'Empire  ayant  eu  lieu  à  Urès,  le  colonel 
Garnier  s'y  rendit  et  occupa  la  ville  le  13  août,  jour  même 
où  le  général  Brincourt  entrait  à  Chihuahua. 

Les  contingents  alliés  furent  bientôt  maîtres  d'El  Altar, 
d'Opozura,  puis  de  Magdalena,  de  Sahuaripa  et  d' Arispe. 
Toute  la  province,  à  l'exception  d'Alamos,  reconnut  l'auto-  . 
rite  impériale  et,  peu  après,  les  Indiens  occupèrent  ce  der- 
nier point,  à  la  suite  d'un  combat  où  le  chef  libéral  Rosales 
fut  tué  avec  une  centaine  des  siens.  Mais,  par  suite  des 
nouvelles  combinaisons  arrêtées  par  le  maréchal,  en  vue 
de  la  possibilité  d'une  agression  des  Etats-Unis,  un  seul 
régiment,  le  62*^  de  ligne,  devait  être  laissé  dans  les  deux 
provinces  de  Sonora  et  de  Sinaloa  ;  le  51^  de  hgne  fut  donc 
rappelé  à  Mazatlan  et  renvoyé  à  Durango.  Le  bataillon  du 
62^  qui  le  remplaça  en  Sonora,  eut  l'ordre  de  borner  son 
occupation  au  port  de  Guaymas  ;  les  autres  points  furent 
confiés  aux  contingents  indiens. 

A  l'autre  bataillon  du  62%  incombait  la  lourde  tâche  de 


(0  Les  Indiens  délivrèrent  la  plupart  des  prisonniers  français  du  combat  de 
San  Pedro,  qui  se  trouvaient  à  Gpozuru  ;  ils  ramenèrent  à  Guaymas  six  olliciers 
trente-trois  marins,  vingt- trois     railleurs.  La  colonne  du   général  Brincourt  en 
recueillit  quelques  autres  dans  sa  marclie  vers  Chihuahua. 


532  II*  PARTIE.   —  CHAPITRE   IV. 

4865.  garder  l'Etat  de  Sinaloa  ;  nous  dirons  plus  loin  quelles 
difficultés  il  eut  à  vaincre.  Son  effectif  ne  lui  permettant 
pas  de  dominer  le  pays,  Corona  y  revint  avec  ses  bandes, 
brûla  la  Noria  pour  punir  ce  village  des  sympathies 
témoignées  aux  Français,  et,  bientôt,  les  troupes  laissées 
dans  le  Sinaloa  se  trouvèrent  restreintes  à  un  étroit  rayon 
autour  de  Mazatlan.  Du  reste  l'insuffisance  du  corps  expé- 
ditionnaire se  manifestait  sur  tous  les  points. 

Comme  le  maréchal  concentrait  ses  troupes,  dont  la  trop 
grande  dissémination  pouvait  avoir  des  inconvénients,  il 
devenait  souvent  impossible  aux  autorités  impériales  de  se 
maintenir  sans  leur  appui. 

Opérations  Dans  Ic  Nord-Est,  il  ne  resta  de  garnison  française  qu'à 

Tamauiipas.  Montercv  ct  à  Matchuala  ;  la  division  Mejia,  qui  comptait 
seulement  3,500  hommes,  ne  pouvait  suffire  à  garder 
d'une  manière  efficace  l'immense  territoire  compris  entre 
Matamoros,  Tampico  et  Monterey.  Pour  protéger  les  com- 
munications entre  cette  dernière  ville  et  Matamoros,  la 
contre-guérilla  avait  été  placée  à  Cadeireita  ;  un  convoi  de 
commerce  envoyé  de  Matamoros,  sous  l'escorte  de  huit 
cents  hommes  de  troupes  mexicaines,  réussit  à  passer;  mais 
à  son  retour,  ce  détachement  perdit  deux  cent  cinquante 
hommes  dans  un  combat  malheureux  et  fut  obligé  de  re- 
venir sur  ses  pas.  Cortina  isola  complètement  Matamoros 
et  interdit  toute  communication  avec  la  ville  ;  aucune  mar- 
chandise n'entrait  ni  ne  sortait  sans  sa  permission  et  sans 
lui  payer  des  droits.  C'était  à  lui  que  les  voyageurs  s'a- 
dressaient pour  obtenir  des  passe-ports  (^). 

Au  sud  de  Monterey,  les  guérillas  libérales  coupaient 

vl)  Lp  manVIial  ;ni  minislro,  9  scplcmlire. 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  533 

également  les  routes  et  menaçaient  Matehuala  ;  il  fut  néces-  1860 
saire  d'envoyer  dans  cette  place  un  bataillon  de  renfort. 
Les  bandes  ennemies  s'étaient  alors  rabattues  vers  le  Sud 
par  les  grandes  haciendas  de  Solis  et  de  Peotillos  ;  des  co- 
lonnes légères  sorties  de  San  Luis  Potosi  et  de  Querelaro 
les  atteignirent  plusieurs  fois,  les  forcèrent  d'abandonner 
les  districts  de  Santa  Maria  del  Rio  et  de  Rio  Verde,  et  les 
obligèrent  à  se  replier  sur  Tula  de  Tamaulipas,  dont  elles 
s'étaient  emparées  depuis  le  commencement  du  mois  de  j  uin , 
Le  maréchal  voulut  les  déloger  également  de  cette  position 
afin  de  rouvrir  la  route  entre  San  Luis  et  la  mer.  Déjà,  le 
16  juin,  le  bataillon  d'infanterie  légère  d'Afrique  (comman- 
dant Chopin)  avait  été  débarqué  à  Tampico .  Il  devait  y  laisser 
ses  impedimenta  et  s'avancer  rapidement  vers  l'intérieur, 
afin  de  combiner  ses  mouvements  avec  les  petites  colonnes 
qui  sortaient  alors  de  Matehuala,  de  San  Luis  et  de  Quere- 
taro.  Contrairement  à  ces  prescriptions,  ce  bataillon  em- 
mena ses  bagages  à  Tancasnequi  ;  le  manque  absolu  de 
nloyens  de  transport  et  les  pluies  torrentielles,  qui  inondaient 
le  pays,  le  mirent  dans  l'impossibilité  de  se  mouvoir.  Le  ma- 
réchal avait  l'intention  d'employer  dans  le  Tamaulipas  le 
bataillon  du  régiment  étranger  qui  se  trouvait  alors  à  Mata- 
mores ;  il  le  fit  transporter  à  Tampico  sur  les  bâtiments  de 
l'escadre  (19  juillet)  ;  mais  cette  troupe  était  dans  un  tel  état 
d'épuisement  (sur  un  effectif  de  500  hommes  au  départ  de 
Vera-Cruz,  il  ne  restait  que  257  hommes  valides),  qu'il  fallut 
renoncer  à  cette  combinaison  et  la  ramener  à  Vera-Cruz. 
Le  bataillon  d'Afrique  fut  également  très-éprouvé  par  les 
maladies,  et  ne  se  trouva  plus  en  état  de  présenter  en  ligne 
un  nombre  suffisant  de  combattants  pour  affronter  les 
guérillas  ennemies  ;  un  bataillon  du  3''  zouaves  (comman- 
dant Delloye)dut  lui  conduire  de  Matehuala  à  Tancasne  qui 


534  H*  PARTIE.    CHAPITRE  IV. 

4865.  les  moyens  de  transport  qui  lui  faisaient  défaut,  et  protéger 
sa  marche  jusqu'à  Tula.  Arrivé  le  26  août  à  Tancasnequi, 
le  commandant  Delloye  en  repartit  le  lendemain  avec  le 
bataillon  d'Afrique  ,  son  convoi  et  ses  nombreux  malades  ; 
cette  colonne  rencontra  d'abord  à  El  Nopal,  puis  le  9  sep- 
tembre au  col  de  Chamal,  dans  une  forte  position,  les  gué- 
rillas de  Mendez  qui  lui  disputèrent  le  passage  ;  à  la  suite 
d'un  vigoureux  combat,  la  colonne  française  parvint  cepen. 
dant  à  s'ouvrir  la  route. 

On  avait,  en  outre,  envoyé  contre  Escobedo,  qui  battait 
le  pays  entre  Linares  et  Burgos,  la  contre-guérilla  et  un 
bataillon  du  régiment  étranger  (août  1865);  les  bandes 
ennemies  ne  cessaient  d'inquiéter  la  route  de  San  Luis  ; 
elles  pillèrent  le  minéral  de  Catorce  (2!2  août)  et  attaquèrent 
un  convoi  français  à  Tanque  de  las  Yacas  (31  août).  L'en- 
nemi laissa  passer  la  saison  des  pluies  sans  rien  tenter  de 
sérieux  dans  le  Nord,  mais,  dès  les  premiers  jours  d'oc- 
tobre, Escobedo  réunit  son  monde  et,  le  18  du  même  mois, 
avec  trois  mille  hommes  et  onze  canons,  il  assiégea 
Matamoros.  Le  général  Mejia  était  disposé  à  résister  éner- 
giquement  ;  les  négociants  étrangers,  les  Français  en  par- 
ticulier, lui  prêtèrent  un  concours  actif,  mais  il  craignait 
à  chaque  instant  que  ses  soldats,  activement  travaillés  par 
les  agents  de  l'ennemi,  ne  fissent  défection.  L'attitude  des 
Américains  le  préoccupait  également  ;  ils  fournissaient  à 
Escobedo  des  munitions  et  des  vivres  ;  ils  recevaient  ses 
blessés  dans  leurs  hôpitaux  ;  des  soldats  et  des  officiers  des 
Etats-Unis  passaient  fréquemment  le  fleuve  et  combattaient 
à  côté  des  troupes  libérales.  Deux  attaques  furent  cepen- 
dant repoussées  avec  succès  le  25  et  le  26  octobre. 

M.  le  capitaine  de  vaisseau  Cloué,  commandant  l'escadre 
française  du  golfe,  vint  surveiller  l'embouchure  du  Rio 


LE    MARÉCHAL   BAZAÏNE.  533 

Bravo  ;  il  fit  armer  par  ses  marins  un  petit  vapeur  de  ri-  -«s^s, 
vière,  VAntonia,  et  l'envoya  au  secours  de  Matamoros.  Ce 
bâtiment  remonta  le  Rio  Bravo,  le  7  novembre,  malgré  la 
fusillade  et  le  feu  d'artillerie  qui  partaient  des  rives  du 
fleuve.  La  nuit  suivante,  Escobedo  leva  le  siège;  un 
renfort  de  quatre  cents  Autrichiens  arriva  peu  de  temps 
après. 

Le  général  Mejia  et  le  commandant  Cloué  protestèrent 
près  du  général  américain  Weitzel,  contre  l'appui  effectif 
que  les  troupes  d'Escobedo  avaient  trouvé  sur  la  rive 
gauche;  celui-ci  répondit  d'abord  assez  courtoisement, 
exprimant  ses  regreis  de  ne  pouvoir  empêcher,  comme  il  le 
voudrait,  ces  violations  de  neuti-alité  ;  puis  cette  corres- 
pondance s'aigrit,  des  lettres  furent  renvoyées  de  part  et 
d'autre  sous  prétexte  qu'elles  étaient  rédigées  en  termes 
inacceptables  (^).  Le  général  Sheridan,  commandant  supé- 
rieur à  la  Nouvelle-Orléans,  fit  passer  au  général  Mejia  une 

(')  (ExlTails  des  correspondances  échangées  entre  le  commandant  Cloué  et 
le  général  Weitzel.) 

•  Le  commandant  Cloué  au  général  Weitzel  : 

«  Devant  le  Rio  Grande,  6  novembre  1863. 

«  Monsieur  le  général,  j'ai  toujours  été  exactement  renseigné  sur  tous  les  événe- 
ments <\m  se  passent  aux  environs  de  Matamoros  ;  c'est  vous  dire  que  je  connais 
parfaitement  tous  les  secours  que  les  soi-disant  libéraux  ont  retirés  et  retirent  du 
Texas,  et  en  particulier  de  Brownsville. 

«  Les  hommes,  les  vivres,  les  munitions  de  guerre  sont  fournis  à  nos  ennemis 
par  des  personnes  qui  relèvent  de  votre  commandement  ;  les  pièces  d'Escobedo 
sont  servies  par  des  cauonniers  qui  viennent  de  votre  armée  et  ne  sont  même  pas 
encore  congédiés.  Les  blessés  sont  reçus  à  l'hùpital  de  Brownsville.  Les  officiers 
d'Escobedo  et  de  Gortina  viennent  journellement  en  armes  dans  cette  ville  prendre 
leurs  repas,  ou  se  reposer  dans  les  intervalles  de  loisir  que  leur  laisse  l'attaque  de 
Matamoros.  En  un  mot,  Brownsville  semble  être  le  quartier  général  des  juaristes, 
et  personne  ne  doute  que  ni  Escobedo,  ni  Gortina  ne  seraient  en  état  d'entreprendre 
quoi  que  ce  soit,  s'ils  n'avaient  les  ressources  continuellement  renouvelées  du  Texas 
pour  les  soutenir. 

.  Je  prendrai  la  liberté,  .Monsieur  le  général,  de  vous  rappeler  combien  a  été  dif- 


^36  II"    PARTIE.   CHAPITRE   IV. 

<86o.  dépêche  presque  menaçante  ;  celui-ci  refusa  de  la  recevoir, 
il  était  fort  inquiet  et  n'osait  sortir  de  Matamoros,  de  peur 
qu'en  son  absence  des  flibustiers  américains  ne  s'en  ren- 
dissent maîtres.  La  surexcitation ,  qui  existait  alors  en 
Amérique  contre  la  France  et  contre  l'Empire  mexicain, 
ne  justifiait  que  trop  ces  alarmes  ;  un  déplorable  événe- 
ment les  augmenta  encore. 
Dans  la  nuit  du  4  au  5  janvier  1866,  des  bandes  de  sol- 

fe'rente  de  ce  qui  se  passe  ici,  la  conduite  de  la  France  pendant  la  récente  guerre 
qui  vient  de  déchirer  l'Union  américaine. 

«  La  France  est  restée  loyalement  neutre  ;  s'il  en  avait  été  autrement,  si  nous 
avions  fait  la  centième  partie  de  ce  qui  se  fait  à  Brownsville  ou  sur  les  bords 
du  Rio  Grande,  le  peuple  américain  aurait  protesté  hautement  et  il  aurait  eu 
raison. 

"  Les  lois  internationales  adoptées  par  toutes  les  nations  civilisées  sont  obliga- 
toires pour  toutes.  De  même  que  ces  lois  nous  engagent  d'honneur  à  rester  neutres, 
elles  vous  engagent  à  votre  tour,  car  vous  ne  pouvez  pas  prétendre  à  être  affran- 
chis des  règles  sur  lesquelles  vous  vous  êtes  appuyés,  sous  le  prétexte  qu'elles  ne 
vous  sont  plus  bonnes  à  rien. 

"  Après  vous  avoir  présenté  les  observations  qui  précèdent,  Monsieur  le  général, 
je  termine  ma  lettre  en  protestant  de  la  manière  la  plus  formelle  contre  la  viola- 
tion flagrante  de  la  neutralité  de  cette  frontière  et  particulièrement  à  Brownsville. 
«  Veuillez  agréer,  etc. 

«  Signé  :  Cloué.  • 

Réponse  à  la  lettre  précédente.  —  Le  général  Weilzel  au  commandant  Cloué. 

«  Sir,  I  hâve  received  your  communication  of  Ihe  6"i  instant,  and  return  it  here- 
with,  as  I  cannot  receive  a  document  so  disrespectfull  towards  the  governmcnt 
I  hâve  the  honour  to  represent. 

•  If  you  bave  any  complaints  to  make ,  they  will  be  duly  submitted  by  me  to 
higher  authorities,  if  said  complaints  are  in  proper  ternis  and  couched  in  proper 
language. 

«  I  am,  Sir,  very  respecfuUy,  your  obedient  servant. 

Signé  :  Weitzel. 

Le  commandant  Cloué  ayant  écrit  de  nouveau,  reçut  la  réponse  suivante  sans 
signature  ;  il  la  renvoya  au  général  américain. 

Le  général  Weitzel  au  commandant  Cloué  (i7  novembre). 

«  lie  (  gênerai  Mejia)  and  I,  hâve  aiready  liad  more  correspondence  llian  was 
ploasant  to  me.  Ido  not  wish  to  writeletters.lt  is  not  my  profession,  and  I  was 
not  sent  hère  by  my  government  to  write  letters.  I  would  tiiereforc  again  repeat 
that  either  you,  or  gênerai  Mejia  alone  takc  charge  of  al!  correspondence  with  me.  » 


LE    GÉNÉr.AL    BAZAIKE.  o37 

dats  nègres,  portant  le  nom  de  Cortina  sur  leurs  chapeaux,  ^^^• 
mais  ayant  l'uniforme  américain,  traversèrent  le  Rio  Bravo 
et  envahirent  la  ville  de  Bagdad.  Ils  surprirent  une  petite 
garnison  impérialiste  de  deux  cents  hommes  qu'ils  em- 
menèrent à  Clarksville ,  au  Texas,  où  l'on  engagea  les 
prisonniers  à  se  laisser  incorporer  dans  la  troupe  de  Cor- 
tina. La  population  de  Bagdad,  composée  en  majeure  par- 
lie  de  négociants  étrangers,  fut  maltraitée  par  cette  bande 
de  forcenés  dont  le  chiffre  grossissait  à  chaque  instant. 
Le  pillage,  les  violences,  les  assassinats  désolèrent  la  ville; 
au  matin,  des  officiers  américains  (le  général  Crawford,  le 
colonel  Reed  entre  autres)  furent  tellement  effrayés  de  ce 
désordre,  qu'ils  firent  demander  quelques  compagnies  ré- 
gulières de  soldats  noirs.  Les  nouveaux  venus  chassèrent 
les  pillards  de  la  nuit,  puis  ils  pillèrent  à  leur  tour.  L'An- 
tonia,  à  bord  de  laquelle  se  trouvaient  trente  marins  fran- 
çais et  quarante  soldats  autrichiens,  était  amarrée  près  de 
la  ville  lorsque  commença  l'invasion  des  nègres.  Elle  fut 
attaquée  et  reçut  plusieurs  projectiles  lancés  avec  des  pièces 
enlevées  aux  fortifications  de  Bagdad;  mais  l'équipage  ré- 
sista assez  longtemps  pour  permettre  au  bâtiment  d'allu- 
mer ses  feux  et  de  s'éloigner  en  remontant  le  fleuve.  Le 
stationnaire  français,  la  Tisiphone,  s'était  approché  de  la 
terre;  il  n'avait  pu  qu'imparfaitement  se  rendre  compte  de 
ce  qui  se  passait;  un  de  ses  canots  s'embossa  cependant  à 
huit  cents  mètres  et  tira  quelques  coups  de  canon  sur  des 
gens  qui  pillaient  des  bateaux  échoués  ;  une  batterie  de  la 
terre  répondit  à  son  feu.  Pendant  plusieurs  jours  ce  fut, 
entre  Bagdad  et  Clarksville,  une  allée  et  venue  conti- 
nuelle pour  transporter  le  butin  sur  la  rive  américaine  ;  les 
pillards  emportèrent  tout  ce  qu'ils  purent,  meubles,  usten- 
siles de  toute  sorte,  et  jusqu'à  des  maisons    de  bois  qu'ils 


538  II®   PARTIE.  CHAPITRE  IV. 

4865,  démontèrent.  Les  Américains  appelèrent  à  Bagdad  les 
chefs  libéraux;  ceux-ci  vinrent  en  effet  avec  quelques 
hommes  et  prirent  nominalement  possession  de  la  ville, 
mais  les  troupes  américaines  y  restèrent  jusqu'au  22  jan- 
vier. Le  25,  un  détachement  austro-mexicain  de  six  cent 
cinquante  hommes  y  rétabht  l'autorité  impériale.  La  res- 
ponsabilité de  ces  déplorables  événements  ne  fut  pas  ac- 
ceptée par  le  commandant  des  forces  américaines.  C'était, 
disait-il,  le  fait  de  soldats  licenciés,  aux  désordres  desquels 
il  n'avait  pu  s'opposer.  Quant  aux  troupes  envoyées  par 
lui,  elles  n'avaient  eu  d'autre  mission  que  de  protéger  les 
habitants.  Cette  réponse  était  peu  rassurante;  rien  n'em- 
pêcherait d'en  faire  une  pareille,  si  l'on  voulait  un  jour 
prendre  et  piller  Matamores  ;  le  général  Mejia  recommanda 
aux  commerçants  étrangers  de  rester  armés  et  de  s'organi- 
ser d'une  façon  permanente  pour  garder  leurs  propriétés. 
Le  gouvernement  des  Etats-Unis  s'efforça,  du  reste,  de 
prévenir  le  retour  de  pareilles  scènes.  Il  remplaça  le  géné- 
ral Weitzel,  restitua  les  canons,  fit  rechercher  et  empri- 
sonner le  général  Crawford,  les  officiers  et  les  soldats  qui 
avaient  participé  au  sac  de  Bagdad. 
Opérations  Au  mois  de  novembre,  pendant  le  siège  de  Matamoros 

'  *fiaij*çai^cr  par  Escobedo,  le  maréchal  avait  envoyé  deux  colonnes  expé- 
le  Nord-Est.  ditionnaircs,  l'une  à  l'extrême  nord  sur  Monclova,  l'autre 
sur  Vittoria,  dans  le  but  de  diviser  l'attention  de  l'ennemi 
et  de  l'empêcher  de  concentrer  toutes  ses  forces  contre  le 
général  Mejia.  Le  colonel  d'Ornano  occupa  Vittoria  le  17 
novembre,  et  y  réinstalla  une  garnison  de  trois  cents  Mexi- 
cains ;  à  peine  s'était-il  éloigné,  que  les  guérillas  de  Mendez 
attaquaient  la  place  ;  il  revint  sur  ses  pas,  la  dégagea,  mais, 
sur  l'ordre  du  maréchal,  qui  ne  voulait  pas  laisser  de  trou- 
pes françaises  dans  cette  région,  il  l'évacua  définilivement 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  539 

le  15  décembre  1865,  et  l'autorité  de  l'empereur  Maximi-         'i^^- 
lien  n'y  fut  plus  rétablie. 

Au  nord,  le  général  Jeanningros,  parti  de  Saltillo  le 
12  novembre,  était  entré  àMonclova  le  15,  et  avait  forcé 
l'ennemi  à  se  retirer  sur  Piedras  Negras  ;  mais,  profitant 
de  son  éloignement,  Escobedo,  qui  venait  de  lever  le  siège 
de  Matamores,  se  jeta  surMonterey,  où  ne  se  trouvait  qu'une 
garnison  mexicaine  de  six  cents  hommes.  Ce  détachement 
résista  deux  jours,  puis  une  partie  se  replia  sur  Saltillo, 
l'autre  s'enferma  dans  la  citadelle  (24  novembre). 

Dès  qu'il  apprit  ces  événements,  le  commandant  de  La 
Hayrie,  du  régiment  étranger,  partit  de  Saltillo  avec  cent 
cinquante-six  hommes  ;  s'aidant  de  quelques  charrettes,  il 
franchit  en  vingt  heures  les  vingt-trois  lieues  qui  le  sépa- 
raient de  Monterey.et,  le  25  novembre,  à  quatre  heures  du 
matin,  il  pénétrait  à  l'improviste  dans  la  ville;  il  enleva 
successivement  plusieurs  postes  ennemis,  les  passa  à  la 
baïonnette,  parcourut  les  rues,  faillit  prendre  Escobedo , 
mais  se  sentant  trop  faible  pour  livrer  combat  pendant  le 
jour,  il  se  replia,  et  resta  en  observation  à  l'entrée  de  la 
ville. 

Le  général  Jeanningros  était  à  Villaldama  lorsqu'il  fut 
informé  des  événements  de  Monterey.  Il  revint  à  marches 
forcées;  son  infanterie  fit  trente-deux  lieues  en  deux  jours  ; 
sa  cavalerie,  qui  la  précédait  à  une  petite  distance,  arriva 
le  25  novembre,  à  deux  heures  du  soir  ;  elle  put  atteindre 
l'arrière-garde  d'Escobedo  et  lui  sabrer  une  centaine 
d'hommes. 

Vers  cette  époque,  l'impératrice  Charlotte  fit  un  vovasje    ,   ,yoyage 

'■      '■  *■  "    ^       de  1  impératrice 

au  Yucalan.  Les  ovations  qu'elle  recul  des  populations  sur       chnrioue 

1  -  1     1  au   lucalan. 

tout  son  passage,  aussi  bien  dans  le  Yucatan  que  le  long 


o40  II*  PARTIE.  CHAPIIRK    IV. 

1863.         tîe  la  route  de  Mexico  à  Vera-Cruz,  firent  un  moment  di- 
version aux  tristesses  de  la  situation  sfénérale. 

Depuis  la  prise  de  Campêche  par  Navarette  au  mois  de 
février  1864,  le  Yucatan  tout  entier  s'était  déclaré  en  fa- 
veur de  l'Empire;  un  petit  corps  de  troupes  mexicaines 
dans  l'intérieur  de  la  province,  une  garnison  mixte  à  Cam- 
pêche (')  suffisaient  pour  en  assurer  la  tranquillité.  Il  n'y 
avait  guère  d'autres  alarmes  que  celles  qui  provenaient  des 
incursions  sauvages,  mais  sans  aucun  caractère  politique, 
des  Indiens  Bravos  de  l'Ouest.  Quelque  agitation  avait  ce-- 
pendant  continué  sur  la  frontière  de  l'Etat  de  Tabasco,  dont 
les  guérillas,  à  l'aide  des  canaux  naturels  qui  sillonnent  le 
pays,  pouvaient  se  porter  inopinément  sur  un  point  ou  sur 
l'autre,  inquiéter  les  populations  paisibles  et  entraver  le 
commerce  des  bois. 

Au  mois  de  juin  1865,  la  canonnière  française  le  Bran- 
don avait  remonté  le  grand  fleuve  de  Palizada  avec  un 
détachement  austro-mexicain  de  quatre  cents  hommes. 
Palizada  fut  occupé  le  5  juin  ,  et  les  fortifications  de  Jonuta 
furent  enlevées  le  lendemain  ;  on  laissa  sur  ce  point  un 
poste  de  250  Mexicains. 

Le  mois  suivant,  le  général  Castillo,  alors  commandant 
du  Yucatan,  voulut  tenter  une  opération  dans  l'intérieur 
de  l'Etat  de  Tabasco  ;  mais  lorsque  ses  soldats  se  trouvèrent 
en  présence  des  Indiens  du  pays,  ils  furent  saisis  d'une 
sorte  de  terreur  panique  et  prirent  la  fuite.  Pendant  deux 
jours  l'ennemi  tirailla  sur  Jonuta.  Le  Brandon  se  porta  au 
secours  de  ce  poste;  une  sortie  de  nuit,  appuyée  par  quel- 
ques marins,  porta  le  désordre  dans  le  camp  des  guérillas 

O)  La  compagnie  de  volontaires  créoles,  la  compagnie  du  génie  de  la  Marti- 
nique, la  compagnie  yucatanaise  (août  1864),  qui  furent  relevées  par  trois  cents 
Autrichiens  au  commencement  de  mars  1865. 


LE    MARÉCHAL    BAZAlNE.  541 

qui  se  dispersèrent  en  abandonnant  leur  canon.  Leurs  ten-  -iso; 

talives  ne  s'étant  pas  renouvelées,  il  fut  possible  de  retirer 
de  Gampêche  les  compagnies  autrichiennes  fort  éprouvées 
par  les  fièvres  (25  août  1863).  Du  reste,  l'intérieur  du 
Yucatan  n'avait  pas  été  troublé  ;  depuis  longtemps,  les  ha- 
bitants de  cette  province  industrieuse  et  éclairée,  pour 
laquelle  l'empereur  Maximilien  avait  toujours  eu  beaucoup 
de  prédilection,  et  qu'il  se  plaisait  à  appeler  (d'enfant  gâté 
de  son  règne  »,  insistaient  pour  qu'il  les  visitât.  Ce  voyage, 
arrêté  en  principe,  avait  été  successivement  remis;  puis 
l'état  des  affaires  ne  permettant  pas  à  l'Empereur  de  s'ab- 
senter, l'Impératrice  s'y  rendit  seule.  Son  passage  à  Vera- 
Cruz  fut  l'occasion  de  manifestations  qui  contrastaient  sin- 
guhèrement  avec  la  froideur  dont  elle  avait  été  si  impression- 
née au  moment  de  son  arrivée  au  Mexique.  Sa  voiture  fut 
dételée  et  traînée  par  le  peuple  (*).  Elle  fut  aussi  chaleureu- 
sement reçue  au  Yucatan,  où  elle  séjourna  un  mois. 

Quelque  temps  auparavant,  l'Empereur  avait  également 
trouvé  une  grande  sympathie  à  Orizaba,  à  Gordova,  à  Jalapa, 
et  surtout  à  Puebla.  Souvent  les  princes  sont  salués  sur 
leur  passage  par  des  démonstrations  officielles  auxquelles  se 
mêlent  facilement  les  cris  et  les  vivat  du  peuple  toujours 
avide  de  fêtes  et  de  nouveautés  ;  toutefois  Paccueil  que 
l'empereur  Maximilien  et  l'impératrice  Gharlotte  rencon- 
trèrent la  plupart  du  temps  dans  leurs  différents  voyages, 
eut  quelque  chose  de  si  cordial,  de  si  sincère,  qu'on  est 
obligé  de  reconnaître  l'influence  exercée  par  leur  bonne 
grâce,  leur  affabihté,  leur  bienveillance  sur  tous  ceux  qui 
les  approchaient.  Du  reste,  la  partie  des  Etats  de  Mexico, 


(')  Le  commandant  de  Vera-Cruz  au  ministre,  2  di-cembre.  —  Le  maréciial  au 
ministre,  9  novembre,  9  et  28  décembre. 


542  II"  PARTI!::.  CHAPITRE    IV. 

^865.  (le  Piiebla  et  de  Vera-Cruz  qu'ils  traversèrent,  jouissait 
depuis  plus  de  deux  ans  de  la  plus  grande  tranquillité. 
L'agriculture,  le  commerce,  la  richesse  publique  s'y  déve- 
loppaient, grâce  à  une  sécurité  dont  ces  contrées  avaient 
été  longtemps  privées,  et  les  populations  se  montraient 
reconnaissantes  de  ces  bienfaits  qu'elles  devaient  à  l'Em- 
pire ;  malheureusement,  ces  acclamations  entretinrent 
dans  l'esprit  de  l'Empereur  et  de  l'Impératrice  des  illu- 
sions que  ne  justifiait  pas  l'ensemble  de  la  situation  ;  elles 
leur  inspirèrent  une  fausse  confiance  dans  le  dévouement 
du  pays,  et  dans  l'appui  qu'ils  pourraient  trouver  près  des 
populations  au  jour  du  danger. 


CHAPITRE  CINQUIÈME. 


SOMMAIRE. 

Relations  diplomatiques  entre  la  France  et  les  Etats-Unis.  —  Déclaration  du 
gouvernement  français  relative  au  rappel  des  troupes  du  Mexique.  —  Organi- 
sation des  forces  militaires  à  la  disposition  de  l'empereur  Maximilien.  — 
Création  des  cazadores.  —  Détresse  financière  de  l'Empire  mexicain.  —  Progrès 
des  forces  républicaines  dans  le  nord  du  Mexique.  —  Opérations  militaires  dans 
les  Etats  de  Nuevo-Leon  et  de  Coahuila.  —  Combat  de  Santa  Isabel  (1"  mars). 

—  Combat  de  Camargo  (lo  juin).  — Capitulation  de  Matamoros  (23  juin).  — 
Note  du  31  mai,  —  Mémoire  de  l'empereur  Maximilien  à  l'empereur  Napoléon. 

—  Nature  des  relations  entre  l'empereur  Maximilien  et  le  maréchal  Bazaine. 

—  Conyantion  du  30  juillet  1866. 

Les  dispositions  peu  bienveillantes  montrées  par  les       Relations 

^  ^  ,  diplomatiques 

Etats-Unis  depuis  la  fin  de  la  guerre  de  la  Sécession,  et  la   entre  la  France 

i  o  et  les 

surexcitation  croissante  causée  dans  ce  pays  par  la  présence      Ktats-unis. 
d'une  armée  française  au  Mexique,  obligeaient  le  gouver- 
nement français  à  observer,    avec  un  redoublement  de 
prudence,  la  phase  nouvelle  dans  laquelle  les  affaires  al- 
laient s'engager. 

Nous  avons  dit  qu*en  Amérique,  un  parti  nombreux,  à 
la  tête  duquel  était  le  général  Grant,  réclamait  la  stricte 
application  de  la  doctrine  Monroë,  dans  sa  lettre  plutôt  que 
dans  son  esprit,  et  voulait  que  la  France  fût  mise  en  de- 


o44  II*   PARTIE.    CHAPITRE  V. 

iscfi.  meure  de  retirer  immédiatement  ses  troupes  du  continent 
américain.  Les  hommes  passionnés,  qui  ne  craignaient  pas 
de  pousser  leur  pays  dans  une  guerre  étrangère,  s'inquié- 
laient  peu  de  savoir  si  la  thèse  qu'ils  soutenaient  était  lo- 
gique. En  effet,  le  but  de  Monroë  avait  été  de  garantir  l'au- 
tonomie des  peuples  nouveaux  formés  par  l'émancipation 
des  colonies  d'Amérique,  et  de  les  protéger  contre  les  re- 
vendications de  leurs  anciennes  métropoles.  Or,  loin  d'être 
menacée,  l'autonomie  du  Mexique  avait  été  un  des  premiers 
principes  proclamés  par  la  France  et  consacrés  par  l'em- 
pereur Maximilien  lorsqu'il  avait  accepté  la  couronne  ;  la 
doctrine  Monroë  était  donc  invoquée  à  tort,  et,  aux  Etats- 
Unis  même,  beaucoup  d'esprits  sages  et  prudents  pen- 
saient ainsi;  quant  aux  hommes  d'Etat  qui  composaient  le 
cabinet  de  Washington,  ils  étaient  fort  opposés  à  une  guerre 
contre  la  France,  et  résistaient  autant  que  possible  à  l'en- 
traînement populaire  ;  mais  il  était  diifjcile  d'assurer  qu'ils 
y  réussiraient  toujours.  La  situation  était  donc  des  plus 
graves,  puisqu'une  aussi  sérieuse  complication  dépendait 
d'une  pareille  éventualité.  L'empereur  Napoléon  savait,  en 
outre,  combien  une  guerre  avec  les  Etats-Unis  serait  désas- 
treuse, au  moment  où  l'industrie  se  relevait  à  peine  de 
la  crise  causée  par  une  longue  interruption  de  rapports 
avec  les  pays  producteurs  du  coton.  Il  était  de  son  devoir, 
comme  de  son  intérêt,  d'épargner  à  tout  prix  une  si  pé- 
nible épreuve  à  la  nation,  et,  quelque  douloureuse  que 
pût  être  pour  lui  cette  extrémité,  il  résolut  de  dégager  sa 
politique  en  rappelant  ses  troupes  du  Mexique,  le  trône 
de  l'empereur  Maximilien  dût-il  s'écrouler.  Le  gouverne- 
ment français  étant  décidé  à  éviter,  autant  qu'il  dépendait 
de  lui,  une  rupture  avec  les  Etats-Unis,  la  guerre  n'était  à 
craindre  que  dans  le  cas  où  les  Américains  tiendraient  un 


LE   MARÉCHAL   BAZAINE.  o4o 

langage  si  arrogant  que  l'honneur  de  la  France  ne  pour-        1366. 
rait  le  supporter. 

La  note  de  M.  Bigelow,  du  l^*"  août  1865,  relative  au 
D'  Gwin ,  et  que  nous  avons  déjà  citée,  peut  être  con- 
sidérée comme  le  point  de  départ  des  pourparlers  en- 
gagés avec  l'Amérique,  au  sujet  du  rappel  des  troupes  du 
Mexique.  Les  projets  du  D^  Gwin  n'ayant  pas  été  mis  à 
exécution,  cet  incident  s'apaisa  de  lui-même,  et,  par  une 
dépêche  du  18  octobre  1865,  M.  Drouyn  de  Lhuys  chargea 
le  ministre  de  France  aux  Etats-Unis  de  reprendre  des 
négociations  pour  la  reconnaissance  de  l'empereur  Maxi- 
milien.  Il  avait  été  encouragé,  disait-il,  à  tenter  ces  nou- 
velles démarches,  parce  que  M.  Bigelow  «  lui  avait  demandé 
si  cette  reconnaissance  ne  pourrait  pas  faciliter  et  hâter  le 
rappel  des  troupes  ».  On  désirait  donc  obtenir  des  Etats- 
Unis  «  l'assurance  que  leur  volonté  n'était  pas  de  nuire  à 
la  consolidation  du  nouvel  état  de  choses  fondé  au  Mexique, 
la  meilleure  garantie  de  leurs  intentions  étant  la  recon- 
naissance de  l'empereur  Maximilien  par  le  gouvernement 

fédéral Cette  reconnaissance  aurait  assez  d'influence 

sur  l'état  intérieur  du  pays  pour  permettre  au  gouverne- 
ment français  de  tenir  compte  des  susceptibilités  des  Etats- 
Unis, et  si  le  cabinet  de  Washington  se  décidait  à 

nouer  des  relations  diplomatiques  avec  la  cour  de  Mexico, 
on  ne  ferait  pas  difficulté  de  prendre  des  arrangements 
pour  rappeler  les  troupes  dans  un  délai  raisonnable,  dont 
on  pourrait  consentir  à  fixer  le  terme  »  . 

Loin  d'entrer  dans  cette  voie  de  conciliation,  le  gouver- 
nement des  Etats-Unis  nomma  un  nouveau  ministre  près 
de  la  république  mexicaine;  la  désignation  du  général 
Logan ,  dont  les  opinions  hostiles  à  la  France  étaient 
connues,  rendait  cette  nomination  plus  significative  en- 

3o 


546  n"  PARTIE.  —  CHAPITRE   V. 

18G6.  coreO.  La  réponse  officielle  de  M.  Seward  à  la  notedu  18oc- 
"~  tobre  fit  disparaître  les  dernières  illusions  que  l'on  aurait 
pu  conserver.  «  Le  sens  des  suggestions  de  l'Empereur, 
dit  M.  Seward,  semble  être  que  la  France  est  disposée  à  se 
retirer  du  Mexique  aussitôt  qu'elle  le  pourra,  mais  qu'elle 
ne  saurait  le  faire  sans  inconvénient  avant  d'avoir  reçu  des 
Etats-Unis  l'assurance  de  dispositions  amicales  ou  tolé- 
rantes envers  le  pouvoir  qui  s'est  approprié  la  forme  impé- 
riale dans  la  ville  capitale  de  Mexico Je  regrette  d'être 

obligé  de  vous  dire  que  la  condition  mise  en  avant  est  une 
de  celles  qui  nous  semblent  complètement  impraticables.  » 
Ainsi,  non-seulement  les  Etats-Unis  refusaient  de  re- 
connaître l'Empire  mexicain,  mais  encore  ils  déclaraient 
qu'ils  n'auraient  pas  de  dispositions  tolérantes  à  son  égard  ; 
et  en  effet,  pourquoi  les  Etats-Unis  auraient-ils  fait  la  con- 
cession qu'on  leur  demandait  ?  Ne  savaient-ils  pas  d'une 
manière  certaine  que,  sous  la  pression  de  circonstances  de 
toute  nature,  le  gouvernement  de  l'Empereur  était  forcé 
de  mettre  un  terme  à  l'occupation  du  Mexique? 

Celte  dépêche  est  du  6  décembre;  M.  Drouyn  de  Lhuys 
y  répondit  le  9  janvier;  Il  eut  soin  de  ne  pas  relever 
le  refus  très-catégorique  des  Etats-Unis  aux  propositions 
qui  leur  étaient  faites,  et  déclarait  au  contraire  qu'on 
s'efforçait  de  prendre  avec  l'empereur  Maximilien  des 
arrangements  qui,  en  satisfaisant  les  intérêts  et  la  dignité 
de  la  France,  lui  permissent  de  considérer  comme  ter- 
miné le  rôle  de  son  armée  sur  le  sol  mexicain.  11  se  bor- 
nait à  demander  au  gouvernement,  fédéral  l'assurance 
qu'il  a  maintiendrait  à  l'égard  du  Mexique  une  stricte 
neutralité  » . 

(l)  Le  général  Logan  déclina  la  mission  qui  lui  était  offerte  et  fut  remplacé 
peu  après  par  M.  Campbell.  —  Le  maréchal  au  ministre,  9  janvier  i866. 


LE   MARÉCHAL   BAZAINE.  547 

M.  Bigelow,  ministre  des  Etats-Unis  à  Paris,  représenta  4866. 
que  cette  déclaration,  deamndée  aux  Etats-Unis  de  ne  pas 
intervenir  dans  les  affaires  du  Mexique,  serait  en  quelque 
sorte  une  intervention,  et  qu'il  était  sans  doute  préfé- 
rable que  M.  Seward  exposât  dans  une  dépêche  officielle 
la  politique  que  les  Etats-Unis  se  proposaient  de  suivre  ; 
une  copie  de  cette  dépêche  remise  au  gouvernement  fran- 
çais aurait  tous  les  avantages  d'un  traité  sans  en  avoir  les 
inconvénients  ('). 

Une  lettre  de  M.  Seward  à  M.  de  Montholon,  ministre 
de  France  à  Washington,  en  date  du  12  février  1866,  ré- 
pondit à  l'objet  que  se  proposait  M.  Bigelow  : 

»  Les  Etats-Unis  ne  peuvent  supposer,  disait  particulièrement 
M.  Seward,  que  l'Empereur  se  propose  d'établir  au  Mexique,  avant 
de  retirer  ses  forces,  les  institutions  mêmes  qui  leur  déplaisent,  et 
qui  justitient  matériellement  les  objections  élevées  contre  son  in- 
tervention. Nous  regardons,  au  contraire,  l'Empereur  comme  nous 
ayant  annoncé  son  intention  immédiate  de  faire  cesser  le  service 
de  ses  armées  au  Mexique,  de  les  rappeler  en  France,  et  de  s'en 
tenir  fidèlement,  sans  aucune  stipulation,  ni  condition  de  notre 
part,  au  principe  de  non-intervention  sur  lequel  il  est  désormais 
d'accord  avec  les  Etats-Unis 

a  La  France  n'a  que  faire  de  retarder  d'un  instant  la  retraite 
promise  de  ses  troupes,  par  quelque  crainte  que  les  Etats-Unis  se 
montrent  infidèles  aux  principes  et  à  la  politique  qu'ils  ont  tou- 
jours pratiqués,  et  qu'ils  s'éloignent  de  la  règle  de  conduite  qui 
leur  a  été  donnée  par  Washington  lui-même. 

<  Nous  serons  charmés  lorsque  l'Empereur  nous  donnera  l'avis 
définitif  de  l'époque  à  laquelle  on  pourra  compter  que  finiront  les 
opérations  militaires  de  la  France  au  Mexique.  > 

Sans  se  montrer  froissé  de  la  forme  quelque  peu  im- 
périeuse de  cette  dépêche,  le  cabinet  des  Tuileries  répon- 
dit i')  : 

(»)  M.  Bigelow  à  M.  Seward,  11  janvier  1866. 

(*)  M.  Drouyn  de  Lhuys  à  M.  de  Montholon,  6  avril. 


548  II*  PARTIE.  —  CHAPITBE   V. 

4866.  «  Nous  n'hésitons  jamais  à  offrir  à  nos  amis  les  explications 

~  qu'ils  nous  demandent.  M,  Seward  nous  donnant  l'assurance  que 

les  Etats-Unis  resteront  fidèles  à  la  règle  de  conduite  que  leur  a 
tracée  Washington,  nous  accueillons  cette  assurance  avec  une 
pleine  confiance,  et  nous  y  trouvons  une  garantie  suffisante  pour 
ne  pas  différer  plus  longtemps  l'adoption  des  mesures  destinées  à 
préparer  le  retour  de  notre  armée.  L'Empereur  a  décidé  que  les 
troupes  françaises  évacueraient  le  Mexique  en  trois  détachements^ 
le  premier  devant  partir  au  mois  de  novembre  1866,  le  second  en 
mars  1867,  et  le  troisième  au  mois  de  novembre  de  la  même 
année. 


Voilà  donc  où  venaient  aboutir  les  efforts  de  là  diplomatie 
française  ;  les  Etats-Unis  déclaraient  que  l'armée  française 
devait  partir  du  Mexique  sans  aucune  stipulation,  ni  condi- 
tion de  leur  part,  et  la  France  remerciait  le  cabinet  de  Was- 
hinsjton  de  ces  bonnes  et  amicales  assurances  ('). 

Quant  à  l'empereur  Maximilien,  il  ne  prévoyait  pas  en- 
core le  danger  qui  le  menaçait  ;  il  écrivait  le  6  janvier  qu'il 
fallait  attribuer  la  recrudescence  de  l'agitation  juariste  à 
l'insuffisance  d'effectif  des  troupes  françaises,  et  il  sollicitait 
de  nouveau  des  hommes  et  de  l'argent. 

Les  Etats-Unis  ne  permettaient  plus  l'envoi  de  nouvelles 
troupes  au  Mexique  ;  des  détachements  de  la  légion  étran- 
gère ayant  été  mis  en  route  pour  compléter  l'effectif  de  ce 
corps,  ils  demandèrent  aussitôt  des  explications  en  termes 
très-énergiques  (^).  Ils  avaient  déjà  fait  savoir  qu'ils  n'ad- 
mettaient pas  que  l'on  recrutât  en  Egypte  des  nègres  du 
Soudan,  enrôlés  de  force  par  le  vice-roi.  M.  Drouyn  de  Lhuys 


(1)  A  la  même  époque,  une  proposition  faite  au  congrès  américain  par  M.Wood- 
bridge ,  pour  faciliter  à  Juarez  la  conclusion  d'un  emprunt  de  50  millions  de 
dollars,  était  renvoyée  au  ministre  des  affaires  étrangères  par  65  voix  contre  64 
—  Le  maréchal  au  ministre,  28  mars. 

(»)  M.  Bigelow  à  M.  Seward,  4  juin  186(). 


LE   MARÉCHAL   BAZAINE.  349 

répondit  avec  quelque  mauvaise  humeur,  en  maintenant  le         <866. 
droit  de  la  France  de  prendre  des  soldats  où  bon  lui  sem-  ~" 

blait  ;  puis,  sans  aucun  doute,  pour  éviter  encore  cette 
cause  de  difficultés,  on  s'était  abstenu  de  donner  suite  au 
projet  d'envoyer  des  renforts  au  bataillon  égyptien  (*). 

Le  gouvernement  autrichien  ayant  autorisé  de  nouveaux 
enrôlements  pour  le  corps  de  volontaires  du  Mexique, 
l'ambassadeur  des  Etats-Unis  à  Vienne  lui  adressa  égale- 
ment des  remontrances  ;  il  reçut  l'ordre  de  rompre  ses  rela- 
tions diplomatiques  et  de  quitter  Vienne,  si  le  gouverne- 
ment autrichien  persistait  dans  ses  intentions.  Le  gouver- 
nement autrichien  céda  aussitôt  C^). 

Le  cabinet  de  Washington  abandonnait  donc  la  réserve 
qu'il  s'était  longtemps  imposée  à  l'égard  de  la  question 
mexicaine.  Tant  que  la  guerre  civile  avait  absorbé  leurs 
forces,  les  Américains  avaient  dissimulé  leur  mécontente- 
ment ;  mais,  en  dépit  des  protestations  de  sympathie  du  gou- 
vernement français,  ils  ne  pouvaient  oublier  ces  termes  de 
la  lettre  de  l'Empereur  au  général  Forey  en.  1863  :  «  Nous 
allons  poser  une  digue  infranchissable  aux  empiétements 
des  Etats-Unis.  »  Non  contents  de  presser  la  France  de 
quitter  le  Mexique  et  d'abandonner  l'empereur  Maximilien, 
M.  Bigelow  suggérait  à  M.  Drouyn  de  Lhuys  qu'il  se- 
rait bien  désirable  de  voir  les  hostilités  cesser  entre  les 
républicains  du  Mexique  et  les  Français  ;  que  le  prochain 
départ  de  ceux-ci  engagerait  certainement  les  libéraux  à 


(*)  M.  Bigelow  à  M.  Seward,  24  novembre  1865. 

(2)  Les  volontaires  réunis  à  Laybach  devaient  s'embarquer  le  10  mai  ;  la  pro- 
testation du  ministre  des  Etats-Unis  fut  faite  le  6  mai,  et  le  contre-ordre  immé- 
diatement donné.  L'Autriche,  dont  la  position  en  Allemagne  était  fort  menacée, 
n'avait  aucun  désir  de  s'engager  dans  de  nouvelles  complications.  —  M.  Seward  à 
M.  Motley,  16  avril,  30  avril  1866.  —  M.  de  Mensdorf  à  M.  Motley,  20  mai 
1866. 


5S0  II'  PARTIE.  —  CHAPITRE   V. 

4866.        entrer  dans  un  arrangement  pour  la  conclusion  duquel 

offrait  ses  bons  offices,  et  M.  Drouyn  de  Lhuys  les  accep- 
tait (^\ 

Déclaration         Au  milieu  du  mois  de  janvier  1866,  M.  le  baron  Saillard 

du  gouvernement  J  ' 

reiativraura   ei  ^^^  envové  à  Mexico  avec  la  mission  spéciale  de  négocier 
*^^ Mexk'îiT  *^"    de  nouvelles  conventions  politiques,  militaires  et  finan- 
cières, destinées  à  remplacer  le  traité  de  Miramar. 

Le  ministre  de  la  guerre  écrivait  en  même  temps  au  ma- 
réchal Bazaine: 

«  Nous  ne  pouvons  pas  prolonger  indéfiniment  notre  séjour  au 
Mexique  ;  plusieurs  raisons,  qu'il  est  inutile  d'énumérer,  font  une 
loi  au  gouvernement  de  l'Empereur  de  poser  des  termes  à  notre 
occupation. 

«  Le  rapatriement  devra  commencer  l'hiver  prochain  ou  mieux 
encore  à  l'automne  ;  il  devra  continuer  sans  précipitation  mais  sans 
être  interrompu;  la  légion  étrangère,  dans  les  conditions  stipulées 
dans  la  convention  de  Miramar,  restera  à  la  solde  du  Mexique 
après  le  départ  des  troupes  françaises;  nous  ferons  nos  efforts 
pour  la  porter  à  un  effectif  de  7  à  8,000  hommes.  Il  importe  donc 
que  l'empereur  Maximilien  prenne  ses  dispositions  pour  se  passer 
de  nous,  à  une  époque  que  l'on  devra  fixer  (*).  » 

Les  instructions  envoyées  par  le  ministre  des  affaires 
étrangères  étaient  de  même  nature  ;  enfin,  l'Empereur, 
à  l'ouverture  de  la  session  législative,  le  23  janvier,  an- 
nonça le  retour  des  troupes  dans  les  termes  suivants  : 

«  Notre  expédition  touche  h  son  terme;  je  m'entends  avec 

l'empereur  Maximilien  pour  tixer  l'époque  du  rappel  de  nos  troupes, 

(I)  M.  Bigelow  à  M.  Seward,  11  janvier  18G6.  —  Au  Mexique,  l'exigence 
des  Américains  du  Nord  ne  perdait  aucune  occasion  de  se  montrer  ;  lo  général 
confédéré  Allen,  ancien  gouverneur  de  la  Louisiane ,  étant  mort  à  Mexico,  le 
consul  des  Etats-Unis  voulut  faire  ouvrir  la  bière  pour  vérifier  s'il  n'avait  pas  été 
revêtu  d'un  uniforme  confédéré.  Les  amis  du  défunt  durent  s'y  opposer  le  revol- 
ver à  la  main. 

(*)  Le  ministre  au  maréchal,  lo  janvier  1866. 


LE    MAKÉCHAL    BAZAINE.  551 

afin  que  leur  retour  s'effectue  sans  compromettre  les  intérêts  fran- 
çais que  nous  avons  été  défendre  dans  ce  pays  lointain L'émo- 
tion, produite  aux  Etats-Unis  par  la  présence  de  notre  armée  sur  le 
sol  mexicain,  s'apaise  devant  la  franchise  de  nos  déclarations. 

«  Le  peuple  américain  comprendra  que  notre  expédition,  à  la- 
quelle nous  l'avions  convié,  n'était  pas  opposée  à  ses  intérêts.  » 

Quant  à  l'opinion  publique  en  France,  écrivait  le  minis- 
tre de  la  guerre,  elle  se  prononçait  avec  la  plus  énergique 
approbation  sur  le  rapatriement  de  l'armée  (^). 

Il  devait  coûter  à  l'Empereur  d'abandonner  ainsi  une  en- 
treprise qu'il  avait  appelée  «  la  plus  glorieuse  de  son  règne  »  . 
Toutefois,  le  gouvernement  français  ne  revint  pas  sur  la 
détermination  qu'il  avait  irrévocablement  prise  de  rappeler 
ses  troupes  du  Mexique  ;  il  ne  s'en  laissa  détourner  ni  par 
les  cris  d'angoisse  partis  du  palais  de  Mexico,  ni  par  les 
supplications  de  l'impératrice  Charlotte,  qui  se  rendit  en 
Europe  pour  tenter  une  dernière  démarche,  et  faire  modifier 
une  résolution  que  les  souverains  du  Mexique  considéraient 
comme  un  coup  mortel  porté  à  l'Empire. 

Il  est  facile  de  se  rendre  compte  des  dispositions  que 
le  baron  Saillard  trouva  chez  l'empereur  MaximiUen  ;  aussi 
ne  put-il  rien  obtenir  de  satisfaisant  ;  arrivé  au  Mexique 
au  milieu  de  février,  il  repartait  pour  la  France  moins  de 
quinze  jours  après. 

Il  revint  à  Paris  au  commencement  du  mois  d'avril,  et 
le  Moniteur  officiel  du  5  publia  la  note  suivante  : 

«  M.  le  baron  Saillard  est  revenu  à  Paris  après  avoir  rempli  à 
Mexico  la  mission  dont  il  était  chargé. 

e  A  la  suite  des  communications  échangées  entre  M.  Dano,  mi- 
nistre deFrance,  S.  Exe.  le  maréchal  Bazaine,  et  le  gouvernement 

^')  Le  ministre  de  la  guerre  au  maréchal,  31  janvier. 


4866. 


<866. 


SS2  II''  PARTIE.  —  CliAPlTRE  V. 

mexicain,  l'Empereur  a  déclaré  que  les  troupes  françaises  évacue- 
ront le  Mexique  en  trois  détachements  ;  le  premier  partira  en 
novembre  1866,  le  deuxième  en  mars  1867,  le  troisième  en  no- 
vembre de  la  même  année. 

€  Des  négociations  se  poursuivent  entre  les  deux  gouvernements, 
pour  substituer,  aux  stipulations  financières  du  trailé  de  Miramar, 
des  conditions  nouvelles  ayant  pour  objet  d'assurer  des  garanties 
à  la  créance  de  la  France  et  aux  intérêts  français  engagés  dans  les 
emprunts  mexicains.  » 


Organisation         Le  lendemain,  M.  Drouyn  de  Lhuys  écrivait  à  M.  de 

dôs 

forces  militaires  Montholon  la  dépêche  déjà  citée,  pour  faire  ofFiciellement 

à  la  disposition  .„        .  ,   .      .         . 

de  l'empereur    la  même  notiiication  au  gouvernement  amencam.  A  cette 

Maximilien.         ,  „.,.., 

Création       cpoQue,  le  gouvemcment  français  esperait-il  encore  que 

des  cazadores.     ,,  .  .      .  .  .  .  i      i  '  i 

1  empire  mexicain  pourrait  se  maintenir  après  le  départ  des 
troupes  françaises  ?  Il  est  probable  que  l'empereur  Napo- 
léon se  refusait  à  admettre  que  tant  d'hommes  et  tant  d'ar- 
gent eussent  été  sacrifiés  en  pure  perte.  Personnellement 
attaché  au  succès  définitif  de  son  entreprise,  et  bien  qu'il 
diît  céder  aux  nécessités  de  la  situation,  il  s'efforça  encore 
de  procurer  à  l'empereur  Maximihen  les  moyens  de  se  soute- 
nir. Il  lui  écrivit  pour  lui  promettre  de  faciliter  la  création 
d'une  brigade  de  troupes  européennes,  dans  laquelle  se- 
raient fondus  le  régiment  étranger  du  corps  expédition- 
naire français  et  les  volontaires  austro-belges  ;  le  maré- 
chal Bazaine  s'occupa,  en  outre,  d'organiser,  sous  le  nom 
de  cazadores  de  Mexico,  des  bataillons  mixtes  français  et 
mexicains.  On  estimait  qu'après  le  départ  du  corps  expé- 
ditionnaire, le  gouvernement  mexicain  pourrait  disposer, 
comme  forces  actives  susceptibles  d'être  mobilisées  : 


1^  Des  troupes  permanentes  formant  14  bataillons.  11 
escadrons,  18  batteries,  et  dont  l'effectif  au  1"  janvier  était 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  Oo3 

Hommes.        Chevaux 

de 8,600    2,000 

2°  Des  gardes  rurales  mobiles  et  des 
corps  auxiliaires  fort  irrégulièrement  or- 
ganisés, répartis  sur  tous  les  territoires  et 
d'un  effectif  variable  mais  qu'on  évaluait  à   27,000     0,000 

3^  Des  troupes  étrangères  :  c'est-à-dire 
la  légion  étrangère  française  actuellement 
à  cinq  bataillons  (un  sixième  bataillon 
en  formation  à  Blidah  et  fort  d'environ 
1000  hommes  dont  un  tiers  de  Français 
volontaires  allait  être  prochainement  en- 
voyé au  Mexique)  ;  l'effectif  en  serait  porté 
à 8,000 

Les  volontaires  autrichiens  :  trois  ba- 
taillons, deux  régiments  de  cavalerie  à  5 
escadrons,  trois  batteries,  deux  compa- 
gnies de  pionniers,  etc 6,400     1,400 

Les  volontaires  belges  :  deux  bataillons 
à  six  compagnies 1,300 

Ce  qui  formait  un  total  de  cinquante  mille  hommes  en- 
viron, dont  seize  mille  Européens. 

On  avait  662  pièces  d'artillerie  réparties  dans  les  dif- 
férentes places.  Mexico  et  Vera-Gruz  étaient  en  très-bon 
état  de  défense  ;  la  plupart  des  villes  situées  sur  les 
grandes  hgnes  d'opérations  avaient  été  fortifiées  et  pos- 
sédaient de  bons  réduits.  La  citadelle  de  Mexico  était 
pourvue  de  tous  les  ateliers  nécessaires  à  la  confection  et  à 
la  réparation  de  l'armement  et  du  matériel.  Des  ateliers 
moins  importants  existaient  aussi  à  Puebla.  La  fonderie 
de  Mohno  del  Rey  était  mise  en  état. 

Les  cinq  bataillons  de  la  division  Mejia  étaient  consi- 


1866. 


554  II'  PARTIE.  —  CHAPITRE  V. 

4866.  dérés  comme  les  meilleures  troupes  de  l'armée  mexi- 
caine ;  six  bataillons  assez  bien  constitués  provenaien  t 
de  l'ancienne  division  Marquez  ;  mais  les  corps  ne  se 
recrutaient  que  par  engagements  volontaires,  et  lorsque 
les  effectifs  étaient  insuffisants,  on  y  incorporait  les  mau- 
vais sujets  ramassés  par  la  police  ou  condamnés  par  les 
tribunaux.  Le  1^  bataillon  de  ligne,  envoyé  au  Yucatan, 
était  composé  de  «  deux  officiers  supérieurs,  douze  officiers 
subalternes  plus  ou  moins  capables  n'ayant  ni  sabre  ni 
pistolet,  dix  sergents,  six  caporaux,  60  vagabonds  plu- 
sieurs fois  condamnés,  115  déportés  (^)  ».  On  peut,  par 
cet  exemple,  juger  des  conditions  de  moralité  exigées 
des  soldats  mexicains  ;  aussi  le  général  Casanova,  qui 
devait  conduire  ce  bataillon  au  Yucatan,  refusait-il  de 
partir  si  on  ne  le  faisait  accompagner  et  garder  par  une 
autre  troupe  d'un  effectif  au  moins  égal. 

La  cavalerie  était  dans  de  meilleures  conditions.  Le  ré- 
giment de  l'Impératrice  (colonel  Lopez)  avait  rendu  des 
services.  Des  compagnies  présidiales,  que  les  comman- 
dants supérieurs  français  avaient  organisées  dans  le  Nord, 
étaient  aussi  formées  de  bons  soldats.  Quant  aux  gardes 
rurales,  leur  valeur  dépendait  du  chef  qui  les  commandait 
et  de  son  dévouement  personnel  à  la  cause  de  i'Empire. 
Dans  certaines  localités,  les  milices  avaient  donné  des 
preuves  réelles  d'énergie  ;  dans  d'autres  endroits,  elles 
avaient  lâché  pied  au  premier  coup  de  fusil. 

Les  volontaires  autrichiens  étaient  mécontents  ;  leurs 
officiers  ne  voulaient  pas  se  mettre  sous  le  commandement 
d'officiers  mexicains ,  bien  que  leur  contrat  d'engagement 
ne  présentât  aucune  clause  restrictive  de  cette  nature  ;  il 

(•)  Le  général  Casanova  au  maréchal,  mars  1866. 


LE   MARÉCHAL   BAZAINE.  353 

en  était  résulté  de  nombreux  froissements  entre  eux  et  les         ^866, 
chefs  des  troupes  mexicaines.  Rarement  en  contact  avec 
les  Français,  leurs  relations  réciproques  étaient  très-satis- 
faisantes ;  cependant  le  général  de  Thun  ne  recevait  pas 
volontiers  des  ordres  du  maréchal  W. 

Il  en  était  à  peu  près  de  même  des  volontaires  belges  ; 
les  officiers  avaient  hâte  de  rentrer  dans  leur  pays,  on  ne 
pouvait  compter  d'une  manière  absolue  sur  cette  troupe. 

La  légion  étrangère  française  avait  fait  ses  preuves  ;  mais 
les  derniers  contingents  arrivés  d'Europe  donnaient  des 
désertions  nombreuses  ;  il  y  avait  quelque  incertitude  sur 
la  façon  dont  ils  se  comporteraient  en  présence  des  Amé- 
ricains, si  un  conflit  venait  à  éclater,  ou  même  s'ils  étaient 
envoyés  sur  la  frontière  du  Rio  Bravo. 

L'empereur  Napoléon  attachait  une  grande  importance 
à  l'organisation  des  troupes  européennes  qui,  dans  son 
opinion,  devaient  constituer  le  noyau  de  l'armée  mexicaine, 
et  former  une  réserve  sur  laquelle  l'empereur  Maximilien 
pourrait  compter  dans  des  circonstances  difficiles.  Il  dési- 
rait que  l'on  l'éunît  ces  régiments  sous  le  commandement 
d'un  général  français  (^).  Pour  atteindre  ce  résultat,  il  fal- 
lait nécessairement  triompher  de  la  susceptibilité  des  Au- 
trichiens et  des  Belges;  un  moyen  se  présentait  de  vaincre 


(')  Il  refusa  de  se  porter  à  Tulancingo,  où  le  maréchal  trouvait  sa  présence 
nécessaire  ;  mais  il  motivait  du  reste  son  refus  sur  le  manque  absolu  d'argent  : 
•  Je  ne  puis  quitter  Puebla  sans  argent  ....  La  solde  de  l'homme  ne  suffit  pas 
pour  entreprendre  des  expéditions  ;  il  me  faut  de  l'argent  pour  les  transports,  les 
messagers,  et  une  fouie  de  cas  imprévus.  De  plus,  mes  officiers  se  trouvent  sans 
le  sou  depuis  le  1*'  du  mois  ;  mon  devoir  est  de  rester  au  centre  pour  éviter 
tous  les  désordres  qui  pourraient  résulter  de  cet  état  anomal  des  choses...;  de  plus, 
j'ai  soumis  à  l'Empereur  un  mémoire,  et  je  dois  attendre  la  réponse  à  Puebla, 
puisqu'elle  décidera  du  sort  et  de  l'avenir  de  mon  corps  de  volontaires.  •  —  Le 
maréchal  au  ministre,  13  juillet. 

(î)  L'empereur  Napoléon  au  maréchal,  16  février  1S66. 


336  H*   PARTIE.  CHAPITRE  V. 

1866.  les  résistances  ;  le  trésor  mexicain  n'étant  pas  en  mesure 
de  payer  la  solde  de  ces  troupes,  le  ministre  de  la  guerre 
français  offrait  d'en  prendre  provisoirement  l'entretien 
à  sa  charge,  à  la  condition  toutefois  qu'elles  seraient 
commandées  et  administrées  d'après  le  règlement  fran- 
çais. Cet  allégement  considérable  pour  le  budget  mexi- 
cain devait  faciliter  la  combinaison  que  l'on  cherchait 
à  faire  réussir  dans  l'intérêt  de  l'empereur  Maximi- 
lien. 

Le  maréchal,  se  conformant  à  ces  idées,  proposa  d'or- 
ganiser deux  brigades,  l'une  avec  la  légion  française, 
sous  les  ordres  du  général  Jeanningros,  l'autre,  composée 
des  Autrichiens  et  des  Belges,  sous  le  commandement  du 
général  de  Thun  O.  Ces  deux  brigades  formeraient  une 
division  dont  le  commandement  serait  donné  au  général 
Neigre,  et  qui  serait  administrée  par  l'intendance  fran- 
çaise (^).  Ces  propositions  furent  acceptées  en  principe , 
et  l'empereur  Maximilien  se  réserva  de  donner  aux  Aus- 
tro-Belges, sur  le  budget  mexicain,  une  gratification 
spéciale  pour  compenser  la  réduction  de  solde  qu'ils  au- 
raient à  supporter. 

Le  général  de  Thun  aurait  voulu  qu'on  affectât,  pour 
sa  brigade,  une  somme  totale  dont  il  réglerait  lui-même 
l'emploi  ;  on  s'y  refusa,  et  il  fut  enfin  admis  que  les 
règlements  de  l'administration  française  seraient  appli- 
qués aux  troupes  soldées  par  le  trésor  français.  Les 
Autrichiens  montrèrent  à  ce  sujet  une  singulière  sus- 
ceptibilité. Le  général  de  Thun  demanda  comme  faveur 

(*)  Le  ministre  au  maréchal,  16  février,  9  avril. 

<2)  Le  général  Brincourt,  à  qui  ce  commandement  avait  été  offert,  le  refusa, 
disant  avec  raison  qu'après  le  départ  du  corps  expéditionnaire,  il  serait  impossible 
de  faire  avec  15,000  hommes  ce  que  l'on  n'avait  pu  obtenir  avec  30,000. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  00/ 

de  ne  pas  figurer  sur  les  états  de  solde  remis  à  l'inten-  4866. 
dance  française,  et  de  recevoir  directement  ses  ap- 
pointements du  gouvernement  mexicain  (').  Le  droit  au 
commandement  soulevait  également  des  difficultés  ;  l'em- 
pereur Maximilien  pensa  les  écarter  en  recommandant  au 
général  Neigre  de  tenir  la  première  brigade  au  nord,  la 
deuxième  au  sud,  afin  d'éviter  un  contact  qui  n'aurait 
pas  été  sans  inconvénient,  et  il  décida  que,  dans  le  cas  où 
des  détachements  des  deux  brigades  se  trouveraient  mo- 
mentanément réunis,  le  commandement  appartiendrait 
à  l'officier  qui  aurait  reçu  une  commission  spéciale , 
ou  au  chef  de  la  fraction  la  plus  forte.  Au  point  de  vue  de 
la  discipline,  chaque  troupe  devait  du  reste  se  régir  d'a- 
près ses  règlements  particuliers  et  son  Gode  de  justice 
national. 

Le  général  Neigre  prit  son  commandement  le  l^""  mai  ; 
quelques  officiers  autrichiens  voulurent  saisir  cette  occa- 
sion pour  quitter  le  service  mexicain,  où  ils  ne  trouvaient 
pas  les  avantages  sur  lesquels  ils  avaient  compté  ;  ils  mani- 
festèrent l'intention  de  retourner  en  Autriche,  et  ce  fut  à 
grand'peihe  que  l'empereur  Maximilien  parvint  à  calmer 
cette  agitation,  en  menaçant  les  officiers  démissionnaires 
d'accusation  de  désertion  dont  ils  auraient  à  répondre  à  leur 
retour  dans  leur  pays.  Peu  après,  il  dut  accepter  cependant 
la  démission  du  général  de  Thun,  qui  fut  remplacé  par  le 
major  Polak. 

A  côté  des  troupes  d'infanterie  de  la  légion  étrangère 
française,  on  devait  constituer  de  l'artillerie,  du  génie  et  de 
la  cavalerie  dans  la  proportion  adoptée  pour  l'organisa- 
tion divisionnaire.  Mais ,  après  avoir  très-vivement  re- 

(')  Le  maréchal  au  ministre,  21  mai. 


o58  II'  PARTIE.  —  CHAPITRE    V. 

4866.         commandé  la  formation  de  cette  légion,  le  ministre  de  la 
""  guerre  écrivait,  le  l*^""  mai  1866,  que  le  moment  ne  lui  pa- 

raissait pas  encore  venu  de  régler  les  détails  d'organisation 
des  différentes  armes,  et  qu'il  fallait  se  borner,  quant  à 
présent,  à  en  arrêter  les  bases  principales. 

On  continuait,  cependant,  à  s'occuper  de  la  création  de 
corps  mixtes  franco-mexicains. 

«  Il  serait  déplorable,  avait  écrit  le  ministre,  qu'après  avoir 
obéré  notre  trésor,  versé  le  sang  de  nos  soldats,  pour  élever  un 
trône  destiné  à  protéger  le  Mexique  contre  de  perpétuelles  révolu- 
tions, tous  ces  etibrts  si  péniblement  accomplis  devinssent  stériles, 
en  laissant  le  champ  libre  aux  mauvaises  passions  que  l'empereur 
Maximilien  n'aurait  plus  les  moyens  de  combattre.  La  gloire  mili- 
taire que  nos  armes  ont  acquise  au  Mexique  y  perdrait  son  pres- 
tige ;  les  germes  de  civilisation,  les  principes  d'ordre  et  de  moralité 
publique  que  nous  avons  cherché  à  introduire  dans  cette  contrée, 
disparaîtraient  sous  une  terrible  réaction. 

«  L'Empereur  veut,  par  tous  les  moyens  compatibles avecrintérêt 
de  la  France,  éviter  de  semblables  résultats;  Sa  Majesté  pense  qu'il 
serait  possible  de  former  une  nouvelle  légion  dont  les  cadres  se- 
raient français ,  sans  exclusion  toutefois  des  Mexicains  ;  les 
soldats  seraient  pris  parmi  les  indigènes  dont  les  rangs  se- 
raient grossis  par  des  hommes  de  bonne  volonté  que  fournirait 
notre  armée. 

«  Cette  organisation  rappellerait,  en  plusieurs  points,  celle  que 
nous  donnons  maintenant  à  la  légion  romaine,  et,  pour  exciter  le 
désir  d'entrer  dans  le  nouveau  corps  mexicain,  on  pourrait,  sui- 
vant le  cas  et  suivant  les  antécédents  des  militaires  qui  se  présente- 
raient, donner  aux  officiers  subalternes  et  aux  sous-ofticiers  le  rang 
supérieur  à  leur  grade  effectif  dans  l'armée. 

«  Les  officiers,  sous-officicrs  et  soldats,  qui  demanderaient 

à  faire  partie  de  la  nouvelle  légion,  contracteraient  l'engagement 
de  rester  pendant  quatre  ans  au  moins  au  Mexique  après  l'éva- 
cuation. » 

Le  maréchal  suivit  les  instructions  du  ministre  et  pro- 
posa la  création  de  bataillons  de  chasseurs  à  pied  (caza- 
dores  de  Mexico).  On  commença  par  former  deux  ba- 


LE    MARÉCHAL    BAZAI^"E.  559 

taillons  auxquels  on  donna  les  désignations  de  7*^   et  8^        'isee. 
bataillons  de  la  légion  étrangère,  afin  de  pouvoir  en  faire 
supporter  l'entretien  par  le  budget  français. 

A  cette  époque,  l'empereur  Maximilien  chargea  de  nou- 
veau le  maréchal  Bazaine  de  la  réorganisation  de  l'armée 
mexicaine;  il  lui  écrivit  la  lettre  suivante  : 


Palais  de  Mexico,  3  juin  1866. 

«  Mon  cher  maréchal, 

«  Pour  terminer  promptement  l'organisation  de  l'armée,  ce  qu'il 
faut,  avant  tout,  c'est  l'unité  d'action. 

«  Les  idées  que  vous  avez  émises  au  conseil,  à  ce  sujet,  sont 
pleines  de  justesse  et  de  bon  sens  pratique. 

«  Vous  êtes  déjà,  d'ailleurs,  commmandant  en  chef  de  l'armée, 
et  directeur  exclusif  de  tous  les  mouvements  militaires,  c'est-à-dire 
meilleur  juge  que  qui  que  ce  soit  de  ce  qu'il  faut  faire,  et  en  posi- 
tion de  l'accomplir. 

«  Je  viens  donc,  aujourd'hui,  vous  investir  d'une  autorité  abso- 
lue pour  l'organisation  des  bataillons  franco-mexicains,  et  la  réor- 
ganisation de  l'armée  nationale. 

«  J'ai  pensé  que  M.  le  général  Osmont,  revêtu  de  toute  ma  con- 
fiance et  de  la  vôtre,  pourrait  établir,  d'après  vos  ordres,  à  l'état- 
major  général,  un  bureau  des  affaires  mexicaines;  de  ce  bureau 
partiront  des  ordres  directs  pour  le  ministère  de  la  guerre.  M.  l'in- 
tendant formerait  aussi  un  bureau  ou  section  pour  ce  qui  touche  à 
l'administration,  et  nous  prêterait  le  concours  de  ses  habiles  fonc- 
tionnaires, 

«  Tous  les  ordres  donnés  par  MM.  Osmont  et  Priant,  et  envoyés 
au  ministère  de  la  guerre,  porteront  au  bas  cette  form.ule  :  Par 
ordre  de  l'Empereur. 

«  Tel  est  le  plan  que  j'ai  adopté  définitivement  depuis  que  vous 
m'avez  éclairé  de  vos  conseils,  et  il  est  conçu  uniquement  dans  e 
but  de  concentrer  dans  vos  mains  une  organisation  que  vous  seul 
et  vos  dignes  officiers  pouvez  bien  faire.  » 


o60  11*  PARTIE.  —  CHAPITRE  V. 

mc>.  Le  maréchal  fixa  d'abord  à  huit  puis  à  neuf  le  nombre 

des  bataillons  de  cazadores  (^)  ;  l'état-major  en  entier  fut 
composé  d'officiers  français  ;  on  devait  y  incorporer  six 
officiers  de  compagnie  français  et  trois  ou  quatre  sous- 
officiers  nommés  sous -lieutenants  au  titre  mexicain. 
Dans  chaque  bataillon,  il  se  trouverait  environ  quinze 
officiers  et  une  centaine  de  sous-officiers  et  soldats  fran- 
çais. 

On  se  proposait  d'organiser,  en  outre,  14  bataillons  d'in- 
fanterie, 8  régiments  de  cavalerie,  12  batteries  d'artillerie, 
et  3  compagnies  du  génie,  de  troupes  exclusivement  mexi- 
caines. L'empereur  Maximilien  désira  placer,  dans  chacun 
de  ces  corps,  un  officier  français  comme  commandant  en 
second  et  quelques  sous-officiers,  nommés  sous-lieutenants 
au  litre  mexicain,  pour  remplir  les  fonctions  de  comptable. 
Le  gouvernement  français  y  consentit  ;  mais  toutes  ces  orga- 
nisations, fort  bien  combinées  sur  le  papier,  n'avaient 
aucune  base  de  recrutement. 

Cependant  la  formation  des  bataillons  de  cazadores  se 
fit  dans  d'assez  bonnes  conditions  ;  les  officiers  et  sous-offi- 
ciers français,  attirés  par  des  avantages  d'avancement, 
répondirent  volontiers  à  l'appel  du  maréchal;  on  trouva  aussi 
des  soldats  ;  la  perspective  de  rester  au  Mexique  ne  leur 
déplaisait  pas;  la  beauté  du  climat  sur  les  plateaux  supé- 
rieurs, la  liberté  de  la  vie  de  campagne,  l'espoir  de  se 
créer,  après  leur  libération,  un  avenir  meilleur  que  celui 
qu'ils  auraient  dans  leur  propre  pays,  déterminèrent  un 
grand  nombre  d'entre  eux  à  entrer  dans  ces  bataillons. 
Le  maréchal  avait  pensé  qu'il  était  conforme  aux  intentions 
de  l'empereur  Napoléon  de  faire  entretenir,  habiller,  et 

(')  Le  man^clial  au  ministre,  9  juin. 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  361 

solder  ces  nouveaux  corps  dans  des  conditions  analogues 
à  celles  du  régiment  étranger  ;  cette  garantie  était  en  effet 
indispensable  pour  attirer  de  bons  éléments  français  ;  mais, 
en  présence  des  réclamations  des  Etats-Unis  et  de  l'impos- 
sibilité de  continuer  des  sacrifices  d'argent  aussi  considé- 
rables, les  dispositions  du  cabinet  des  Tuileries  se  modi- 
fiaient de  jour  en  jour.  La  nécessité  d'abandonner  l'Empire 
mexicain  à  ses  propres  forces  apparaissait  de  plus  en  plus 
urgente. 

Des  instructions  du  ministre  de  la  guerre,  datées  du  31 
mai,  interdirent  d'une  manière  formelle  au  maréchal  d'au- 
toriser aucune  dépense  pour  les  bataillons  de  cazadores,  et 
lui  prescrivirent  de  se  maintenir  rigoureusement  dans  la 
limite  des  crédits  alloués  par  les  lois  des  finances  (^).  Ces 
ordres  entravèrent  ioute  formation  nouvelle. 

Le  ministre  des  finances  avait  compris  dans  ses  prévi- 
sions budgétaires  des  sommes  à  recouvrer  du  Mexique  ;  ne 
recevant  rien,  il  était  fort  embarrassé  pour  établir  la  ba- 
lance de  ses  chiffres.  Cependant  les  sacrifices  demandés  à  la 
France  augmentaient  chaque  jour,  tandis  que  la  situation 
s'empirait  de  plus  en  plus  à  Mexico  ;  il  s'agissait  d'avoir 
de  l'argent  pour  les  dépenses  quotidiennes,  et  le  trésor 
était  vide.  M.  Langlais,  qui  avait  entrepris  l'œuvre  labo- 
rieuse de  relever  l'état  financier  de  l'Empire  mexicain, 
n'avait  pas  désespéré  d'atteindre  son  but,  mais  il  s'était  vu 
oblififé  de  demander  aux  caisses  de  l'armée  de  venir  à  son 
aide.  Le  maréchal  les  lui  avait  ouvertes,  —  avec  trop  de 
facilité,  trouvait  le  ministre  des  finances,  —  avec  trop  de 
parcimonie,  suivant  l'avis  de  l'empereur  Maximilien. 

Dès  le  mois  de  novembre  1865,  le  représentant  de  la 


\su. 


Détresse 

financière 

de  l'Empire 

mexicain. 


(1)  Ces  instrnctions  furent  confirmées  le  31  juillet  «H  le  13  août. 


3G 


o62  II*  PARTIK.  CHAPITRE    V. 

4866.  maison  Rothschild  refusant  d'escompter  les  traites  sur  la 
""  commission  des  finances  de  Paris,  le  maréchal  ordonna  au 
payeur  en  chef  de  les  accepter  juscju'à  concurrence  de 
quatre  millions  (*).  Au  mois  de  février  1866,  il  fit  encore 
en  faveur  du  gouvernement  mexicain  une  réquisition  de 
quatorze  millions  C^)  sur  les  caisses  de  l'armée.  L'empereur 
Maximilien  l'en  remercia  par  la  lettre  suivante  : 

Mexico,  le  5  février. 

«  Mon  cher  maréchal,  je  viens  d'apprendre  le  précieux  service 
que  vous  avez  rendu  h  mon  gouvernement  en  lui  venant  en  aide, 
tout  récemment,  par  suite  d'une  crise  financière  difficile. 

«  Veuillez  agréer  mes  très-sincères  remerciements  pour  la  dis- 
crétion et  la  cordiahté  avec  lesquelles  vous  avez  agi  dans  cette  cir- 
constance déhcate  et  qui,  pour  moi,  doublent  le  prix  du  servicç 
rendu. 

«  Recevez,  mon  cher  maréchal,  l'assurance  des  sentiments  d'a- 
mitié avec  lesquels  je  suis  votre  très-affectionné 

<  Maximilien.  » 

La  conduite  du  maréchal  fut  désapprouvée  ;  on  lui  re- 
commanda de  ne  plus  faire  de  réquisitions  sur  le  trésor 
de  l'armée  C^).  M.  Langlais  étant  mort  le  23  février  1866, 
les  belles  espérances  qu'il  avait  fait  concevoir  s'évanoui- 
rent. M.  de  Mamtenant,  inspecteur  général  des  finances, 
en  mission  au  Mexique,  le  remplaça  provisoirement  W  ; 
de  son  côté,  l'empereur  Maximilien  nomma  président  du 
conseil  des  ministres,  avec  droit  de  contrôle  sur  toutes 
les  dépenses,  M.  Lacunza,  homme  probe,  intelligent  et 


(i)  Le  maréchal  au  ministre,  28  novembre  186S. 

(')  Le  maréchal  au  ministre,  1"  avril  i86G. 

(3)  Le  ministre  de  la  guerre  au  maréchal,  1"  avril, 

{*)  Le  maréchal  au  ministre,  20  février. 


LE    3IARÉCHAL   BAZAINE.  o63 

énergique,  en  qui  le  maréchal  avait  confiance  0).  Cependant        -isee. 
la  situation  ne  s'améliora  pas.  Nous  ne  pouvons  mieux  faire  "" 

connaître  le  triste  état  des  finances  qu'en  citant  la  lettre 
écrite  par  M.  Lacunza  au  maréchal  Bazaine,  le  25  avril  1866  : 

«  Au  nord,  la  division  Mejia  vit  péniblement,  consommant  les 
faibles  revenus  des  localités  qu'elle  occupe,  faisant  des  emprunts 
en  quelque  sorte  forcés,  et  tirant  des  sommes  importantes  sur  la 
place  de  Vera-Gruz. 

«  Les  troupes  de  Quiroja  n'ont  pas  à  manger;  ce  chef  se  voit 
obligé  de  faire  payer  d'avance  les  contributions  de  toute  une  an- 
née;  les  habitants  émigrent  pour  se  soustraire  à  ces  vexations. 

«  Au  sud,  les  troupes  de  Franco  ne  peuvent  sortir  d'Oajaca  pour 
repousser  l'ennemi  qui  les  menace,  parce  que  le  prêt  journalier 
des  soldats  n'est  pas  assuré  et  que  f  on  manque  de  fourrages  pour 
les  chevaux. 

«  Au  centre,  ce  sont  les  mêmes  raisons  qui  ont  retenu  si  long- 
temps Florentino  Lopez  à  San  Luis. 

«  Les  troupes  austro-belges  ont  une  dette  de  près  de  oOO,000 
piastres,  et  avant  qu'elles  soient  payées  par  le  trésor  français,  elles 
auront  dépensé  leur  dernier  écu  et  consommé  toutes  les  provisions 
de  leurs  places  de  guerre. 

«  A  la  caisse  centrale  de  Mexico,  il  y  a  pour  300,000  piastres 
de  traites  qui  ne  sont  pas  payées,  et  pour  lesquelles  il  n'y  a  pas 
d'espérances  de  paiement.  Les  dépenses  les  plus  urgentes  ne  sont 
pas  couvertes,  et  l'on  doit  deux  mois  de  solde  aux  troupes  de  la 
garnison. 

«  Les  instructions  envoyées  de  Paris  prescrivent  au  maréchal  de 
ne  plus  faire  d'avance  au  trésor  mexicain.  On  ne  connaissait  pas  la 
situation  à  Paris,  sans  quoi  on  n'aurait  pas  donné  de  telles  ins- 
tructions contradictoires  avec  les  intentions  amicales  et  la  pohtique 
même  de  l'empereur  iSapoléon. 

«  A  cette  situation,  il  y  a  un  remède;  M.  Langlais  lui-même  fa 
déclaré  ;  toutes  les  dépenses  ont  été  réduites  à  commencer  par  la 
liste  civile  de  l'Empereur,  qui  se  contente  du  tiers  de  celle  qui  fut 
assignée,  il  y  a  un  demi-siècle,  à  l'empereur  Iturbide. 

<  De  nouveaux  impôts  seront  établis  ;  mais  avant  que  le  nouveau 
système  puisse  donner  des  résultats,  il  faut  quelque  chose  pour 

(')  Le  maréchal  au  ministre,  10  avril. 


S64  li*  PARTIE.  —  CHAPITRE    V. 

4866.  vivre,  et  c'est  la  France  qui  doit  nous  le  donner.  M.  Langlais  l'avait 
"~  reconnu  et  avait  procuré  cette  assistance  au  trésor  mexicain. 

«  Au  moment  de  sa  mort,  les  subventions  ayant  été  interrom- 
pues, le  gouvernement  dut  subir  la  loi  des  capitalistes.  Des  affaires 
ruineuses,  en  tous  points,  comme  on  les  conclut  sous  la  pression 
de  la  nécessité,  lui  donnèrent  de  quoi  vivre  pendant  huit  jours  '-^^ 
et  le  discréditèrent  pour  beaucoup  plus  de  temps. 

«  Il  se  vit  forcé  d'affecter  au  remboursement  de  ces  prêts  une 
partie  du  revenu  des  douanes  maritimes,  destinées  au  paiement  des 
dettes  étrangères. 

«  Tel  est  le  résultat  du  retrait  anticipé  de  la  coopération  de  la 
France. 

«  Or,  voici  dans  quelle  alternative  se  trouve  le  maréchal  :  ou 

bien  imposer  au  trésor  français  une  charge  légère  pour  terminer 

l'œuvre  commencée  par  l'empereur  Napoléon,  ou  s'en  abstenir,  et, 

par  là  même,  imposer  à  la  France  des  sacrifices  beaucoup  plus 

.    grands,  car  l'entreprise  ne  peut  être  abandonnée.  » 

Deux  jours  après  l'envoi  de  cette  lettre,  le  1"  mai 
1866,  l'empereur  Maximilien  convoqua  en  conseil  privé  : 
M.  Dano,  le  maréchal,  M.  de  Maintenant,  M.  Lacunza,  les 
minisires  de  la  guerre  et  des  affaires  étrangères.  L'Empe- 
reur exposa  la  pénurie  du  trésor  mexicain  et  la  nécessité 
urgente  qu'il  fût  soutenu  par  le  trésor  français  ;  il  demanda 
que  la  France  se  chargeât  de  payer  l'armée  mexicaine.  Le 
maréchal  fit  connaître  la  désapprobation  qu'il  venait  de 
recevoir  de  son  gouvernement,  au  sujet  des  avances  anté- 
rieurement consenties.  Après  une  longue  discussion,  l'em- 
pereur Maximilien,  prenant  la  parole,  résuma  la  question 
en  ces  mots  :  «  la  banqueroute  du  trésor,  ou  Vespoir  de  le 
sauver  t 

«  Si  les  représentants  de  la  France  ne  veulent  pas  prendre 

(•)  Le  gouvernement  reconnut  une  créance  fort  litigieuse  de  la  maison  Porlilla, 
de  200,000  piastres  ;  en  échange,  cette  maison  mit  aussitôt  à  sa  disposition 
100,000  piastres  qui  devaient  lui  être  remboursées  au  moyen  d'un  prélèvement 
journalier  de  1,000  piastres  sur  les  douanes  de  Mexico. 


\ 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  565 

la  responsabilité  de  dépenser  quelques  millions,  ils  assu-        isee. 
rneront  celle  d'avoir  laissé  venir  la  banqueroute,  ce  qui 
n'est  certainement  pas  dans  les  désirs  de  l'empereur  Na- 
poléon, qui  s'est  toujours  montré,  et  continue  encore  à  se 
montrer  si  ami  de  l'Empire.  » 

L'appel  était  pressant,  la  situation  était  grave;  M,  La- 
cunza  demandait,  jusqu'à  la  fin  de  l'année,  un  prêt  men- 
suel de  800,000  à  un  million  de  piastres  ;  enfin,  après 
de  nouvelles  discussions,  le  maréchal  accorda  une  subven- 
tion mensuelle  de  500,000  piastres  en  attendant  de  nou- 
velles instructions  de  Paris.  Cette  subvention  était  donnée, 
à  titre  de  prêt  remboursable,  sur  les  douanes  maritimes  ; 
le  premier  terme  devait  être  immédiatement  à  la  dispo- 
sition du  gouvernement  mexicain  ;  le  jour  même,  à  l'issue 
du  conseil ,  les  formalités   du   forcement  de   caisse   du 
payeur  de  l'armée  furent  remplies,  et   une  somme  de 
500,000  piastres  mise  en  réserve  pour  le  gouvernement 
mexicain.  Le  maréchal  avait  préféré  accroître  ainsi  la  dette 
de  l'Empire  mexicain  plutôt  que  de  consentir  à  se  charger 
de  l'entretien  de  l'armée  mexicaine,  ainsi  que  le  demandait 
l'empereur  Maximilien.  «  Il  fallait  se  résoudre,  disait-il,  à 
venir  en  aide  à  ce  gouvernement  pendant  quelques  mois 
encore  »  et  il  avait  voulu  le  faire  «  au  meilleur  marché  pos- 
sible »  ;  mais  le  gouvernement  français  refusa  d'une  façon 
péremptoire  de  continuer  cette  subvention. 

L'empereur  Maximilien  s'était  rattaché,  comme  à  une 
dernière  espérance,  aux  promesses  que  l'empereur  Napo- 
léon lui  avait  faites  récemment  dans  ses  lettres  ;  il  restait 
persuadé  que,  malgré  les  déclarations  officielles  comman- 
dées sans  doute  par  les  exigences  de  la  politique,  l'appui 
effectif  de  l'armée  et  du  trésor  français  ne  lui  ferait  pas  en- 
core défaut. 


566  II*   PARTIE.  CHAPITRE    V. 

<866.  Quand  même  le  trésor  mexicain  se  trouverait  hors  d'état 

de  satisfaire  aux  engagements  de  la  convention  de  Mira- 
mar,  l'entretien  de  l'armée  française  était  assuré  par  le 
trésor  français  ;  l'empereur  Maximilien  tenait  donc  à  ce  que 
l'effectif  n'en  fût  pas  diminué.  Cependant,  il  était  fort  mé- 
content des  réquisitions  pour  les  transports  ou  les  travaux 
de  fortification,  ordonnés,  de  leur  propre  autorité,  par  les 
généraux  français,  d'autant  plus  que  le  maréchal  Bazainese 
préoccupait  uniquement  des  éventualités  d'un  conflit  avec 
les  Etats-Unis  et  négligeait  la  pacification  intérieure.  En 
effet ,  de  grands  travaux  de  défense,  exécutés  à  Durango, 
à  Mexico,  et  sur  divers  points  des  lignes  stratégiques,  ne 
pouvaient  avoir  d'autre  but  que  d'arrêter,  le  cas  échéant, 
les  progrès  d'une  invasion  américaine  ;  lé'  maréchal,  mal- 
gré les  instances  de  l'Empereur,  se  décidait  avec  peine  à 
envoyer  des  colonnes  françaises  reprendre  possession  des 
localités  envahies  par  les  libéraux  ;  on  y  réinstallait  une 
garnison  mexicaine  qui  souvent  lâchait  pied  à  la  première 
attaque,  et  toutes  ces  marches  et  contre-marches  n'aboutis- 
saient à  rien. 

Progrès  A.insi,  après  avoir  fait  réoccuper  Chihuahua  par  la  co- 

répu^nSs  lonne  légère  du  commandant  Billot,  le  maréchal  donna 
'^^°Mcxiquc.  ^  l'ordre  d'évacuer  cette  position;  il  craignait  que,  dans  le 
cas  d'une  guerre  avec  les  Etats-Unis,  la  retraite  de  ce  dé- 
tachement ne  fût  coupée  par  les  guérillas  de  la  Laguna. 
Elles  avaient  envahi  Mapimi  et  San  Juan  de  Guadalupe, 
fusillé  les  partisans  de  l'Empire,  et  chaque  jour  elles  te- 
naient tète  aux  colonnes  mobiles  qui  parcouraient  le  pays 
entre  le  Rio  Florido  et  le  Rio  de  Nazas.  Du  reste,  l'évacua- 
tion de  Chihuahua  était  formellement  recommandée  dans 
les  instructions  du  gouvernement  français.  Une  garnison 


LE   MARÉCHAL   BAZAINE.  567 

de  cinq  cents  Mexicains  y  fut  laissée,  et  le  commandant  ^^^- 
Billot  rétrograda  le  31  janvier.  Les  Indiens  de  cette  pro- 
vince, comme  ceux  de  la  Sonora,  s'étaient  montrés  animés 
de  bonnes  dispositions  ;  l'Empire  avait  été  proclamé  dans 
les  cantons  d'Abasolo  et  de  Guerrero,  à  Gosihuiriachi,  à  la 
Concepcion,  et  l'on  espérait  que  Juarez  ne  pourrait  pas 
facilement  y  rétablir  son  autorité.  Le  maréchal  se  proposait 
d'abandonner  entièrement  le  pavs  au  nord  de  Durango  ;  il 
revint  ensuite  sur  cette  détermination  et  conserva,  pendant 
quelque  temps  encore,  une  garnison  au  Parral,  mais  il 
prescrivit  au  commandant  de  ce  poste  avancé  de  ne  jamais 
s'en  éloigner  au  nord  à  plus  d'une  journée  de  marche. 

Ghihuahua  fut  attaqué  le  25  mars  par  Luis  Terrazas  ;  la 
moitié  de  la  garnison  ayant  fait  défection,  le  commandant 
impérialiste  abandonna  la  place  avec  quelques  cavaliers 
restés  fidèles  («). 

Juarez  n'y  rentra  qu'au  mois  de  septembre;  mais,  dès  ce 
moment,  les  forces  républicaines  ne  cessèrent  de  s'accroître 
et  de  gagner  du  terrain  vers  le  sud.  A  la  même  époque,  des 
pronunciamientos  eurent  lieu  à  Allende  et  à  Batopilas  ; 
la  garde  rurale  du  Parral,  ayant  essayé  de  faire  rentrer 
les  révoltés  dans  l'ordre,  fut  attaquée  elle-même  par  des 
forces  supérieures,  et  succomba  avec  quelques  courageux 
citoyens  qui  s'étaient  volontairement  joints  à  elle.  Le  géné- 
ral de  Castagny  punit  Allende  par  de  fortes  amendes  qu'il 
répartit  entre  les  familles  des  victimes  du  Parral  ;  il  fit 
également  lever  des  contributions  sur  Rio  Florido.  Une 
colonne  française  fut  envoyée  au  Parral  pour  y  replacer 
une  garnison  mexicaine  et  mettre  la  ville  en  état  de  défense  ; 
mais  à  peine  les  Français  se  furent-ils  retirés,  que  le  déta- 

(')  Le  maréchal  au  ministre,  28  avril. 


568  II*    PARTIE.  CHAPITRE  V. 

me  chement  mexicain  se  replia  à  son  tour.  Les  troupes  libé- 
rales l'occupèrent  presque  aussitôt;  des  partis  ennemis  se 
montrèrent  même  à  la  Parridad.  Le  colonel  Coltret,  qui 
commandait  la  colonne  française  en  retraite,  fit  un  retour 
offensif,  et  installa  à  Gerro  Gordo  la  troupe  mexicaine 
venue  du  Parral.  Lui-même  prit  position  à  San  Salvador 
pour  garder  la  ligne  du  Rio  de  Nazas,  qui  devenait  au 
nord  la  limite  des  positions  françaises. 

L'insurrection  s'était  également  développée  dans  le  sud 
de  Durango.  Dès  les  premiers  jours  de  l'année  1866  (19 
janvier),  Garcia  de  la  Gadena,  dont  la  soumission  avait 
momentanément  ramené  la  tranquillité  dans  les  environs 
de  Zacatecas  et  dans  la  Sierra  Morones,  s'était  prononcé 
de  nouveau  contre  l'Empire.  Il  rassembla  quinze  cents 
hommes  en  quelques  jours,  occupa  Nochistlan  et  Teocal- 
tiche,  et  s'établit  dans  les  vallées  de  Jerez  et  de  Juchipila. 
Les  colonnes  françaises  et  les  gardes  rurales,  envoyées 
contre  lui,  n'obtinrent  aucun  résultat,  et  la  Gadena  finit  par 
rester  maître  du  pays. 

Les  guérillas  de  la  Laguna,  dirigées  par  Gonzales  Her- 
rera,  descendirent  au  sud  par  San  Juan  et  San  Miguel  Mes- 
quital.  Elles  attaquèrent,  le  25  mai,  la  garnison  française 
de  Fresnillo,  et  furent  repoussées  avec  des  pertes  sensibles  ; 
battues  encore  le  lendemain,  à  la  Salada,  par  une  colonne 
légère  venue  de  Durango,  elles  se  dispersèrent  dans  le  plus 
grand  désordre,  en  abandonnant  deux  cents  chevaux, 
trois  coulevrines,  des  armes,  et  des  munitions  en  grand 
nombre.  La  désunion  s'étant  alors  mise  entre  les  chefs 
ennemis,  leurs  entreprises  cessèrent. 

Au  nord-est,  les  troupes  franco-mexicaines  se  bornaient 
à  occuper  la  ligne  de  San  Luis  à  Monterey  et  celle  de  San 


Coohuiia. 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  o69 

Luis  à  Tampico  ;  les  routes  n'étaient  pas  sûres,  aucun         isee. 
convoi  n'osait  s'y  aventurer  sans  une  nombreuse  escorte;       opérations 

.  ,1  militaires 

Matamoros  et  Tampico  étaient  entoures  oe  très-près  par    dans  les  Etats 

,       „  .  de  Niievo-Leon 

les  guérillas.  Les  malades  et  le  dépôt  du  bataillon  d  Afrique  et  de 
étaient  restés  à  Tampico  ;  pour  leur  permettre  de  rejoindre 
leur  bataillon  à  Tula,  on  dut  les  faire  escorter  par  la 
contre-£,'uérilla  et  échelonner  des  postes  à  Santa  Barbara 
et  à  el  Chamal.  Mendez  attaqua  el  Ghamal,  le  11  janvier  ;  il 
fut  repoussé,  et  cependant  il  fallut  encore,  le  21  janvier, 
s'ouvrir  de  vive  force  le  passage  de  Boca  del  Abra.  Tandis 
que  le  convoi  continuait  sa  route,  Mendez  était  revenu  sur 
ses  derrières,  et,  tombant  à  l'improviste  sur  Tantoyuquita, 
il  brûla  les  magasins  où  le  commerce  de  Tampico,  sur  les 
assurances  trop  aventurées  du  capitaine  Jaquin,  comman- 
dant de  la  contre-guérilla,  avait  imprudemment  réuni  des 
quantités  considérables  de  marchandises.  Les  pertes  furent 
évaluées  à  près  d'un  million  de  francs.  Mendez  fut  tué  dans 
l'action  ;  le  général  La  Garza,  ancien  gouverneur  du  Ta- 
maulipas,  qui  s'était  soumis  à  l'Empire,  prit  le  comman- 
dement à  sa  place;  son  influence  et  la  considération  dont  il 
jouissait  devaient  encore  augmenter  l'importance  politique 
du  mouvement  anti-impérialiste. 

Les  appréhensions  du  maréchal  Bazaine  au  sujet  d'une 
intervention  des  Etats-Unis  avaient  été  réveillées  par  le 
sac  de  Bagdad  ;  il  recommanda  d'éviter  les  engagements 
de  détail  et  s'occupa  de  concentrer  ses  troupes  sur 
de  bonnes  positions.  Il  avait  donné  l'ordre  au  général 
Douay  de  s'avancer  jusqu'au  Saltillo,  de  garder  fortement 
ses  communications  avec  San  Luis,  et  de  pousser  le  géné- 
ral Jeanningros  à  deux  journées  de  marche  en  avant,  vers 
Matamoros,  afin  de  pouvoir  soutenir  le  général  Mejia  le 
cas  échéant,  tout  en  se  tenant  assez  éloigné  de  la  frontière 


570  II*  PARTIE.  —  CHAPITRE   V, 

<866.  pour  éviter  un  contact  dangereux  avec  les  Américains.  Le 
général  Jeanningros  rappela  donc  à  lui  la  garnison  fran- 
çaise laissée  à  Parras,  et,  au  commencement  de  février, 
il  se  rendit  à  Monterey  avec  un  bataillon  d'infanterie, 
deux  pièces  de  montagne,  et  deux  compagnies  de  parti- 
sans, dont  une  montée  ;  il  établit  la  troupe  mexicaine 
du  colonel  Tinajero  à  Cadeireita,  sur  la  route  de  Mata- 
moros ,  et  attendit ,  pour  se  porter  en  avant ,  l'arrivée 
du  régiment  belge,  que  le  maréchal  destinait  à  occuper 
Monterey. 

Le  général  Douay  transporta  son  quartier  général  à  Ma^- 
tehuala,  le  15  février,  et  se  relia  au  Saltillo  par  des  postes 
placés  au  Cedral,  à  Vanegas,  au  Salado,  et  à  Incarnacion. 
Des  forces  ennemies  se  tenaient  àVillaldama  et  à  Geralvo, 
et  observaient  Cadeireita.  Escobedo ,  avec  un  millier 
d'hommes  et  quatre  canons,  était  à  Linares  ;  il  s'organisait 
et  rassemblait  des  approvisionnements  dans  le  pays  com- 
pris entre  Linares,  Montemorelos,  et  Galeana  ;  il  avait  un 
dépôt  de  munitions  à  San  Pedro  Iturbide  ;  Gonzalez  Her- 
rera,  avec  les  bandes  de  La  Laguna,  se  montrait  aux  envi- 
rons de  Parras.  Le  maréchal  avait  prescrit  au  général 
Douay  de  ne  pas  s'étendre  vers  la  gauche  et  de  se  borner 
à  garder  la  ligne  San  Luis,  Monterey,  Malamoros  ;  mais 
une  bande,  qui  avait  envahi  Parras,  pendant  une  sortie 
faite  par  la  garnison  mexicaine ,  empêchait  le  préfet  poli- 
tique d'y  rentrer. 

Combat  Le  chef  de  bataillon  de  Brian,  commandant  supérieur 

ue  Sanla  Isahcl  _  '■ 

(1"  mars  48G6).  au  SaltiUo ,  réinstalla  le  préfet  Gampos  à  Parras  (le  20 
février),  et  voulut,  en  outre,  tenter  un  coup  de  main  contre 
les  forces  libérales  réunies  au  Rancho  Santa  Isabel,  à  onze 
kilomètres  de  la  ville.   Dans  la  nuit  du    28  février  au 


' 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  571 

1"  mars,  il  partit  de  Parras  avec  cent  cinquante  hommes         isee. 
du  régiment  étranger ,  cent  cinquante  fantassins  et  une 
centaine  de  cavaliers  mexicains;  une  compagnie  de  quatre- 
vingts  hommes  fut  laissée  à  Parras. 

Vers  quatre  heures  et  demie  du  matin ,  la  petite 
colonne  arrivait  à  portée  de  l'ennemi  qui  occupait  les 
bâtiments  du  Fiancho  et  une  hauteur  voisine.  Le  com- 
mandant de  Brian  prit  les  devants  avec  une  compagnie, 
et  prescrivit  au  reste  de  sa  colonne  de  le  rejoindre  lors- 
qu'on entendrait  le  bruit  de  son  attaque.  Aussitôt  que  la 
fusillade  en  donna  le  signal,  les  deux  autres  compagnies 
françaises  et  les  troupes  mexicaines  se  mirejit  en  mouve- 
ment. Elles  s'élancèrent  à  l'assaut  du  mamelon  ;  mais  déjà 
l'effort  du  commandant  de  Brian  avait  échoué  ;  on  ne  le 
revit  plus  ;  sa  compagnie  était  détruite,  quelques  hommes 
seulement,  groupés  autour  d'un  officier,  se  défendaient 
encore.  La  nouvelle  attaque  ne  réussit  pas  mieux  ;  l'en- 
nemi, retranché  derrière  des  murs  en  pierres  sèches  et 
appuyé  par  deux  canons,  ne  permit  pas  aux  assaillants  de 
gravir  la  hauteur  ;  au  même  moment,  la  cavalerie  alliée 
était  culbutée  par  cinq  cents  cavahers.  Le  jour  s'était  levé, 
et  des  renforts  amenés  par  Gonzales  Herrera  coupèrent  la 
retraite  à  la  colonne  franco-mexicaine.  Le  détachement 
français  fut  complètement  anéanti  ;  un  officier  et  soixante- 
dix-huit  hommes,  dont  vingt-huit  blessés,  tombèrent  aux 
mains  de  l'ennemi;  les  autres  furent  tués.  Ce  désastre  fut 
bientôt  annoncé  à  Parras  par  quelques  cavaliers  mexi- 
cains fuvant  à  toute  bride  et  qui  rentrèrent  dans  la 
ville  à  six  heures  du  matin.  Le  lieutenant  Bastidon,  com- 
mandant la  compagnie  du  régiment  étranger,  s'enferma 
dans  l'éghse  et  repoussa  énergiquement  les  sommations  de 
l'ennemi. 


S72  II'   PARTIE,  CHAPITRE  V. 

4866,  Les  journées  du  1",  du  2  et  du  3  mars  se  passèrent 

ainsi  ;  mais  l'approche  de  colonnes  de  secours  déterminè- 
rent l'ennemi  à  battre  en  retraite  ;  le  5  mars,  Parras  était 
dégagé. 

Le  général  Douay,  qui  marchait  de  Malehuala  sur  Sal- 
tillo,  avait  appris,  le  2  mars,  à  Agua-Nueva,  le  résultat 
malheureux  du  combat  de  Santa  Isabel.  Il  fit  aussitôt  partir 
trois  détachements,  qui  arrivèrent  successivement  à  Parras 
les  5,  6  et  7  mars.  Lui-même  s'y  rendit  ;  il  visita  Santa 
Isabel,  eut  d'abord  l'intention  de  poursuivre  l'ennemi; 
mais  les  guérillas  ayant  trop  d'avance,  il  abandonna  ce 
projet  et  revint  au  Saltillo  après  avoir  laissé  une  garnison 
provisoire  à  Parras. 

De  trop  peu  d'importance  pour  compromettre  la  posi- 
tion des  troupes  françaises ,  le  combat  de  Santa  Isabel 
était  néanmoins  un  douloureux  épisode  qui  coûtait  à 
l'armée  de  vaillants  soldats.  Le  maréchal  rappela  sévère- 
ment qu'il  interdisait  d'une  façon  absolue  tout  mouvement 
en  dehors  des  grandes  lignes  d'opérations,  c'est-à-dire  la 
ligne  de  Vera-Gruz  à  Guadalajara  par  Mexico,  Queretaro, 
et  Lagos,  la  ligne  de  Queretaro  à  Monterey,  et  celle  de 
Lagos  à  Durango.  A  moins  d'ordre  précis,  aucune  troupe  ne 
devait  s'en  éloigner  de  plus  de  quatre  à  cinq  lieues  ;  les 
commandants  des  postes  n'étaient  pas  autorisés  à  étendre 
leurs  opérations  au  delà  de  cette  distance.  La  poursuite  des 
guérillas  devait  être  laissée  aux  compagnies  de  partisans 
et  aux  troupes  mexicaines  ;  c'était  en  effet  le  seul  moyen 
d''empêcher  les  troupes  françaises,  dont  l'effectif  était  res- 
treint, et  dont  les  vides  ne  seraient  plus  comblés,  de  se 
fondre  dans  des  engagements  de  détail,  toujours  stériles 
au  point  de  vue  du  résultat  général.  Le  maréchal  se  voyait 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  o73 

obligé  de  réagir  contre  la  tendance  des  commandants  de 
détachement  à  rechercher  sans  nécessité  des  occasions  de 
combats.  La  dissémination  des  troupes  et  l'initiative  laissée 
aux  chefs  de  colonnes  ou  de  postes  isolés,  tout  en  augmen- 
tant la  valeur  personnelle  des  officiers,  les  disposaient  par- 
fois à  s'affranchir  des  liens  de  la  subordination,  à  se  con- 
sidérer comme  des  centres  d'action,  et  à  oublier  que,  dans 
l'ensemble  des  opérations  dont  le  commandant  en  chef 
pouvait  seul  concevoir  et  diriger  les  combinaisons,  ils  ne 
devaient  jouer  qu'un  rôle  restreint  et  préalablement  limité. 
Le  maréchal  déclara  qu'il  réprimerait  énergiquement  toute 
infraction  à  ses  instructions,  et  qu'il  n'hésiterait  pas  à  faire 
traduire  devant  les  conseils  de  guerre  tout  officier  qui  en- 
treprendrait une  opération  en  dehors  des  lignes  stratégiques 
déterminées,  ou  qui  ferait  occuper  des  points  qui  n'au- 
raient pas  été  spécialement  désignés  (^). 

Cependant  Escobedo,  dont  l'autorité  paraissait  s'étendre 
sur  toutes  les  bandes  éparses  dans  le  Tamauhpas,  avait 
ainsi  plus  de  deux  mille  hommes,  passablement  armés 
et  organisés;  les  guérillas,  sans  jamais  se  compro- 
mettre contre  des  forces  supérieures,  envahissaient  les 
villes  faiblement  gardées.  Escobedo  lui-même  entrait  au 
Cedral,  au  Minerai  de  Catorce,  dont  la  population  faisait 
cause  commune  avec  lui,  et,  le  l^""  avril,  il  attaquait  le 
poste  français  de  Malehuala;  une  colonne  de  secours 
força  l'ennemi  à  s'éloigner,  mais  deux  jours  après ,  Esco- 
bedo était  devant  Tula  de  Tamaulipas  et  bloquait  la  gar- 
nison française.  Trois  colonnes  furent  envoyées  contre 
lui  ;  il  leur  échappa  et  rentra  se  reposer  dans  le  réduit 

(t)  Circulaire  du  7  mars  1866,—  Le  maréchal  au  ministre.  17  mir?. 


iS6<ù. 


in  h  if  PARTIE.  CHAPITRE    V. 

4866.         qu'il  s'était  constitué  au  milieu  des  montagnes,  entre  la 
Soledad,  Galeana,  et  Linares. 

La  garnison  française  de  Tula  ayant  été  remplacée  par 
quatre  cents  hommes  de  troupes  mexicaines,  Aureliano 
Rivera  revint  attaquer  la  place  ;  l'officier  mexicain  l'aban- 
donna sans  attendre  l'ennemi  (7  mai).  La  perte  de  Tula 
eut  pour  résultat  de  couper  de  nouveau  les  communica- 
tions, déjà  si  difficiles,  entre  San  Luis  et  Tampico. 

Conformément  à  des  ordres  reçus  de  France,  et  datés 
du  15  février,  le  maréchal  avait  prescrit  au  général 
Douay  (^)  de  faire  replier  les  troupes  françaises  engagées 
dans  le  Nuevo-Leon  ;  cependant,  avant  d'exécuter  ce  mou- 
vement de  retraite,  elles  devaient  pénétrer  dans  les  mon- 
tagnes où  les  guérillas  d'Escobedo  avaient  leur  quartier 
général  et  s'efforcer  de  les  détruire. 

Le  général  Jeanningros  venait  de  s'avancer  sur  la  route 
de  Matamores  jusqu'à  Charco-Escondido  (12  avril),  pour 
donner  la  main  au  général  Mejia,  lui  conduire  un  renfort 
de  six  cents  Mexicains,  et  échanger  des  convois  de  mar- 
chandises. Il  était  rentré  à  Monterey  vers  la  fin  du  mois 
d'avril.  Il  reçut  l'ordre  de  se*  diriger  de  Monterey  sur 
Montemorelos,  pendant  que  le  général  Douay  marcherait 
de  Saltillo  sur  Galeana,  et  que  la  contre-guérilla,  dont  le 
colonel  Dupin  avait  repris  le  commandement,  fermerait 
les  routes  du  côté  de  Soledad.  Mais  l'ennemi,  ayant  inter- 
cepté des  dépèches,  fut  averti  du  mouvement  des  colonnes 
françaises  et  put  leur  échapper  sur  tous  les  points  (mai). 
De  fortes  amendes  furent  frappées  sur  San  Pedro  Iturbide, 
Galeana,  et  l'hacienda  de  PotosiC^),  dont  les  habitants  sou- 

(*)  Dépêche  du  28  mars,  du  23  avril. 

(')  Trois  mille  piastres  sur  San  Pedro,  dix  uiilie  sur  Galeana,  mille  sur  Potosi. 


LE   MARÉCHAL  BAZAINE.  375 

tenaient  les  guérillas  ;  d'importants  approvisionnements  de  'isee. 
grains  furent  détruits;  des  caisses  de  munitions,  cachées 
dans  les  environs  de  San  Pedro,  furent  enlevées,  et  les 
troupes  françaises  se  retirèrent.  Cette  expédition  n'amena 
aucun  résultat  ;  l'ennemi  conserva  sa  grande  ligne  d'opé- 
rations depuis  le  Rio  Grande,  par  Geralvo,  Linares,  Vit- 
toria,  Tula  et  Rio  Verde,  jusqu'aux  limites  de  la  Huasteca 
et  de  la  Sierra  Gorda,  d'où  il  se  tenait  en  rapport  avec  les 
libéraux  des  grandes  villes  de  San  Luis,  de  Guanajuato  et 
de  Queretaro.  On  disait  même  que  plusieurs  chefs  impor- 
tants, Negrete,  Aureliano  Rivera ,  Vicente  Martinez,  Jau- 
reguy,  avaient  été  vus  à  San  Luis. 

A  la  fin  du  mois  de  mai,  Armenta  essaya  de  pénétrer 
dans  la  Sierra  Gorda.  Il  envahit  Arroyo  Seco  (29  mai),  et 
menaça  Jalpan  ;  les  habitants  résistèrent,  et,  soutenus  par 
des  colonnes  françaises  envoyées  de  Queretaro,  de  San 
Luis  de  la  Paz,  et  de  Santa  Maria  del  Rio,  ils  arrêtèrent  les 
progrès  de  l'ennemi. 

Dans  la  Huasteca,  au  contraire,  et  jusqu'à  la  côte  du 
golfe,  la  marche  des  guérillas  libérales  fut  favorisée  par 
les  pronunciamientos  des  populations  à  peine  soumises  à 
l'Empire  et  toujours  frémissantes.  Huejutla  fut  pris  par  les 
insurgés  le  21  mai,  repris  le  12  juin  par  une  colonne  mo- 
bile de  volontaires  autrichiens  commandée  par  le  major 
Polak ;  mais  en  arrière,  Huauchinango  était  envahi,  et  le 
district  des  mines  assez  sérieusement  menacé  pour  qu'il 
fût  nécessaire  de  renforcer  Tulancingo  et  Tula  (de  Mexico). 
Les  colonnes  expéditionnaires  autrichiennes  se  replièrent 
partout  (juillet). 

■  Le  port  de  Tuxpan  ne  dut  son  salut  qu'à  la  prompte 
arrivée  d'un  renfort  que  la  marine  jeta  dans  la  place  (12 
juillet). 


376  II'  PARTIE.  CHAPITRE    V. 

<86ti.  Les   nouvelles  instructions  venues  de  France  (^)   pres- 

crivant au  maréchal  de  préparer  le  rapatriement  du 
corps  expéditionnaire,  mettaient  un  terme  au  rôle  actif 
de  l'armée  française  au  Mexique.  Loin  de  chercher 
à  comprimer  l'insurrection,  alors  maîtresse  de  tout  le 
nord  du  pays,  le  maréchal  devait  se  borner  maintenant, 
et  pour  des  considérations  exclusivement  militaires,  à  en 
limiter  le  développement,  afin  de  conserver  libres  les 
lignes  par  lesquelles  s'écouleraient  les  colonnes  d'éva- 
cuation. 

Un  événement  de  guerre  des  plus  graves,  à  la  suite  du- 
quel le  général  Mejia  fut  obligé  d'abandonner  Matamores, 
vint  hâter  le  mouvement  de  retraite  dans  les  provinces  du 
Nord  et  en  rendre  les  circonstances  plus  douloureuses.  Le 
renfort  de  six  cents  hommes,  que  le  général  Mejia  reçut  au 
mois  d'avril,  lui  avait  permis  de  faire  sortir  avec  succès 
quelques  colonnes  mobiles  ;  cependant  des  flibustiers  amé- 
ricains, des  nègres  licenciés  ou  déserteurs  ne  cessaient  de 
grossir  les  rangs  des  guérillas  ennemies.  Le  général  Mejia 
voulait  faire  passer  un  convoi  de  Matamoros  à  Monterey  ; 
on  lui  avait  recommandé  d'agir  avec  prudence  et  d'attendre 
qu'un  détachement  de  la  garnison  de  Monterey  pût  aller  à 
sa  rencontre.  Après  l'expédition  sur  Galeana,  on  organisa 
donc,  sous  les  ordres  du  lieutenant-colonel  de  Tucé,  une 
colonne  de  deux  mille  hommes,  composée  de  deux  bataillons 
de  la  légion  étrangère,  de  détachements  belges  et  mexi- 
cains, de  quelque  cavalerie,  et  de  six  pièces  d'artillerie  ;  cette 
colonne  partit  de  Monterey  le  8  juin.  Les  troupes  marchaient 


(I)  Ces  instructions,  datées  do  14  ami,  étaient  la  conséquence  du  rapport  du 
baron  Saillard  sur  le  résultat  infructueux  de  sa  mission  au  Mexique.  Elles  déve- 
loppaient les  déclarations  officielles  insérées  au  Monileiir  du  5  avril  et  communi- 
quées  le  6  avril  au  ministre  de  France  aux  Etats-Unis. 


LE   MARÉCHAL    BAZALNE.  o77 

sur  trois  routes  parallèles,  la  plus  importante  fraction  sui-  -fsee. 
vant  le  chemin  de  San  Francisco  à  Geralvo.  Elles  eurent 
avec  l'ennemi  plusieurs  engagements  heureux;  mais  bien- 
tôt leurs  communications  ayant  été  complètement  coupées, 
elles  se  trouvèrent  sans  nouvelles  de  Monterey  et  de  Ma- 
tamoros;  le  17  juin  seulement,  on  sut  qu'Escobedo  avait 
concentré  ses  troupes  et  qu'il  s'était  dirigé  vers  Camargo. 
Le  colonel  de  Tucé,  laissant  à  Geralvo,  sous  la  protection  du 
détachement  belge,  ses  impedimenta  et  ses  malades,  dont 
le  chiffre  était  fort  élevé,  se  porta  rapidement  sur  Mier,  où 
il  arriva  le  lendemain. 

Le  convoi,  composé  de  deux  cents  voitures,  était  escorté 
par  seize  cents  Mexicains,  trois  cents  Autrichiens  et  deux 
canons,  sous  le  commandement  du  général  Olvera  ;  il  avait 
été  attaqué  le  lo  juin  près  de  Camargo  par  une  force  qu'on 
évaluait  à  cinq  mille  hommes,  parmi  lesquels  douze  à 
quinze  cents  Américains. 

La  chaleur  était  suffocante,  les  troupes  souffraient  beau-  combat 
coup,  douze  soldats  autrichiens  avaient  déjà  succombé  à  (io'juinT866). 
des  insolations.  Le  convoi  fut  entièrement  enlevé  après 
un  sanglant  combat  i^)  ;  le  général  Olvera,  avec  cent  cin- 
quante cavaliers,  put  cependant  rentrer  à  Matamoros.  Le 
général  Mejia,  qui  n'avait  plus  que  trois  cents  hommes, 
rappela  aussitôt  à  lui  le  poste  de  Bagdad,  et  se  prépara, 
malgré  sa  position  critique,  à  faire  bonne  contenance; 
mais  l'issue  de  la  lutte  n'était  pas  douteuse,  et  les  instances 
du  commerce,  demandant  à  ce  qu'on  n'exposât  pas  la 
ville  à  une  prise  de  vive  force,  le  décidèrent  à  accepter  une 

(•)  D'après  le  rapport  d'Escobedo,  les  pertes  des  libéraux  furent  de  15S  tués 
et  78  blessés.  Les  troupes  impériales  perdirent  2ol  Mexicains,  145  Autrichiens 
tués;  121  Mexicains,  43  Autrichiens  blessés  ;  858  Mexicains,  143  Autrichiens 
prisonniers.  (Execttt.  docum.,  1866-67.) 

37 


0<8  II''   PARTIE.  CHAPITRE    V. 

'1866.  capitulation.  Il  obtint  des  garanties  pour  les  habitants,  et 

Capitulation     put  se  retirer  avec  armes  et  bagages,  ne  perdant  que  son 

de  Malamoros  -n      •      /rr»      •  \     -m-  n         i         i  '  ^     r»o  •    • 

(23  juin).  artillerie  (4d  pièces).  Matamoros  lut  abandonne  le  z3  jum. 
Les  débris  des  troupes  du  général  Mejia,  transportés  à 
Vera-Gruz,  se  reformèrent  à  Paso  del  Macho.  Juarez  blâma 
les  clauses  de  cette  capitulation  et  ne  voulut  pas  en  recon- 
naître la  validité. 

La  destruction  de  la  colonne  du  général  Olvera  avait  en- 
levé au  colonel  de  Tucé  tout  moyen  de  faire  passer  son  pro- 
pre convoi  à  Matamoros.  Il  se  hâta  de  rétrograder,  car  la 
proximité  de  la  frontière  américaine  amenait  des  désertions 
nombreuses  dans  les  bataillons  de  la  légion  étrangère  (*). 
Le  28  juin,  il  rentrait  à  Monterey. 

La  chute  de  Matamoros  remplit  d'allégresse  les  ennemis 
de  l'Empire  et  diminua  d'autant  la  confiance  de  ses  rares 
partisans.  La  garde  rurale  de  Parras,  jusqu'alors  si  fidèle  et 
si  dévouée,  fit  défection  dans  la  nuit  du  23  au  24  juin  ;  son 
chef,  Gampos,  fut  obligé  de  fuir  avec  huit  cavaliers  seule- 
ment; l'ennemi  prit  aussitôt  possession  de  la  ville.  Entre 
Monterey  et  San  Luis,  aucune  communication  n'était  plus 
possible;  ni  diligence,  ni  courriers,  ne  pouvaient  passer  ; 
Pedro  Martinez  coupait  les  routes  ,  cependant,  le  29  juin,  il 
était  battu  à  Catorce;  le  13  juillet,  étant  venu  attaquer  le 
poste  d'Incarnacion  avec  six  cents  hommes,  parmi  lesquels 
une  centaine  de  déserteurs,  il  en  était  repoussé  après  un 
combat  de  cinq  heures  ;  mais  ces  échecs  importaient  peu 
à  une  troupe  qui  réparait  immédiatement  ses  pertes.  Le 
maréchal,  obligé  de  rappeler  les  colonnes  françaises  enga- 
gées dans  le  Nord,  ne  voulait  pas  livrer  à  l'ennemi  une 
ville  aussi  importante  que  Monterey  ;  il  comptait  y  laisser 

(1)  Soixante-dix-neuf  hommes  désertèrent  en  quelques  jours, 


LE    3IARÉCHAL    BAZALN'E.  o79 

le  régiment  belge  et  deux  cents  hommes  de  troupes  mexi-  -isee. 
caines  de  Quiroga.  La  nouvelle  du  départ  de  la  garnison 
française  jeta  l'alarme  dans  la  ville  ;  on  ne  pouvait,  en 
effet,  avoir  aucune  confiance  dans  les  troupes  belges  et 
mexicaines.  Les  Mexicains  ne  recevant  pas  régulièrement 
leur  solde,  on  s'attendait  à  les  voir  déserter  d'un  moment 
à  l'autre  (^),  et  le  corps  belge  était  menacé  d'une  désorga- 
nisation complète.  Le  colonel  Van  der  Smissen  déclarait 
lui-même  qu'il  ne  comptait  pas  sur  ses  hommes.  Les  fa- 
tigues et  les  déboires  de  campagne  avaient  mécontenté  offi- 
ciers et  soldats.  Beaucoup  d'officiers  demandèrent  à  retour- 
ner en  Europe,  le  temps  pour  lequel  ils  s'étaient  engagés 
à  servir  au  Mexique  étant  expiré  ;  ils  ne  supportaient  pas 
la  subordination  hiérarchique  vis-à-vis  des  officiers  mexi- 
cains ;  il  était  même  difficile  de  les  placer  sous  les  ordres 
d'officiers  français.  Des  bruits  ayant  été  répandus  sur  un 
projet  d'annexion  de  la  Belgique  à  la  France,  leur  suscep- 
tibilité s'en  était  accrue.  Dans  ces  conditions,  il  n'était 
plus  possible  de  conserver  Monterey  ;  toutefois  le  maréchal 
donna  l'ordre  de  surseoir  à  l'évacuation  ;  il  transporta  son 
quartier  général  à  San  Luis,  afin  de  veiller  de  plus  près 
aux  embarras  de  la  situation. 

Quant  à  l'empereur  Maximilien,  il  refusait  toujours  de 
se  rendre  à  l'évidence  et  ne  comprenait  pas  que  le  rôle  de 
l'armée  française  était  terminé  ;  il  se  montrait  vivement 
ému  des  mouvements  rétrogrades  des  troupes  et  des 
progrès  incessants  des  libéraux. 

Leur  retour  à  Chihuahua  lui  avait  été  particulièrement 


( ')  Quiroja  et  Campos  offrirent  à  Escobedo  de  se  prononcer  en  faveur  de  Juarez , 
mais  les  chefs  libéraux  repoussèrent  toute  condition  et  exigèrent  une  soumission 
pure  et  simple.  Quiroja  et  Campos  restèrent  alors  fidèles  à  l'Empire.  (Lettre  de 
Quiroja  à  Viezca,  30  juillet  d866  ;  Execut.  doann..  1866-67.) 


d80  II''   PARTIE.  CHAPITRE    V. 

4866.        sensible,  et  à  ce  sujet  il  avait  écrit  au  maréchal  Bazaine  (0. 

«  Les  nouvelles  que  je  reçois  de  l'intérieur  me  démontrent  l'im- 
périeuse nécessité  de  renvoyer  Juarez  de  Ghihuahua,  et  d'occuper 
cette  ville  définitivement,  pour  ôter  aux  Etats-Unis  le  seul  prétexte 
plausible  d'accréditer  auprès  de  lui  un  ambassadeur,  et  l'occasion 
de  présenter  chaque  jour  de  nouvelles  exigences. 

«  Tl  est  évident  qu'il  entre  autant  dans  les  intérêts  de  votre  glo- 
rieux souverain  et  de  mon  auguste  allié  l'empereur  Napoléon,  que 
dans  les  miens,  de  mettre  un  terme  aux  prétentions  du  cabinet  de 
Washington,  en  renvoyant  Juarez  de  sa  dernière  capitale  ;  il  y  va 
même  de  noire  honneur. 

«  Je  le  répète,  les  nouvelles  extérieures  que  je  reçois  font  res- 
sortir l'urgence  de  cette  mesure,  et,  comme  chef  de  mon  armée,  vous 
aurez  la  bonté  d'aviser  immédiatement  à  son  exécution,  et  j'écris  à 
l'empereur  Napoléon,  auquel  je  fais  part  de  mes  résolutions.  » 

Le  ton  de  commandement  de  cette  lettre  contrastait 
singulièrement  avec  l'impuissance  de  l'Empereur,  jusqu'a- 
lors tenu  en  tutelle  aussi  bien  par  le  maréchal  que  par  le 
gouvernement  français.  Le  maréchal  écrivit  cependant  au 
général  de  Gastagny  à  Durango,pour  faire  préparer  une 
nouvelle  expédition  sur  Ghihuahua  ;  en  confirmant  les 
mêmes  ordres  le  24  juin,  il  prévoyait  le  cas  où  l'on  devrait 
pousser  jusqu'à  Paso  del  Norte,  et  témoignait  en  réalité  du 
désir  d'en  finir  avec  Juarez,  dont  il  croyait  du  reste  l'in- 
fluence ruinée  ;  mais  le  courrier  arrivé  d'Europe,  le  28  juin, 
modifia  ces  dispositions  ;  contre-ordre  fut  envoyé  par  le 
télégraphe  au  général  de  Gastagny,  et  tout  mouvement  fut 
suspendu. 

A  la  suite  de  la  mission  du  baron  Saillard,  le  maréchal 
Almonte  avait  été  envoyé  à  Paris  pour  proposer  un  projet 
de  modification  du  traité  de  Miramar.  Les  instructions  du 

U)   Le  mai'Hchal  au  ministre.  28  mai. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  581 

ministre  de  la  guerre,  datées  du  31  mai,  montraient  combien         ^^^e. 
cette  démarche  avait  été  mal  accueillie  ;  en  effet,  à  la  même 
date,  le  gouvernement  français  adressait  au  gouvernement 
mexicain  une  note  diplomatique  dans  le  but  de  préciser 
la  ligne  de  conduite  qu'il  se  proposait  de  suivre  à  l'avenir. 

L'expédition  du  Mexique,  était-il  dit,  n'avait  eu  d'autre         Note 

,,.,,,.  .  du  S-f  mai. 

motif  que  la  nécessité  d'obtenir  par  les  armes  certaines 
réparations  auxquelles  la  France  avait  le  droit  de  prétendre  ; 
si  plus  tard  elle  s'était  montrée  favorable  à  la  fondation  de 
l'Empire  et  aux  tentatives  généreuses  de  l'empereur  Maxi- 
milien,  elle  avait  dû  néanmoins  se  fixer  à  elle-même  la 
limite  dans  laquelle  il  serait  possible  de  lui  venir  en  aide 
et  «  mesurer  à  l'importance  des  intérêts  français  engagés 
dans  cette  entreprise  l'étendue  du  concours  qu'il  lui  était  permis 
de  lui  offrir  v.  C'est  dans  ce  but  que  le  traité  de  Miramar 
avait  été  signé.  Le  gouvernement  mexicain  n'en  ayant  pas 
rempli  les  conditions,  la  France  était  en  droit  de  réclamer 
de  nouvelles  conventions.  Le  gouvernement  français  s'éton- 
nait de  voir  que,  malgré  ses  refus  réitérés  de  prolonger  le 
séjour  de  ses  troupes  au  Mexique  et  de  consentir  de  nou- 
velles avances  d'argent,  le  gouvernement  mexicain  renou- 
velât ses  demandes,  et  lui  fît  porter  encore  par  le  géné- 
ral Almonte  des  propositions  de  même  nature  ;  «  il  se 
rendait  difficilement  compte  de  la  persistance  des  illusions  qui 
avaient  présidé  à  la  conception  du  projet  qu'on  lui  pré- 
sentait. »  Loin  de  l'accepter,  il  demandait  formellement 
au  Mexique  de  nouvelles  garanties  financières  et  no- 
tamment une  délégation  de  la  moitié  du  produit  des 
douanes  maritimes.  Dans  le  cas  où  cette  proposition  serait 
rejetée,  il  déclarait  se  considérer  comme  libre  de  tout  en- 
gagement, et  prescrirait  au  maréchal  Bazaine  «  de  procéder 
avec  toute  la  diligence  possible  au  rapatriement  de  l'armée 


ë8â  II'   PARTIE.  CHAPITRE  V. 

<866.  en  ne  tenant  compte  que  des  convenances  militaires  et  des 
considérations  techniques  dont  il  serait  le  seul  juge.  Le 
maréchal  aurait  en  même  temps  à  procurer  aux  intérêts 
français  les  sécurités  auxquelles  ils  ont  droit.  » 

On  se  plaignait  ensuite,  non  sans  quelque  raison,  devoir 
les  réclamations  anglaises  réglées  sans  conteste  (^),  des 
créances  douteuses  et  non  exigibles  (^)  payées  argent  comp- 
tant, tandis  qu'une  résistance  systématique  des  conseillers 
de  l'empereur  Maximilien  se  manifestait  sur  tout  ce  qui 
touchait  aux  intérêts  de  la  France. 

Dans  ses  dépêches  au  maréchal  Bazaine,  le  ministre  de 
la  guerre  (^)  lui  recommandait  «  d'appuyer  de  toute  son 
influence  »  les  demandes  énoncées  dans  cette  note  ;  il  lui 
faisait  connaître  que  «  le  gouvernement  français  persistait 
»  dans  les  considérations  qui  avaient  motivé  les  déclarations 
d'après  lesquelles  avaient  été  déterminées  les  époques  suc- 
cessives du  rappel  des  troupes,  aussi  bien  que  dans  les 
résolutions  prises  pour  exonérer  le  trésor  français  de  toute 
dépense,  en  dehors  de  celles  qui  avaient  pour  objet  l'entre- 
tien de  l'armée  française.  Il  désirait  que  la  moitié  du  pro- 
duit des  douanes  fût  attribuée  soit  aux  dépenses  courantes 
de  l'armée,  soit  à  l'extinction  des  dettes  que  le  gouverne- 
ment mexicain  avait  contractées  vis-à-vis  de  la  France  »  . 

Le  maréchal  devait  prévoir  le  cas  «  où  les  embarras  de 
toute  nature,  qui  entouraient  le  gouvernement  mexicain,  et, 
en  première  ligne,  le  déplorable  état  de  ses  finances,  amè- 
,  neraient  de  la  part  de  l'empereur  Maximilien  des  résolu- 
tions extrêmes»,  et  il  devait  veiller  à  ce  que  l'évacuation  du 

(')  Le  marùchal,  dans  une  lettre  du  6  juillet  au  ministre,  signale  l'envoi  di- 
six  cent  mille  piastres  en  Angleterre. 

(*)  Allusion  aux  paiements  faits  à  Jecker,  Voir  à  l'appendice. 
(3)  Le  ministre  au  maréchal,  31  mai. 


LE   MARÉCHAL    BAZAINE.  383 

Mexique  par  l'armée  française,  dans  d'aussi  graves  circons-         4866. 
tances,  ne  portât  pas  atteinte  à  son  prestige. 

La  rigueur  des  conditions  posées  dans  la  note  du  31  mai, 
avait  certainement  pour  but  de  déterminer  l'empereur 
Maximilien  à  une  abdication.  Il  ne  paraissait  plus  pos- 
sible qu'il  fût  en  état  de  se  maintenir  sans  la  protection  des 
troupes  françaises,  et  celles-ci  étant  obligées  de  se  retirer, 
le  gouvernement  français  lui  suggérait  avec  raison  la  pen- 
sée de  quitter  volontairement  un  trône  dont  il  serait  iné- 
vitablement précipité  par  la  force  des  événements.  L'empe- 
reur Maximilien  pensa  en  effet  à  une  abdication,  car  la  note 
du  31  mai  détruisait  d'un  seul  coup  toutes  ses  espérances; 
il  n'avait  jamais  supposé  que  l'empereur  Napoléon  pût 
l'abandonner  aussi  complètement.  Jusqu'alors,  les  menaces 
des  Etats-Unis  ne  l'avaient  pas  inquiété.  «  Elles  ne  font 
pressentir  rien  de  sérieux,  disait-il;  en  irritant  la  fibre 
nationale  en  France,  elles  nous  font  plus  de  bien  que  de 
mal.  Ils  sont  bien  loin  de  vouloir  faire  la  guerre  ;  ce  sont 
des  bravades  et  des  tentatives  habiles  d'intimidation,  qui 
ne  me  semblent  devoir  guère  réussir  vis-à-vis  d'un  pays  tel 
que  le  vôtre,  qui  a  foi  dans  sa  force  et  dans  sa  position 
dans  le  monde,  qui  ne  livrera  pas  son  œuvre  à  la  rapacité 
d'autrui(^).  » 

La  note  du  31  mai  mit  fin  à  ces  rêves;  le  premier  mou- 
vement fut  peut-être  du  désespoir,  mais  il  dura  peu.  On 
lit  dans  un  rapport  confidentiel  du  29  juin,  adressé  au 
ministre  de  la  guerre  quelques  heures  après  l'arrivée  à 
Mexico  de  la  note  31  mai  :  «On  a  pu  compter  sur  l'éventualité 
de  l'abandon  spontané  de  l'Empereur,  ce  qui  ouvrirait  un 

(')  L'empereur  Maximilien  disait  du  reste  qu'une  guerre  entre  la  France  et  les 
Etats-Unis  lui  aurait  souri. 

Lettre  de  l'empereur  Maximilien  datée  du  16  mars  i866. 


S84  n"  PARTIE.  -—  CHAPITRE   V. 

<866.  nouvel  ordre  d'idées  ;  mais  je  crois  pouvoir  dire  à  Votre 
Excellence  que  je  connais  bien  Sa  Majesté  et  qu'on  doit 
calculer  sur  une  obstination  iiîvincible  (*).  » 

«  L'Empereur  sera  d'autant  plus  affermi  dans  sa  déter- 
mination, qu'il  comprendra  tous  les  embarras  que  cette 
détermination  peut  causer  au  gouvernement  français.  Il  est 
incontestable  que  l'on  atoujours  compté  id(^)que  la  France, 
qui  a  fait  la  question  mexicaine,  se  trouvait  engagée  à  la 
soutenir  jusqu'aux  dernières  limites  ;  si  cet  appui  vient  à 
manquer,  il  est  à  craindre  qu'une  violente  réaction  n'en- 
traîne à  un  système  d'hostilités  indirectes,  mais  qui  peu- 
vent devenir  très-compromettantes.  » 

Départ  Depuis  cfuclque  temps,  l'impératrice  Charlotte  s'était 

de  Timperatricc  ...  . 

Charioue       abstcnuo  de  toute  immixtion  directe  ou  indirecte  dans  la 

pour  1  hurope. 

politique,  et  s'occupait  exclusivement  du  conseil  de  bien- 
faisance. Elle  avait  jusqu'alors  fait  preuve  d'une  si  rare 
énergie,  surtout  vis-à-vis  des  ministres,  qu'une  aussi  com- 
plète abstention  était  fort  regrettable.  Mais,  lorsqu'elle 
vit  quel  abîme  s'ouvrait  devant  son  trône ,  elle  reparut 
aussitôt  en  scène  avec  toute  la  virilité  de  ses  résolutions. 
Il  fut  décidé  qu'elle  partirait  immédiatement  pour  Paris, 
afin  d'essayer  si  son  influence  n'amènerait  pas  l'empereur 
Napoléon  à  revenir  sur  ses  déterminations.  On  avait  eu 
d'abord  l'intention  de  cacher  le  départ  de  l'Impératrice 
jusqu'au  moment  de  son  embarquement,  mais  il  n'avait 
pas  été  possible  de  garder  un  secret  absolu;  ce  projet 
transpira,  et,  pour  mettre  fin  aux  commentaires  inquié- 


^')  En  marge  de  l'original  de  cette  lettre,  au  crayon,  soit  de  la  main  du 
ministre,  peut-être  de  celle  de  l'empereur  Napoléon,  on  a  écrit  ces  mots  :  tant 
mieux. 

(*)  En  marge  au  crayon  ;  trop. 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  58S 

tants,  le  journal  officiel  du  7  juillet  annonça  «  que  l'Impé-        <866. 
ratrice  se  rendait  en  Europe  chargée  d'une  mission  spéciale 
relative  aux  affaires  du  Mexique  » . 

Le  ministre  de  France  et  le  maréchal  n'en  avaient  pas 
été  informés  ;  le  maréchal  était  alors  à  San  Luis  de  la  Paz  ; 
un  de  ses  officiers  resté  à  Mexico  l'ayant  prévenu  par  le 
télégraphe,  le  7  juillet,  il  envoya  aussitôt,  par  dépêche 
chiffrée,  l'ordre  au  commandant  de  l'escadre  d'avertir  le 
gouvernement  français  par  la  voie  la  plus  rapide  (^). 

L'impératrice  Charlotte  quitta  Mexico  le  8  juillet  C^). 

Le  lendemain  seulement ,  l'Empereur  reçut  M.  Dano , 
ministre  de  France,  chargé  de  lui  remettre  officiellement 
la  note  diplomatique  du  31  mai  ;  il  avait  de  même  prétexté 
une  indisposition  pour  ne  pas  voir  le  maréchal  qui,  au 
moment  de  son  départ  de  Mexico,  avait  sollicité  une  au- 
dience de  congé  (^). 

L'impératrice  Charlotte  arriva  le  10  août  à  Saint-Na- 
zaire.  La  nouvelle  de  la  bataille  de  Sadowa  lui  causa  tout 
d'abord  une  vive  et  douloureuse  impression. 

Elle  partit  aussitôt  pour  Paris. 

L'empereur  Napoléon,  alors  assez  souffrant,  était  à  Saint- 
Cloud  ;  après  avoir  essayé  d'éviter  une  entrevue  pénible, 
il  dut  céder  aux  instances  pressantes  de  l'impératrice 
Charlotte  et  consentir  à  la  recevoir  ;  mais  il  resta  iné- 


(t)  La  dépèche  chiffrée,  partie  de  San  Luis  de  la  Paz  le  7  juillet,  fut  portée  au 
consul  de  France  à  New- York  le  19  juillet,  arriva  à  Vigo  le  1"  août,  et  à  Paris 
le  même  jour. 

(*)  On  n'avait  pas  d'argent  pour  le  voyage  de  l'Impératrice  ;  l'Empereur  disait 
.  qu'il  avait  fallu  donner  un  coup  de  balai  dans  la  caisse  centrale  pour  y  ra- 
masser les  quelques  piastres  qui  s'y  trouvaient.  »  Le  ministre  des  finances  avait 
conseillé  de  vendre  les  bijoux  de  l'Impératrice. 

(3)  Le  maréchal  au  ministre,  6  juillet. 


586  II*  PARTIE.  CHAPITRE  V. 

^866.  branlable  dans  ses  refus  (^).  Le  29  août,  l'Impératrice 
quitta  Paris  brisée  de  douleur,  fit  une  visite  à  Bruxelles, 
séjourna  quelques  jours  à  Miramar,  et  vers  la  fin  du  mois 
de  septembre,  se  rendit  à  Piome  implorer  le  secours  du 
Saint-Père.  Elle  n'avait  pu  résister  à  tant  d'angoisses,  et 
ce  fut  au  Vatican  qu'elle  donna  les  premiers  signes  de  la 
maladie  mentale  qui  devait  éteindre  cette  intelligence  si 
remarquable. 

L'impératrice  Charlotte  remit  à  l'empereur  Napoléon  le 
mémoire  suivant  (^)  : 


Mémoire 

de  l'empereur 

Maximilien 

à  l'empereur 

Napoléon. 


«  M.  le  ministre  de  France,  à  Mexico,  a  fait  parvenir  à  l'empe- 
reur Maximilien  la  lettre  de  S.  M.  l'empereur  Napoléon,  et  le  mé- 
moire qui  y  était  joint. 

<t  La  lecture  attentive  de  ce  mémoire  n'a  pas  laissé  que  de  sur- 
prendre douloureusement  l'Empereur,  non  pour  sa  conclusion, 
mais  pour  la  nature  des  motifs  que  l'on  a  cru  devoir  alléguer  pour 
justifier  cette  conclusion. 

«  On  lit  tout  d'abord  dans  le  mémoire,  que  «  la  France  a  ac- 
quitté loyalement  les  charges  qu'elle  avait  acceptées  dans  le  traité 
de  Miramar,  » 

«  On  ajoute  «  qu'elle  n'a  reçu  que  bien  incomplètement  du 
Mexique  k'S  compensations  équivalentes  qui  lui  étaient  promises.  » 

«  Il  importe  de  fixer  son  attention  sur  ce  point.  Le  traité  de 
Miramar  conférait  l'autorité  de  commandant  en  chef  de  l'armée 
mexicaine  au  commandant  du  corps  expéditionnaire,  et  l'investis- 
sait ainsi  du  pouvoir  et,  par  conséquent,  de  l'obligation  de  pacifier 
le  pays.  La  raison  refuse  d'admettre  que  le  gouvernement  de  S.  M. 
l'empereur  ÎSapoléon,  qui  déclare  encore  aujourd'hui  que  son  ap- 
pui était  acquis  pour  la  fondation  d'un  gouvernement  régulier  et 


(1)  Dans  une  de  ses  visites,  l'Impératrice  lui  aurait  dit  avec  vivacité  :  Eh  bien  f 
nous  abdiquerons.  —  Abdiquez  I  répondit  froidement  l'Empereur.  L'Impératrice 
comprit  alors  que  tout  espoir  était  perdu. 

<2)  Le  texte  on  est  donne  dans  l'ouvrage  intitule  :  L'Intervention  française 
au  Mexique.  —  In-8»,  Paris,  Amyot,  1868.  —  L'auteur  anonyme,  M.  Léonce 
Détroyat,  lieutenant  de  vaisseau,  avait  été  attaché  au  cabinet  de  l'empereur 
Maximilien  et  avait  accompagné  l'impératrice  Charlotte  dans  son  voyage. 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  587 

fort  au  Mexique,  la  raison  et  l'équité  refusent  d'admettre,  qu'il  4866. 

crût  qu'un  gouvernement  pouvait  devenir  régulier   et  fort  au  — 

Mexique,  c'est-à-dire  acquitter  ses  charges  réciproques,  sans  que 
la  pacification  fût  effectuée.  Sans  la  paix,  en  effet,  il  est  bien  clair 
qu'on  ne  peut  espérer  ni  budget  en  équilibre,  ni  augmentation  des 
ressources  financières. 

«  Les  fonds  provenant  des  deux  emprunts  ont  été  engloutis  en 
grande  partie  dans  cette  guerre  civile,  et  il  faut  en  imputer  les  consé- 
quences au  commandant  en  chef  de  l'armée  franco-mexicaine  qui, 
par  son  inaction  d'une  année,  a  fini,  il  faut  le  dire,  par  laisser  les 
dissidents  se  rendre  maîtres  aujourd'hui  de  plus  de  la  moitié  du  pays. 

«  Personne  n'ignore  qu'au  Mexique  les  douanes  maritimes  sont 
l'élément  le  plus  productif  des  recettes.  Or,  ces  douanes  sont  rui- 
nées, depuis  un  an,  par  suite  de  l'interruption  des  communications 
avec  les  marchés  de  l'intérieur,  et  ces  communications  sont  occu- 
pées par  les  dissidents.  En  ce  moment  même,  les  douanes  de  Ma- 
tamoros,  Minatitlan,  Tabasco,  La  Paz,  Huatulco,  sont  aux  mains 
des  ennemis  de  l'Empire.  Celles  de  Tampico,  Tuxpan,  Guaymas, 
Mazatlan,  Acapulco,  sont  improductives,  car  ces  ports  sont  étroite- 
ment bloqués  par  les  juaristes,  et  les  commerçants  désespérés  sont 
réduits  à  s'expatrier.  Peut-on  raisonnablement  obtenir  l'équilibre 
des  recettes  et  des  dépenses  quand,  à  mesure  que  la  guerre  civile 
se  prolonge,  les  ressources  diminuent  ?  Le  gouvernement,  réduit  à 
la  seule  douane  de  Vera-Cruz,  peut-il  faire  face  aux  lourdes 
charges  que  lui  assigne  le  traité  de  Miramar?  Ce  serait  faire  injure 
à  l'esprit  d'équité  du  gouvernement  français  et  douter  de  sa  bonne 
foi  que  de  le  supposer;  car,  sur  un  budget  derecettesde  dix-neuf 
millions  de  piastres  <'),  on  sait  que  les  douanes  maritimes  doivent 
fournir  onze  millions. 

«  Oui,  sans  doute,  par  la  convention  de  Miramar,  le  Mexique 
s'est  engagé  à  payer  l'entretien  du  corps  expéditionnaire,   ses 

<ï)  Résumé  des  recettes  nettes  de  l'empire  mexicain  pendant  l'année  1865  : 

DOUANES   MARITIMES.  Piastres. 

Du  golfe 7,632,005  73 

Du  Pacifique 2,988,786  61 

DOUANES    DE    l'iNTÉRIEUR. 

Droits  sur  la  consommation  (  alcabalas  )  ,  papier  timbré, 

péages,  diverses  branches 6,941,960  24 

Contributions  directes 1,538,382  62 


Total 19,101. i.3o  20 

La  douane  de  Vera-Cruz  entre  dans  ce  total  pour  la  sommede     4,878,733  46 


388  II'    PARTIE.  •—  CHAPITRE   V. 

^866.         frais  de  guerre  et  d'occupation,  mais  il  n'entendait  nullement 
•~  que  cette  occupation  fût  seulement  du  tiers  ou  de  la  moitié  du 

pays,  et  il  ne  pouvait  pas  prévoir  que  les  seuls  transports  de  guerre 
à  la  suite  des  colonnes  qui  ont  quatorze  fois  occupé,  puis  évacué  le 
Michoacan,  cinq  fois  Monterey,  deux  fois  Chihuahua,  se  monte- 
raient à  seize  millions  de  francs  !  Le  gouvernement  impérial  mexi- 
cain ne  pouvait  pas  prévoir,  et  il  n'aurait  pu  admettre,  qu'au  bout 
de  trois  ans  dune  guerre  ruineuse,  le  commandant  en  chef  de  l'ar- 
mée franco-mexicaine,  forte  de  cinquante  mille  hommes,  n'aurait 
pas  encore  réduit  à  l'obéissance  les  riches  provinces  de  Guerrero, 
de  Tabasco,  de  Chiapas,  oii  pas  un  soldat  français  n'a  paru.  Il  ne 
pouvait  pas  supposer  surtout  qu'après  ces  trois  années  de  guerre, 
grâce  à  l'inaction  du  commandant  en  chef  ou  à  ses  dispositions, 
tous  les  vastes  Etats  du  Nord  seraient  retombés  sous  le  joug  des  jua-- 
Vistes.  Il  suffit  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  la  carte  pour  se  con- 
vaincre de  cette  déplorable  situation  militaire,  et  de  l'injustice  no- 
toire qu'il  y  a  à  reprocher  au  gouvernement  impérial  mexicain  de 
n'avoir  pas  suffi  aux  exigences  du  traité  de  Miramar.  Le  comman- 
dant en  chef  a  privé  ce  gouvernement  de  ses  ressources  les  plus 
indispensables,  en  n'achevant  pas  l'œuvre  de  la  guerre.  C'est  un 
fait  que  nous  devons  constater,  parce  qu'il  n'a  pas  dépendu  de  nous 
d'en  supprimer  les  conséquences. 

t  Lors  de  la  fin  de  la  guerre  civile  aux  Etats-Unis,  l'empereur 
Maximilien  pensa  qu'il  était  de  son  devoir  de  rappeler  sérieuse- 
ment au  commandant  en  chef,  la  nécessité  de  déployer  la  plus 
grande  activité  pour  terminer  la  pacification.  Le  maréchal  est  resté 
sourd  à  toutes  ces  exhortations,  et  il  a  abandonné  des  provinces 
entières,  pour  retirer  ses  troupes  qui  restèrent  pendant  de  longs 
mois  dans  une  inaction  fatale.  Le  10  novembre  1865,  l'Empereur 
lui  écrivait  :  «  Je  reçois  des  nouvelles  de  Monterey  qui  me  font  con. 
naître  les  graves  inconvénients  qu'entraîne  l'évacuation  de  cette 
place  importante  par  les  troupes  françaises.  En  général,  je  crois 
qu'il  faut  éviter  d'abandonner  ces  grandes  villes  du  Nord  qui,  d'a- 
bord occupées,  puis  laissées  à  elle-mêmes,  sont  tombées  de  nou- 
veau entre  les  mains  dé  nos  ennemis;  ces  alternatives  ont  le  grave 
danger  de  faire  perdre  confiance  aux  habitants,  et  de  mettre  sous 
les  yeux  de  nos  voisins  des  scènes  fâcheuses  qui  peuvent  tromper 
l'opinion  aux  Etats-Unis.  Il  me  paraît  d'autant  plus  nécessaire  de 
faire  réoccuper  Monterey  par  les  troupes  françaises,  que,  de  là, 
elles  peuvent  porter  aide  et  secours  au  brave  général  Mejia,  dont  la 
position  ne  laisse  pas  d'être  difficile  à  Matamoros.  » 

«  Le  4  décembre  de  la  même  année,  Sa  Majesté  insistait  de  nou- 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  o89 

veau  sur  cette  question  :   -  Je  viens  de  recevoir,  écrivait-elle,  les  4866. 

nouvelles  les  plus  fâcheuses  du  Sinaloa  et  du  département  de  Ma-  ~ 

zatlan.  Les  populations  de  ces  contrées  ne  peuvent  se  rendre 
compte  du  motif  qui  fait  partir  les  troupes  françaises  avant  que 
des  corps  mexicains,  bien  organisés,  puissent  les  remplacer.  Elles 
voient  avec  terreur  Corona  rentrer  d'un  seul  coup  en  possession  de 
tout  le  pays  soumis  ;  leur  confiance  est  donc  profondément  ébran- 
lée, et  cette  fatale  mesure  nous  fait  perdre  dans  l'esprit  public 
plus  qa'une  défaite  éclatante,  car  elle  semble  indiquer  que  le  gou- 
vernement, lui-même,  n'a  pas  foi  dans  l'avenir,  r 

«  Dans  une  lettre,  en  date  du  17  décembre  i86o,  l'Empereur  si- 
gnalait au  maréchal  l'urgence  d'occuper  le  port  de  la  Paz,  capi- 
tale de  la  basse  Californie,  pour  empêcher  que  cette  importante 
Péninsule,  qui  ferme  le  golfe  ou  mer  de  Gortès,  ne  fût  envahie 
par  les  flibustiers  américains,  et  afin  de  l'enlever  aux  dissidents. 
Le  commandant  en  chef  écrivit  aussitôt  : 

«  Je  m'empresse  de  répondre  à  la  lettre  que  Votre  Majesté  m'a 
adressée,  à  la  date  de  ce  jour,  au  sujet  de  la  contre-révolution  qui 
vient  d'éclater  à  la  Paz,  capitale  de  la  basse  Californie.  Aussitôt 
que  ces  faits  sont  parvenus  à  ma  connaissance,  j'ai  donné  l'ordre 
à  l'amiral  Mazères,  qui  commande  la  division  navale  sur  la  côte  du 
Pacifique,  de  prendre  une  compagnie  française  à  Mazatlan  et  de  se 
rendre  à  la  Paz  pour  y  rétablir  l'ordre.  i>  La  compagnie  française 
n'a  jamais  paru  à  la  Paz,  et  la  basse  Californie  reste  toujours  au 
pouvoir  des  ennemis  de  l'Empire. 

«  Le  maréchal  a  lui-même  reconnu  la  vérité  de  ces  faits, 
puisque,  en  janvier  1866,  il  a  annoncé  que  l'inaction  de  ses  troupes 
allait  cesser  et  que  «  bientôt  l'Empereur  verrait  que  ce  n'était  pas 
«  la  question  militaire  qui  devait  le  préoccuper  le  plus  s .  La  réalité 
est  venue  malheureusement  démontrer  que  cette  promesse  solen- 
nelle resterait  à  l'état  de  lettre  morte. 

«  A  différentes  reprises,  le  commandant  en  chef  a  prétendu  ex- 
pUquer  les  résultats  déplorables  de  son  attitude,  en  se  plaignant 
de  quelques  autorités  infidèles.  Ce  reproche  a  trouvé  un  écho  dans 
le  mémoire.  Cependant  il  sera  facile  de  faire  voir  son  peu  de  fon- 
dement. Le  2  décembre  1865,  l'Empereur  demandait  au  maréchal 
des  notes  sur  tous  les  fonctionnaires  mexicains;  le  G  janvier  1866, 
'  il  lui  écrivait  :  »  J'attends  de  vous,  par  le  retour  de  ce  courrier, 
les  noms  des  autorités  qui  vous  paraissent  déloyales  et  qu'il  faut 
révoquer,  car  je  veux  mettre  à  votre  disposition  tous  les  moyens 
qui  sont  en  mon  pouvoir.  Je  remplacerai  ces  autorités  par  celles 
qui  auront  votre  confiance.  Vous  insistez  sur  le  paiement  régulier 


?i90  11°   PARTIE.   —  CHAPITRE   V. 

(866,  des  troupes;  à  ce  sujet,  il  faut  remarquer  que  mon  gouvernement  a 

"~  fait  tout  ce  qui  était  possible  ;  il  a  été  jusqu'à  laisser  de  côté  les  amé- 

liorations les  plus  nécessaires  dans  les  services  civils,  pour  consa- 
crer exclusivement  toutes  ses  ressources  à  l'armée.  C'est  l'armée  qui 
absorbe  seule  toutes  les  rentes  de  l'État,  et  il  suffit  de  jeter  un  coup 
d'œil  sur  les  comptes  du  ministère  d'Hacienda  pour  s'en  assurer.  » 

«  Le  10  janvier,  le  commandant  en  chef  désigna  trois  fonction- 
naires et  le  ministère  comme  n'ayant  pas  sa  confiance.  L'Empereur 
lui  fit  part,  deux  jours  après,  de  sa  décision  :  «  En  attendant  que 
le  travail  complet  que  vous  me  promettez  me  soit  parvenu,  disait 
Sa  Majesté,  je  porte  à  votre  connaissance  que  les  trois  personnes 
que  vous  citez  ont  été  relevées  de  leur  emploi.  »  Le  5  mars  suivant, 
le  ministère  fut  changé  f 

ï  On  a  reproché  également  au  gouvernement  impérial  mexicain 
de  n'avoir  pas  marché  exclusivement  avec  un  certain  parti  et  d'a- 
voir tenté  une  œuvre  de  conciliation.  Mais  ignore-t-on  que  c'est  là 
la  politique  conseillée  au  début  par  les  généraux  français  eux- 
mêmes?  Le  général  Gastagny  écrivait  au  maréchal,  le  30  août 
1864  :  «  Les  populations  de  la  frontière  du  Nord  sont  énergiques, 
laborieuses, industrielles  et  libérales.  Elles  accepteront  l'Empire  sans 
difficulté,  pourvu  qu'on  ne  froisse  pas  trop  durement  leurs  convic- 
tions. »  Le  maréchal  disait  lui-même  à  Sa  Majesté,  dans  une  commu- 
nication en  date  du  29  décembre  1864:  «Les  tendances  cléricales  du 
général  Mejia  et  du  général  Lopez,  et  l'esprit  généralement  libéral  de 
toute  la  population  du  Nuevo-Leon  et  du  Tamaulipas  réclament  des 
fonctionnaires  éclairés  et  qui  puissent,  par  leur  influence,  contre- 
balancer, sinon  dominer  celle  des  commandants  militaires  sus- 
nommés. i>  On  voit  donc  que  les  conseils,  ou  les  insinuations  des 
chefs  de  l'armée  française  les  plus  autorisés  par  leur  position, 
montrent  que  l'Empereur  a  eu,  dans  sa  ligne  de  conduite  politique, 
des  complices  en  dehors  de  son  entourage  personnel,  dont  on  lui  a 
fait  si  souvent  un  reproche. 

«  Parmi  les  autres  griefs  que  l'on  s'est  cru  en  droit  d'adresser 
au  gouvernement  impérial  mexicain,  il  en  est  un  d'une  nature  plus 
grave.  On  a  dit  et  on  répète  :  Les  finances  du  Mexique  sont  en  dé- 
sarroi; le  système  sur  lequel  elles  sont  basées  est  défectueux;  les 
hauts  fonctionnaires  et  les  employés  chargés  de  la  gestion  des  inté- 
rêts du  trésor  sont  incapables  ou  improbes.  Loin  de  faire  un  effort 
•pour  remédier  au  mal,  l'Empereur  a  fermé  l'oreille  aux  meilleurs 
conseils,  et  a  systématiquement  éloigné  de  lui  les  Français  qui  au- 
raient pu  lui  prêter  un  concours  utile. 

«  Voilà  l'accusation. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  o9l 

«  Voici  les  faits  : 

d  Si  la  situation  financière  est  mauvaise,  quand  a-t-elle  été 
bonne?  Ce  n'est  certes  pas  lors  de  l'inauguration  de  l'Empire,  car 
M.  Budin,  commissaire  extraordinaire  des  finances,  écrivait  au  nou- 
veau souverain,  h  la  date  du  11  juin  1864:  i  Les  ressources  ont 
été,  dès  le  début,  fort  restreintes,  elles  le  sont  encore.  Les  agents 
du  gouvernement  précédent  emportent,  en  fuyant  devant  l'inter- 
vention, les  archives  et  les  rôles  des  bureaux  financiers  ;  ils  créent 
ainsi  de  sérieux  embarras  à  l'administration  installée  par  le  géné- 
ral en  chef.  Les  mêmes  choses  se  passent  d'ailleurs  de  la  même 
manière  dans  l'intérieur  ;  avant  de  faire  des  recettes,  les  agents 
nouveaux  sont  obligés  d'en  créer  les  titres.  » 

«  Avait-on  du  moins  jeté  les  bases  d'un  plan  financier  qui  pût 
développer  les  ressources  ?  Non;  on  avait  vécu  au  jour  le  jour.  En 
présence  d'un  pareil  état  de  choses,  la  surprise  de  l'empereur 
Maximilien  avait  été  extrême,  et  il  s'en  expliqua  franchement  à 
l'honorable  M.  Fould  :  «  En  arrivant  au  Mexique,  lui  écrivait-il, 
le  9  août  1864,  j'ai  cru  que  l'intervention  française  aurait  tout  pré- 
paré pour  me  mettre  à  même  d'apprécier  la  véritable  situation 
financière,  et  qu'il  ne  me  resterait  qu'à  décréter  les  moyens  d'y 
faire  face  et  d'appliquer,  avec  la  coopération  intelligente  des  fonc- 
tionnaires de  votre  département  mis  h  ma  disposition,  le  système 
financier  français  modifié  suivant  les  exigences  du  pays.  Malheu- 
reusement, il  n'en  est  pas  ainsi.  Tout  est  à  faire.  » 

«  Quelques  semaines  se  passèrent  en  tâtonnements.  Enfin, 
M.  Gorta,  député  au  Corps  législatif,  vint  au  Mexique.  Sa  droiture, 
son  esprit  de  conciliation,  sa  profonde  entente  des  affaires,  persua- 
dèrent à  l'Empereur  qu'il  avait  trouvé  l'homme  qu'il  cherchait  pour 
améliorer  les  finances  du  pays.  Il  écrivit  donc  à  M.  le  duc  de 
Morny,  le  9  août  1864  :  «  M.  Corta  me  donne  en  toute  circonstance 
des  preuves  de  ses  hautes  qualités  administratives  et  financières. 
Il  a  su  gagner  les  sympathies  des  Mexicains;  sa  coopération  m'est 
donc  nécessaire. 

«  J'aurais  voulu  lui  confier  immédiatement  la  direction  ofticielle 
du  ministère  des  finances;  mais  j'ai  rencontré,  chez  cet  honorable 
député,  une  résistance  fondée  sur  la  position  qu'il  occupe  dans  le 
parlement  français.  La  solidarité  qui  existe  entre  nos  deux  gou- 
vernements me  fait  penser  que  cette  incompatibilité  n'existe  pas. 
LU  mission  confiée  à  M.  Corta  ne  sera  terminée  que  quand  il  pourra 
assurer  h  ses  collègues  que  le  pays  off"re,  avec  les  ressources  néces- 
saires, des  garanties  d'une  organisation  financière  capable  d'en 
assurer  la  réalisation,  » 


592  II*   PARTIE.  CHAPITRE   V. 

4866.  «  Est-ce  là  le  langage  d'un  homme  qui  s'aveugle  de  parti  pris? 

—  Après  la  rentrée  en  France  de  l'honorable  M.  Corta,  M.  Bonnefons 

vint  prendre  la  direction  de  la  mission  financière  française.  L'Em- 
pereur lui  offrit,  comme  à  son  prédécesseur,  le  portefeuille  des 
finances.  Si  M.  Bonnefons  crut  devoir  en  décliner  l'acceptation, 
son  refus  est  là  du  moins  pour  témoigner  des  loyales  intentions  de 
Sa  Majesté.  Nous  le  transcrivons  :  «  Je  suis  profondément  touché 
de  la  confiance  que  m'a  témoignée  Votre  Majesté,  sans  me  con- 
naître. Mais  je  la  supplie  de  me  permettre  de  lui  dire ,  avec  une 
respectueuse  déférence ,  que  je  ne  puis,  dans  mon  ignorance  si 
complète  des  hommes  et  des  choses  de  ce  pays,  accepter  les  offres 
si  flatteuses  qu'Elle  a  daigné  me  faire.  » 

ï  L'Empereur  ne  se  découragea  pas,  et,  sur  sa  demande,  M.  le 
conseiller  d'Etat  Langlais  se  rendit  au  Mexique.  Ses  vues  furent 
de  suite  les  siennes,  et,  le  30  septembre  1865,  un  décret  impérial 
investit  M.  Langlais  d'attributions  supérieures  à  celles  des  mi- 
nistres, et  presque  dictatoriales.  Toutes  les  dépenses  furent  sou- 
mises à  son  examen,  et  dès  qu'il  eut  présenté  son  plan  de  réformes, 
il  fut  adopté  sans  'aucune  modification,  et  consacré  par  les  lois  et 
décrets  insérés  au  journal  officiel  du  12  février  1866. 

«  Enfin,  après  l'irréparable  perte  de  cet  homme  d'Etat  émi- 
nent.  Sa  Majesté  ne  désespéra  pas  et  demanda  à  Paris  un  succes- 
seur à  M.  Langlais.  Cette  demande  est  restée  sans  résultat. 

«  Tel  est  l'exposé  succinct  et  vrai  de  la  conduite  tenue  envers  les 
agents  financiers  et  les  hommes  d'Etat  que  la  France  a  envoyés  au 
Mexique.  Nous  ajouterons  ici  une  réflexion. 

«  Ce  n'est  pas  tout  que  d'avoir  un  bon  financier  dans  ses  con- 
seils; il  faut  encore  que  des  perturbations  violentes  ne  viennent 
pas  à  chaque  pas  le  contrecarrer  et  détruire  ses  combinaisons.  Il 
ne  faut  pas  surtout  qu'une  guerre,  conduite  mollement  et  qui  traîne 
en  longueur,  vienne  à  chaque  instant  empêcher  l'équilibre  entre  les 
recettes  et  les  dépenses.  Le  12  janvier  1866,  l'Empereur  disait  au 
commandant  en  chef:  «  Quant  aux  besoins  des  troupes  nationales 
qui  se  trouvent  en  partie  dépourvues  de  vêtements  et  d'équipe- 
ments, personne  n'en  souffre  autant  que  moi,  moralement  et  phy- 
siquement; malheureusement,  cette  guerre  intérieure,  par  sa  du- 
rée, absorbe  tous  les  revenus  de  l'Etat  à  elle  seule.  Néanmoins,  je 
suis  résolu  à  faire  tous  les  sacrifices  pour  coopérer  à  sa  fin  si  im- 
patiemment attendue  par  l'opinion  publique  du  pays  et  de  la 
France,  et  je  viens  de  donner  l'ordre  d'acheter  des  armes  et  des 
vêlements  dans  la  limite  de  nos  ressources.  » 

a  On  impute  au  gouvernement  inipéi-ial   mexicain  de  n'avoir 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  593 

point  pressé  l'organisation  d'une  armée  nationale.  Mais  ignore-t-on  "^*^^- 

que  le  commandant  en  chef  était  chargé  de  la  former  et  investi  de 
tous  les  pouvoirs  nécessaires?  Enfin,  lorsque  son  abstention  fut 
évidente,  l'Empereur  lui  écrivit,  le  o  avril  I860,  qu'il  confiait  l'or- 
ganisation d'une  brigade  modèle  au  général  comte  de  Thun,  et 
qu'en  conséquence,  il  était  nécessaire  de  réunir  à  Puebla  les  élé- 
ments et  les  cadres  de  cette  troupe.  Ils  furent  réunis  en  effet, 
mais  ils  n'avaient  pas  encore  les  premiers  liens  de  leur  formation, 
que  le  commandant  en  chef  les  dispersait  dans  trois  directions 
différentes  pour  faire  face  aux  éventualités  de  la  guerre. 

«  Lorsque,  plus  tard,  M.  le  ministre  de  la  guerre  de  Sa  Majesté 
l'empereur  Napoléon  insista  auprès  du  commandant  en  chef,  pour 
qu'il  pourvût  à  une  organisation  des  troupes  du  pays  capable  de 
protéger  les  intérêts  français  après  le  départ  du  corps  expédition- 
naire, le  commandant  en  chef  se  détermina  à  entamer  cette  œuvre, 
et  il  en  instruisit  l'empereur  Maximilien,  qui  lui  donna,  de  nouveau, 
des  pouvoirs  illimités  pour  la  conduire  à  bonne  fin.  La  lettre  sui- 
vante du  maréchal,  datée  du  6  juin  1866,  en  est  un  témoignage 
irrécusable  :  «  J'ai  reçu,  disait-il,  la  lettre  que  Votre  Majesté  m'a 
adressée  le  3  de  ce  mois,  et  par  laquelle  elle  daigne  investir  d'une 
autorité  absolue,  pour  l'organisation  des  bataillons  de  caza- 
dores  de  Mexico  et  la  réorganisation  de  l'armée  mexicaine,  le 
général  chef  d'état-major  général  et  l'iniendant  en  chef  de  l'armée. 
J'ai  communiqué  à  M.  le  général  Osmont  et  à  M.  l'intendant  mili- 
taire Priant  les  intentions  de  Votre  Majesté.  J'aurai  l'honneur  de 
là  tenir  au  courant  des  résultats  ([ui  seront  progressivement  ob- 
tenus. » 

«  Les  officiers  généraux  désignés  ci-dessus  se  mirent  immédia- 
tement à  l'œuvre  avec  un  zèle  et  une  intelligence  qu'on  ne  saurait 
trop  louer.  Les  officiers  et  soldats  de  l'armée  française  répondirent 
à  leur  appel  avec  un  empressement  bien  propre  à  justifier  les  espé- 
rances qu'on  avait  conçues  de  la  formation  de  ces  nouveaux  corps. 
Déjà  un  certain  nombi'C  de  bataillons  de  cazadores  étaient  armés, 
habillés  et  équipés,  quand  arriva  la  fatale  nouvelle  du  retrait  du 
subside  que  le  maréchal  et  M.  le  ministre  de  France  avaient  ac- 
cordé provisoirement  comme  absolument  indispensable. 

«  Il  ne  faut  donc  pas  se  dissimuler  que  le  maintien  de  ce  sub- 
side, jusqu'à  la  fin  de  l'année  1867,  est  la  seule  garantie  pour  la 
constitution  de  cette  armée  mexicaine  qui,  de  l'aveu  de  tous  au 
Mexique,  est  la  seule  force  capable  de  protéger  les  intérêts,  aujour- 
d'hui gravement  menacés,  des  résidents  étrangers,  et  que  toute 
autre  solution  mettra  en  péril  non-seulement  les  intérêts,  mais 

38 


S94  11^  PARTIE,  CHAPITRE   V. 

<866.  encore  leur  existence  intimement  liée  au  salut  de  l'Empire  mexi- 

■"•  cain.  î 

Ce  mémoire  n'est  qu'un  long  réquisitoire  contre  le  ma- 
réchal Bazaine  ;  l'empereur  Maximilien  le  rendait  respon- 
sable de  tout.  Si  au  point  de  vue  spécial  des  intérêts  de 
l'Empire  mexicain,  quelques-uns  des  reproches  de  mollesse, 
d'inaction,  d'insouciance  adressés  au  commandant  en  chef 
étaient  justifiés,  on  doit  cependant  reconnaître  que  sa  con- 
duite militaire  reçut  toujours  l'approbation  du  gouverne- 
ment français  ;  les  lettres  du  ministre  de  la  guerre  en  font 
foi,  et  il  ne  fut  blâmé  que  pour  avoir  puisé  dans  les  caisses 
de  l'armée,  afin  de  venir  en  aide  au  gouvernement  mexi- 
cain. Les  relations  du  maréchal  avec  l'empereur  Maximi- 
lien n'avaient  pas  toujours  été  aussi  tendues  que  le  ferait 
supposer  la  lecture  de  ce  document. 

Naiurc  D'une  indécision  de  caractère  qui  amenait  de   conti- 

des  relations  n  x       i-    .•  i  i    ••        .     i  co 

entre  l'empereur  nucUes  coutradictions  daus  sa  conduite  et  dans  ses  aiiec- 
et  irmaréch;ii  tions ,  tantôt  l'empercur  Maximilien  se  laissait  aller  à 
des  penchants  naturellement  bienveillants,  et  donnait  au 
maréchal  des  preuves  de  sympathie;  parfois.,  au  con- 
traire, il  s'abandonnait  à  la  méfiance  que  lui  insinuaient 
quelques  personnes  de  son  entourage.  Des  observa- 
tions critiques,  souvent  aussi  d'imprudentes  plaisanteries 
qu'il  se  permettait  trop  facilement,  étaient  entendues  par 
des  gens  qui  les  colportaient  au  dehors;  l'écho  en  reve- 
nait aux  oreilles  du  maréchal,  son  amour-propre  était 
froissé  ;  il  en  résultait  de  l'aigreur.  Le  mariage  du  maré- 
chal, la  naissance  de  son  fils  que  les  souverains  avaient 
tenu  sur  les  fonts  baptismaux,  furent  l'occasion  de  rappro- 
chements momentanés,  puis  les  difficultés  revinrent.  Le 
maréchal  blâmait  les  choix  des  hommes  auxquels  étaient 


Bazaine. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  o95 

confiées  des  fonctions  publiques.  En  effet,   l'empereur         ^866. 
Maximilien,  qui  rêvait  d'être  un  prince  libéral,  démocra-  "" 

tique  même,  avait  toujours  manifesté  un  singulier  éloigne- 
ment  pour  les  monarchistes,  les  cléricaux,  les  cancrejos 
(écrevisses)  comme  l'Impératrice  les  appelait  plaisamment. 
Il  cherchait  à  attirer  à  lui  les  libéraux  qui  le  servaient  ma  l 
ouïe  trahissaient;  les  cléricaux  faisaient  de  l'opposition. 
Les  uns  et  les  autres  se  rencontraient  d'ailleurs  pour  atta- 
quer le  maréchal  en  toute  occasion;  celui-ci  ne  l'ignorait 
pas,  et  se  tenait  de  plus  en  plus  à  l'écart.  Lorsqu'il  fut 
question  du  rappel  de  l'armée,  les  récriminations  du  gou- 
vernement mexicain  augmentèrent  encore,  dans  le  but, 
prétendait  le  maréchal,  de  discréditer  le  rôle  des  Français. 
L'Empereur  aurait  dit  :  «  Nous  les  payons  assez  cher  pour 
ce  qu'ils  font;  »  il  se  plaignait  du  peu  de  concours  que 
lui  prêtait  l'armée  française,  son  commandant  en  chef  en 
'particulier;  il  trouvait  encore  que  la  conduite  arbitraire 
des  officiers,  commandants  territoriaux,  avait  fait  plus  de 
mal  que  de  bien  à  la  pacification  du  pays  (*).  Il  reprochait 
au  maréchal  d'avoir  concentré  ses  troupes,  au  lieu  de  les  em- 
ployer d'une  manière  efficace  contre  les  bandes  libérales. 

Le  maréchal,  de  son  côté,  disait  qu'on  n'arrivait  à  rien, 
parce  que  «  Maximilien  était  plus  Mexicain  que  les  Mexi- 


co) La  grande  dissémination  des  troupes  rendait  difiScile  la  surveillance  du 
commandement  supérieur  sur  les  chefs  de  poste  et  de  colonne.  Livrés  à  eux- 
mêmes,  maîtres  à  peu  près  absolus  de  leurs  décisions,  peu  habitués  à  cette  indé- 
pendance d'action  et  responsables  cependant  de  la  sécurité  des  troupes  sous  leurs 
ordres,  quelques  uns  ont  pu  se  laisser  aller  à  des  abus  d'autorité,  ou  à  des  actes 
de  sévérité  qu'excusaient  jusqu'cà  un  certain  point  les  difficultés  dont  ils  étaient 
entourés.  Il  en  a  été  et  il  en  sera  toujours  ainsi  dans  toutes  les  guerres.  Néan- 
moins, partout  où  sont  passées  les  troupes  françaises,  elles  ont  laissé  des 
sympathies,  et  il  n'est  pas  un  des  officiers  du  corps  expéditionnaire  du  Mexique 
qui,  de  son  côté,  ne  conserve  un  bon  souvenir  des  relations  personnelles  qu'il  a 
nouées  au  Mexique. 


596  11^  PARTIE.  —   CHAPITRE  V. 

ism.        cains,  plus  juariste  que  Jaarez,  qu'aucun  parti  n'avait  con- 
~  fiance  dans  sa  politique  versatile,  ni  dans  son  caractère, 

qui  était  celui  d'un  rêveur  allemande.  »  Des  plaintes  contre 
le  maréchal  furent  portées  au  gouvernement  français  : 
«  Certain  personnage,  attaché  à  l'empereur  Maximihen 
et  qui  se  trouve  dans  ce  moment  à  Paris,  répand  le  bruit 
que  vous  êtes  au  plus  mal  avec  l'Empereur,  que  vous  ne 
vous  présentez  presque  plus  au  palais  etc..  Qu'est-ce 
qu'il  y  a  de  vrai  dans  tout  cela  »  ?  lui  demandait  le  ministre 
de  la  guerre (^).  Sous  une  forme  toutefois  très-bienveillante, 
et  en  lui  annonçant  que  l'Empereur  lui  réserverait  en 
France  une  haute  position  qui  serait  la  digne  récompense 
des  services  rendus,  il  autorisait  le  maréchal  à  partir  avec 
la  première  colonne  de  rapatriement,  ou  môme  plus  tôt 
s'il  le  voulait,  et  lui  envoyait  une  lettre  de  service  pour 
remettre  le  commandement  au  général  Douay  dès  qu'il  le 
jugerait  opportun.  Le  maréchal  ne  profita  pas  de  cette  auto- 
risation qui  pouvait  bien  être  considérée  comme  une  invi- 
tation à  quitter  immédiatement  le  Mexique  ;  certaines  con- 
sidérations de  famille  et  d'intérêt  le  retenaient;  puis,  disait-il 
au  ministre  avec  quelque  raison,  le  général  Douay  était  en 
expédition  au  nord  de  San  Luis;  il  fallait  mènera  terme 
des  organisations  commencées  ;  un  départ  immédiat  ne 
lui  paraissait  ni  possible  ni  opportun.  11  était  du  reste,  à 
cette  époque ,  dans  une  phase  de  bons  rapports  avec 
l'Empereur  (^). 

(1)  Le  mariichal  au  ministre,  9  mars. 

(»)  Le  ministre  au  maréchal,  l"^  avril  1860. 

(S)  Le  maréchal  au  ministre,  28  mai. 

«  Mes  relations  avec  l'empereur  Maximilien  sont  toujours  très-amicales  de  la 
part  (le  Sa  Majesté  ;  de  mon  côté,  je  fais  tout  ce  que  je  puis  pour  veni»-  en  aide  à 

son  gouvernement L'Empereur  veut  éviter  de  paraître  suhir  l'influence  étran- 

î,'ôre,  c'est  pour  cela  qu'il  évite  la  fréquence  de  nos  entrevues ,  et  puis,  parce 
que  son  caracl'Te  assez  irrésolu  dans  les  affaires  le  porte  à  réfléchir  au  moins 


I 


LC    MARÉCHAL    BAZALNE.  ^97 

Sans  avoir  toujours  la  même  confiance  en  ravenir,  Tem-  iseo. 
pereur  Maximilien  avait  repris  quelque  espoir  depuis  le 
départ  de  l'Impératrice  ;  il  comptait  beaucoup  sur  le  résultat 
de  ses  démarches (^).  A  partir  de  cette  époque,  tous  ?es 
actes  paraissent  inspirés  par  l'intention  de  faire  retomber 
sur  la  France  le  poids  de  la  situation;  il  déclara  l'état  de 
siège  dans  les  départements  de  Tancitaro,  de  Tuxpan.  de 
Tulancingo,  et  dans  le  district  de  Zacatlan  ;  il  proposa  même 

'{uarantc-huit  heures  avant  de  prendre  un  parti  ;  les  audiences  ne  sont  que  des 
(^onvTsations  sans  conclusions. 

"  Il  arrive  aussi  que  Sa  Majesté'  s'exprime  très-légèrement  sur  tout  le  monde 
devant  lîes  indi\iilus  enchanti's  de  prendre  à  la  lettre  les  boutades  de  la  bouche 
impe'riale  ;  ainsi  Elle  me  disait  dernièrement  :  «  Mon  cher  maréchal,  vous  savez 
que  nous  sommes  deux  bons  amis,  quoi  qu'il  arrive,  et  si  vous  entendez  dire  des 
sornettes  .sur  mon  compte,  dites- le-moi  comme  je  vous  dirai  celles  qui  sont  dé- 
bitées sur  le  vôtre,  etc.  » 

«  Je  vais  au  palais  aussi  souvent  que  possible,  quand  l'Empereur  est  à  Mexico; 
mais,  ainsi  que  j'ai  eu  l'honneur  de  l'exprimer  à  Votre  Excellence.  Sa  Mnjesté 
n'aime  pas  être  surprise  par  des  questions  dont  la  solution  est  urgente  et  préfère 
toujours  les  traiter  par  écrit  après  mûre  réflexion,  et  cette  réflexion  donne  toujours 
une  tout  autre  portée  aux  affaires  résolues  en  principe  dans  une  conversation. 

"En  résumé,  je  ne  puis  faire,  sans  manquer  à  mes  devoirs  envers 

mon  souverain,  toutes  les  volontés  de  l'empereur  Maximilien  qui  peuvent  être 
contraires  aux  intérêts  de  notre  pays  et  de  l'armée  qui  m'est  confiée,  mais  je  ne 
me  pose  pas  en  pouvoir  dominateur  vis-à-vis  de  Sa  Majesté  pour  laquelle  j'ai 
dans  toutes  mes  relations  la  plus  grande  déférence  sans  alxliquer  la  responsabilité 
qui  m'incombe.  »  (Le  maréchal  au  mini>lre,  9  avril.) 

Le  commandant  Loysel,  qui  avait  été  chargé  par  l'empereur  Maximilien  de 
diriger  son  cabinet  militaire,  et  rentrait  à  Mexico  après  avoir  rempli  en  France 
une  mission  qu'il  lui  avait  conflée,  constatait  également  que  les  relations  entre 
l'Empereur  el  le  maréchal  étaient  aussi  bonnes  que  possible.  «  Leurs  Majestés  vont 
tenir  sur  les  fonts  baptismaux  l'enfant  qui  va  naître  ;  le  titre  de  duc  a  été  offert 
au  maréchal  ;  ce  sont  là  des  gages  d'une  entcn'e  cordiale  bien  nécessaire.  » 
(Lettre  du  20  mai.) 

Lui-même,  avec  le  plus  grand  tact,  faisait  servir  son  influence  personnelle 
au  maintien  de  bons  rapports  entre  le  souverain  et  le  maréchal  ;  il  avait  su  loya- 
lement concilier  ses  devoirs  d'ofDcicr  français  avec  les  obligations  que  lui  imposait 
sa  position  près  de  l'Empereur  du  Mexique. 

(*)  ':  Dans  doux  mois,  disait  l'Empereur  au  moment  du  départ  de  l'Iuipéralrice, 
le  maréchal  pourrait  bien  être  dans  une  position  plus  fâcheuse  que  moi.  » 


598  II®  PARTIE.  CHAPITRE  V. 

1866.  au  maréchal  de  l'étendre  à  tout  l'Empire,  afin  de  concentrer 
les  pouvoirs  dans  les  mains  de  l'autorité  militaire  fran- 
çaise (');  le  maréchal  eut  l'habileté  de  refuser. 

«  Pourquoi  déclarer  l'état  de  siège  ?  répondit-il  ;  l'état  de 
guerre  qui  existe  de  fait  donne  au  commandement  militaire 
et  aux  cours  martiales  toutes  les  facultés  dont  ils  peuvent 
avoir  besoin,  si  les  circonstances  l'exigent;  ii'est-il  pas 
plus  naturel  d'agir  que  d'édicter?  L'état  de  siège,  en  anni- 
hilant tous  les  éléments  nationaux  sur  lesquels  l'Empire 
pourrait  compter  encore,  deviendrait  la  source  d'un  vif 
mécontentement  qui  s'étendrait  de  l'Empereur  à  la  France 
elle-même,  dont  l'influence  ne  se  ferait  plus  sentir  que  par 
des  rigueurs  (^) .  » 

Il  n'y  avait  plus  rien  dans  le  trésor;  l'Empereur  accorda 
néanmoins  la  délégation  de  la  moitié  du  produit  de  toutes 
les  douanes  maritimes,  ainsi  que  la  note  du  31  mai  le  de- 
mandait. Peu  lui  importait  !  La  situation  n'en  serait  que 
plus  nette  ;  mais,  en  même  temps,  il  soUicitait  M.  de  Main- 
tenant de  prendre  le  portefeuille  des  finances  ;  sur  son  refus, 
il  s'adressait  à  M.  Priant,  intendant  en  chef  de  l'armée,  et 
l'amenait  à  y  consentir.  Puis  il  obtenait  du  général  Osmont, 
chef  d'état-major  général,  de  devenir  son  ministre  de  la 
guerre (^).  Il  dissimulait  avec  le  maréchal,  lui  écrivait  des 
lettres  fort  gracieuses  (*),  ne  lui  laissait  pas  soupçonner 
quelles  accusations  graves  l'Impératrice  portait  au  même 


(*)  L'empereur  Maximilien  au  maréchal,  2  août. 

'')  Le  maréchal  cà  l'empereur  Maximilien,  Peotillos,  10  août. 

(■')  L'empereur  Maximilien  avait  déjà  un  cabinet  militaire  qui,  du  consente- 
ment du  maréchal,  avait  été  organisé  par  le  commandant  Loysel,  et  était  alors 
dirigé  par  le  capitaine  Picrron.  Cette  organisation  finit  par  déplaire  au  maréchal. 
Cédant  à  un  sentiment  d'hostilité  contre  tous  ceux  qui  entouraient  l'Empereur, 
il  se  plaignait  parfois  injustement  de  l'influence  de  ce  cabinet. 

(*)  Le  maréchal  au  ministre.  6  juillet. 


LE   MARÉCHAL    BAZAINE.  599 

moment  contre  lui  ;  il  lui  annonçait  un  changement  de  «866. 
ministère  et  la  formation  d'un  nouveau  cabinet,  où  n'en- 
treraient que  des  partisans  de  l'alliance  française  ;  il  lui 
laissait  pleins  pouvoirs  pour  changer,  lorsqu'il  le  jugerait 
à  propos,  le  personnel  administratif  dans  les  provinces  qu'il 
parcourait.  Enfin,  il  obtenait,  presque  par  surprise,  son 
acquiescement  à  l'entrée  au  ministère  de  MM.  Osmont  et 
Priant,  avec  la  condition  qu'ils  continueraient  à  remplir 
leurs  fonctions  dans  le  corps  expédionnaireO. 

«  Mon  cher  maréchal,  écrivait  l'Empereur,  l'empereur  Napoléon 
m'a  écrit  à  différentes  reprises  qu'il  mettuit  à  ma  disposition 
les  officiers  et  fonctionnaires  français  dont  le  concours  me  serait 
utile,  c'est-à-dire  utile  à  l'œuvre  que  nous  avons  entreprise  en 
commun. 

«  Les  circonstances  actuelles  m'ont  paru  nécessiter  ce  concours 
pour  deux  motifs;  d'abord,  pour  mettre  au  grand  jour  ma  cons- 
tante résolution  de  marcher  d'accord  avec  la  France,  et  en  second 
lieu,  pour  déposer  dans  vos  mains  de  nouvelles  garanties  pour  ac- 
tiver la  pacification  du  pays. 

R  J'ai  donc  appelé  M.  le  général  Osmont  k  diriger  le  ministère 
de  la  guerre,  M.  l'intendant  Priant  à  diriger  celui  des  finances;  ces 
deux  officiers  généraux  m'ont  demandé  d'obtenir  préalablement 
votre  assentiment.  Je  le  leur  ai  garanti  sur  la  foi  de  la  parole  de 
l'empereur  Napoléon,  convaincu  qu'en  confiant  la  direction  de  ces 
services  fondamentaux  à  des  officiers  généraux  qui  ont  voire  entière 
confiance,  je  ne  pouvais  que  répondre  à  ses  vues  et  étendre  votre 
pouvoir.  MM.  Osmont  et  Priant  resteront  d'ailleurs,  comme  vous  le 
désirez,  à  la  tète  de  leurs  services  respectifs  dans  le  corps  expédi- 
tionnaire. 

«  Vous  acquerrez  ainsi  de  nouveau  la  certitude  que  vos  combi- 
naisons militaires  auront  tout  l'ensemble  possible,  et  que  les  res- 
sources du  pays  seront  consacrées,  comme  par  le  passé  d'ailleurs, 
H  l'entretien  des  troupes  et  aux  frais  de  gutn-re. 

<•)  L'empereur  Maximilien  nu  maréclial,  2o  juilleU 


600  II®  PARTIE.  —  CHAPITRE    V. 

I86ii.             «  Les  membres  des  ministères  actuels  sortent,  à  1' (exception  de 
~           M.  Salazar-Ilaregui,  dont  le  dévouement  à  l'alliance  française  ne 
fait  l'objet  d'un  doute  pour  personne » 


Le  maréchal  répondit  «  qu'il  ne  pouvait  qu'obtempérer 
à  ces  désirs  »,  tout  en  faisant  observer  que,  les  nouvelles 
fonctions  confiées  à  MM.  Osmont  et  Friant  ne  lui  parais- 
sant pas  compatibles  avec  celles  qu'ils  occupaient  dans 
l'armée  française,  on  aurait  à  obtenir  à  ce  sujet  l'agrément 
de  l'empereur  Napoléon.  Ainsi,  au  moment  où  la  France 
voulait  dégager  son  action  au  Mexique,  l'intendant  en  chef 
et  le  chef  d'état-major  général  du  corps  expéditionnaire 
devenaient,  l'un,  ministre  des  finances ,  l'autre,  ministre 
de  la  guerre  de  l'Empire  mexicain  ;  et,  comme  ils  restaient, 
quant  à  leurs  fonctions  spéciales,  subordonnés  au  maré- 
chal, celui-ci  allait  être,  s'il  n'y  prenait  garde,  conduit 
par  une  pente  insensible  à  endosser  la  responsabilité  en- 
tière d'une  situation  désespérée.  L'empereur  Maximilien 
pouvait  s'effacer,  peut-être  disparaître  tout  à  coup  en  allant 
s'embarquer  sur  un  navire  autrichien,  et  le  commandant 
en  chef  du  corps  expéditionnaire  se  trouverait  en  face 
d'un  gouvernement  représenté  par  son  propre  chef  d'élat- 
major  et  l'intendant  de  son  armée  ;  il  était  fort  imprudent 
de  s'^engager  dans  cette  voie.  Tandis  qu'il  écrivait  la  lettre 
approbative  que  nous  venons  de  rapporter,  le  maréchal  té- 
moignait son  mécontentement  dans  sa  correspondance  avec 
le  ministre  de  la  guerre  ;  c'était,  disait-il,  seulement  dans 
un  intérêt  de  conciliation  et  pour  ne  pas  paraître  malveil- 
lant à  l'égard  de  l'empereur  Maximilien,  qu'il  avait  donné 
son  consentement  à  MM.  Osmont  et  Friant  ;  il  s'était  vu 
forcé  de  sanctionner  une  chose  faite  et  décidée  à  son  insu  ; 
mais  il  était  «  très-froissé  »  de  l'attitude  prise  à  son  égard 


LE    MARÉCHAL   BAZALNE.  601 

et  de  ce  qu'il  appelait  «  un  pronunciamiento  préparé  en  se-         i^^e. 
cret  »  ('). 

Non-seulement  l'empereur  Napoléon  n'autorisa  pas  ces 
officiers  à  rester  au  ministère  mexicain,  mais  ils  reçurent 
un  blâme  sévère  qui  fut  inséré  au  Moniteur  officM  (^)  ;  d'ail- 
leurs, avant  que  ce  blâme  fût  connu  au  jMexique,  le  maréchal 
les  avait  déjà  invités  à  résilier  leurs  fonctions  de  ministres. 

<')  Le  maréchal  au  ministre,  4  août,  27  août. 

M.  Priant  informait  le  ministre  de  la  guerre,  à  Paris,  de  la  position  qu'il  avait 
acceptée  par  la  lettre  suivante,  datée  du  29  juillet  : 

«  L'empereur  Maximilien  m'a  nommé  son  ministre  des  finances.  En  acceptant 
cette  lourde  tâche,  je  n'ai  pas  consulté  mes  forces,  je  n'ai  consulté  que  mon  dé- 
vouement pour  notre  grand  Empereur.  Mon  point  de  départ  est  le  vide  le  plus  ah- 
solu  dans  les  caisses  publiques,  des  dettes  énormes  à  payer,  le  désordre  partout. 

«  Dominerons-nous  la  situation  ?  J'en  ai  l'espoir,  je  reste  toujours  intendant  de 
l'armée  et  je  n'ai  accepté  qu'à  cette  condition.  J'ai  l'iionneur  de  prier  Vo'rc 
Excellence  de  me  faire  connaître  si  elle  approuve.  » 

Le  général  Osmonl  exposait  avec  plus  de  d^^tails  les  considérations  par  lesquelles 
il  s'était  décidé  ;  il  avait  eu  en  vue  <-  l'intérêt  de  la  France,  de  l'œuvre  entre- 
prise par  l'empereur  Napoléon  et  n'avait  pas  hésité Au  Mexique  toute 

force  émanant  du  maréchal  Bazaine,  on  ne  pouvait  rien  faire  sans  lui.  .  .  il 
n'était  possible  d'avoir  une  autorité  réelle  qu'en  s'appuyant  sur  lui  ;  le  maréchal 
étant  le  grand  chef  et  l'organisateur  de  l'armée  mexicaine,  le  ministre  de  1 1 
guerre  avait  à  prendre  sans  cesse  ses  instructions;  aussi  ces  fonctions,  disait-il, 
n'étaient  nullement  incompatibles  avec  celles  de  chef  d'rtat-major  de  l'armée  fran- 
çai.se  qu'il  voulait  avant  tout  conserver. 

«  Le  maréchal  l'avait  engagé  à  accepter  et  lui  avait  promis  de  le  soutenir  ; 
le  ministre  de  France  n'y  avait  pas  fait  opposition.  »  (Le  général  Osmont  au 
ministre,  26  juillet.) 

<2)  Moniteur  officiel  du  14  septembre  1860. 

L'entrée  de  M.  le  général  Osmont  et  de  M.  l'intendant  Friant  au  ministère 
mexicain  produisit  un  fort  mauvais  effet  aux  Etats-Unis  :  «  Le  président  croit 
nécessaire  de  faire  connaître  à  l'Empereur  des  Français  que  la  nomination  à  des 
fonctions  administratives  desdits  officiers  du  corps  expéditionnaire  par  le  prince 
Maximilien,  est  de  nature  à  porter  atteinte  aux  bonnes  relations  entre  les  Etats- 
Unis  et  la  France,  parce  que  le  congres  et  le  peuple  des  Etats-Unis  pourront 
voir  dans  ce  fait  un  indice  incompatible  avec  l'arrangement  conclu  pour  le  rappel 
du  corps  expéditionnaire  français  du  Mexique.  )>  (M.  Seward  à  M.  de  Montholon, 
10  août  1866.) 


602  11'  PARTIE,  CHAPITRE    V. 

i866.  Le  30  juillet,  quatre  jours  après  l'entrée  au  ministère  de 

ConveniioD      MM.  Osmont  et  Priant,   l'empereur  Maximilien   sisrna  la 

.lu  30  juillet  (').  .  ,       1       ■  •      T     • 

convention  nouvelle  clestmée  à  remplacer  les  stipulations 
financières  du  traité  de  Miramiir,  et  qui  faisait  l'objet  de 
la  note  du  31  mai.  D'après  cette  convention,  le  gouverne- 
ment français  recevait  une  délégation  de  la  moitié  de  toutes 
les  receltes  des  douanes  maritimes  de  TEmpire.  Les  droits 
sur  les  exportations  par  les  ports  du  Pacifique  étant  déjà 
aliénés  pour  les  trois  quarts,  la  délégation  sur  ces  douanes 
se  trouvait  réduite  au  quart  disponible.  Comme  garantie, 
les  douanes  de  Tampico  et  de  Vera-Cruz  seraient  gérées 
par  des  agents  du  gouvernement  français ,  et  le  produit 
entier,  à  l'exception  des  délégations  déjà  reconnues,  devait 
être  affecté  au  paiement  de  la  dette  française.  Les  situa- 
tions des  douanes  des  autres  porfs  seraient  visées  par  le 
consul  français. 

Cette  délégation  servirait  : 

l''  Au  paiement  des  intérêts  et  à  l'amortissement  des 
obligations  des  deux  emprunts  mexicains; 

^^  Au  paiement  des  intérêts  à  3  7o  de  la  somme  de  216 
millions,  dette  reconnue  vis-à-vis  de  la  France  par  le  traité 
de  Miramar,  et  des  dettes  contractées  depuis  par  le  gou- 
vernement mexicain  vis-à-vis  le  trésor  français.  Le  chiffre 
total  à  fixer  ultérieurement  d'une  façon  précise  était  éva- 
lué approximativement  à  250  millions. 

Cette  convention  devait  être  mise  en  vigueur  après  sa  rati- 
fication par  l'empereur  Napoléon,  et  à  l'époque  qu'il  fixerait. 

L'heure  était  passée  où  le  gouvernement  français  cher- 
chait à  aider  l'Empire  mexicain  et  lui  envoyait  ses  fonc- 

")  Voir  à  l'apiiiTHlico  le  lexlc  de  l;i  convonlion. 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  603 

tionnaires  pour  relever  et  organiser  ses  finances;  il  semble-         4866. 
rait,  au  contraire,  qu'en  prévision  d'une  chute  prochaine, 
on  se  préoccupât  seulement  de  diminuer  le  chiffre  énorme 
des  dépenses  occasionnées  à  la  France  par  l'expédition  du 
Mexique. 


CHAPITRE   SIXIÈME. 


SOMMAIRE. 

Le  mar-iclial  Bazainc  Iransporle  son  quarlier  général  à  San  Luis  (juillet  1866). 
—  Evacuation  de  Monterey  (26  juillet).  —  Combat  de  la  Noria  de  Custodio 
(8  août).  —  Mouvement  de  concentration  sur  Durango.  —  Capitulation  de 
Tampico  (  7  août).  —  Mesures  prises  pendant  le  ministère  de  MM.  Priant  et 
Osmont.  —  Opérations  dans  le  Michoacan  et  l'Etal  d'Oajaca.  —  On  arrête 
l'embarquement.  —  Mission  du  général  Castelnau.  —  Projet  d'abdication  de 
l'empereur  Maximilien  ;  il  part  pour  Orizaba.  —  Disposition  des  Américains; 
mission  Campbell  et  Sliennan.  —  Conférences  d'Orizaba.  —  L"empereur  Maxi- 
milieu  se  décide  à  rester  au  Mexique. 

Alarmé  par  les  événements  des  provinces  du  Nord-Est  et     Lemaréciud 
par  l'importance  que  la  capitulation  de  Matamoros  venait    uanspo'rte'^soii 
de  donner  aux  progrès  des   troupes  libérales,  désireux    '"^sTn  uûT^ 
d'ailleurs  d'échapper  aux  ennuis  que  lui  causaient  les  ré- 
clamations et  les  plaintes  du  gouvernement  mexicain,  le 
maréchal  Bazaine  transporta  son  quartier  général  à  San 
LuisPotosi,  afin  déjuger  par  lui-même  de  la  gravité  de  la 
situation  et  se  tenir  à  portée  de  prêter  secours  aux  colonnes 
françaises  engagées  dans  cette  partie  du  pays.  11  se  fit  ac- 
compagner par  une  brigade  mixte  sous  les  ordres  du  colo- 
nel du  Preuil,  composée  de  deux  escadrons  de  chasseurs 
d'Afrique,  du  3*  zouaves,  et  d'une  batterie  d'artillerie. 


606  II*  PARTIE.  CHAPITRE    VI. 

<866.  Parti  de  Mexico  le  2  juillet,  il  rejoignit  cette  colonne  à 
San  Luis  de  la  Paz  et  arriva  le  10  à  San  Luis.  Les  nou- 
velles qu'il  reçut  l'engagèrent  à  continuer  son  mouvement 
vers  le  nord  ;  il  dépassa  Matehuala,  visita  le  Cedral,  et, 
contournant  le  massif  de  Gatorce,  il  s'arrêta  à  l'hacienda  de 
las  Bocas,  le  4  août. 

Les  guérillas  d'Aureliano  Rivera  et  d'Armenta  se  tenaient 
toujours  dans  la  région  de  Tula  et  de  Rio  Verde,  mettant 
à  contribution  les  riches  districts  de  Peotillos,  de  Guadal- 
cazar,  de  San  Isidro,  etc.  La  route  entre  San  Luis  et  Mon- 
terey -était  complètement  coupée  ;  pour  porter  une  dépêche 
au  général  Douay,'il  avait  fallu  envoyer  un  escadron  entier. 

Cette  situation  décida  le  maréchal  à  faire  évacuer  Mon- 
terey  par  les  troupes  françaises,  projet  arrêté  depuis  long- 
temps et  ajourné  seulement  par  suite  de  l'impossibilité 
d'y  laisser  des  Belges  ou  des  Mexicains.  Les  forces  libérales, 
considéix\blement  accrues,  menaçaient  sérieusement  cette 
place  ;  sa  garnison  eût  été  exposée  à  subir  un  jour  ou  l'autre 
une  capitulation  désastreuse  comme  celle  de  Matamoros. 
Les  Belges  refusaient  d'ailleurs  d'y  rester  ;  l'évacuation 
définitive  fut  donc  résolue.  De  grandes  plaines  désertes, 
arides,  s'étendent  entre  San  Luis  et  Monterey;  pendant 
une  partie  de  l'année,  le  manque  d'eau  ne  permet  pas  à 
une  troupe  d'y  vivre;  le  maréchal  se  proposait  d'abandon- 
ner tout  le  nord  du  Mexique  et  de  reconstituer  plus  en  ar- 
rière sur  la  ligne  Durango,  Matehuala,  Tampico,  une  nou- 
velle frontière  plus' facile  à  défendre. 

Evacuniioi.  Le  coloncl  Jeauniugros,  commandant  à  Monterey,  lit 

'(26juiiiet7  sauter  un  bastion  de  la  citadelle,  enleva  le  matériel,  et  la 
dernière  colonne  française  partit  le  20  juillet  ;  aucun  inci- 
dent ne  troubla  l'évacuation.  Le  général  Douay  s'était  porté 


LE    5IARÉCHAL    BAZAINE.  607 

en  avant  de  Saltillo  pour  faciliter  cette  opération  et  empê-  -is^J- 
cher  l'ennemi  d'insulter  la  retraite.  De  nombreuses  familles 
abandonnèrent  cette  malheureuse  ville,  jadis  florissante, 
maintenant  ruinée  ;  cependant  l'ennemi  la  réoccupa  sans 
se  porter  aux  excès  qu'on  redoutait  ;  Escobedo  consentit 
même,  moyennant  un  arrangement  pécuniaire,  à  rendre  au 
commerce  la  plus  grande  partie  du  convoi  capturé  à  Ca- 
margo.  Du  reste,  pour  ramener  la  prospérité  dans  le  pays, 
le  rétabhssement  des  communications  entre  Matamores  et 
Monterey  devait  être  beaucoup  plus  efficace  que  la  pré- 
sence d'une  garnison  impérialiste. 

Saltillo  fut  évacué  le  5  août  ;  les  colonnes  se  replièrent 
lentement  jusqu'à  Matehuala ,  l'ennemi  les  suivait  à  trop 
grande  distance  pour  qu'il  fût  possible  de  l'atteindre  par 
un  retour  offensif.  Cependant,  le  14  août,  cinq  cents  cava- 
liers s'étant  avancés  jusqu'au  Cedral,  un  petit  détachement 
français  sortit  rapidement  de  Matehuala,  les  surprit  pen- 
dant la  nuit  et  leur  tua  une  cinquantaine  d'hommes. 

Le  maréchal,  après  avoir  donné  les  ordres  d'ensemble, 
revint  à  petites  journées  vers  San  Luis.  Le  6  août,  il  était 
à  l'hacienda  de  Peotillos  ;  la  marche  d'un  corps  ennemi 
ayant  été  signalée,  de  Rio  Verde  vers  Paso  San  Antonio, 
il  fit  partir  deux  colonnes  sous  les  ordres  du  colonel  du 
Preuil,  l'une  composée  de  deux  escadrons  de  chasseurs 
d'Afrique  et  de  deux  compagnies  de  zouaves  montés,  l'autre 
de  cinq  compagnies  de  zouaves  et  de  deux  pièces. 

Le  8  août,  à  9  heures  du  matin,  après  une  marche  de        combat 


delà 


nuit,  les  chasseurs  d'Afrique  débouchèrent  à  l'improvists  NmadeCustodio 
dans  la  plaine  de  Custodio,  à  quatre  kilomètres  de  l'ha- 
cienda ;  ils  arrivèrent  au  galop  dans  les  enclos  sans  laisser 
à  l'ennemi  le  temps  de  se  reconnaître,  et  sabrèrent  tout  ce 
qui  se  trouva  devant  eux.  Cent  quatre-vingt-cinq  hommes 


608  n^  PARTIE.  CHAl'ITRE  VI. 

.i«66.        furent  tués,  le  reste  s'enfuit  en  désordre  en  abandonnant 
deux  cents  chevaux. 

Le  colonel  du  Preuil  étant  revenu  à  Peotillos,  le  11 
août,  le  maréchal  partit  deux  jours  après  pour  rentrer  à 
Mexico.  Il  prescrivit  de  faire  occuper  Matehuala  par  le  ré- 
giment belge  et  de  replier  plus  en  arrière  les  troupes  fran- 
çaises. Cet  ordre  parvint  au  général  Douay  lorsque  les 
Belges  étaient  déjà  arrivés  au  Venado  ;  il  voulut  les  faire 
rétroo-rader,  mais  dix-huit  officiers  et  deux  médecins  refu- 
sèrent  d'exécuter  ce  mouvement  et  quittèrent  leur  troupe. 
On  fut  donc  obligé  de  laisser  à  Matehuala  le  bataillon 
d'infanterie  légère  d'Afrique  et  les  contingents  mexicains 
de  Quiroga  et  de  Campos  qui,  ne  recevant  plus  de  solde 
depuis  longtemps,  étaient  entretenus  à  l'aide  de  contribu- 
tions de  guerre.  Matehuala  se  trouva  bientôt  menacé  par 
un  corps  de  quatorze  cents  hommes  qui  formait  l'avant- 
garde  d'Escobedo. 

Revenant  encore  à  ses  premières  idées ,  le  maréchal 
pensa  en  faire  renforcer  la  garnison  par  le  régiment  belge  ; 
mais  le  lieutenant-colonel  Van  der  Smissen  ne  consentit 
pas  à  se  mettre  sous  les  ordres  d'un  chef  de  bataillon  fran- 
çais ;  le  plus  ancien  capitaine,  à  qui  le  commandement  fut 
offert,  refusa  de  môme  (')  ;  on  pouvait  craindre  des  compli- 
cations graves,  si  l'on  venait  à  introduire  dans  cette  troupe 
des  ofliciers  français  ;  aussi,  sur  le  désir  exprimé  par  l'em- 
pereur Maximilien,  le  régiment  belge  fut  renvoyé  à  Que- 
retaro. 

D'ailleurs,  la  désunion  s'élant  mise  entre  les  libéraux, 
la  position  de  Matehuala  fut  moins  exposée.  Cinq  cents 
hommes  s'étaient  prononcés,  disait-on,  en  faveur  d'Ortega, 

(I)  Le  g.hicral  Douay  au  maréclial,  15  août. 


LE   MARÉCHAL    BAZAINE.  609 

les   mouvements   de    l'ennemi  perdirent  de  leur  assu-        'I^gg, 
rance.  Le  général  Douay  resta  au  Venado,  à  portée  de 
secourir  Matehuala  ;  la  légion  étrangère,  qui  devait  être 
réorganisée,  continua  son  mouvement  rétrograde  jusqu'à 
Queretaro. 

Le  maréchal  avait  prévenu  le  général  de  Gastagny  des  ,  Mouvement 

^  ^  °    "^  de   concenlralioii 

dispositions  nouvelles  du  gouvernement  français  et  de  la  sur  Durango. 
nécessité  de  se  préparer  à  une  concentration  immédiate,  si 
l'empereur  Maximilien  refusait  d'accepter  les  conditions 
qui  devaient  lui  être  posées,  O'j  progressive,  si  l'évacuation 
avait  lieu  à  moins  bref  délai.  Dans  tous  les  cas,  la  ligne  de 
Rio  de  Nazas  devait  être  abandonnée.  A  la  fin  de  juillet, 
les  troupes,  qui  se  trouvaient  encore  au  nord  de  Durango, 
se  replièrent  donc  sur  cette  place  ;  le  général  de  Gastagny 
en  partit  lui-même  le  5  août  et  transporta  son  quartier 
général  à  Léon.  Il  ne  fut  laissé  à  Durango  qu'un  bataillon 
(lu  7^  de  ligne,  un  escadron,  urxC  section  d'artillerie,  et  le 
bataillon  de  cazadores  de  Durango,  sous  les  ordres  du 
colonel  Gottret  (^). 

Tandis  que  le  général  de  Gastagny  se  repliait  en  éche- 
lonnant ses  troupes  à  Zacatecas,  à  Aguascalientes  et  à  Léon, 
le  colonel  Gottret  faisait  quelques  sorties  pour  empêcher  les 
libéraux  de  serrer  Durango  de  trop  près.  Le  6  septembre, 
un  corps  ennemi  fut  surpris  à  Porfias  et  perdit  quarante- 
cinq  tués  et  alitant  de  blessés. 

Durango  était  bien  armé,  bien  fortifié,  et  la  garnison 
française  pouvait  s'y  maintenir  sans  inquiétude;  mais  les 
bandes  libérales  occupaient  tous  les  environs,  Inde,  El 

(')  Ce  bataillon  de  cazadores  était  un  des  mieux  organisés  du  Mexique  ,  grâce  au 
concours  des  habitants  de  cette  grande  ville,  qui  n'avaient  jamais  hésite  à  s'impose^ 
los  sacriûces  nécessaires  pour  solder  et  entretenir  les  troupes  chargées  de  les  protéger. 

39 


610  11^  PARTIE.  CHAPITRE    VI. 

t866,         Oro,  San  Juan  del  Rio,  Cuencamé,  Porfias,  San  Miguel  et 
"*  San  Juan  Mesquital,  Nieves,  Carrizal.  Au  même  moment, 

des  incursions  d'Indiens  Apaches  avaient  lieu  jusque  dans 
la  sierra  voisine,  et  il  fallut  lancer  les  gardes  rurales  à  leur 
poursuite.  Vers  la  fin  de  septembre,  les  guérillas,  dont  les 
chefs  avaient  été  en  dissentiment,  se  réunirent  de  nouveau 
au  nombre  de  4  à  5,000  hommes,  dans  les  environs  de  San 
Juan  Mesquital,  et  tentèrent  de  couper  les  communica- 
tions entre  Durango  et  Fresnillo.  Le  colonel  Cottret  s'op- 
posa à  leur  projet  en  se  portant  à  Sombrerete  ;  puis  il  revint 
à  Durango  le  18  octobre,  pour  faire  ses  préparatifs  de  dé- 
part. Les  troupes  françaises  quittèrent  cette  ville  le  13  no- 
vembre ;  trois  jours  après,  la  garnison  mexicaine  se  repliait 
ésralement.  Les  libéraux  en  prirent  possession,  le  17,  et  lui 
imposèrent  une  contribution  de  guerre  de  deux  cent  mille 
piastres. 

Le  i26  août,  le  maréchal  Bazaine  était  revenu  à  Mexico, 
où  la  gravité  des  circonstances  rendait  sa  présence  néces- 
saire. Les  mouvements  de  retraite  des  troupes  françaises 
augmentaient  l'audace  de  l'ennemi  ;  chaque  jour  était  mar- 
qué par  la  perte  d'une  ville ,  et  l'empereur  Maximilien  ne 
dissimulait  pas  son  irritation. 

caviiuiaiion         Tampico  Venait  également  de  capituler.  Depuis  la  prise 

.le Tampico  ^  ^  ,,  »        T-  t.- 

(7aoûi).  de  Tula  de  Tamaulipas  par  les  troupes  d  Aureliano  Rivera 
(7  juin  1866),  la  garnison  de  Tampico  avait  été  bloquée  du 
côté  de  la  terre.  Toutes  les  routes  de  l'intérieur  étant  cou- 
pées, on  avait  dû  se  borner  à  la  défense  de  l'enceinte  et  à 
l'occupation  de  quelques  postes  avancés.  L'insurrection  de 
la  Huasteca,  des  soulèvements  qui  éclatèrent  à  Ozuluoma 
et  à  Tantima,  la  destruction  de  Panuco  (2  juillet)   ache- 


LE   MARÉCHAL   BAZAINE.  611 

vèrent  de  l'isoler  complètement.  La  garnison  se  composait  \sm. 
d'une  compagnie  de  contre-guérilla  de  deux  cents  hommes, 
commandée  par  le  capitaine  Langlois,  et  de  cinq  cents 
Mexicains.  Le  l*^""  août,  la  place  fut  attaquée  par  2,500 
hommes,  sous  les  ordres  du  général  Pavon  ;  presque  aussi- 
tôt les  Mexicains,  qui  gardaient  le  fort  Iturbide ,  tirent 
défection  ;  le  fort  fut  livré,  la  ville  envahie,  et  dix  hommes 
de  la  contre-guérilla  furent  tués.  Les  désertions  continuè- 
rent dans  les  troupes  auxiUaires  ;  le  4  août,  il  ne  restait 
que  cent  vingt  Mexicains  fidèles,  enfermés  avec  la  contre- 
guérilla  dans  le  fort  de  Gasamata  et  dans  la  caserne  de 
rOctavo  ;  les  défenseurs  repoussèrent  les  sommations  de 
l'ennemi.  Le  7  août,  ils  furent  secourus  par  deux  canon- 
nières de  l'escadre  française  ;  mais,  s'étant  rendu  compte 
de  la  position  désespérée  de  la  garnison,  qui  manquait  de 
vivres  et  de  munitions,  impuissant  à  lui  porter  un  secours 
efficace,  l'officier,  commandant  les  canonnières,  donna 
l'ordre  à  M.  Langlois  d'accepter  la  capitulation,  que  le  gé- 
néral Pavon  offrait  aussi  honorable  que  possible.  La  gar- 
nison sortit  Ubrement  avec  armes  et  bagages,  deux  obusiers 
de  12,  et  reçut  les  honneurs  militaires  de  la  troupe  enne- 
mie. Le  général  Pavon  montra  une  grande  courtoisie  dans 
cette  négociation  et  ménagea  la  ville.  Le  consul  de  France 
put  rester  sans  être  inquiété,  et  le  commerce  n'eut  qu'à 
se  féliciter  de  cette  solution  qui,  en  rouvrant  les  commu- 
nications avec  l'intérieur,  lui  offrait  la  perspective  de  gros 
bénéfices.  Seul,  le  préfet  politique  de  Tampico  avait  été 
victime  d'une  vengeance  particulière,  et  pendu,  sans  que 
le  général  Pavon  en  eût  connaissance,  avant  la  capitulation 
du  fort  Gasamata.  Les  pertes  de  la  contre-guérilla  s'éle- 
vaient à  treize  tués  et  six  blessés. 

La  prise  de  Tampico  eut  un  retentissement  plus  fâcheux 


612  11^  PARTIE.  —  CHAPITRE  VI. 

4866.  encore  que  celle  de  Malamoros.  L'empereur  Maximiîien 
voulait  que  le  maréchal  reprît  immédiatement  la  ville. 
Dans  son  mécontentement,  il  regardait  ce  nouveau  mal- 
heur comme  la  conséquence  des  mesures  de  concentra- 
tion ordonnées  dans  le  Nord  ;  il  en  écrivit  très-durement 
au  maréchal. 

Chapultepcc,  4  août  1868. 

«  Mon  cher  maréchal,  la  prise  de  la  ville  de  Tampico  par  les  dis- 
sidents, révacuation  de  Monterey  par  vos  ordres,  m'apprennent 
que  les  résultats  de  votre  campagne  dans  le  Nord  auront  pour  mon 
pays  les  plus  graves  conséquences. 

«  Je  désire  donc,  h  titre  de  souverain,  être  instruit  du  plan  que 
vous  vous  proposez  de  suivre  dans  vos  opérations,  afin  que  je  tente 
de  sauver,  s'il  est  possible,  les  adhérents  à  l'Empire  dans  les  pro- 
vinces non  pacifiées  que  vous  voulez  abandonner;  mon  honneur 
exige  que  je  n'oublie  pas  ce  soin. 

«  Sans  la  connaissance  de  la  ligne  de  conduite  que  vous  avez 
adoptée,  je  suis,  comme  vous  le  comprendrez  aisément,  dans  l'im- 
possibilité de  prévenir  au  moins  les  malheureux  fonctionnaires  qui 
se  sont  sacrifiés  pour  notre  cause. 

«  Pvecevez  les  assurances  de  ma  bienveillance. 

«  Maximilien.  » 

Le  maréchal  répondit  de  Peotillos  le  12  août  : 

«  En  associant  le  fait  de  la  prise  de  Tampico  par  les  dissi- 
dents à  l'évacuation  de  Monterey  par  mes  ordres.  Votre  Majesté 
semble  vouloir  m'imputer  la  responsabilité  de  ces  deux  faits.  Je 
croyais  avoir  suffisamment  exposé  à  Votre  Majesté,  par  mes  deux 
lettres  du  11  et  du  20  juillet,  la  situation  du  Nuevo-Leon  et  du  Goa- 
huila,  pour  que  la  nécessité  de  l'évacuation  de  Monterey  après  la  des- 
truction des  troupes  du  général  Mejia  et  la  capitulation  de  Mata- 
moros,  dans  les  conditions  morales  où  se  trouvait  la  légion  belge, 
fût  reconnue,  non-seulement  au  point  de  vue  politique,  mais  sur- 
tout au  point  de  vue  militaire 


LE   MARÉCHAL   BAZAINE.  613 

«  Quant  à  la  prise  de  Tampico  par  les  dissidents,  j'aurai  l'hon-  1866. 
neur  de  rappeler  respectueusement  à  l'Empereur,  qu'avant  d'en-  — 
treprendre  ce  qu'il  veut  bien  appeler  ma  campagne  dans  le  Nord, 
au  moment  oii  les  débris  des  troupes  du  général  Mejia  arrivaient  à 
Vera-Gruz,  j'ai  demandé  l'envoi  à  Tampico  de  M.  le  général  Olvera 
avec  ce  qui  restait  de  sa  brigade.  Les  instances  du  général  Mejia 
auront  vraisemblablement  fait  modifier  la  première  décision  de 
Votre  Majesté  qui  était  favorable  au  mouvement  projeté,  car  la  bri- 
gade Olvera  ne  s'est  point  rendue  à  Tampico Le  général  Mejia 

se  plaignait  que  ses  soldats  fussent  exposés  au  danger  de  la  fièvre 
jaune  à  Tampico.  Un  faible  détachement  de  la  contre-guérilla,  le 
seul  dont  je  pusse  disposer,  fut  alors  embarqué  à  Vera-Gruz  sans 
compter  avec  les  rigueurs  du  climat,  qui  nous  a  coûté  un  bataillon 
l'année  dernière. 

Votre  Majesté  m'exprime  le  désir  d'être  instruit  du  plan  que  je 
me  propose  de  suivre  dans  mes  opérations;  si  Votre  Majesté  eût 
daigné  me  recevoir  lorsque,  la  veille  de  mon  départ  de  Mexico,  je 
sollicitai  l'honneur  de  prendre  congé  d'EUe,  je  lui  eusse  exposé 
mes  projets,  qui  consistaient  simplement  à  reconnaître  de  mes 
propres  yeux  l'effet  produit  dans  le  nord  de  l'Empire  par  les  événe- 
ments de  Matamores,  à  m'assurer  de  l'exactitude  des  rapports  qui 
m'étaient  adressés  sur  le  peu  de  confiance  que  Ton  devait  avoir 
dans  les  principaux  fonctionnaires,  et  sur  l'esprit  généralement 
hostile  des  populations  de  ces  contrées. 

«  C'est  après  avoir  constaté  toutes  ces  vérités,  etbeaucoup  d'autres 
encore,  que,  m'appuyant  sur  les  rapports  des  généraux  Douay  et 
Jeanningros,  j'ai  reconnu  l'impossibilité  de  conserver  pour  le  mo- 
ment des  points  avancés  qui  ne  pouvaient  être  qu'une  source  de 
dangers  et  de  dépenses  continuelles. 

J'ai  pris,  en  en  rendant  compte  à  Votre  Majesté,  le  parti  que  je 
persiste  à  croire  sage,  d'ordonner  l'évacuation  de  Monterey  et  de 
Saltillo,  afin  d'établir  en  arrière  une  ligne  forte,  facile  à  garder,  et 
séparée  de  la  première  par  un  véritable  désert  où,  alliés  comme 
ennemis,  ne  peuvent  compter  sur  aucune  ressource.  Mon  opinion 
était,  et  est  encore,  qu'il  est  préférable  de  développer  son  influence 
dans  l'intérieur  en  concentrant  ses  moyens  d'action  dans  une  zone 
déterminée,  que  de  s'user  aux  extrémités  soumises  aux  influences 
de  la  frontière. 

«  Votre  Majesté  provoque  des  explications,  je  les  lui  donnerai 
sincères. 

«  L'abandon  absolu  dans  lequel  les  anciens  ministres  de  l'Em- 
pire ont  laissé  le  général  Mejia  h  Matamoros  a  détermine  la  capitu- 


614  II*   PARTIE.  CHAPITRE  VI. 

4866.  latioii  de  cette  place;  la  triste  situation  qui  est  faite  au  général 
—  Monténégro  à  Acapulco,  malgré  mes  nombreuses  réclamations,mal- 
gré  les  promesses  toujours  faites  et  jamais  tenues,  entraînera,  je 
n'en  cloute  pas,  un  jour  ou  l'autre  ou  la  défection  de  cette  troupe 
qui  a  donné  des  preuves  réelles  d'abnégation  et  de  dévouement  ou 
la  capitulation  de  la  place  » 


Le  maréchal  prévenait  ensuite  l'Empereur  qu'il  serait 
forcé  de  retirer  prochainement  les  garnisons  françaises  de 
Guaymas  et  de  Mazatlan. 

En  France,  la  perte  de  Tampico  parut  particulièrement 
regrettable,  parce  que,  d'après  la  convention  du  30  juillet, 
les  douanes  de  ce  port  devaient  servir  de  garantie  aux 
créances  françaises.  L'ordre  fut  donné  au  maréchal  de  faire 
tout  son  possible  pour  réoccuper  la  ville  ,  mais  il  fallait 
opérer  un  débarquement  de  vive  force  en  présence  de 
troupes  plus  solides  que  celles  auxquelles  on  avait  eu 
affaire  précédemment,  et  dans  cette  saison  le  passage  de  la 
barre  et  les  tempêtes  du  Norte  rendaient  une  pareille  opéra- 
tion très-dangereuse.  Le  maréchal  pensait  avec  raison  que 
les  résultats  de  cette  réoccupation  seraient  peu  importants; 
l'ennemi  bloquerait  îa  ville;  le  commerce  serait  suspendu 
et  le  revenu  des  douanes  nul.  Enfin  ce  projet  d'expédition, 
retardé  de  jour  en  jour,  finit  par  être  abandonné  en  présence 
des  graves  complications  au  milieu  desquelles  l'armée 
française  exécutait  sa  retraite. 

La  capitulation  de  Tuxpan  suivit  de  près  celle  de  Tam- 
pico. Le  20  septembre,  la  garnison  en  fut  ramenée  à  Vera- 
Cruz  par  un  bâtiment  de  la  marine  française. 

Des  bandes  libérales  avaient  paru  dans  la  vallée  de 
Mexico  et  enlevé  des  courriers;  à  Mexico  même,  on  dé- 
couvrit des  menées  secrètes  contre  l'Empire  ;  des  arres- 
tations furent  faites,  et  dix-huit  personnes  déportées  au 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  GlO 

Yucatan  (16  juillet;;  l'archevêque  était  compromis;  on  si-  ■«seii, 
gnalait  de  nombreuses  désertions  dans  les  troupes.  Les 
partisans  de  Santa  Anna  se  remuaient  toujours  beaucoup  ; 
ils  paraissaient  au  mieux  avec  les  Américains.  Des  bâtiments 
de  guerre  venaient  sans  cesse  à  Saint-Thomas,  dont  les 
Etats-Unis  voulaient  faire  l'acquisition  ;  M.  Seward  lui- 
même  s'était  rendu  dans  l'île  ;  il  avait  vu  l'ancien  dicta- 
teur, et  la  visite  de  ce  dernier  à  bord  de  la  frégate  améri- 
caine avait  été  saluée  de  vingt  et  un  coups  de  canon  ('). 
L'empereur  Maximilien  finit  par  mettre  sous  séquestre  les 
biens  de  Santa  Anna  C^). 

Dans  l'Etat  de  Guanajuato,  jusqu'alors  si  paisible,  un 
pronunciamiento  avait  eu  lieu  ;  le  général  Antilion,  ancien 
lieutenant  de  Doblado,  y  organisait  des  guérillas.  Dans 
l'extrême  Ouest,  Lozada,  que  le  gouvernement  mexicain 
avait  toujours  traité  avec  quelque  dédain,  paraissait  com- 
plètement désaffectionné  et  prêt  à  abandonner  l'Empire. 
L'organisation  de  l'armée  mexicaine  ne  marchait  pas  ;  les 
expédients  employés  par  le  ministre  des  finances  permet- 
taient à  peine  de  vivre  au  jour  le  jour,  et  les  caisses  pu- 
bliques restaient  vides.  Sans  argent,  on  ne  pouvait  avoir 
de  soldats  ;  sans  soldats,  il  était  impossible  de  faire  rentrer 
les  impôts;  on  ne  sortait  pas  de  ce  cercle  vicieux.  Beaucoup 
de  fonctionnaires,  en  prévision  de  la  chute  de  l'Empire, 
cherchaient  à  ménager  leur  position  à  l'égard  des  libéraux  ; 
chacun  prenait  ses  précautions.  L'Empereur  était  seul  à 
espérer  un  résultat  favorable  du  voyage  de  l'impératrice 
Charlotte. 

M.  l'intendant  Priant,  le  nouveau  ministre  des  finances, 

(1)  Le  maréchal  au  ministre,  9  mai. 

(2)  Décret  dn  iii  juillet. 


616  II*   PARTIE.  CHAPITRE  VI. 

'866.        s'était  mis  à  l'œuvre;  il  avait  cherché  à  rétablir  l'ordre  et 
Mesures       à  simplifier  les  rouages  administratifs  de  façon  à  faire  arri-' 

prises  pendant  •  i  i  •  i  i- 

le  ministère     vcr,  lusQue  dans  Ics  caisscs  centrales,  les  revenus  publics, 

de  MM.  Priant  ''      ^  '  •        r. 

et  osmont.  trop  souvent  absorbés  avant  d'avoir  pu  y  parvenir.  Pour 
réussir,  il  demandait  parfois  aux  fonctionnaires  de  l'inten- 
dance une  collaboration  à  laquelle  les  services  financiers 
de  l'Empire  eussent  certainement  beaucoup  gagné;  mais 
l'administration  de  l'armée  française  allait  ainsi  se  superpo- 
sera l'administration  mexicaine,  et  le  maréchal  s'y  opposait. 
A  défaut  de  fonctionnaires  militaires,  et  au  grand  déplaisir 
du  maréchal,  M.  Priant  employa  des  Français  venus  au 
Mexique  pour  chercher  fortune  ;  le  maréchal  se  plaignait 
de  voir  «.  tant  de  noms  français  dans  l'administration  mexi- 
caine». Toutefois,  pour  remplir  le  trésor,  l'ordre  seul  ne 
suffisait  pas,  il  fallait  créer  des  revenus;  M.  Priant  s'efforça 
de  faire  rentrer  quelques  anciennes  créances  oubHées  ;  puis 
il  proposa  d'établir  un  impôt  de  15  p.  ^/o  sur  les  prix 
d'achat  de  toutes  les  anciennes  propriétés  ecclésiastiques, 
qu'elles  eussent  été  ou  non  régulièrement  adjugées.  Cette 
mesure,  contraire  aux  promesses  faites  par  le  maréchal 
Forey,  renouvelées  par  l'Empereur,  et  qui  assimilait  les 
propriétés  légalement  acquises  à  celles  frauduleusement 
possédées,  souleva  un  grand  mécontentement,  surtout  chez 
les  résidents  étrangers  entre  les  mains  desquels  se  trou- 
vaient une  grande  partie  de  ces  biens.  Les  représentants 
des  puissances  étrangères  s'en  émurent.  Des  protestations 
furent  adressées  au  ministre  de  France  et  au  maréchal,  et 
l'impôt  ne  put  jamais  être  perçu. 

Désireux  d'accroître  les  ressources  du  trésor,  M.  l'inten- 
dant Priant  chercha  d'autre  part  à  en  diminuer  les  charges  ; 
il  se  vit  bientôt  alors  en  présence  des  intérêts  français.  Il 
trouvait  injuste  de  faire  payer  sur  les  finances  mexicaines 


LE    MARÉCHAL    BAZALNE.  617 

des  sommes  réclamées  par  le  payeur  en  chef  de  l'armée 
pour  dépenses  relatives  aux  bataillons  de  cazadores  et  pour 
le  transport  des  dépêches  de  l'armée  française  ;  il  lui 
fut  dès  ce  moment  très-difficile  de  concilier  ses  fonctions 
d'intendant  en  chef  avec  celles  de  ministre  du  gouverne- 
ment mexicain.  En  outre,  comme  il  émettait  des  traites  sur 
les  douanes  de  Vera-Cruz ,  hypothéquées  en  faveur  de  la 
France  par  la  convention  du  30  juillet,  il  provoqua  des  ré- 
clamations de  M.  de  Maintenant,  inspecteur  général  des 
finances,  chef  des  services  financiers  français  O. 

Il  avait  été  également  impossible  au  général  Osmont, 
d'obtenir  quelque  résultat  important  au  sujet  de  la  réor- 
ganisation militaire.  Le  maréchal  se  montrait  mal  disposé 
à  son  égard.  Ses  attributions  complexes  comme  chef  d'état- 
major  et  ministre  de  la  guerre  mexicain  étaient  difficiles 
à  distinguer  ;  aussi  lui  était-il  arrivé  de  donner  des  ordres 
à  des  officiers  français  au  sujet  d'affaires  purement  mexi- 
caines. Le  maréchal,  en  étant  informé,  prescrivit  aux  offi- 
ciers de  ne  pas  s'y  conformer,  et  de  «  renvoyer,  sans  en 
accuser  réception,  toute  dépêche  émanée  du  ministère  de 
la  guerre  mexicain,  quelle  que  fût  la  signature  placée  au 
bas  C^)  » . 

Ces  tracasseries  de  détail,  dont  les  conséquences  pou- 
vaient devenir  graves,  ne  permettaient  pas  aux  officiers 
français  de  conserver  des  fonctions  dans  le  gouvernement 
mexicain.  D'ailleurs  l'empereur  Maximilien,  après  avoir 
cherché  en  vain  ses  appuis,  d'abord  auprès  du  parti  libéral, 
ensuite  près  du  parti  de  l'alliance  française,  se  jetait  main- 
tenant dans  les  bras  du  parti  clérical,  qu'il  avait  jusqu'alors 


(*)  M.  de  Maintenant  à  M.  l'intendant  Friant,  9  septembre. 
^2)  Le  maréchal  au  général  Douay,  6  septembre  186G. 


1866. 


618  11"  PARTIE.  CHAPITRE    VI. 

■iSGc.  tenu  éloigné  des  affaires.  Le  14  septembre,  il  forma  un 
nouveau  cabinet  sous  la  présidence  de  M.  Lares,  ami  et 
agent  de  l'archevêque  de  Mexico.  A  la  suite  de  cette  im- 
portante modification  politique,  une  grande  manifestation 
eut  lieu;  deux  cents  personnes  notables  se  rendirent  au 
palais  de  Chapultepec  pour  remercier  l'Empereur  et  lui 
donner  r'a>^surance  d'un  concours  dévoué  O.  Vers  cette 
époque,  l'abbé  Fischer,  envoyé  en  mission  à  Rome,  revenait 
avec  les  bases  d'un  concordat,  et  l'on  espérait  régler  la 
question  des  biens  ecclésiastiques  moyennant  un  paie- 
ment de  10  pour  cent  de  leur  valeur  au  clergé  dépos- 
sédé (•-). 

Comme  pour  indiquer  nettement  le  programme  qu'il  se 
proposait  de  suivre,  la  première  mesure  du  nouveau  ca- 
binet, mesure  de  détail,  mais  significative,  fut  d'enlever 
l'administration  des  cimetières  aux  ayuntamientos  et  de  la 
remettre  aux  mains  du  clergé. 

Le  maréchal  Bazaine  donna  l'ordre  aux  deux  ministres 
français  d'opter  d'une  manière  définitive  entre  leurs  porte- 
feuilles ou  leurs  emplois  dans  le  corps  expéditionnaire  ; 
malgré  les  instances  très-vives  de  l'Empereur  et  de  l'arche- 
vêque de  Mexico,  le  maréchal  ayant  maintenu  cette  déci- 
sion, ils  donnèrent  leur  démission  de  ministre  (^). 

Il  était  douteux  que  l'appui  des  conservateurs  cléricaux 
pût  relever  la  situation  désespérée  de  l'Empire.  Le  prestige 

(1)  Rapport  au  ministre,  20  septembre. 

(2)  Le  maréch  il  au  ministre,  27  septembre. 

<5)  «  Je  le  regrette,  écrivait  M.  l'intendant  Priant  au  ministre  de  la  guerre, 
à  Paris,  car  nous  no  pouvons  plus  espérer  le  remboursement,  qui  était  ma  prin- 
cipale préoccupation,  des  sommes  dues  à  votre  ministère. 

«  J'étais  d'autant  plus  fondé  à  avoir  celte  espérance  que,  sans  subvention, 
seulement  avec  l'impùl  dos  contributions  indirectes  et  dans  les  deux  mois  les  plus 
mauvais  de  l'année,  j'avais  pourvu  jus(|u':i  ce  jour  ;'i  tous  les  besoins  do  l'État.  » 
—  M.  l'intendant  Priant  au  ministre  de  la  guerre,  15  septembre. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  Gl9 

personnel  de  l'Empereur  paraissait  même  perdu;  beaucoup  ism 
d'hommes  influents  du  parti  fédéraliste ,  ralliés  momen- 
tanément, restaient  encore  inactifs;  mais  ils  déclaraient 
hautement  qu'aussitôt  l'armée  française  partie,  ils  soulè- 
veraient le  pays.  L'effectif  des  troupes  impériales  mexi- 
caines diminuait  chaque  jour,  tandis  que  les  bandes 
libérales,  partout  en  mouvement,  formaient  depuis  les 
terres  chaudes  de  Vera-Cruz  par  la  Huasteca,  le  Tamau- 
lipas,  la  Laguna,  et  la  Sierra  Morones  au  nord  ;  par  l'Etat 
d'Oajaca,  le  Guerrero,  et  le  Michoacan  au  sud,  un  cercle  de 
fer  qui  se  rétrécissait  chaque  jour  et  au  centre  duquel 
l'Empire  devait  inévitablement  périr  étouffé. 

Les  troupes  françaises  gardaient,  la  plupart  du  temps, 
un  rôle  passif  et  se  bornaient  à  faire  respecter  les  positions 
qu'elles  conservaient  encore  ;  cependant,  au  commence- 
ment de  l'année  1866,  avant  l'arrivée  des  instructions  qui 
ordonnaient  le  rapatriement  du  corps  expéditionnaire,  elles 
avaient  entrepris  quelques  expéditions  dans  le  Tamaulipas. 
II  en  avait  été  de  même  au  sud  de  la  province  de  Michoa- 
can, où  les  chefs  libéraux  étaient  non  moins  entreprenants. 


Le  combat  de  Santa  Ana  Amatlan  (12  octobre  1805),  à      Opérations 
la  suite  duquel  les  généraux  républicains  Arteaga  et  Salazar     le  Michoacan 
furent  passés  par  les  armes,  n'avait  été  qu'un  épisode  de    rRtat  d'Oajaca. 
l'interminable  campagne  qui  se  poursiùvait   dans   cette 
province.  Très-peu  de  temps  après.  Régules,  à  la  tête  de 
plusieurs  milliers  d'hommes,  était  entré  dans  les  districts 
d'Acambaro  et  de  Maravatio,  et  s'était  avancé  jusqu'à  Te- 
mascaltepec,  au  sud  de  Toluca  ("26  décembre  1865),  pour 
se  mettre  en  relations  avec  Porfirio  Diaz,  qui  opérait  dans 
l'État  d'Oajaca.  Il  revint  ensuite  dans  le  Michoacan  et  fit 
une  pointe  vers  la  Piedad . 


620  II*  PARTIE.  CHAPITRE  VI. 

<866,  Le  général  Aymard  se  trouvait  à  cetle  époque  du  côté 

de  Léon  avec  le  ^[^  de  ligne;  il  envoya  aussitôt  quatre 
compagnies  garder  les  passages  du  Rio  de  Lerma  à  la 
Piedad,  et  le  général  Mendez  (^),  s'étant  mis  à  la  poursuite 
de  l'ennemi,  l'atteignit  le  21  janvier  1866,  à  Tacambaro, 
et  le  28 ,  à  la  Palma.  Il  livra  un  sanglant  combat  à  un 
corps  de  2,500  hommes  et  lui  fit  sept  cents  prisonniers. 
Le  20  février,  il  rencontrait  de  nouveau,  près  d'Urua- 
pan,  l'ennemi  fort  de  trois  mille  hommes  et  l'attaquait 
avec  un  millier  de  fantassins  et  cinq  cents  cavahers.  Il 
eut  cent  cinquante  hommes  hors  de  combat  ;  les  libé- 
raux perdirent  (suivant  le  rapport  de  Mendezj  trois  cents 
prisonniers  et  deux  cents  morts  ;  ils  se  retirèrent  en 
bon  ordre  sur  Reyes  et  sur  Tacambaro,  après  avoir  laissé 
une  garnison  dans  Uruapan.  Régules  marcha  de  nou- 
veau sur  la  Piedad,  et  passa  le  Rio  de  Lerma  au  gué  de 
la  Concepcion  (11  mars);  à  l'approche  d'une  colonne 
française,  sous  les  ordres  du  général  Aymard,  il  rétro- 
grada rapidement;  néanmoins,  dans  la  nuit  du  17  au  18 
mars,  il  se  laissa  surprendre  à  Tenguecho  près  de  Zamora. 
Le  général  Aymard,  avec  cinq  compagnies  et  un  escadron, 
ayant  pu  dissimuler  son  mouvement,  tomba  sur  le  campe- 
ment ennemi,  enleva  neuf  cents  chevaux,  huit  cents  armes, 
trois  drapeaux.  Les  libéraux  s'enfuirent  dans  toutes  les 
directions  ;  ils  perdirent  vingt-sept  prisonniers  et  vingt- 
six  morts.  La  colonne  française  eut  seulement  deux  hommes 
blessés.  Le  général  Aymard,  après  avoir  ramené  ses  prises 
à  Zamora,  marcha  sur  Uruapan,  où  il  entra  sans  coup  fé- 
rir ;  il  y  laissa  provisoirement  une  garnison  française,  puis 
revint  à  petites  journées  sur  la  Piedad  et  sur  Lagos. 

(•)  Le  colonel  Mcndca  avait  clé  noniiné  général  à  la  suite  du  combat  de  Sanlu 
Ana  Amatlan. 


LE    MARÉCHAL    BAZALNE.  621 

Régules,  complètement  désorganisé,  s'enfonça  dans  le  isec. 
Sud  pour  s'y  refaire  ;  le  maréchal  prescrivit  au  général 
Mendez  de  continuer  la  poursuite  à  outrance  ;  il  le  fit  sou- 
tenir par  une  colonne,  sous  les  ordres  du  général  Clin- 
chant,  qui  se  porta  de  Queretaro  à  Patzcuaro,  et  par  le 
bataillon  de  tirailleurs  algériens  qui  fut  envoyé  de  Mexico 
sur  Zitacuaro  et  Tusantlan.  En  même  temps,  des  troupes 
mexicaines  devaient  garderMes  routes  de  l'Etat  de  Jalisco, 
vers  Zamora,  los  Reyes,  Tancitaro,  Goalcoman,  tandis  que, 
dans  le  Guerrero,  une  autre  colonne  s'avancerait  de  ïelo- 
loapan  sur  Huetamo. 

Le  général  Mendez,  parti  de  Morelia  le  8  avril,  se  porta 
sur  San  Pedro  Jorullo,  où  se  trouvait  Régules  avec  deux 
cents  officiers  et  quatre  cents  hommes.  Régules  se  replia 
sur  Huetamo,  mais  Mendez  craignit  de  le  suivre  sur  sa  route 
de  retraite,  en  traversant  cinquante  lieues  d'un  pays  sans 
ressources.  Il  remonta  vers  Ario,  prit  la  route  de  Tacam- 
baro,  et,  le  25  avril,  il  entrait  sans  résistance  à  Huetamo. 
Régules  avait  déjà  passé  le  Rio  de  las  Ralzas  et  disséminé 
ses  forces.  Mendez  n'avait  plus  qu'à  rétrograder,  et  les  co- 
lonnes françaises  se  replièrent  également  (*). 

Les  mois  de  mai  et  de  juin  se  passèrent  en  marches  et 
contre-marches  ;  enfin,  la  saison  des  pluies  fit  rentrer  la 
plupart  des  guérillas  chez  eux.  Régules  seul  était  infati- 
gable ;  dès  le  27  mai,  on  le  retrouve  à  Zitacuaro,  il  on 
chasse  la  garnison  mexicaine  qui  avait  remplacé  les  tirail- 
leurs algériens,  et  rase  cette  malheureuse  bourgade  dont 
le  sort  était  d'être  sans  cesse  prise,  reprise,  et  brùîée  par 
les  uns  et  les  autres.  Il  marclie  ensuite  sur  Toluca  ;  son 
avant-garde  s'avance  jusqu'à  Ixtlahuaca  (lo  juillet),  et  ne 

'•)  Le  maréchal  au  ministro.  2S  avril,  !)  mai. 


622  II"   PARTIE.  CHAPITRE  VI. 

1866.  bat  en  retraite  que  devant  des  détachements  français  en- 
voyés contre  elle. 

En  rentrant  dans  l'Etat  de  Guanajuato,  le  général  Ay- 
mard  avait  dû  s'occuper  de  dégager  la  région  comprise 
entre  le  Rio  de  Lerma  et  Léon.  De  nombreuses  guérillas 
s'y  montraient  et  attaquaient  fréquemment  les  petits  postes 
franco-mexicains.  Le  général  Aymard.  les  poursuivit  ;  le 
15  mai;,  il  atteignit,  à  Frias,  490  cavaliers,  commandés  par 
Torres,  les  battit  complètement,  et  leur  mit  cent  cinquante 
hommes  hors  de  combat  ;  le  10  juin,  l'ennemi  fut  encore 
battu  à  l'hacienda  Colorado  par  le  commandant  Lalanne. 
La  saison  des  pluies  étant  fort  avancée,  les  bandes  se  dis- 
persèrent. Peu  de  temps  après,  le  général  Aymard  revint 
à  Mexico,  par  la  route  de  Gelaya,  Acambaro,  Maravatio. 
Il  allégea  ses  troupes,  fît  une  pointe  rapide  sur  Zitacuaro 
(10  août),  rejeta  l'ennemi  surLaureles,  et  continua  sa  route. 
Régules  revint  aussitôt  et  le  suivit  à  trois  ou  quatre  jour- 
nées de  distance.  Le  :^5  août,  il  était  de  nouveau  à  Ixtla- 
huaca,  avec  deux  mille  hommes.  Il  fallut  en  toute  hâte 
envo^^er,  de  Mexico  à  Toluca,  un  renfort  de  deux  compa- 
gnies françaises  et  de  quatre  cents  Mexicains,  pour  empê- 
cher l'ennemi  de  s'emparer  de  cette  ville. 

C'est  à  cette  époque  que  l'empereur  Maximilien  deman- 
dait au  maréchal  si  l'armée  française  laisserait  envahir  tout 
le  territoire,  et  qu'il  réclamait  l'envoi,  dans  le  Michoacan, 
d'une  forte  colonne  française,  pour  en  «  terminer  »  la  pa- 
cification. Mais  comment  pacifier  un  pays  où  les  libéraux 
étaient  sûrs  de  trouver  dans  chaque  maison  un  abri,  dans 
chaque  habitant  un  ami?  La  rapidité  étonnante  avec  laquelle 
Régules  reformait  des  corps  de  plusieurs  milliersd'hommes, 
lorsque  la  veille  on  le  croyait  épuisé,  anéanti,  donne  l'idée 
des  ressources  que  lui  offraient  ces  provinces.  Les  repro- 


LE    MARÉCHAL   BAZALNE.  623 

ches  que  l'empereur  Maximilien  adressait  si  amèrement        <86tj. 
au  maréchal  Bazaine,  au  sujet  des  insurrections  continuelles 
du  Michoacan,  prouvent  qu'il  no  se  rendait  aucun  compte 
de  l'esprit  véritable  du  pays  et  de  l'impossibilité  de  jamais 
réduire  un  ennemi  ainsi  organisé. 

Il  y  avait  lieu  de  se  féliciter  que  des  difficultés  diverses 
eussent  empêché  les  bandes  libérales,  disséminées  dans 
les  Etats  de  Michoacan,  de  Guerrero ,  et  d'Oajaca,  de  se 
concentrer  et  de  combiner  leurs  efforls;  la  situation  des 
troupes  impérialistes,  dans  ces  provinces,  y  fût  devenue 
très-périlleuse.  Au  commencement  de  l'année  1866,  Por- 
firio  Diaz,  qui  avait  repris  le  commandement  des  forces 
républicaines  de  l'Etat  d'Oajaca,  ne  disposait  encore  que 
de  quelques  centaines  d'hommes,  avec  lesquels  il  essaya 
d'inquiéter  les  communications  entre  Puebla  et  Oajaca  ; 
des  colonnes  légères  suffirent  pour  le  forcer  à  se  retirer  du 
côté  de  Jamiltepec.  Un  renfort  de  quatre  cents  hommes 
et  trois  canons ,  qu'Alvarez  lui  envoya  du  Guerrero ,  lui 
permit  de  reprendre  l'offensive  ;  il  enleva  Jamiltepec  aux 
impérialistes  (28  mars),  et  conserva  cette  ville  pendant 
quelques  semaines.  Le  11  mai,  l'autorité  de  l'Empereur  y 
fut  rétablie,  et,  en  dépit  des  dissentiments  qui  existaient 
entre  les  fonctionnaires  civils  et  les  officiers  autrichiens, 
la  situation  générale  de  la  province  d'Oajaca  pouvait 
néanmoins  paraître  assez  satisfaisante;  malheureusement 
ces  rivalités  s'accusèrent  de  plus  en  plus,  les  officiers  au- 
trichiens refusaient  de  recevoir  des  ordres  du  préfet  poli- 
tique; ils  prétendaient  au  contraire  en  donner  aux  troupes 
mexicaines.  Le  préfet  réclamait  sa  liberté  d'action,  et  les 
tiraillements,  compliqués  par  le  manque  d'argent,  rendirent 
impossible  toute  action  militaire  sérieuse. 

Porfirio  Diaz  sut  en  profiler;  au  mois  d'août,  il  était  avec 


624  11^  PARTIE.  CHAPITRE    VI. 

4866.  douze  cents  hommes  dans  la  vallée  d'Oajaca,  et  s'emparait 
deTeotitlan  ;  il  échoua  devant  Huajuapan  (4  septembre),  se 
retira  d'abord  sur  Tlajiaco,  puis  dans  la  Sierra,  pour  évi- 
ter une  colonne  autrichienne  envoyée  contre  lui.  D'un 
autre  côté,  les  guérillas  de  Figueroa  et  d'El  Ghato  avaient 
de  fréquents  engagements  avec  les  détachements  autri- 
chiens. 

Dans  le  Guerrero,  Alvarez  était  toujours  le  maître  in- 
contesté du  pays.  Tl  fallait  l'énergie  peu  ordinaire  du  géné- 
ral mexicain  Monténégro  pour  que  la  garnison  impérialiste 
pût  se  maintenir  dans  le  port  d'Acapulco.  L'ennemi  la 
bloquait  étroitement  ;  sur  un  effectif  qui  s'élevait  environ 
à  750  hommes  au  1*^'  août,  elle  avait  perdu  260  hommes 
par  les  maladies  et  170  déserteurs;  il  ne  restait  pas  trois 
cents  hommes  valides,  et  le  général  Monténégro,  sans  solde, 
sans  vivres,  continuait  cependant  à  se  défendre  dans  le 
fort  et  dans  les  rues  adjacentes.  Un  bâtiment  de  la  marine 
française,  alors  sur  rade,  lui  procurait  quelques  vivres, 
des  munitions,  et  lui  prêtait  le  concours  de  ses  canots  et 
de  ses  marins.  Le  maréchal  avait,  à  plusieurs  reprises,  or- 
donné l'envoi  de  renforts  à  cette  garnison  décimée.  Un 
détachement  mexicain  devait  partir  de  Manzanillo,  un 
autre,  de  Jamiltepec  et  s'embarquer  à  Pochutla  ;  ni  l'un  ni 
l'autre  ne  se  trouvèrent  au  port  d'embarquement  lorsque 
les  navires  de  l'escadre  s'y  présentèrent  ;  Acapulco  fut 
laissé  à  ses  propres  forces. 

Gependant  le  maréchal,  pour  se  conformer  aux  ordres 
de  son  gouvernement,  faisait  acheminer  vers  la  côte  les 
troupes  désignées  pour  partir  dans  les  derniers  mois  de 
1860.  C'étaient  le  l'^  bataillon  de  chasseurs  à  pied,  le  51^, 
le  81*^  de  ligne,  deux  escadrons  de  cavalerie,  une  batterie. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  62S 

une  compagnie  du  génie,  etc.  Un  grand  nombre  d'hommes         1866. 
ayant  été  versés  dans  les  autres  corps  pour  en  élever  l'ef- 
fectif, ou  étant  passés  aux  bataillons  de  cazadores,  le  chiffre 
total  de  ces  troupes  ne  dépassait  pas  2,500  hommes  ;  mais 
on  rapatriait  en  outre  2,600  libérables. 

Le  maréchal  avait  reçu,  au  mois  d'avril  précédent,  l'invi- 
tation de  rentrer  avec  ce  premier  échelon  et  de  remettre  le 
commandement  au  général  Douay.  Les  circonstances  étaient 
si  difficiles  que  ce  changement  dans  la  direction  des  opé- 
rations militaires  pouvait  avoir  des  inconvénients.  D'ail- 
leurs, le  général  Douay  désapprouvait  l'évacuation  par 
échelons,  et  déclarait  renoncer  à  l'honneur  du  commande- 
ment en  chef,  plutôt  que  d'assumer  la  responsabilité  d'un 
plan  d'opérations  qu'il  trouvait  mauvais.  Tout  le  poids  de 
la  situation  militaire  et  politique  reposait  donc  sur  le  maré- 
chal ;  et,  quoique  l'empereur  Napoléon  se  fût  laissé  influen- 
cer quelquefois  par  les  accusations  portées  contre  lui,  plus  le 
moment  critique  approchait,  plus  on  sentait  la  nécessité 
de  laisser  jusqu'à  la  fm  le  commandement  entre  ses  mains. 
Le  maréchal  Piandon,  ministre  de  la  guerre,  lui  écrivit,  le 
15  août,  que  «  le  Gouvernement  regardait  comme  très-im- 
portant qu'il  dirigeât  les  mouvements  de  l'armée  aussi  long- 
temps que  les  circonstances  le  commanderaient,  et  que  son 
opinion  personnelle  tout  entière  était  qu'il  ne  devait  quitter  le 
Mexique  qu'avec  la  dernière  colonne.  »  Le  maréchal  répondit 
qu'il  resterait  «  jusqu'au  dernier  soldat  »  (^),  et  qu'il  saurait 
ramener  ses  troupes  sans  que  l'honneur  du  drapeau  reçût 
la  moindre  atteinte. 

Une  telle  marque  de  confiance,  un  pareil  encouragement, 
désaveu  des  méfiances  antérieures,  étaient  précieux  pour  le 


(•)  Dépêche  télégrapliique  du  lii  septembre. 

40 


626  II*  PARTIE.  —  CHAPITRE    VI. 

>i866.  maréchal  dans  un  moment  où  il  avait  à  lutter,  non-seule- 
~"  ment  contre  les  difficultés  de  la  situation  politique,  contre 
les  embarras  que  lui  causait  le  gouvernement  mexicain, 
mais  encore  contre  un  certain  mécontentement  qui  se 
laissait  voir  dans  l'armée.  Beaucoup  d'officiers  s'étaient 
créé  des  sympathies  dans  les  provinces  et  les  villes  qu'ils 
protégeaient  depuis  longtemps  ;  ils  éprouvaient  un  sen- 
timent pénible  en  voyant  perdu  le  fruit  de  tant  de  travaux, 
de  tant  de  fatigues,  et  les  chefs  de  bande,  autrefois  traqués 
et  fugitifs,  revenus  en  maîtres  avant  même  que  fût  effacée 
la  trace  des  pas  de  nos  soldats.  Les  populations  des  villes 
étaient  paralysées  de  terreur  en  apprenant  le  départ  des 
garnisons  françaises  ;  les  familles  fuyaient  en  masse  der- 
rière les  colonnes  d'évacuation  ;  et  trop  souvent  les  ban- 
dits, qui  couraient  aux  avant-gardes  des  troupes  à  peu  près 
régulières  de  l'armée  libérale,  se  portaient  à  de  cruelles 
vengeances  contre  les  courageux  citoyens  restés  à  leur 
poste.  Il  était  fort  triste  de  battre  en  retraite  dans  de 
telles  conditions. 

Durs  à  la  fatigue,  intrépides  au  feu,  pleins  d'initiative 
et  d'intelligence,  nos  soldats  avaient  donné  les  preuves  des 
plus  brillantes  vertus  militaires  en  mille  combats  dont  la 
plupart  resteront  inconnus,  parce  que  leur  multiplicité 
même  empêche  l'histoire  de  les  enregistrer  tous.  Dans 
aucune  armée,  on  ne  trouva  jamais  des  éléments  supé- 
rieurs à  ceux  qui  composaient  le  corps  expéditionnaire  du 
Mexique  ;  mais,  trop  confiantes  en  elles-mêmes,  les  troupes 
ne  sentaient  plus  la  nécessité  d'être  resserrées  par  les  liens 
étroits  de  l'obéissance  hiérarchique.  Le  maréchal  se  plai- 
gnait des  tendances  à  la  critique  qui  se  manifestaient  dans 
leurs  rangs  (^). 

(>)  Lomardchnl  au  ministre,  27  septembre. 


LE    MARECHAL   BAZAINE. 


627 


Le  81^  de  ligne  était  arrivé  à  Vera-Cruz,  le  26  sep- 
tembre, pour  s'embarquer  ;  mais  les  déterminations  du 
gouvernement  français  se  modifièrent  soudainement  et, 
par  une  dépêche  transmise  par  le  câble  transatlantique, 
l'ordre  fut  donné  de  suspendre  tout  embarquement  par- 
tiel (^).  Un  coup  de  vent  de  nord  avait  empêché  l'embar- 
quement du  81*^'  de  ligne  ;  ce  régiment  rétrograda,  et  le 
mouvement  des  troupes  vers  la  mer  fut  suspendu. 

Le  maréclial  ayant  demandé ,  par  le  télégraphe ,  à 
l'empereur  Napoléon,  s'il  devait  recommencer  des  expé- 
ditions pour  remettre  des  garnisons  mexicaines  dans  les 
places  et  les  ports  repris  par  les  libéraux  (-),  l'Empereur 
répondit  : 


^860. 

On  arrête 

'embarquement. 

Mission 

(lu  général 

Castelnaa. 


«  Ne  recommencez  pas  d'expéditions  lointaines,  mais  maintenez 
vos  troupes  réunies  sur  des  points  stratégiques  de  manière  à  pou- 
voir repousser  toute  attaque  et  embarquer  facilement  ^•''.  » 

L'Empereur  s'était  rendu  compte  qu'une  .évacuation 
successive  pourrait  compromettre  la  sécurité  des  derniers 
détachements  laissés  au  Mexique.  Il  était  en  outre  décidé  à 
provoquer  l'abdication  de  l'empereur  Maximilien  ;  il  espé- 
rait que  les  États-Unis  lui  en  sauraient  gré  et  consenti- 
raient alors  à  favoriser  l'établissement  d'un  nouveau  gou- 
vernement, qui  sauvegardât  les  intérêts  et  la  dignité  de  la 
France.  Dans  les  conditions  où  l'on  se  trouvait,  c'était 
en  effet  la  meilleure  solution  que  pût  recevoir  l'interven- 
tion française. 


'1)  Le  maréchal  au  ministre,  27  septembre. 

<2)  Dépèche  télégraphique  de  Mexico,  27  septembre  ;  de  la  Nouvelle  Orléans, 
7  octobre. 

(3)  Dépèche  télégraphique  de  Biarritz,  8  octobre. 


628  II'  PARTIE.  CHAPITRE   VI. 

4866.  Le  général  Gastelnau,  aide  de  camp  de  l'Empereur,  fut 

envoyé  au  Mexique  avec  la  mission  de  faciliter  et  de  sur- 
veiller le  dénoùment  de  la  situation.  Il  était  investi  des 
pouvoirs  les  plus  étendus,  avec  droit  absolu  de  contrôle  et 
de  veto  sur  toutes  les  mesures  politiques,  militaires  ou 
financières.  Son  autorité  se  superposait  à  celle  du  maré- 
chal et  du  ministre  de  France  (*). 

Le  maréchal  Bazaine  protesta  de  la  déférence  qu'il  té- 

(U  L'Empereur  était  à  Biarritz  et  le  maréchal  Randon,  ministre  de  la  guerre, 
était  absent  lorsque  le  départ  du  général  Gastelnau  fut  décidé.  M.  Béhic  remplis- 
sait alors  à  Paris  l'intérim  du  ministère  de  la  guerre. 

La  mission  confiée  au  général  Gastelnau  est  indiquée  par  la  note  suivante 
d'après  laquelle  furent  rédigés  les  pouvoirs  dont  l'Empereur  l'investit  : 

•  Napoléon,  etc 

«  Gonsidérant  la  gravité  des  circonstances  politiques  et  militaires  au  milieu  des- 
quelles s'exerce  au  Mexique  l'action  de  la  France  ;  considérant  les  difficultés  qui 
s'opposent  à  la  prompte  transmission  de  nos  ordres  ;  considérant  qu'il  importe 
d'établir  une  unité  de  vues  et  d'action  non-seulement  entre  notre  gouvernement 
central  et  les  autorités  françaises  tant  civiles  que  diplomatiques  et  militaires  au 
Mexique,  mais  encore  entre  ces  autorités  elles<mêmes  : 

«  Vu  l'urgence  ; 

€  Avons  ordonné  et  ordonnons  ce  qui  suit  : 

€  Le  général  Gastelnau,  l'un  de  nos  aides  de  camp,  est  chargé  de  faire  con- 
naître à  S.  Exe.  le  maréchal  Bazaine,  commandant  en  chef  le  corps  expédi- 
tionnaire du  Mexique,  nos  décisions  concernant  l'évacuation  des  troupes  placées 
sous  ses  ordres,  les  dispositions  à  prendre  pour  effectuer  cette  évacuation  à 
l'époque  fixée,  les  opérations  militaires  qui  précéderont  et  prépareront  cette 
évacuation,  la  conduite  politique  à  tenir  et  les  mesures  à  prendre  dans  le  cas  où 
la  forme  actuelle  du  gouvernement  du  Mexique  viendrait  à  subir  des  modifications 
avant  l'évacuation.  Le  général  Gastelnau  est  autorisé  à  connaître  de  toutes  les 
mesures  projelées  par  les  autorités  françaises  au  Mexique,  tant  diplomatiques 
que  militaires  ou  civiles.  Il  est  appelé  à  délibérer  avec  elles  sur  tous  les  actes 
qui  devront  émaner  de  ces  autorités  et  à  s'assurer  qu'ils  sont  en  concordance  avec 
celles  de  nos  décisions  qu'il  est  chargé  par  les  présentes  de  leur  notifier. 

•  Dans  le  cas  où  le  général  Gastelnau  trouverait  lesdites  mesures  en  opposition 
avec  nos  décisions,  il  est  autorisé  à  s'opposer  à  leur  exécution,  et  à  cet  effet 
toutes  les  autorités  françaises  au  Mexique  devront,  sur  sa  réquisition  écrite,  ob- 
tempérer aux  instructions  qu'il  leur  donnera  en  notre  nom,  comme  si  elles  éma- 
naient directement  de  notre  autorité,  le  g('npral  Gastelnau  étant  censé  agir  ainsi 
que  nous  agirions  noiis-mème.  » 


LE    MARÉCUAL   BAZAINE.  629 

moignerait  au  représentant  de  l'Empereur;  mais  ce  n'é- 
tait pas  sans  froissement  qu'un  maréchal  de  France  pouvait 
se  résigner  à  une  subordination  de  cette  nature.  Aussi  le 
ministre  de  la  guerre  insistait-il  sur  l'importance  que  le 
gouvernement  attachait  à  voir  le  maréchal,  «  dont  la  main 
habile  et  ferme  pouvait  seule  mener  à  bien  la  délicate 
opération  de  la  rentrée  des  troupes  »,  conserver  le  com- 
mandement du  corps  expéditionnaire  (^). 


4866. 


On  touchait  à  un  moment  de  crise  solennelle  ;  le  maré- 
chal jugeait  également  que  l'abdication  de  Tempereur 
Maximilien  était  nécessaire  :  «  S'il  s'obstine  à  rester  au 
Mexique  après  notre  départ,  écrivait-il,  il  est  à  craindre 
que,  sans  finances,  les  troupes  ne  fassent  défection,  et  alors 
une  catastrophe  peut  arriver  ;  sous  peu  de  jours,  j'aurai 
une  conférence  avec  Sa  Majesté  ;  je  tâcherai  de  la  con- 
vaincre  Je  ferai  mon  possible  pour  que  notre  pays  se 

tire  le  mieux  possible  de  cette  situation  et  surtout  sans  une 
tache  à  son  honneur  militaire  (^).  » 

Cette  lettre  est  datée  d'Atlancotepec  près  de  Puebla;  le 
maréchal  inspectait  alors  la  ligne  d'évacuation  pour  juger 
des  mesures  à  prendre  contre  les  entreprises  des  guérillas 
de  la  Huasteca.  Le  10  octobre,  il  rentrait  à  Mexico,  où 
l'empereur  Maximilien  réclamait  sa  présence. 

L'Empereur,  déjà  très-malade,  venait  d'être  cruellement 
frappé  par  les  nouvelles  que  le  câble  transatlantique  avait 
transmises,  nouvelles  qui  ne  laissaient  aucun  doute  sur  la 
gravité  de  l'état  mental  de  l'Impératrice.  Il  désirait  quitter 


Projets 

d'abdication 

de  l'empereui 

Maximilien. 

11  part 
pour  Orizaba. 


(')  M.  Béhic,  ministre  de  la  guerre  par  intérim,  au  maréchal,  29  septembre, 
13  octobre. 
(2)  Le  maréchal  au  ministre,  8  octobre. 


630  II*  PARTIE,  —  CHAPITRE  VI. 

• 

4866.  le  Mexique  ;  le  poids  des  affaires  l'écrasait,  l'avenir  l'ef- 
frayait ;  il  sentait  que  tout  était  fini,  et  la  fatigue  maladive, 
sous  laquelle  il  succombait,  amollissait  l'aigreur  de  ses 
ressentiments  contre  ceux  dont  il  s'était  le  plus  amèrement 
plaint.  Il  s'ouvrit  au  maréchal  de  ses  projets,  qu'il  avait 
confiés  seulement  à  quelques  confidents  intimes  et  qu'il 
laissait  ignorer  à  ses  ministres.  Il  ne  voulait  pas,  disait-il, 
les  divulguer  avant  d'avoir  reçu  un  courrier  extraordinaire 
annoncé  de  Miramar.  Le  20  octobre  1866,  il  écrivait  de 
Chapultepec  au  maréchal  : 

«  Mon  cher  maréchal,  j'ai  été  profondément  touché  des  paroles 
de  consolation  et  d'affection  que  vous  m'avez  adressées  en  voti-e 
nom  et  en  celui  de  la  maréchale.  Je  vous  en  exprime  ici  les  plus 
vifs  et  les  plus  profonds  remerciements.  Le  coup  terrible  apporté 
par  les  dernières  nouvelles  et  qui  a  si  gravement  blessé  mon  cœur, 
joint  au  mauvais  état  de  ma  santé,  lequel  résulte  des  fièvres  inter- 
mittentes dont  je  souffre  depuis  longtemps  et  qui  ont  naturellement 
augmenté  dans  ces  derniers  jours,  rendent  nécessaire,  d'après  la 
volonté  expresse  de  mes  médecins,  un  séjour  momentané  dans  un 
climat  meilleur. 

«  Afin  de  me  trouver  en  môme  temps  plus  rapproché  du  courrier 
extraordinaire  qui  m'est  annoncé  de  Miramar  et  dont  j'attends  les 
nouvelles  avec  une  anxiété  facile  à  comprendre,  j'ai  l'intention  de 
me  rendre  à  Orizaba.  C'est  avec  la  plus  grande  confiance  que  je 
m'en  rapporte  à  votre  tact  pour  le  maintien  de  la  tranquillité  dans 
la  capitale  et  sur  les  points  qui  sont  actuellement  occupés  par  les 
troupes  sous  vos  ordres. 

«  Dans  ces  circonstances  douloureuses  et  difficiles,  je  compte 
plus  que  jamais  sur  la  loyauté  et  sur  famitié  que  vous  m'avez  tou- 
jours montrées. 

«  Je  suivrai  l'itinéraire  que  je  joins  ii  ma  lettre  et  je  prendrai 
avec  moi  les  trois  escadrons  de  hussards  du  corps  des  volontaires 
autrichiens,  ainsi  que  les  hommes  disponibles  de  la  gendarmerie. 

«  Cette  lettre  vous  sera  remise  par  lo  conseiller  d'Etat  Ilertzfeld, 
qui  est  mon  ancien  compagnon  de  mer  et  qui  se  mettra  à  votre 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  631 

disposition,  si  vous  avez  besoin  d'éclaircissements.  Je  vous  renou-         4866. 
velle  à  vous  et  à  la  maréchale  ma  très-vive  reconnaissance  pour  ~" 

vos  tendres  sentiments  qui  ont  fait  tant  de  bien  à  mon  cœur  blessé. 
«  Recevez,  mon  cher  maréchal,  l'assarance  de  la  sincère  amitié 
avec  laquelle  je  suis  votre  très-affectionné, 

ce  Maximilien,  » 

En  dépit  de  toutes  les  rancunes,  l'Empereur  répétait 
souvent  au  maréchal  «  qu'il  était  son  véritable  ami;))  les 
termes  de  cette  lettre  sont  d'accord  avec  ces  protestations 
amicales. 

On  fit  dire  dans  le  public  que  l'Empereur  allait  au  de- 
vant de  l'Impératrice,  dont  l'arrivée  était  attendue  à  la  fin 
du  mois,  mais  personne  ne  doutait  à  Mexico  que  l'Empereur 
no  partît  pour  s'embarquer.  On  savait  que  la  frégate  au- 
trichienne le  Dandolo  était  toujours  à  Vera-Cruz,  prête  à 
prendre  la  mer,  et  depuis  longtemps  déjà,  des  meubles,  des 
tableaux,  des  livres,  des  objets  précieux  avaient  été  ache- 
ijiinés  sur  ce  port.  Dès  que  le  ministère  connut  les  projets 
de  départ  de  l'Empereur,  M.  Lares  vint  présenter  sa  dé- 
mission. La  perplexité  de  l'entourage  impérial  était  grande. 
M.  Hertzfeld  écrivit  au  maréchal  : 

20  octobre. 

«  Monsieur  Lares  vient  de  présenter  la  démission  de  tout  le  mi- 
nistère et  a  déclaré  qu'aussitôt  que  l'Empereur  sortirait  de  la  capi- 
tale, il  n'y  aurait  plus  de  gouvernement.  Sa  Majesté  étant  dans  un 
état  de  faiblesse  extrême  et  insistant  pour  partir,  il  faudra  prendre 
des  mesures.  Je  supplie  Votre  Excellence  de  vouloir  conseiller 
l'Empereur  encore  ce  soir.  » 

Le  maréchal  représenta  au  président  du  conseil  combien 
il  serait  peu  généreux  au  cabinet  de  se  retirer  dans  des 
conjonctures  aussi  graves  et  dans  l'état  de  faiblesse  morale 
et  physique  où  se  trouvait  l'Empereur.  Il  l'encouragea,  lui 


()'à2  11°  PARTIE.   —  CHAPITRE  VI. 

4866.  promit  de  le  soutenir,  et  obtint  enfin  que  les  ministres 
conserveraient  leurs  portefeuilles.  L'Empereur  partit  dans 
la  nuit  du  20  au  21  sans  traverser  Mexico,  et  le  lendemain, 
de  l'hacienda  de  Zoquiapan,  où  il  s'était  arrêté,  il  écrivit 
de  sa  main  au  maréchal,  la  lettre  suivante  (*)  : 

Hacienda  de  Zoquiapan,  22  novembre. 

«  Mon  cher  maréchal,  demain  je  me  propose  de  déposer  entre 
vos  mains  les  documents  nécessaires  pour  mettre  un  terme  à  la  si- 
tuation critique  (en  espagnol  violente)  dans  laquelle  je  me  trouve, 
moi  et  le  Mexique  entier. 

«  Ces  documents  devront  rester  secrets  jusqu'au  jour  que  je  vous 
ferai  connaître  par  télégraphe. 

«  Entre  autres  choses,  il  y  en  a  trois  qui  me  tiennent  à  cœur  et 
dont  une  fois  pour  toutes,  je  veux  décliner  la  responsabilité  : 

«  l»  Que  les  cours  martiales  cessent  de  connaître  desdéhts  po- 
htiques  ; 

<c  2°  Que  la  loi  du  3  octobre  soit  rapportée  ; 

«  3°  Que  sous  aucun  prétexte  il  ne  soit  exercé  de  persécution 
pour  raison  politique,  et  que  cesse  toute  espèce  d'hostilités  (^hosti- 
lidades)  (-'. 

«  Je  désire  que  vous  convoquiez  les  trois  ministres  Lares,  Marin 
et  Tavera  pour  convenir  des  moyens  propres  à  assurer  ces  trois 
points,  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  laisser  deviner  mes  intentions 
exprimées  dans  le  premier  paragraphe. 

«  Je  ne  doute  pas  que  vous  n'ajoutiez  cette  nouvelle  preuve  d'a- 
mitié véritable  à  celles  que  vous  m'avez  déjà  témoignées,  et  je  vous 
exprime  à  l'avance  mes  sentiments  de  gratitude  en  vous  renouve- 
lant les  assurances  de  l'estime  et  de  l'amitié  de  votre  très-affec- 
tionné, 

«  Maximilien.  » 


(•)  D'après  la  traduction  envoyée  par  le  maréchal  au  ministre  de  la  guerre. 

<2)  Le  marà'lial  dit  qu'il  interpréta  l'expression  hostilidades  comme  se  ratta- 
chant aux  délits  politiques  et  non  aux  faits  de  guerre,  car  il  ne  pouvait  admettre, 
quant  à  présent,  une  trêve  avec  les  forces  ennemies. 


LE    MARÉCHAL    BAZALNE.  633 

Toujours  irrésolu,  et  fidèle  à  ses  habitudes  de  pro-  •f^oe. 
mettre  au  lieu  d'agir,  l'empereur  Maximilien  n'envoya 
jamais  au  maréchal  les  documents  qu'il  lui  annonçait.  Le 
maréchal  était  persuadé  cependant  que  l'Empereur  allait 
s'embarquer;  il  fit  assurer  la  garde  des  palais  et  arrêter  le 
désordre  et  le  gaspillage  commencé  par  les  domestiques. 
D'autre  part,  il  prit  les  mesures  nécessaires  pour  dégager  sa 
position  et  rassembler  ses  troupes,  car  il  ne  doutait  pas 
qu'au  moment  où  le  départ  de  l'Empereur  serait  connu, 
on  verrait  les  administrations  se  désorganiser  et  tous  les 
partis  unir  leurs  forces  contre  les  Français. 

Le  général  Castelnau  était  arrivé  à  Vera-Cruz  le  12 
octobre.  L'empereur  Maximilien  avait  envoyé  au-devant 
de  lui  un  officier  français,  le  capitaine  Pierron,  chef  de  son 
cabinet  militaire  ;  mais  il  ne  voulait  pas  le  voir.  Le  21  oc- 
tobre, le  cortège  impérial  fut  croisé  à  Ayotla  par  l'aide 
de  camp  de  l'empereur  Napoléon,  qui  montait  à  Mexico. 
L'empereur  Maximilien  lui  fit  dire  qu'il  était  trop  souf- 
frant pour  le  recevoir,  et  continua  sa  route. 

Le  31  octobre,  on  crut  l'Empereur  parti;  le  comman- 
dant de  l'escadre  avait  télégraphié  au  maréchal  que  le 
commandant  du  Dandolo  l'attendait  le  soir  même. 

Cependant,  le  même  jour,  le  journal  officiel  de  Mexico 
publiait  une  dépêche  de  l'empereur  Maximilien  ayant  une 
tout  autre  signification.  Elle  annonçait  le  rétablissement 
de  sa  santé  et  était  suivie  de  cette  observation  significative  : 
«  Ainsi  se  trouve  atteint  le  but  du  voyage  de  Sa  Majesté.  » 
L'empereur  Maximilien  paraissait  continuer  néanmoins 
ses  arrangements  en  vue  d'un  prochain  départ  ;  il  s'occupait 
d'assurer  le  sort  de  la  brigade  austro-belge,  cependant  ses 
lettres  au  maréchal  laissaient  voir  que  ses  projets  étaient 
moins  arrêtés  qu'au  moment  où  il  quittait  Mexico.  En  lui 


G34  11^  PARTIE.  CHAPITRE    \T. 

4866.  envoyant  son  aide  de  camp,  le  colonel  v.  Kodolich,  pour 
régler  les  intérêts  des  volontaires  autrichiens,  il  lui  écrivait 
(31  octobre)  :  «  Si  les  négociations  que  je  viens  d'entamer 
n'aboutissent  pas  à  un  heureux  résultat,  les  circonstances 
difficiles,  dans  lesquelles  je  me  trouve,  me  forceront  à 
rendre  le  pouvoir  que  la  nation  m'a  confié.  » 

Quelles  étaient  ces  négociations  ;  et  avec  qui  étaient-elles 
ouvertes? 

Le  général  Gastelnau,  qui  avait  compté  sur  le  prochain 
départ  de  l'Empereur,  commençait  à  s'alarmer  ;  ses  appré- 
hensions s'augmentèrent  encore  à  la  lecture  d'une  lettre 
écrite  à  l'empereur  Maximilien  par  M.  Eloin ,  alors  en 
Europe  ;  cette  lettre  avait  été  adressée  sous  le  couvert  de 
((  l'agent  consulaire  de  l'empire  du  Mexique  à  New-York  »; 
le  secret  en  avait  été  violé,  et  une  copie  transmise  par 
«  un  inconnu  »  au  maréchal  Bazaine. 

Bruxelles,  17  septembre  1866. 

«  Sire,  l'article  du  Moniteur  français,  désavouant  l'entrée  aux 
ministères  de  la  guerre  et  des  finances  des  deux  généraux  français 
Osmont  et  Priant,  prouve  désormais  que  sans  pudeur  le  masque 
est  jeté.  La  mission  du  général  Gastelnau,  aide  de  camp  et  homme 
de  confiance  de  l'Empereur,  bien  que  secrète,  ne  peut  avoir  d'autre 
but,  selon  moi,  que  de  chercher  à  provoquer  au  plus  tôt  une  solu- 
tion. Pour  chercher  h  expliquer  sa  conduite,  que  l'histoire  jugera, 
le  gouvernement  français  voudrait  qu'une  abdication  précédât  le 
retour  de  l'armée,  et  qu'ainsi  il  lui  fût  possible  de  procéder  seul  à 
réorganiser  un  nouvel  état  de  choses  capable  d'assurer  ses  intérêts 
et  ceux  de  ses  nationaux;  j'ai  l'intime  conviction  que  Votre  Ma- 
jesté ne  voudra  pas  donner  cette  satisfaction  h  une  politique  qui 
doit  répondre  tôt  au  tard  de  l'odieux  de  ses  actes  et  des  consé- 
qiiefices  fatales  qui  en  seront  la  suite. 

«  Le  discours  de  M.  Seward,  le  toast  à  Romero,  l'attitude  du 
président,  résultat  de  la  couardise  du  cabinet  français,  sont  des 
faits  graves,  destinés  à  accroître  les  difficultés  et  à  décourager  les 
plus  braves. 


LE   MARÉCHAL   BAZAINE.  635 

«  Cependant,  j'ai  l'intime  conviction  que  l'abandon  de  la  partie,  ma. 

avant  le  retour  de  l'armée  française,  serait  interprété  comme  un  -~ 

acte  de  faiblesse,  et  l'Empereur,  tenant  son  mandat  d'un  vote  po- 
pulaire, c'est  à  ce  peuple  mexicain,  dégagé  de  la  pression  d'une  in- 
tervention étrangère,  qu'il  doit  faire  un  nouvel  appel,  et  c'est  à  lui 
qu'il  faut  demander  l'appui  matériel  et  financier  indispensable 
pour  subsister  et  grandir. 

«  Si  cet  appel  n'est  pas  entendu, 'alors  Sa  Majesté  ayant  accom- 
pli sa  noble  mission  jusqu'à  la  fin,  reviendra  en  Europe  ayant  tout 
le  prestige  qui  l'accompagnait  au  départ,  et  au  milieu  des  événe- 
ments importants  qui  ne  manqueront  pas  de  surgir,  elle  pourra 
jouer  le  rôle  qui  lui  appartient  à  tous  égards 

«  En  traversant  l'Autriche,  j'ai  pu  constater  le  mécontentement 
général  qui  y  règne.  Rien  ne  se  fait  encore.  L'Empereur  est  décou- 
ragé; le  peuple  s'impatiente  et  demande  publiquement  son  abdi- 
cation ;  les  sympathies  pour  Votre  Majesté  se  communiquent  os- 
tensiblement à  tout  le  territoire  de  l'Empire  ;  en  Yénétie,  tout  un 
parti  veut  acclamer  son  ancien  gouverneur,  mais  quand  un  gou- 
vernement dispose  des  élections  sous  le  régime  du  suffrage  univer- 
sel, il  est  facile  de  prévoir  le  résultat "^ 

Le  jour  même  où  celle  lettre  arrivait,  le  général  Castel- 
nau  recevait  la  visite  du  président  du  conseil  des  minis- 
tres, du  président  du  conseil  d'Etat,  et  du  préfet  poli- 
tique de  Mexico  ;  ils  lui  afQrmaient  que  l'Empire  pourrait 
se  suffire  avec  ses  propres  forces.  Cette  démarche  faisait 
craindre  que  l'empereur  Maximilien,  renonçant  à  l'idée 
d'abdiquer,  ne  revînt  à  Mexico  ;  désireux  de  s'opposer  à 
ce  revirement,  le  général  Castelnau  manda  le  capitaine 
Pierron  et  lui  dicta  un  télégramme  que  cet  officier  adressa 
personnellement  à  l'Empereur  pour  le  prier,  dans  les 
termes  les  plus  pressants,  d'attendre  à  Orizaba  une  com- 
munication verbale  qu'il  était  chargé  de  lui  faire.  L'm- 
fluence,  que  son  dévouement  lui  avait  permis  de  prendre 

(')  En  note  de  la  copie  de  ceUe  lettre  était  écrit  :  «  M.  le  marquis  de  Montlio- 
lon  a  eu  la  joie  de  voir  de  ses  propres  yeux  les  originaux  de  ces  communica- 
tions, t 


636  11°  PARTIE.   —  CHAPITRE    VI. 

4866.  sur  l'Empereur,  désignait  le  capitaine  Pierron  pour  cette 
mission  de  confiance  ;  sur  l'ordre  du  général  Castelnau,  il 
partit  aussitôt  pour  Orizaba,  afin  d'essayer  de  convaincre 
l'empereur  Maximilien  des  raisons  sérieuses  qui  devaient 
le  décider  à  une  abdication  immédiate. 

Le  général  Gastelnau,  M.  Dano,  le  maréchal  étaient 
fort  inquiets.  Le  maréchal,  connaissant  le  caractère  de 
l'Empereur  et  les  sentiments  de  son  entourage,  se  méfiait 
des  déterminations  qui  pourraient  être  prises  ;  au  lieu  d'une 
abdication  pure  et  simple ,  il  craignait  une  protestation , 
un  manifeste,  ou  un  appel  au  peuple,  ce  qui  compli- 
querait singulièrement  les  choses;  les  hommes  du  parti 
ultraconservateur  ne  se  résigneraient  certainement  pas 
à  disparaître  sans  bruit  de  la  scène  politique  ;  ils  cher- 
chaient dès  maintenant  à  s'approprier  les  ressources  finan- 
cières et  militaires  dont  l'Empire  disposait  encore.  M.  Lares 
s'eiforçait  d'empêcher  une  abdication ,  mais  il  en  pré- 
voyait l'éventualité  ;  afin  de  mieux  pénétrer  le  but  de  la 
mission  du  général  Gastelnau,  il  obtint  de  l'Empereur  des 
pouvoirs  spéciaux  l'autorisant  à  entrer  en  relation  offi- 
cielle avec  cet  officier  général  et  à  recevoir  ses  commu- 
nications. 

M.  Lares  et  M.  Arroyo,  ministre  de  la  maison  de  l'Em- 
pereur, se  présentèrent  donc,  au  nom  de  l'Empereur,  chez 
le  général  Gastelnau;  celui-ci  les  emmena  chez  le  maréchal. 
Persuadé,  leur  dit-il,  que  l'Empire  ne  pourrait  subsister 
sans  l'appui  de  la  France,  il  trouvait  urgent,  avant  le  départ 
des  troupes,  d'établir  un  autre  gouvernement  fortement 
constitué.  Le  maréchal  ayant  parlé  dans  le  même  sens,  les 
ministres  comprirent  qu'ils  ne  pouvaient  compter ,  en 
faveur  de  leur  parti,  ni  sur  le  concours,  ni  même  sur  les 
sympathies  des  représentants  de  la  France  ;  ils  prétendirent 


LE    MARÉCHAL    BAZALNE.  637 

que  le  commandant  en  chef  gênait  l'action  des  autorités         iscc. 
impériales  ;  si  l'on  voulait  les  laisser  libres  de  toute  en- 
trave, ils  étaient  certains  de  dominer  la  situation. 

Le  lendemain,  ils  adressèrent  aux  généraux  français  une 
note  contenant  différentes  questions  auxquelles  ils  deman- 
daient une  réponse  écrite  ;  ces  questions  se  résumaient  ainsi  : 

La  mission  du  général  Castelnau  est-elle  seulement  «  de 
confirmer  les  lettres  du  15  janvier  et  les  suivantes,  adres- 
sées par  l'empereur  Napoléon  à  l'empereur  Maximilien , 
dans  lesquelles  il  lui  disait  qu'il  ne  pouvait  continuer  à  aider 
l'Empire,  ni  avec  les  troupes  françaises,  ni  avec  de  l'argent, 
afin  que  S.  M.  l'empereur  Maximilien  décide,  avec  entière 
liberté,  s'il  peut  continuer  à  se  maintenir  avec  ses  propres 
ressources  ou  s'il  doit  prendre  une  autre  décision?  » 

Toutes  les  troupes  mexicaines,  les  arsenaux,  l'artillerie, 
et  les  munitions,  etc.,  sont-ils  entièrement  à  la  disposition 
du  ministre  de  la  guerre  mexicain  ? 

Le  gouvernement  mexicain  ne  pourrait-il  être  prévenu 
en  temps  opportun  de  l'évacuation  des  villes  et  pueblos, 
par  les  troupes  françaises,  afin  d'ordonner  à  cet  égard  les 
mesures  nécessaires  ? 

Quelle  est  l'époque  la  plus  reculée  jusqu'à  laquelle  le 
corps  expéditionnaire  doit  encore  rester  au  Mexique,  et 
quels  secours  pourrait-il  prêter  au  gouvernement  ? 

Enfin,  dans  le  cas  où  la  décision  de  l'Empereur  serait 
de  ne  pas  continuer  à  gouverner  le  pays,  quelles  disposi- 
tions le  maréchal  et  le  général  Castelnau  prendraient-ils, 
conformément  à  leurs  instructions,  pour  éviter  l'anarchie 
et  les  désordres  qui  résulteraient  de  l'absence  du  gouver- 
nement (^)? 

(')  MM.  Lares  et  Arroyo  au  maréchal  Bazainc,  4  novembre  (d'après  une  Ira- 
iluction). 


638  II*   PARTIE.  —  CHAPITRE  VI. 

-isee.  Le  maréchal  répondit  0)  : 

«  1°  La  mission  du  général  Castelnau  a  pour  but  d'affirmer 
les  intentions  du  gouvernement  français,  qui  sont  de  retirer  ses 
troupes  dans  les  premiers  mois  de  1867,  et  de  connaître  si  Sa 
Majesté  Tempereur  Maximilien  peut  maintenir  son  gouvernement 
avec  les  seules  ressources  du  pays; 

c  2°  Les  forces  mexicaines  et  le  matériel  de  guerre  ont  toujours 
été  à  la  disposition  de  l'Empereur;  des  ordres  h.  cet  égard  ont  été 
renouvelés  aux  commandants  supérieurs  français; 

(c  3°  Le  gouvernement  a  toujours  été  prévenu  en  temps  oppor- 
tun de  la  remise  des  villes  aux  autorités  civiles  et  militaires;  il  en 
sera  toujours  de  même  ; 

«  4»  Tant  que  les  troupes  françaises  resteront  au  Mexique,  elles 
protégeront,  comme  elles  l'ont  fait  jusqu'ici,  les  autorités  et  les 
populations,  l'ordre  en  un  mot,  dans  les  zones  qu'elles  occuperont^ 
mais  sans  entreprendre  d'expéditions  lointaines. 

«  Quant  au  dernier  article,  il  est  pour  ainsi  dire  impossible 
d'exposer  les  mesures  qui  seraient  prises,  le  cas  échéant  ;  mais  on 
peut  assurer  qu'elles  auraient  surtout  pour  but  le  maintien  de 
l'ordre  et  le  respect  des  vœux  des  populations,  ainsi  que  la  sauve- 
garde des  intérêts  français.  » 

Le  9  novembre,  le  capitaine  Pierron  revint  d'Orizaba. 
Il  dit  au  général  Castelnau  :  «  Je  viens  d'avoir  une  longue 
conférence  avec  l'empereur  Maximilien.  S.  M.  ne  retour- 
nera pas  à  Mexico  ;  (îlle  va  quitter  le  pays.  L'Empereur 
désire  seulement,  avant  d'abdiquer,  que  la  France  s'en- 
gage à  rapatrier  les  troupes  autrichiennes  et  belges  ;  qu'elle 
s'intéresse  au  sort  des  soldats  de  ces  deux  pays  mutilés 
dans  les  combats  ;  que  le  nouveau  gouvernement  soit  mis 
en  demeure  d'assurer  le  sort  de  la  princesse  Iturbide  et  de 
l'enfant  ;  enfin,  que  des  emplois  soient  réservés  aux  per- 
sonnes qui  travaillent  au  secrétariat  de  sa  maison,  et  que 
deux  mois  de  solde  leur  soient  payés.  » 

(1)  Le  nicaréchal  à  M,  Lares,  D  novembre. 


LE   MARÉCHAL    BAZAINE.  639 

Le  général  Castelnau,  en  rapportant  cette  conversation 
dans  une  dépêche  à  l'empereur  Napoléon  (^),  continuait 
ainsi  :  «  L'Empereur  a  chargé  le  capitaine  Pierron  de  me 
recommander  spécialement  de  faire  régler  le  compte  de  la 
liste  civile  avec  l'Etat,  et  de  lui  faire  connaître  comment 
se  liquide  ce  compte.  Le  départ  de  S.  M.  comme  date,  est 
subordonné  à  la  réception  de  cette  dernière  pièce.  Je  viens  à 
l'instant  même  de  la  faire  étabHr,  et  je  l'ai  adressée  à  l'Em- 
pereur par  un  courrier  extraordinaire,  en  assurant  S.  M. 
que  ses  désirs  recevraient,  autant  qu'il  peut  dépendre  de 
nous,  la  plus  complète  satisfaction. 

«  L'empereur  Maximilien  a  exprimé  à  mon  envoyé  le  vif 
désir  de  conserver  l'amitié  de  Votre  Majesté.  J'ai  donc  lieu 
d'espérer  que  son  abdication  sera  exempte  des  récrimina- 
tions que  nous  pouvions  redouter.  » 

L'arrivée  du  courrier  du  général  Castelnau  ne  décidait 
nullement  l'empereur  Maximilien  à  fixer  la  date  de  son 
départ.  Au  contraire,  le  12  novembre,  il  écrivait  encore 
au  maréchal  C^)  : 

«  Avant  de  résoudre  définitivement  ce  que  je  dois  faire  et  dans 
le  cas  où  je  prendrais  la  résolution  de  m'éloigner  de  ce  pays,  il 
est  de  mon  devoir  d'assurer  certains  points  qui,  outre  qu'ils  sont 
de  stricte  justice,  méritent,  en  ce  qui  me  concerne,  une  recomman- 
dation spéciale. 

«  Pour  y  arriver,  je  no  doute  pas  que  vous  n'ayez  la  bonté  de 
m' envoyer  un  acte  signé  collectivement  par  vous,  par  le  ministre 
de  France,  et  par  le  général  Castelnau,  et  qui  traite  des  questions 
suivantes  : 

Ces  questions  étaient  : 

(1)  Dépêche  du  9  novembre. 
(•)  D'après  une  traduction. 


i8G6. 


640  \f  PARTIE.  CHAPITRE    VI. 

4866.  \o  Lg  rapatriement  des  Austro-Belges. 

2"  La  pension  à  garantir  par  le  Mexique  aux  mutilés 
de  la  brigade  austro-belge. 

3^  Une  somme  de  dix  mille  piastres  à  payer  à  la  prin- 
cesse Dofia  Josefa  de  Iturbide,  et  deux  mille  piastres  au 
jeune  prince  Salvador  de  [turbide,  qui  avait  été  envoyé  en 
France  pour  faire  ses  études  (*). 

4*^  Une  somme  de  quarante-cinq  mille  piastres,  pour 
payer  les  dettes  de  la  liste  civile. 

^°  L'engagement  d'effectuer  ces  paiements  avant  le 
départ  des  troupes  françaises  de  Mexico. 

«  Ma  propriété  particulière  restera  sous  votre  sauvegarde,  mon 
cher  maréchal,  afin  que,  d'accord  avec  vous.  Don  Carlos  Sanchez 
Navarro  puisse  donner  à  ce  qu'elle  produira  la  destination  con- 
forme à  mes  instructions. 

«  Recevez  les  assurances  des  sentiments  de  ma  sincère  amitié 
avec  lesquels  je  suis  votre  très-aff(;clionné, 

«  Maximilien.  » 

Les  représentants  de  la  France  se  hâtèrent  de  se  rendre 
au  désir  de  l'empereur  Maximilien.  Ils  lui  envoyèrent  une 
déclaration  collective  (16  nov.)  dans  laquelle  ils  s'engagè- 
rent à  rapatrier  les  Austro-Belges  ;  à  faire  donner  une  gra- 
tification de  réforme  aux  mutilés  et  invalides,  et  une  indem- 


(')  L'empereur  Maximilien  avait  donné  aux  doux  petits-fils  d'Iturbide  le  titre 
de  prince  mexicain  ;  l'un  Don  Agustin ,  descendait  du  deuxième  fds  de  l'empe- 
iiHir  Iiurbide  ;  l'autre,  Don  Salvador,  descendait  du  troisième  fils;  depuis  le  1(5 
septembre  1863,  Don  Aguslin,  alors  âge  de  deux  ans,  était  élevé  au  palais. 
Toute  la  famille,  à  l'exception  d'une  tante  Dona  Josefa,  nommée  co-tulrice,  avait 
dû  consentir  à  s'éloigner  du  Mexique.  (Le  marocbal  au  ministre,  27  septembre 
1865.) 

On  disait  à  cotte  époque  que  l'Empereur  et  l'Impératrice  se  proposaient 
d'adopter  ofïïciellement  Don  Agustin  et  de  lui  assurer  la  succession  au  trAne.  (Le 
marécbal  au  ministre,  27  octobre  186o.) 


LE   MARÉCHAL    BAZAINE.  641 

nilé  à  chaque  officier  et  soldat  payable  au  port  de  débar-  ^866. 
quement  ;  à  employer  leur  influence  pour  qu'une  avance 
fût  faite  à  la  princesse  Doua  Josefa  et  au  prince  Don  Sal- 
vador de  Iturbide  sur  la  pension  qui  leur  était  due  ;  à 
s'efforcer  d'obtenir  du  nouveau  gouvernement  le  complé- 
ment des  sommes  nécessaires  au  paiement  des  dettes  de  la 
liste  civile  et  à  la  liquidation  des  comptes  de  la  grande 
chancellerie,  dans  le  cas  où  le  produit  de  la  vente  des 
effets  mobiliers  appartenant  à  la  liste  civile  serait  insuf- 
fisant. 

Cette  réponse  n'était  pas  exactement  celle  que  désirait 
l'empereur  Maximilien  ;  mais  ce  point  ne  souleva  aucune 
difficulté.  L'Empereur  remercia  le  maréchal  par  la  dépêche 
suivante  : 

Très -confidentielle  et  très-urgente. 

Orizaba,  le  18  novembre  1866. 

«  Au  maréchal  Cazaine. 

«  Je  vous  remercie,  ainsi  que  le  général  Caslelnau,  ainsi  que 
M.  Dano,  d'avoir  réglé  les  points  qui  me  touchaient  de  si  près. 
Mais  il  reste  à  régler  le  définitif:  un  gouvernement  stable  pour  pro- 
téger les  intérêts  compromis.  Ces  points  ne  peuvent  être  traités 
sans  une  entrevue  directe  avec  vous-. 

«  La  continuation  de  mes  fièvres  ne  me  permet  pas  de  monter  à 
Mexico. 

«  Je  vous  invite  donc  à  venir  un  de  ces  jours  ici  et,  en  peu  de 
paroles,  nous  pourrons  tout  arranger  d'une  manière  satisfaisante, 

«  J'ai  appelé  ici  pour  samedi  mon  conseil  d'Etat  et  mon  prési- 
dent du  conseil  des  ministres.  » 

«  Maximilien.  » 

Celte  dépêche  détruisit  les  illusions  que  le  général  Cas- 
telnau  pouvait  encore  conserver  au  sujet  des  intentions  de 

41 


642  II*  PARTIE.  CHAI'ITRE    VI. 

4866.  l'empereur  Maximilien.  Jusqu'alors,  il  l'avait  cru  bien  décidé 
à  quitter  le  Mexique  ;  ce  départ  ne  paraissant  être  qu'une 
question  de  date,  il  s'était  occupé  de  discuter  avec  le  maré- 
chal quelle  ligne  politique  il  convenait  d'adopter. 

Le  gouvernement  français  désirait,  avant  de  retirer  ses 
troupes,  former  sous  son  patronage  un  nouveau  gouver- 
nement dans  l'espoir  d'obtenir  la  reconnaissance  de  ses 
créances;  il  s'était  adressé  au  cabinet  de  Washington,  lui 
avait  demandé  son  concours ,  et  espérait  tout  au  moins 
que  son  influence  s'exercerait  dans  un  sens  favorable  aux 
intérêts  français.  On  écartait  Juarez  de  toute  combinaison 
nouvelle;  du  reste,  le  maréchal  croyait  sincèrement  que 
l'autorité  personnelle  du  président  était  nulle,  que  c'était 
un  «  mannequin  »  derrière  lequel  agissaient  les  hommes  de 
tête  du  parti  libéral.  Il  pensait  qu'il  était  possible  de  le  rem- 
placer par  D.  Manuel  Ruiz  ;  le  général  Castelnau  préférait 
D.  Lerdo  de  Tejada;  enfm,  ils  s'arrêtèrent  à  un  moyen 
terme,  et  leur  choix  tomba  sur  Orlega. 

D'après  la  constitution  de  1837,  Ortega,  président  de 
la  Cour  suprême,  aurait  dû  hériter  des  pouvoirs  de 
Juarez  à  l'époque  où  expirait  le  mandat  de  ce  dernier  ; 
il  y  avait  donc  quelque  apparence  de  logique  et  de  léga- 
lité à  le  considérer  comme  président  intérimaire.  Il  avait 
un  parti  assez  nombreux  ;  plusieurs  chefs  libéraux  recon- 
naissaient son  autorité  ;  un  de  ses  amis,  D.  Manuel  Fer- 
nandez,  envoyé  par  lui  à  Mexico,  avait  laissé  entrevoir 
au  maréchal  Bazaine  la  possibilité  de^  régler  les  ques- 
tions de  garantie  en  faveur  de  nos  nationaux  et  de  recon- 
naissance de  la  dette  française.  «  D'un  autre  côté,  disait  le 
maréchal,  Ortega  représente  une  couleur  moins  rouge  que 
Juarez,  moins  cléricale  que  Santa  Anna  ;  il  est  le  champion 
des  idées  fédéi'alistes  ;  les  grands  propriétaires,  les  gens  in- 


LE   MARÉCHAL   BAZAINE.  643 

tluents  sont  disposés  à  le  soutenir,  c'est  le  choix  le  moins 
mauvais  que  nous  puissions  faire,  et  nous  sommes  décidés 
à  l'appeler,  dès  que  l'empereur  Maximilien  aura  quitté  le 
Mexique.  Il  ne  nous  est  pas  possible  de  faire  directement 
l'appel  au  peuple,  qui  doit  être  la  base  du  nouveau  gouver- 
nement. Ortega  nous  fournira  les  moyens  de  l'organiser 
légalement  (').» 

Un  agent  fut  envoyé  aux  États-Unis  pour  s'assurer  des 
dispositions  de  ce  personnage  à  l'égard  des  satisfactions 
auxquelles  la  France  prétendait,  et  s'efforcer  do  lui  mé- 
nager l'appui  du  cabinet  de  Washington. 

Le  maréchal  et  le  général  Castelnau  avaient  même  pensé 
qu'il  serait  possible  de  s'entendre  avec  les  États-Unis,  de 
manière  à  placer,  près  du  nouveau  gouvernement  mexicain, 
un  commissaire  français  et  un  commissaire  américain  à  la 
disposition  desquels  serait  mise  une  troupe  franco-améri- 
caine. 


-1866. 


Les  Américains  étaient  loin  d'abonder  dans  ce  sens.  lis 
commençaient  à  être  fatigués  de  cette  continuité  de  pro- 
nunciamientos  qui  entretenaient  l'agitation  sur  la  fron- 
tière du  Piio  Bravo.  De  plus,  au  moment  où  le  congrès 
devait  se  réunir,  les  intérêts  de  la  politique  intérieure  con- 
seillaient au  cabinet  de  Washington  de  faire  quelque 
démarche  éclatante  pour  donner  satisfaction  à  l'opinion 
publique.  L'occasion  était  propice. 

Il  prescrivit  à  M.  Campbell  C^),  désigné,  depuis  quelque 
temps  déjà,  comme  ministre  près  de  la  république  mexi- 
caine, de  rejoindre  sans  retard  Juarez  à  Ghihuahua,  ou 
du  moins  d'attendre,  à  proximité  de  la  frontière  ou  des 


Dispositions 

(les  Américains. 

Mission 

Cnmpbell 

et  Sherman. 


(')  Lo  maréchal  au  minisire,  9  novembre. 

(*)  Instructions  de  M.  ScwardàM.  Campbell,  22  octobre  1866. 


644  II"  PARTIE.  —  CHAPITRE  VI. 

4866.  côtes  du  Mexique,  le  moment  favorable  pour  se  mettre  en 
rapport  avec  le  gouvernement  républicain.  M.  Campbell 
devait  être  accompagné  du  général  Granl,  lieutenant  gé- 
néral des  Etats-Unis,  muni  d'une  autorité  discrétionnaire 
pour  faire,  «  sans  violer  toutefois  les  règles  de  la  neutralité, 
toute  démonstration  militaire  ou  maritime  propre  à  favo- 
riser la  restauration  de  ce  gouvernement  républicain  ;  » 
M.  Campbell  était  spécialement  accrédité  auprès  du  gou- 
vernement représenté  par  Juarez,  et  il  lui  était  formelle- 
ment recommandé  de  ne  consentir  à  aucune  stipulation 
avec  les  commandants  français,  le  prince  Maximilien,  ou 
tout  autre  parti  qui  aurait  une  tendance  à  gêner  l'adminis- 
tration du  président  Juarez. 

Le  général  Grant,  ayant  décliné  la  mission  qui  lui  était 
offerte,  fut  remplacé  par  le  général  Sherman. 

MM.  Sherman  et  Campbell  s'embarquèrent,  le  U  no- 
vembre, à  New-York,  sur  la  frégate  la  Siisquehannah,  et  se 
dirigèrent  vers  les  côtes  du  Mexique. 

Peu  de  temps  après,  le  gouvernement  américain  était 
officiellement  informé  par  M.  Bigelow,  son  représentant  à 
Paris,  que  l'intention  de  l'empereur  Napoléon  était  de  ne 
rappeler  aucun  détachement  de  l'armée  du  Mexique  à 
l'automne  de  1866,  et  que,  pour  des  raisons  d'un  intérêt 
purement  militaire,  il  voulait  faire  partir  toutes  les  troupes 
en  bloc  au  printemps  de  1867. 

Le  cabinet  de  Washington  était,  à  n'en  pas  douter, 
parfaitement  au  courant  de  ces  dispositions,  puisque,  h 
dessein,  les  ordres  transmis  au  maréchal  Bazaine  par  le 
câble  transatlantique  n'avaient  pas  été  envoyés  en  chiffres. 
Il  ne  pouvait  ignorer  d'ailleurs  le  but  de  la  mission  du 
général  Castelnau  et  les  efforts  du  gouvernement  fran- 
çais pour  amener  l'abdication  de  l'empereur  Maximilien  ; 


LE   MARÉCHAL   BAZAIKE.  64o 

il  connaissait  le  désir  de  l'empereur  Napoléon  de  se  dé-  'i^^- 
gager  le  plus  vite  possible  de  son  intervention  au 
Mexique  ;  néanmoins ,  M.  Seward  saisit  cette  occasion 
pour  adresser  à  M.  Bigelow  une  dépêche  rédigée  en 
termes  presque  menaçants  pour  la  France, En  flattant  ainsi 
l'orgueil  populaire,  il  donnait  satisfaction  à  la  mauvaise 
humeur  qui  régnait  en  Amérique,  il  affermissait  d'autant 
la  position  du  président  Johnson,  alors  vivement  battue  en 
brèche,  et  il  enlevait  à  l'opposition  une  des  armes  dont 
elle  aurait  pu  se  servir  contre  le  cabinet.  * 

Cette  dépêche,  datée  du  23  novembre,  fut  publiée  dans 
les  journaux  américains  ;  le  gouvernement  français  déclara 
cependant  n'en  avoir  reçu  aucune  communication  (0.  Le 
gouvernement  de  l'Union,  disait  M.  Seward,  ne  pouvait 
acquiescer  aux  nouvelles  combinaisons  arrêtées  par  l'em- 
pereur Napoléon  relativement  au  rappel  de  ses  troupes; 
le  président  n'avait  pas  été  consulté  en  temps  opportun  sur 
cette  question  qui  aurait  dû  lui  être  présentée  avec  les  mani- 
festations ordinaires  de  déférence  pour  les  intérêts  et  les 
sentiments  des  Etats-Unis  ;  il  attendait  donc,  du  gouverne- 
ment français,  l'exécution  littérale  de  l'accord  fait  avec  lui, 
car  les  Etats-Unis  avaient  déjà  envoyé  des  instructions  et 
pris  des  dispositions  militaires  en  vue  du  prochain  départ 
des  premiers  détachements. 

Ces  procédés  sont  ordinaires  à  la  politique  des  États- 
Unis.  Si  l'on  avait  pris  à  la  lettre  les  dépêches  diplomatiques 
du  cabinet  de  Washington,  on  aurait  souvent  jugé  avec 
inexactitude  de  ses  véritables  dispositions  ;  mais  les  rap- 
ports du  ministre  de  France  faisaient  connaître  les  diffi- 
cultés intérieures  contre  lesquelles  le  Président  Johnson 

(1)  Moniteur  du  24  décembre. 


646  II*   PARTIE.   CHAPITRE  VI. 

4866.  avait  à  lutter,  et  les  moyens  dont  il  était  forcé  de  se  servir 
pour  en  triompher.  Plus  d'une  fois,  onavaitvuM.  Seward, 
«  obligé  de  compter  avec  les  partis  et  de  ménager  les  exi- 
gences électorales  » ,  s'approprier  ainsi  les  armes  de  ses 
adversaires  et  prendre,  dans  les  questions  de  politique 
étrangère,  l'attitude  dont  ceux-ci  auraient  pu  profiter. 

Aux  Etats-Unis,  aucun  parti  sérieux  ne  désirait  une 
guerre  avec  la  France,  et  cependant  c'est  autour  de  cette 
question  que  tournaient  toutes  les  manœuvres  du  con- 
grès; de  peur  d'être  dépassé,  M.  Seward  allait  immé- 
diatement, dans  ses  communications  diplomatiques  avec 
la  France,  aussi  loin  qu'il  était  possible  de  le  faire.  La 
question  du  Mexique  était  un  balancier  qui  l'aidait  à 
conserver  son  équilibre  ;  plus  tard  ce  sera  la  question 
feniane  ou  celle  àeVAlabama.  Pour  se  rendre  compte  de 
la  portée  d'une  démarche  du  cabinet  de  Washington  pen- 
dant cette  période,  il  est  donc  nécessaire  de  rechercher 
préalablement  à  quelle  nécessité  de  politique  intérieure  elle 
correspond. 

Vers  la  même  époque,  les  journaux  de  la  Nouvelle- 
Orléans  publiaient  une  lettre  non  moins  significative, 
mais  encore  beaucoup  plus  inconvenante  du  général  She- 
ridan,  commandant  le  département  du  Golfe,  au  général 
commandant  à  Brownsville  : 

Ncw-Orloans,  23  octobre. 

«  Je  suis  convaincu  qu'il  n'y  a  ({u'un  seul  moyen  d'améliorei' 
l'état  des  choses  sur  le  Rio  Grande  :  c'est  de  donner  notre  plus 
cordial  appui  au  seul  gouvernement  que  nous  reconnaissons  au 
Mexique  et  le  seul  qui  soil  réellement  notre  ami.  Vous  préviendrez 
en  conséquence  tous  les  adhérents  de  tout  parti  ou  gouvernement 
prétendu  dans  le  Mexique  ou  dans  l'Etat  de  Tamauhpas,  qu'il  ne  leur 
sera  pas  permis  de  violer  les  lois  de  la  neutralité  entre  le  gouver- 
nement libéral  du  Mexique  et  les  Etats-Unis,  et  aussi  qu'il  ne  leur 


LE   MARÉCHAL   BAZAINK.  647 

sera  pas  permis  de  rester  sur  notre  territoire  et  d'y  recevoir  la         -1866. 
protection  de  notre  drapeau  afin  de  compléter  leurs  machinations  ~ 

par  la  violation  de  nos  lois  de  neutralité. 

«  Ces  instructions  seront  exécutées  contre  les  adhérents  du  bou- 
canier impérial,  représentant  le  soi-disant  gouvernement  impérial 
du  Mexique,  et  aussi  contre  les  Ortega,  Santa  Anna,  et  autres  fac- 
tions. 

«  Le  président  Juarez  est  le  chef  reconnu  du  gouvernement  li- 
béral du  Mexique.  » 

Canales,  qui  s'était  déclaré  pour  Ortega,  était  alors  assié- 
gé à  Matamoros  par  Tapia,  le  gouverneur  nommé  par  Jua- 
rez ;  Ortega  s'étant  rendu  de  la  Nouvelle-Orléans  à  Brazos 
avec  l'intention  de  passer  au  Mexique,  fut  arrêté  par  les 
autorités  américaines. 

Il  devenait  impossible  de  rien  démêler  à  la  conduite 
des  officiers  américains  de  Brownsville.  Tantôt  ils  avertis- 
saient Canales  qu'il  était  interdit  de  lui  faire  parvenir  des 
vivres  ;  quelques  jours  après,  cette  interdiction  était  levée, 
et  des  détachements  américains  allaient  monter  la  garde 
à  Matamoros  pendant  que  la  garnison  repoussait  les  assauts 
d'Escobedo;  le  drapeau  des  Etats-Unis,  au  grand  étonne- 
ment  des  habitants,  flottait  sur  la  cathédrale;  le  lendemain 
les  Américains  félicitaient  l'un  et  l'autre  parti  de  leur  vail- 
lance. Enfin,  ils  finirent  par  proposer  à  Canales  de  se  cons- 
tituer avec  ses  troupes  prisonnier  de  guerre  à  Brownsville; 
mais  celui-ci  préféra  entrer  en  arrangement  avec  Escobedo. 

Un  grand  désordre  résultait  de  toutes  ces  compétitions. 
D'autre  part,  les  incertitudes,  les  tergiversations  de  l'Em- 
pereur semblaient  inexplicables.  Les  Français  résidant  à 
Mexico  étaient  dans  une  grande  inquiétude  ;  les  uns  son- 
geaient à  se  faire  naturaliser  Américains  pour  se  mettre  à 
l'abri  du  drapeau  des  Etats-Unis  ;  les  autres  liquidaient 
leurs  affaires  pour  se  tenir  prêts  à  partir.  Toute  nouvelle 


648  II*  PARTIE.   —  CHAPITRE  VI. 

-1866.  combinaison  ,  si  absurde  qu'elle  fût,  trouvait  créance  ; 
on  allait  jusqu'à  imaginer  une  commission  de  gouverne- 
ment dans  laquelle  le  général  Castelnau  devait  siéger  k 
côté  de  M.  Lares  et  du  général  Mendez.  On  accusait  le 
maréchal  de  s'entendre  avec  Porfirio  Diaz  pour  lui  livrer 
le  matériel  de  guerre  ;  il  était  vrai  que  des  négociations 
avaient  été  entamées  pour  l'échange  des  prisonniers  ;  il  y 
répondait  avec  courtoisie,  paraissait  vouloir  éviter  tout 
engagement  avec  les  Français,  et  ménageait  les  propriétés 
de  nos  nationaux.  Delà,  mille  conjectures (^). 

A  mesure  que  les  conservateurs  s'éloignaient  des  repré- 
sentants de  la  France ,  par  une  conséquence  naturelle 
d'équilibre,  les  libéraux  s'en  rapprochaient.  Le  maréchal 
se  défiait  des  conservateurs.  C'était  en  eux  qu'il  voyait 
maintenant  les  ennemis  les  plus  dangereux  ;  c'était  de  leur 
côté  qu'il  prévoyait  les  plus  grands  embarras,  lorsqu'après 
le  départ  de  l'Empereur,  il  s'agirait  de  constituer  un  nou- 
veau gouvernement. 

f ')  Des  ouvertures  furent  faites  à  Porfirio  Diaz  par  l'intermédiaire  de  M.  Oltor- 
bourg,  consul  des  États-Unis  à  Mexico,  pour  l'engager  à  prendre  la  dircclion  dos 
afifaires  politiques  si  l'empereur  Maximilien  abdiquait. 

A  ce  sujet,  les  journaux  américains  reproduisirent  une  lettre  écrite  par  Porflrio 
Diaz  àM.Romero,  agent  de  Juarez  à  Washington.  Celte  lettre  contient  les  affir- 
mations les  plus  invraisemblables  :  «  Le  maréchal  Bazainc,  par  l'intermédiaire 
d'une  personne  tierce,  me  fit  l'offre  de  mettre  entre  mes  mains  les  villes  occupées 

par  les  Français,  et  de  me  livrer  Maximilien,  Marquez,  Miramon,  etc 

si  j'acceptais  une  proposition  que  j'ai  repoussée  parce  que  je  ne  la  trouvais  pas 
honorable. 

«  Une  autre  proposition,  venant  également  de  l'initiative  du  maréchal  Bazaine, 
avait  trait  à  Tacquisition  de  six  mille  fusils  et  de  quatre  millions  de  capsules.  Si 
je  l'avais  désiré,  il  m'aurait  aussi  vendu  des  canons  et  de  la  poudre,  mais  j'ai 
refusé  d'accepter  ces  propositions.  » 

M.  Otterbourg  avait  en  effet  offert  ses  bons  ofiices  et  proposé  d'appeler  Porfirio 
Diaz  à  Jlexico  lorsque  l'empereur  Maximilien  serait  parti.  Il  avait  même  obtenu 
des  principaux  banquiers  la  promesse  qu'ils  fourniraient  l'argent  nécessaire  pour 
la  solde  de  ses  troupes.  De  tous  les  chefs  libéraux,  Porfirio  Diaz  était  celui 
avec  lequel  il  paraissait  le  plus  honorable  d'entrer  en  rapport.  11  est  même  logique 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  649 

«  Aujourd'hui,  écrivait  le  général  Castelnau,  les  conser-  <866. 
valeurs  sont  les  plus  grands  ennemis  de  l'influence  fran- 
çaise, parce  qu'ils  savent  que  notre  intervention  n'a 
plus  d'autre  but  que  d'en  finir  avec  l'Empire  dont  ils 
vivent  et  par  lequel  ils  vivent,  et  par  un  revirement  qui 
en  est  la  conséquence,  les  libéraux  se  rapprochent  de  nous.  » 
Les  conservateurs  avaient  une  partie  de  l'armée  dans  leurs 
mains  et  quelques  ressources  financières  qu'ils  augmen- 
taient chaque  jour  par  la  rentrée  des  impôts  et  par  le  re- 
fus systématique  de  payer  les  créanciers  de  l'Etat;  aussi, 
le  maréchal  tenait  les  troupes  mexicaines  impériales  éloi- 
gnées et  disséminées  ;  il  concentrait  au  contraire  les  sien- 
nes, et,  malgré  les  réclamations  du  ministère,  il  conser- 
vait toujours  la  citadelle  de  Mexico.  Ces  mesures  de  mé- 
fiance étaient  justifiées  par  l'état  présent  des  affaires  et 
les  complications  plus  graves  encore  que  l'avenir  pouvait 
enfanter.  Le  gouvernement  français,  ayant  intérêt  à  se 
ménager  autant  que  possible  les  bonnes  dispositions  des 
libéraux  appelés  à  recueillir  la  succession  de  l'empereur 


d'admettre  que  le  maréchal  aurait  été  disposé  à  lui  céder  des  armes  et  des  mu- 
nitions, en  tant  qu'il  représenterait  le  gouvernement  appelé  à  succéder  à  l'Empire. 
Mais  quant  à  l'offre  prétendue  de  livrer  Maximilien,  Marquez  et  Miramon,  et  de 
rendre  les  places,  elle  est  parfaitement  absurde.  La  proposition  que  Porfirio  Diaz 
entend  avoir  repoussée  comme  peu  honorable,  a  trait  sans  doute  à  la  reconnais- 
sance de  la  dette  et  des  emprunts  français. 

Le  maréchal  était  fort  opposé  à  l'intervention  des  États-Unis  ;  il  les  considé- 
rait avec  raison  comme  les  ennemis  formels  de  la  politique  française  au  Mexique, 
blâmait  les  pourparlers  qui  s'étaient  engagés  avec  eux  par  l'intermédiaire  do 
M.  Dano  et  de  M.  de  Montholon,  pourparlers  dont  il  n'eut  connaissance,  dit-il , 
que  par  les  renseignements  reçus,  vers  la  fin  du  mois  de  décembre,  d'un  de  ses 
officiers  d'ordonnance  qui  traversait  l'Amérique.  Il  désapprouvait  la  confiance  que 
le  général  Castelnau  et  M.  Dano  accordaient  à  M.  Otterbourg,  et  les  démarches  de 
celui-ci  près  des  chefs  libéraux.  —  (Le  maréchal  au  ministre,  10  janvier  i867.) 

A  la  même  époque,  la  confusion  des  esprits  était  si  grande  que  M.  Dano  disait 
au  général  Castelnau  que  le  maréchal  «  s'entendait,  sans  doute,  avec  l'empereur 
Ma.\imilien  pour  son  propre  compte,  h 


650  II*  PARTIE.  CHAPITRE    VI. 

^866.  Maximilien,  il  fallait  s'attendre  à  un  déchaînement  de  toutes 
les  passions  du  parti  opposé,  et  par  conséquent,  chercher 
à  le  réduire  à  l'impuissance  ;  mais  il  était  fort  difficile  de 
séparer  sa  cause  de  celle  de  l'empereur  Maximilien  qui 
ne  pouvait  se  décider  à  partir. 

Le  10  novembre,  les  généraux  MiramonetMarquez,  exilés 
pour  leurs  tendances  trop  cléricales,  revenaient  au  Mexi- 
que ;  personne  ne  refusait  à  Miramon  une  certaine  valeur 
militaire,  et  à  Marquez,  une  énergie  qui  touchait  même  trop 
souvent  à  la  barbarie  ;  quant  à  leur  dévouement  absolu  à 
la  cause  du  parti  clérical,  leur  passé  en  faisait  foi.  Ils 
dirent  à  l'Empereur  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  de  désespérer  ; 
souvent,  ils  s'étaient  trouvés  dans  des  circonstances  plus 
mauvaises  ;  on  aurait  des  hommes,  de  l'argent,  et,  si  l'Em- 
pereur se  donnait  à  lui,  le  parti  conservateur,  jadis  si 
méprisé,  allait  montrer  quelles  étaient  ses  ressources  et  sa 
puissance. 

L'Empereur  recevait  d'Europe  des  encouragements  dans 
le  même  sens.  On  dit  que  sa  mère,  l'archiduchesse  Sophie, 
lui  écrivit  de  ne  pas  compromettre  son  honneur  par  une 
abdication  intempestive  ;  l'empereur  d'Autriche,  qui  crai- 
gnait de  voir  la  popularité  de  son  frère  exploitée  par  le 
parti  de  l'opposition,  faisait  savoir  à  M.  Lago,  ambassa- 
deur d'Autriche,  que  le  titre  d'empereur  ne  lui  serait  pas 
reconnu  et  qu'on  l'inviterait  à  ne  pas  se  mêler  de  pohti- 
quc  (*).  Enfin,  les  lettres  de  M.  Eloinne  furent  pas  sans  une 


(')  Les  rapports  entre  rcmporour  d'Autriclic  et  l'empereur  Maximilien  étaient 
fort  tendus  depuis  longtemps.  Le  9  avril  18G4,  c'est-à-dire  la  veille  du  jour  fixé 
pour  la  réception  à  Miramar  de  la  dcputation  mexicaine,  qui  devait  oiïrir  la  cou- 
ronne à  l'arcliiduc  Maximilien,  alors  que  toutes  les  conventions  avec  la  France 
étaient  conclues ,  que  tous  les  arrangements  étaient  pris,  l'empereur  d'Autriche, 
accompagné  de  quelques  conseillers  intimes,  était  arrivé  à  Miramar  et  avait  exigé 
de  son  frère  :  une  renoneiaiiou  formelle  pour  lui  et  ses  descendants  d  la  succès- 


LE   MARÉCHAL    BAZAIKE.  651 

grande  influence  sur  l'esprit  de  l'emperetir  Maximilien,  et  -isce. 
réveillèrent  son  irritation  contre  le  gouvernement  français  ; 
il  ne  pouvait  se  dissimuler,  en  effet,  ce  qu'il  y  aurait 
d'humiliant  pour  lui  à  s'embarquer  presque  furtivement 
pour  l'Europe,  et  à  paraître  quitter  le  Mexique  sous  la  pres- 
sion de  l'empereur  Napoléon,  comme  un  serviteur  obscur 
renvoyé  par  un  maître  mécontent. 

Quelle  position  aurait-il  en  Europe  après  cette  malen- 
contreuse aventure?  Monté  sur  le  trône  du  Mexique  à 
l'appel  de  l'empereur  des  Français,  il  semblerait  en  des- 
cendre sur  ses  injonctions.  Cette  situation  était  pénible  ; 
il  avait  d'autant  plus  de  peine  à  l'accepter,  qu'un  parti 
riche  et  encore  nombreux  le  suppliait  de  ne  pas  désespérer 
de  l'avenir.  L'empereur  Maximilien  résolut  de  rester. 

Quelque  disposé  qu'il  fût  aux  illusions,  il  dut  bien 
calculer  les  dangers  de  l'avenir  ;  mais  s'il  fallait  tom- 
ber, encore  voulait-il  que  ce  fût  avec  honneur.  Peu  lui 
importent  dès  lors  la  politique  française  et  les  représen- 
tants de  celui  qu'il  appelait  naguère  son  auguste  ami  et 


sion  de  l'empire  d'Autriche ,  à  l'exception  du  seul  cas  où  tous  Jes  autres  archi- 
ducs mourraient  sans  descendance  mâle.  Quelques  mois  plus  tard,  en  novenibre 
1864,  cette  convention,  connue  sous  le  nom  de  :  Pacte  de  famille,  fut  communi- 
quée au  Reichsrath  ;  l'empereur  Maximilien  protesta  contre  celte  communication 
faite  sans  son  aveu  (.Mexico,  28  décembre  18(54).  Il  prétendit  que  sa  signature 
lui  avait  été  arrachée  dans  des  circonstances  où  il  lui  était  impossible  de  la  refuser 
et  par  des  moyens  déloyaux;  que,  du  reste,  les  jurisconsultes,  à  l'examen  des- 
quels le  Pacte  de  famille  avait  été  soumis,  avaient  déclaré  que  cet  acte  était  nul 
et  dérisoire,  et  que  les  Diètes  seules  étaient  compétentes  pour  régler  les  droits 
d'agnation,  qui  modifient  un  acte  de  la  Pragmatique  Sanction. 

Cette  protestation,  le  ton  dans  lequel  elle  était  faite,  et  la  persistance  à  sauve- 
garder ses  droits  éventuels  de  succession,  font  croire  que  l'empereur  Maximilien 
n'avait  nullement  renoncé  à  jouer  un  rôle  politique  en  Europe  ;  par  là  s'explique 
''attitude  de  l'empereur  d'Autriche  à  son  égard,  et  se  révèle  une  des  raisons  par- 
ticulières qui,  rendant  difficile  le  retour  de  l'empereur  Maximilien  dans  sa  patrie, 
lui  faisaient  désirer  de  quitter  le  Mexique  dans  des  conditions  où  son  prestige  ne 
pourrait  être  diminué. 


6S2'  11°  PARTIE,    CIIAPITIŒ  VI. 

4866.  allié.  Jeté  à  corps  perdu  dans  les  bras  d'un  parti,  il  s'a- 
bandonne à  lui  et  répudie  tout  appui  étranger.  Que  les 
troupes  françaises  partent  !  Que  les  Belges  et  les  Autri- 
chiens s'en  aillent  avec  elles  !  Quant  à  lui,  il  restera,  grou- 
pant autour  de  son  trône  toutes  les  forces  du  parti  con- 
servateur, qui  a  si  souvent  contre-balancé  l'influence  des 
libéraux. 

Il  convoqua  ses  ministres  et  ses  conseillers  à  Orizaba, 
pour  agiter,  dans  une  dernière  et  solennelle  séance,  les 
conditions  nouvelles  de  l'Empire  régénéré,  épuré  de  toute 
intervention  étrangère.  C'est  à  cette  conférence  qu'il  avait 
prié  le  maréchal  de  se  trouver. 

Dans  une  dépêche,  communiquée  au  quartier  général 
par  le  capitaine  Pierron,  l'Empereur  s'exprimait  ainsi  : 

a  Aucune  des  démarches  faites  par  moi  ne  peut  autoriser  qui 
que  ce  soit  à  croire  que  j'aie  l'intention  d'abdiquer  en  faveur  d'au- 
cun parti. 

«  L'appel  fait  au  conseil  d'Etat  ainsi  qu'aux  ministres  a  précisé- 
ment pour  but  de  résoudre,  conjointement  avec  eux,  entre  les  mains 
de  qui  on  doit  laisser  le  pouvoir  quand  le  moment  d'abdiquer  sera 

venu Je  crois  devoir  rendre  le  pouvoir  que  j'ai  reçu  entre  les 

mains  de  la  nation  qui  me  l'a  donne  et  laisser  toutes  les  questions 
d'origine  et  d'élection  du  nouveau  gouvernement  au  libre  arbitre 
de  la  nation. 

t  Mon  seul  devoir  consiste  donc  h  nommer  une  régence  provi- 
soire en  attendant  que  la  nation  soit  convoquée,  à  chercher  h  pro- 
téger les  impérialistes  et  rien  de  plus 

Orizaba,  20  novembre. 

D'après  les  conseils  du  général  Castelnau  et  deM.Dano, 
le  maréchal  s'excusa  de  ne  pas  répondre  à  cette  invitation  ; 
pour  motiver  son  refus,  il  fit  prier  le  général  Douay,  qui 
était  à  quelques  étapes  de  Mexico,  de  retarder  son  retour, 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  6o3 

et  il  écrivit  à  l'empereur  Maximilien  qu'il  ne  pouvait  quit-        -ïseG. 
ter  la  capitale,  dont  la  garde  lui  était  confiée,  avant  l'arri-     ^^(^'^11^'^ 
vée  du  général  Douay,  et  sans  être  tranquillisé  sur  les     ^J^^^^fj^'J,'' 
mouvements   militaires  en   cours   d'exécution    (18   no-  "^ ^^"^^^^^^^^^^ 
vembre). 

Dix-huit  conseillers,  dont  quatre  ministres,  se  rendirent 
à  l'appel  de  l'Empereur.  Les  conférences  s'ouvrirent  le 
26  novembre  ;  huit  membres  opinèrent  pour  l'abdication  ; 
dix,  pour  le  maintien  de  l'Empire  ;  neuf  membres  contre 
neuf  furent  d'avis  que  les  ressources  du  pays  étaient  suf- 
fisantes et  permettraient  à  l'Empereur  de  se  soutenir  sans 
appui  étranger. 

L'Empereur  accepta  ce  dernier  avis  ;  il  fit  annoncer 
celte  détermination  à  Mexico  et  à  Vera-Cruz,  par  le  télé- 
graphe, et  adressa  au  pays  la  proclamation  suivante  : 

«  Des  circonstances  de  grande  importance  relativement  au  bien- 
être  de  notre  patrie,  qui  ont  acquis  une  plus  grande  force  par  nos 
malheurs  domestiques,  avaient  produit  dans  notre  esprit  la  con- 
viction que  nous  devions  rendre  le  pouvoir  que  vous  nous  aviez 
confié. 

«  Nos  conseils  des  ministres  et  d'Etat,  convoqués  par  nous,  opi- 
nèrent que  le  bien  du  Mexique  exige  encore  que  nous  conservions 
le  pouvoir,  et  nous  avons  cru  devoir  accéder  à  leurs  instances  en 
leur  annonçant,  en  même  temps,  notre  intention  de  réunir  un  con- 
grès national  sur  les  bases  les  plus  larges  et  les  plus  libérales  où 
tous  les  partis  auront  accès;  ce  congrès  déterminera  si  l'Empire 
doit  subsister,  et,  dans  le  cas  affirmatif,  il  promulguera  les  lois  vi- 
tales pour  la  consolidation  des  institutions  politiques  du  pays. 
Dans  ce  but,  nos  conseillers  s'occupent  actuellement  de  nous  pro- 
poser les  mesures  opportunes,  et  l'on  fera  en  même  temps  les  dé- 
marches convenables  pour  que  tous  les  partis  se  prêtent  à  un  ar- 
rangement sur  cette  base. 

«  En  attendant,  Mexicains,  comptant  sur  vous  tous  sans  exclu- 


634  II*  PARTIE.  CHAPITRE    VI. 

4806,  sion  d'aucune  couleur  politique,  nous  nous  efforcerons  de  pour- 

~  suivre,  avec  courage  et  constance,  l'œuvre  de  régénération  que 

vous  avez  confiée  à  votre  compatriote.  » 

Maximilien  ('^ 

Les  autorités  municipales  firent  sonner  les  cloches  et  pa- 
voiser les  maisons.  Par  une  communication  officielle  du 
3  décembre,  M.  Lares  informa  les  représentants  de  la 
France  que  l'Empereur  était  résolu  «  à  conserver  le  pouvoir  et 
à  soutenir  son  gouvernement  avec  les  seules  ressources  clupays,  » 
Il  demanda  de  nouveau  la  remise  immédiate  des  troupes 
mexicaines  et  du  matériel  de  guerre  à  la  disposition  exclusive 
du  gouvernement  mexicain. 

Le  8  décembre ,  le  maréchal ,  M.  Dano  et  le  général 
Castelnau  se  bornèrent  à  répondre  par  une  note  collec- 
tive : 

«  Que,  dans  leur  conviction,  le  gouvernement  impérial  serait 
impuissant  à  se  soulenir  avec  ses  seules  ressources.  Si  pénible  que 
ce  dût  être  pour  eux,  et  sans  prétendre  influencer  en  rien  la  déci- 
sion finale,  ils  considéraient  comme  un  devoir  de  le  déclarer,  en 
ajoutant  qu'en  l'étal  acluel  des  choses,  la  résolution  suprême  et 
généreuse,  à  laquelle  l'empereur  Maxiaiilien  paraissait  vouloir 
s'arrêter  il  y  avait  un  mois,  eût  seule  permis  de  chercher  une  solu- 
tion propre  à  sauvegarder  tous  les  intéréj^.  » 

Le  maréchal  Bazaine  paraît  ne  s'être  associé  qu'à  contre- 
cœur à  cette  déclaration  officielle  contre  l'Empire  ;  le  !29 
novembre,  il  écrivait  en  effet  au  ministre  de  la  guerre  : 

«  Quant  à  moi,  je  fais  tous  mes  efforts  pour  remonter  le 

(1)  Tous  les  documents  émanes  de  rcmpcrcur  Maximilien  et  de  ses  ministres, 
pendant  celle  iiitéressanlc  période,  sont  écrits  en  espagnol  ;  nous  n'en  avons  eu 
que  des  traductions,  approuvées  par  le  chef  du  cabinet  du  maréclial,  mais  dont 
plusieurs  passages  semblent  cependant  assez  défectueux. 


LE   MARÉCHAL    BAZAINE.  655 

moral  de  l'Empereur,  car,  avec  delà  résolution,  et  surtout         iseo. 
de  la  persistance  dans  la  conduite  des  affaires,  il  peut  main- 
tenir sa  situation  dans  le  centre  du  pays  ;  les  gouverne- 
ments précédents  n'ayant  jamais  eu  plus  d'action,  et  beau- 
coup moins  de  moyens  militaires.  » 

Il  ne  dissimulait  pas  à  l'empereur  Maximilien  les  périls 
de  cette  détermination  ;  depuis  bien  longtemps  déjà,  il 
l'avertissait  de  la  trahison  des  préfets,  du  mécontentement 
et  du  peu  de  fidélité  de  l'armée  ;  il  pensait  que  la  convo- 
cation d'un  congrès  était  une  idée  généreuse,  sans  doute, 
mais  à  laquelle  aucun  des  partis  ne  s'associerait.  Il  croyait 
cependant  que  l'Empereur  avait  encore  assez  de  forces 
dans  le  pays  pour  se  retirer  un  jour  plus  honorablement, 
et  trouver  au  moins  une  occasion  de  succomber  glorieuse- 
ment; il  lui  répugnait  de  porter  les  mains  sur  ce  trône 
élevé  à  tant  de  peine,  et  pour  la  consolidation  duquel 
tant  d'argent  avait  été  dépensé,  tant  de  sang  français 
répandu  ;  si  l'Empire  devait  être  renversé,  que  ce  ne  fût 
pas  l'œuvre  de  ceux  mêmes  qui  l'avaient  éditié  ! 

«  Nous  aurions  mauvaise  grâce  à  susciter  des  embarras  au  pou- 
voir que  nous  avons  contribué  à  élever.  L'Empereur  déclare  qu'il 
se  maintiendra  avec  ses  seules  ressources,  il  ne  nous  reste  donc 
qu'à  nous  retirer  le  plus  promptement.  » 

«  Pour  moi,  écrivait-il  encore,  je  ne  pourrais  que  m'associer 
favorablement  à  la  haute  décision  prise  par  l'empereur  Maximi- 
lien; malheureusement,  ma  confiance  dans  Tavenir,  dans  les 
hommes  destinés  à  soutenir  le  trône  impérial,  dans  les  moyens 
que  le  gouvernement  sera  fatalement  appelé  à  employer,  dans  les 
ressources  financières  et  dans  l'esprit  du  pays,  n'est  point  aussi 
absolue  que  celle  de  Sa  Majesté.  Jusqu'au  dernier  moment,  je  sou- 
tiendrai de  tout  mon  pouvoir  une  cause  h  laquelle  se  rattachent 
le  nom  et  l'intluence  de  la  l'rance. 

«  Je  n'ai  épargné,  dans  le  passé,  ni  les  conseils  ni  les  avertisse- 


6o6  II*  PARTIE.  —  CHAPITRE  VI. 

-1866  ments.  Tout  récemment  encore,  je  n'ai  point  caché  à  Sa  Majesté 

"■  qu'elle  ne  devait  pas  fonder  grand  espoir  sur  les  moyens  militaires 

qu'on  lui  offrait.  J'ai  exposé  loyalement  mon  sentiment,  mais  je 
me  suis  cru,  et  je  me  crois  encore  obligé  à  donner  mon  appui 
moral,  aussi  bien  que  celui  de  mes  troupes,  au  souverain  dont  les 
défaillances  et  les  oscillations  pouvaient,  dans  les  circonstances 
actuelles,  compromettre  notre  situation. 

<r  II  faut  avoir  éprouvé  toutes  les  inquiétudes  que  me  causaient 
l'éloignement  du  62"  de  ligne  -et  de  toutes  les  troupes  disséminées 
sur  la  surface  de  l'Empire,  et  la  difficulté  de  les  ramener  à  ma  por- 
tée pour  se  rendre  compte  des  ménagements  que  j'ai  dû  garder 
avec  tous  les  partis  ('\> 

La  connaissance,  qu'il  avait  acquise  du  caractère  mexi- 
cain, révélait  au  maréchal  des  difficultés,  dont  ne  pouvaient 
se  rendre  aussi  bien  compte  les  personnes  moins  au  cou- 
rant que  lui  des  hommes  et  des  choses  du  pays.  Il  voyait 
le  parti  libéral  se  morceler  en  factions  qui  ne  seraient 
pas  assez  fortes  pour  dominer  la  situation  et  garder  le 
pouvoir;  toutes  garanties  accordées  par  l'une  ou  l'autre 
de  ces  factions  seraient  illusoires,  et  il  y  aurait  même 
quelque  humiliation  à  les  solliciter,  au  risque  de  s'exposer 
à  un  refus. 

Les  États-Unis  ne  se  prêteraient  à  aucune  des  combinai- 
sons que  la  France  pouvait  désirer;  ils  ne  reconnaî- 
traient jamais  d'autre  gouvernement  que  celui  de  Juarez, 
et  il  n'était  pas  possible  de  traiter  avec  ce  dernier  qui, 
d'ailleurs,  n'y  consentirait  probablement  pas.  Enfin,  dans 
le  désordre  et  l'anarchie  qui  suivraient  une  abdication, 
quel  serait  le  sort  des  garnisons  et  des  colonnes  françaises 
encore  éparses,  encombrées  de  convois,  n'ayant  plus  au- 
cun appui  dans  le  pays,  débordées  de  tous  côtés  par  des 
ennemis  dont  les  moins  irrités  ne  seraient  pas  les  alliés  de 
la  veille? 

(1)  Le  mareclial  au  ministre,  9  dccembro. 


LE    MARÉCHAL   BAZAIKE.  657 

Le  maréchal  différait  d'opinion  avec  le  général  Castel-  ''866. 
nau  ;  il  commençait  à  trouver  très-lourde  la  tutelle 
qui  lui  avait  été  imposée  :  «  Je  serai  heureux  de  sortir 
d'une  situation  qui  devient  tous  les  jours  plus  pénible, 
sous  bien  des  rapports,  et  qui  affecte  m,on  moral  ainsi  que 
mon  énergie ,  par  suite  de  la  restriction  apportée  à  toute 
initiative  de  ma  part,  quoique  les  instructions  de  l'Empe- 
reur, du  15  septembre,  assurent  que  ma  liberté  d'action 
doit  rester  la  même,  ainsi  que  ma  responsabilité  vis-à-vis  de 
S.  M.;  c'est  assez  difficile  à  concilier  avec  l'autorité  de 
contrôle  donnée  à  M.  le  général  Castelnau...  Je  ne  puis 
que  m'incliner,  mais  il  est  dur  de  passer  au  second  rang.» 
Le  seul  désir  du  maréchal  était  alors  de  partir  au  plus  vile; 
il  demandait  au  ministre  d'envoyer  sans  retard  tous  les 
transports  et  promettait  d'être  prêt  à  s'embarquer  au  mois 
de  février. 

Peu  de  temps  avant  les  conférences  d'Orizaba,  la  fré- 
gate américaine,  portant  la  mission  Sherman  et  Camp- 
bell, était  arrivée  sur  les  côtes  du  Mexique.  Le  ma- 
réchal en  avait  été  prévenu  par  une  lettre  de  l'amiral 
Didelot,  écrite  de  New-York.  «  L'aménité,  l'esprit  conci- 
liant du  général  Sherman,  ses  bons  sentiments  pour  la 
France  »  devaient  faire  espérer,  disait  l'amiral,  que 
des  relations  pourraient  «  s'établir  sur  un  pied  facile  et 
cordial.» 

La  Susquehannah  s'était  arrêtée  à  Tampico,  et  avait  fait 
demander  au  commandant  de  l'escadre  française  quel  ac- 
cueil elle  trouverait  à  Yera-Cruz.  Le  maréchal  répondit 
qu'on  accueillerait  la  frégate  comme  tout  bâtiment  de 
guerre  d'une  nation  amie,  et  que,  si  le  général  Sher- 
man désirait  venir  à  Mexico,  il  serait  reçu  avec  la  dis- 

42 


6S8  '  II'    PARTIE.  CHAPITRE  VI. 

4866.  tinction  due  à  son  haut  grade  et  la  plus  franche  cor- 
~"  dialité. 

La  frégate  américaine  arriva  le  29  novembre  à  Vera-Gruz, 
par  une  tempête  du  Norte  ;  le  commandant  Cloué  fit  com- 
plimenter le  général  Sherman ,  mais  celui-ci  exprima  l'in- 
tention de  n'aller  à  Mexico  que  sur  une  pressante  invita- 
tion du  maréchal.  Vraisemblablement,  la  mission  améri- 
caine supposait  l'empereur  Maximilien  parti  ou  près  de 
partir  ;  elle  croyait  trouver  une  situation  qui  lui  permît, 
sans  entrer  en  conflit  avec  les  Français,  d'accord  même 
avec  eux ,  d'aider  au  rétablissement  du  gouvernement 
répubUcain.  Il  n'en  était  rien.  Le  préfet  de  Vera-Gruz 
venait,  au  contraire,  de  faire  publier  la  dépêche  annon- 
çant la  résolution  de  l'Empereur  de  rester  au  Mexique, 
et  des  réjouissances  publiques  célébraient  cette  nouvelle 
(1^'"  décembre).  Les  Américains  comprirent  qu'ils  n'avaient 
qu'à  se  retirer;  en  effet,  dans  la  nuit  du  2  au  3  décembre, 
la  Susquehannah  leva  l'ancre  sans  avoir  mis  personne  à  terre. 

L'empereur  Maximilien  fut  profondément  blessé  de  ces 
pourparlers  engagés  entre  la  France  et  les  États-Unis, 
dans  le  but  d'activer  son  départ  et  de  régler  sa  succes- 
sion (*). 

Le  fifénéral  Gastelnau  et  le  maréchal  avaient  envoyé,  le 


(')  Une  circulaire  du  gouvernement  mexicain,  datée  du  10  décembre,  en 
donne  la  preuve  :  «  On  a  fait  savoir  à  l'Empereur  qu'entre  le  gouvernement 
français  et  celui  des  États-Unis,  s'étaient  nouées  des  négociations  pour  assurer  une 
médiation  franco-américaine,  en  vertu  de  laquelle  on  se  promettait  d'apporter  un 
terme  à  la  j/uerre  civile  qui  désolait  le  pays  ;  et  pour  arriver  à  ce  but  on  consi- 
dérait comme  indispensable  que  le  gouvorneracnl  qui  s'établirait  sous  cette  mé- 
diation reprit  la  forme  républicaine  et  s'inspirât  des  libéraux.  Les  espérances  de 
notre  gouvernement ,  qui  étaient  basées,  en  partie,  sur  une  loyale  et  ferme 
alliance  avec  la  France  pour  la  consolidation  de  l'ordre  actuel,  se  voyaient  ainsi 
trompées.  » 


LE    3IARÉCHAL    BAZAINE.  6o9  _. 

2  décembre,  à  l'empereur  Napoléon  une  dépêche  chiffrée 
ainsi  conçue  : 

<t  L'empereur  Maximilien  paraît  vouloir  rester  au  Mexique,  mais 
on  ne  peut  y  compter.  L'évacuation  devant  être  terminée  en  mars, 
il  est  urgent  que  les  transports  arrivent;  nous  pensons  que  le  régi- 
ment étranger  doit  être  aussi  embarqué;  quant  aux  officiers  et  sol- 
dats français  détachés  aux  corps  mexicains  peut-on  leur  laisser  la 
faculté  de  revenir  ? 

«  Le  pays  est  inquiet,  la  mission,  Campbell  et  Sherman  arrivée 
devant  Vera-Cruz,  le  29  novembre,  partie  le  3  décembre,  semble 
disposée  à  solution  pacifique;  elle  ne  donne  pas  moins  appui  mo- 
ral au  président  Juarez  par  la  déclaration  du  gouvernement  fé- 
déral. 

Signé:  Bazai.ne,  Gastelnau. 

L'Empereur  répondit  : 

«  Rapatriez  la  légion  étrangère  et  tous  les  Français,  soldats  et 
autres,  qui  désirent  rentrer,  ainsi  que  les  légions  auti'ichienne  et 
belge,  si  elles  le  demandent  (13  décembre). 

Cette  réponse  fut  portée  officiellement  à  la  connaissance 
du  gouvernement  mexicain  par  une  communication  du  19 
décembre  ('). 

(')  Le  gouvernement  français  se  considérait,  déjà  depuis  longtemps,  comme 
délié  des  engagements  du  traité  de  Miramar  ;  il  comptait  sur  l'ab  Jication  pro- 
chaine de  l'empereur  Maximilien,  et  cependant  aucun  contre-ordre  n'avait  été  donné 
relativement  à  l'envoi  au  Mexique  du  6'  bataillon  de  la  légion  étrangère.  Le  o 
novembre,  cent  trente  hommes  arrivaient  par  le  Rhône  ;  un  détachement  de  même 
force  arrivait  encore,  le  il  décembre,  par  le  Panama.  Il  est  difficile  d'expliquer 
ces  envois  de  troupes  autrement  que  par  une  erreur  dans  la  transmission  des 
ordres  de  mouvement 


CHAPITRE  SEPTIÈME 


SOMMAIRE. 

xMouvemcnts  de  retraite  de  l'armift  française. —  Évacuation  de  la  Sonora.  — 
Combats  autour  de  Mazatlan;  évacuation.  —  Évacuation  de  Guadalajara  (12 
décembre).  —  Combats  autour  de  Matehuala.  —  Évacuation  de  San  Luis  (23 
décembre  1866).  —  Combat  de  Miahuatlan  (3  octobre).  —  Prise  d'Oajaca  par 
Porfirio  Diaz  (30  octobre).  —  Mouvements  militaires  entre  Perote  et  Tehua- 
ean.  —  Entrevue  de  l'empereur  Maximilien  avec  le  général  Castelnau  et 
M.  Dauo  à  Puebla  (20  décembre).  —  Difficultés  au  sujet.de  la  convention  du 
30  juillet.  —  Déclaration  du  maréchal  à  la  conférence  du  1  i  janvier  18C7.  — 
Mesures  de  rigueur  ordonnées  par  le  maréchal  à  Mexico.  —  Rupture  du  ma- 
réchal avec  le  gouvernement  mexicain  et  l'empereur  Maximilien.  —  Départ  de 
Mexico  du  maréchal  et  de  la  dernière  colonne  de  troupes  françaises  (o  février). 
—  Embarquement  du  corps  expéditionnaire.  —  Dernières  opérations  des  troupes 
impériales  mexicaines.  —  Siège  et  prise  de  Queretaro,  par  les  forces  libérales 
(15  mai).  —  Expédition  du  général  Marquez  sur  Puebla.  —  Condamnation 
à  mort  et  exécution  de  l'empereur  Maximilien  (19  juin). —  Capitulation  de 
Mexico  (21  juin).  —  Capitulation  de  Vera-Cruz  (28  juin). 


Au  milieu  de  ces  nombreuses  complications  politiques, 
l'armée  française  avait  poursuivi  son  mouvement  de  re- 
traite. 

Le  62^  de  ligne,  qui  occupait  les  provinces  éloignées  de 
Sonora  et  de  Sinaloa,  et  dont  le  retour  avait  été,  pour  le 
maréchal,  l'objet  de  graves  préoccupations,  était  enfin 
parvenu  sans  encombre  à  Tepic,  et  se  dirigeait  sur  Mexico. 


Moiivemenls 

(le  retraiti'  li* 

l'arméo 

française. 

Evacua'ion 

(le  la  Sonora. 


662  11^    PARTIE.  CHAPITRE    VII. 

1866.  L'évacuation  des  provinces  du  Nord-Ouest  avait  été  suivie 
de  représailles,  de  vengeances,  de  cruautés,  qu'on  attri- 
buait à  la  présence,  dans  les  bandes  ennemies,  d'un  nom- 
bre assez  considérable  de  flibustiers  américains. 

Depuis  le  mois  d'octobre  1865,  le  62^  de  ligne  était 
resté  seul  chargé  de  l'occupation  de  la  Sonora  et  du  Sinaloa, 
ou  plus  exactement  des  ports  de  Guaymas  et  de  Mazatlan. 
La  faiblesse  de  son  effectif  ne  lui  permettant  pas  d'envoyer 
des  détachements  à  une  grande  distance  de  ces  places,  la 
défense  de  l'intérieur  du  pays  avait  été  confiée  aux  forces 
mexicaines.  Dans  la  Sonora,  elles  s'étaient  fort  bien  com- 
portées. Le  général  Langberg,  commissaire  impérial,  dé- 
ployait une  grande  activité  ;  il  avait  environ  1800  hommes 
de  troupes  et  tirait  bon  parti  des  dispositions  favorables 
des  tribus  indiennes.  Les  Opatas  surtout,  sous  l'énergique 
direction  de  leur  chef  Tanori,  faisaient  preuve  de  courage 
et  de  fidélité.  Ils  occupaient  la  Magdalena,  Urès,  El  Altar, 
Opozura,  et  tenaient  partout  l'ennemi  en  respect. 

A  Alamos,  une  faible  garnison  de  quatre  cents  hommes 
avait  succombé  sous  le  nombre  des  assaillants,  mais  elle 
s'était  vigoureusement  défendue  et  avait  perdu  la  moitié  de 
son  effectif  (7  janvier).  Cependant,  le  3  mai,  Garcia  Mora- 
les et  Pesquiera  se  jetèrent  à  l'iinproviste  sur  Hermosillo, 
enlevèrent  la  ville  malgré  la  résistance  de  la  population  et 
d'une  garnison  de  trois  cents  hommes,  et  signalèrent  leur 
victoire  par  des  massacres,  dans  lesquels  périrent  trente- 
sept  Français,  habitants  de  la  ville.  Hermosillo  fut  immé- 
diatement réoccupé  par  les  forces  impériales.  Les  hbéraux 
y  rentrèrent  le  mois  suivant  (4  juin)  ;  ils  en  furent  encore 
chassés  deux  jours  après. 

Le  lieutenant-colonel  Fistié,  qui  commandait  à  Guaymas 
la  garnison  française,  voulut  essayer  de  dégager  le  pays  en 


LE    MARÉCHAL   BAZAIKE.  663 

combinant  un   mouvement    avec  les  forces  mexicaines.         <866. 
Il    se  porta   sur  Hermosillo    avec  quatre    compagnies  ; 
mais  cette  opération  ne  réussit  pas  comme  il  l'espérait 
(août)  0). 

L'ordre  d'évacuer  la  Sonora  étant  arrivé  à  celte  époque, 
la  colonne  française  abandonna  définitivement  Hermosillo; 
un  certain  nombre  de  familles  du  pays  s'enfuirent  derrière 
elle.  Le  15  septembre,  les  dernières  troupes  françaises  de 
la  garnison  de  Guaymas  furent  embarquées  sur  les  bâtiments 
de  l'escadre. 

Le  général  Langberg  s'efforça  de  conserver  la  province 
à  l'Empire,  mais  il  fut  complètement  battu  à  Tecolipa  et 
tué  dans  l'action  ;  ses  troupes  se  dispersèrent.  L'ennemi 
prit  possession  d'Urès  et  d'Hermosillo,  où  il  commit  de 
nouvelles  atrocités,  puis  il  s'empara  de  Guaymas.  Le  vail- 
lant Tanori  continua,  quelque  temps  encore,  une  guerre 
de  partisans  sans  espoir  ;  fait  prisonnier,  il  fut  passé  par  les 
armes,  et  tous  ceux  qui  avaient  favorisé  l'intervention  fran- 
çaise subirent  les  plus  durs  traitements. 

Le  maréchal  avait  d'abord  voulu  faire  débarquer  à  San 
Blas  les  troupes  de  la  garnison  de  Guaymas;  il  modifia  ce 
projet,  de  peur  que  l'ennemi  n'inquiétât  ce  faible  dé- 
tachement pendant  le  trajet  très-difficile  de  San  Blas  à 
Guadalajara.  Les  compagnies  du  62^^,  ramenées  de  Sonora, 
furent  mises  à  terre  à  Mazatlan  ;  elles  apportèrent  un  ren- 
fort très-opportun  à  la  garnison  épuisée  par  les  fièvres  et 
par  les  combats  journaliers. 

La  province  de  Sinaloa  n'avait  jamais  été  pacifiée;  Co- 


(')  Le  lieutenant-colonel  Fistié  en  fut  si  douloureusement  affecte  qn'il  se  lua 
dans  un  accès  de  lièvTe  chaude. 


664  II"   PARTIE.  CHAPITRE  VU. 

i866.        rona  était  maître  du  pays  et  entourait  Mazatlan  ;  Perfecto 
Combats       Guzman,  son  lieutenant,  après  s'être  soumis,  venait  de  se 

autour  '     r  ' 

de  Mazatlan.     prononcer  de  nouveau  contre  l'Empire.  Lozada,  qui  aurait 

Evacuation.        ^  r  '  m 

pu  contre-balancer  l'influence  des  chefs  libéraux,  était  mé- 
content, jaloux  du  général  Rivas,  commandant  des  troupes 
mexicaines  de  Mazatlan,  et  ne  se  montrait  plus  disposé  à 
quitter  le  territoire  de  Tepic,  où  il  jouissait  d'une  autorité 
incontestée. 

Au  commencement  de  l'année  1866,  Corona,  qui  avait 
re'uni  douze  cents  hommes,  poussa  des  reconnaissances  de 
cavalerie  jusqu'aux  portes  de  Mazatlan;  le  10,  il  ten- 
tait un  coup  de  main  sur  la  ville,  mais  il  était  repoussé 
et  forcé  de  se  retirer  vers  Guliacan.  Le  25  janvier,  le  8 
février,  il  attaqua  de  nouveau  (*). 

Lozada  ayant  consenti  à  rentrer  en  campagne,  le  colonel 
Roig,  commandant  supérieur  de  Mazatlan,  fit  sortir  quatre 
compagnies  françaises,  cinq  cents  Mexicains,  et  quatre 
pièces,  sous  les  ordres  du  commandant  de  Locmaria(l8 
mars).  Cette  colonne  se  dirigea  sur  le  Presidio,  tandis  que 
les  embarcations  de  l'escadre  pénétraient  dans  l'Estero 
d'Urias.  Le  19  mars,  le  Presidio  fut  enlevé;  mais,  presque 
aussitôt,  Corona  vint  attaquer  la  position  avec  deux  mille 
cinq  cents  fantassins,  cinq  cents  cavaliers,  et  neuf  canons.. 
La  lutte  fut  acharnée  pendant  trois  heures  ;  les  ca- 
nonniers  ennemis  se  faisaient  sabrer  sur  leurs  pièces;  enfin 
deux  canons  furent  pris,  et,  vers  cinq  heures  du  soir,  les 
troupes  de  Corona,  qui  avaient  subi  des  pertes  sensibles, 
repassèrent  la  rivière.  Elles  attaquèrent  encore  le  lende- 
main sans  plus  de  succès.  La  colonne  franco-mexicaine  eut 


(')  La   garni.son  française  de  Mazatlan  couiptail  alors  !, 310  hommes,  dont 
150  malades. 


LE    MARECHAL    BAZAINE.  66o 

huit  morts  et  cinquante  blessés,  qu'elle  ramena  le  22  mars         ^sgg. 
à  Mazatlan. 

Lozada  était  parti  de  Tepic  le  21  mars  ;  deux  jours 
après,  il  battit  Perfecto  Guzman  à  Guajicori,  et  s'avança, 
le  l®""  avril,  jusqu'à  San  Sebastien.  Le  commandant  de 
Locmaria  était  de  nouveau  sorti  de  Mazatlan  le  30  mars  et 
se  trouvait  à  Tecomate  ;  il  entendit  son  canon,  mais  ne  put 
entrer  en  relation  avec  lui.  Lozada,  qui  ne  recevait  pas 
du  général  Rivas  l'argent  dont  il  avait  besoin  pour  payer 
ses  troupes,  ne  poursuivit  pas  ses  avantages;  il  rétrograda 
au  grand  regret  du  colonel  Roig.  On  n'obtint  aucun  des 
résultats  qu'une  bonne  entente  entre  les  chefs  eût  sans 
doute  amenés. 

Des  renforts  arrivèrent  à  Gorona  ;  en  outre,  il  fit  arrêter 
en  mer  le  vapeur  américain  Stephens,  lui  enleva  500  fusils, 
300  pistolets  à  destination  de  Mazatlan,  et  revint  devant 
les  positions  françaises. 

Le  0  mai,  à  la  tète  de  dix-huit  cents  hommes,  il  attaqua  le 
commandant.de  Locmaria  au  bivouac  de  Baron,  sur  le  Rio 
Mazatlan.  Un  vigoureux  mouvement  à  la  baïonnette,  suivi 
d'une  brillante  charge  des  chasseurs  d'Afrique,  déconcerta 
l'ennemi  qui  perdit  deux  canons,  une  centaine  de  morts 
et  de  blessés  ;  le  détachement  français  eut  un  officier,  six 
hommes  tués  et  dix-sept  blessés. 

Le  maréchal  avait  donné  l'ordre  de  former,  à  Mazatlan, 
un  bataillon  de  cazadores,  destiné  à  occuper  ce  port  après 
le  départ  de  la  garnison  française  ;  on  trouva  très-peu 
de  soldats  français  disposés  à  entrer  dans  ce  batail- 
lon ;  quant  au  recrutement  mexicain,  il  devait  se  com- 
poser, entre  autres  éléments,  «  de  soixante-quinze  mal- 
heureux qu'un  vapeur  débarqua  un  jour,  nus  comme  des 
vers,  enchaînés  comme  des  forçats.  »  Le  chef  de  bataillon 


666  if  PAUTiE.  CHAPITRE    VU. 

!866.  refusa  de  les  recevoir,  et,  cette  troupe  ne  pouvant  être 
sérieusement  organisée,  il  fallut  songer  à  abandonner  la 
ville. 

Les  forces  de  Corona  grossissaient  sans  cesse  ;  elles  in- 
quiétaient, presque  chaque  jour,  un  poste  avancé  placé  à 
Palos  Prietos.  Dans  la  nuit  du  11  au  12  septembre,  deux 
mille  fantassins  et  un  millier  de  cavaliers  attaquèrent 
un  détachement  français,  fort  de  deux  cent  dix  hommes, 
et  une  compagnie  de  cazadores,  qui  occupaient  ce  point. 
Pendant  une  heure,  on  combattit  corps  à  corps,  enfin  une 
colonne  de  secours  accourut  de  Mazatlan.  Les  défenseurs 
de  Palos-Prietos  étaient  enveloppés  de  toutes  parts,  mais 
l'escadron  de  chasseurs  d'Afrique,  perçant  la  cavalerie  en- 
nemie, ouvrit  le  passage  aux  renforts.  Le  combat  recom- 
mença avec  acharnement.  Cinq  fois  le  capitaine  Adam,  avec 
cinquante  chasseurs  d'Afrique  et  soixante  cavaliers  mexi- 
cains, se  lança  furieusement  sur  l'ennemi.  On  resta  maître 
du  terrain  ;  les  pertes  furent  de  vingt-trois  tués  et  cinquante 
blessés.  Celles  de  l'adversaire  furent  estimées  à  cinq  cents 
hommes.  La  décomposition  rapide  des  cadavres  força  le 
colonel  Ptoig  à  faire  rentrer  le  lendemain  toutes  les  troupes 
dans  la  ville. 

Le  18  septembre,  la  garnison  de  Guaymas  débarquait  à 
Mazatlan  ;  on  se  félicitait  de  ce  renfort  dans  un  moment 
aussi  critique  ;  malheureusement,  ces  troupes,  venant  d'un 
climat  plus  sain,  furent  vivement  éprouvées  par  les  fièvres; 
douze  hommes  moururent  en  quelques  jours  ;  on  avait  cent 
vingt  malades  à  l'hôpital  et  le  double  d'hommes  indispo- 
nibles (25  septembre). 

L'évacuation  de  Mazatlan  était  décidée,  mais  l'épuisement 
des  troupes  et  le  nombre  des  malades  obligèrent  d'y  sur- 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  ^^^ 

seoir  0).    En  outre,  les  pluies   avaient  rendu  impraticable 
la  route  de  San  Blas  à  Guadalajara  ;  on  chercha  en  vain  le 
moyen  de  débarquer  sur  un  autre  point,  et  l'on  pensa  même 
un  instant  à  faire  revenir  le  62^  de  ligne,  directement  en 
France,  par  l'isthme  de  Panama  ;  il  fut  d'ailleurs  décidé  que 
les  malades  et  les  blessés  seraient  transportés  par  cette 
voie.  On  savait  que  Gorona,  prévoyant  l'évacuation  de 
Mazatlan,  envoyait  déjà  une  partie  de  ses  forces  barrer  le 
chemin,  entre  San  Blas  et  Tepic,  du  côté  de  Navarete.  Le 
28  octobre,  ses  cavaliers  avaient  paru  dans  cette  région. 
Les  inquiétudes  du  maréchal,  de  l'amiral  Mazères,  chargé 
de  diriger  l'évacuation,  celles  du  colonel  Roig,  n'étaient 
que  trop  justifiées.  On  pria  Lozada  de  déblayer  la  route; 
mais,  en  ce  moment  même,  il  proclamait  l'indépendance  et 
la  neutralité  de  son  territoire  ;  son  concours  devenait  donc 
de  plus  en  plus  douteux. 

Enfin,  bien  que  tous  les  gros  bagages  dussent  rester  à 

bord  des  vaisseaux,  il  fallait  trouver  au  moins  un  millier 

de  mulets  de  charge  pour  porter  les  sacs  des  soldats,  et 

l'on  craignait  que  l'ennemi  n'attaquât  le  convoi  lorsqu'il 

défilerait  à  travers  les  marais  ou   les  barrancas  abruptes 

qui  coupent  la  route.  Ces   considérations  engagèrent  le 

maréchal  à  prescrire  au  général  de  Castagny,  qui  s'était 

déjà  repHé  de  Zacatecas  à  Léon,  de  se  porter  au-devant  du 

62"  avec  une  colonne  légère  et,  s'il  le  croyait  nécessaire, 

de  pousser  jusqu'à  Tepic. 

A  mesure  que  s'épuisaient  les  forces  de  la  garnison  de 
Mazatlan,  l'audace  de  Corona  allait  s' augmentant  ;  il  avait 
réuni,  à  quarante  lieues  à  la  ronde,  tous  les  hommes  en 

(I)  Le  23  octobre,  sur  un  effcclif  de  2,013  hommes,  la  garnison  de  Mazatlan 
avait  339  hommes  à  l'hôpital  et  391  malades  à  la  chambre. 


ism. 


668  n^  PAUTIE.  CHAITIKE   vil. 

486G.  état  de  porter  les  armes  et  voulait,  disait-il,  jeter  les 
Français  a  la  mer.  Un  tiers  de  la  garnison  était  tou- 
jours sous  les  armes  ;  un  tiers  de  piquet  ;  le  reste  se  re- 
posait. Dans  la  nuit  du  11  au  l!2  novembre,  l'ennemi 
arriva  jusque  dans  les  fossés  de  la  ville.  La  nuit  suivante, 
il  renouvela  encore  deux  fois  sa  tentative,  mais  il  futéner- 
giquement  refioussé. 

Tous  les  préparatifs  du  départ  étaient  terminés;  le 
8  novembre,  deux  navires  du  commerce  avaient  embarqué 
une  partie  des  chevaux  et  les  gros  bagages.  Le  12  au  soir, 
les  bâtiments  de  guerre  prirent  le  reste  des  chevaux  et  les 
malades.  L'amiral  Mazères  fit  prévenir  Corona  que  la  ville 
serait  abandonnée  le  lendemain.  Le  13,  à  10  heures  du 
matin,  les  derniers  détachements,  forts  de  treize  cents 
hommes,  se  réunirent  sur  le  môle  et  s'embarquèrent 
sous  la  protection  des  chaloupes,  sans  que  l'ennemi  cher- 
chât à  gêner  l'embarquement. 

Le  lendemain,  l'escadre  était  à  San  Blas  ;  elle  débarqua 
les  troupes  qui  devaient  revenir  par  la  voie  de  terre  ;  six 
.  cents  malades  furent  conduits  à  Panama  ;  on  devait  les  lais- 
ser à  l'hôpital  français  établi  sur  ce  point,  ou  les  rapa- 
trier par  le  cap  Horn. 

Corona  occupa  immédiatement  Mazatlan.  11  somma,  sous 
les  peines  terribles  de  la  loi  du  25  janvier  1862,  tout  ha- 
bitant qui  «  cacherait  un  Français  ou  un  traître»,  recèle- 
rait des  armes  ou  quoi  que  ce  soit  leur  appartenant,  d'en 
faire  la  déclaration  dans  les  vingt-quatre  heures. 

Le  18  novembre,  le  colonel  Roig  se  mit  en  marche;  il 
arriva  le  21  à  Tepic,  où  le  général  de  Castagny  l'attendait 
depuis  la  veille.  Toute  inquiétude  était  dissipée  au  sujet  de 
cette  brave  troupe  qui,  pendant  un  an,  isolée  sur  les  côtes 
du  Pacifique,  avait  résisté  aux  épreuves  les  plus  dures  et 


LE   MARÉCHAL    BAZAINE.  669 

glorieusement  défendu  l'honneur  de  son  drapeau.  Elle  re-         ^866. 
vint  à  petites  journées  k  Mexico;  son  passage  et  celui  des 
convois  d'évacuation  de  Guadalajara  furent  protégés  par 
de  fortes  garnisons  établies  à  Aguascalientes,  à  Léon,  et 
sur  les  points  principaux  de  la  route. 

Le  dernier  échelon  des  troupes  françaises,  restées  dans    ^  Kvacuaiion 

J-  •*  do  Uuadalajara 

l'Etat  de  Jalisco,  se  replia  derrière  le  62*^  de  ligne.  Guada-  ( 1 2 décembre). 
lajara  fut  remis,  le  12  décembre,  aux  forces  mexicaines 
commandées  par  le  général  Gultierrez.  Elles  auraient  pu 
tenirlongtemps  encore,  si  elles  avaient  été  soldées  régulière- 
ment, caries  dispositions  du  pays  n'étaient  pas  mauvaises  ; 
des  pronunciamientos  avaient  eu  lieu,  il  est  vrai,  dans  le 
sud  de  la  province,  à  Cocula,  à  Tequila,  à  Aullan,  à  Coal- 
coman,  mais  les  gardes  rurales  les  avaient  réprimés.  Mal- 
heureusement le  manque  d'argent  força  le  général  Guttier- 
rez  à  en  licencier  une  partie  au  moment  même  où  il  en 
aurait  eu  le  plus  grand  besoin.  Il  venait  aussi  de  perdre  le 
concours  d'un  officier  français  énergique,  le  capitaine  Ber- 
thelin,  commandant  le  régiment  mexicain  de  gendarmerie 
de  Guadalajara  et  qui,  familiarisé  avec  le  pays,  rendait  de 
nombreux  services.  Il  avait  eu,  le  10  novembre,  une  ren- 
contre avec  les  bandes  ennemies  au  Paso  de  Guayavo  (16 
lieues  de  Colima),  et  avait  été  tué  avec  quarante  de  ses 
hommes. 

On  réunit  à  Guadalajara  le  o*^  bataillon  de  cazadores 
(bataillon  de  Guadalajara),  le  6'  bataillon  (d'Aguascalientes), 
le  7®  bataillon  (de  Mazatlan),  afin  d'appuyer  le  général  Gut- 
lierrez  ;  mais  un  ordre  télégraphique  de  l'empereur  Napo- 
léon, ayant  prescrit  au  maréchal  de  rapatrier  tous  les 
hommes  qui  s'étaient  engagés  primitivement  à  rester  au 
Mexique,  ces  bataillons  se  désorganisèrent. 


670  II"  PARTIE.  — •  CHAPITRE    VII. 

4866.  Vers  cette  époque,  le  5*  bataillon,  sous  les  ordres  du  com- 

mandant Sayn,  fut  enveloppé  par  des  forces  supérieures  au 
cerro  de  la  Coronilla,  entre  Zapotlan  et  Guadalajara,  et 
complètement  détruit  après  un  combat  de  cinq  heures  ;  la 
plupart  des  Français  furent  tués  et  cent  cinquante  faits  pri- 
sonniers. Le  19  décembre,  Guadalajara  tomba  aux  mains 
des  libéraux. 

Depuis  un  mois  déjà,  Durango  était  en  leur  pouvoir.  Le 
colonel  Gottret,  commandant  le  dernier  détachement  fran- 
çais laissé  dans  cette  région,  se  repliait  lentement  de  Du- 
rango sur  Zacatecas,  et  de  Zacatecas  sur  Aguascalientes,  où 
il  s'arrêta  quelques  jours.  Les  troupes  impériales  ne  tinrent 
pas  mieux  à  Zacatecas  qu'à  Durango;  elles  évacuèrent  cette 
ville  derrière  la  colonne  française  ;  les  libéraux  l'occu- 
pèrent le  26  novembre.  Les  représentants  du  gouverne- 
ment de  l'empereur  Maximilien  ne  purent  se  maintenir  sur 
aucun  point  ;  la  retraite  lente  et  méthodique  des  Français 
livrait  chaque  jour  à  l'ennemi  une  ville  nouvelle;  les  auto- 
rités, les  fonctionnaires,  un  grand  nombre  de  familles 
s'enfuyaient.  Ce  mouvement  rétrograde,  pendant  lequel  le 
drapeau  français  ne  reçut  jamais  une  insulte  et  protégea 
toujours  efficacement  ceux  qui  voulurent  s'abriter  sous  ses 
plis,  n'en  était  pas  moins  signalé  chaque  jour  par  des  épi- 
sodes douloureux  dont  souffrait  vivement  la  gé-nérosité  de 
nos  soldats. 

Les  colonnes  d'évacuation,  se  suivant  à  petites  journées, 
arrivèrent  successivement  à  Queretaro. 

Le  général  de  Castagny,  avec  le  18^  bataillon  de  chas- 
seurs et  un  bataillon  du  7®  de  ligne,  formait  le  dernier 
échelon. 

Le  28  décembre,  il  quitta  définitivement  Léon.  Quelques 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  671 

détachements  de  cazadores  licenciés  avaient  encore  à  re-         i86g. 
joindre;  ils  revinrent  isolément  et,  pour  la  plupart,  sans 
être  inquiétés  par  les  chefs  libéraux  qui  favorisèrent  leur 
départ  plutôt  qu'ils  ne  l'entravèrent. 

Les  derniers  détachements  français,  restés  dans  l'Etat 
de  San  Luis  Potosi,  arrivèrent  aussi  à  Queretaro  à  la  fin 
du  mois  de  décembre.  L'évacuation  de  cette  province 
avait  été  fort  délicate;  l'ennemi,  en  forces  nombreuses, 
menaçait  sans  cesse  les  convois  et  se  tenait  prêt  à  pénétrer 
dans  le  centre  du  pays. 


Depuis  le  mois  d'août,  Matehuala  formait  la  limite  extrême       combats 
dos  positions  occupées  par  les  troupes  franco-mexicaines    de  Maiehuaia. 
dans  les  provinces  du  Nord-Est.  Plus  en  arrière,  des  pos!es 
français  gardaient  Venado  et  Bocas  ;  les  Mexicains  alliés, 
Peotillos  et  Corcobada  ;  les  autres  points  étaient  évacués. 

Des  dissensions,  survenues  entre  les  chefs  libéraux,  dont 
les  uns  tenaient  pour  Ortega,  les  autres  pour  Juarez,  avaient 
procuré  quelque  répit  à  la  garnison  de  Matehuala.  Au 
mois  de  septembre,  les  forces  ennemies  s'étant  rappro- 
chées des  positions  françaises  ,  le  commandant  de  La 
Hayrie  sortit  de  Ma'ehuala;  le  17,  il  atteignit  et  dispersa 
au  cerrito  de  Zephirino  Flores,  les  bandes  réunies  de 
Martinez  et  de  Zepeda.  Les  conduites  d'eau  de  la  ville 
ayant  été  coupées,  la  garnison  fit  une  nouvelle  sortie 
quelque  temps  après,  et  parvint  à  remplir  un  réservoir. 
L'ennemi  concentrait,  disait-on,  cinq  mille  hommes  et 
dix  canons  pour  enlever  Matehuala.  Le  maréchal  Bazaine 
prescrivit  alors  au  général  Douay  de  faire  un  mouvement 
offensif  à  deux  ou  trois  journées  de  marche  au  delà  de  Ma- 
tehuala, de  frapper  un  coup  vigoureux,  et  d'évacuer  en- 
suite tout  le  pays  jusqu'à  San  Luis. 


672  11^  PARTIE.  CHAPITRE    Vil. 

'J86G.  Le  général  Douay  se  porta  donc  à  Matehuala,  forma 

deux  colonnes,  l'une  de  deux  bataillons,  trois  escadrons, 
et  quatre  pièces  sous  son  commandement  direct,  l'autre 
d'un  bataillon ,  un  escadron,  et  deux  pièces ,  sous  les 
ordres  du  commandant  de  La  Hayrie.  Le  20  octobre,  le 
général  Douay  atteignit  la  cavalerie  ennemie  à  la  Laja  de 
Abajo  et  la  poursuivit  jusqu'à  la  nuit  ;  l'infanterie  s'était 
jetée  dans  les  montagnes.  Il  se  dirigea  le  lendemain  sur 
Valle  Purissima,  où  se  trouvaient  d'importants  approvi- 
sionnements ;  mais  il  ne  lui  fut  plus  possible  de  joindre  les 
forces  libérales  qui  se  retirèrent  partout  devant  lui.  Il  re- 
vint à  Matehuala  le  25  octobre,  détruisit  les  fortifications 
et  fit  évacuer  la  place  le  27  et  le  28.  Déjà  les  grands  parcs 
avaient  été  acheminés  vers  Queretaro  ;  les  troupes  les  sui- 
virent à  peu  de  dislance,  accompagnant  d'énormes  convois 
de  matériel  ou  d'émigration. 

Une  colonne  mobile  de  deux  bataillons,  deux  escadrons, 
et  deux  sections]  d'artillerie,  sous  les  ordres  du  colonel 
Guilhem,  du  régiment  étranger,  fut  provisoirement  laissée 
à  San  [Luis  pour  appuyer  le  général  Mejia,  qui  devait 
prendre  le  commandement  des  provinces  du  Nord-Est. 
Très-populaire  dans  cette  partie  du  Mexique,  le  général 
Mejia  y  fut  reçu  avec  un  grand  enthousiasme  ;  cependant, 
comme  il  trouvait  insuffisants  les  moyens  mis  à  sa  disposi- 
tion, il  refusa  de  rester  ainsi  isolé.  Le  maréchal  lui  envoya 
les  2*  et  ¥  bataillons  de  cazadores,  et  retarda  jusqu'à  leur 
arrivée  le  départ  de  la  dernière  colonne  française. 

Le  colonel  Guilhem  tenta  un  coup  de  main  sur  les  avant- 
postes  libéraux  qui  cernaient  la  ville  de  fort  près  ;  le  secret 
de  son]  opération  ayant  été  connu  de  l'ennemi,  il  put 
seulement  surprendre  un  détachement  de  deux  cents 
hommes  près  de  la  Parada.  La  position  du  général  Mejia  était 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  673 

très-mauvaise  ;  malade,  découragé,  mal  secondé,  sans  ar-  '^^^• 
gent,  il  paraissait  peu  probable  qu'il  pût  se  maintenir  long- 
temps, mais  il  avait  à  portée  ses  fidèles  montagnards  de  la 
Sierra-Gorda,  qui  résistaient  vaillamment  aux  entreprises 
des  bandes  libérales  de  Rio  Verde  et  près  desquels  il  pou- 
vait trouver  un  appui  certain. 

Enfin,  il  fallut  abandonner  San  Luis  comme  les  autres      Évacuation 
villes;  les  dernières  troupes  françaises  en  partirent  le  23    (23 déc. 4866). 
décembre  ;  bientôt  après,  le  général  Mejia  se  repliait  sur 
San  Felipe. 

Au  commencement  de  l'année  1867,  l'arrière-garde  de 
l'armée  française  se  trouvait  donc  à  Queretaro  ;  les  co- 
lonnes d'évacuation,  les  convois,  le  matériel  s'échelon- 
naient sur  la  route  de  Vera-Cruz.  Ce  mouvement  rétro- 
grade ne  s'opérait  pas  sans  difficulté.  Une  infinité  de  petites 
bandes  se  levaient  de  toutes  parts.  On  retrouvait  à  leur  tête 
les  mêmes  hommes  que  l'on  avait  traqués  au  commence- 
ment de  l'expédition  :  Figueroa  au  sud  de  Puebla  ;  Domin- 
guez.  Telles,  Guellar,  au  nord  ;  Prieto  aux  environs  de 
Vera-Cruz  ;  Alatorre,  du  côté  de  Jalapa  ;  Fragoso,  dans  la 
vallée  de  Mexico. 

L'insurrection  de  la  Huasteca  inquiétait  particulièrement 
le  maréchal  ;  il  avait  ordonné  des  travaux  de  fortification 
sur  la  route,  et,  au  mois  d'octobre  précédent,  il  était  allé 
inspecter  lui-même  le  pays,  afin  de  se  rendre  compte  des  * 
moyens  à  employer  pour  contenir  l'ennemi  et  couvrir  effi- 
cacement la  ligne  de  communication  avec  la  mer. 

Depuis  Tula  de  Mexico  jusqu'à  Tuxpan,  la  Huasteca  était 
en  armes;  les  Autrichiens  durent  évacuer  Zacapoaxtla,  et 
la  colonne  mobile  du  major  Polak  se  replia  sur  Tulancingo 
(août  1866).  Les  garnisons  de  Perote  et  de  Jalapa  étaient 

43 


674  if  PARTIE.  CHAPITRE    VII. 

<866.         très-menacées  ;  Huamantla,  Apam   et   Chignahuapan  se 
""  prononcèrent  contre  l'Empire  ;  Tlaxco  tomba  au  pouvoir 

des  libéraux  ;  un  détachement  mexicain  envoyé  au  secours 
de  la  ville  fit  défection,  ses  officiers  en  tête. 

Plus  au  nord,  le  bataillon  belge,  revenant  de  San  Luis 
Potosi,  avait  été  dirigé  sur  Tula  pour  s'opposer  au  progrès 
des  guérillas  deMartinez  qui  avaient  envahi  Zimapan  et  Ix- 
miquilpan.  Le  colonel  Van  der  Smissen  crut  pouvoir  réoc- 
cuper Ixmiquiipan  ;  il  partit,  le  24  septembre,  au  soir  avec 
deux  cent  cinquante  hommes  à  pied  et  deux  compagnies 
montées  ;  franchissant  pendant  la  nuit  les  quinze  lieues  qui 
le  séparaient  d'Ixmiquilpan,  il  attaqua  le  village  le  lende- 
main matin,  pénétra  jusqu'à  la  place  principale,  mais  ne 
put  enlever  le  réduit  et  fut  forcé  de  battre  en  retraite.  Il 
eut  la  plus  grande  peine  à  ramener  sa  colonne  en  se  défen- 
dant pied  à  pied  contre  la  cavalerie  ennemie;  lespopulations 
soulevées  coupaient  les  ponts,  élevaient  des  barricades  pour 
entraver  sa  marche  ;  il  rentra  enfin  à  Tula  après  avoir  perdu 
onze  officiers  et  soixante  hommes  tués  ou  blessés. 

Les  colonnes  françaises  étaient  en  mouvement  dans 
tous  les  sens,  pour  poursuivre  les  guérillas  ennemies  et  les 
éloigner  de  la  route  que  suivaient  les  convois  d'évacuation. 
Le  colonel  Rodriguez,  rallié  à  l'intervention  depuis  1863, 
s'était  prononcé  du  côté  de  San  Juan  de  los  Llanos  et  avait 
enlevé  un  convoi  d'une  cinquantaine  de  malades  autrichiens 
■  qu'on  ramenait  de  Perote  à  los  Llanos.  Il  s'établit  dans 
cette  ville,  à  vingt  lieues  seulement  dePuebla  (sept.  1866). 
Cette  situation  n'était  pas  sans  danger.  Le  maréchal  di- 
rigea sur  Mexico  les  Autrichiens  de  la  garnison  de  Puebla, 
pour  les  mettre  à  la  disposition  de  l'Empereur,  et  lit  occu- 
per celle  place  et  toute  la  ligne  jusqu'à  Yera-Gruz  par  des 
troupes  françaises.  Le  bataillon  de  tirailleurs  algériens  des- 


LE   MARÉCHAL  BAZAINE.  67S 

cendit  dans  les  terres  chaudes  ;  par  suite  du  contre-ordre  iseti. 
arrivé  de  France,  le  81"  de  ligne,  qui  était  à  Yera-Cruz 
pour  s'embarquer,  fut  rappelé  en  arrière  et  occupa  for- 
tement la  ligne  de  San  Andrès-Chalchicomula,  La  Canada 
de  Ixtapan,  et  Tehuacan  ;  une  colonne  légère,  forte  de 
treize  compagnies  du  l'*'"  zouaves,  quatre  escadrons,  trois 
sections  d'artillerie,  sous  le  commandement  du  colonel 
Clinchant,  fut  envoyée  de  Mexico  à  Tlascala.  Cette  colonne 
accompagna  le  connnandant  en  chef  dans  sa  tournée  à 
Puebla,  Tlaxcala,  Atlancotepec,  Apam,  Teotihuacan  et 
Olumba.  Le  maréchal,  en  rentrant  à  Mexico,  laissa  le  co- 
lonel Clinchant  à  Apam,  d'où  il  devait  se  porter  sur  Tulan- 
cingo  pour  appuyer  le  major  Polak. 

Cinq  cents  Plaleados,  qui  avaient  pillé  Apam  quelque     Destruction 
temps  auparavant,  étaient  alors  à  Huauchinango.  Huauchinango. 

Le  14  octobre,  le  major  Polak,  soutenu  à  distance  par 
le  colonel  Clinchant,  enleva  ce  repaire  après  un  violent 
combat  et  incendia  le  village.  Il  se  replia  ensuite  sur  Tu- 
lancingo,  et  la  colonne  française  revint  à  Mexico  en  passant 
par  Pachuca;  mais  à  peine  était-elle  partie,  que  les  garni- 
sons autrichiennes  se  \irent  débordées  par  l'ennemi  ;  Pa- 
chuca fut  attaqué  le  P''' novembre;  le  9,  un  détachement 
autrichien  fut  détruit  près  de  Real  del  Monte.  On  se  vit 
obligé  d'abandonner  ces  deux  villes  (14  novembre);  les 
Autrichiens  se  concentrèrent  sur  Tulancingo,  puis  sur  Tlax- 
cala. Le  régiment  belge,  relevé  à  Tula  par  le  bataillon  de 
cazadores  de  Queretaro,  vint  occuper  Tulancingo;  un  dé- 
tachement du  bataillon  de  cazadores  de  Mexico  fut  placé  à 
Apam.  La  contre-guérilla,  sous  les  ordres  du  commandant 
Delloye,  fut  chargée  de  surveiller  les  débouchés  de  la 
Sierra,  entre  Tiasco  et  San  Andrès. 


676  II'   PARTIE.  CHAPITRE    Vil. 

4866.  Les  bandes  ennemies  ne  respectaient  même  pas  la  vallée 

de  Mexico.  Fragoso  osait  venir  jusqu'à  Guautitlan,  à  quatre 
lieues  de  Mexico,  et  rançonnait  la  ville  (octobre  1866).  Il 
fallut,  comme  autrefois,  organiser  des  colonnes  mobiles, 
pour  protéger  la  vallée  contre  les  exactions  des  bandits. 
Une  de  ces  colonnes,  sous  les  ordres  du  commandant  Vil- 
mette,  pénétra  dans  les  montagnes  du  Monte-Alto,  enleva 
de  vive  force  ce  village,  et  le  brûla  (11  décembre). 

Le  16  décembre,  l'ennemi  attaqua  Tlalpan,  au  sud  de 
Mexico  ;  il  menaça  Texcoco  au  nord,  et  envahit  Ghalco, 
le  21  décembre. 

Près  de  la  Soledad,  les  guérillas  inquiétèrent  sérieuse- 
ment un  grand  convoi  d'évacuation  de  trois  cent  cinquante 
voitures  qui  ramenait,  de  Queretaro  à  Mexico,  les  malades, 
le  matériel  de  guerre  de  l'armée,  et  des  sommes  impor- 
tantes appartenant  aux  familles  mexicaines  émigrantes  ;  la 
colonne  Vilmette  fut  envoyée  au-devant  du  convoi  pour 
protéger  sa  marche. 

Le  détachement  de  cent  cinquante  cazadores,  qui  occu- 
pait Apam,  n'ayant  pu  s'y  maintenir,  se  replia  surOtumba  ; 
il  fallut  envoyer  une  colonne  de  cinq  cents  hommes, 
avec  de  l'artillerie,  sous  les  ordres  du  commandant  Saus- 
sier,  pour  faciliter  son  retour.  Cette  colonne  continua  sa 
route  plus  au  nord,  pour  appuyer  le  régiment  belge  qui  re- 
venait de  Tulancingo.EUe  le  rencontra  près  de  Zinguilucan 
et  rétrograda  avec  lui  jusqu'à  Teotihuacan. 

LesBelges,  que  l'empereurMaximilien  avait  déliés  de  leurs 
engagements,  se  rendirent  directement  à  Puebla  et  à  Vera- 
Cruz,  oii  ils  s'embarquèrent,  le  20  janvier,  sur  le  transport 
de  la  marine  française,  le  Rhône,  pour  rentrer  en  Europe  (*). 

(*)  L'effectif  des  troupes  belges  embarquées  sur  le  Rhône  était  de  trente-cinq 
ofliciors  et  de  sept  roni  cinquante  hommes. 


LE   MARÉCHAL  BAZAIKE.  677 

Une  grande  agitation  régnait  également  entre  Puebla  et        ^866. 
Vera-Cruz  ;  pendant  quelque  temps,  les  progrès  des  forces 
libérales  de  l'état  d'Oajaca  inspirèrent  même  de  graves 
inquiétudes. 

Porfirio  Diaz,  à  la  tête  de  deux  mille  hommes,  avait  atta-    ^  £'"">^ 

de  Miahuatlan 

que,  le  3  octobre,  près  de  Miahuatlan,  au  sud  d'Oajaca,  une  9  octobre). 
colonne  de  douze  cents  hommes  sortie  d'Oajaca  sous  le 
commandement  du  général  Oronos,  et  l'avait  complètement 
détruite.  Un  vaillant  officier  français,  le  chef  de  bataillon 
Testard,  qui  commandait  deux  cent  cinquante  cazadores, 
tous  les  officiers  français  et  mexicains  de  son  détachement, 
et  la  plupart  des  soldats  français  furent  tués  ;  les  autres 
faits  prisonniers. 
Porfirio  Diaz  s'avança  immédiatement  sur  Oaiaca,  où  il    Prise  dOajaca 

par 

ne  restait  qu'une  faible  garnison  de  trois  cents  hommes  dont  Porfirio  Diaz. 
deux  cents  Autrichiens  et  un  petit  nombre  de  Français.  Le 
5  octobre,  le  général  Oronos,  échappé  au  désastre  de  ses 
troupes,  rentra  dans  la  ville  avec  quelques  cavaliers  ;  l'en- 
nemi se  présenta  le  lendemain  ;  l'énergie  des  officiers  autri- 
chiens et  français  fit  repousser  ses  sommations,  mais  la  dé- 
fense dut  se  limiter  aux  forts  et  aux  couvents  fortifiés.  Le  16, 
Porfirio  Diaz  leva  le  siège  pour  marcher  à  la  rencontre  d'une 
colonne  de  secours  de  huit  cents  hommes,  autrichiens,  ca- 
zadores et  mexicains,  qui  arrivait  d'Huajuapan  ;  il  la  battit 
encore  près  de  la  Carbonera,  lui  fit  quatre  cents  prisonniers, 
enleva  quatre  canons  etla  rejeta  sur  Acatlan.  Il  revint  devant 
la  place  le  19  octobre.  Un  billet,  adressé  au  général  Oronos 
par  le  colonel  impérialiste  Trujeque  pour  lui  faire  con- 
naître qu'il  était  impossible  de  le  secourir,  avait  été  saisi 
sur  l'Indien  qui  le  portait.  Porfirio  Diaz  l'envoya  lui-même 
au  général  Oronos  qui,  réduit  à  la  dernière  extrémité,  ca- 
pitula le  30  octobre.  La  garnison  fut  faite  prisonnière. 


678  II"   PARTIE.  CHAPITRE  Vil. 

4866,  Après  le  combat  de  la  Carbonera,  la  cavalerie  de  Chato 

Diaz  s'était  rapprochée  de  Tehuacan,  où  se  trouvait  un  dé- 
tachement autrichien  ;  on  craignit  un  instant  que  l'ennemi 
ne  concentrât  ses  efforts  contre  cette  place,  mais  Porfirio 
Diaz  se  contenta  des  succès  qu'il  avait  obtenus  ;  maître  de 
la  province  d'Oajaca,  il  comprit  qu'en  voulant  se  heurter 
contre  l'armée  française,  dont  les  colonnes  descendaient  en 
force  vers  les  terres  chaudes,  il  ne  pouvait  que  compro- 
mettre sa  situation  ;  il  resta  donc  à  Oajaca,  licencia  une 
partie  de  ses  troupes,  et  témoigna,  par  son  attitude,  de  son 
désir  d'éviter  tout  conflit  avec  les  Français  (*). 

Toutefois,  il  était  prudent  de  prendre  des  mesures  de 
précaution  pour  garder  les  passages  de  la  route.  Le  géné- 
ral Aymard,  nommé  commandant  supérieur  de  Puebla, 
depuis  le  mois  d'octobre  1866,  répartit  le  7'  bataillon  de 
chasseurs,  le  51^  et  le  81'  de  ligne  dans  les  postes  princi- 
paux. 

La  contre-guérilla  Dupin  C-)  reprit  ses  anciens  canton- 
nements dans  les  terres  chaudes,  à  la  Soledad,  et  à  Ca- 
maron  ;  les  Autrichiens  continuèrent  à  observer  les  débou- 
chés de  la  Huasleca  en  gardant  Tlaxcala,  Perote,  Jalapa  ;  ils 

(1)  Porfirio  Diaz  fusilla  les  officiers  mexicains  faits  prisonniers  à  MiahuaUan  et 
à  la  Carbonera  ;  mais  il  traita  bien  les  Fronçais  tombés  entre  ses  mains  et  rendit 
hommage  à  leur  bravoure. 

«  Ce  n'est  qu'après  avoir  développé  un  courage  digne  d'une  meilleure  cause, 
avoir  vu  tomber  leur  commandent,  leurs  officiers,  presque  tous  leurs  camarades, 
que,  restés  seuls,  abandonnés  sur  le  champ  de  bataille  et  voyant  toute  résistance 
impossible,  cette  poignée  d'hommes,  la  plupart  blessés,  se  sont  rendus. 

Soldat  moi-même,  je  respecte  en  eux  dos  ennemis  vaincus  et  <lésarmés  et  les 
traite  comme  tels.  «  (Communication  faite  par  Porfirio  Diaz  aux  officiers  et  soldats 
étrangers  de  la  garnison  d'Oajaca,  9  octobre.) 

Porfirio  Diaz  renvoya  le  sabre  que  portait  le  commandant  Testard. 

(*)  Le  colonel  de  Gallifet  remplaça  peu  de  temps  après,  à  la  tète  de  la  contre- 
guérilla,  le  colonel  Dupin,  qui  prit  le  commandement  supérieur  de  Vcra-Cruz. 


LE  MARÉCHAL   BAZAINE.  679 

étaient  presque  journellement  aux  prises  avec  les  guérillas 
ennemies.  La  position  de  Tlaxcala,  ayant  été  très-vigou- 
reusement attaquée  par  Rodriguez,  le  commandant  d''Es- 
peuilles,  qui  se  trouvait  à  San  Martin  Texnielacan  avec  sept 
compagnies  de  zouaves  et  deux  escadrons  de  hussards,  se 
porta  vivement  à  son  secours  ;  il  dégagea  la  place  après  un 
brillant  combat  (2  novembre),  et  vint  ensuite  s'établir  à 
Amozoc  pour  servir  de  réserve  au  général  Aymard. 

Fort  inquiet  des  mouvements  de  l'ennemi,  d'un  côté  vers 
Tehuacan,  de  l'autre  vers  San  Andrès  Chalchicomula,  le 
général  Aymard  s'était  établi  à  Palmar  avec  une  colonne 
de  quinze  cents  hommes  afin  d'être  à  même  de  secou- 
rir les  points  menacés.  Porfîrio  Diaz  se  tenait  sur  une 
grande  réserve,  mais  Figueroa  menaçait  toujours  Tehua- 
can. Le  général  Aymard  y  conduisit  un  renfort  de  six  cents 
Autrichiens. 

La  situation  était  plus  compromise  au  nord  de  la  route. 
Les  guérillas  d'Alatorre  grossissaient  sans  cesse  autour  de 
Jalapa.  La  cavalerie  et  la  majeure  partie  de  l'infanterie 
mexicaine  de  la  garnison  étaient  passées  à  l'ennemi.  11  ne 
restait  plus  dans  la  place  qu'un  faible  détachement  autri- 
chien et  quelques  Mexicains  d'une  fidélité  douteuse;  les 
vivres  manquaient,  les  désertions  se  multipliaient  ;  enfin,  à 
la  suite  d'une  nouvelle  attaque  soutenue  vigoureusement 
pendant  deux  jours,  le  général  Galderon  accepta  une  capi- 
tulation honorable  ;  la  garnison  fut  désarmée,  mais  elle  eut 
la  liberté  de  se  retirer  à  Puebla  (11  novembre).  Des  co- 
lonnes envoyées  d'Orizaba  n'arrivèrent  pas  en  temps  utile 
pour  éviter  la  capitulation  de  Jalapa.  Les  Autrichiens  se 
virent  également  bloqués  à  Perote  ;  le  général  Aymard  leur 
conduisit  un  important  renfort  (22  novembre)  et  prit  posi- 
tion à  San  Andrès. 


1856. 


Mouvements 

militaires  entre 

Perote 

et  Tehuacan. 


680  II*  PARTIE.  —  CHAPITRE  Vil. 

4866.  Au  commencement  du  mois  de  décembre,  le  général 

Douay  transporta  son  quartier  général  à  Puebla  et  prit  le 
commandement  supérieur  de  cette  province  ;  le  général  Ay- 
mard  resta  particulièrement  chargé  de  surveiller  la  ligne 
San  Andrès — Tehuacan  et  le  passage  desGumbres. 

Tehuacan  fut  attaqué,  le  11  décembre,  par  Figueroa  ; 
le  général  Aymard  dégagea  la  place,  et  un  bataillon  du 
ol*  de  ligne  releva  la  garnison  autrichienne,  le  21  dé- 
cembre. 

Le  fort  de  Perote  ayant  été  de  nouveau  sérieusement  as- 
siégé par  deux  mille  hommes,  le  général  Aymard  s'y  rendit 
le  4  janvier;  il  fit  évacuer  le  fort,  détruisit  l'artillerie  qu'il 
ne  put  enlever  et,  le  8  janvier,  ramena  le  détachement 
autrichien  à  San  Andrès  (^). 

L'insurrection  était  générale  ;  dans  les  terres  chaudes 
il  ne  se  passait  pas  de  jour  sans  que  les  patrouilles  et  les 
reconnaissances  eussent  quelque  engagement  avec  les  gué- 
rillas. Au  mois  de  mars  1866,  le  maréchal  avait  envoyé  un 
détachement  battre  le  pays  entre  le  Piio  Blanco  et  le  Rio  de 
Cosomoloapan  ;  l'expédition  avait  réussi  ;  partie  d'Omealca 
le  18  mars,  la  colonne  était  arrivée  par  terre  à  Cosomoloa- 
pan,  tandis  que  les  canonnières  remontaient  ce  fleuve 

(1)  Le  corps  des  volontaires  autrichiens  allait  être  licencié;  ceux  qui  vou- 
laient librement,  par  un  contrat  nouveau,  ne  pas  abandonner  la  fortune  de  leur 
Prince,  devaient  seuls  rester  au  Mexique ,  mais  le  plus  grand  nombre  dési- 
raient partir  et  montraient  même  une  certaine  hâte.  Le  maréclial  Bazaine  les  fit 
rapatrier  les  premiers. 

Us  laissaient  leur  armement  à  Puebla  et  recevaient  des  fusils  français  pour 
descendre  jusqu'à  Vera-Cruz.  Le  premier  détachement,  fort  do  cinq  cents  hommes, 
quitta  Puebla  le  2  janvier.  Le  colonel  v.  Kodolich  prit  le  commandement  des  déta- 
chements qui  restèrent  ;  on  en  forma  un  régiment  de  cavalerie  sous  les  ordres  du 
colonel  V.  KhevenhuUer,  et  un  régiment  d'infanterie  sous  ceux  du  major  v.Ilam- 
merstein.  Ces  troupes  se  distinguèrent  brillamment  dans  les  dernières  luttes  de 
l'Empire. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  681 

jusqu'à  Tlacotalpan  et  débarquaient  leurs  compagnies  de  '1866. 
marins.  Mais  les  garnisons  mexicaines  de  Tlacotalpan  et 
d'Alvarado  furent  bientôt  bloquées  par  les  guérillas,  déci- 
mées par  le  vomito,  et  privées  de  tout  appui,  car  les  canon- 
nières françaises  ne  pouvaient,  sans  danger,  passer  sous 
le  feu  des  batteries  de  position  établies  sur  les  bords  du 
ileuve.  Alvarado  fut  pris  par  l'ennemi  le  28  juillet  ;  on 
évacua  Tlacotalpan  le  20  août.  Aux  environs  de  Medelin, 
on  se  battait  sans  cesse  avec  les  bandes  de  Prielo  qui  dis- 
posait de  plus  de  cinq  cents  hommes.  La  contre-guérilla, 
sous  les  ordres  du  colonel  de  Gallifet,  les  tirailleurs  algé- 
riens, dont  une  partie  avait  été  organisée  en  partisans  à 
cheval,  les  compagnies  d'Egyptiens,  qui  tenaient  fort  ho- 
norablement leur  place  à  côté  des  troupes  françaises,  étaient 
toujours  en  mouvement. 

Le  7  janvier,  le  colonel  de  Gallifet  joignit  l'ennemi 
près  de  l'hacienda  de  Paso  Toro,  sur  le  bord  du  Piio  Jamapi. 
Il  fit  passer  ses  cavaliers  à  la  nage,  et  les  Mexicains,  vigou- 
reusement abordés,  perdirent  quarante  tués  et  une  soixan- 
taine de  blessés.  Le  détachement  français  eut  un  homme 
tué  et  neuf  blessés. 

Sur  les  plateaux,  des  populations,  ordinairement  pai- 
sibles, se  prononçaient  contre  l'Empire.  Tlacotepec,  Teca- 
machalco  appelaient  l'ennemi  ;  le  maréchal  dut  menacer 
de  sévir  avec  la  plus  grande  rigueur  contre  les  villages 
dont  les  habitants  feraient  quelque  démonstration  hostile. 

Enfin,  l'on  voyait  les  forces  de  Régules  et  de  RivaPala- 
cio  déjà  maîtresses  de  toute  la  vallée  du  Rio  de  Lerma, 
prêtes  à  s'emparer  de  Toluca;  c'étaient  des  troupes  bien 
organisées  et  régulièrement  armées;  si  elles  parvenaient  à 
occuper  les  débouchés  des  montagnes,  le  mouvement  des 
convois  d'évacuation  entre  Mexico  et  Puebla  pouvait  être 


682  II"   PARTIE.  CHAPITRE   VII. 

-1866.  fort  compromis.  Le  maréchal  fit  soutenir  la  garnison  de 
Toluca  par  des  postes  français  placés  à  Lerma  ;  au  mois 
de  décembre,  l'ennemi  devenant  plus  pressant,  une  co- 
lonne de  cinq  cents  hommes,  sous  les  ordres  du  comman- 
dant de  La  Hayrie,  fut  envoyée  au  secours  de  la  place. 
Elle  arriva  le  8  décembre,  fit  aussitôt  une  sortie,  culbuta 
les  libéraux  et  rentra,  le  14,  à  Mexico. 

Moins  de  quinze  jours  après.  Riva  Palacio  attaquait  de 
nouveau  Toluca;  une  colonne  française,  conduite  par  le 
conimandant  Delloye,  s'y  porta  rapidement  (6  janvier), 
dégagea  les  environs  jusqu'à  Tlacotepec  et  San  Juan  de  la 
Huerta,  et  revint  le  lendemain  à  Lerma. 

Du  côté  du  Guerrero,  le  colonel  Ortiz  de  la  Pena  s'était 
fait  battre  au  Puente  de  Ixtla,  avait  perdu  son  convoi,  ses 
munitions,  et  se  concentrait  assez  en  désordre  à  Cuerna- 
vaca.  Seul,  le  général  Mendez,  dans  l'Etat  de  Michoacan, 
maintenait  encore  ses  positions,  malgré  les  bandes  qui 
l'entouraient  de  tous  côtés. 

Quel  que  fût  le  peu  de  confiance  du  maréchal,  il  n'avait 
pas  prévu  un  écroulement  aussi  rapide,  et  cependant,  le 
gouvernement  de  l'empereur  Maximilien,  sinon  l'Empereur 
kii-même,  dont  la  pensée  vacillante  ne  pouvait  être  bien 
connue,  s'obstinait  à  ne  pas  désespérer. 

L'armée  impériale  mexicaine  avait  été  partagée  en  trois 
commandements  ;  le  général  Marquez  devait  être  chargé  du 
Michoacan  et  du  pays  compris  entre  Vera-Cruz,  Mexico, 
et  Queretaro  ;  le  général  Mejia  opérer  au  nord,  vers  San 
Luis  de  Polosi;  et  le  général  Miramon  à  l'ouest,  entre 
Zacatecas  et  Guadalajara.  Le  général  Mejia  se  trouvait 
déjà  dans  les  environs  de  San  Luis  ;  le  général  Miramon 
était  parti  pour  concentrer  ses  troupes  ;  le  général  Mar- 
quez prit  le  commandement  de  Mexico. 


LE    MARÉCHAL   BAZAINE.  683 

L'empereur  Maximilien  ayant  quitté  Orizaba,  pour  rêve-        'fsce. 
nir  à  Mexico,  le  vénérai  Gastelnau  et  M.  Dano  allèrent  le     ,  Entrevue 

^  .  (le  1  empereur 

voir  à  Puebla,  afin  d'essaver  encore  d'obtenir  son  abdica-      Maximiiien 

avec  le  général 

tion.  Partis  le  20  décembre,  ils  rentrèrent  à  Mexico  le  24,      Casteinau 

'  .         et  M.  Dano  a 

sans  avoir  réussi  dans  leurs  démarches.  L'empereur  Maxi-        Puebia 

^        ^      ^  (20  décembre). 

milien  dit  plus  tard  au  maréchal  qu'il  avait  été  froissé  «  des 
circonstances  de  cette  entrevue  (*),  » 

Le  général  Casteinau  et  M.  Dano  étaient  d'avis  «  qu'il 
faudrait  peut-être  prononcer  la  déchéance  de  l'empereur 
Maximilien,  afin  d'éviter  au  pays  une  guerre  civile  pro- 
longée qui  serait  sa  ruine  ;  c'est  une  mesure  extrême  qui 
ne  produirait  pas  le  résultat  satisfaisant  que  l'on  en  espère, 
disait  le  maréchal,  parce  qu'il  est  de  toute  impossibilité  de 
constituer  un  nouveau  gouvernement  fédéral  sans  l'attache 
de  Juarez  ;  il  faudrait  donc  entrer  en  relations  avec  lui,  qui 
pourrait  bien  répondre  et  j'en  suis  convaincu  :  «je  n'ai  pas 
besoin  de  votre  intermédiaire  pour  reconstituer  le  gouverne- 
ment constitutionnel  ;  retirez-vous,  nous  aviserons  après. . .  » 

«  D'un  côté,  la  honte  d'échouer  vis-à-vis  de  notre  en- 
nemi; de  l'autre,  mettre  à  bas  ce  que  nous  avons  élevé  avec 
tantd'efforts...  Je  croisqu'il  est  préférable  de  laisser  l'Empire 
mexicain  suivre  sa  propre  fortune,  et  il  est  bien  probable 
qu'il  ne  durera  pas  plusieurs  mois  après  notre  départ;  mais 
enfin,  nous  n'en  serons  plus  responsables,  et  on  ne  pourra 
nous  accuser  de  déloyauté,  ce  qu'on  ne  manquerait  pas  de 
faire,  s'il  fallait  exécuter  ce  faible  pouvoir  avant  la  retraite  de 
notre  armée,  qui  jusqu'à  ce  jour  l'avait  si  bien  protégé  W.  » 

Le  maréchal  était  en  désaccord  complet  avec  les  autres 

(•)  Le  maréchal  au  ministre,  10  janvier  i867. 

<2)  Le  maréchal  au  ministre,  28  décembre.  —  Cette  lettre  se  terminait  par  ce 
post-scriptum  significatif  : 

«  Réflexion  :  Les  Arabes  disent  :  quand  on  voyage  deux  seulement ,  il  faut  se 


684  II®   PARTIE.  CHAPITRE  VII. 

<866.  représentants  du  gouvernement  français  ;  dans  certaines 
heures  d'irritation,  ses  relations  avec  l'empereur  Maximi- 
lien  avaient  été  difficiles;  d'autres  fois,  il  ne  pouvait  se 
défendre  d'un  certain  intérêt  pour  le  souverain  dont  il  avait 
apprécié  la  bonté  de  cœur,  et  dont  il  recevait  les  confi- 
dences au  moment  de  cette  crise  suprême. 

L'Empereur  sentait  son  avenir  compromis,  son  honneur 
engagé  ;  il  souffrait  cruellement  de  ses  espérances  ruinées, 
de  ses  affections  brisées.  On  avait  pu  lui  reprocher  de  man- 
quer de  volonté  et  d'énergie  dans  le  commandement,  mais 
l'élévation  de  ses  sentiments  et  la  générosité  de  son  carac- 
tère le  portaient  à  se  dévouer,  jusqu'à  la  fin,  à  l'œuvre  qu'il 
avait  entreprise.  Ayant  conscience  de  ses  devoirs  à  l'égard 
des  Mexicains,  il  était  prêt  à  se  sacrifier  ;  cependant,  quel 
que  fût  son  désir  de  mettre  un  terme  à  la  guerre  civile,  il  lui 
répugnait  de  déserter  une  cause  que  ses  partisans  préten- 
daient encore  défendre.  La  convocation  d'un  congrès  géné- 
ral lui  paraissait  être  le  seul  moyen  de  conciher  les  esprits  ; 
alors  disait-il  :  «  S'il  faut  descendre  du  trône,  j'en  des- 
cendrai la  tête  haute.  » 

Tandis  que  le  général  Castelnau  s'efforçait  d'obtenir 
l'abdication  immédiate  de  l'empereur  Maximilien,  le  gou- 
vernement français  décidait  le  rappel  de  toutes  les  troupes 
françaises,  sans  exception,  et  déliait  de  leurs  engagements 
les  B'rançais  incorporés  dans  les  cazadores  ou  les  autres 
corps  mexicains  ;  il  continuait  néanmoins  à  réclamer  l'exé- 
cution de  la  convention  du  30  juillet. 

méfier  de  son  voisin  ;  quand  on  est  trois,  il  faut  un  chef  ;  ici  nous  sommes  quatre  : 
le  commandant  de  l'armée,  l'aide  de  camp  de  Sa  Majesté,  le  ministre  de  France, 
le  chef  de  la  mission  financière  ;  cliacun  a  ses  instructions  et  sa  manière  d'ap- 
précier les  choses  1 1  f  » 


du  30  juillet. 


LE   MARÉCHAL    BAZAINE,  683 

Celte  convention  devait  être  exécutoire  à  partir  du  l^^'no-        4866. 
vembre  ;  mais,  contrairement  aux  clauses  mêmes  du  traité,      DimciiK 

1  •    •   ,  .      .        ,,         .  ,         Tpn      I    '  1    •  au  sujet  de  la 

lesmmistres  mexicains  élevaient  des  dmicultes  et  voulaient  convention 
réserver  à  l'empereur  Maximilien  le  droit  de  déterminer 
l'époque  de  sa  mise  en  vigueur.  M.  Dano  s'opposait  à  cette 
prétention  qui  lésait  les  intérêts  de  la  France.  Il  donna 
l'ordre  à  l'un  des  fonctionnaires  des  finances  de  prendre 
possession  de  la  douane  de  Vera-Gruz.  Un  conflit  s'enga- 
gea, et  tous  les  employés  mexicains  se  retirèrent  en  pro- 
testant. On  passa  outre.  L'empereur  Maximilien  écrivit  au 
maréchal  pour  se  plaindre  de  ces  procédés  O;  mais  celui- 
ci  répondit  que  son  action  dans  «  les  questions  qui  con- 
cernent la  mission  financière  était  très-bornée  ;  les  ins- 
tructions qui  la  dirigent  émanant  directement  du  ministre 
des  finances  de  France  (^).  » 

Le  gouvernement  mexicain  mit  alors  l'embargo  sur  les 
marchandises  qui  arrivaient  à  Mexico  après  avoir  acquitté 
les  droits  de  douane  à  Vera-Gruz,  entre  les  mains  des 
agents  français.  Les  négociants  ayant  réclamé  près  des 
autorités  françaises,  M.  Dano  fit  connaître,  le  27  décembre, 
au  ministre  des  finances  mexicaines,  qu'à  la  suite  d'une 
conférence  tenue  avec  le  maréchal,  le  général  Gastelnau,  et 
M.  de  Maintenant ,  il  avait  été  décidé  que  le  lendemain,  de 
gré  ou  de  force,  les  marchandises  seraient  délivrées  aux 
intéressés.  Un  avis  publié  dans  les  journaux  français,  sous 
la  signature  de  M.  de  Maintenant,  informa  le  commerce 
que  les  marchandises  étaient  à  sa  disposition  et  que,  pour 
se  les  faire  remettre,  il  pouvait  au  besoin  «  demander  le 
concours  de  l'autorité  française.  »  De  son  côté,  le  minis- 


(')  L'empereur  Maximilien  au  maréchal  Bazaine,  21  novembre, 
(2)  Le  maréchal  à  l'empereur  Maximilien,  29  novembre. 


686  II*   PARTIE.  CHAPITRE    VII. 

^867.  tère  mexicain  prévint  les  négociants  que  s'ils  se  mettaient 
en  opposition  avec  les  lois  de  l'Etat,  ils  s'exposaient  aux 
rigueurs  de  la  justice. 

Le  maréchal  n'approuvait  pas  la  manière  dont  cette 
affaire  était  menée,  car,  de  toute  façon,  les  mesures  prises 
par  le  ministre  de  France  devaient  être  préjudiciables  aux 
intérêts  des  commerçants  (^). 

L'empereur  Maximilien  revint  à  Mexico,  le  5  janvier 
1867  ;  il  traversa  la  ville  sans  s'arrêter  et  se  rendit  à  l'ha- 
cienda de  la  Teja  dans  la  banlieue.  Il  fit  prier  le  maréchal 
de  venir  le  voir  le  lendemain.  L'Empereur  se  montra  très- 
expansifdans  cette  entrevue  dont  le  maréchal  rendit  compte 
au  ministre  de  la  guerre  par  la  lettre  suivante  (^)  : 


«  Depuis  sa  rentrée  à  Mexico,  Tempereur  Maximilien  m'a 

reçu  une  fois  et  m'a  dit  qu'il  était  revenu  dans  la  capitale  parce 
qu'il  avait  donné  sa  parole  d'y  revenir;  que  son  but  était  de  s'as- 
surer définitivement  des  ressources  sur  lesquelles  ses  partisans 
pouvaient  compter  et  qu'il  ne  voulait  pas  les  abandonner  sans  leur 
démontrer  leur  impuissance;  enfin,  qu'il  ne  voulait  pas  faire 
comme  le  soldat  qui  quitte  son  fusil  sur  le  champ  de  bataille  pour 
fuir  plus  vite;  en  ce  moment,  je  crois  que  ce  souverain  cherche  une 
combinaison  nouvelle  pour  qu'il  puisse  se  retirer  sans  honte  pour 
son  blason;  c'est  donc  plutôt  une  question  d'araour-propre  qu'une 
question  politique.  J'ai  exposé  à  l'Empereur  que  les  instants  étaient 
courts  et  précieux  ;  que  ses  ressources  étaient  insuftisantes  pour 
faire  face  à  la  situation  périlleuse  dans  laquelle  il  allait  se  trou- 
ver après  notre  départ,  et  qu'à  tous  les  points  de  vue,  il  valait 
mieux  prendre  un  parti  décisif  avant.  Il  m'a  promis  de  réunir  très- 
prochainement  un  conseil  intime  auquel  il  me  prierait  d'assister, 
et  qu'après  l'exposé  loyal  de  ce  conseil,  il  se  déciderait.  Je  l'at- 
tends, bien  déterminé  à  dire  que  le  gouvernement  impérial  ne  peut 


(')  Le  maréchal  au  ministre,  10  janvier  1867. 
(»)  Le  maréchal  au  ministre,  9  janvier  1867. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  687 

pas  se  maintenir  sans  descendre  au  rang  de  simple  chef  de  parti         ^sGi 
et  assumer  la  responsabilité  de  la  continuation  presque  indéfinie  ~ 

de  la  guerre  civile,  ce  que  l'Empereur  m'a  déclaré,  à  plusieurs  re- 
prises, ne  pas  vouloir  à  aucun  prix;  comme  par  suite  durcirait  des 
troupes  françaises,  les  Etats  reconstituent  le  gouvernement  fédéral 
constitutionnel,  la  fédération,  moins  le  gouvernement  central,  est 
constituée  de  fait.  La  marche  à  suivre,  pour  arriver  à  un  résultat 
assez  satisfaisant,  vu  le  peu  de  temps  qui  restera  entre  la  résolu- 
tion de  l'Empereur  et  notre  départ,  serait  de  remettre  le  gouverne- 
ment du  district  de  Mexico  h  l'ayuntamiento  de  1863  qui  remplira 
en  même  temps  les  fonctions  de  gouvernement  provisoire  et  qui, 
après  notre  départ,  s'entendrait  avec  les  autres  Etats  pour  élire 
un  gouvernement  définitif  qui  bien  certainement  sera  celui  de  Jua- 
rez.  Amen  I 

«  Je  ne  vois  pas  moyen  de  faire  autrement  si  l'Empereur  abdique, 
car  les  fédéraux  eux-mêmes  sont  fort  divisés....» 


Sans  vouloir  encourager  formellement  l'empereur  Maxi- 
milien  à  conserver  le  pouvoir,  le  maréchal  trouvait  que, 
si  l'Empire  se  soutenait  quelque  temps  encore,  la  retraite 
de  l'armée  française  serait  plus  facile,  et  que  la  politique 
française  se  dégagerait  beaucoup  mieux  que  par  des  né- 
gociations fort  incertaines,  avec  les  chefs  libéraux.  Cepen- 
dant le  départ  de  la  légion  étrangère,  celui  des  Français 
incorporés  dans  les  corps  mexicains  et  de  la  majeure 
partie  des  Austro-Belges  avaient,  depuis  un  mois,  notable- 
ment modifié  la  situation.  Presque  nulle  parties  troupes 
mexicaines  impériales  n'avaient  conservé  les  positions 
abandonnées  par  l'armée  française  ;  les  conditions  deve- 
naient donc  chaque  jour  plus  mauvaises. 

Le  11  janvier,  le  maréchal  reçut  de  M.  Lares  l'invitation 
de  se  rendre  à  la  réunion  dont  lui  avait  parlé  l'Empereur  : 

«  Sa  Majesté  l'Empereur,  désirant  connaître  d'une  manière  con- 
fidentielle et  amicale  l'avis  de  Votre  Excellence  et  celui  d^iutres 


G88  II*  PARTIE.  —  CHAPITRE   VII. 

-1867.         personnes  sur  une  affaire  de  grave  importance,  m'ordonne  de  m'a- 
^, ,~ ,.         dresser  à  Votre  Excellence,  ainsi  que  i'ai  l'honneur  de  le  faire,  en 

IJppi  3r3l  ton  ^  X        0 

du  maréchal     la  priant  de  vouloir  bien  se  rendre  au  palais  du  gouvernement 
à  la  conférence    ij^di  prochain,  14  du  courant,  à  deux  heures  du  soir. 

da14janv. -1867.  ^  '  ' 

Le  maréchal  s'y  rendit  et  n'y  trouva  pas  l'Empereur  ; 
très-surpris  de  se  voir  en  présence  d'une  nombreuse  assis- 
tance composée  des  ministres,  des  archevêque  et  évêques, 
des  conseillers  d'Etat,  et  d'un  certain  nombre  de  généraux, 
il  eut  d'abord  la  pensée  de  se  retirer  ;  mais,  craignant  de 
produire  un  éclat  fâcheux,  il  lut  la  déclaration  qu'il  avait 
préparée  : 

i  L'évacuation  sans  coup  férir  des  principales  places  fortifiées, 
suftlsamment  armées,  par  les  garnisons  impériales,  sur  les  démons- 
trations d'un  ennemi  plus  faible  que  ces  garnisons,  a  fait  disparaître 
le  peu  de  confiance  qui  restait  dans  la  protection  militaire  que 
l'Empire  pouvait  accorder  aux  populations.  Aujourd'hui,  elles  sont 
généralement  prononcées  contre  l'Empire.  Chaque  Etat  a  pris  son 
rang  dans  la  fédération  ;  les  élections  faites,  d'après  les  bases  de 
la  constitution  de  1837,  ont  validé  la  plupart  des  autorités  fédérales 
établies  de  fait  après  le  départ  des  employés  impériaux ,  le  régime 
fédéral  est  donc  rétabli  dans  la  plus  grande  partie  du  territoire. 

((  A  quoi  servirait  de  faire  des  efforts  militaires  et  de  grandes 
dépenses  pour  reconquérir  le  territoire  perdu  ?  A  rien  !  Car  les  po- 
pulations sont,  après  les  expériences  des  deux  dernières  années, 
peu  disposées  aujourd'hui  en  faveur  du  maintien  de  l'Empire.  Il 
arriverait  donc  que  les  colonnes  dirigées  dans  l'intérieur,  subissant 
peu  à  peu  cette  influence,  se  prononceraient,  ou  bien  encore  qu'af- 
faiblies par  les  garnisons  qu'elles  seraient  obligées  de  laisser  dans 
les  grands  centres,  Tennemi,  ainsi  que  nous  le  voyons  déjà,  les  har- 
cèlerait, les  tiendrait  bloquées,  empêcherait  toute  relation  avec  le 
gouvernement  central.  Comme  conséquences  immédiates,  le  com- 
merce complètement  arrêté,  ainsi  que  les  travaux  agricoles  et  in- 
dustriels, produirait  un  mécontentement  profond  dans  les  popula- 
tions et  un  manque  absolu  de  ressources  pour  maintenir  les  troupes 
dans  le  devoir. 

a  L'organisation  fédérale  paraît  devoir  mettre  le  pays  à  l'abri 
des  tentatives  hostiles  des  Etats-Unis,  et  cette  considération  semble 
exercer  une  grande  influence  sur  l'esprit  des  populations  qui,  avec 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  689 

raison,  craignent  qun  toute  autre  forme  de  gouvernement  amène  ',867, 

en  conquérants  leurs  voisins  du  nord,  "~ 

«  1°  Au  point  de  vue  militaire,  je  ne  crois  pas  que  les  forces  im- 
périales puissent  maintenir  le  pays  dans  un  état  de  pacification  tel 
que  le  gouvernement  de  l'Empereur  puisse  s'exercer  dans  toute  sa 
plénitude  ;  les  opérations  militaires  ne  sont  que  des  combats  par- 
tiels, sans  résultats  définitifs,  qui  entretiendront  la  guerre  civile 
par  les  mesures  arbitraires  qu'elles  entraîneront  forcément  avec 
elles,  et,  comme  conséquence  infaillible,  la  démoralisation  et  la 
ruine  du  pays; 

«  2°  Au  point  de  vue  financier,  le  pays  ne  pouvant  pas  être  régu- 
lièrement administré,  ne  fournira  pas  les  moyens  nécessaires  au 
maintien  du  gouvernement  militaire  impérial  dont  les  agents  seront 
toujours  obligés  d'avoir  recours  à  des  impôts  forcés,  qui  ne  feront 
qu'accroître  le  mécontentement  des  populations; 

«  3"  Au  point  de  vue  politique,  l'opinion  de  la  majorité  du  pays 
paraît  être  aujourd'hui  plutôt  républicaine  fédéraliste  qu'impéria- 
liste, et  il  est  permis  de  douter  qu'un  appel  à  la  nation  soit  favo- 
rable au  régime  actuel,  et  que  peut-être  même  elle  n'obtempérerait 
pas  à  la  convocation  qui  lui  serait  adi'essée. 

«  En  résumé,  il  me  paraît  impossible  que  Sa  Majesté  puisse 
continuer  à  gouverner  le  pays  dans  des  conditions  normales  et 
honorables  pour  sa  souveraineté,  sans  déchoir  au  rang  de  chef 
d'un  parti  et  qu'il  est  préférable  pour  sa  gloire  et  sa  sauvegarde 
qu'Elle  en  fasse  la  remise  à  la  nation.  » 

Les  ministres  des  finances  et  de  la  guerre  dirent,  à  leur 
tour,  que  les  promesses  faites  à  Orizaba  seraient  tenues  ; 
les  hommes  étaient  réunis  ;  l'argent  était  prêt  ;  le  gouver- 
nement, assuraient-ils,  avait  à  sa  disposition  huit  millions 
de  piastres  et  vingt-cinq  mille  hommes  présents  sous  les 
armes;  chacun  exposa  en  peu  de  mots  son  opinion,  en  dé- 
clarant :  soit  vouloir  le  maintien  de  l'Empire  avec  la  lutte  à 
outrance,  soit  conseiller  l'abdication.  La  majorité  des 
membres  présents  fut  favorable  au  maintien  de  l'Empire  ; 
l'archevêque  de  Mexico  et  l'évêque  de  San  Luis  s'étaient 
abstenus.  Dès  lors,  les  mesures  les  plus  extrêmes  furent 

arrêtées. 

44 


690  II"   PARTIE.  CHAPITHE   Vil. 

4867.  Le  général  Marquez,  qui  commandait  à  Mexico,  déploya 

Mesures        une  énergie  impitoyable  ;  il  ordonna  des  levas  dans  les  rues 

ordonnées      mêmes  de  la  ville;  il  fit  appliquer  les  mesures  les  plus 

par  le  maréchal  ,       -,,  ■^        •  n         '      i 

à  Mexico.  rigoui'euses  pour  la  rentrée  dune  contribution  forcée  de 
600,000  piastres,  emprisonner  les  citoyens  qui  refusèrent 
de  s'y  soumettre,  et  forcer  leurs  caisses.  Beaucoup  de 
personnes  menacées  dans  leurs  intérêts  et  dans  leur 
sécurité  personnelle  vinrent  réclamer  la  protection  du  maré- 
chal. Son  rôle  était  sans  doute  de  s'effacer  et  de  décliner 
toute  intervention  comme  toute  responsabilité  dans  les  abus 
qui  se  commettaient.  Il  n'avait  qu'à  hâter  son  départ  et  à 
laisser  les  Mexicains  se  débattre  entre  eux.  Cependant  le  gé- 
néral Marquez  ayant  fait  arrêter  une  personne  du  nom  de 
Pedro  Garay  qu'on  accusait,  non  sans  fondement,  d'être  un 
agent  de  Juarez,  et  qui  avait  reçu  autrefois  un  sauf-conduit 
de  l'autorité  française,  le  maréchal  exigea  qu'il  fût  immé- 
diatement mis  en  liberté  ;  il  fit  mander  le  directeur  de  la  po- 
lice à  l'état-major  de  la  place,  où  il  le  consigna  jusqu'à 
l'élargissement  de  Pedro  Garay.  La  presse  de  Mexico  atta- 
qua vivement  la  conduite  du  maréchal  ;  se  fondant  alors 
sur  le  droit  d'un  général  de  faire  respecter,  par  les  moyens 
en  son  pouvoir,  les  intérêts  de  l'armée  sous  ses  ordres,  il 
fît  arrêter  l'éditeur  du  journal  La  Patria,  et  prononça,  de  sa 
propre  autorité,  la  suppression  de  ce  journal. 

Le  ministre  de  gobernacion  (')  protesta  contre  cette  ap- 
plication du  droit  de  la  guerre  :  «  Le  gouvernement  mexi- 
cain ne  peut  considérer  le  corps  expéditionnaire  que 
comme  une  armée  amie  passant  en  temps  de  paix  sur  le 
territoire  de  l'Empire,  car  l'état  de  guerre  n'existe  pas  entre 
la  France  et  le  gouvernement  impérial  du  Mexique.  »  Il 

(1)  Ministre  de  l'intérieur. 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  691 

demanda  que  l'éditeur  du  journal  ne  fût  pas  soustrait  à  ses 
juges  naturels. 

Le  maréchal  répliqua  durement  :  «  qu'il  n'avait  point 
à  discuter  son  droit,  qu'il  lui  suffisait  de  le  proclamer  et 
de  le  faire  respecter  ;  que,  du  reste,  il  faisait  mettre  en  li- 
berté le  rédacteur  et  l'éditeur  du  journal  pour  ne  pas 
donner  le  spectacle  scandaleux  de  débats  publics  entre  le 
gouvernement  mexicain  et  le  commandant  en  chef;  cepen- 
dant, comme  le  gouvernement  se  montrait  par  trop  tolé- 
rant envers  un  organe  semi-officiel  dont  le  langage  et  les 
tendances  hostiles  poussaient  à  la  haine  du  nom  français, 
et  dont  l'attitude  était  devenue  d'une  inconvenance  telle 
que  le  dédain  avait  dû  faire  place  à  la  nécessité  d'une  ré- 
pression prompte  et  énergique,  »  il  maintenait  la  suppres- 
sion du  journal  La  Patria  (^). 


1867. 


Quelques  jours  après,  M.  Lares,  président  du  conseil 
des  ministres,  ayant  invité  le  maréchal,  le  général  Castel- 
nau,  et  M.  Dano,  à  une  nouvelle  conférence,  le  maréchal 
refusa  de  s'y  rendre  ;  le  général  Castelnau  se  rangea  au 
même  avis,  M.  Dano  seul  y  assista.  La  conférence  n'aboutit 
à  rien.  M.  Lares  écrivit  alors  au  maréchal  une  lettre  dont 
voici  les  extraits  principaux  C^): 


Rupture 
du  maréchal 

avec 
•  fc'ouvernement 

mexicain 
et  l'empereur 
Maximilien. 


«  M.  le  maréchal  et  M.  le  général  Castelnau  déclaraieul,  daus 
la  note  du  7  novembre  dernier,  que  tant  que  les  troupes  françaises 
seraient  au  Mexique,  elles  protégeraient,  comme  elles  l'ont  fait 
jusqu'ici,  les  autorités  et  les  populations,  l'ordre  en  un  mol,  dans 
les  zones  qu'elles  occupent,  mais  sans  entreprendre  d'expéditions 
éloignées. 

«  Mais,  comme  dans  l'attaque  récente  contre  Texcoco,  V.  £.  n'a 


(0  Le  maréchal  au  ministre  île  la  guerre,  22  janvier. 
(2)  M.  Lures  au  maréchal,  2o  janvier.  (Traduction.) 


692  II*    PARUE.  CHAPITRE    VII. 

4867.  pas  jugé  convenable  de  prêter  son   secours,  ainsi  qu'en  a  rendu 

~  compte  le  général  commandant  la  2®  division,  le  gouvernement 

désire  savoir  quelle  serait  Tattitude  des  troupes  françaises  dans  la 
capitale,  si  avant  leur  départ,  la  ville  venait  à  y  être  menacée  par 
les  dissidents,  que  l'un  de  ses  points  fût  attaqué,  ou  que  l'ennemi 
cherchât  à  faire  un  coup  de  main. 

«  Le  gouvernement  mexicain  était  en  droit  de  compter  que 
l'armée  française,  conformément  à  la  note  du  31  mai,  ne  serait 
pas  retirée  avant  l'automne  1867  ;  puisque  son  départ  paraît 
chose  arrêtée ,  il  désire  savoir  à  quelle  époque  elle  quittera 
Mexico.  Il  réclame  de  nouveau  la  remise  de  la  citadelle,  des 
autres  points  fortifiés,  et  du  matériel  de  guerre. 

«  Il  désire  une  solution  amiable  au  sujet  de  l'incident  de  La 
Patria  et  de  l'occupation  des  douanes  de  Vera-Cruz.  » 

Le  maréchal  répondit  (*)  que  toutes  ces  questions  avaient 
été  déjà  résolues  dans  les  conférences  antérieures,  ou  par 
la  correspondance  avec  les  ministres  ;  «  comme  la  rédac- 
tion de  cette  lettre,  ajoutait-il,  laisse  percer  un  sentiment 
de  méfiance  constamment  basé  sur  des  appréciations  calom- 
nieuses qui  froissent  notre  loyauté,  je  liens  à  vous  exprimer 
qu'à  l'avenir  je  ne  veux  avoir  aucune  relation  directe  avec 
votre  ministère.  » 

Il  écrivit  en  outre  à  l'empereur  Maximilien  C^)  ;  après 
avoir  reproduit  le  premier  paragraphe  de  la  lettre  de 
M.  Lares,  il  continuait  ainsi  : 

«  L'inconvenance  de  ce  langage  n'échappera  pas  à  Votre  Majesté 
(jui  ne  m'a  jamais  fait  l'injure  de  supposer  un  seul  instant  que  la 
loyauté  de  l'armée  française  pût  être  mise  en  suspicion. 

«  En  signalant  ù  Sa  Majesté  les  procédés  dont  ses  ministres 
usent  envers  moi,  en  son  nom,  je  crois  faire  un  dernier  et  suprême 
acte  de  contiancc  et  de  loyauté. 

«  Je  crois  en  effet  rendre  encore  service  à  l'Empereur  en  essayant 
de  l'éclairer  sur  les  tendances  et  sur  les  insinuations  d'une  faction 

(')   Le  inaroch.'il  à  M.  Lares,  27  janvier. 

<*)  Le  niaroclial  à  rcnipereur  Maximilien,  28  i.nivier. 


L1-:    MAKÉCÎIAL    CAZAINE.  693 

qui  rie  réunit  que  peu  de  sympathie,  et  dont  les  chefs  abusent  de  -(867. 

l'ascendant  qu'ils  croient  avoir,  ou  de  la  confiance  qu'ils  ont  su  ins-  ~~ 

pirer,  pour  préparer  au  Mexique  et  à  votre  Majesté  une  ère  de  san- 
glantes représailles,  de  douloureuses  péripéties,  de  ruines,  d'anar- 
chie, et  d'humiliations  sans  nombre. 

»  J'ai  l'honneur  d'informer  Votre  Majesté  que,  plus  que  jamais 
désireux  de  conserver  son  estime  et  l'amitié  dont  elle  a  bien  voulu 
m'honorer,  j'ai  fait  savoir  à  M.  le  président  du  conseil  qu'en  pré- 
sence des  termes  de  sa  lettre  précitée,  je  ne  voulais  plus  à  l'avenii 
avoir  aucune  relation  directe  avec  l'administration  dont  il  est  le 
président. 

«  J'ajouterai,  Sire,  que  les  chefs  d'armes  de  M.  le  général  Mar- 
quez sont  journellement  en  relations  avec  les  commandants  du  gé- 
nie et  de  l'artillerie  de  l'armée  française  pour  se  mettre  au  courant 
de  l'état  des  fortitications,  des  défenses,  des  approvisionnements  en 
matériel,  en  armes,  en  munitions  de  la  place. 

«  Sa  Majesté  m'ayant  témoigné  le  désir  de  savoir  à  l'avance  à 
quelle  époque  je  quitterai  Mexico,  j'ai  l'honneur  de  l'informer  que 
mon  départ  avec  les  derniers  contingents  du  corps  expéditionnaire 
aura  lieu  dans  la  première  quinzaine  du  mois  de  février. 

«  Jusqu'au  dernier  moment,  Sire,  je  serai  toujours  prêt  à  me 
rendre  aux  appels  que  Votre  Majesté  voudra  bien  m'exprimer  et 
toujours  disposé  à  fan'e  concorder  mes  efforts  à  vos  désirs    » 

Quelques  instants  après  l'envoi  de  cette  lettre,  le  maré- 
chal reçut  la  réponse  suivante  du  Père  Fischer,  secrétaire 
particulier  de  l'Empereur  O  : 

«  Monsieur  le  maréchal,  Sa  Majesté  l'Empereur  m'ordonne  à 
l'instant  de  retourner  à  Votre  Excellence  la  lettre  ci-joinle,  ne 
pouvant  admettre  que  vous  parliez  de  ses  ministres  dans  les  termes 
dans  lesquels  elle  est  conçue. 

«  A  moins  que  Votre  Excellence  ne  juge  opportun  de  donner 
une  satisfaction  sur  ces  ternies.  Sa  Majesté  m'ordonne  de  faire  sa- 
voir à  Votre  Excellence  que,  dans  ces  conditions.  Elle  ne  veut  plus, 
à  l'avenir,  avoir  aucune  relation  directe  avec  Votre  Excellence. 

«  J'ai  l'hoiineur,  etc.  » 

'1)  28  janvier,  sept  lioiiros  du  soir  (iraducUon). 


694  II''  PARTIE.  CHAi'ITKE   VII. 

4867.  Telles  furent  les  dernières  relations  du  maréchal  et  de 

l'empereur  Maximilien. 

Le  maréchal,  irrité  par  de  nombreuses  blessures  d'amour- 
propre,  n'avait  mis  aucun  ménagement  dans  les  rapports 
qu'il  avait  à  conserver  encore  avec  les  ministres  de  l'empe- 
reur Maximilien  ;  l'Empereur,  de  son  côté,  avait  de  sérieux 
griefs  contre  les  représentants  de  la  France.  Leurs  procé- 
dés, à  l'égard  de  son  gouvernement,  le  froissaient  avec 
juste  raison.  Du  reste,  à  cette  époque,  il  subissait  l'in- 
fluence d'hommes  qui  représentaient  l'idée  réactionnaire 
dans  toute  son  exagération,  et  qui  l'isolaient  de  plus  en 
plus  du  pays.  Le  Père  Fischer  était  l'agent  le  plus  actif  de 
cette  réaction.  Depuis  peu  de  temps  revenu  de  Rome  où 
il  était  allé  négocier  un  concordat,  il  avait  accompagné 
l'Empereur  àOrizaba,  et  combattu  ses  projets  d'abdica- 
tion. A  la  fin  du  mois  de  décembre,  il  remplaça,  au  cabinet 
de  l'Empereur,  le  capitaine  Pierron  qui,  dans  Fétat  des 
choses,  ne  pouvait  plus  conserver  cette  position  ;  ainsi  avait 
été  rompu  le  dernier  et  fragile  anneau  qui  facilitait  encore 
les  rapports  du  gouvernement  mexicain  et  des  représentants 
de  la  France. 

Le  maréchal  activa  ses  préparatifs  de  départ  ;  rien  ne  le 
retenait  plus  à  Mexico  ;  une  dépêche  de  l'empereur  Napo- 
léon au  général  Castelnau,  datée  de  Paris,  10  janvier,  ve- 
nait d'arriver.  Elle  était  ainsi  conçue  : 

«  Ne  forcez  pas  l'Empereur  à  abdiquer,  mais  ne  retardez  pas  le 
départ  des  troupes. 

«  Rapatriez  tous  ceux  qui  ne  veulent  pas  rester.  » 

Les  troupes  étaient  échelonnées  entre  Mexico  et  la  mer  ; 
le  15  janvier  au  soir,  le  général  de  Castagny  avait  amené 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  695 

le  dernier  échelon  ;  tous  les  postes  en  arrière  avaient  été         i867. 
remis  aux  troupes  mexicaines. 

Les  colonnes  françaises  s'étaient  aussitôt  acheminées 
vers  le  port  d'embarquement  ;  le  maréchal  n'avait  gardé 
avec  lui  qu'une  forte  arrière-garde. 

Le  matériel  encombrant  dont  la  valeur  n'aurait  pas  été 
en  rapport  avec  les  frais  de  transport,  les  chevaux  et  les 
harnachements  furent,  conformément  aux  ordres  du  mi- 
nistre, vendus  aux  enchères  à  Mexico,  à  Puebla,  à  Ori- 
zaba,  à  Paso  del  Macho  ;  on  n'en  retira  qu'une  somme  in- 
signifianle.  La  plupart  des  chevaux  allèrent  remonter  les 
guérillas  républicaines.  On  en  transporta  quelqucs-unS 
dans  les  colonies  françaises  des  Antilles. 

Les  projectiles  qu'on  ne  pouvait  emporter  et  que  d'ail- 
leurs l'artillerie  mexicaine  n'aurait  pu  utiliser,  furent  bri- 
sés et  d'importantes  quantités  de  poudres  noyées  dans  les 
fossés  de  la  citadelle.  Des  ordres  furent  donnés  pour  qu'on 
en  fît  de  même  à  Orizaba  et  à  Puebla  (^).  Il  est  difficile 
d'expliquer  d'une  manière  satisfaisante  les  motifs  de  cette 
destruction  pénible  ;  on  se  demande  quelle  raison  pou- 
vait en  empêcher  la  cession  à  titre  gracieux  aux  arsenaux 
mexicains,  puisque  le  gouvernement  de  l'empereur  Maxi- 
milien  était  trop  pauvre  pour  les  payer.  Enfin,  sous  pré- 
texte d'en  faire  régulièrement  la  remise,  et,  dit  le  maré- 
chal, pour  les  soustraire  à  un  coup  de  main  possible  de 
l'ennemi,  les  pièces  de  campagne  d'artillerie  mexicaine 
furent  enlevées  des  remparts  et  enfermées  dans  la  cita- 
delle, dont  la  garnison  française  conserva  la  garde  jusqu'à 
la  dernière  heure.  Cependant  Mexico  restait  encore  large- 
ment  approvisionné  ;    on   laissait   500,000  cartouches , 

<•)   Le  maréciial  au  ministre,  2  mars. 


G96  ir"    l'AKTiE.  CHAPITRE  VII. 

1867.         34,000  projectiles,   et  les  charges  nécessaires  pour  tirer 
300  coups  par  pièce. 

Le  3  février,  le  maréchal  adressa  la  proclamation  sui- 
vante aux  habitants  (')  : 

«  Mexicains,  dans  peu  de  jours  les  troupes  françaises  sortiront 
de  Mexico. 

«  Pendant  les  quatre  années  qu'elles  ont  séjourné  dans  votre 
belle  capitale,  elles  n'ont  eu  qu'à  se  féliciter  des  relations  sympa- 
thiques qui  se  sont  établies  entre  elles  et  cette  population. 

«  C'est  donc  au  nom  de  l'armée  française  sous  ses  ordres,  comme 
en  son  nom  personnel,  que  le  maréchal  de  France,  commandant 
en  chef,  prend  congé  de  vous. 

«  Je  vous  adresse  tous  nos  souhaits  pour  le  bonheur  de  la  che- 
valeresque nation  mexicaine. 

«  Tous  nos  efforts  ont  tendu  h  établir  la  paix  intérieure.  Soyez - 
en  certains,  et  je  vous  le  déclare  au  moment  de  vous  quitter,  notre 
mission  n'a  jamais  eu  d'autre  objet,  et  il  n'est  jamais  entré  dans 
les  intentions  de  la  France  de  vous  imposer  une  forme  quelconque 
de  gouvernement  contraire  à  vos  sentiments.  » 

Il  n'est  pas  besoin  de  commenter  les  termes  de  celte  pro- 
clamation pour  faire  ressortir  combien  étaient  durs  l'allu- 
sion de  la  dernière  phrase  et  l'oubli  intentionnel  de  tout 
souvenir  à  l'empereur  Maximilien. 

DqiiMi  doMexin.       Lo  5  févrlcr,  à  dix  heures  du  matin,  le  maréchal  se  mit 

(la  myréclial  i  i  i         •  p  •  '  i 

f\  de  la  dernière  à  la  tctc  dcs  demières  troupes  trançaises  massées  sur  le 

colonne  •  nir      •  •  a  •  i  ^ 

lie  iroiii)es      Pasco,  et  quitta  Mexico,  musique  en  tête,  enseignes  de- 

françaises.  ,        ,  i  ,      •  /.      i  •         i 

ployees  ;  «  la  population,  accourue  en  toute  au  point  de 
réunion  et  groupée  sur  tout  le  parcours,  resta  calme  et  si- 
lencieuse, témoignant  par  son  attitude  de  sa  sympathie 
pour  l'armée  qui  la  quittait,  et  des  appréhensions  que  ce 

W  Traduction. 


LE    JIARÉCHAL    BAZAINE.  697 

départ  lui  causait.  Les  fenêtres  du  palais  étaient  compté-         i867. 
tement  fermées  O.  » 

Le  maréchal  alla  camper  à  la  Piedad  à  cinq  kilomètres 
de  Mexico  ;  des  postes  restèrent  encore  à  la  citadelle  et  à 
deux  des  portes  de  la  ville,  afin  de  permettre  aux  personnes 
qui  le  désireraient  de  sortir  librement,  et  conserver  aux 
troupes  françaises  lapossibilité  de  rentrer,  si  quelque  mou- 
vement intérieur  ou  quelque  tentative  extérieure  le  rendait 
nécessaire. 

Le  6  au  matin,  les  derniers  points  occupés  furent  éva- 
cués, et  la  colonne  française  défda  sur  la  route  de  Puebla, 
à  peu  de  distance  des  troupes  libérales  qui  ne  tentèrent 
pas  la  moindre  attaque,  et  se  bornèrent,  aussitôt  après  le 
passage  de  l'arrière-garde,  à  prendre  position  sur  la  route. 

Le  général  Marquez  déclara  Mexico  en  état  de  siège. 

Le  maréchal  avait  fait  prévenir  les  chefs  libéraux  que, 
le  rôle  de  l'armée  française  étant  fini,  il  n'enverrait  plus 
de  colonnes  contre  eux,  mais  qu'il  entendait  conserver  la 
plus  grande  liberté  dans  ses  mouvements,  et  châtierait  ra- 
pidement toute  troupe  ennemie  qui  se  montrerait  à  portée 
de  son  canon  (^).  A  Puebla,  la  population  ne  témoigna  ni 
sympathie  ni  regrets  ;  la  marche  rétrograde  se  continua 
dans  le  plus  grand  ordre  (').  Le  général  Castelnau  partit 
de  Mexico  le  même  jour  que  le  maréchal  ;  il  s'embar- 
qua, le  13  février,  à  Vera-Gruz. 

(')  Le  maréchal  au  minisire,  10  février  1867. 

<2)  Le  27  décembre,  une  troupe  républicaine,  forle  de  sept  cents  hommes, 
étant  venue  occuper  Chalco  au  moment  où  une  colonne  française  passait  à  Bue- 
navista,  le  chef  d'escadron  d'état-major  Billot,  commandant  la  colonne,  la  .surprit 
par  une  marche  de  nuit,  lui  tua  une  cinquantaine  d'hommes  et  ramena  de  nom- 
breux prisonniers  sans  avoir  un  seul  blessé. 

Cette  leçon  ne  fut  pas  perdue,  car,  dès  ce  moment,  les  libéraux  montreront  la 
plus  grande  circonspection. 

(3)  Le  raaréclial  au  ministre,  10  février  18G7. 


098  U"   PARUE.  CUAl'lTRE   VII. 

^867.  M.  Dano,  ministre  de  France,  dut  rester  k  Mexico. 

Le  16  février,  le  maréchal  était  à  Orizaba  ;  le  21,  le 
général  de  Castagny  arrivait  avec  le  reste  des  troupes. 

Quelques  jours  avant,  on  avait  appris  la  nouvelle  d'un 
grave  échec  subi  du  colé  de  Zacatecas  par  le  général  Mira- 
mon  ;  le  maréchal  écrivit  aussitôt  à  l'empereur  Maximilien 
pour  lui  offrir  encore  de  l'attendre ,  dans  le  cas  où 
ce  dernier  désastre  le  déciderait  à  quitter  le  Mexique. 
M.  Dano  répondit  que  l'Empereur,  «  moins  quejamais  dis- 
posé à  accepter  cette  offre,  »  était  parti  pour  Queretaro,  se 
mettre  à  la  tête  de  l'armée  ('). 

Le  mouvement  vers  la  côte  continua  donc  sans  inter- 
ruption. Les  autorités  mexicaines  évacuèrent  Orizaba  et 
Cordova ,  ne  gardant  ainsi  aucun  poste  fortifié  entre 
Puebla  et  Vera-Cruz.  Le  maréchal  quitta  Orizaba  le  26 
février  ;  le  l*^*"  mars,  il  arrivait  à  Vera-Cruz.  Les  der- 
nières troupes  étaient  échelonnées  entre  Pas  odel  Maclio 
et  la  mer. 


Knibarqucuieui        Le  rctour  dcs  détachcments  français  épars  dans  les  pro- 

dii  corps 
;xpé(litioniiair 
ù  Vcra-Criiz. 


cxpJitiomi'ain-    vinccs  Ics  plus  éloignécs,   le  mouvement  rétrograde  d'un 


corps  de  28,000  hommes  jusqu'au  port  de  Yera-Gruzj  la 
concentration  d'un  énorme  matériel,  le  rapatrien^.ent  d'un 
grand  nombre  de  nationaux  qui  voulurent  rentrer  en 
France  ;  toutes  ces  opérations  délicates  avaient  été  termi- 
nées aussi  heureusement  qu'on  pouvait  le  désirer  :  «  Nul 
incident,  nulle  attaque,  nulle  complication  n'avait  apporté 
le  moindre  obstacle  aux  combinaisons  arrêtées  depuis 
longtemps.  De  Mexico  à  Vera-Cruz,  la  marche  rétrograde 

<l)  M.  D.moau  maréchal,  16  février  1S67. 


LE    MARÉCilAL    BAZ.UNE.  699 

s'était  accomplie  à  souiiait.,  avec  le  plus  grand  ordre,  sans        ^867. 
qu'un  coup  de  fusil  eût  été  tiré.  Les  forces  libérales,  grou- 
pées à  portée  des  troupes  françaises,  laissaient  à  peine  voir 
de  temps  en  temps  quelques  éclaireui  s  qui  se  tenaient  à 
distance  respectueuse  (*).  » 

Les  troupes,  observant  une  exacte  discipline,  avaient 
traversé  les  villes  et  les  villages  de  la  route  sans  donner  lieu 
à  aucune  plainte  ;  elles  avaient  supporté,  avec  une  égale 
patience,  tantôt  le  froid  très-vif  des  nuits  sur  les  hauts 
plateaux,  tantôt  la  chaleur  brûlante  du  jour  sous  un  soleil 
de  feu,  puis  les  étapes  longues  et  pénibles  au  milieu  d'une 
poussière  affreuse  dans  cette  saison  où  tout  est  desséché, 
et  où  l'eau  manque  souvent.  Malgré  les  fatigues,  l'état  sa- 
nitaire était  resté  très-satisfaisant  ;  même  à  Vera-Gruz,  où 
le  vomito  ne  cesse  jamais  complètement,  on  n'eut  que 
deux  cas  à  déplorer. 

Au  l^""  mars,  la  plus  grande  partie  des  troupes  étaient 
déjà  embarquées  ;  et  la  portion  restante  du  corps  expédition- 
naire (8,600  hommes)  se  trouvait  rassemblée  entre  Yera- 
Cruz  et  Paso  del  Macho  ;  on  évacua  successivement  ce 
point,  puis  la  Soledad,  la  Purga,  en  opérant  une  retraite 
par  échelons.  Cette  combinaison  était  nécessitée  par  la  pré- 
sence d'un  grand  nombre  de  bandes  libérales  qui  pou- 
vaient, à  un  moment  donné,  se  réunir  en  une  seule  masse 
numérique  importante  et  près  desquelles  il  fallait  être  sur 
ses  gardes.  Le  général  Benavides,  commandant  la  ligne 
du  Rio  Blanco,  s'était  en  effet  rapproché  au  sud  jusque 
vers  Medelin  ;  au  nord,  Alatorre  se  tenait  seulement  à  quel- 
ques lieues  de  distance. 

Il  fallait  ne  pas  agglomérer  trop  de  monde  à  Vera-Cruz, 

(<)  Le  maréclial  :iu  ministre. 


700  11^    PARTIE.  CHAPITRE  VU. 

4867.  le  vomito  y  sévissant  en  toute  saison  dos  qu'il  s'y  trouve 
beaucoup  d'Européens.  Chaque  colonne,  partant  de  la 
Soledad  par  le  chemin  de  fer,  arrivait  le  soir,  campait 
pendant  la  nuit,  et  le  lendemain  au  jour  commençait  à 
s'embarquer.  Cette  opération,  à  laquelle  la  marine  ap- 
porta le  plus  grand  ordre,  se  faisait  rapidement  ;  elle 
était  terminée  vers  neuf  heures,  avant  le  moment  de 
la  grande  chaleur  ;  le  soir  les  bâtiments  prenaient  le 
large  (^). 

Grâce  aux  démarches  faites  par  le  maréchal,  tous  les 
prisonniers  de  l'armée  française  avaient  été  rendus  par 
les  libéraux ,  le  Phlégéton,  envoyé  à  Matamores,  venait  de 
ramener  un  officier  et  trente  hommes  du  régiment  étranger, 
faits  prisonniers  au  combat  de  Santa  Isabel,  quatre  officiers 
et  quarante  Autrichiens  pris  au  combat  de  Camargo.  Porfirio 
Diaz  avait  déjà  échangé  les  Français  restés  entre  ses  mains 
après  le  combat  de  Miahuatlan  et  la  prise  d'Oajaca;  mais  il 
ne  voulut  pas,  malgré  toutes  les  instances,  consentir  à  rendre 
les  Autrichiens.  Le  commandant  en  chef  donna  une  dernière 
marque  de  sympathie  à  ces  infortunés  compagnons  d'armes, 
en  leur  faisant  parvenir  des  effets  et  un  mois  de  solde,  en- 
viron 1*2,000  fr.,  que  leur  paya  le  trésor  français. 

Le  corps  belge  en  entier  et  la  majeure  partie  du  corps 
autrichien  avaient  demandé  à  être  rapatriés.  Les  Belges 
s'étaient  embarqués  le  20  janvier  sur  le  Rhône  ;  les  Autri- 
chiens furent  répartis  sur  le  Var  et  V Allier  (21  et  22  fév.). 

M.  Dano  avait  continué  avec  le  gouvernement  mexicain 


(>)   Les  criihaniueiuciils  furent  dirigtis  par  M.  1«  (•apitaiiic  de  frégale  Pi-yron, 
cominaritlaiil  li-  port  de  Vera-Cruz.  —  Le  maréchal  au  luinislre,  1  l  mars  IH07. 


LE    yiAUÉCHAL    BAZAINE.  701 

les  pénibles  pourparlers  auxquels  donnait  lieu  la  mise  à  iso?. 
exécution  de  la  convention  du  30  juillet.  Par  un  arrange- 
ment conclu  le  22  février,  il  fut  décidé  que,  chaque  partie 
réservant  ses  droits,  les  douanes  de  Vera-Cruz  seraient 
rendues,  le  l*^''  mars,  aux  agents  mexicains,  et  qu'une 
somme  de  cinquante  mille  piastres  serait  remise  mensuelle- 
ment entre  les  mains  d'un  agent  français. 

Afin  de  permettre  aux  autorités  impériales  de  se  main- 
tenir à  Vera-Cruz,  et  dans  le  but  de  conserver  un  port  où 
l'empereur  Maximilien  put  trouver  un  refuge,  le  maré- 
chal laissa  au  commissaire  impérial  des  armes,  des  muni- 
tions, des  attelages,  des  objets  de  campement  ;  il  demanda, 
en  outre,  à  l'amiral  commandant  l'escadre,  de  céder  40  à  30 
quintaux  de  poudre  et,  s'il  était  possible,  une  canonnière 
qu'on  dénationaliserait  et  qui  serait  vendue  comme  im- 
propre au  service,  ne  pouvant  être  ramenée  en  France  (*). 
L'amiral  consentit  à  donner  trente  quintaux  de  poudre, 
mais  il  crut  devoir  refuser  la  canonnière.  En  échange,  le 
préfet  de  Vera-Cruz  remit  des  traites  sur  la  douane  de  ce 
port. 

Pour  ramener  en  France  le  corps  expéditionnaire  du 
Mexique,  on  envoya,  sous  la  protection  de  l'escadre  cui- 
rassée ,  et  des  divisions  navales  des  côtes  de  l'Amé- 
rique :  trente  bâtiments  de  transport  de  la  tlotte  et  sept 
paquebots  de  la  Compagnie  transatlantique.  Ces  navires 
transportèrent  169  officiers  supérieurs,  1264  officiers  su- 
balternes, 27,260  hommes  de  troupes;  total  :  28,693  pas- 
sagers et  351  chevaux. 

Le  premier  paquebot  de  la  Compagnie  partit  de  Vcra- 

")  Le  maréchal  à  Pamiral  commandant  l'escadre,  7  mars  18C7. 


702  h"  partie.  CHAPITRE    VII. 

4867.  Cruz  le  18  décembre  1866,  mais  l'embarquement  régulier 
sur  les  navires  de  la  flotte  commença  seulement  le  16  fé- 
vrier, et  fut  terminé  le  11  mars  (*), 

Le  maréchal  monta  sur  le  vaisseau  îe  Souverain;  le 
dernier  soldat  français  avait  quitté  les  côtes  du  Mexique. 

Les  régiments  du  corps  expéditionnaire  furent  dirigés 
sur  différents  ports  de  France  et  d'Algérie. 

Le  maréchal  Bazaine  débarqua  dans  le  port  de  Toulon. 

Sur  l'ordre  de  l'empereur  Napoléon,  il  ne  lui  fut  pas 
rendu  d'honneurs  militaires.  En  se  soumettant,  sans  pro- 
testation, à  cette  grave  mesure,  le  maréchal  donna  plus 
d'importance  à  des  appréciations,  la  plupart  injustes  et 
mal  fondées,  sur  la  conduite  qu'il  avait  tenue  pendant  les 
derniers  mois  de  son  commandement. 


Dernières  Au  Mcxique,  les  événements  se  précipitèrent  avec  une 

opérations  ^  •  i-x  '  /'2^ 

(les  iioupes      enrayante  rapidité  r). 

mexicaines  impé-         ^j         ,  .,.  ■■  .       ,      .         .  ,         ,     ,      i   n^- 

rides.  vers  le  milieu  du  mois  de  janvier,  le  gênerai  Miramon, 

avait  envoyé  un  détachement  commandé  par  le  général 
Gastillo,  pour  occuper  Escobedo  du  côté  de  San  Luis  ; 
lui-même  s'était  brusquement  dirigé  sur  Zacatecas,  avec  une 
colonne  de  2,500  hommes,  dans  laquelle  étaient  360  Fran- 
çais. Juarez  s'échappa  quelques  heures  seulement  avant 
l'arrivée  des  troupes  impérialistes  qui  pénétrèrent  dans  la 
ville  le  28  janvier,  y  levèrent  une  contribution  de  250,000 
piastres,  et  rétrogradèrent  aussitôt  (31  janvier). 

(')  Voir  à  l'appendice  le  détail  du  transport. 

(2)  Le  récit  des  événements  qui  suivent  est  tiré  en  grande  partie  d'un  rapport 
do  M.  le  capitaine  Madelor,  resté  à  Mexico  après  le  départ  des  troupes  françaises, 
comme  attaché  à  la  légation  de  France. 


I 


LE    MARÉCHAL    BAZAIKE.  703 

Mais,  Escobedo  ayant  laissé  un  rideau  de  troupes  devant  i867. 
le  général  Castillo  pour  masquer  son  mouvement,  attei- 
gnit, le  l^'"  février,  près  de  San  Francisco,  la  colonne  du 
général  Miramon  et  l'attaqua  vigoureusement.  Une  partie 
de  la  cavalerie  impérialiste  ayant  fait  défection,  en  quelques 
minutes  la  déroute  des  troupes  de  Miramon  fut  complète. 
Escobedo  enleva  tout  le  convoi  et  dix-neuf  pièces  de  canon; 
cent  trente-huit  Français,  parmi  lesquels  quarante  blessés, 
tombèrent  entre  ses  mains.  Ces  derniers  échappèrent  seuls 
aux  vengeances  des  libéraux  ;  les  autres  furent  fusillés  à 
San  Jacinto  le  3  février.  Miramon,  avec  quelques  hommes, 
parvint  à  rallier  le  général  Castillo  et  rentra,  le  8  février, 
à  Queretaro.  Le  général  Liceaga,  battu  à  Guanajuato  par 
le  colonel  républicain  Rincon  Gallardo,  se  réfugia  aussi 
à  Queretaro.  Carbajal  tenta  un  coup  de  main  sur  la  place; 
mais  il  fut  repoussé  par  le  général  Mejia,  et  perdit  son 
artillerie. 

Le  glanerai  Mendez  occupait  encore  Morelia  ;  le  général 
Tavera,  Toluca.  Il  fut  décidé  que  ces  villes  seraient  aban- 
données. Tavera  se  replia  sur  Mexico  et  Mendez,  sur  Quere- 
taro. Le  13  février,  l'empereur  Maximilien  partit  lui-même 
de  Mexico  pour  se  rendre  dans  cette  dernière  ville,  où  de- 
vaient se  concentrer  neuf  mille  hommes  avec  41  pièces  d'ar- 
tillerie. Cinq  mille  hommes  restaient  à  Mexico  ;  deux  mille 
cinq  cents  à  Puebla  sous  les  ordres  du  général  Noriega, 
oflficier  âgé  et  sans  valeur.  Le  total  des  forces  dont  l'Empire 
disposait,  s'élevait  donc  à  dix -sept  mille  hommes  et  dix 
batteries,  non  compris  la  garnison  de  Vera-Cruz  et  quel- 
ques détachements  du  Yucatan.  Dans  es  chiffre,  on  comp- 
tait quatre  cents  hommes  de  cavalerie  autrichienne  sous 
les  ordres  du  lieutenant-colonel  von  Khevenhiiller  et  deux 
cents  fantassins  commandés  par  le  major  von  Hammers- 


704  II"  PARTIE.  CHAPITRE    VU. 

1807.  lein.  Six  cents  Français  étaient  répartis  dans  le  régiment  de 
~  gendarmerie  et  dans  un  bataillon  de  chasseurs  à  pied. 

Les  libéraux  avaient  quatre  fois  plus  de  troupes.  Esco- 
bedo  arrivait  du  Nord  avec  12.000  hommes;  Gorona,  de 
l'Ouest,  avec  8000;  il  avait  rallié  à  Morelia  6000  hommes 
commandés  par  Régules  et  s'avançait  avec  lui  sur  Que- 
retaro.  Riva  Palacio  avait  7000  hommes  à  Toluca  et 
au  nord  de  Mexico;  Porfirio  Diaz,  8000  devant  Pue- 
bla.  Dans  la  Huasteca  et  les  terres  chaudes  de  Vera- 
Cruz,  Alatorre,  Juan  Francisco,  Renavides,  Garcia,  etc., 
étaient  à  la  tête  de  contingents  importants.  Le  résultat 
final  de  cette  lutte  disproportionnée  était  d'autant  plus 
facile  à  prévoir  que,  malgré  les  promesses  du  clergé, 
le  gouvernement  impérial  manquait  d'argent  pour  solder 
ses  troupes  et  n'avait  d'autre  ressource  que  d'imposer  des 
contributions  énormes  aux  quelques  villes  restées  en  son 
pouvoir. 

En  quittant  Mexico,  l'Empereur  emmena  le  général 
Marquez  comme  chef  d'état-major.  Il  laissa  la  direction 
des  affaires  entre  les  mains  d'un  conseil  de  ministres 
présidé  par  M.  Lares  ;  la  préfecture  politique  fut  donnée 
au  général  O'Horan,  et  le  commandement  de  la  garnison, 
au  général  Tavera. 

siogo  cl  prise        Le  19  février,  l'Empereur  arrivait  à Queretaro  ;  cette  ville 

(ic  Qiicrctc'iro  ,  .  ,    ,,„         .  en-       ■  ^  > 

i.;.r  les  forces  se  montrait  encore  sympathique  a  1  Linpire.  bituee  au  de- 
bouché  de  la  Sierra  Gorda,  pays  également  dévoué,  dans  les 
montagnes  duquel  on  pouvait  chercher  un  refuge  en  cas 
d'insuccès,  elle  offrait  une  assez  bonne  position  ;  mais  on 
s'éloignait  ainsi  de  la  côte  d'environ  soixante  lieues. 

L'Empereur  fut  reçu  avec  un  grand  enthousiasme;  il 
n'était  alors  entouré  que  de  Mexicains;  pour  ne  pas  nuire  à 


li  liera  les 


LE    MARÉCHAL    BAZAINE.  705 

sa  popularité,  il  avait  laissé  à  Mexico  les  bataillons  autri-  <867, 
chiens  et  n'avait  emmené  que  son  médecin,  le  docteur 
Basch,  et  deux  serviteurs  étrangers.  Contrairement  à  l'avis 
de  Miramon  et  d'après  le  conseil  de  Marquez,  l'armée  im- 
périale resta  sur  la  défensive  ;  le  6  et  le  7  mars,  les 
troupes  républicaines,  au  nombre  de  23,000  hommes,  se 
présentèrent  par  les  routes  de  San  Luis  et  de  Gelaya  ; 
elles  attaquèrent  le  14  mars,  et  furent  repoussées. 

Cependant  la  ligne  d'investissement  continuait  à  se 
resserrer.  L'argent  faisait  défaut,  les  renforts  attendus 
n'arrivaient  pas  ;  l'Empereur  n'avait  pas  confiance  en 
M.  Lares,  dont  il  connaissait  le  peu  d'énergie.  Alors 
on  décida,  dans  un  conseil  de  guerre,  que  le  général 
Marquez  serait  envoyé  à  Mexico  pour  se  procurer  des  res- 
sources pécuniaires  et  organiser  la  résistance;  l'Empereur 
le  nomma  lieutenant  général  de  l'Empire  et  lui  donna 
pleins  pouvoirs.  Dans  la  nuit  du  22  au  23  mars,  il  parlit 
avec  onze  cents  cavaliers  par  le  chemin  d'Amealco,  Acam- 
bay.  Villa  del  Carbon,  et,  le  27  mars,  il  arriva  inopinément 
à  Mexico.  Il  était  accompagné  du  général  Vidaurri  qui 
devait  remplacer  M.  Lares  comme  ministre  des  finances 
et  président  du  conseil  des  ministres.  Marquez  prit  aussitôt 
les  mesures  les  plus  énergiques,  décréta  de  nouveaux  impôts 
forcés  auxquels  ne  purent  même  se  soustraire  les  négociants 
étrangers,  et  fit  procéder  dans  les  rues  de  Mexico  à  une 
levée  générale  qui  porta  indistinctement  sur  toutes  les 
classes  de  la  société. 

Le  30  mars,  il  sortit  avec  une  colonne  de  1900  fantassins,      Expédition 
1600  cavaliers,  et  trois  batteries,  pour  se  porter  au  secours  générai  Marquez 
de  Puebla  que  Porfirio  Diaz  assiégeait  depuis  le  9.  On  pré- 
tendit, plus  tard,  qu'il  trahissait  l'Empereur  et  cherchait  à 
se  rapprocher  de  Santa-Anna  qui  était  attendu  à  Vera-Cruz. 

4o 


706  n^  PARTIE.  —  CHAPITRE   VII. 

-ise?         Cette  allégation  ne  paraît  pas  justifiée.  La  conservation  de 
"~  Puebla  était,  en  effet,  assez  importante  pour  que  le  général 

Marquez  crût  de  son  devoir  de  sauver  cette  place  ;  mais  il 
marcha  lentement,  et  Porfirio  Diaz,  averti  de  son  approche, 
brusqua  l'attaque.  Le  2  avril,  il  donna  l'assaut,  pénétra 
dans  la  ville,  fit  fusiller  les  officiers  tombés  entre  ses 
mains,  et  menaça  du  même  traitement  le  reste  de  la  gar- 
nison réfugiée  dans  les  forts.  Celle-ci  capitula  le  4  avril. 
Les  libéraux  se  portèrent  aussitôt  contre  la  colonne  de 
Marquez  qui  rebroussait  chemin  sur  Mexico  ;  ils  l'attei- 
gnirent à  l'hacienda  de  San  Lorenzo  le  9  avril,  et  lui  bar- 
rèrent la  route. 

Le  général  Marquez  parvint  à  se  frayer  un  passage  par 
Calpulalpan  et  Texcoco  ;  mais  il  dut  abandonner  ses  ma- 
lades et  fdire  précipiter  dans  les  ravins  ses  bagages  et  son  ar- 
tillerie. Il  s'enfuit  jusqu'à  Mexico  avec  son  escorte,  lais- 
sant ses  troupes  dans  la  plus  affreuse  confusion,  assaillies  de 
tous  côtés  par  la  cavalerie  ennemie.  Un  bataillon  autri- 
chien, sous  les  ordres  du  colonel  v.  Hammerstein,  réussit 
cependant  à  couvrir  la  retraite,  tandis  que  la  cavalerie  autri- 
chienne, commandée  par  le  colonel  v.  Khevenhiiller,  char- 
geait sans  relâche,  avec  la  plus  brillante  bravoure.  Grâce  au 
sang-froid  de  ces  officiers  et  du  colonel  v.  Kodolitsch,  com- 
mandant le  corps  autrichien,  deux  mille  hommes  et  deux 
pièces  de  montagne  furent  sauvés  et  rentrèrent  à  Mexico,  le 
11  avril.  Le  désordre  était  si  grand,  que  Porfirio  Diaz  aurait 
pu,  sans  grandes  difficultés,  pénétrer  immédiatement  dans 
la  ville  ;  il  ne  l'osa  pas  et  se  contenta  de  l'investir. 

Les  enrôlements  forcés  permirent  au  général  Marquez  de 
constituer  une  garnison  d'environ  7,000  hommes.  Après 
un  premier  moment  de  défaillance,  il  avait  bientôt  retrouvé 
cette  énergie  cruelle  qui  ne  reculait  devant  aucune  vio- 


LE   MARÉCHAL   BAZAINE.  707 

lence.  Il  fit  fondre  des  boulets,  fabriquer  des  munitions,  et         i867. 
travailler  aux  fortifications.   La  famine  ne  tarda  pas  à  se 
faire  sentir  ;  mais  il  inspirait  à  ses  troupes  une  sorte  de  ter- 
reur, et  contenait  la  population  affamée  par  les  mesures 
les  plus  rigoureuses. 

Des  impôts  forcés  furent  décrétés.  Les  récalcitrants  étaient 
emprisonnés  et  privés  de  nourriture  ;  s'ils  parvenaient  à  se 
cacher,  on  occupait  militairement  leur  domicile,  et  l'on 
•privait  éga^ement  de  nourriture  leurs  femmes  et  leurs  en- 
fants. Vidaurri  se  retira  du  gouvernement,  ne  voulant  pas 
prêter  la  main  à  ces  mesures;  les  agents  diplomatiques  rom- 
pirent toutes  relations  avec  Marquez,  mais  celui-ci  n'en 
maintint  pas  moins  cette  situation  ;  il  résista  aux  attaques 
que  l'ennemi  menait  du  reste  mollement,  et  put  cacher 
à  tout  le  monde  les  tristes  événements  qui  se  déroulaient 
alors  à  Queretaro. 

La  petite  armée  de  l'empereur  Maximilien  avait  d'abord 
obtenu  quelques  succès.  Le  27  avril,  Miramon  avait  culbuté 
l'ennemi  et  enlevé  vingt  canons  ;  le  1"  et  le  3  mai,  on  fit 
des  sorties  heureuses  ;  le  o  mai,  les  assiégeants  furent  en- 
core repoussés  avec  de  grandes  pertes  ;  cependant  on  souf- 
frait de  la  faim,  et  comme  le  secours  que  devait  amener 
Marquez  n'arrivait  pas,  il  fut  décidé,  le  14  mai,  que,  le  len- 
demain, on  ferait  une  trouée  à  travers  les  lignes  ennemies  ; 

mais  dans  la  nuit  suivante,  c'est-à-dire  celle  du  14  au 

15  mai,  le  colonel  Lopez,  commandant  le  régiment  de  l'Im- 
pératrice, livrait  à  l'ennemi  une  porte  de  la  ville,  située  dans 
le  couvent  de  la  Gruz  où  résidait  l'empereur  Maximilien. 
Lopez  introduisit  lui-même  les  libéraux,  à  la  tète  desquels 
entrèrent  le  général  Vêlez  et  le  colonel  Rincon  Gallardo. 

Il  leur  eût  été  facile  de  faire  immédiatement  l'Em- 


708  n'  PARTIE.  CHAPITKE    Vil. 

4867.  pereur  prisonnier  ;  ils  y  répugnèrent.  Le  général  Vêlez, 
tout  en  refusant  de  servir  l'Empire ,  avait  cependant 
vécu  à  Mexico  jusqu'au  mois  de  février  1867,  époque  à 
laquelle  il  avait  rejoint  l'armée  libérale  ;  le  père  du  colo- 
nel Rincon  Gallardo,  le  marquis  de  Guadalupe,  avait  accepté 
une  charge  à  la  cour  de  l'empereur  Maximilien.  Ces  deux  offi- 
ciers respectèrent  le  prince  qu'une  trahison  leur  livrait.  On 
ne  toucha  même  pas  à  ses  chevaux  qui  restèrent  sellés. 

Averti  de  l'entrée  de  l'ennemi,  l'Empereur  s'était  levé. 
Il  sortit  peu  après  avec  le  général  Castillo,  le  prince  Salm- 
Salm  ('),  un  otFicier  d'ordonnance,  et  son  secrétaire  ;  de- 
vant la  porte,  il  trouva  un  bataillon  ennemi  à  la  tête  duquel 
était  le  colonel  Rincon  Gallardo.  Celui-ci  le  reconnut  ; 
mais  cédant  à  un  mouvement  chevaleresque,  il  fit  laisser 
le  passage  libre  à  l'Empereur  et  à  ceux  qui  l'accompa- 
gnaient, disant  :  Que  pasen  son  paisanos  !  (Laissez  passer, 
ce  sont  des  bourgeois).  L'Empereur  quitta  le  couvent  de 
la  Cruz,  et  se  dirigea  rapidement  vers  le  Cerro  de  la 
Campana,  où  il  fut  rejoint  par  Mejia  et  Miramon  ;  ce  der- 
nier venait  d'être  blessé  dans  la  rue. 

Le  général  Mejia  offrit  à  T'Empereur  de  gagner  les 
montagnes,  ce  qui  n'était  pas  encore  tout  à  fait  impossible. 
L'Empereur  ayant  refusé,  le  général  Mejia  ne  voulut  pas 
partir  seul  et  l'abandonner  dans  un  moment  aussi  solennel; 
il  resta  près  de  lui.  Surprises  dans  leurs  quartiers,  les 
troupes  impériales  n'avaient  pu  opposer  aucune  résistance  ; 
l'Empereur  fit  arborer  le  pavillon  parlementaire  pour  ar- 
rêter toute  effusion  de  sang  et  rendit  son  épée  àEscobedo. 

(1)  Lo  prince  de  Salm-Salm  étail  ofllcitT  prussien  ;  il  avait  servi  dans  la  guerre 
de  la  Sécession  américaine  et  s'était  ensuite  attaclié  à  la  l'orlmie  do  l'empereur 
Maximilien.  Il  fut  condamné  à  mort  par  une  cour  martiale,  puis  gracié.  Il  fut 
tué  à  la  bataille  du  18  août  1870, 


LE    MAUÉCHAL    BAZAmC.  709 

Quinze  généraux,  vingt  colonels,  357  officiers  de  tout         igg?. 
grade  furent  faits  prisonniers  (^)  ;  Mendez  s'était  caché,  ~ 

mais  il  fut  découvert  et  immédiatement  passé  par  les  armes. 

Le  siège  de  Queretaro  avait  duré  soixante-dix  jours, 
pendant  lesquels  la  garnison  et  les  habitants  firent  preuve 
d'une  grande  énergie.  La  dernière  situation  des  troupes 
assiégées  présente  un  effectif  de  5,637  hommes;  les  forces 
de  l'ennemi  s'élevaient,  assure-t-on,  à  plus  de  40,000 
hommes,  et  cependant  la  trahison  seule  lui  livra  la  place. 

L'Empereur  se  faisait  d'étranges  illusions  sur  les  dis- 
positions des  libéraux  à  son  égard.  Il  adressa  même  à 
Juarez  la  dépêche  télégraphique  suivante  (^)  : 

(jueretaro,  27  mai. 

"  Je  désire  m'entretenir  avec  vous  sur  des  sujets  graves  et  d'une 
grande  importance  pour  le  pays.  Comme  vous  en  êtes  un  ami  pas- 
sionné, j'espère  que  vous  ne  me  refuserez  pas  une  entrevue.  Je  suis 
prêt  à  me  rendre  près  de  vous  malgré  les  fatigues  de  ma  maladie.  » 

Cette  dépêche  ne  reçut  vraisemblablement  aucune  ré- 
ponse. 

Le  gouvernement  républicain  décida  que  l'Empereur, 
les  généraux  Miramon  et  Mejia  comparaîtraient  devant  une 
cour  martiale  spéciale.  Trois  autres  tribunaux  furent  for- 
més pour  juger  les  principaux  officiers  et  fonctionnaires. 
Les  officiers  d'un  rang  inférieur  furent  condamnés  à  quatre, 
cinq  ou  six  ans  de  prison  ;  on  laissa  en  liberté,  sous  la  surveil- 
lance de  la  police,  les  lieutenants  ou  sous-lieutenants  d'ori- 
gine mexicaine;  ceux  d'origine  étrangère  furent  incarcérés 
et  soumis  à  d'odieux  traitements.  Dans  les  ditterentes  villes 

<*)  Rapport  du  .wnéral  Kscobedo,  30  mai. 

(2)  D'après  une  traduction  anglaise  publit-e  dans  les  Exee.  dotum.,  1867-68. 


710  II"   PAKIIE.  —  CHAPITRE  Vil. 

1867.  Qii  ils  furent  transportés,  à  Morelia,  à  San  Luis,  à  Zacate- 
cas,  à  Perote,  ils  subirent  le  sort  le  plus  dur,  mais  partout 
aussi  ils  trouvèrent  une  généreuse  assistance  près  des  fa- 
milles mexicaines  et  étrangères. 

L'Empereur  fut  autorisé  à  faire  venir  de  Mexico  les  mi- 
nistres de  Prusse,  d'Autriche,  et  d'Italie;  M.Forest,  ancien 
consul  de  France  à  Mazatlan,  représentant  la  légation  fran- 
çaise, et  le  ministre  de  Belgique  les  accompagnèrent.  Les 
amis  de  l'Empereur  avaient  pensé  que  la  présence  de  M. 
Dano  serait  plus  nuisible  qu'utile  à  ses  intérêts  ;  d'ailleurs, 
le  laisser-passerque  le  ministre  de  France  avait  très-vivement 
sollicité  par  l'intermédiaire  du  consul  desEtats-Unis,  lui  fut 
refusé  parPorfirio  Diaz  (').  L'Empereur  avait  demande  l'as- 
sistance de  deux  avocats  de  Mexico,  M.  MarianoRiva  Palacio, 
père  du  colonel  républicain  dont  le  nom  a  été  fréquemment 
cité  dans  le  récit  des  opérations  militaires  du  Michoacan,  et 
M.  Rafaël  Martinez  de  la  Torre.  Ils  s'adjoignirent  MM.  Or- 
tega,  avocat  de  Mexico,  et  Vasquez,  avocat  de  Queretaro. 

La  cour  martiale  chargée  de  juger  l'Empereur  fut  com- 
posée de  sept  membres  :  un  lieutenant-colonel  président, 
deux  capitaines  gradués  commandants,  et  quatre  capitaines. 
Elle  se  réunit  le  13  juin.  L'Empereur,  étant  malade,  obtint 
de  ne  pas  comparaître  devant  ce  conseil  de  guerre  dont  il 
déclinait  naturellement  la  juridiction. 

La  défense  fut  présentée  par  MM.  Ortega  et  Vasquez, 
tandis  que  MM.  Riva  Palacio  et  de  la  Torre  se  rendaient  à 
San  Luis  pour  implorer  la  clémence  de  Juarez. 

Le  14  juin,  malgré  les  efforts  de  leurs  avocats,  l'Empe- 
reur, les  généraux  Miramon  et  Mejia  furent  condamnés  à 

(1)  Voir  Exeeulive  documents,  1867-1868,  correspondance  entre  M.  Dano  et 
M.  Olterbourg. 


LE    3rARÉCHAL   BAZAINE.  711 

mort  par  application  de  la  loi  du  23  janvier  1862,  rendue 
au  début  de  l'intervention  (^).  Les  supplications  de  leurs 
défenseurs,  celles  des  membres  du  corps  diplomatique,  en 
particulier  du  baron  de  Magnus,  ministre  de  Prusse,  celles 
des  dames  de  San  Luis  qui,  en  vêtements  de  deuil,  allèrent 
se  jeter  aux  pieds  de  Juarez  et  de  son  ministre  Lerdo  de 
Tejada,  furent  impuissantes  à  obtenir  la  grâce  des  con- 
damnés C^). 

M.  Lerdo  de  Tejada  répondit  aux  défenseurs  :  «Le  gou- 
vernement a  éprouvé  un  chagrin  inexprimable  en  prenant 
une  décision  de  laquelle  il  fait  dépendre  la  paix  pour  l'ave- 
nir, La  justice  et  la  convenance  publique  l'exigeaient.  Si 
le  gouvernement  commet  une  erreur,  elle  ne  sera  le  résul- 
tat d'aucune  pression  ;  nous  l'aurons  commise  avec  une 
conscience  tranquille.  C'est  là  ce  qui  nous  a  dicté  notre 
pénible  refus  à  vos  suppliques.  » 

Juarez  leur  dit,  de  son  côté  :  «  Vous  avez  dû  souffrir 
cruellement  de  l'intlexibilité  du  gouvernement.  On  n'en 
peut  comprendre  aujourd'hui  la  nécessité,  pas  plus  que  la 
justice  qui  la  dicte.  Le  temps  se  chargera  de  ce  soin.  La  loi 
et  la  sentence  sont  en  ce  moment  inexorables,  parce  qu'ainsi 
l'exige  le  salut  public.  » 


4867. 

Condamnalion 

à  mort 

et  exécution 

de  l'empereur 

Maximilien 

(i4juin-i9  juin). 


<1)  Les  incidents  du  procès  de  l'empereur  Maximilien,  qui  ne  pouvaient  entrer 
dans  le  cadre  de  ce  récit,  se  trouvent  dans  les  publications  faites  par  le  gou- 
vernement mexicain  et  par  MM.  Riva  Palacio  et  de  la  Torre.  Us  sont  très- 
exactement  résumés  dans  l'ouvrage  Vlnlercenlion  française  au  Mexique.  — Amyot, 
1868. —  Les  Executive  documents  de  1867-1868  contiennent  également  un  grand 
nombre  de  renseignements  intéressants. 

<2)  Au  mois  d'avril,  le  bruit  de  la  capture  de  l'empereur  Maximilien  avait  été 
répandu  aux  Etats-Unis.  M.  Seward  lit  immédiatement  partir  pour  San  Luis  un 
agent  spécial,  M.  Whyte,  chargé  d'insister  auprès  de  Juarez  pour  que  sa  vie  fût 
respectée.  Les  exécutions  des  prisonniers  français  de  San  Jacinto  avaient  déjà 
péniblement  ému  le  cabinet  américain ,  aussi  reconimandait-il  vivement  à 
Juarez  de  s'abstenir  de  vengeances  «jui  devaient  amoindrir  la  spupatliie  pour 
la  cause   républicaine.  M.    Lerdo  de   Tejada,  dans  une  réponse  écrite,  contesta 


712  11^  PARTIE.  CHAPITRE  VII. 

4867.  La  princesse  de  Salm-Salm  fit  l'impossible  pour  sauver 

l'Empereur.  Ayant  échoué  auprès  de  Juarez,  elle  tenta 
d'acheter  une  partie  de  la  garnison  de  Queretaro,  pour 
favoriser  l'évasion  de  l'empereur  Maximilien  et  des  autres 
prisonniers.  Ces  menées  ayant  été  découvertes,  Escubedo 
la  fit  partir  immédiatement,  ainsi  que  les  ministres  des  puis- 
sances étrangères -qu'il  accusait  d'y  avoir  prêté  les  mains. 

La  captivité  de  l'Empereur  fut  très-dure;  il  était  gardé 
à  vue  dans  une  cellule  du  couvent  de  LasCapuchinas.  Bien 
qu'il  souffrît  beaucoup  de  la  dyssenterie,  on  ne  lui  témoi- 
gnait aucun  égard.  On  ne  s'occupait  même  pas  de  sa  nour- 
riture ;  elle  lui  était  envoyée  par  quelques  familles  de  la 
ville,  entre  autres  celle  de  M.  Rubio,  qui  montra  un  grand 
et  affectueux  dévouement. 

L'Empereur  s'était  adressé  directement  au  président 
Juarez  pour  obtenir  la  grâce  des  généraux  Mejia  et  Mira- 
mon.  Au  dernier  moment,  il  lui  écrivit  de  nouveau  : 

«  Près  de  mourir  pour  avoir  voulu  tenter  si,  par  de  nouvelles 
instilutions  politiques,  je-  pourrais  mettre  fin  à  la  guerre  civile  san- 


Ic  droit  de  rcmpcreiir  Maximilien  et  de  ses  partisans  d'être  couverts  par  les  lois 
de  la  guerre.  Tout  en  ne  faisant  pas  encore  connaître  la  rcsolulion,  bien  arrêtée 
déjà  par  le  gouvernement  de  Juarez  ,  de  mettre  Maximilien  à  mort,  sa  lettre  ne 
laissait  que  trop  prévoir  celte  détermination. —  M.  Seward  à  M.  Campbell,  6  avril 
1867.  —  M.  Campbell  à  M.  Seward,  15  mai. 

Lorsque  la  prise  de  Queretaro  fut  connue  à  Washington,  le  cabinet  américain, 
dont  les  gouvernements  européens  avaient  réclamé  les  bons  offices,  renouvela  ses 
instances  auprès  de  Juarez  par  l'intermédiaire  de  M.  Romero,  agent  mexicain  à 
Washington.  De  plus,  il  envoya  l'ordre  formel  à  M.  Campbell,  désigné  comme 
ministre  des  États-Unis  près  de  la  République  mexicaine,  de  se  rendre  à  son  poste. 
M.  Campbell  était  alors  à  la  Nouvelle-Orléans;  il  allégua  des  raisons  de  santé, 
des  difficultés  de  voyage,  on  dut  le  relever  de  ses  fonctions.  Aucun  représen- 
tant américain  ne  se  trouva  donc  près  de  Juarez  en  ce  moment  solennel  ;  il  est 
douteux  d'ailleurs  que  celte  intervention  eût  été  assez  influente  pour  faire  préva- 
loir les  idées  de  clémence.  —  M.  Seward  à  M.  (Campbell,  l"'  juin,  15  juin.  — 
Execulioe  documenlx,  1867-1808. 


LE    MARÉCHAL    BAZALNE.  713 

glante  qui  riiine  depuis  bien  des  années  cet  infortuné  pays,  je  ferais         4867. 
avec  bonheur  le  sacriticc  de  ma  vie,  si  ce  sacrifice  pouvait  contri-  " 

buer  à  la  paix  et  à  la  pi'ospérité  de  ma  nouvelle  patrie. 

«  Intimement  convaincu  que  rien  de  solide  ne  peut  se  fonder  sur 
un  sol  arrosé  de  sang  et  agité  par  des  secousses  violentes,  je  vous 
conjure  de  la  faron  la  plus  solennelle,  et  avec  une  sincérité  que 
m'inspirent  les  derniers  moments  qui  me  restent  à  vivre,  de  ne  pas 
faire  couler  d'autre  sang  que  le  mien.  Je  vous  conjure  aussi  d'em- 
ployer cette  persévérance  que  j'ai  su  reconnaître  et  louer  au  milieu 
de  la  prospérité,  et  avec  laquelle  vous  avez  défendu  une  cause  qui 
triomphe  aujourd'hui,  à  la  noble  tâche  de  réconcilier  les  espriis, 
afin  de  pouvoir  fonder  d'une  manière  stable  et  durable  la  paix  el 
la  tranquillité  dans  ce  malheureux  pays.  » 

Le  19  juin,  la  sentence  reçut  son  exécnlion.  L'empereur 
Maximilien  tomba  noblement  en  demandant  encore  que 
son  sang  fût  le  dernier  versé  ;  Miramon  et  Mejia  donnèrent, 
à  ses  côtés,  le  même  exemple  de  courage  et  d'élévation 
d'âme  ('). 

L'émotion  fut  profonde  dans  le  monde  entier. 

Juarez  épargna  la  vie  des  autres  prisonniers  de  Quere- 
taro,  déférés  aux  conseils  de  guerre.  En  mourant  le  pre- 
mier, l'Empereur  sauva  sans  doute  bien  des  victimes. 


('^  Les  détails  de  cette  exécution  furent  émouvants.  Arrivé  sur  le  Cerro  de  la 
Campana ,  l'Empereur  prononça  quelques  paroles  d'une  voix  claire  et  ferme.  Il 
rappela  que  son  seul  désir  avait  été  le  bonheur  du  peuple  mexicain,  et  finit 
sa  courte  harangue  par  ces  mots  :  «  Je  vais  mourir  pour  une  cause  juste  :  celle 
de  l'indépendance  et  de  la  liberté  du  Mexique.  Que  mon  san;,'  termine  les  mallieurs 
de  ma  nouvelle  patrie.  Vive  le  Mexique  !  » 

Miramon  prit  ensuite  la  parole  ;  Mejia  retta  silencieux. 

L'Empereur  reçut,  dit-on,  cinq  balles  dans  le  ventre  et  la  poiUin>-.  Il  fut  ren- 
versé, mais  il  respirait  encore.  Deux  soldats  tirèrent  à  bout  portant  ;  les  deux 
coups  ratèrent.  On  fit  tirer  un  troisième  soldat  ;  la  balle  pénétra  dans  le  côté 
droit  et  enflamma  ses  vêtements.  Son  domestique  lui  jeta  un  peu  d'eau  ;  enfin 
une  dernière  balle  finit  ses  souffrances. 

Quelques  mois  après,  les  restes  do  l'empereur  Maximilien  furent  rendus  à  l'a- 
miral Tcgclhoff  el  ramenés  en  Autriche. 


714  11"  PARTIE.  CHAPITRE    VU. 

1867.  Après  la  prise  de  Queretaro,  l'armée  de  siège  de  Mexico 

Capitulation     avait  reçu  des  renforts  considérables  ;  la  position  de  Mar- 

de  Mexico  i       •         i 

(24  juin).  quez  dcvint  de  plus  en  plus  difficile.  Pendant  longtemps,  il 
réussit  à  intercepter  les  nouvelles  de  l'extérieur  ;  toutefois, 
il  n'osa  pas  s'opposer  au  départ  des  avocats  et  des  repré- 
sentants diplomatiques  demandés  par  l'Empereur,  mais 
il  n'en  laissa  pas  connaître  la  véritable  raison.  Le  15 
juin,  il  fit  publier  que  le  général  Ramirez  Arellano,  ar- 
rivant de  Queretaro ,  annonçait  que  l'Empereur  avait 
fait  lever  le  siège  et  s'avançait  au  secours  de  la  capitale. 

En  signe  de  réjouissance,  on  sonna  les  cloches  et  les 
musiques  des  régiments  parcoururent  la  ville. 

Le  général  Ramirez  Arellano,  échappé  de  Queretaro, 
était  en  effet  à  Mexico  depuis  quelques  jours,  mais  Mar- 
quez l'avait  fait  emprisonner,  mettre  au  secret,  et  lui  avait 
rendu  la  liberté  seulement  à  la  condition  qu'il  se  prêterait 
au  rôle  qui  lui  serait  imposé.  Marquez  se  proposait  sans 
doute  de  donner  le  change  à  la  population,  afin  de  se  mé- 
nager plus  facilement  les  moyens  de  disparaître.  C'est  ce 
qu'il  fit  en  effet  le  19  juin,  laissant  tout  le  poids  de  cette 
situation  extrême  au  général  Tavera. 

Ce  même  jour,  arinva  une  dépêche  de  M.  Lago,  agissant 
comme  ministre  d'Autriche,  et  intimant  l'ordre  formel  au 
commandant  des  corps  autrichiens  de  s'abstenir  de  toute 
hostilité.  Ces  troupes  se  réunirent  alors  au  palais,  et 
hissèrent  le  drapeau  parlementaire.  Un  corps  français 
formé  de  déserteurs ,  d'isolés,  de  retardataires,  déclara 
aussi  se  retirer  de  la  lutte. 

La  capitulation  fut  signée  dans  la  nuit  du  20  au  21  juin. 
Le  lendemain,  les  troupes  libérales  commandées  par 
Porfirio  Diaz  occupèrent  la  ville. 

Tous  ceux  qui  avaient  rempli  quelque  fonction  sous 


LE    MARÉCHAL    BAZAIKL.  ^  io 

le  gouvernement  impérial  durent  se  présenter  à  la  pré-  <867- 
fecture.  Plusieurs  personnages  préférèrent  se  cacher,  le 
général  Vidaurri  entre  autres,  mais  il  fut  découvert  le 
8  juillet  et  immédiatement  fusillé;  le  général  O'Horan, 
ayant  été  déféré  à  un  conseil  de  guerre,  subit  le  même 
soit.  Marquez  ne  fut  pas  découvert  ;  il  se  sauva  et  put  quit- 
ter le  Mexique. 

La  place  de  Vera-Gruz,  où  commandaient  le  général  Ta-  capitulation 
boada  et  le  général  Herran  (gendre  du  général  Almonte),  "(28juiny!"^ 
résista  encore  quelque  temps  ,  enfm,  le  28  juin,  elle  fut 
occupée,  après  convention,  par  les  troupes  républicaines 
d'Alejandro  Garcia  et  de  Benavides.  Les  autorités  et  toutes 
les  personnes  compromises  s'étaient  embarquées  la  veille 
sur  des  navires  étrangers. 

Santa-Anna  s'était  présenté  devant  Vera-Gruz,  le  3  juin, 
et  l'on  disait  que,  d'accord  avec  Marquez,  il  voulait  relever 
le  drapeau  conservateur;  les  autorités  refusèrent  de  le 
recevoir  ;  comme  il  continuait  ses  intrigues,  les  capi- 
taines des  stationnaires  anglais  et  américain  le  firent  arrêter 
et  le  forcèrent  à  s'éloigner.  Il  se  rendit  alors  au  Yucatan, 
dans  l'espoir  d'y  trouver  des  partisans,  mais  il  y  fut  éga- 
lement arrêté  et  emprisonné  par  les  autorités  républi- 
caines. 

Le  15  juillet,  Juarez  rétablit  à  Mexico  le  siège  de  son 
gouvernement  ;  tout  le  pays  reconnaissait  alors  son  auto- 
rité, même  la  Sierra  Gorda  dont  la  soumission  inespérée 
fut  négociée  par  le  général  Olvera,  l'ancien  ami  et  compa- 
gnon d'armes  de  Mejia. 

La  plupart  des  soldats  d'origine  française  et  autrichienne 
purent  rentrer  en  Europe.  Les  résidents   français  furent 


716  II*  PARUE.  CHAPITRE  Vil. 

4867.  placés  SOUS  la  protection  des  agents  diplomatiques  des 
Etafs-Unis.  M.  Dano,  ministre  de  France,  quitta  Mexico 
le  8  août,  emmenant  avec  lui  un  convoi  de  deux  cents 
Français,  hommes,  femmes  et  enfants,  qui  demandaient 
à  être  rapatriés. 


Les  pouvoirs  présidentiels  de  Juarez  furent  confirmés 
par  un  vote  général.  Le  pays  sanctionnait  ainsi,  indirec- 
tement, les  condamnations  à  mort  prononcées  à  Que- 
retaro. 

L'empereur  Maximilien  ne  fut  pas  victime  d'une  pre- 
mière explosion  de  vengeance  du  parti  libéral.  Sa  mort, 
froidement  résolue,  était  une  menace  terrible  jetée  par 
Juarez  et  les  hommes  de  son  parti  à  ceux  qui,  dans 
l'avenir,  seraient  tentés  de  relever  un  trône  au  Mexique, 


I 


APPENDICE 


■ 


APPENDICE 


I. 

AFFAIRE    JECKER 

Le  29  octobre  18o9,  Miramon,  alors  présidonl  de  la  république,  avait 
décrété  une  émission  de  15  millions  de  piastres  (7o  millions  de  francs), 
en  bons  destinés  à  amortir  les  anciens  litres  de  la  dctle  publique,  en  gé- 
néral discrédités  et  sans  valeur.  La  conversion  devait  avoir  lieu  moyen- 
nant une  soulte  en  argent  de  25  ou  28  p.  %,  selon  les  cas,  et  les  nouveaux 
bons  devaient  être  admis  dans  la  proportion  de  un  cinquième  en  paie- 
ment de  toutes  les  contributions  (*).  Ils  portaient  un  intérêt  de  6  p.  "/<» 
dont  la  moitié  était  garantie  pendant  cinq  ans  par  la  maison  Jecker, 
chargée  de  l'émission. 

Pour  couvrir  cette  maison  de  la  portion  d'iiiLérèt  qu'elle  garantissait, 
c'est-à-dire  de  3  p.  %  pendant  cinq  ans  ou  de  13  p.  °/o,  il  lui  était  fait 
abanûon  sur  les  primes  de  conversion  de  10  p.  %  de  couverture  et  de 
5  p.  °/o  de  commission.  Il  restait  ainsi  au  gouvernement  10  à  13  p.  7„, 
selon  que  la  conversion  était  faite  avec  une  soulte  de  25  à  28  p.  °«  ;  la 
maison  Jecker  avait  le  reste.  Cette  opération  lui  permettait  en  outre  de 
se  débarrasser  des  anciens  bons  qu'elle  possédait  et  de  spéculer  sur  le 
paiement  de  l'intérêt  des  bons  nouveaux,  puisqu'elle  touchait  13  p.  "/<,  au 
moment  de  la  conversion,  tandis  que  ses  propres  paiements  au  taux  de 
3  p.  "/o  étaient  répartis  sur  une  période  de  cinq  années. 

(')  Par  exemple,  on  donnait  un  ancien  Ijon  d'um;  valeur  nominale  de  iOO  [liaslces, 
qui  valait  alors  en  réalité  10  à  42  piastres,  et  2'j  piastres  en  argent;  en  ccbange,  on 
recevait  un  bon  nouveau  de  100  piastres  portant  intérêt  h  6  «/„,  et  accepté  comnio  ar- 
gent comptant  pour  I/o"  de  toutes  les  conlrit)Ulions. 


• 


720  Ai'i'ENDicii:. 

Le  commerce  dcvail  aussi  bénéficiiT  de  celte  opération  ;  les  bons  qu'on 
pouvait  se  procurer  à  33  ou  33  p.  Vo  de  leur  valeu-  nominale,  étant  ac- 
ceptés au  pair  pour  le  paiement  de  I/o  des  droits  de  toute  nature,  il  en 
résultait,  sur  les  douanes,  un  dégrèvement  notable  dont  les  légations 
étrangères  furent  officiellement  informées  <i). 

La  maison  Jecker  convertit  pour  une  somme  de  14,378,700  piastres 
d'anciens  bons  qui,  pour  la  plupart,  étaient  dans  ses  caisses. 

Sur  la  soulle  de  23  p.  %,  la  part  du  gouvernement  étant  de  10  p.  %, 
la  maison  Jecker  devait  payer  environ  1,400,000  piastres,  et  annuler  pour 
14  millions  d'anciens  papiers,  dont  la  valeur  réelle  n'était  que  de  1/10  de 
leur  valeur  nominale.  En  échange,  elle  recevait  14  millions  de  piastres 
en  papier  au  pair,  tandis  qu'elle  avait  seulement  déboursé  2,800,000 
piastres  ;  cependant,  cette  opération  ne  procura  au  gouvernement  de 
Miramon  que  la  moitié  de  la  somme  qui  devait  lui  revenir;  le  reste 
fut  appliqué  au  remboursement  d'avances  déjà  faites  ou  au  paiement  de 
fournitures  militaires. 

Au  mois  de  mai  1860,  lorsque  fut  déclarée  la  faillite  de  la  maison  Jecker, 
elle  avait  encore  dans  ses  caisses  la  presque  totalité  des  bons,  c'est-à- 
dire  •  .    •  •       13.678.249  36  piastres. 

Elle  avait  vendu 700.430  64 

14.378.700  piastresf»). 

Quelque  temps  après,  lorsque  Juarez  eut  renversé  Miramon,  un  de  ses 
premiers  actes  fut  de  déclarer  nul  et  sans  valeur  le  contrat  Jecker,  conclu, 
disait-il,  avec  une  autorité  rebelle.  Jecker  prétendait,' de  son  côté,  et  non 
sans  quelque  apparence  de  droit,  qu'il  n'avait  pas  eu  à  apprécier  la  légi- 
timité du  gouvernement  de  Miramon,  alors  reconnu  par  toutes  les  léga- 
tions étrangères  ;  il  demanda  l'appui  de  la  légation  française,  pour  faire 
étal)iir  la  validité  de  son  contrat.  C'était  au  mois  de  janvier  1861  ;  vers 
cette  époque,  une  pétition  ayant  le  même  objet  était  présentée  au  gou- 
vernement français  ;  cependant  Jecker  était  Suisse  et  ne  fut  naturalisé 
Français  que  le  26  mars  1862. 

On  pouvait  considérer  cette  affaire  à  un  double  point  de  vue  :  celui  des 
intérêts  particuliers  de  la  maison  Jecker,  devenus  ceux  d'un  grand  nom- 
bre de  Français  et  de  sociétés  de  bienfaisance,  compromis  par  sa  faillite, 
et  celui  des  intérêts  généraux  du  connnerce  qui,  par  les  dispositions  du 
contrat  Jecker ,  bénéticiait  d'un  dégrèvement  de  douanes  assez  im- 
portant. 

M.  Jecker  avait  trouvé  à  Paris  de  puissants  appuis.  Plusieurs  journaux 
de  la  presse  officieuse  furent  invités  à  lui  prêter  leur  concours.  Le  duc  de 


(')  Par  exemple  :  pour  500  |tiastres  de  droits,  on  payait  400  piastres  argent  et  100 
piastres  en  papiers,  qu'on  pouvait  se  procurer  pour  33  ou  3o  piastres;  le  dégrèvement 
était  donc  de  G-i  pinsiros  pouroOO  piastres,  c'est-à-dire  d'environ  1/13. 

(î)  C''S  chifTres  ont  été  donms  par  M.  Corta,  député  au  Corps  législatif,  envoyé  en 
486V  en  mission  au  Mexique,  pour  régler  les  questions  linancièrcs. 


AFFAIRE  JECKER.  721 

Morny,  lui-même,  s'intéressait  à  sa  cause,  et  des  instructions  furent  don- 
nées Il  M.  de  Saligny  pour  qu'il  poursuivît  cette  affaire  O. 

Les  énergiques  représentations  du  ministre  de  France  décidèrent  le  gou- 
vernement de  Juarez  à  reconnaître  la  légalité  des  bons  Jecker(*)  ;  «  M.  de  Sa- 
ligny menaçait  le  gouvernement  mexicain  d'une  ruine  certaine,  si  les  propo- 
sitions de  M.  Jecker  n'étaient  pas  acceptées,  »  et  il  écrivait  au  ministre  des 
affaires  étrangères  que  a  se  sachant  protégé  par  la  France,  M.  Jecker  sen- 
tait qu'il  pouvait  tout  oser.  » 

M.  de  Saligny  évaluait  alors  à  To  millions  de  francs  la  réclamation  de 
Jecker  contre  le  gouvernement  mexicain.  Plus  tard,  il  proposa  d'en  ré- 
duire le  chiffre  à  oO  millions,  amortissables  au  moyen  d'un  prélèvement 
de  15p.  %  sur  les  douanes;  or,  les  recettes  du  port  de  Yera-Cruz,  le 
plus  important  de  la  république,  étaient  déjà  grevées  de  : 

27  p.  "lo  pour  les  bons  dits  de  Londres. 
24    —      pour  la  convention  anglaise. 
10    —      pour  arrérages  de  la  convention. 
10    —     pour  la  créance  de  la  mine  de  Guanajuata. 
8    —      pour  la  convention  française. 

Total:  79  p.  °/o. 

La  quotité  disponible  n'était  donc  que  de  21  p.  7o.  Si  l'on  en  déduisait 
encore  15  p.  7„  et  qu'on  abaissât  les  tarifs,  il  ne  restait  pour  ainsi  dire 
rien  au  gouvernement  mexicain. 

En  1864,  lorsque  M.  Corta  fut  envoyé  au  Mexique  pour  examiner  la 
situation  tinancière  du  pays,  il  s'occupa  du  règlement  de  la  créance 
Jecker  ;  il  était  d'avis  d'en  réduire  le  chiffre  à  29  millions  de  francs,  et 
conseillait,  pour  amortir  cette  dette,  de  prélever  un  cinquième  sur  les 
douanes  dont  on  relèverait  les  tarifs,  diminués  de  moitié  par  l'intervention 
française.  M.  Ramirez,  ministre  des  affaires  étrangères,  s'opposa  formelle- 
ment à  cette  combinaison  ;  enfin,  après  de  nouveaux  pourparlers  auxquels 
le  ministrede  France  lui-même  prit  la  part  la  plus  active,  cette  question  fut 
définitivement  réglée  le  10  avril  186o.  Le  capital  de  chaque  bon  Jecker  dut 
.subir  une  réduction  de  60  p.  %?  sans  produire  aucun  intérêt,  et  une  somme 
de  un  million  de  piastres  dut  être  réservée  chaque  année  pour  leur  amortis- 
sement par  voie  de  rachat  aux  enchères  publiques.  M.  Bonnefons,  inspecteur 
des  finances  en  mission  au  Mexique,  à  qui  cette  affaire  avait  été  spécialement 
recommandée,  annonça  celte  solution  au  ministre  des  finances  à  Paris  : 

a  Je  considère  cette  solution  comme  un  triomphe  pour  la  politique  de 
la  France.  Reste  à  savoir  si  le  gouvernement  mexicain  pourra  remplir  ses 
engagements  avec   les  ressources  bornées  dont  il  dispose,  en  présence 

(0  Dépêche  du  mois  de  mars,  arrivée  ea  avril  ^86^. 

(*)  Dépêche  de  M.  de  Saligay  au  miaistre  des  affaires  étrangères,  mai  'ISGt.  (Ces 
deux  dépêches  n'ont  pas  été  publiées  dans  le  recueil  des  documents  diplomatiques.) 
Xote  de  M.  Zarco  à  M.  de  Saligny,  2  niar>  1801.  Pétition  adressée  au  ministre  de 
France  i  Mexico,  2->  juillet  4803. 

46 


722  APPENDICE. 

d'un  déficit  qui  ne  peut  être  inférieur  à  cinquante  millions  de  francs,  sans 
compter  cette  nouvelle  charge  qui  pèsera  sur  ses  finances. 

«  J'ai  dit  à  V.  Exe.  que  j'avais  dû  m'occuper  de  la  créance  Jecker, 
pour  me  conformer  à  la  volonté  de  l'Empereur,  aux  désirs  de  M.  de  Mon- 
tholon,  aux  instances  de  nos  nationaux.  J'ai  constamment  marché  d'accord 
avec  M.  le  ministre  de  France,  qui  tenait  à  vider  cette  question  avant  son 
départ  pour  Washington  ;  je  savais  d'ailleurs  que  notre  gouvernement 
attachait  le  plus  grand  prix  à  ce  que  la  réclamation  Jecker  ne  fût  pas 
comprise  avec  celle  de  nos  nationaux,  à  ce  qu'elle  fût  traitée  comme  une 
affaire  mexicaireO...,»  et  en  effet  cette  scandaleuse  affaire  recevaitune  solu- 
tion satisfaisante  avant  toute  autre  réclamation  des  indemnitaires  français. 

Ses  droits  ainsi  reconnus,  Jecker,  qui  ne  comptait  sans  doute  pas  sur 
l'avenir,  s'efforça  de  les  liquider  le  plus  promptement  possible.  Profi- 
tant du  départ  de  M.  Bonnefons,  que  sa  santé  obligeait  à  rentrer  en 
France,  il  conclut  avec  l'empereur  Maximilien,  à  l'insu  des  agents  fran- 
çais, une  convention  par  laquelle  il  cédait  au  gouvernement  mexicain 
l'hacienda  de  Michiapan,  s'engageait  à  compléter  le  réseau  télégraphique 
dans  l'intérieur  du  pays,  et  hypothéquait,  en  garantie  de  ces  engage- 
ments, des  forges  dont  il  évaluait  la  valeur  à  400,000  fr.  Il  consentait  en 
outre  à  une  réduction  nouvelle  sur  le  chiffre  de  sa  créance  et,  en 
échange,  il  obtenait,  pour  ce  qui  lui  restait  dû,  des  traites  sur  les 
fonds  disponibles  de  l'emprunt  à  Paris  (2).  Le  gouvernement  français 
ne  connut  cet  arrangement  que  lorsque  les  deux  premières  traites  de 
12,660,000  fr.  furent  présentées  à  la  commission  des  finances  mexicaines 
à  Paris.  Il  en  témoigna  un  vif  mécontentement  et  signifia  que  les  autres 
traites  ne  seraient  pas  payées  et  qu'à  l'avenir  le  trésor  français  devait 
être  seul  à  recevoir  des  traites  sur  les  fonds  de  l'emprunt. 

La  conclusion  du  dernier  contrat  de  Jecker  donna  lieu  «  à  des  insinua- 
tions graves  contre  la  probité  du  ministre  des  finances  mexicain  »  qui 
l'avait  signé  (3).  Malgré  toutes  ses  réclamations,  et  bien  que  l'empereur 
Maximilien  eût  été  peiné  de  voir  en  quelque  sorte  protester  sa  signature, 
M.  Jecker  n'obtint  plus  rien. 

M.  Langlais,  conseiller  d'Etat,  homme  fort  estimé  pour  ses  capacités 
financières,  était  arrivé  à  Mexico  pour  remplacer  M.  Bonnefons.  La  rigidité 
de  son  caractère  et  son  inébranlable  droiture  firent  échouer  les  tentatives 

(')  M.  Bonnelons  à  M.  Fould,  ministre  dus  finances,  -10  avril  i86'6. 

(2)  Contrat  signé  par  l'empereur  Maximilien  le  23  août  1865,  acle  notarié  26  août. 
L'hacienda  de  Michiapan,  située  à  42  lieues  de  Cucrnavaca,  a  environ  -12  mille  hec- 
tares (145,077,248  vares  carrées). 

(3)  Jecker  avait  déjà  reçu .  .      1 ,543,770  fr. 

On  devait  lui  remettre  : 

Le  15  octobre  1865,  en  traites  sur  Paris 7,660,000 

Le  15  décembre,  id 5,000,000 

Le  31  décembre,  en  argent  ou  en  traites 10,000,000 

24,203,770  Ir. 
(M.  de  Maintenant,  inspecleur  des  finances,  an  ministre  des  finances,  22sept.  1865.) 


AFFAIRE   JECKERi  723 

que  Jecker  renouvelait  sans  cesse  auprès  du  gouvernement  mexicain  pour 
en  obtenir  de  l'argent. 

M.  de  Morny  était  mort  le  10  mars  1805;  Jecker  avait  ainsi  perdu  son 
plus  puissant  appui. 

Deux  ans  après  le  retour  des  troupes  du  Mexique,  M.  Jecker  taisait  en- 
core des  démarches  auprès  du  gouvernement  français.  On  lit  dans  une 
lettre  qu'il  adressait  à  M.  Conti,  chef  du  cabinet  de  TEmpereur,  le  8  dé- 
cembre 1869  : 

...«  Vous  ignorez  sans  doute  que  j'avais  pour  associé  dans  cette  affaire 
M.  le  duc  de  Morny,  qui  s'était  engagé,  moyennant  30  p.  %  des  bénéfices 
de  cette  affaire,  à  ia  faire  respecter  et  payer  par  le  gouvernement  mexi- 
cain, comme  elle  avait  été  faite  dès  le  principe....  En  janvier  1861,  on 
est  venu  me  trouver  pour  traiter  cette  atfaire...  Aussitôt  que  cet  arrange- 
ment fut  conclu,  je  fus  parfaitement  soutenu  par  le  gouvernement  français 
(ît  sa  légation  au  Mexique.  Celle-ci  avait  même  assuré  à  mes  créanciers,  au 
nom  de  la  France,  qu'ils  seraient  entièrement  payés,  et  avait  passé  des 
notes  très-fortes  au  gouvernement  mexicain  sur  l'accomplissement  de  mon 
contrat  avec  lui,  au  point  que  l'ultimatum  de  1862  exigeait  l'exécution 
pure  et  simple  des  décrets...  L'affaire  en  resta  là  jusqu'à  l'occupation  du 
Mexique  par  les  Français.  Sous  l'empire  de  Maximilien,  et  aux  instances 
du  gouvernement  français,  on  s'occupa  de  nouveau  du  règlement  de  mon 
allàire.  En  avril  1865,  je  parvins,  aidé  des  agents  français,  à  faire  une 
transaction  avec  le  gouvernement  mexicain.  A  la  même  époque,  M.  le  duc 
de  Morny  vint  à  mourir,  de  sorte  que  la  protection  éclatante  que  le  gou- 
vernement m'avait  accordée  cessa  complètement...» 

La  lettre  se  termine  par  une  menace  de  publier  tous  les  documents  re- 
latifs à  l'intervention  de  M.  de  Morny  dans  l'aiiaire  des  bons,  dans  le  cas 
oîi  l'Empereur  ne  consentirait  pas  à  favoriser  la  liquidation  de  la  trans- 
action conclue  entre  la  maison  Jecker  et  le  gouvernement  de  l'empereur 
Maximilien.  11  lui  restait  dû,  comme  on  l'a  vu  plus  haut,  dix  millions  de 
francs,  les  agents  français  s'étant  opposés  à  ce  qu"il  lui  fût  délivré  des 
traites  pour  ce  reliquat  *'). 

Une  partie  de  la  correspondance  adressée  d'Europe  à  31.  Jecker,  en 
1862,  fut  interceptée  par  les  Mexicains,  et  communiquée  au  gouvernement 
des  Etats-Unis,  qui  en  ordonna  la  publication  dans  le  recueil  officiel  des 
documents  présentés  au  Congrès.  Plusieurs  des  renseignements  qui 
précèdent  ont  été  extraits  de  cette  correspondance.  La  lettre  suivante, 
entre  autres,  donne  d'intéressants  détails  ; 

New  intercepted  correspondence  with  Jecker  (published  with  the  authority  of 
the  department  of  Foreign  relations). 

Paris,  octoberâT,  -1862. 

Dear  uiicie  :   My  prédictions  were  correct  in   référence  to  the  chùice  of  tlie 

(')  M.  Jecker  a  été  lusillé  comme  otage  par  les  insurgés  de  la  Commune  de  Paris, 
en  1874. 


724  APPENDICE. 

chargé  d'affaires  of  M.  M.  When  I  wrote  my  opinions  lo  you  and  the  détails 
which  I  had  been  able  to  collect  from  M.  G...  in  référence  to  M.  L...,  Almonte's 
aid  and  M.  de  Saligny's  ambassador  to  His  Majesty  in  July  last,  M.  M...  would 
havô  most  anxiously  desired  tbat  my  studies  had  been  finished,  in  order  to  in- 
trust  me  personally  with  this  mission  with  ail  the  influence  and  ail  the  recora- 
mendations  possible  ;  but  papa,  frightened  at  the  sad  fate  of  his  agents  (the 
Marquis  deP...  is  in  his  agony  at  this  moment  and  when  you  receive  this, 
will  certainly  hâve  ceased  to  exist),  would  not  hâve  consented  but  with  the 
greatest  difïicuUy,  especially  in  conséquence  of  the  malady  with  which  I  am  yet 
convalescent  ;  moreover,  I  am  distrustful  of  my  expérience  and  of  my  aptitude 
for  so  délicate  a  mission.  To  be  brief,  an  intermediary  course  was  adopted,  as  the 
necessity  for  an  cnvoy  was  apparent,  especially  in  October  or  November,  the 
time  of  the  entrance  of  the  French  into  Mexico,  when  I  should  be  at  sea,  M.  de 
M...  resolved  to  intrust  provisional  power  to  M.  L...,  reserving  to  himself  the 
right  of  annulling  his  authority  and  transferring  it  to  me  if  he  did  not  attain  his 
object.  This  M.  L...  bas,  to  a  certain  extent,  been  made  acquainled  with  my 
ideas.  He  does  not  know  M.  de  M...  ;  but  the  duke  bas  very  warmly  recommen- 
ded  him,  saying  that  he  was  one  who  had  thoroughly  understood  the  mission 
of  M.  P...^  and  who  was  qualified  to  accomplish  it,  while  he  contented  himself 
with  the  advantages  which  were  proposed  to  be  granted,  if  influence  and  con- 
fidence were  accorded  to  him.  I  will  tell  you,  in  one  word,  who  this  personage 
is.  The  confidence  and  the  powers  granted  to  him  by  M.  de  M.,,  and  which  is 
his  credentials  and  his  means  of  making  himself  known  to  you  ;  but  he  is  a 
rascal,  an  intriguer,  and  so  be  careful  how  you  act  with  him.  He  is  an  adventurer, 
who  barked  with  bunger  when  he  was  recommended  to  M.  de  M...  I  copy  below 
the  letter  to  which  I  refer  ;  he  bas  nothing  else  from  M.  M.,.  ;  he  knows  no  olher 
secrets  than  those  contained  in  the  letter  itself,  which  in  nowise  compromise  us  ; 
and  if  he  tries  lo  persuade  you  of  the  contrary,  ail  that  he  may  say  beyond  this 
will  be  merely  what  his  natural  sagacity  may  bave  enabled  him  to  penetrate, 
without  any  possibility  on  his  part  of  showing  his  proofs.  Do  not  permit  your- 
self  to  be  swayed  by  him.  I  hâve  hère  the  letter  which  M.  M...  bas  transmitted 
to  me,  with  the  request  that  I  would  transcribe  it  for  you.  It  has  been  written 
under  the  dictation  of  the  duke  and  corrected  by  him, 

€  Sir:  Your  letter  dated  at  Vera-Cruz,  August  30,  lias  reached  me  and  I 
hasten  to  reply  to  it.  Filled  with  sentiments  of  benevolence  towards  you  and  me, 
my  friend  and  proteclor  has  thought  that  we  mîghl  be  mutually  useful  to  each 
other,  and  he  has  spoken  of  our  affairs  in  Mexico,  which  he  knows  only  very 
super ficially.  Hère  is  in  what  they  consist  :  Having  had  inlercourse  for  a  consi- 
dérable time  with  M.  Jecker,  whom  Ihe  unfortunatc  afïairs  of  Mexico  and  the 
hostility  of  some  rival  bouses  hâve  brought  into  discrédit,  1  find  myself  his 
iTcditor  for  quite  considérable  sums  :  I  bave,  therefore,  an  iiiterest  in  aiding 
him  to  rise,  and  I  am  so  much  the  more  interested  as  I  believe  him  to  be  a  very 
able  and  a  very  honorable  man  ;  as  aiso  because  many  French  bouses  and  nearly 
ail  our  countrymen  in  Mexico  are,  like  myself,  his  creditors  ;  in  fine,  because 
he  is  the  victim  of  an  arbitrary,  injust  and  plundcring  System  of  government. 

î  havp  undertaken  in  concert  with  M.  Elsesser,  lirother-in-law  of  M.  Jecker 


AFFAIRE    JECKER.  725 

who  has  corne  from  Swilzerland  to  Paris  for  this  purpose,  to  défend  his  iiiterests 
by  infonning  the  government  and  the  public  as  to  the  validily  of  his  claims 
especially  in  that  concerning  the  négociation  of  the  bonds,  known  under  the 
name  of  the  Jecker  bonds  the  cause,  in  great  measure  of  his  failure,  and  uhich 
may  likewlse  prove  a  reason  for  the  re-establishement  of  his  house  and  the 
restoration  of  liis  afifairs.  Public  opinion  had  totally  gone  astray  in  regard  to 
this  affair.  M.  Elsesser  has  published  a  mémorial  ^\hich  I  enclose  to  you,  and 
which  sets  the  alTair  in  a  new  light.  Hereafter,  our  diplomatie  agents  should 
sustain  it. 

For  your  part,  Sir,  you  can  serve  this  cause,  \vhich  is  tliat  of  an  honorable 
house  odiously  persecuted,  in  the  like  manner  as  is  French  and  foreign  com- 
merce. 

It  -would  be  suitable  in  this  case  that  you  should  put  yourself  in  communi- 
cation with  M.  Jecker,  with  much  secrecy  and  discrétion,  whenever  it  may  be 
necessary  ;  in  regard  to  which  tliis  letter  w  ill  be  sufBcient  to  accredit  you  and  to 
bring  you  to  such  an  understanding  as  to  cause  you  to  w  ork  together,  as  well  in 
référence  to  our  minister  in  Mexico  as  to  our  gênerai. 

If  the  issue  crowns  your  efforts,  \\e  can  do  no  less  Ihan  leave  lo  the  benevo- 
lent  and  trusty  friend  \vho  has  produced  our  intercourse,  the  duty  of  fixing  the 
rémunération  •svhich  is  in  justice  due  to  you. 
Receive,  etc. 

M.  de  C...  whom  his  suspicion  already  designated  to  L...  as  his  successor, 
regarded  him  with  evil  eye  and  spoke  to  him  wilh  coidness.  He  told  me  that  L... 
departed  from  Mexico  under  very  ùnfavorable  auspi'^es  of  the  French  army,  and 
left  there  only  most  odious  réminiscences.  Whatever  there  be  of  exagération  in 
thèse  words  should  be  attributed  to  the  -nounded  susceptibility  of  M.  de  G... 
In  1849  and  1830  in  tlie  time  of  the  republic,  L...  was  one  of  the  editors  of 
the  Corsaire,  a  petty  bonapartist  paper  which  every  day  appeared  with  a  pro- 
fusion of  truisms  and  challenges  to  the  republicans.  Sometimes  he  had  to  support 
his  pen  witli  the  sword,  and  he  did  it  with  courage.  He  is  brave,  intriguing, 
unscrupulous.  In  one  word,  he  has  ail  the  qualities  of  a  chevalier  d'industrie. 
He  is  a  double-edged  SMOrd  that  may  be  used  with  profit,  but  which  must  bc 
handled  very  prudently.  M.  de  M.  T...  would  start  at  the  idea  of  seeing  the 
doubloons  that  he  might  hâve  in  his  chest  in  the  hands  of  such  a  gentleman. 
Thercfore  it  is  that  he  authorizes  me  to  entreat  you  to  deliver  nolhing  to  him 
personally  and  to  send  to  M.  Hodgson  or  us  whatever  you  may  bave  to  transmit 
in  future. 

I  présume  you  bave  received  my  last  of  the  15th  of  October.  I  should  regret 
very  much  if  you  had  not,  for  it  contained  important  matters.  I  acknowledge  the 
receipt  of  ail  which  you  hâve  sent  to  me.  The  manner  in  which  youaddress  thera 
to  us  is  so  secure  that  I  avail  myself  of  it  for  the  présent  letter,  the  ténor  of 
which  is  of  too  serions  a  nature  to  be  instrusted,  without  protection,  to  the 
fidelity  of  the  .Mexican  mails.  I  told  you  in  my  last  that  I  had  a  conversation 
■with  M.  Hodgson  and  I  mentioned  to  you  Ihe  pleasure  and  confidence  which 
were  excited  in  him  by  my  assurances  that  the  house  was  onder  a  high  pro- 
tection. 


726  APPENDICE. 

I  congratulate  myself  on  having  made  to  him  spontaneously  this  act  of  half 
confidence;  because  in  the  last  visit  ^vhich  he  made  to  me,  M.  F...  secretary  of 
M.  de  M.  T...  came  in,  charged  with  a  commission  from  him  to  me.  After  I  had 
presented  him  to  M,  Hodgson,  he  spoke  to  me  very  lightly  of  my  approaching 
présentation  to  my  lord  the  duke,  and  other  things  of  a  formai  nature  calculated 
to  dispel  the  suspicions  of  M.  Hodgson,  if  he  had  any  remainmg  ;  but  -which 
fuUy  confirmed  the  little  story  which  I  had  already  related  to  him. 

The  evening  of  the  departure  of  M.  Hodgson,  the  Moniteur  announced  the 
appointment  of  M.  Drouyn  de  Lhuys  to  the  department  of  foreign  affairs  in  place 
of  M.  Thouvenel  ;  and  lie  manifested  much  agitation  to  tliis,  and  came  to  me  to 
see  me  immediately,  in  order  to  know  the  degree  of  intimacy  that  might  exist 
between  our  protectors  and  M.  Drouyn  de  Lhuys  ;  because,  said  he  to  me,  he  is 
unfortunately  on  intimate  terms  ^sith  Lord  John  Russel,  who  represented 
England  in  the  congress  of  Vienna,  and  who  showed  himself  very  pliant  of  réfé- 
rence to  some  points  of  secondary  interest,  in  order  to  prove  to  M,  Drouyn  de 
Lhuys  the  French  ambassador  in  the  same  congress,  the  spirit  of  conciliation 
with  which  he  was  animated.  I  could  not  satisfy  him  at  the  moment,  because 
those  gentlemen  are  temporarily  absent,  but  I  promised  to  write  to  him  as  soon 
as  he  should  return  to  London.  I  took  advantage  of  thisopportunityto  address  to 
him,  some  days  afterwards,  a  letter  Mith  an  amplification  of  papa's  defence,  and 
of  your  mémorial  on  the  real  interests  of  commerce  in  the  négociation  of  bonds, 
requesting  liim  to  bave  them  translated  into  Englisli,  and  to  seek  an  opportunity 
to  présent  them  to  Lord  John  Russel,  in  order  to  destroy  bis  odious  suspicions  in 
regard  to  our  affair  ;  also  to  represent  to  him  that  the  interests  of  English  com- 
merce were  iikewise  involved  in  it,  and  that 'bis  house  was  very  much  interested 
in  its  happy  solution.  In  order  to  give  more  authority  to  my  words  and  more 
latitude  to  my  counsels,  I  pretended  that  they  had  been  inspired  into  me  by 
M.  de  G. . .  in  our  comnaon  interest.  «  M.  Drouyn  de  Lhuys,  said  I  to  them,  bas  not 
yet  formed  any  opinion  in  regard  to  the  bonds,  but  M.  de  G...,  who  is  a  very 
intimate  friend  of  bis  and  the  Baron  d'André,  bis  chief  secretary,  will  probal)ly 
be  called  in  a  short  time  to  tlie  Minister's  house  in  order  to  give  him  some 
explanations.  No  one  is  more  suitable  tiian  he  his  to  do  so,  and  he  will  use  ail 
bis  influence  in  the  furtherance  of  our  interests. 

«  The  entrance  of  M.  Drouyn  de  Lhuys  into  the  cabinet  is  a  very  favorable  omen 
for  the  triumph  of  conservative  ideas.  It  is  a  reaction  against  libéral  ideas. 
Let  us  bope  that  the  new  Minister  will  not  diverge  from  his  gênerai  course  of 
policy  in  this  affair  only  of  tiic  bonds.  But  you  know  very  well,  gentlemen,  it 
will  be  much  more  casy  to  form  the  opinion  of  M.  Drouyn  if  it  be  not  already 
fixed,  to  turn  it  to  our  favour,  if,  perciiance,  it  should  ])e  unfavorable,  when 
now  he  is  not  yet  beset  by  powerful  solicitaticns,  by  hostile  insinuations.  In 
order  to  effect  this,  it  is  necessay  to  combat  calumny  in  its  very  source,  to  mako 
an  effort  to  enlighten  John  Russel.  In  view  of  an  English  interest  he  will  hesitate, 
The  bitterness  which  he  has  manifested  in  persecuting  us  will,  perhaps,  be  sonie- 
what  diminished,  and  that  will  bc  an  immense  victory  ;  it  will  be  to  destroy 
hostility  —  hoslility  personified  by  the  English  minister  !  !  —  After  John  Russel 
—  public  opinion  —  it  would,  in  fact,  be  very  useful  to  publish  some  articles 
in  the  Times,  in  concurrence  with  our  articles  in  Paris,  when  the  time  cornes,  i- 


AFFAIRE    JECKER. 


727 


Thèse  gentlemen  replied  lo  me  immediately,  telling  me  that  they  hastencd  to 
do  What  I  wrote  to  them,  and  that  they  had  been  translated  as  soon  as  my  letter 
had  been  received.  They  manifest  much  zeal  and  great  confidence.  I  hope  tliat 
their  zeal  will  be  still  further  quickened  by  the  letter  \vhich  I  address  to  them 
with  tliis.  I  tell  them  that  we  hâve  achieved  a  great  triumph  during  thèse  few 
days  past,  but  I  do  it  in  discret  terms,  because  it  is  good  to  acquaint  them  with 
the  results  in  order  to  give  them  confidence  and  to  incite  them  to  assist  in  the 
restoration  of  the  house  ;  but  it  is  useless  to  divulgue  the  means  of  them.  As  their 
only  objection  against  the  prospérons  issue  of  the  efforts  which  they  are  going 
to  make  is,  that  the  affair  of  the  bonds  is  a  private  interest,  I  insinuate  to  them 
that  it  dépends  on  them  to  make  it  one  of  publie  interest  and  to  attain  a  double 
object  at  the  same  time  ;  to  secure  its  favorable  setllement  by  cbanging  the 
English  policy  in  référence  to  it,  in  considération  of  the  interest  that  they  and 
other  English  bouses  may  take  in  it,  and  to  realize  great  profits,  since  as  you 
say,  it  is  an  affair  of  two  millions  five  hundred  thousand  dollars  of  duties  to  be 
coUected  at  Vera-Cruz,  with  the  entrance  of  merchandises  in  its  port.  I  think 
that  a  letter  from  you  of  a  commercial  and  ar^umentative  cliaracter  would  make 
a  great  impression  on  thèse  gentlemen  now  that  the  ground  is  prepared. 

Perhaps  the  resuit  which  we  havc  obtained  i.s  the  most  décisive  stroke  of 
policy  that  bas  been  achieved  since  thèse  gentlemen  hâve  taken  up  the  question 
of  the  bonds.  Under  date  of  August  15  or  28,  M.  de  Saligny  bas  addressed  from 

Orizaba  to  M.  de  P...  a  very  important  letter He  says,  likewise,  that  he  bas 

suffered  so  many  calumnies  on  account  of  the  affair  of  the  bonds,  that  be  will  no 
longer  be  able  to  act  so  directly  as  heretofore  ;  that  it  will  be  necessary  to  send 
out  there  some  safe  and  skilful  person  to  walcli  for  the  ripening  of  the  fruit. 
After  some  incidental  words  against  N..  ,  he  concludes  by  saying  that  formai 
instructions  are  being  sent  to  him  in  order  to  place  him  in  a  condition  to  ac* 
and  to  regulate  bis  position  propcrly.  M.  de  M.  T...  gave  it  to  me  in  order  to 
attend  to  it  as  far  as  concerned  the  house  and  Noël,  and  in  order  to  présent  the 
affair  as  a  French  interest  in  concurrence  with  English  interests,  an  interest  mis- 
represented  by  tlie  disloyal  course  of  Wyke,  who,  in  order  to  increase  the  security 
of  the  English  creditors,  whose  interests  were  assured  by  the  same  pledges  as  the 
bonds,  was  not  afraid  to  reject  this  affair,  notwithstanding  its  justice  and  to 
make  hiraself  the  officiai  interpréter  of  ail  the  calumnies  of  Juarez  and  his 
associâtes,  etc. 

I  applied  myself  as  best  I  could  to  the  performance  of  this  task,  including  the 
greatest  number  of  ideas  in  the  fewest  possible  words,  in  order  that  it  might  not 
be  supposed  that  in  expatiating  at  length  on  this  affair,  M.  de  Saligny  gave  i* 
any  other  importance  tlian  that  of  indignation  at  seeing  a  dishonest  infamy  on 
the  part  of  Wyke  thus  gaincd,  and  the  effort;;  of  French  diplomacy  frustrated  in 
an  affair  so  just.  I  strove,  moreover,  to  préserve  in  tiie  style  its  tone  of  military 
bruskness  and  manly  indignation.  The  letter  appeared  very  good  to  those  gentle- 
men, and  M.  de  M.  T...  hesitated  whether  he  should  givo  it  the  name  of  an 
extract,  or  of  a  copy,  or  should  make  it  pass  as  an  original,  when  there  arrived 
by  the  last  post  a  second  letter  from  M.  de  Saligny,  dated  at  Orizal)a,  Septem- 
ber  15,  and  no  less  important  than  the  former  one.  Both  were  put  together,  and 
on  the  following  day  my  Lord  Duke  prcsented  it  to  His  Majesty,  who  read  it  with 


728  APPENDICE. 

mucli  interest.  His  confidence  in  M.  de  Saligny  already  excessive  was  slill  more 
augmented.  a  M. ..y,  said  he  to  the  duke,  itis  necessary  tliat  ail  thèse  diflBcultieS 
in  M.  de  Saligny's  position  sliould  ceasc  ;  I  ^vill  inake  my  arrangements  in  regard 
to  it  ; )) 

I  shall  be  presented  to-morrow  at  midday  (October  30)  to  JI.  de  M... y  ;  he 
has  desired  to  see  me  ;  I  do  not  know  whether  it  is  to  judge  whether  I  am  fit  for 
some  future  mission.  If  my  letter  had  not  been  despatched  to-day,  in  order  that 
MMrs  Hodgson  and  G"  might  hâve  time  to  put  it  in  their  packet,  I  would  wait 
until  to-morrow  to  tell  you  of  it  in  the  letter  which  I  \\\l[  address  to  N.  after 
to-morrow  (October  30)  ,  but  as  it  is  necessary  to  be  prudent,  I  shall  designate 
His  Majesty  as  n"  1,  M.  de  M... y  as  n»  2,  M.  de  M.  T...  as  n"  3 

The  creditors  are  well  disposed.  As  soon  as  papa  arrives  within  two  or  threedays, 
we  are  going  to  présent  a  pétition  entreating  His  Majesty  to  extend  his  protection 
to  the  house  in  the  name  of  French  interests.  This  pétition,  signed  with  the  names 
of  your  creditors,  will  be  presented  directly  by  n»  2  to  nM  ;  judge  of  its  impor- 
tance! !  G...  is  somewhat  slow  and  timorous  ;  he  has  an  excessive  dread  of  com- 
promising  himself  if  he  is  urged  to  exertion.  M...  bas  acknowledged  to  me  that 
he  shared  half  the  profits  of  the  bonds.  I  bave  told  him  in  reply  that  he  had 
some  interest  in  the  house  ;  he  has  promised  me  to  tell  it  to  him  as  if  it  came 
from  the  count  de  P...,  and  to  urge  him  on,  because  lie  can  be  very  useful  to  us 
on  account  of  his  intimacy  with  Drouyn.  I  think  that  instructions  will  be  sent  to 
M.  de  Sahgny.  M...  desires  to  serve  you  with  His  Majesty  in  respect  to  your  lands 
in  Sonora.  He  has  coUected  ail  the  détails  that  I  bave  been  ableto  give  to  him... 

Adieu,  my  dear  uncle.  Assnring  you  of  ail  my  heart's  love,  I  remain  your 

most  affectionate  nephew, 

Luis    ËLSESSER. 

A  true  copy  :  Washington,  March  31,  1863. 
ROMERO  t'). 

(')  Traduit  du  français. 


H. 

CONVENTION  DE  LONDRES. 

(Page  32.) 

Sa  Majesté  l'Empereur  des  Français,  Sa  Majesté  la  Reine  d'Espagne  cl 
Sa  Majesté  la  Reine  de  la  Grande-Bretagne  et  d'Irlande,  se  trouvant  pla- 
cées, par  la  conduite  arbitraire  et  \exatoire  des  autorités  de  la  République 
du  Mexique,  dans  la  nécessité  d'exiger  de  ces  autorités  une  protection 
plus  efficace  pour  les  personnes  et  les  propriétés  de  leurs  sujets,  ainsi  que 
l'exécution  des  obligations  contractées  envers  Elles  par  la  République  du 
Mexique,  se  sont  entendues  pour  conclure  entre  elles  une  convention  dans 
le  but  de  combiner  leur  action  commune,  et,  à  cet  effet,  ont  nommé  pour 
leurs  plénipotentiaires,  savoir  : 

Sa  Majesté  l'Empereur  des  Français,  Son  Excellence  le  comte  de  Fla- 
hault  de  la  Billarderie,  sénateur,  général  de  division,  grand-croix  de 
l'ordre  impérial  de  la  Légion  d'bonneur,  son  ambassadeur  extraordinaire 
auprès  de  Sa  Majesté  la  Reine  de  la  Grande-Bretagne  et  d'Irlande; 

Sa  Majesté  la  Reine  d'Espagne,  Son  Excellence  don  Xavier  de  Isturiz  y 
Montero,  chevalier  de  l'ordre  insigne  de  la  Toison  d'or,  grand-croix  de 
l'ordre  royal  de  Charles  III,  grand-croix  de  l'ordre  impérial  de  la  Légion 
d'honneur,  sénateur  du  royaume,  son  envoyé  extraordinaire  et  ministre 
plénipotentiaire  à  la  cour  de  Sa  Majesté  la  Reine  du  royaume-uni  de  la 
Grande-Bretagne  et  d'Irlande; 

Sa  Majesté  la  Reine  de  la  Grande-Bretagne  et  d'Irlande,  le  Irès- 
lionorable  Jean  comte  Russel ,  vicomte  Amberley  de  Amberley  et  Art- 
salla  ,  pair  du  royaume-uni ,  conseiller  de  Sa  Majesté  en  son  conseil 
privé,  principal  secrétaire  d'Etat  de  Sa  Majesté  pour  les  affaires  étrangères, 

Lesquels,  après  avoir  échangé  leurs  pouvoirs,  sont  tombés  d'accord 
pour  arrêter  les  articles  suivants  : 

Abt.  i".  Sa  Majesté  l'Empereur  des  Français,  Sa  Majesté  la  Reine 
d'Espagne  et  Sa  Majesté  la  Reine  de  la  Grande-Bretagne  et  d'Irlande  s'en- 
gagent à  arrêter,  aussitôt  après  la  signature  de  la  présente  convention, 
les  dispositions  nécessaires  pour  envoyer  sui-  les  côtes  du  Mexique  des 
forces  de  terre  et  de  mer  combinées,  dont  l'eftcctif  sera  déterminé  par 
un  échange  ultérieur  de  communications  entre  leurs  gouvernements, 
mais  dont  l'ensemble  devra  être  suffisant  pour  pouvoir  saisir  et  occuper 
les  différentes  forteresses  et  positions  militaires  du  littoral  mexicain. 

Les  commandants  des  forces  alliées  seront,  en  outre,  autorisés  à  accom- 
plir les  autres  opérations  qui  seraient  jugées,  sur  les  lieux.,  les  plus  jiroprc* 


730  APPENDICE. 

à  réaliser  le  but  spécifié  dans  le  préambule  de  la  présente  convention,  cl 
notamment  à  assurer  la  sécurité  des  résidents  étrangers. 

Toutes  les  mesures  dont  il  s'agit  dans  cet  article,  seront  prises  au  nom 
et  pour  le  compte  des  Hautes  Parties  contractantes,  sans  acception  de  la 
nationalité  des  forces  employées  à  les  exécuter. 

Art.  2.  Les  Hautes  Parties  contractantes  s'engagent  à  ne  rechercher 
pour  elles-mêmes,  dans  l'emploi  des  mesures  coercitives  prévues  par  la 
présente  convention,  aucune  acquisition  de  territoire,  ni  aucun  avantage 
particulier ,  et  à  n'exercer,  dans  les  affaires  intérieures  du  Mexique, 
aucune  influence  de  nature  à  porter  atteinte  au  droit  de  la  nation  mexi- 
caine de  choisir  et  de  constituer  librement  la  forme  de  son  gouvernement. 

Art.  3.  Une  commission  composée  de  trois  commissaires,  un  nommé 
par  chacune  des  Puissances  contractantes,  sera  établie  avec  plein  pouvoir 
de  statuer  sur  toutes  les  questions  que  pourraient  soulever  l'emploi  et  la 
distribution  des  sommes  d'argent  qui  seront  recouvrées  au  Mexique,  en 
ayant  égard  aux  droits  respectifs  des  parties  contractantes. 

Art.  4.  Les  Hautes  Parties  contractantes  désirant,  en  outre,  que  les 
mesures  qu'elles  ont  l'intention  d'adopter  n'aient  pas  un  caractère  exclu- 
sif, et  sachant  que  le  gouvernement  des  Etats-Unis  a,  de  son  côté,  des 
réclamations  à  faire  valoir,  comme  elles,  contre  la  République  mexicaine, 
conviennent  qu'aussitôt  après  la  signature  de  la  présente  convention,  il  en 
sera  communiqué  une  copie  au  gouvernement  des  Etats-Unis  ;  que  ce 
gouvernement  sera  invité  à  y  accéder,  et  qu'en  prévision  de  cette  accession, 
leurs  ministres  respectifs  à  Washington  seront  immédiatement  munis 
de  leurs  pleins  pouvoirs,  à  l'effet  de  conclure  et  de  signer  collectivement 
ou  séparément,  avec  le  plénipotentiaire  désigné  par  le  président  des 
Etats-Unis,  une  convention  identique,  sauf  suppression  du  présent  ar- 
ticle, à  celles  qu'elles  signent  à  la  date  de  ce  jour.  Mais,  comme  les  Hautes 
Parties  contractantes  s'exposeraient,  en  apportant  quelque  retard  à  la 
mise  à  exécution  des  articles  1  et  2  de  la  présente  Convention,  à  man- 
quer le  but  qu'elles  désiraient  atteindre.  Elles  sont  tombées  d'accord 
de  ne  pas  différer,  en  vue  d'obtenir  l'accession  du  gouvernement  des 
Etats-Unis,  le  commencement  des  opérations  susmentionnées  au  delà  de 
l'époque  h  laquelle  leurs  forces  combinées  pourront  être  réunies  dans  les 
parages  de  Vera-Cruz. 

Art.  5.  La  présente  convention  sera  ratifiée,  et  les  ratifications  en 
seront  échangées  a  Londres  dans  le  délai  do  quinze  jours. 

En  foi  de  quoi,  les  plénipotentiaires  respectifs  l'ont  signée  et  y  ont  ap- 
posé le  sceau  de  leurs  armes. 

Fait  à  Londres,  en  triple  original,  le  trente  et  unième  jour  du  mois 
d'octobre  de  l'an  de  grâce  mil  huit  cent  soixante  et  un. 

Flahault. 
Xavier  de  Isturiz. 

RUSSELL. 


ni 


LISTE  DE   GRIEFS 

ADRESSÉS    AU    GOIA'ERNEMF.NT    FRANÇAIS    PAR    M.    DE    SALIGNT. 

(Page  34.) 

L.  G...,  tailleur  à  Mexico,  blessé  d'un  coup  de  poignard  devant  la  porte 
de  sa  maison.  —  Le  20  janvier. 

F.  B...,  cordonnier,  assailli  à  sept  heures  du  soir  par  six  individus, 
reçut  un  coup  de  poignard,  puis  fut  volé  de  son  argent  et  d'une  partie 
de  ses  vêtements.  —  Le  21  janvier. 

L.  M...,  assassiné  k  Puebla.  dans  la  rue;  la  police  le  ramassa  baigné 
dans  son  sang,  refusa  de  le  faire  porter  h  son  logement,  sous  prétexte 
que  la  loi  l'exigeait  ainsi  ;  on  le  traîna  en  prison,  puis  à  l'iiôpital,  où  il 
fut  retenu  de  force  à  la  disposition  des  autorités  judiciaires.  Lorsqu'il 
sortit,  il  trouva  la  chambre  de  l'auberge  où  il  avait  déposé  ses  bagages 
entièrement  dévalisée  ;  la  porte  ayant  été  fracturée,  l'hôtelier  accusa  la 
police  et  réciproquement. 

A.  G...  etA.  B...,  maltraités  et  emprisonnés  à  Minalitlan. 

P.  M...,  hôtelier  à  Rio  Frio  et  à  Palmar,  enlevé  de  son  domicile  et 
pillé  deux  fois  consécutives  en  janvier  et  en  avril. 

P.  L...,  assassiné  au  Final,  près  de  Puebla. 

L.  M.  B...,  propriétaire  rural  dans  l'Etat  de  Durango,  assassiné  et  tué 
sur  place,  près  de  Durango,  le  3  avril. 

A.  M...,  conducteur  de  chariots  ;  enlevé  plusieurs  fois  en  avril  et  juillet, 
toujours  maltraité  et  mis  à  rançon. 

M"*  E.  M...,  se  rendant  en  France,  assassinée  près  de  Cordova,  le  12 
mars,  décédée  après  quarante  jours  de  souffrances. 

L.  E...,  régisseur,  enlevé  le  18  avril  de  son  hacienda  de  Tautillan,  mis 
à  rançon  après  deux  jours  do  tortures. 


732  APPENDICE. 

P.  L...,  assassiné  à  18  lieues  de  Mexico;  tué  sur  place. 

A.  F.  D...,  maître  meunier,  assassiné  le  48  mai,  dans  le  moulin  de 
Batan,  à  3  lieues  de  Mexico.  Les  assassins,  qui  furent  reconnus  même  par 
les  chiens  du  moulin,  appartiennent  à  trois  bourgades  voisines,  y  jouissent 
tranquillement  des  fruits  de  leurs  forfaits. 

La  mort  de  D...  a  dû  leur  rapporter  b  à  6,000  piastres. 

B.  J....  contre-maître  du  moulin  de  Batan,  blessé  grièvement  par  les 
assassins  de  D...,  qui  l'ont  laissé  sans  connaissance  jusqu'au  19  mai. 

Le  jeune  A...,  enlevé  de  l'hacienda  de  son  père,  dans  l'Etat  de  Puebla: 
mis  à  rançon  après  quelques  jours  de  torture  morale  :  fin  de  mai. 

L.  G...,  enlevé  à  une  demi-lieue  de  Mexico  ;  relâché,  après  un  jour  de 
détention,  sans  rançon.  26-27  juin. 

J.  L.  T...,  dépouillé  et  battu  par  les  soldats  à  un  quart  de  lieue  de 
Cuernavaca,  sur  la  grand'route. 

B.  D...,  de  Temascaltepec,  enlevé,  emprisonné,  maltraité,  et  torturé  de 
toutes  façons. 

J.  B.  D...,  assassiné  à  Otumbilla,  8  lieues  de  Mexico.  Les  assassins  sont 
connus  ;  rien  ne  serait  plus  facile  que  de  les  arrêter. 

P.  D...,  de  Temascaltepec ,  enlevé  le  28  juillet  et  relâché  après  troi?; 
jours  de  souffrances. 

H.  H...,  de  Temascaltepec,  a  eu  sa  maison  pillée  de  fond  en  comble. 

J.  B...,  attaqué,  frappé  et  blessé  par  quatre  soldats,  dans  la  rue  Zuleta, 
à  Mexico. 

P.  D...,  colporteur,  assassiné  sur  la  grand'route,  à  2  lieues  de  Cuer- 
navaca. 

A.  D...,  attaqué  et  blessé  dans  la  rue  San  Francisco,  k  Mexico. 


IV. 


ORGANISATION  DU  CORPS  EXPÉDITIONNAIRE 

COMMANDÉ   PAR  LE  CONTBE-AMIRAL  JURIEN  DE  LA  GRAVIÈRE. 

(Page  53.) 

Chef  d'état-major  :  M.  le  capitaine  de  frégate  Thomasset. 

(M.  Capitaa,  capitaine  d'élat-major,  avait  été  attaché  comme  aide  de  camp  mili- 
taire à  la  personne  de  l'amiral  Jurien  de  la  Gravière;  il  secondait  le  chef  d'étal- 
major  en  ce  qui  conceroait  le  service  des  troupes  de  terre.) 

Commandant  du  génie  :  le  capitaine  du  génie  Lebescoxd  de  Coatpont. 
Commandant  du  parc  d'artillerie  et  du  convoi ,  faisant  fonctions  de  grand-prévôt 

le  capitaine  de  frégate  Lagk 
Chef  des  services  administratifs  :  le  commissaire  adjoint  Di.val. 


Régiment  d'infanterie  de  marine  :  colonel  He.\î<ique. 
Un  bataillon  du  2'  zouaves  :  commandant  Cousin. 
Un  bataillon  de  marins-fusiliers  :  capitaine  de  frégate  Allègre. 
Un  peloton  de  chasseurs  d'Afrique  :  sous-lieutenant  Paploré, 
Une  batterie  d'artillerie  de  marine  de  4  rayé  :  capitaine  Mallat. 
Une  batterie  d'obusiers  de  montagne,  servie  par  les  marins  :  lieutenant  de  vais- 
seau Bruat. 
Une  section  de  12  rayés,  servie  par  les  marins.  (Cette  section  fut  dissoute,  son 

organisation  n'ayant  pu  être  complétée.) 
Un  détachement  de  sapeurs  du  génie. 

Id.  du  train  d'artillerie. 

Id.  du  train  des  écpiipages. 

Id.  d'ouvriers  d'administration. 

Id.  d'infirmiers. 

Un  détachement  de  gendarmerie  :  capitaine  de  Chavannes  de  Chastel. 


V. 


TRAI^SPORT    DES    TROUPES 

DE    FRANCE    AU    MEXIQUE. 


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VI. 


COMPOSITION  DU  CORPS  EXPÉDITIONNAIRE 

Sous  les  ordres  du  général  FORE  Y, 

D'après  la  situation  du   1"   décembre   1862. 

(Page  303.) 


Commandant  en  chef  :  le  général  de  division  Fukiïv. 

Chef  d'étal-major  général  :  le  colonel  d'état-major  d'Auvebgxe. 

Commandant  l'artillerie  :  le  général  de  brigade  Verxhet  de  Lacmiére. 

Chef  d'état-major  de  l'artillerie  :  le  chef  d'escadron  de  L.uaille. 

Commandant  le  génie  :  le  colonel  Yialla. 

Chef  d'état-major  du  génie  :  le  chef  de  bataillon  Corbin. 

Chef  des  services  administratifs  :  l'intendant  militaire  Wolf. 

PUEMIÈRE    DIVISION    d'i.NFANTERIE, 

Le  général  de  division  Bazaine. 

Chef  d'état-major  :  le  lieutenant-colonel  Lacroix. 

ÎIS"-  bataillon  de  chasseurs  :  commandant  Lasjt. 
1"  régiment  de  zouaves  :  colonel  Brincourt. 
81«  de  ligne:  colonel  DE  LA  Canorgue. 

S  20'  bat.  de  chass.  :  commandant  Lepage  de  Longchamps. 
93"  régiment  de  ligne  :  colonel  Jolivet. 
3"  zouaves  :  colonel  Mangi.v. 
Tirailleurs  algériens  :  commandant  Cottret. 

DEUXIÈME    DIVISION    D'iNFANTERIE. 

Le  général  de  brigade  Douav,  commandant  provisoirement  la  division. 
Chef  d'étit-major  :  le  chef  d'escadron  Capitan,  faisant  fonctions. 

1"  brigade  :  l  1"  bataillon  de  chasseurs  :  X... 

Colonel  L'Hériller.    <  99"  de  ligne  :  colonel  L'Hériller. 
-ommiDdint  prorisoiremeDt.  f  2'  régiment  de  zouavcs  :  coloncl  Gambier. 


742  APPENDICE. 


(  7^  bataillon  de  chasseurs  :  commandant  d'Albici. 

^    _*^ '    _     \  51®  régiment  de  ligne  ;  colonel  Garnier. 

62'  régiment  de  ligne  :  colonel  baron  Aymard. 


Général  de  Berthier. 


BRIGADE    DE    CAVALERIE. 

Général  de  brigade  de  Mirandol. 

1"  régiment  de  marclie  :  colonel  de  Brémond  d'Ars. 

2"  régiment  de  marche  :  colonel  du  Barail. 

troupes   de    LA   marine. 

Bataillon  de  marins  fusiliers  :  le  capitaine  de  frégate  Bruat. 
2'  régiment  d'infanterie  de  marine  :  le  colonel  IIenniqoe. 


VII. 


CONVENTION  DE  MIRAMAR 

(10   AVRIL    1864). 
(Page36i.) 


Le  gouvftrnemcnt  de  S.  M.  l'Empereur  des  Français  et  celui  de  S.  M- 
l'Empereur  du  Mexique,  animés  d'un  désir  égal  d'assurer  le  rétablisse- 
ment de  l'ordre  au  Mexique  et  de  consolider  le  nouvel  Empire,  ont  résolu 
de  régler  par  une  convention  les  conditions  du  séjour  des  troupes  fran- 
çaises dans  ce  pays,  et  ont  nommé  pour  leurs  plénipotentiaires  à  cet  effet, 
savoir  : 

Sa  Majesté  l'Empereur  des  Français,  M.  Cliarles-François-Edouard  Her- 
bet,  ministre  plénipotentiaire  de  1^"  classe,  conseiller  d'Etat,  directeur 
au  ministère  des  affaires  étrangères,  grand  officier  de  son  ordre  impérial 
de  la  Légion  d'honneur,  etc. 

Et  Sa  Majesté  l'Empereur  du  ]\Iexique,  M.  Joaquin  Yelasquez  de  Léon, 
son  ministre  d'Etat  sans  portefeuille,  grand  officier  de  l'ordre  distingué  de 
Notre-Dame  de  Guadalupe,  etc. 

Lesquels,  après  s'être  communiqué  leurs  pleins  pouvoirs,  trouvés  en 
bonne  et  due  forme,  sont  convenus  des  articles  suivants  : 

Article  1'^.  Les  troupes  françaises  qui  se  trouvent  actuellement  au 
Mexique  seront  réduites  le  plus  tôt  possible  à  un  corps  de  25,000  hommes, 
y  compris  la  légion  étrangère. 

Ce  corps,  pour  sauvegarder  les  intérêts  qui  ont  motivé  l'intervention, 
restera  temporairement  au  Mexique  dans  les  conditions  réglées  par  les 
articles  suivants  : 

Art.  2.  Les  troupes  françaises  évacueront  le  Mexique  au  fur  et  à  me- 
sure que  S.  M.  l'Empereur  du  Mexique  pourra  organiser  les  troupes  né- 
cessaires pour  les  remplacer. 

Art.  3.  La  légion  étrangère  au  service  de  la  France,  composée  de 
8,000  hommes,  demeurera  néanmoins  encore  pendant  six  années  au 
Mexique,  après  que  toutes  les  autres  forces  françaises  auront  été  rappelées 
conformément  à  l'article  2.  A  dater  de  ce  moment,  ladite  légion  passera 


744  APPENDICE. 

au  service  et  à  la  solde  du  gouvernement  mexicain.  Le  gouvernement 
mexicain  se  réserve  la  faculté  d'abréger  la  durée  de  l'emploi  au  Mexique 
de  la  légion  étrangère. 

Art.  4.  Les  points  du  territoire  à  occuper  par  les  troupes  françaises, 
ainsi  que  les  expéditions  militaires  de  ces  troupes,  s'il  y  a  lieu,  seront 
déterminés  de  commun  accord  et  directement  entre  Sa  Majesté  l'Empereur 
du  Mexique  et  le  commandant  en  chef  du  corps  français. 

Art.  5.  Sur  tous  les  points  où  la  garnison  ne  sera  pas  exclusivement 
composée  de  troupes  mexicaines,  le  commandement  militaire  sera  dévolu 
au  commandant  français. 

En  cas  d'expéditions  combinées  de  troupes  françaises  et  mexicaines,  le 
commandement  supérieur  de  ces  troupes  appartiendra  également  au  com- 
mandant français. 

Art.  6.  Les  commandants  français  ne  pourront  intervenir  dans  aucune 
branche  de  l'administration  mexicaine. 

Art.  7.  Tant  que  les  besoins  du  corps  d'armée  français  nécessiteront 
tous  les  deux  mois  un  service  de  transports  entre  la  France  et  le  port  de 
Vera-Cruz,  les  frais  de  ce  service,  fixés  à  la  somme  de  400,000  fr.  par 
voyage  (aller  et  retour)  seront  supportés  par  le  gouvernement  mexicain 
et  payés  à  Mexico. 

Art.  8.  Les  stations  navales  que  la  France  entretient  dans  les  Antilles 
et  dans  l'Océan  Pacifique  enverront  souvent  des  navires  montrer  le  drapeau 
français  dans  les  ports  du  Mexique. 

Art.  9.  Les  frais  de  l'expédition  française  au  Mexique  à  rembourser 
par  le  gouvernement  mexicain  sont  iixés  à  la  somme  de  270  millions  pour 
tout  le  temps  de  la  durée  de  cette  expédition  jusqu'au  l*""  juillet  1864. 
Cette  somme  sera  productive  d'intérêts  à  raison  de  3  p.  %  par  an. 

A  partir  du  1"  juillet,  toutes  les  dépenses  de  l'armée  mexicaine  restent 
à  la  charge  du  Mexique. 

Art,  10.  L'indemnité  à  payer  à  la  France  par  le  gouvernement  mexi- 
cain, pour  dépense  de  solde,  nourriture  et  entretien  des  troupes  du  corps 
d'armée  à  partir  du  1"  juillet  1864,  demeure  fixée  à  la  somme  de  1,000  fr. 
par  homme  et  par  an. 

Art.  11.  Le  gouvernement  mexicain  remettra  immédiatement  au  gou- 
vernement français  la  somme  de  66  millions  en  titres  de  l'emprunt  au 
taux  d'émission,  savoir  :  54  millions  en  déduction  de  la  dette  mentionnée 
dans  l'article  9,  et  12  millions  comme  à-compte  sur  les  indemnités  dues 
à  des  Français  en  vertu  de  l'article  14  de  la  présente  convention. 

Art.  12.  Pour  le  paiement  du  surplus  des  frais  de  guerre  et  pour  l'ac- 
quittement des  charges  mentionnés  dans  les  articles  7,  10  et  14,  le  gou- 
vernement mexicain  s'engage  à  payer  annuellement  à  la  France  la  somme 
de  23  millions  en  numéraire.  Cette  somme  sera  imputée  :  1"  sur  les 
sommes  ducs  en  vertu  desdits  articles  7  et  10  ;  2°  sur  le  montant,  en  in- 
térêts et  principal,  de  la  somme  fixée  dans  rarliclc  9  ;  3°  sur  les  indem- 


CONVENTION    DE    MIRAMAR.  74S 

nités  qui  resteront  dues  à  des  sujets  français  en  vertu  des  articles  14  et 
suivants. 

Art.  13.  Le  gouvernement  mexicain  versera,  le  dernier  jour  de  chaque 
mois,  à  Mexico,  entre  les  mains  du  payeur  général  de  Tarmée,  ce  qu'il 
devra  pour  couvrir  les  dépenses  des  troupes  françaises  restées  au  Mexique, 
conformément  à  l'article  10. 

Art.  14.  Le  gouvernement  mexicain  s'engage  à  indemniser  les  sujets 
français  des  préjudices  qu'ils  ont  indûment  soufferts  et  qui  ont  motivé 
l'expédition. 

Art.  15.  Une  commission  mixte,  composée  de  trois  Français  et  de  trois 
Mexicains,  nommés  par  leurs  gouvernements  respectifs,  se  réunira  à 
Mexico  dans  un  délai  de  trois  mois,  pour  examiner  et  régler  ces  réclama- 
tions. 

Art.  16.  Une  commission  de  révision,  composée  de  deux  Français  et 
de  deux  Mexicains,  désignés  de  la  même  manière,  siégeant  à  Paris,  pro- 
cédera à  la  liquidation  définitive  des  réclamations  déjà  admises  par  la 
commission  désignée  dans  l'article  précédent  et  statuera  sur  celles  dont  la 
décision  lui  aurait  été  réservée. 

Art.  17.  Le  gouvernement  français  remettra  en  liberté  tous  les  pri- 
sonniers de  guerre  mexicains,  dès  que  l'Empereur  du  Mexique  sera  entré 
dans  ses  Etats.  * 

Art.  18.  La  présente  convention  sera  ratifiée  et  les  ratitications  en  se- 
ront échangées  le  plus  tôt  que  faire  se  pourra. 
Fait  au  château  de  Miramar,  le  10  avril  1864. 

Signé  :  Herbet. 

JOAQUIN  YeLASQUEZ  DE  LeON. 


On  prétend  que  le  gouvernement  français  avait  demandé  à  l'empereur 
Maximilien  de  ratifier  un  traité  relatif  à  la  cession  de  la  Sonora.  conclu 
entre  M.  le  marquis  de  Montholon,  ministre  de  France  à  Mexico,  et 
M.  Arroyo,  représentant  la  Régence  de  l'Empire  mexicain  ;  l'empereur 
Maximilien  aurait  refusé  ;  cette  circonstance  fut  rappelée  dans  la  défense 
présentée  par  les  avocats  de  l'Empereur  devant  la  cour  martiale  de  Que- 
retaro. 


VIII. 

COMPOSITION  ET  RÉPARTITION 

DE 

L'ARMÉE    FRAXCO-MEXICAINE 

Au   MOIS   DE    JUIN    1864. 
(Page  382.) 


Au  mois  de  juin  1864,  l'armée  franco-mexicaine  était  composée  de  la  manière 
suivante  : 

Commandant  en  chef  ;  le  général  de  division  Bazaine. 

Chef  de  l'ctat-major  général  :  le  colonel  d'état-major  Manèque  O. 

Commandant  de  l'artillerie  :  le  général  de  division  Courtois  d'Hurbal. 

Chef  d'état-major  de  l'artillerie  :  le  lieutenant-colonel  de  Lajaille. 

Commandant  du  génie  :  le  général  de  brigade  Vialla. 

Chef  d'état-major  du  génie  :  le  colonel  Doutrelaine. 

Chef  des  services  administratifs  :  l'intendant  militaire  Wolf. 

PREMIÈRE  Dnnsiox  d'infanterie. 

Général  de  Castag.vy  :  quartier  général  à  Queretaro. 
Chef  d'état-major  :  le  lieutenant-colonel  Lewai,. 

1"  brigade.  —  Colonel  B""  Aymard;  —  à  San  Luis  Potosi  (2). 

1"  bataillon  de  chasseurs  (commandant  Bréart)  ;  —  à  San  Luis  Potosi. 
51°  régiment  de  ligne  (colonel  Garnier)  ;  —  à  Guanajuato,  Silao,  Lcon ,  Ira- 
puato,  Salamanca. 

(0  Le  colonel  Maiièque  avait  remplacé  le  général  d'Auvergne  depuis  le  28  février 
1864;  il  quitta  lui-même  ses  fonctions  pour  rentrer  en  France  le  ■l'"^  juillet  1804  et  fut 
remplacé  par  le  colonel  Osmont. 

(2)  Le  colonel  Aymard  remplace  le  général  de  Berlier,  rentré  en  France.  (Ordre  du 
26  mars  1864.) 


748  AM'ENDICE. 

62'  régiment  de  ligne  (colonel  B°"   Aymard)  ;  —  à  San  Luis  Potosi. 

Présents  sous  les  armes  :  4,755  hommes.  —  Effectif  total  :  5,250  Iiommes. 

2»  brigade.  —  Colonel  du  3"  zouaves  Mangi.v  :  —  à  Queretaro. 

20*  bataillon  de  chasseurs  (commundant  de  Franchessin)  ;  —  à  Queretaro,  San 

Luis  de  ia  Paz. 
95'  de  ligne  (colonel  de  Camas)  :  —  à  Queretaro,  San  Juan  del  Rio,  Arroyo  Zarco^ 

Tepeji,  Pachuca,  San  Luis  de  la  Paz. 
3'  zouaves  (lieufenant-colonel  Tourre)  ;  —  à  Mexico. 

Présents  sous  les  armes  :  4,535  hommes.  —  Effectif  total  :  5,189  hommes. 

Total  de  la  1"  division  sous  les  armes  :  9,290  hommes. 
Effectif  total  :  10,439  hommes. 


DEUXIEME    DIVISION    D  INFANTERIE. 

Général  Douay  :  Quartier  général  à  Guadalajara. 
Chef  d'état-major  :  le  colonel  Osmont. 

1"  brigade.  —  Général  L'Hériller  ;  —  à  Zacalecas. 

1"  bataillon  de  chasseurs  (commandant  de  Courcy)  ;  —  à  Zacatecas,  Jerez. 
2'  régiment  de  zouaves  (  lieutenant-colonel  Martin  )  ;  —  à  Zacatecas ,  Malpaso , 

Salinas,  Fresnillo. 
99'  de  ligne  (  colonel  de  Saint-Hilaire  )  ;  —  à  Aguascalientes  ,  Lagos  ,  Incar- 

nacion. 

Présents  sous  les  armes  :  4,583  hommes.  —  Effectif  total  :  5,096  hommes. 

2'  brigade.  —  Général  baron  Neigre  ;  —  à  Guadalajara  (provisoirement 

à  Mexico). 

18'  bataillon  de  chasseurs  (commandant  Brincourt):  —  à  Guadalajara. 
!"■  régiment  de  zouaves  (colonel  Clixchaxt)  ;  —  à  Guadalajara  et  environs. 
81'  régiment  de  ligne  (colonel  de  Potier)  ;  —  à  Guadalajara,  Tepatitlan,  San 

Juan  de  los  Lagos,  Tololotlan. 
Bataillon   de   tirailleurs  algériens  (  commandant   Munier  )  ;  —  en    route  vers 

Acapulco. 

Présents  sous  les  armes  :  4,689  hommes.  —  Effectif  total  :  5,080  hommes. 

Total  de  la  2'  division  sous  les  armes  :  9,272  hommes. 
Effectif  total  :  10,176  hommes. 

brigade  de  résehve. 

Général  de  Maussion  ;  —  à  Orizaba. 

7'  régiment  de  ligne  (colonel  Giraud  ;  — à  Orizaba,  Cordova,  La  Canada,  Telma- 
can,  Rio  Frio,  Chapultepcc.  Mexico. 


ARMÉE    FRANCO-MEXICAINE.  749 

2*  bataillon  d'infanterie  légère  d'Afrique  (commandant  d'Ornaxo); —  à  Paso  del 
Macho,  Palo  Verde,  Camaron,  Cotastla,  Cordova. 

Présenls  sous  les  armes  :  2,783  hommes.  — Effectif  total  :  2,919  hommes. 

Régiment  étranger,  non  embrigadé  (colonel  Jeanningros)  ;  —  à  Puebla,  San  Juan 
de  los  Llanos,  Zacatlan,  Tlaxcala,  Tepeji  de  la  Seda,  Acatlan. 

Présents  sous  les  armes  :  2,263  hommes  —  Effectif  total  :  2,682  hommes. 


BRIGADE    DE    CAVALERIE, 

Colonel  DE  Lascours  (D.  —  Quartier  général  à  Mexico. 

/  2  escadrons  ;  —  à  San  Luis  Potosi. 
jer  rég.  de  marche.      j  j  escadron  ;  —  à  Puebla. 
'(rotonlVnE  LASCocRsr  j  ^  escadrons;  —  à  Queretaro.  Détachements  aux  contre- 
\      guérillas,  partisans,  remontes,  etc. 

2«  rég.  de  marche  1 

{2«  chass.  d'Afrique  el)  (  4  escadrons  ;  —  à  Mexico  et  dans  les  cantonnements 

5«  hussards.  l       voisins.  Détachements  divers, 

(colonel  Petit).  J 

iî'  rég.  de  chasseurs     (  3  escadrons  ;  —  à  Guadalajara  et  environs, 
(colonel  DU  Precil).      ^  1  escadron  ;  — ■  à  Zacatecas. 

Présents  sous  les  armes  :  2,206  hommes.  —  Effectif  total  :  2,449  iiorames, 

artillerit;. 
Répartie  dans  les  différents  postes. 

Présents  sous  les  armes  :  2,534  hommes.  •—  Effeeiif  total  :  2,709  hommes. 


GÉNIE. 

Présents  sous  les  armes  :  643  hommes.  —  Effectif  total  :  681  hommes. 

TROUPES   d'administration   ET   SERVICES    ADMINISTRATIFS. 
Sous  les  arme».  Effectif  total. 

Troupes  du  train 1,811  iiommes.  1,981   hommes. 

Ouvriers  d'administration.  .  468  —  469        — 

Infirmiers 540  —  540        ~ 

Officiers  de  santé 69  —  69 

Officiers  d'administration .  .  99  —  99 

Aumôniers. 6  —             6 

Total 2,993  hommes.  3,164   Iiommes. 

(0  Le  général  du  Barail  élait  rentré  f-n  France. 


750  APPENDICE. 

TROUPES    DE    LA    MARINE. 

Deux  compagnies  du  génie  colonial  ;  —  à  Vera-Cruz,  La  Soledad. 

Présents  sous  les  armes  :  147  hommes.  —  Effectif  total  :  159  liorames. 

Total  des  troupes  françaises  sous  les  armes  :  32,302  hommes. 
Effectif  total  :  35,S53  honmies. 

TROUPES    MEXICAINES. 

Division  Marquez  ;    —    Morelia  et  environs,  Jalapa,  Perote.   .  6,099  hommes. 

Division  Mejia  ;   —    San  Luis  Potosi,  Venado,  Matehuala,  etc.  5,270  — 

Brigade  Vicario  ;  —   Cuernavacca,  Eguala,  etc 1,876  — 

Colonel  Flo\  ;    —  Puebla,  Tepeji 236  — 

Colonel  Trujèque  ;    —   Puebla,  Acatlan,  Atlixco 419  — 

Colonel  Argdellez  ;  —  Cordova,  etc 304  — 

Général  Galvez  ;  —  Orizaba,  etc 291  — 

Colonel  Valdez  ;  —  Toluca,  etc 871  — 

Colonel  Navarrete  ;,  —   Toluca,   etc 356  — 

Colonel  Cano  ;    —  Pachuca 99  — 

Colonel  Antonio  Domingoez  ;    —    Pachuca 205  — 

Colonel  Figuerrero  ;   —  Vera-Cruz 153  — 

Commandant  Ribe IRA  ; — San  Martin;  —  Texmelucan  ....        66  — 

Commandant  José  de  la  Pena  ;    —   Tula 207  — 

Commandant  Murcia  ;    —    La  Soledad 104  — 

Bataillon  d'invalides  ;    —   Mexico 272  — 

Colonel  Chavez  ;  —  Aguascalientes 625  — 

Colonel  Zermeno;   —  Lagos 318  — 

Colonel  Cuellar  ;  —  Guadalajara 329  — 

Colonel  Oct.  Castellanos  ;    —  Tepatitlan 106  — 

Colonel  Renteria;    —    Guadalajara 582  — 

Général  Velarde  ;   —    La  Barca 562  — 

Colonel  Santiago  Castellanos  ;  —  Guadalajara 87  — 

Colonel  DupiN  ;  —  contre-guérillas  de  Tampico  et  de  Tamaulipas.      848  — 

Total 20,285  hommes. 


IX. 

NOTE  SUR  LA  COLONISATION 

(Page  504.) 


Il  ne  suffisait  pas  d'appeler  des  colons,  il  fallait  avoir  encore  des  terres 
à  leur  distribuer.  Or,  bien  qu'il  existe  au  Mexique  de  grandes  étendues 
de  territoire  incultes,  le  domaine  public  est  fort  restreint;  toute  terre 
a  un  maître  dont  les  droits  de  propriété  sont  plus  ou  moins  régu- 
liers, mais  dont  il  était  difficile  et  peu  opportun  de  reviser  les  titres  (*>; 
il  fallait  donc  obtenir  des  grands  hacenderos  qu'ils  abandonnassent  vo- 
lontairement une  partie  de  leur  terrain  et  leur  faire  comprendre  les  avan- 
tages qu'ils  en  retireraient.  Ces  avantages,  à  leur  point  de  vue  tout  per- 
sonnel, étaient  en  définitive  fort  contestables. 

Les  terres  qu'ils  conserveraient  obtiendraient,  leur  disait-on,  une  plus- 
value  considérable  par  le  voisinage  de  celles  mises  en  culture,  mais  que 
leur  importait  après  tout  cette  plus-value  ?  les  produits  de  leur  hacienda 
n'en  seraient  pas  augmentés,  tandis  qu'au  contraire  ils  pourraient  craindre 
que  leurs  nouveaux  voisins  plus  actifs  et  plus  industrieux  ne  provoquassent 
la  désertion  d'un  grand  nombre  de  leurs  peones. 

Une  partie  seulement  de  leurs  vastes  propriétés  était  cultivée  ;  mais  sur 
le  reste  vivaient  en  liberté  de  nombreux  troupeaux ,  source  considérable 
de  richesses  ;  pourquoi  restreindre  ces  beaux  domaines,  origine  de  l'in- 
fluence traditionnelle  de  leurs  familles  <»?  Aussi  les  efforts  de  l'Empereur 
et  ceux  des  personnages  des  anciens  Etats  confédérés  qui  s'occupèrent  de 
l'immigration  au  Mexique,  vinrent  se  heurter  contre  leurs  mauvaises  dis- 
positions. 

(1)  Après  la  conqnêtc  dcâ  Espagnols,  l'Empire  de  Montczuma  fut  partagé  en  an 
certain  nombre  de  lots  ou  encomiendas,  donnas  en  toute  propriété  aux  compagnons 
de  Cortez.  Ceux-ci  divisèrent  leurs  terrains  en  repart imientos  donnes  a  leurs  lieu- 
tcnanls  aux  soldats,  et  entin  aux  chefs  indiens,  ou  caciques  ayant  servi  leur  parti. 
Telle  est  l'origine  des  haciendas,  et  la  plupart  de  leurs  propriétaires  ont  ainsi  les 
titres  légaux.  Quant  aux  terres  possédées  par  les  Indiens,  elles  proviennent  soit  de 
donation,  soit  d'acquisition.  . 

(2)  Parmi  les  plus  belles  haciendas  du  nord  du  Mexique,  mais  non  encore  des  plus 
crandes  on  peut  citer  l'hacienda  de  Cnstodio,  près  de  San  Luis  Potosi,  dont  le  terri- 
toire est  de  54i,586  hectares  ;  celle  de  Solcdad,  qui  possède  220  licucs  carrées 
(352,000  hectares);  celle  de  Peotillos,  qui  compte  74  lieues  carrées,  -10,000  chevaui, 
20,000  moutons,  8,000  bœufs. 


752  APPENDICE. 

Un  homme  d'une  grande  importance  el  dont  les  travaux  scientifiques 
avaient  popularisé  le  nom  dans  les  deux  mondes,  le  commodore  Maury, 
était  venu  à  Mexico  pour  traiter  cette  question  ;  si  le  programme  qu'il 
proposait  à  l'Empereur  avait  pu  être  rempli,  nul  doute  que  la  face  du 
Mexique  n'eût  été  changée  en  peu  de  temps  ;  ce  programme  est  résumé 
dans  la  lettre  suivante,  adressée  par  M.  Maury,  le  9  juin  1865,  à  l'amiral 
Chabannes,  préfet  maritime  à  Toulon,  et  communiquée  à  l'empereur 
Maximilien  (i)  : 

«  Notre  cause  est  perdue  ;  mes  nobles  et  courageux  compatriotes  baissent 
la  tête  avec  humiliation. 

a  Tous  ceux  qui  le  pourront  s'expatrieront. 

«  Nous  en  avons  assez  avec  les  républiques  ;  nous  aimons  plus  le 
Mexique  que  toutes  les  autres  contrées,  à  cause  de  sa  proximité  et  par 
conséquent  de  la  facilité  d'y  parvenir  avec  nos  femmes  et  nos  enfants.... 
...Notre  intention,  si  nous  venons  ici,  est  de  nous  identifier  avec  le  pays, 
de  faire  ce  que  des  sujets  loyaux  et  dévoués  doivent  faire  pour  établir 
l'Empire,  de  nous  dévouer  à  sa  grandeur  future,  à  sa  gloire  et  à  ses  des- 
tinées, aussi  complètement  que  nous  l'avons  fait  avec  notre  propre  patrie, 
qui  maintenant  est  déchirée  et  foulée  aux  pieds  de  ses  conquérants. 

«  Il  y  a  dans  la  Virginie  et  le  Sud  environ  deux  cent  mille  familles 
dont  les  chefs  sont  des  hommes  d'une  grande  influence,  très-intelligents, 
et  de  beaucoup  de  fortune;...  sous  leur  administration  et  avec  les  travaux 
qu'ils  commandaient,  ils  ont  changé  les  déserts  du  Sud  en  jardins.... 

«  Il  est  au  pouvoir  de  l'empereur  Maximilien  de  transporter  ces  familles 
avec  leurs  esclaves  affranchis,  de  les  convertir  immédiatement  en  de 
loyaux  sujets,  et,  par  leur  concours,  établir  fermement  et  subitement 
l'Empire.  C'est  pour  cela  que  je  suis  ici...» 

Il  demandait  pour  favoriser  l'immigration  :  la  tolérance  religieuse,  la 
franchise  de  douanes  pour  le  matériel  agricole,  l'exemption  d'impôt  et  de 
service  militaire  pendant  quelques  années,  une  indemnité  pour  chaque 
nègre  libre  amené  par  les  anciens  propriétaires  d'esclaves,  afin  de  leur  per- 
mettre de  transporter  le  travailleur  et  sa  famille,  des  concessions  de  terre» 
quelque  avance  d'argent  aux  familles  ruinées  ou  au  moins  le  concours  de 
l'Etat,  pour  faciliter  un  emprunt  spécialement  affecté  à  l'exploitation  des  ter- 
rains mexic;îins.  L'Empereur  était  favorablement  disposé  k  l'égard  des  pro- 
jets du  commodore  Maury. 

(1)  L'empereur  Maximilien  nomma  M.  Maury  directeur  d'un  observatoire  qui  n'existait 
que  de  nom,  afin  de  lui  donner  une  liante  position  officielle,  des  appointements  el  lui 
permettre  de  couvrir,  sous  le  voile  de  ces  prétendues  fondions,  les  démarclics  se- 
crètes que  les  projets  d'émigration  nécessitaient  de  sa  part,  soit  au  palais,  soit  près  des 
ministres. 

Plus  tard,  if  fut  naturalisé  Mexicain  et,  par  décret  du  18  septembre,  il  reçut  le  titre 
de  conseiller  d'Etat  lionorairc,  commissaire  impérial  chargé  de  la  colonisation,  avec  la 
faculté  de  nommer  des  agents  d'émigration  dans  les  Etats  du  Sud  des  Etats-Unis  ; 
un  autre  Américain,  le  général  Magruder,  fut  mis  à  la  tête  d'un  bureau  rentrai  des 
terres  alTertéo?  à  la  colonisation.  (Dérrel  du  27  septembre  486f).) 


NOTE    SUR    LA    COLONISATION. 


753 


On  se  procura  quelques  lorrp>;,  afin  de  former  des  colonies  agricoles  à 
proximité  du  chemin  de  fer  en  voie  de  construction  entre  Vera-Cruz  et 
Cordova,  dans  des  régions  propres  à  la  culture  du  coton  ;  plusieurs  fa- 
milles américaines  y  furent  installées,  mais  le  mauvais  vouloir  des  auto- 
rités mexicaines  ne  tarda  pas  à  décourager  les  colons,  tandis  que  les 
bandes  libérales  les  inquiétaient  sans  cesse;  la  plupart  quittèrent  bientôt  le 
pays  et  le  grand  courant  d'émigration,  que  l'on  ne  sut  pas  amener  au 
Mexique,  se  dirigea  vers  le  Brésil,  où  gouvernement  et  population  rivali- 
saient d'efforts  pour  attirer  les  étrangers. 

Un  grand  projet  de  colonisation  dans  la  Sonora  avait  été  formé  par  le 
D'  Gwin,  ancien  sénateur  de  l'Etat  de  Californie.  Il  avait  été  accueilli  avec 
faveur  par  l'empereur  Napoléon,  mais  il  échoua  autant  par  crainte  des 
remontrances  du  gouvernement  des  Etats-Unis,  que  par  suite  des  dispo- 
sitions peu  favorables  du  cabinet  de  Mexico.  Les  Mexicains  voyaient  avec 
une  grande  défiance  l'installation  de  colons  sous  le  patronage  de  la 
France.  Déjà,  au  début  de  l'expédition,  M.  Jecker,  qui  possédait  de  grands 
territoires  dans  la  Sonora,  avait  intéressé  à  cette  question  les  personnes 
qui  le  protégeaient  près  de  l'empereur  Napoléon  (voir  la  lettre  de  M.  Elses- 
ser,  citée  à  l'appendice  I)  ;  plus  tard,  une  convention  avait  été  signée 
entre  M.  le  marquis  de  Montholon,  ministre  de  France  à  Mexico,  et  M.  Arroyo, 
ministre  des  affaires  étrangères  du  gouvernement  de  la  Régence.  L'empe- 
reur Maximilien  refusa,  dit-on,  à  Miramar,  de  ratifier  cette  convention. 
Quoi  qu'il  en  soit,  tous  les  projets  d'établissement  en  Sonora,  sous  le  pro- 
tectorat français,  furent  abandonnés. 

Au  moment  même  où  cette  importante  question  de  colonisation  était 
débattue  au  cabinet  de  l'Empereur,  on  s'occupait  également  d'un  projet 
de  loi  fort  libéral,  fort  humanitaire,  sur  le  poonage  et  la  condition  des 
Indiens  dans  les  haciendas. 

Nous  avons  déjà  indiqué  combien  était  dur  le  servage  imposé  à  cette 
population  si  intéressante  et  si  sjTupathique  par  sa  soumission  même.  Les 
Indiens  des  villes  et  des  villages  sont  en  général  fort  pauvres  ;  il  leur  est 
difficile  de  s'élever  jusqu'aux  classes  supérieures  de  la  société  d'où  l'or- 
gueil des  créoles  les  repousse;  mais  entin,  la  plupart  jouissent  de  leur 
liberté  ;  les  Indiens  des  haciendas,  ceux  des  hauts  plateaux  surtout,  car 
dans  les  terres  chaudes,  le  travail  se  faisant  ordinairement  à  la  tâche,  la 
condition  du  travailleur  peut  dépendre  de  sa  propre  activité,  sont,  au 
contraire,  de  véritables  serfs  entièrement  sous  la  dépendance  d'un  maître 
dont  le  caprice  peut  les  punir  des  fers,  de  la  {)rison  ou  du  fouet;  ils  sont 
astreints  à  un  pénible  labeur,  et  ne  reçoivent  qu'un  minime  salaire  (ordi- 
nairement deux  réaux  (1  fr.  20)  par  jour),  à  peine  sufiBsant  pour  leur 
nourriture  ;  les  hacenderos  les  amènent  à  s'endetter  sans  espoir  de  libé- 
ration (J).  D'autre  part  le  clergé,  en  exigeant  d'eux  des  sommes  élevées, 


Peonage. 
Réformes 

sur 

la  condition 

des  travailleurs 


(1)  La   condition   des   ouvriers  boulangera,  charcutiers,  et  savonniers,  à  Mexico 
même,  était  pncore  pire  que  i-nlle  des  peoncs.  Pour  «e  procurer  de«  nuuiers  dans  les 

48 


754  APPENDICE. 

non -seulement  pour  les  baptêmes,  les  mariages  et  les  enterrements,  mais 
encore  à  chacune  des  innombrables  têtes  dont  le  calendrier  mexicain  est 
encombré,  l'Indien  est  obligé  d'emprunter  l'argent  que  son  travail  ne 
saurait  lui  fournir;  l'hacendero  ne  refuse  jamais  ces  prêts  qui  lui  garan- 
tissent des  travailleurs,  et  l'on  dit  avec  raison  que,  plus  il  est  dû  à  un 
propriétaire,  plus  il  est  riche. 

Une  odieuse  loi,  rendant  le  fils  responsable  des  dettes  du  père,  perpétue 
l'esclavage  dans  la  famille. 

Par  décret  du  10  avril  1865,  l'Empereur  avait  institué  une  junte  «l  Pro- 
tectrice des  classes  nécessiteuses,  »  dont  la  mission  toute  philanthropique 
devait  être  de  préparer  les  mesures  propres  à  améliorer  la  condition  des 
Indiens  et  à  réformer  ces  abus,  afin,  disait  l'Empereur,  d'affranchir  les 
sept  millions  d'Indiens  opprimés  par  un  million  de  blancs  O.  L'empe- 
reur Maximilien  se  défiait  avec  raison  du  concours  des  ministres  pour 
cette  œuvre  si  importante,  et  le  travail  avait  été  préparé  à  leur  insu  ;  ce 
fut  l'Impératrice  qui  se  chargea  de  faire  passer  le  projet  au  conseil,  pen- 
dant une  absence  de  l'Empereur.  Elle  avait  mis,  au  succès  de  cette  entre- 
prise, toute  l'ardeur,  toute  l'énergie  de  son  caractère;  elle  réussit  mieux 
qu'elle  ne  l'espérait. 

«  Je  viens  de  remporter  le  triomphe  sur  toute  la  ligne,  tous  mes  pro- 
jets ont  passé  ;  celui  des  Indiens,  après  avoir  excité  un  frémissement  au 
moment  de  la  présentation,  a  été  accepté  avec  une  sorte  d'enthousiasme. 
Il  n'y  a  eu  qu'un  seul  avis  contraire.  Forte  de  ce  succès,  je  leur  ai  déve- 
loppé des  théories  sociales  sur  la  cause  des  révolutions  au  Mexique,  qui 
ont  procédé  des  minorités  turbulentes  s'appuyant  sur  une  grande  masse 
inerte,  sur  la  nécessité  de  rendre  à  l'humanité  des  millions  d'hommes, 
quand  on  appelle  de  si  loin  la  colonisation,  et  de  faire  cesser  une  plaie  à 
laquelle  l'indépendance  n'avait  porté  qu'un  remède  inefficace,  puisque, 
citoyens  de  fait,  les  Indiens  étaient  pourtant  restés  dans  une  abjection 
désastreuse. 

«  Tout  cela  a  pris  à  mon  grand  étonnement,  et  je  commence  à  croire 
que  c'est  un  fait  historique  <2).  » 

boulangeries,  on  leur  prête  une  somme  que  généralement  ils  doivent  et  qu'il?  ne 
peuvent  payer;  des  parents  vendent  leurs  enfants.  Une  fois  vendu  soit  par  lui,  soit 
par  les  siens,  l'ouvrier  ne  peut  se  suffire,  bien  que  son  salaire  soit  de  4  à  lO  réaux 
par  jour,  parce  qu'il  lui  est  fait  une  retenue  pour  l'amortissement  de  sa  dette,  et  que, 
de  plus,  tout  le  pain  brûlé  est  mis  à  sa  charge.  Il  emprunte  de  nouveau,  et  le  patron 
l'encourage  dans  cette  voie;  c'est  ainsi  qu'il  devient  esclave  pour  toute  sa  vie. 

Les  ouvriers  sont  parqués  dans  des  chambres  étroites  et  malsaines,  au  grand  pré- 
judice de  la  morale  et  de  la  santé.  Ils  ne  sortent  que  le  dimanche  matin  pour  aller  à 
la  messe,  et  encore  sont-ils  escortés;  on  ne  leur  permet  de  voir  leurs  familles  qu'à 
travers  une  grille  et  en  présence  de  témoins.  La  police  intérieure  est  faite  par  un 
majorai  ou  capataz,  qui  châtie  la  moindre  faute  à  coups  de  bâton.  (Note  du  maré- 
chal à  l'Empereur.) 

(1)  Lettre  de  l'empereur  Maximilien,  -17  août  -1865. 

(*)  Lettre  de  l'Impératrice,  31  août  1865. 

M.  Burnouf,  ingénieur  français,  était  venu  au  Mexique  pour  diriger  de  grandes  en- 


NOTE    SUR    LA    COLONISATION.  755 

Le  décret  relatif  à  l'émancipation  des  Indiens,  à  la  rédaction  duquel  le 
maréchal  prit  une  part  des  plus  honorables  <*),  parut  le  1"  novembre 
1865  ;  il  abolit  les  châtiments  corporels,  limita  les  heures  de  travail,  ga- 
rantit le  paiement  du  salaire,  réduisit  à  six  piastres  au  maximum  le 
chiffre  des  prêts  que  les  propriétaires  étaient  autorisés  à  faire  à  leurs 
Indiens,  déchargea  le  fils  des  dettes  de  son  père  et  détruisit  les  entraves 

ploitations  agricoles.  Consulté  par  l'Empereur  sur  les  améliorations  proposées,  il  lui 
écrivait,  le  19  aoûl  tSGo  : 

«  Sire,  j'ai  entre  les  mains  un  projet  de  règlement  émanant  de  la  Junta  de  las  clases 
menesterosas  et  relatif  aux  Indiens  des  haciendas.  Ce  projet  me  préoccupe  beaucoup,  et 
sans  l'assentiment  de  V.  M.  je  n'ose  formuler  un  décret,  qui  est  toute  une  révolution, 
mais  une  révolution  utile,  nécessaire  et  urgente.  Pendant  l'année  entière  que  j'ai  passé 
dans  les  haciendas,  j'ai  vu  les  Indiens  de  très-près,  j'ai  vécu  de  leur  vie,  et  si  j'ai  pleuré  sur 
leur  sort,  je  me  suis  indigné  contre  la  barbarie  de  leurs  maîtres  et  les  exactions  de 
toutes  sortes  exercées  j)ar  eux.  J'ai  vu  des  hommes  nus  frappés  de  verges  jusqu'au  sang, 
j'ai  littéralement  mis  mon  doigt  dans  les  cicatrices  ;  j'ai  nourri  des  familles  mourant  de 
faim  et  conduites  au  travail  sous  le  fouet  du  majordome  ,  j'ai  vu  des  hommes  mourant 
d'épuisement,  chargés  de  chaînes,  se  traînant  au  soleil  pour  achever  leur  vie  sous  l'oeil 
de  Dieu,  puis  jetés  dans  un  trou,  comme  un  chien  mort  I  Eh  bien,  tout  cela  n'est  rien  ! 
L'haciendado  spécule  encore  sur  la  nourriture  de  ces  pauvres  gens  et  sur  le  haillon 
qui  les  couvre  à  demi.  Il  les  oblige  à  acheter  chez  lui  tous  leurs  aliments  et  à  un  prix 
supérieur  à  celui  du  marché  de  la  ville  ;  il  leur  vend  avec  usure  toutes  les  pauvres 
étoffes  dont  ils  ont  besoin,  de  sorte  que,  tout  compte  fait,  l'Indien  ne  reçoit  pas  plus 
de  un  réal  pour  un  travail  de  quatorze  heures.  Il  faut  donc  que  l'Indien  s'endette  de 
plus  en  plus  ;  en  cela  le  maître  est  puissamment  aidé  par  les  prêtres,  qui  font,  tous, 
payer  à  un  prix  exorbitant  les  formules  de  la  religion  et  exploitent  à  outrance  la 
crédulité  superstitieuse  de  l'Indien. 

«  La  liquidation  de  la  semaine  sainte  se  règle  toujours  en  perte  pour  le  peon,  et  sa 
condition  va  en  s'empirant.  Par  ce  système,  on  est  arrivé  à  ce  qu'il  n'existe  pas  une 
famille  indienne  qui  ne  doive  au  moins  cent  piastres.  — La  dette  générale  des  Indiens 
d'une  hacienda  est  au  minimum  de  20,000  piastres » 

Personne  ne  contestait  ces  terribles  abus  de  la  domination  des  hacenderos  sur  leurs 
malheureux  peones,  et  cependant  ceux-là  mêmes  qui  faisaient  le  plus  haut  profession 
de  libéralisme  étaient  opposés  aux  idées  d'émancipation  de  l'Empereur.  Le  ministre 
de  l'instruction  publique,  Siliceo,  écrivit  à  l'Empereur,  dès  le  -1'"'  septembre,  le  len- 
demain même  du  conseil  présidé  par  l'Impératrice,  pour  lui  remontrer  à  quel  danger 
on  allait  exposer  le  Mexique  si  l'on  accomplissait  la  révolution  sociale  proposée. 
«  Los  indigenas  se  conservan  quietos  por  solo  su  abatimiento  social,  pero  por  caracter 
y  espiritu  de  raza  tan  luego  como  se  les  escite  y  se  les  den  medios  de  ponerse  trente 
à  trente  de  los  blancos  veran  llegado  el  momento  de  la  insurreccion  y  de  las  venganzas 
y  entonces  :  Desgraciado  de  Mexico  t  » 

Les  indigènes  ne  se  tiennent  tranquilles  que  par  suite  de  leur  abaissement  social, 
mais  par  caractère  et  esprit  de  race,  aussitôt  qu'on  les  excitera  et  qu'on  leur  donnera 
les  moyens  de  se  placer  face  à  face  des  blancs,  ils  verront  le  moment  venu  de  s'insur* 
ger  et  de  se  venger,  et  alors  :  Malheur  au  Mexique  I 

L'Empereur  persista  dans  son  projet. 

(')  Comparer  le  décret  au  projet  soumis  au  raaréclial  et  aux  modifications  qu'il  y 
propose  (Lettre  au  ministre,  9  octobre). 


756  APPENDICE. 

que  les  hacenderos  apportaient  h  la  libertc^de  leurs  peoncs.  Néanmoins,  ce 
décret  n'eut  pas  la  portée  que  l'Empereur  avait  espérée;  les  hacenderos 
refusaient  d'employer  les  peones  qui  voulaient  protiter  de  leur  libération 
légale,  et  le  malheureux  Indien,  pour  vivre  et  faire  vivre  sa  famille,  re- 
prit la  servitude  à  laquelle  une  loi  bienfaisante,  mais  inefficace  ou  incom- 
plète, n'avait  pu  le  soustraire. 

On  voit,  par  la  résistance  qu'apportaient  les  Mexicains  eux-mêmes  à  la 
réalisation  de  ces  deux  grands  projets  de  la  colonisation  étrangère  et  de 
la  colonisation  par  la  race  autochthone,  conséquence  de  l'émancipa- 
tion des  peones,  combien  il  était  difficile  de  réorganiser  la  société  mexi- 
caine. 


X. 


CONVENTION  DU  30  JUILLET  1866. 

(Page  602.) 

Sa  Majesté  l'Empereur  des  Français  et  Sa  Majesté  l'Empereur  du 
Mexique,  animés  du  désir  de  régler,  à  leur  satisfaction  mutuelle,  les  ques- 
tions financières  pendantes  entre  leurs  gouvernements,  ont  résolu  de 
conclure  une  convention  dans  ce  but  et  désigné  pour  leurs  plénipoten- 
tiaires, savoir  : 

Sa  Majesté  l'Empereur  des  Français,  M.  Alphonse  Dano,  son  envoyé 
extraordinaire  et  ministre  plénipotentiaire  à  Mexico,  commandeur  de 
l'ordre  impérial  de  la  Légion  d'honneur,  grand-croix  de  l'ordre  de  Guada- 
lupe,  etc.,  etc.,  etc.,  agissant  en  vertu  de  ses  pleins  pouvoirs  généraux; 

Sa  Majesté  l'Empereur  du  Mexique,  M.  Luis  de  Arroyo,  sous-secrétaire 
d'Etat,  chargé  du  ministère  des  affaires  étrangères,  officier  de  l'ordre  de 
la  Guadalupe,  etc.,  etc.,  etc.,  autorisé  à  cet  effet  ; 

Lesquels  sont  convenus  des  articles  suivants  : 

Article  1".  Le  gouvernement  mexicain  accorde  au  gouvernement 
français  une  délégation  de  la  moitié  des  recettes  de  toutes  les  douanes 
maritimes  de  l'Empire,  provenant  des  droits  ci-après  mentionnés  : 

Droits  principaux  et  spéciaux  d'importation  et  d'exportation  sur  tous 
objets. 

Droits  additionnels  «  d'internacion  »  et  de  «  contra-registro.  » 

Droits  de  «  mejoras  materiales  »  lorsque  ce  dernier  sera  libéré  de  la 
délégation  actuellement  consentie  en  faveur  de  la  compagnie  du  che- 
min de  fer  de  Yera-Cruz  à  Mexico,  délégation  qui  ne  pourra  être  pro- 
longée. 

Toutefois,  les  droits  d'exportation  des  douanes  du  Pacifique  étant  en- 
gagés pour  les  trois  quarts,  la  délégation  attribuée  au  gouvernement 
français  sur  ces  droits  sera  réduite  aux  23  p.  7o  restant  libres. 

Art.  2.  Le  produit  de  la  délégation  stipulée  par  l'article  précédent 
sera  attribué  : 


758  APPENDICE. 

1°  Au  paiement  des  intérêts,  de  l'amortissement  et  de  toutes  les  obliga- 
tions résultant  des  deux  emprunts  contractés,  en  1864  et  1865,  par  le 
gouvernement  mexicain  ; 

2°  Au  paiement  des  intérêts  à  3  p.  "/o  de  la  somme  de  216  millions  de 
francs,  dont  le  gouvernement  mexicain  s'est  reconnu  redevable  en  vertu 
de  la  convention  de  Miramar,  et  de  toutes  les  sommes  postérieurement 
avancées  par  le  Trésor  français,  à  quelque  titre  que  ce  soit.  Le  montant 
de  cette  créance,  évaluée  aujourd'hui  au  chiffre  approximatif  de  250 
millions  de  francs,  sera  ultérieurement  fixé  d'une  manière  définitive. 

Dans  le  cas  d'insuffisance  du  prélèvement  pour  l'entier  acquittement 
des  charges  ci-dessus  indiquées,  les  droits  des  porteurs  des  titres  des 
deux  emprunts  et  ceux  du  gouvernement  français  demeureront  entière- 
ment réservés. 

Art.  3.  Le  prélèvement  résultant  de  la  délégation  de  la  moitié  du 
produit  des  douanes  mexicaines  s'élèvera  proportionnellement  à  l'aug- 
mentation des  recettes  et,  dans  le  cas  oîi  ce  prélèvement  dépasserait  la 
somme  nécessaire  pour  faire  face  aux  charges  spécifiées  dans  l'article, 
l'excédant  serait  affecté  à  l'amortissement  du  capital  dii  au  gouvernement 
français. 

Art.  4.  La  quotité  des  droits  et  le  mode  de  perception  actuellement  en 
usage  ne  pourront  recevoir  do  modifications  qui  aient  pour  effet  de  dimi- 
nuer le  prélèvement  concédé. 

Art.  5.  Le  prélèvement  de  la  délégation  mentionnée  dans  l'art.  !«' 
sera  opéré  à  Vera-Cruz  et  à  Tampico,  par  des  agents  spéciaux  placés  sous 
la  protection  du  drapeau  de  la  France. 

Tous  les  droits  perçus  dans  ces  deux  douanes,  pour  le  compte  du  Tré- 
sor mexicain,  sans  exception,  seront  affectés  à  l'acquittement  de  la  délé- 
gation française,  sous  la  seule  réserve  de  la  partie  afférente  aux  déléga- 
tions actuellement  reconnues,  et  au  traitement  des  employés  de  ces  deux 
douanes.  Le  montant  de  cette  dernière  dépense,  qui  comprendra  les 
émoluments  attribués  aux  agents  français,  ne  pourra  excéder  cinq  pour 
cent  du  produit  des  droits  précités. 

Un  règlement  de  compte  trimestriel  constatera  le  montant  des  prélève- 
ments ainsi  opérés  par  le  gouvernement  français,  et  le  produit  des  droits 
délégués  pour  toutes  les  douanes  de  l'Empire. 

Ce  règlement  fixera  la  somme  à  verser  immédiatement  par  le  gouver- 
nement mexicain  pour  parfaire  le  prélèvement  concédé,  en  cas  d'insuffi- 
sance, ou  la  somme  à  lui  restituer,  de  la  môme  façon,  en  cas  d'excédant 
de  prélèvement. 

Dans  tous  les  ports  autres  que  Vera-Cruz  et  Tampico,  les  agents 
consulaires  français  viseront  les  états  de  situation  des  douanes  de  leur 
résidence. 

Art.  6.  Il  sera  laissé  à  l'appréciation  de  l'Empereur  Napoléon  III  de 
fixer  le  temps  pendant  lequel  les  agents  chargés  d'opérer  les  recou- 


CONVENTION   DU   30   JUILLET    1866.  759 

vrements  seront  maintenus  à  Vera-Cruz  et  à  Tampico,  ainsi  que  d'arrêter 
les  mesures  propres  à  assurer  leur  protection. 

Art.  7.  Les  dispositions  ci-dessus  spécifiées  seront  soumises  à  l'appro- 
bation de  l'Empereur  des  Français  et  applicables  à  partir  du  jour  désigné 
par  Sa  Majesté. 

La  convention  signée  à  Miramar,  le  10  avril  1864,  sera  dès  lors  abrogée 
en  tout  ce  qui  a  trait  aux  questions  financières. 

Art.  7.  Il  demeure  convenu  que  les  agents  spéciaux,  chargés  par  le 
gouvernement  français  cVopêrer  le  prélèvement  de  la  délégation  accordée 
par  Vart.  1*%  auront  la  direction  des  douanes  des  deux  ports  de  Vera-Cruz 
et  de  Tampico. 

En  foi  de  quoi,  les  plénipotentiaires  respectifs  ont  signé  la  présente 
convention,  qu'ils  ont  revêtue  du  cachet  de  leurs  armes. 

Fait  en  double  expédition  à  Mexico,  le  trente  juillet  de  l'an  de  grâce 
mil  huit  cent  soixante-six. 

Signé  :  Alph.  Dano. 

Luis  de  Arroyo. 


RELEVÉ    DES    EMBARQUEMENTS 


POUR  LE  RAPATRIEMENT  DU  CORPS  EXPEDITIONNAIRE. 


DATES 


18  déc.    1866. 

13  , 

anv.  1867. 

20 

id. 

44  février. 

n 

id. 

18 

id. 

18 

id. 

19 

id. 

19 

id. 

-21 

id. 

22 

id. 

24 

id. 

25 

id. 

26 

id. 

27 

id. 

27 

id. 

27 

id. 

28 

id. 

28 

id. 

1er 

mars. 

2 

id. 

4 

id. 

4 

id. 

6 

id. 

8 

id. 

8 

id. 

9 

id. 

9 

id. 

10 

id. 

11 

id. 

H 

iJ. 

12 

id. 

12 

id. 

12 

id. 

12 

id. 

12 

id. 

12 

id. 

12 

id. 

NOMS 

des 


La  Floride  (paquebot; 

Impératrice-Eugénie  (paquebot) 

Ehône  (transport).  . 

Nouveau-Monde  (paquebot). .  . 

Yonne  (transport) 

Saône  (id.) 

Nièvre  (id.) 

Drame  (id.) 

Pomone  (frégate) 

Allier  (transport). 

Var  (id.) 

Tampico  (paquebot) 

Ardèche  (transport) . 

Calvados  (frégate) 

Aveyron  (transport) 

Tarn  (id.) 

Vera-Cruz  i^paquebol) 

Masséna  (vaisseau) 

Cher  (transport) 

Eure  (id.) 

Garonne  (idj 

Ville-de-Bordeaiix  (vaisseau).  . 

Ville-de-Lyon  (id.) 

Fontenoy  (id.) 

Cérès  (transport) 

Mégère  (aviso) 

Duchayla  (aviso) 

Charente  (transport) . 

Intrépide  (vaisseau) 

Bayard  (id.) 

Durance  (transport i 

Souverain  (vaisseau) , 

Aube  (transport) , 

Castigliona  (vaisseau) 

Navarin  (id; 

Seine  (transport) 

La  Floride  (paquebot) 

La  France  (id.). 

Magenta  (vaisseau) 

Magnanime  (vaisseau) 

Flandre  (frégate) , 

TOTADX 

Trocfes  embarquées 


OFFICIERS 



1^ 

supé- 

subal- 

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U  f. 

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1,129 

12 

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42 

1,149 

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16'J 

1,264 
28, 

27,260 

593 

351 

OBSERVATIONS. 


Autrichiens. 
Autrichien». 


Matériel  d'artillerie. 


Pour  ia  .Nouv. -Orléans 
.Matériel  d'artillerie. 


.Navires  armés  en  guerre. 


Vera-Cruz,  le  12  mars  1867. 


XI. 
DÊPEI^SES 

OCCASIONNÉES    PAR    l'eXPÉDITION    DU    MEXIQUE. 


D'après  une  note  qui  fut  communiquée  à  la  commission  du  budget ,  du  Corps 
législatif,  les  dépenses  occasionnées  par  l'expédition  du  Mexique  se  répartissent 
de  la  manière  suivante  : 


Ministère 

Ministère 

Ministère 

TOT\L 

de  la  guerre. 

de  la  marine. 

des  finances. 

1861.  — 

. 

3,200,000  fr. 

, 

3,200,000  fr 

1862.  — 

27,119,000  fr. 

33,903,000 

379,000  fr. 

63,400,000 

1863.  — 

72,012,800 

24,606,000 

1,001,000 

97,619,000 

1864.  — 

•bl, 732,000 

15,667,000 

1,675,000 

69,074,000 

1865.  — 

29,342,000 

10,583,000 

1,480,000 

41,405,000 

1866.  — 

41,792,000 

13,798,000 

9,567,000 

65,147,000 

1867.   — 

9,993,000 

13,117,000 

200.000 

23,310,000 

Total.  231,990,000  fr.   116,873,000  fr.    14,202,000  fr.  363,155,000  fr. 


Les  recettes  furent,  pour  l'année  1864  : 

Un  semestre  du  remboursement  stipulé  par  la  convention 

de  Miramar 12,500,000  fr. 

Remboursement  des  frais  de  construction  du  chemin  de  fer.  1 ,500,000 

Vente  de  47,625  obligations  de  l'emprunt  mexicain  pour 

le  compte  de  l'Etat 14,287,000 

(Il  resta  en  portefeuille  5,232  obligations). 

Arrérages  de  l'emprunt  mexicain 5,400,000 

A  reporter 33,687,000  fr. 


764  APPENDICE. 

Report 33,687,000  fr. 

En  186S  : 

Remboursement  stipulé  à  Miraraar 25,000,000 

Arrérages  de  l'emprunt 2,700,000 

27,700,000       27,700,000 
En  1867': 
Perçu  sur  les  douanes  mexicaines 5,880,000 

Total  des  recettes 61,975,000  fr. 


La  différence  entre  les  recettes  et  les  dépenses  s'élève  à  301,190,000  fr.,  non 
compris  une  somme  de  13  millions  environ,  portée  au  budget  extraordinaire;  on 
évaluait  en  outre  le  matériel  perdu  à  2,230,000  fr.,  et  les  frais  de  rapatriement 
du  corps  expéditionnaire  à  20  millions  fr. 

Pour  avoir  le  bilan  complet  des  sacrifices  occasionnés  par  cette  expédition, 
il  conviendrait  d'ajouter  encore  les  pertes  subies  par  le  commerce  français  et  par 
les  souscripteurs  des  emprunts  mexicains. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


PREHUIERE     PARTIE. 


CHAPITRE  PREMIER. 

Pages. 
Préliminaires  de  Vexpédition  du  Mexique.  — Condition  des  Indiens  après  la 
conquête  du  Mexique  et  sous  le  régime  colonial.  —  Émancipation  du 
Mexique.  —  Iturbide  proclame  l'indépendance  ;  plan  d'Iguala  (24  fé- 
vrier 1821).  —  Traité  de  Cordova  (24  août  1821).  —  Iturbide  empe- 
reur. —  République  mexicaine;  les  partis  au  Mexique.  — Guerre  civile. 

—  Santa- Anna. —  Comonfort ,  plan  d'Ayotla  (i"^  mars  18o4).  — 
Constitution  de  1857.  —  D.  Benito  Juarez.  —  Plan  de  Tacubaya  ; 
Zuloaga.  —  Juarez  établit  le  gouvernement  constitutionnel  à  la  Vera- 
Cruz.  —  Miramon.  —  Cliute  de  Miramon  ;  le  parti  constitutionnel 
maître  de  Mexico.  —  Attitude  des  ministres  étrangers  pendant  la  guerre 
civile.  —  M.  de  Saligny  nommé  ministre  de  France  à  Mexico.  —  Sus- 
pension du  paiement  de  la  dette  publique  (17  juillet  1861). —  Rupture 

DES  MINISTRES  DE  FRANCE  ET  d' ANGLETERRE   AVEC  LE   GOUVERNEMENT    DE 

Juarez  (2b  juillet  1861).  —  Les  étrangers  au  Mexique.  —  Premiers 
projets  d'intervention.  —  Convention  de  Londres  (31  octobre  1861). 

—  Dispositions  des  Etats-Unis i 

CHAPITRE  n. 

Commandement  du  contre-amiral  Jurien  de  la  Gravière.  —  Organisation 
des  forces  expéditionnaires.  —  Désignation  des  plénipotentiaires;  le 
général  Prim,  —  Instructions  données  à  l'amiral  Jurien  ;  —  aux  com- 
missaires anglais  ;  —  au  général  Prim.  —  Formation  du  corps  expédi- 
tionnaire français  ;  départ  de  l'escadre. —  Réunion  de  l'escadre  à  Sainte- 
Croix-de-Ténériffe.  —  L'amiral  complète  l'organisation  du  corps  expédi- 
tionnaire. —  Arrivée  de  l'escadre  à  la  Havane.  —  Première  réunion  des 
trois  commandants  des  troupes  alliées.  —  Les  émigrés  mexicains  à  la 
Havane.  —  Juarez  se  prépare  à  la  résistance.  —  Débarquement  des 
Espagnols  à  la  Vera-Cruz.  —  Achat  de  chevaux  à  la  Havane.  —  L'es- 


766  TABLE   DES   MATIÈRES. 

Pages, 
[r  cadre  française  quitte  la  Havane.  —  Effectif  de  la  division  espagnole. 

—  Manifeste  des  plénipotentiaires  à  la  nation  mexicaine.  —  Description 
topograpliique  sommaire.  ~  Occupation  de  la  Tejeria.  —  Occupation 
de  Medelin. —  Première  conférence,  —  Ultimatum  des  plénipotentiaires 
français.  —  Deuxième  conférence.  —  Envoi  de  délégués  à  Mexico.  — 
Arrestation  ds  Miramon. —  Retour  des  délégués. —  Réponse  du  gouver- 
nement mexicain.  —  Deuxième  note  des  commissaires  alliés.  —  Loi  du 
25  janvier  1862.  —  Organisation  du  corps  expéditionnaire. —  Réponse 
de  Doblado  à  la  deuxième  note.  —  Troisième  note.  —  Le  général  Za- 
ragosa  remplace  le  général  Uraga.  —  Convention  de  la  Soledad  (19 
février  1862).  —  Organisation  du  convoi.  —  Départ  des  troupes  fran- 
çaises pour  Tehuacan  (25  février  1862).  —  Réorganisation  des  moyens 

de  transport.  —  Situation  de  la  Vera-Cruz  et  de  l'escadre. 39 

CHAPITRE  III. 

Impressions  des  gouvernements  anglais  et  français  en  apprenant  le  débar- 
quement des  Espagnols  à  Vera-Cruz.  —  Envoi  au  Mexique  d'une 
brigade  de  renfort  sous  les  ordres  du  général  de  Lorencez.  —  Le  géné- 
ral Almonte.  —  Exécution  du  général  Roblès.  —  Débarquement  et 
mise  en  route  des  renforts.  —  Les  troupes  cantonnées  à  Tehuacan  ré- 
trogradent. —  Instructions  envoyées  par  les  trois  gouvernements  à  leurs 
commissaires,  motivées  sur  les  divergences  qui  s'étaient  produites  entre 
eux.  —  Jugement  porté  sur  l'ultimatum  proposé  par  M.  de  Saligny.  — 
Conférence  du  9  avril.  ■—  Rupture  de  l'alliance.  —  Ecbange  de  notes 
avec  le  gouvernement  mexicain.  —  Proclamation  des  commissaires 
français  à  la  nation  mexicaine,  —  Décret  de  Juarez,  —  Dispositions 
des  cbefs  du  parti  conservateur.  —  Plan  de  Cordova.  —  Départ  des 
troupes  anglaises  et  espagnoles.  —  Le  général  de  Lorencez  à  Cordova, 

—  Lettre  du  général  Zaragosa  relative  aux  malades  laissés  à  Orizaba. 

—  Le  général  de  Lorencez  se  décide  à  marcher  sur  Orizaba.  —  Combat 
du  Fortin  (19  avril).  —  Proclamation  du  général  de  Lorencez.  —  Le 
Gouvernement  français  désapprouve  la  convention  de  la  Soledad.  — 
Rappel  de  l'amiral.  —  Jugement  porté  sur  la  convention  de  la  Soledad 
par  les  gouvernements  alliés.  —  Politique  adoptée  par  les  trois  puis- 
sances à  la  suite  de  la  rupture  de  l'alliance 99 

CHAPITRE  IV. 

Composition  et  situation  du  corps  expéditionnaire.  —  Topographie  du 
pays  entre  Orizaba  et  Puebla.  —  Combat  des  Cumbres  (28  avril  1862). 

—  Attaque  de  Puebla  (5  mai).  —  Marche  rétrograde  de  Puebla  sur 
Orizaba.  —  Combat  de  la  Barranca-Seca  (18  mai).  —  Mésintelligence 
entre  le  général  de  Lorencez  et  M.  de  Saligny.  —  Le  général  de  Lo- 
rencez rétabht  ses  communications  avec  Vera-Cruz.  —  Difficultés  pour 
les  approvisionnements  de  vivres.  —  Arrivée  du  général  Douay.  — 
Situation   politique.    —  Siège    d'Orizaba  par  l'armée    mexicaine.  — 


TABLE    DES    MATIÈRES.  767 

Pages. 
Combat  du  Gerro-Borrego  (i4  juin).  —  Mesures  gouvernementales  du 
général  Almonte.  —  Marche  des  convois  entre  Orizaba  et  Vera-Gruz.  — 
Arrivée  d'un  premier  renfort.  —  Lettre  de  l'Empereur  au   général  de 
Lorencêz.  —  Départ  du  général  de  Lorencez 153 

CHAPITRE  V. 

Composition  du  corps  expéditionnaire  placé  sous  les  ordres  du  général 
Forey.  —  Instructions  donnés  au  général  Forey.  —  Le  général  Forey 
dissout  le  gouvernement  provisoire  formé  par  le  général  Almonte.  — 
Proclamation  aux  Mexicains.  —  Ecliange  de  lettres  entre  le  général 
Ortega  et  le  général  Forey.  —  Pénurie  des  vivres  et  des  transports.  — 
Marche  de  la  brigade  de  Bertier  sur  Jalapa.  —  Opérations  au  sud  de 
Vera-Gruz.  —  Occupation  d'Omealca.  —  Expédition  sur  Tampico.  -^ 
Le  corps  expéditionnaire  s'avance  sur  le  plateau  d'Anahuac.  —  Situa- 
tion des  forces  alliées  du  général  Marquez.  —  Marche  du  général  Bazaine 
de  Jalapa  sur  Perote.  —  Combat  de  San  José  (18  février  1863).  — 
Organisation  des  postes  sur  la  ligne  de  communication  avec  Vera-Cruz. 

—  Arrivée  à  Vera-Cruz  d'un  bataillon  d'Egyptiens.  —  Reprise  des  opé- 
rations contre  Puebla.  — -  Dispositions  défensives  prises  par  le  gouver- 
nement mexicain 203 

CHAPITRE  VI. 

Investissement  de  Puebla  (16  mars  1863).  —  FortiOcations  de  Puebla.  — 
Combat  de  Cholula  (22  mars).  —  Ouverture  de  la  tranchée  (23  mars). 

—  Prise  du  fort  de  San  Javier  (29  mars).  —  Attaque  des  cadres.  — 
Conseil  de  guerre  (7  avril).  —  Combat  d'Atlixco  (14  avril).  —  Attaque 
du  couvent  de  Santa  Inès  (23  avril).  —  On  change  le  système  des 
attaques.  —  Combat  de  San  Pablo  del  Monte  (5  mai).  —  Combat  de 
San  Lorenzo  (8  mai).  —  Ouverture  de  la  tranchée  devant  '.e  fort  Toti- 
mehuacan.  —  Reddition  de  la  place  (17  mai).  — Evasion  des  prison- 
niers faits  à  Puebla 233 

CHAPITRE  Vn. 

Mesures  politiques  prises  après  la  reddition  de  Puebla  (mai  1863),  — 
Marche  de  l'armée  sur  Mexico.  —  Pronunciamiento  à  Mexico.  —  Entrée 
du  général  Forey  à  Mexico  (10  juin  1863).  —  Manifeste  à  la  nation 
mexicaine.  —  Formation  d'un  gouvernement  provisoire.  -?-  Proclama- 
tion DE  l'Empire  (10  juillet).  —  Opérations  militaires.  —  Combat 
de  Gamaron  (l*"^  mai).  —  Opérations  sur  les  côtes.  —  Situation  poli- 
tique du  pays.  —  Rappel  du  général  Forey  et  de  M.  de  Saligny  (oc- 
tobre   1863) 38o 


DEUXIÈME     PARTIE. 


CHAPITRE  PREMIER. 

Pages. 
Le  général  Bazaine  (octobre    1863).  —  Ligne  politique  tracée  au   général 

Bazaine.  —  Réception  de  la  commission  mexicaine  par  l'archiduc  Maxi- 

milien.  — Forces  militaires  dont  disposait  le  général  Bazaine.  —  Armée 

mexicaine  alliée.  —  Préliminaires  de  la  campagne  de  l'intérieur.  —  Les 

colonnes  expéditionnaires  quittent  Mexico.  —  Poursuite  de  la  division 

Doblado  jusqu'à  Aguascalientes.  —  Opérations  du  général  Douay  contre 

le  corps  d'Uraga.  —  Opérations  de  la  division  Mejia.  —  Occupation  et 

défense  de  San  Luis  Potosi  (23  et  27  décembre  1863).  —  Occupation 

de  Guadalajara  (5  janvier  1864).  —  Difficultés  suscitées  par  le  clergé. 

—  Retour  du  général  en  chef  à  Mexico  (4  février  1864).  —  Marche 
de  la  division  Douay  sur  Zacatecas,  puis  sur  Guadalajara.  —  Situation 
politicpie.  —  Acceptation  officielle  de  la  couronne  par  l'archiduc  Maxi- 
milien.  —  Emprunts.  —  Convention  de  Miramar  (10  avril  1864).  — 
Arrivée  de  l'empereur  Maximilien  à  Vera-Cruz  (28  mai  1864).  —  Opé- 
rations du  général  Douay  aux  environs  de  Guadalajara.  —  Destruction 
des  guérillas  de  l'Etat  de  Guanajuato.  —  Opérations  dans  la  Sierra 
Morones.  —  Combat  de  Matehuala  (17  mai  1864).  —  Opérations  aux 
environs  de  Tampico.  —  Evacuation  de  Minatitlan  (28  mars)  et  de  San 
Juan  Bautista  (27  février).  —  Occupation  d'Acapulco  (3  juin  1864)  .  .     323 

CHAPITRE  II. 

Manifeste  de  l'empereur  Maximilien  à  son  arrivée  au  Mexique  (29 
mai  1864).  —  Voyage  de  l'Empereur  dans  les  provinces  de  l'inté- 
rieur. —  Situation  générale  du  pays.  —  Le  nonce  du  pape.  —  Ques- 
tions religieuses.  —  Opérations  militaires.  —  Expédition  dans  la 
Huasteca.  —  Combat  de  la  Candelaria  (1"  août).  —  Opérations  dans 
le  Nord.  —  Occupation  de  Durango  (4  juillet).  —  Occupation  de  Sal- 
tillo  et  de  Monterey  (20  et  26  août).  —  Combat  du  Cerro  de  la  Majoma 
(21  septembre).  —  Opérations  de  l'escadre  à  l'embouchure  du  Rio 
Bravo  del  Norte.  —  Occupation  de  Matamoros  (26  septembre).  — 
Opérations  dans  l'Etat  de  Jalisco. — Occupation  de  Cohma  (5  novembre). 

—  Combat  de  Jiquilpan    (22  novemlire).  —  Evacuation   d'Acapulco 

(14  d.H;.'mbre  1864) 379 


TABLE    DES    MATIERES. 


CHAPITRE  m. 


769 


Pages. 


Opérations  militaires  clans  la  province  d'Oajaca.  —  Siège  et  prise  d'Oajaca 
(8  février  1863).  —  Opérations  contre  les  guérillas  de  l'Etat  d'Oajaca, 
de  la  Huasteca,  des  terres  chaudes  de  Vera-Cruz,  du  Michoacan.  de 
l'Etat  de  Jalisco.  —  Occupation  de  Mazatlan  (13  novembre  1864).  — 
Marche  de  la  division  de  Castagny  de  Durango  à  Mazatlan.  —  Combat 
de  TEspinazo  del  Diablo  (1^"^  janvier  1863).  —  Combat  de  Veranos 
(il  janvier).  — Occupation  de  Guaymas  de  Sonora  (29  mars).  —  Agi- 
tation dans  les  provinces  du  Nord.  —  Mouvement  de  Negrete,  de  Ghihua- 
hua  sur  Saltillo,  Monterey,  et  Matamoros.  —  Appréhensions  d'une 
intervention  des  Etats-Unis.  —  Forces  militaires  à  la  disposition  du 
maréchal  Bazaine  — Mésintelligence  entre  le  gouvernement  mexicain  et 
les  autorités  françaises.  —  Etat  des  finances.  —  Emprunts 439 

CHAPITRE  IV. 

Politique  des  Etats-Unis.  —  Emigration  des  confédérés  au  Mexique.  — 
Création  des  divisions  militaires  et  des  grands  commandements.  — 
Opérations  militaires  dans  le  Michoacan.  —  Premier  combat  de  Tacam- 
baro  (11  avril  1865). — Combat  d'Huaniqueo  (23  avrilj. —  Deuxième 
combat  de  Tacambaro  (11  juillet).  —  Combat  de  Santa  Ana  Amatlan 
(12  octobre).  —  Menées  du  général  Santa  Anna.  —  Réoccupation 
d'Acapulco  (11  août).  —  Opérations  des  volontaires  autrichiens  dans  la 
province  d'Oajaca  et  dans  la  Huasteca.  —  Expédition  sur  Chihuabua. — 
Décret  du  3  octobre  1863. —  Opérations  militaires  en  Sonora. —  Opéra- 
tions dans  le  Tamaulipas.  —  Opérations  des  colonnes  françaises  dans  le 
Nord-Est.  —  Voyage  de  l'impératrice  Charlotte  au  Yucatan 499 

CHAPITRE  V. 

Relations  diplomatiques  entre  la  France  et  les  Etats-Unis.  —  Déclaration 
du  gouvernement  français  relative  au  rappel  des  troupes  du  Mexique. — 
Organisation  des  forces  militaires  à  la  disposition  de  l'empereur  Maxi- 
milien.  —  Création  des  cazadores.  —  Détresse  financière  de  l'Empire 
mexicain.  —Progrès  dos  forces  républicaines  dans  le  nord  du  Mexique. 

—  Opérations  militaires  dans  les  États  de  Nuevo-Leon  et  de  Coahuila. 

—  Combat  de  Santa  Isabel  (1"  mar.-^).—  Combat  de  Camargo  (13  juin). 

—  Capitulation  de  Matamoros  (23  juin).  —  Note  du  31  mai.  —  Mémoire 
de  l'empereur  Maximilien  à  l'empereur  Napoléon.  —  Nature  des  rela- 
tions entre  l'empereur  Maximilien  et  le  maréchal  Bazaine.  —  Conven- 
tion du  30  juillet  1866 343 

CHAPITRE  VI. 

Le  maréchal  Bazaine  transporte  son  quartier  général  à  San  Luis  (juillet 
1866).  —  Evacuation  de  Monterey  ('26  juillet).  —  Combat  de  la  Noria 

49 


770  TABLE    DES    MATIÈRES. 

Pages, 
de  Custodio  (8  août).  —  Mouvement  de  concentration   sur  Durango.  — 

Capitulation  de  Tampico  (7  août).  —  Mesures  prises  pendant  le  ministère 

de  MM.  Friant  et  Osmont.  —  Opérations  dans  le  Michoacan  et  l'Ëtat 

d'Oajaca.  —  On  arrête  l'embarquement.  —  Mission  du  général  Castelnau. 

—  Projet  d'abdication  de  l'empereur  Maximilien;  il  part  pour  Orizaba. 
— I  Dispositions  des  Américains  ;  mission  Campbell  et  Sherman.  — 
Conférences  d'Orizaba.  —  L'empereur  Maximilien  se  décide  à  rester  au 
Mexique 605 

CHAPITRE  YII. 

Mouvements  de  retraite  de  l'armée  française.  —  Évacuation  de  la  So- 
nora.  —  Combats  autour  de  Mazatlan;  évacuation.  —  Évacuation  de 
Guadalajara  (12  décembre).  —  Combats  autour  de  Matehuala.  — 
Évacuation  de  San  Luis  (23  décembre  1866).  —  Combat  de  Mia- 
huatlan  (3  octobre).  —  Prise  d'Oajaca   par  Porfirio  Diaz  (30  octobre). 

—  Mouvements  militaires  entre  Perote  et  Tehuacan.  —  Entrevue 
de  l'empereur  Maximilien  avec  le  général  Castelnau  et  M.  Dano  à 
Puebla  (20  décembre).  —  Difficultés  au  sujet  de  la  convention  du 
30  juillet.  —  Déclaration  du  maréchal  à  la  conférence  du  14  janvier 
1867.  —  Mesures  de  rigueur  ordonnées  par  le  maréchal  à  Mexico.  — 
Rupture  du  maréchal  avec  le  gouvernement  mexicain  et  l'empereur 
Maximilien.  —  Départ  de  Mexico  du  maréchal  et  de  la  dernière  colonne 
de  troupes  françaises  (5  février).  —  Embarquement  du  corps  expé- 
ditionnaire. —  Dernières  opérations  des  troupes  impériales  mexicaines. 

—  Siège  et  prise  de  Queretaro,  par  les  forces  libérales  (lo  mai).  — 
Expédition  du  général  Marquez  sur  Puebla.  —  Condamnation  à  mort 
et  exécution  de  l'empereur  Maximilien  (19  juin).  —  Capitulation  de 
Mexico  (21  juin).  —  Capitulation  de  Vera-Cruz  (28  juin) GGl 


' 


FIN    DE    LA    TABLE    DES    MATIERES. 


Poris.  —  Imp.  J.  Dumaine,  rue  Christine,  2, 


ERRATA. 

Page  233,  ligne  2,  —  au  lieu  de  auxquelles,  lisez  :  à  laquelle. 

Page  328,  —  ajouter  à  la  2«  brigade  de  la   1"  division  :  un  bnlaillon  de  tirail- 
leurs algériens. 

Page  41o,  ligne  19,  —  au  lieu  de  surprit,  lisez  :  surfrirenl. 

Page  467,  ligne  1,  —  au  lieu  de  attirait,  lisez  :  attiraient. 

Page  562,  note  2,  —  au  lieu  de  1"  avril,  lisez  :  26  février. 


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La  ZÀ,blÀ,otk^qvi(i 
Université  d'Ottawa 
Echéance 


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Date  Due 


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